Empire de Nicée
Vestige de lâEmpire byzantin ayant rĂ©sistĂ© Ă la prise de Constantinople par les croisĂ©s en 1204, lâempire de NicĂ©e, le plus Ă©tendu des Ătats grecs, occupait, en Asie Mineure occidentale, une large bande de terre sâĂ©tendant de la mer ĂgĂ©e Ă la mer Noire. Si NicĂ©e demeura sa capitale et le siĂšge du patriarcat pendant toute sa brĂšve histoire (1204-1261), les empereurs Ă©tablirent leur rĂ©sidence et le siĂšge du gouvernement Ă Nymphaion (aujourdâhui KemalpaĆa), ville de Lydie, moins exposĂ©e aux armĂ©es ennemies. Se dĂ©fendant Ă la fois contre les Ătats successeurs et le sultanat seldjoukide, ThĂ©odore Ier Laskaris rĂ©ussit Ă Ă©difier un Ătat politiquement stable et Ă©conomiquement viable en Asie Mineure. Ses successeurs, Jean III Doukas VatatzĂšs et ThĂ©odore II Laskaris, Ă©tendirent le territoire de lâempire en Europe, encerclant progressivement Constantinople. AprĂšs avoir Ă©cartĂ© Jean IV Lascaris, le successeur lĂ©gitime de ThĂ©odore II, Michel VIII PalĂ©ologue parvint Ă reprendre la ville en 1261.
Statut | Monarchie, successeur local de l'Empire byzantin |
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Capitale | Nicée |
Langue(s) | Grec |
1204 | QuatriÚme croisade et création |
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ReconquĂȘte de Constantinople |
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Les Ătats successeurs
La chute de Constantinople aux mains des croisĂ©s laisse lâEmpire byzantin divisĂ© entre plusieurs Ătats, grecs et latins : lâempire latin de Constantinople, lâempire de NicĂ©e, lâempire de TrĂ©bizonde, le despotat dâĂpire[N 1], le royaume de Thessalonique, ainsi que de nombreux Ătats plus petits, fiefs de seigneurs rebelles et dâempereurs dĂ©posĂ©s.
Lâempire latin de Constantinople est lui-mĂȘme morcelĂ© conformĂ©ment aux usages de la fĂ©odalitĂ© occidentale. Boniface de Montferrat, la figure dominante des chevaliers francs pendant la croisade, sâattend Ă ĂȘtre Ă©lu empereur aux termes du traitĂ© conclu entre le doge de Venise, Enrico Dandolo, et les chevaliers francs. C'est pourtant Baudouin de Flandre qui est Ă©lu et reçut ainsi conformĂ©ment aux dispositions de lâaccord, outre les cinq-huitiĂšmes de Constantinople, la Thrace et la partie nord-ouest de lâAsie Mineure ainsi que diverses Ăźles de la mer ĂgĂ©e comme Lesbos, Chios et Samos. Boniface se voit attribuer le reste de lâAsie Mineure ; mais prĂ©fĂ©rant un territoire europĂ©en, il sâempare de Thessalonique, annexant la MacĂ©doine et la Thessalie adjacentes. De lĂ , il se dirigea vers lâAttique et la BĂ©otie oĂč il crĂ©e le duchĂ© dâAthĂšnes, confiĂ© Ă Otton de la Roche, et vers le PĂ©loponnĂšse oĂč il Ă©tablit la principautĂ© d'AchaĂŻe, confiĂ©e Ă Guillaume de Champlitte dâabord, Ă Godefroy de Villehardouin ensuite[1]. Pendant ce temps, Michel Ier ComnĂšne Doukas, fils illĂ©gitime du sĂ©bastokrator[N 2] Jean Doukas et cousin dâIsaac II et dâAlexis III, aprĂšs avoir suivi Boniface de Montferrat Ă Thessalonique, va sâĂ©tablir en Ăpire et fixa sa capitale Ă Arta oĂč sa famille possĂšde dĂ©jĂ de grands domaines. Il ne porte jamais lui-mĂȘme le titre de despote mais il Ă©tend rapidement son territoire en offrant aux VĂ©nitiens de devenir leur vassal pour lâensemble de lâĂpire. PrĂ©occupĂ©s plus de commerce que dâadministration, ceux-ci acceptent lâoffre avec empressement[2].
Toutefois, Baudouin ne contrĂŽle pas les territoires quâon lui a octroyĂ©s en Asie Mineure. Plus tĂŽt, le despote ThĂ©odore Laskaris, gendre et hĂ©ritier prĂ©somptif dâAlexis III, sâest enfui de Constantinople aprĂšs la dĂ©position de son beau-pĂšre (1203) et sâest installĂ© Ă NicĂ©e dâoĂč il a Ă©tendu son pouvoir sur la Bithynie et les seigneurs locaux. AprĂšs la chute de Constantinople, il accueille les Grecs fuyant la ville et entreprend dâorganiser la rĂ©sistance aux Latins, jetant ainsi les bases dâun Ătat grec viable en Asie Mineure[3].
Lâempire de TrĂ©bizonde est lui aussi crĂ©Ă© quelque peu avant la chute de Constantinople, sans tenir son existence du traitĂ© de partage. AprĂšs la chute de lâempereur Andronic Ier ComnĂšne en 1185, deux de ses petits-fils, David et Alexis ComnĂšne, se sont rĂ©fugiĂ©s Ă la cour de GĂ©orgie oĂč ils sont Ă©levĂ©s par la reine Tamar de GĂ©orgie. Avec lâaide de celle-ci et pour continuer la lutte contre la dynastie des Anges, ils prennent d'abord TrĂ©bizonde en . Alexis sây installe avec le titre dâempereur, pendant que David, poursuivant lâexpansion du nouvel empire vers lâouest, rĂ©ussit Ă en Ă©tendre les frontiĂšres jusquâĂ HĂ©raclĂ©e du Pont[4].
Ă cela sâajoutent nombre de territoires tenus par des nobles byzantins et gouvernĂ©s par des monarques dĂ©posĂ©s ou des seigneurs rebelles. Ainsi, Alexis V, aprĂšs avoir fui Constantinople, sâest rĂ©fugiĂ© Ă Tzurulon (aujourdâhui Ăorlu) en Thrace orientale, alors quâAlexis III, Ă©galement dĂ©posĂ©, rĂšgne Ă Mosynopolis dâoĂč il contrĂŽle la Thrace occidentale et la rĂ©gion de Thessalonique. LĂ©on Sgouros, seigneur rebelle, gouverne la rĂ©gion situĂ©e autour de Nauplie, Corinthe et ThĂšbes. Un autre magnat grec, LĂ©on Gabalas, dĂ©tient lâile de Rhodes, alors quâAntalya a Ă©tĂ© conquise par un condottiere italien, Aldobrandini. En Asie Mineure, la vallĂ©e du MĂ©andre est partagĂ©e entre Sabas AsidĂ©nos autour de PriĂšne, ThĂ©odore Mancaphas autour de Philadelphie, et Manuel MaurozomĂšs dans lâEst[5].
Formation de lâempire de NicĂ©e en Asie Mineure
Ayant fui Constantinople aprĂšs la dĂ©position de son beau-pĂšre Alexis III, ThĂ©odore Laskaris (nĂ© vers 1174, empereur en 1205, mort en ) qui sâest rĂ©fugiĂ© en Asie Mineure, Ă Brousse dâabord, puis Ă NicĂ©e, avec lâappui du sultan seldjoukide dâIconium. Cette ville, situĂ©e Ă la croisĂ©e de routes importantes et Ă lâextrĂ©mitĂ© dâun grand lac, bien protĂ©gĂ©e par des dĂ©fenses naturelles, pouvant sâenorgueillir dâavoir Ă©tĂ© le siĂšge de deux conciles ĆcumĂ©niques, devient bientĂŽt le centre de ralliement des Grecs fuyant les Latins[6].
Cependant, jouissant de la lĂ©gitimitĂ© impĂ©riale, ThĂ©odore doit imposer son pouvoir Ă divers seigneurs en passe de crĂ©er des Ătats indĂ©pendants dans la rĂ©gion, comme ThĂ©odore Mangaphas Ă Philadelphie, Manuel MaurozomĂšs dans la vallĂ©e du MĂ©andre, Sabas AsidĂ©nos Ă Sampson, prĂšs de Milet. Il ne parvient cependant pas Ă reconquĂ©rir le Pont, cĆur de l'empire de TrĂ©bizonde, alors en pleine expansion : David ComnĂšne, frĂšre de l'empereur Alexis, conquiert la Paphlagonie et la cĂŽte de la Mer Noire jusquâĂ HĂ©raclĂ©e du Pont. Quelques mois aprĂšs la conquĂȘte de Constantinople, rĂ©alisant lâimportance de cette rĂ©gion dâabord dĂ©daignĂ©e par Boniface de Montferrat, les Latins sous la conduite de lâempereur Baudouin et de son frĂšre Henri de Flandres, entreprennent de conquĂ©rir le territoire. Encore mal organisĂ©, ThĂ©odore Laskaris est dĂ©fait par les forces des Latins, supĂ©rieures en nombre, Ă la bataille de PoimanĂ©non (probablement aujourdâhui Eski Manyas) dâoĂč elles poussent leur avance le long de la cĂŽte de Bithynie jusquâĂ Brousse[7] - [8].
Le nouvel empereur doit ainsi lutter pour la survie de son Ătat. ThĂ©odore bĂ©nĂ©ficie de la rĂ©bellion de lâaristocratie rurale byzantine de Thrace ; le tsar bulgare Kaloyan, appelĂ© par les rebelles, Ă©crase et fait prisonnier lâempereur Baudouin Ier Ă Andrinople, le . Le frĂšre de Baudouin se replie Ă Constantinople, et renonce Ă conquĂ©rir les terres nicĂ©ennes. Profitant du rĂ©pit qui lui est ainsi accordĂ©, ThĂ©odore reprend les villes perdues, arrĂȘte lâavance de David ComnĂšne et soumet les seigneurs rebelles dâAnatolie. Il reconstitue ainsi rapidement l'Ătat byzantin dans les territoires qu'il contrĂŽle ; une trĂȘve, signĂ©e en 1207 pour deux annĂ©es avec le nouvel empereur Henri, assure la reconnaissance de l'empire reconstituĂ©[9] - [10].
Dans le mĂȘme temps, un synode procĂšde Ă lâĂ©lection dâun nouveau patriarche ĆcumĂ©nique, Jean X Kamateros, le patriarche rĂ©fugiĂ© Ă Didymotique, ayant refusĂ© de quitter cette ville. Pour parachever la restauration byzantine qu'il mĂšne, ThĂ©odore se fait Ă©lire empereur en 1205, puis est couronnĂ©, Ă PĂąques 1208, par le nouveau patriarche Michel IV Autorianos[9] - [10].
La naissance du nouvel empire nâinquiĂšte pas seulement les Latins. Il empĂȘche Ă©galement les Seldjoukides du sultanat de Roum dâavoir accĂšs Ă la mer. Aussi, le nouveau sultan Kay Khusraw Ier (il existe plusieurs orthographes dont Gıyaseddin KeyhĂŒsrev Ier), aprĂšs avoir rĂ©ussi Ă reprendre son trĂŽne Ă Konya, conclut une alliance secrĂšte avec lâempereur latin en 1209 et accueille lâempereur dĂ©posĂ© Alexis III revenu de son exil en Italie. Sous prĂ©texte de rĂ©tablir lâempereur lĂ©gitime, Kay Khusraw veut reprendre le combat contre ThĂ©odore qui sâest entretemps alliĂ© avec le roi de la Petite ArmĂ©nie, LĂ©on II de Cilicie. En dĂ©pit de la faiblesse de ses forces, ThĂ©odore dĂ©fait et tue Kay Khusraw au cours dâun combat singulier lors de la bataille dâAntioche-sur-le MĂ©andre au printemps 1211 ; lors de ce combat, il capture lâempereur dĂ©posĂ© Alexis III, relĂ©guĂ© dans un monastĂšre[11] - [12] - [13].
Ce succĂšs et la reconstitution dâune flotte par ThĂ©odore Laskaris alarment Henri de Hainaut, successeur de Baudouin Ier, qui dĂ©cide dâenvahir lâempire de NicĂ©e pour prĂ©venir une attaque sur Constantinople. Affaiblie par les rĂ©centes batailles contre les Seldjoukides, lâarmĂ©e de ThĂ©odore ne peut rĂ©sister et est battue Ă la bataille du fleuve Rhyndakos le (aujourdâhui MustafakemalpaĆa Ăayı). Les Latins prennent ainsi le contrĂŽle de la cĂŽte nord-ouest de lâAsie Mineure depuis NicomĂ©die jusquâĂ Adramyttion, coupant ainsi les communications entre NicĂ©e et Smyrne[14] - [12].
En 1214, le successeur de Kay Khusraw, Kay KĂąwus Ier, sâallie Ă ThĂ©odore pour attaquer lâempire de TrĂ©bizonde oĂč David ComnĂšne vient de mourir. Vainqueurs, les Seldjoukides sâemparent de la partie Est de lâempire, alors que NicĂ©e rĂ©cupĂšre la partie Ouest[15].
La mĂȘme annĂ©e, ThĂ©odore conclut un traitĂ© de paix avec lâEmpire latin Ă Nymphaion, qui fixe les frontiĂšres entre les deux empires : les Latins conservent lâangle Nord-Ouest de lâAsie Mineure jusquâĂ Adramyttion au sud, alors que lâempire de NicĂ©e conserve le reste du pays jusquâĂ la frontiĂšre seldjoukide. Les deux empires reconnaissent ainsi leur droit mutuel Ă lâexistence ; en 1219, ThĂ©odore Laskaris scelle ce traitĂ© en Ă©pousant en troisiĂšmes noces Marie, fille de Yolande, une niĂšce des deux premiers empereurs latins[16].
Lâempire de NicĂ©e apparaĂźt ainsi de plus en plus comme le vĂ©ritable successeur de lâEmpire byzantin tant sur le plan politique que religieux. En 1219, ThĂ©odore conclut un accord avec Venise qui donne Ă celle-ci la mĂȘme libertĂ© de commerce et les mĂȘmes immunitĂ©s que celles dont elle a joui dans lâancien Empire byzantin. Et alors quâStefan Nemanja a reçu en 1217 sa couronne royale de Rome, câest vers lâempire de NicĂ©e que se tourne son successeur pour obtenir la consĂ©cration dâun archevĂȘque autocĂ©phale de Serbie[17].
La succession morale de lâempire de NicĂ©e est toutefois contestĂ©e par ThĂ©odore lâAnge, successeur du fondateur du despotat dâĂpire. Ă titre de fils lĂ©gitime du sĂ©baste Jean lâAnge Doukas et de petit-fils dâAlexis Ier ComnĂšne, celui-ci considĂšre ses droits Ă la succession supĂ©rieurs Ă ceux de ThĂ©odore Laskaris. AprĂšs avoir fait prisonnier lâempereur latin de Constantinople, Pierre Ier de Courtenay, Ă son retour de Rome oĂč il sâest fait couronner par le pape, ThĂ©odore lâAnge rejette la suzerainetĂ© de Venise et envahit le royaume latin de Thessalonique, si bien que le despotat couvre bientĂŽt toute la largeur de la GrĂšce du Nord, y compris la Thessalie et une bonne partie de la MacĂ©doine. Fort de ses conquĂȘtes et refusant de reconnaitre les empires de NicĂ©e et de TrĂ©bizonde ainsi que lâautoritĂ© du patriarche de NicĂ©e, le despote ThĂ©odore revendique alors la couronne impĂ©riale et se fait couronner par le mĂ©topolite dâOhrid, DĂ©mĂ©trios Chomatianos, comme basileus et autokrator des Romains[18] - [19] - [20].
Ă la fin du rĂšgne de ThĂ©odore Laskaris, la situation dans lâancien Empire byzantin est beaucoup moins confuse quâen 1204. Ă lâexception de la CrĂšte aux mains des GĂ©nois, de Rhodes indĂ©pendante et dâAntalya aux mains des Turcs, il ne reste plus que quatre puissances. Lâempire de NicĂ©e sâĂ©tend sur lâensemble de lâAnatolie occidentale sauf la partie Nord-Ouest dĂ©tenue par les Latins, lâempire de TrĂ©bizonde comprend la CrimĂ©e et la cĂŽte orientale de lâAnatolie, lâĂpire est dirigĂ©e par Michel Doukas qui nâa pas encore le titre de despote, et tout le reste de la GrĂšce et presque toute la Thrace sont sous la suzerainetĂ© de lâempereur latin de Constantinople et de ses vassaux[21].
Extension de lâempire en Europe
Jean III Doukas VatatzĂšs
La mort de ThĂ©odore Laskaris, en provoque une querelle de succession. MalgrĂ© les protestations de deux de ses quatre frĂšres, ThĂ©odore, pĂšre de seulement des filles, laisse le trĂŽne au mari de lâune dâelles, Jean III Doukas VatatzĂšs (nĂ© vers 1192, empereur , mort ). Alors ĂągĂ© de 29 ans, celui-ci, issu dâune famille noble originaire de Didymotique apparentĂ©e aux Doukas, juge NicĂ©e un peu trop rapprochĂ©e de lâempire latin de Constantinople, et prend la dĂ©cision dâĂ©tablir le siĂšge de son gouvernement Ă Nymphaion, beaucoup plus au sud[22] - [23].
Les deux frĂšres de ThĂ©odore se hĂątent de gagner Constantinople pour demander lâappui de lâempereur latin. Le jeune empereur Robert de Courtenay sâempresse de les obliger et lance une expĂ©dition, vite anĂ©antie par les forces de Jean VatatzĂšs, Ă PoimanĂ©non, lâendroit mĂȘme oĂč vingt-deux ans auparavant son beau-pĂšre avait Ă©tĂ© dĂ©fait par les Latins. Les Latins sont forcĂ©s dâĂ©vacuer tous les territoires quâils possĂ©daient encore en Anatolie, laissant lâempire de NicĂ©e seul maĂźtre des lieux jusquâaux territoires seldjoukides et Ă lâempire de TrĂ©bizonde qui ne constitue plus une menace. De plus, la flotte de NicĂ©e sâempare bientĂŽt des iles de Lesbos, Chios, Samos et Icarie et oblige Rhodes Ă reconnaitre la souverainetĂ© de lâempereur[24] - [25].
Bien Ă©tabli sur terre et sur mer, lâempire de NicĂ©e peut ainsi espĂ©rer reprendre Constantinople, sans ĂȘtre seul Ă pouvoir le faire. Le nouveau tsar de Bulgarie, Jean Asen II (1218-1241) et ThĂ©odore Doukas, despote dâĂpire qui vient de se faire couronner empereur, conçoivent le mĂȘme dessein. Jean Asen suggĂšre dâabord de prendre lâempire latin de Constantinople sous sa protection et propose un mariage entre sa fille Isabelle et le successeur de Robert de Courtenay, Baudouin II alors ĂągĂ© de onze ans : la proposition est rejetĂ©e. Peu aprĂšs, en 1230, ThĂ©odore dâĂpire dĂ©cide dâattaquer Jean Asen avec qui il a pourtant signĂ© un traitĂ© de paix deux ans auparavant. Cette erreur lui est fatale. Jean Asen sâĂ©tant portĂ© Ă sa rencontre, les deux armĂ©es sâaffrontent prĂšs du petit village de Klokotnitsa sur le fleuve Maritsa entre Andrinople et Philippopolis. LâarmĂ©e de ThĂ©odore est vaincue et lui-mĂȘme est capturĂ© et jetĂ© en prison aprĂšs avoir Ă©tĂ© aveuglĂ©. De lĂ , Jean Asen sâavance Ă travers la Thrace, la MacĂ©doine et lâAlbanie, sâappropriant tout le nord des Balkans, de lâAdriatique Ă la mer Noire. De plus, il use de son influence pour faire remplacer lâempereur serbe Ătienne Radoslav, le beau-fils de ThĂ©odore, par quelquâun qui lui est tout dĂ©vouĂ©, Ătienne Vladislav[26].
Lâempire latin de Constantinople, affaibli, survit manifestement uniquement grĂące Ă la lutte entre les puissances qui veulent la conquĂ©rir. LâĂpire Ă©tant hors de combat, ne restent plus que lâempire de NicĂ©e et lâEmpire bulgare. Cette menace pour l'empire latin de Constantinople devient dâautant plus grande que lâempire de NicĂ©e a bientĂŽt lâoccasion de reprendre pied sur le continent europĂ©en. Un appel Ă lâaide de la population dâAndrinople permet Ă Jean VatatzĂšs dâenvoyer ses troupes en Thrace oĂč elles sâemparent de plusieurs villes cĂŽtiĂšres avant de parvenir Ă Andrinople. Constantinople est ainsi prise en tenailles entre les empires bulgare et latin[25].
En 1231, la ville de Thebasion est prise Ă l'empire de NicĂ©e par ErtuÄrul, chef d'une tribu turque et pĂšre d'Osman Ier, fondateur de l'Empire ottoman qui y est nĂ© vers 1258. Elle devient la premiĂšre capitale de la dynastie ottomane sous le nom de SöÄĂŒt.
Ă peu prĂšs dâĂ©gale force, Jean VatatzĂšs et Jean Asen dĂ©cident de faire alliance. Lâoccasion est dâautant plus favorable quâen 1232 Jean Asen aprĂšs sâĂȘtre querellĂ© avec le pape dĂ©cide de quitter le giron de lâĂglise de Rome. Avec lâappui du patriarche de NicĂ©e et des patriarches orientaux, la Bulgarie revient Ă lâorthodoxie et un nouveau patriarche orthodoxe est installĂ© Ă Trnovo, lequel reconnaĂźt la suprĂ©matie du patriarche de NicĂ©e, officiellement patriarche de Constantinople. Trois ans plus tard, Jean Asen signe un traitĂ© dâalliance avec NicĂ©e scellĂ© par le mariage de sa fille, HĂ©lĂšne, et du fils de Jean VatatzĂšs, ThĂ©odore Lascaris (celui-ci ayant repris le nom de sa mĂšre). Ă lâĂ©tĂ© 1235, les forces nicĂ©ennes et bulgares se rejoignent aux portes de Constantinople assiĂ©geant la ville par terre et par mer[27] - [28].
La ville ne doit son salut quâĂ un nouveau revirement de la situation. Lorsque le siĂšge reprend aprĂšs lâhiver de 1235-1236, Jean Asen rĂ©alise quâun empire de NicĂ©e qui sâĂ©tendrait jusquâaux frontiĂšres de la Bulgarie constituerait un danger beaucoup plus sĂ©rieux que lâĂtat tampon impuissant quâest lâempire latin de Constantinople. Aussi, non seulement il abandonne le siĂšge de Constantinople, mais il envoie des ambassadeurs reprendre lâinfortunĂ©e HĂ©lĂšne et, Ă lâautomne 1237, il conduit une armĂ©e de Bulgares, Coumans et Latins contre Tzurulon, lâun des principaux bastions nicĂ©ens en Thrace. Toutefois, pendant le siĂšge, un dĂ©sastre, domestique cette fois, force Jean Asen Ă changer une nouvelle fois dâintention. La peste ayant Ă©clatĂ© Ă Trnovo, sa femme, lâun de ses fils et le patriarche meurent lâun aprĂšs lâautre. Y voyant le chĂątiment divin punissant son parjure Ă lâendroit de Jean VatatzĂšs, Jean Asen se hĂąte de faire la paix avec ce dernier avant de rentrer chez lui. Il ne va plus crĂ©er de problĂšme jusquâĂ sa mort en 1241 et la puissance bulgare va bientĂŽt sâeffacer devant lâarrivĂ©e des Mongols[27] - [29].
Lâempire de TrĂ©bizonde Ă©tant rĂ©duit au rang de vassal du sultan seldjoukide, lâempire latin de Constantinople ne consistant plus que dans la ville de Constantinople et ses environs immĂ©diats, lâĂ©phĂ©mĂšre empereur dâĂpire Ă©tant prisonnier du tsar bulgare, lâempire de NicĂ©e demeure la seule vĂ©ritable force de la rĂ©gion. Seule Thessalonique se refuse Ă reconnaitre sa lĂ©gitimitĂ© ; ThĂ©odore, sorti de prison aprĂšs ĂȘtre devenu le beau-pĂšre de Jean Asen, a chassĂ© son frĂšre Manuel et couronnĂ© son propre fils, Jean, avec le titre dâempereur. RĂ©solu Ă en finir, Jean VatatzĂšs invite ThĂ©odore Ă NicĂ©e. Celui-ci est reçu avec les plus grands honneurs, mais on lui fait comprendre quâil est dĂ©sormais prisonnier. AprĂšs avoir conclu une trĂȘve de deux ans avec lâempire latin de Constantinople et sâĂȘtre alliĂ© aux Coumans contre la promesse de terres, Jean VatatzĂšs Ă la tĂȘte dâune puissante armĂ©e raccompagne le vieillard Ă Thessalonique oĂč ce dernier doit convaincre son fils dâabandonner le titre dâempereur pour reprendre celui de despote, comme ses prĂ©dĂ©cesseurs, et de reconnaitre la suprĂ©matie de NicĂ©e[30] - [31] - [32] - [33].
Câest Ă ce moment que les hordes mongoles, poussant devant elles le peuple des Coumans, traverse la Russie et lâArmĂ©nie et vient envahir lâEurope et le Proche-Orient. Une partie de cette armĂ©e fond sur le royaume seldjoukide oĂč le sultan KaĂŻ-Khosrou II doit se reconnaitre vassal du Grand Khan en 1243. De mĂȘme, lâempereur de TrĂ©bizonde est forcĂ© de transfĂ©rer aux Mongols la vassalitĂ© qui le lie au sultan dâIconium. Curieusement, les armĂ©es mongoles qui sont maintenant aux frontiĂšres de lâempire de NicĂ©e, ne cherchent pas Ă pousser leur avantage. Non seulement lâempire de NicĂ©e demeure indemne, mais il est aussi dĂ©barrassĂ© du danger que reprĂ©sentait depuis le dĂ©but le sultanat dâIconium[34] - [35] - [36].
Cette situation laisse VatatzĂšs libre dâagir en Europe. AprĂšs avoir resserrĂ© les liens avec FrĂ©dĂ©ric II en Ă©pousant lâune de ses filles illĂ©gitimes, Constance, ĂągĂ©e de douze ans, il sâattaque Ă son but ultime, la reconquĂȘte de Constantinople. Bien quâayant passĂ© vainement des annĂ©es Ă chercher des appuis en Europe, Baudouin II ne peut compter que sur une centaine de chevaliers et la flotte vĂ©nitienne. AprĂšs la mort du tsar bulgare Coloman, VatatzĂšs sâempare des places fortes de la vallĂ©e du Strymon et de celles du haut Axius, y compris Thessalonique qui lui ouvre ses portes en dĂ©cembre 1246. Le jeune Michel de Bulgarie doit signer un traitĂ© qui livre Ă Jean VatatzĂšs la moitiĂ© de son empire. La trĂȘve avec Constantinople ayant expirĂ©, VatatzĂšs en profite pour reprendre Tzurulon. SituĂ©e dans la rĂ©gion de Thrace orientale, cette ville constitue une des clĂ©s donnant accĂšs Ă Constantinople. Le territoire de lâempire de NicĂ©e est maintenant aussi Ă©tendu en Europe quâen Asie Mineure. Lâempereur, qui aurait sans doute continuĂ© sa progression, doit en 1249 envoyer une expĂ©dition reprendre lâĂźle de Rhodes occupĂ©e par les GĂ©nois[37] - [38] - [39] - [40] - [41].
Sa derniĂšre campagne, en 1252, est Ă nouveau dirigĂ©e contre lâĂpire oĂč Michel II, poussĂ© par le vieux despote ThĂ©odore, a attaquĂ© des villes frontiĂšres de lâĂtat nicĂ©en. Ă partir de sa nouvelle base de Thessalonique, VatatzĂšs sâempare de Vodena, rĂ©sidence de ThĂ©odore, et rĂ©ussit Ă capturer Michel II qui doit lui reconnaitre la suzerainetĂ© de lâensemble des villes dont il sâest emparĂ©[42] - [43] - [44] - [45].
Au cours de ses deux derniĂšres annĂ©es, Jean VatatzĂšs, considĂ©rant sans doute ses seules forces insuffisantes pour reprendre Constantinople quâil encercle maintenant complĂštement, cherche Ă parvenir Ă ses fins par des moyens diplomatiques. Reprenant le thĂšme de lâunion des Ăglises quâil a soulevĂ© sans succĂšs une quinzaine dâannĂ©es plus tĂŽt avec GrĂ©goire IX, il entreprend des nĂ©gociations avec Innocent IV au grand dam de son gendre, FrĂ©dĂ©ric II. Câest seulement aprĂšs la mort de ce dernier en dĂ©cembre 1250 que les nĂ©gociations peuvent reprendre avec Rome. Entretemps, VatatzĂšs a rĂ©ussi Ă convaincre le patriarche dâaccepter lâautoritĂ© du pape auquel le clergĂ© prĂȘterait serment dâallĂ©geance, contre la remise de la ville impĂ©riale. Les premiĂšres rĂ©actions du pape en 1254 sont favorables. Il offre de se constituer arbitre entre VatatzĂšs et Baudouin II sur le sujet de Constantinople et dây tenir un concile pour rĂ©gler les questions religieuses. Toutefois, la mort de Jean VatatzĂšs le 3 novembre 1254 et celle du pape le 7 dĂ©cembre de la mĂȘme annĂ©e mettent fin Ă ces espoirs[46] - [47] - [48].
Jean VatatzÚs ne fut pas seulement un général habile, ce fut aussi un administrateur consciencieux qui non seulement doubla la surface de son empire, mais sut également le faire prospérer économiquement.
Soucieux de maintenir les traditions byzantines, il repeupla une bonne partie des territoires conquis en donnant des terres aux soldats en retour du service militaire. Câest ainsi que les Coumans, chassĂ©s par les Mongols, purent sâĂ©tablir en Thrace, en MacĂ©doine, en Phrygie et dans la vallĂ©e du MĂ©andre. Sans sâattaquer directement Ă Venise, il mena une politique visant Ă encourager lâagriculture et lâindustrie locales tout en promouvant les exportations vers les nouveaux territoires mongols qui achetaient fort cher les denrĂ©es de luxe et en interdisant les importations, ce qui diminuait considĂ©rablement lâemprise des Ătats italiens. Lui-mĂȘme tenait une ferme modĂšle dont la vente des Ćufs permit dâacheter une couronne pour son Ă©pouse IrĂšne Laskaris. Celle-ci participa Ă ses efforts et de concert ils crĂ©Ăšrent un nombre impressionnant dâhĂŽpitaux, dâorphelinats et d'Ćuvres charitables en plus de doter nombre dâĂ©glises et de monastĂšres. Les arts et la littĂ©rature ne furent pas oubliĂ©s et câest grĂące Ă eux que NicĂ©e peut vivre, sous le successeur de Jean VatatzĂšs, un renouveau culturel qui la fit presque Ă©galer en renommĂ©e les beaux jours de Constantinople[49] - [50].
Théodore II Laskaris
ĂgĂ© de trente-deux ans Ă son avĂšnement, ThĂ©odore II Lascaris (nĂ© 1221, empereur en 1254, dĂ©cĂ©dĂ© en 1258), qui a repris le nom de famille de sa mĂšre, est effectivement un intellectuel de haut niveau, profondĂ©ment conscient de ses devoirs et faisant preuve de courage Ă la tĂȘte de ses troupes. Mais atteint comme son pĂšre dâĂ©pilepsie, il est en proie Ă des crises violentes qui diminuent ses forces physiques et intellectuelles. Il sâaliĂšne lâaristocratie dont il se mĂ©fie en confiant les postes les plus Ă©levĂ©s Ă dâhumbles fonctionnaires au rang desquels, le protovestiaire[N 3] Georges Muzalon et Ă ses deux frĂšres, ThĂ©odore et Andronic. Dominant lâĂtat, il veut aussi dominer lâĂglise en nommant au trĂŽne patriarcal un moine, ArsĂšne, qui nâa pas encore reçu les ordres ecclĂ©siastiques[51] - [52] - [53] - [54].
Ă lâextĂ©rieur, son court rĂšgne est surtout occupĂ© Ă dĂ©fendre les nouvelles frontiĂšres de lâempire plus Ă©tendu que solide sans se rapprocher de la reconquĂȘte de Constantinople. Nâayant rien Ă craindre du cĂŽtĂ© de lâAsie Mineure, ThĂ©odore laisse NicĂ©e aux soins de Georges Muzalon pour se diriger vers lâEurope oĂč le tsar bulgare Michel tente de reprendre les villes cĂ©dĂ©es Ă NicĂ©e en 1246. ThĂ©odore fait preuve dâun remarquable esprit de commandement face Ă des troupes indisciplinĂ©es. Il est bientĂŽt Ă Bulgarophygon oĂč il met lâennemi en dĂ©route et force le tsar, aprĂšs la dĂ©faite de la Maritsa, Ă lui restituer toutes les villes prises en plus de la forteresse de Tzepaina donnant accĂšs Ă la Thrace. Les relations sâamĂ©liorent lorsque le tsar Michel II Asen est assassinĂ© en 1256 ; son successeur assĂ©nide, Konstantin Ier Tikh Asen, un boyard du nom de Constantin Tıch divorce immĂ©diatement son Ă©pouse pour prendre comme femme une fille de ThĂ©odore du nom dâIrĂšne[55] - [56].
Une autre alliance matrimoniale doit au contraire ranimer lâantagonisme entre lâempire de NicĂ©e et le despotat dâĂpire. ConformĂ©ment Ă lâaccord de 1250, ThĂ©odora, femme du despote Michel II, amĂšne son fils Ă Nymphaion pour Ă©pouser la fille de ThĂ©odore II. Avant la cĂ©rĂ©monie, on la force Ă signer un accord qui abandonne Ă lâempire de NicĂ©e Dyrrachium (aujourdâhui Durazzo) et SĂ©rvia. Furieux, Michel II rĂ©torque par une campagne contre Thessalonique Ă laquelle se joignent Serbes et Albanais. BientĂŽt toute la MacĂ©doine se soulĂšve. ThĂ©odore II envoie pour rĂ©primer la rĂ©bellion Michel PalĂ©ologue (le futur Michel VIII), mais avec des troupes trop faibles pour empĂȘcher les forces du despote dâavancer en MacĂ©doine. Michel II est Ă©galement confortĂ© par une alliance avec Manfred, maitre des Deux-Siciles et dâune partie de lâItalie. Celui-ci Ă©pouse une fille du despote qui lui apporte en dot la mĂȘme ville de Dyrrachium ainsi qu'Avlona et Belgrade, permettant ainsi le retour de la puissance sicilienne dans les Balkans, retour qui pourrait avoir des consĂ©quences importantes par la suite[55] - [57] - [58] - [59].
Usurpation de Michel Paléologue et reprise de Constantinople
Jean IV Lascaris et Michel Paléologue
Sur son lit de mort, ThĂ©odore II Lascaris nomme son favori Georges Muzalon et le patriarche ArsĂšne Autorianos comme rĂ©gents pour son fils unique Jean IV Lascaris (nĂ© le , empereur en 1258-1261, dĂ©cĂ©dĂ© vers 1305). Lâaristocratie, dĂ©sirant laver les affronts subis pendant le rĂšgne de ThĂ©odore, fait assassiner Muzalon aprĂšs seulement neuf jours de rĂ©gence.
On nomme Ă sa place Michel PalĂ©ologue (1224-1282), prĂ©cĂ©demment megas konostavlos, grand connĂ©table responsable des mercenaires latins sous Jean III et ThĂ©odore II, et fils du gĂ©nĂ©ral Andronic PalĂ©ologue. Ayant lui aussi beaucoup souffert du tempĂ©rament instable de ThĂ©odore, tout comme son pĂšre qui avait accusĂ© Michel de haute trahison et lâavait presque obligĂ© Ă subir lâĂ©preuve du fer rouge, ThĂ©odore II se mĂ©fie de Michel PalĂ©ologue, lâaccuse de haute trahison, le forçant Ă fuir en 1256 chez le sultan dâIconium oĂč il prend la direction des mercenaires en lutte contre les Mongols. Mais devant les attaques de Michel II et lâincapacitĂ© de ses gĂ©nĂ©raux indisciplinĂ©s, ThĂ©odore II est obligĂ© de le rappeler et de garantir sa sĂ©curitĂ©, sans lui donner suffisamment de troupes pour remplir sa mission. AprĂšs son Ă©chec, ThĂ©odore II le fait emprisonner. Il sort de prison seulement Ă la mort de Muzalon, meurtre dont il est probablement lâinstigateur[60] - [61].
Il reçoit immĂ©diatement le titre de megas doux[N 4], auquel est ajoutĂ©, Ă lâinsistance du clergĂ©, celui de despote. En [N 5], il est couronnĂ© co-empereur. Mais alors que Michel et ThĂ©odora sont couronnĂ©s en premier avec des diadĂšmes sertis de pierres prĂ©cieuses, le petit Jean reçoit aprĂšs eux seulement une calotte ornĂ©e de perles, symbole des jours Ă venir. Le jour de NoĂ«l suivant la prise de Constantinople, Michel VIII envisage de faire crever les yeux du jeune homme qui fĂȘte ce jour-lĂ ses onze ans et le laisser en prison[N 6] - [62] - [63] - [64] - [65].
DĂšs son arrivĂ©e au pouvoir, Michel PalĂ©ologue doit faire face Ă Manfred de Sicile qui ravive la politique anti-byzantine dâHenri VI. AprĂšs sâĂȘtre emparĂ© en 1258 de Corfou, il reprend Dyrrachium avant de sâattaquer Ă lâAlbanie et Ă Corcyre qui appartiennent alors au despote Michel II dâĂpire. Michel, qui dĂ©sire se faire un alliĂ© de Manfred dans sa lutte contre lâempire de NicĂ©e ne proteste pas, mais prĂ©fĂšre lui donner la main de sa fille, HĂ©lĂšne, considĂ©rant les villes perdues comme la dot de ce mariage. Puis, il marie sa seconde fille, Anne, au prince dâAchaĂŻe, Guillaume de Villehardouin, alors le souverain latin le plus puissant de la rĂ©gion puisquâil rĂšgne non seulement sur la MorĂ©e, mais aussi sur AthĂšnes et lâEubĂ©e. Cette alliance reçoit lâappui du roi des Serbes Ouroch Ier. Face Ă cette importante coalition dâAlbanais, Serbes, Germains et Latins, Michel PalĂ©ologue confie Ă son frĂšre, le grand domestique puis sĂ©bastocrate Jean une armĂ©e comportant dâimportants contingents de Coumans et de Seldjoukides. Jean parvient Ă dĂ©faire la coalition Ă lâautomne de 1259 dans la vallĂ©e de PĂ©lagonia, prĂšs de Kastoria. Guillaume de Villehardouin y est fait prisonnier et Jean PalĂ©ologue occupe Arta, la capitale du despote, avant dâenvahir la Thessalie et de descendre vers ThĂšbes. Peu aprĂšs toutefois, le fils du despote, NicĂ©phore, parvient Ă reprendre une partie du terrain perdu et Ă faire prisonnier Alexis StratĂ©gopoulos, qui est dĂ©livrĂ© seulement aprĂšs que Michel PalĂ©ologue a conclu un traitĂ© avec le despote dâĂpire[66] - [67] - [68] - [69] - [70].
AprĂšs avoir abandonnĂ© le sultan dâIconium (sultanat de Roum), pourtant son alliĂ©, en signant un accord avec les Mongols, Michel VIII peut se consacrer Ă son but principal, identique Ă celui de ses prĂ©dĂ©cesseurs, la reconquĂȘte de Constantinople. Il fait alliance avec lâempereur de TrĂ©bizonde, Manuel ComnĂšne, puis passe en Europe. Il sâavance jusquâĂ Selymbria (aujourdâhui Silivri), mais ne peut pousser plus loin. Avant de retourner Ă NicĂ©e, il conclut une trĂȘve avec Baudouin dont les seuls alliĂ©s demeurent le pape, qui reste sourd Ă ses appels Ă lâaide, et Venise dont une trentaine de navires dĂ©fendent lâentrĂ©e de la Corne dâOr[71] - [72].
Incapable de prendre Constantinople par terre, Michel VIII se tourne vers la mer. Pour y parvenir, il faut neutraliser Venise. Ă cette fin, il conclut en mars 1261 avec GĂȘnes le traitĂ© de Nymphaeon (actuellement KemalpaĆa (Ä°zmir)) par lequel les deux Ătats se promettent assistance mutuelle contre Venise et Baudouin II, traitĂ© en tous points similaire Ă celui signĂ© en 1082 entre Constantinople et Venise. Cependant, ce traitĂ© se contente de remplacer le monopole Ă©conomique de Venise par celui de GĂȘnes, et a des consĂ©quences aussi funestes dans les annĂ©es subsĂ©quentes puisque GĂȘnes et Venise continuent Ă sâaffronter au dĂ©triment des faibles forces de lâempire reconstituĂ©[73] - [74] - [75] - [76].
Prise de Constantinople et réunification
AprĂšs tant dâefforts sans rĂ©sultat, la capture de Constantinople relĂšve plus de la chance que de la stratĂ©gie. En juillet 1261, Michel VIII envoie en Thrace le gĂ©nĂ©ral Alexis StratĂ©gopoulos (fait cĂ©sar aprĂšs la prise dâArta), lui demandant de passer par Constantinople pour Ă©valuer les forces latines avant que la trĂȘve dâun an conclue avec les Latins en aoĂ»t 1260 nâexpire. Lorsquâil arrive, StratĂ©gopoulos apprend que la flotte vĂ©nitienne est partie avec une bonne partie de la garnison latine pour une expĂ©dition contre la petite Ăźle de Daphnousia (Ăle de Kefken) qui contrĂŽle lâentrĂ©e du Bosphore sur la mer Noire. Il apprend Ă©galement qu'une entrĂ©e est accessible dans les murs de la citĂ©. La nuit mĂȘme, un dĂ©tachement de ses meilleurs hommes pĂ©nĂštre dans la ville, met les veilleurs hors d'Ă©tat de nuire et va ouvrir les portes de la ville. Il ne reste plus Ă Alexis quâĂ y entrer avec le reste de son armĂ©e le matin du et Ă mettre le feu au quartier vĂ©nitien pour dĂ©courager le retour des dĂ©fenseurs. Lâempereur latin sâenfuit aussitĂŽt sur un bateau vĂ©nitien avec le podestat vĂ©nitien et quelques chevaliers vers lâile dâEubĂ©e. Michel VIII, le « nouveau Constantin » comme il se qualifie, peut ainsi faire son entrĂ©e triomphale dans la ville le . La population vient Ă sa rencontre avec lâimage de lâHodegetria, attribuĂ©e Ă saint Luc[N 7]. Ă pied, attribuant la conquĂȘte de la ville plus Ă la volontĂ© divine quâĂ ses prouesses militaires, il se rend dâabord au MonastĂšre du Stoudion, avant de continuer vers Sainte-Sophie rendue au culte orthodoxe. Câest lĂ que lui et sa femme, ThĂ©odora, sont couronnĂ©s par le patriarche ArsĂšne le mois suivant. En mĂȘme temps le jeune fils de lâempereur, Andronic II PalĂ©ologue, est proclamĂ© coempereur et successeur de Michel VIII[77] - [78] - [75] - [79] - [80].
Notes et références
Notes
- Le titre de despote est crĂ©Ă© par Manuel Ier ComnĂšne en 1163 pour Bella III, hĂ©ritier prĂ©somptif du trĂŽne byzantin. Sous les PalĂ©ologues, le titre est confĂ©rĂ© aux souverains dâapanages importants comme Thessalonique ou la MorĂ©e. Cfr Rosser 2006, p. 116.
- Le titre de sĂ©baste futt crĂ©Ă© par Alexis Ier ComnĂšne pour Isaac ComnĂšne, le frĂšre de lâempereur et ne devait ĂȘtre confĂ©rĂ© quâaux membres de la famille impĂ©riale ; il venait immĂ©diatement aprĂšs celui de basileus et, depuis Manuel Ier ComnĂšne, de despote. Rosser 2006, p. 354.
- Techniquement, gardien de la garde-robe impĂ©riale ; en fait, du IXe au XIe siĂšcle, celui qui commande les armĂ©es, nĂ©gocie les traitĂ©s de paix et autres fonctions publiques importantes ; Ă partir du XIIe siĂšcle le titre devient honorifique et est confĂ©rĂ© aux parents de lâempereur, Cfr Rosser 2006, p. 336
- Le titre de megas, signifiant suprĂȘme ou grand fut introduit par Alexis Ier prĂ©cisĂ©ment pour la fonction de commandant suprĂȘme de la marine ou megas doux. LâarmĂ©e de terre est sous la conduite du megas domestikos Cfr Rosser 2006, p. 265
- La date exacte du couronnement fait toujours lâobjet de discussions. Norwich opte pour novembre 1258, date probable de son Ă©lĂ©vation sur le pavois, mais Laiou tout comme BrĂ©hier mentionnent plutĂŽt , moment du couronnement officiel
- Ce dernier survit cependant Ă Michel VIII et meurt aux environs de 1305. Andronic II, successeur de Michel VIII lui rend visite en 1284 pour lui demander pardon
- LittĂ©ralement « celle qui montre la direction », en rĂ©fĂ©rence Ă la reprĂ©sentation de la mĂšre de Dieu ou Theotokos tenant lâenfant JĂ©sus sur son bras gauche, le bras droit indiquant la voie du salut. On disait que cette icĂŽne avait Ă©tĂ© peinte par saint Luc lui-mĂȘme. Cfr Rosser 2006, p. 193
Références
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- Laiou 2006, p. 313
- Kazhdan 1991, p. 1463
- Treadgold 1997, p. 673
- Treadgold 1997, p. 710
- Bréhier 1969, p. 304
- Ostrogorsky 1983, p. 448-449
- Norwich 1996, p. 188-189
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- Laiou 2006, p. 8
- Ostrogorsky 1983, p. 452
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- Kazhdan et 1991 « John III Vatatzes », p. 1047
- Norwich 1996, p. 193-194
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- Norwich 1996, p. 196
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- Norwich 1996, p. 198
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- Bréhier 1969, p. 312-313
- Treadgold 1997, p. 725
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- Ostrogorsky 1983, p. 463
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- Treadgold 1997, p. 729
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- Bréhier 1969, p. 315
- Treadgold 1997, p. 729-730
- Ostrogorsky 1983, p. 465
- Treadgold 1997, p. 203-204
- Ostrogorsky 1983, p. 466-467
- Ostrogorsky 1983, p. 469-470
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- Kazhdan et 1991 « Theodore II Laskaris », p. 2040
- Norwich 1996, p. 204-205
- Bréhier 1969, p. 316
- Ostrogorsky 1983, p. 478-480
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- Norwich 1996, p. 205-206
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- Bréhier 1969, p. 319
- Treadgold 1997, p. 731-732
- Norwich 1996, p. 208
- Laiou 2006, p. 13
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- Bréhier 1969, p. 321
- Treadgold 1997, p. 733
- Norwich 1996, p. 210
- Laiou 2006, p. 12
- Norwich 1996, p. 210-211
- Bréhier 1969, p. 320-321
- Ostrogorsky 1983, p. 471
Bibliographie
Sources primaires
LâHistoire de NicĂ©tas ChoniatĂšs dĂ©crit la pĂ©riode des derniers ComnĂšnes et des Anges. Elle sâĂ©tend jusquâĂ 1206 et fut terminĂ©e Ă NicĂ©e, aprĂšs la prise de Constantinople.
Viennent ensuite les Chroniques de Georges Acropolite. Compagnon dâĂ©tudes, puis maitre de ThĂ©odore II Laskaris, il fut Ă la fois un intellectuel et un fonctionnaire de haut rang, ayant exercĂ© la fonction de grand logothĂšte ou premier ministre. Il est l'auteur d'une Chronique (ΧÏÎżÎœÎčÎșÎź ÏÏ ÎłÎłÏαÏÎź), qui est conçue comme la continuation de l'ouvrage de NicĂ©tas ChoniatĂšs et raconte l'histoire de l'empire depuis 1203, veille de la prise de Constantinople par les Latins, jusqu'Ă la reprise de cette ville par Michel PalĂ©ologue en 1261.
Lâhistoire dâAkropolitĂšs se poursuit dans lâHistoire (ΧÏÎżÎœÎčÎșÎź ÏÏ ÎłÎłÏαÏÎź) de l'Empire byzantin en treize volumes de Georges PachymĂšre qui va de 1255 Ă 1308 et constitue un exposĂ© historique contemporain de Michel VIII PalĂ©ologue.
Un demi-siĂšcle plus tard, NicĂ©phore GrĂ©goras consacre un grand ouvrage Ă la pĂ©riode allant de 1204 Ă 1359. Il traite en particulier de la pĂ©riode de lâempire de NicĂ©e et des premiĂšres annĂ©es qui suivirent la restauration byzantine.
Outre ces quatre historiens, dont les textes peuvent diverger sur nombre de points importants, on peut Ă©galement mentionner les lettres de NicĂ©phore BlemmydĂšs, maitre de Georges AkropolitĂšs et du futur empereur ThĂ©odore II Laskaris. Si celles-ci traitent peu de lâhistoire, elles sont importantes pour leur description de la situation de la cour et de lâĂglise de lâĂ©poque.
Théodore II Laskaris a également écrit de nombreuses lettres qui nous renseignent sur son époque.
On pourra consulter Ă ce sujet :
- NicetÊ ChoniatÊ Historia, ed. J.P. Migne (Patrologia Graeca vol. 140) reproduit le texte et la traduction antérieurs de Wolf. (PDF).
- O City of Byzantium: Annals of Niketas Choniates, trans. Harry J. Magoulias, 1984 (ISBN 0-8143-1764-2).
- George Akropolites. The History, intr. and comm.. Ruth Macrides, coll. Oxford Studies on Byzantium. Oxford, Oxford University Press, 2007.
- NicĂ©phore Blemmydes. Ćuvres thĂ©ologiques, introduction, texte critique, traduction française et notes par Michel Stavrou, Sources chrĂ©tiennes no 517, 2007.
- Rodolphe Guilland. Essai sur NicĂ©phore GrĂ©goras. L'homme et l'Ćuvre, Geuthner, 1926.
- PantĂ©lis Golitsis. "Georges PachymĂšre comme didascale. Essai pour une reconstruction de sa carriĂšre et de son enseignement philosophique," Jahrbuch der Ăsterreichischen Byzantinistik, 58 (2008),
Sources secondaires
- Louis BrĂ©hier, Vie et mort de Byzance, Paris, Albin Michel, coll. « LâĂ©volution de lâhumanitĂ© », (1re Ă©d. 1946)
- Alain Ducellier, Byzance et le monde orthodoxe, Paris, Armand Colin (1re Ă©d. 1986) (ISBN 2200371055)
- (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208)
- Angeliki Laiou et CĂ©cile Morrisson, Le Monde byzantin III, LâEmpire grec et ses voisins, XIIIe-XVe siĂšcle, Paris, Presses universitaires de France, coll. « LâHistoire et ses problĂšmes » (1re Ă©d. 2006) (ISBN 9782130520085)
- (en) John Julius Norwich, Byzantium, The Decline and Fall, New York, Alfred A. Knopf, (1re Ă©d. 1995) (ISBN 0679416501)
- Georges Ostrogorsky, Histoire de lâĂtat byzantin, Paris, Payot, (1re Ă©d. 1956) (ISBN 2228070610)
- (en) John H. Rosser, The A to Z of Byzantium, Lanham, Maryland, The Scarecrow Press, coll. « The A to Z Guide Series, No.16 » (1re éd. 2006) (ISBN 9780810855915)
- (en) Warren Treadgold, A History of the Byzantine State and Society, Stanford, California, Stanford University Press (ISBN 0804726302)
Voir aussi
Articles connexes
- Nicée
- Traité de Nymphaeon (1214)
- Chute de Constantinople
- Empire byzantin (395-1204) et (1261-1453)
- Sultanat de Roum (1077-1307)
- Royaume arménien de Cilicie (1080-1375)
- Empire latin de Constantinople (1204-1261)
- Empire de Trébizonde (1204-1461)
- Lascaris, Arbre généalique de la maison impériale Lascaris (en)
- Arbre généalogique de la famille Vatatzes (en)
- Reprise de Constantinople (1261) (de)
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :