Bithynie
La Bithynie (en grec ancien : ÎÎčΞÏÎœÎčα / BithĂœnia) est une rĂ©gion historique de l'Asie mineure situĂ©e sur la cĂŽte nord, entre le dĂ©troit du Bosphore, la Propontide, le Pont-Euxin, la Paphlagonie, et bornĂ©e au sud par la Galatie et la Phrygie.
Les villes principales de Bithynie sont NicomĂ©die et NicĂ©e, qui se disputent le titre de capitale selon l'Ă©poque, ainsi qu'HĂ©raclĂ©e du Pont (actuelle Karadeniz EreÄli), Pruse (actuelle Bursa) et ChalcĂ©doine (actuelle Kadıköy).
Elle est actuellement située en Turquie.
La Bithynie entre indépendance et grands empires
Selon HĂ©rodote et XĂ©nophon dans lâAnabase[1], les Bithyniens et les Thyniens, fondateurs du pays, sont des tribus thraces. Ils forment dâabord un Ătat indĂ©pendant avant dâĂȘtre annexĂ©s par CrĂ©sus, roi de Lydie. Ils passent ensuite sous domination perse, oĂč la Bithynie est incluse dans la satrapie de Phrygie. Avant Alexandre le Grand, la Bithynie, dĂ©jĂ profondĂ©ment hellĂ©nisĂ©e, retrouve son indĂ©pendance. NicomĂšde Ier est le premier roi de cette seconde pĂ©riode dâindĂ©pendance. Durant son long rĂšgne, de 278/243 av. J.-C., le royaume connaĂźt la prospĂ©ritĂ© et jouit dâune position respectĂ©e parmi les petits royaumes dâAsie mineure. Le jeune CĂ©sar reçoit de Rome la mission de demander au roi NicomĂšde IV le renfort de sa flotte. SuĂ©tone se fait Ă ce propos lâĂ©cho dâune rumeur sur la rĂ©putation de CĂ©sar « Sa rĂ©putation, Ă l'Ă©gard des mĆurs, ne fut jamais entachĂ©e que par son intimitĂ© avec NicomĂšde, mais cela lui valut un dĂ©shonneur grave et durable, qui l'exposait aux insultes de tous. Je ne citerai pas les vers biens connus de Calvus LiciniusË Tour ce que possĂšdent la Bythynie et l'amant de CĂ©sar » [2]. Il aurait servi dâĂ©chanson Ă la cour du roi et aurait partagĂ© sa couche[3]. Cette suspicion, qui peut nâĂȘtre quâune lourde et classique plaisanterie de soldats le brocardant du surnom de « reine de Bithynie »[4], suit CĂ©sar depuis les commentaires dĂ©sobligeants de ses adversaires politiques, jusquâĂ son triomphe final. NicomĂšde IV est renversĂ© par son voisin Mithridate VI, souverain du royaume pontique. RestaurĂ© sur le trĂŽne par la RĂ©publique romaine, NicomĂšde IV lĂšgue par testament son royaume Ă Rome en 74 av. J.-C. ; la Bithynie devient alors province romaine. Bien que sise en Thrace, Byzance dĂ©pend alors, par pĂ©riodes, de la province de Bithynie, notamment durant le mandat de gouverneur de Pline le Jeune.
Liste des rois de Bithynie
- Avant Bas : Boteiras
- 322-315 av. J.-C. : Bas, dynaste ;
- 315-278 av. J.-C. : ZipoétÚs Ier, dynaste puis roi en 297 av. J.-C. ;
- 278-250/243 av. J.-C. : NicomĂšde Ier ;
- 250/243-228 av. J.-C. : ZĂ©las ;
- 228-180 av. J.-C. : Prusias Ier Cholos ;
- 180-168 av. J.-C. : Prusias II Cynegos ;
- 149-127 av. J.-C. : NicomĂšde II ĂpiphanĂšs ; NicomĂšde II est le hĂ©ros de la tragĂ©die de Corneille, NicomĂšde ;
- 127-94 av. J.-C. : NicomĂšde III ĂvergĂštĂšs ;
- 94-92 av. J.-C. : NicomĂšde IV PhilopatĂŽr ;
- 92-90 av. J.-C. : SocratĂšs Chrestos ;
- 90-88 av. J.-C. : NicomÚde IV PhilopatÎr, rétabli ;
- 88-85 av. J.-C. : annexion par Mithridate VI roi du Pont ;
- 85-74 av. J.-C. : NicomÚde IV PhilopatÎr, rétabli une seconde fois ;
- il lĂšgue par testament son royaume Ă Rome qui devient la province romaine de Bithynie.
Bithyniens célÚbres
Le plus cĂ©lĂšbre Bithynien est probablement AntinoĂŒs, lâamant de lâempereur romain Hadrien. Denys d'HĂ©raclĂ©e est Ă©galement liĂ© Ă la rĂ©gion, ainsi que lâimpĂ©ratrice Cornelia Salonina, Ă©pouse de lâempereur Gallien, qui en serait originaire. Le rhĂ©teur Dion de Pruse, connu pour ses nombreux discours, est un autre Bithynien cĂ©lĂšbre. Sainte HĂ©lĂšne, mĂšre de l'empereur romain Constantin Ier le Grand (306-337), est Ă©galement originaire de Bithynie : elle est nĂ©e Ă Drepanum vers 248-249.
La création de la province romaine
En 74 av. J.-C., le roi NicomĂšde IV de Bithynie meurt sans hĂ©ritier mĂąle lĂ©gitime ; il lĂšgue alors son royaume au SĂ©nat romain, son alliĂ© depuis les guerres mithridatiques. Le SĂ©nat accepte les legs de NicomĂšde IV et charge le gouverneur dâAsie (Iunius Iuncus) dâorganiser la nouvelle province devenue romaine. Les problĂšmes de succession en Bithynie reprĂ©sentent une opportunitĂ© pour Mithridate VI dâenvahir la nouvelle province romaine, alors que la population lâaccueille tel un libĂ©rateur au dĂ©but de lâannĂ©e 73 av. J.-C.
Une autre chronologie est proposĂ©e par lâhistorien François de CallataĂż grĂące aux arguments numismatiques : les derniĂšres Ă©missions de NicomĂšde pour 75/74 av. J.-C. et 74/73 av. J.-C. seraient posthumes. Mithridate, de son cĂŽtĂ©, frappa soudainement de nombreuses sĂ©ries dans lâhiver 76/75 av. J.-C. La mort de NicomĂšde interviendrait donc dans lâhiver 76/75. Dans cette autre chronologie, on consacre lâensemble de lâannĂ©e 75 av. J.-C. Ă Rome et Ă lâexamen du testament de NicomĂšde et des procĂ©dures de contestations organisĂ©es par Mithridate. Concernant la Bithynie, elle aurait Ă©tĂ© provincialisĂ©e dans lâhiver 75/74 av. J.-C. et confiĂ©e Ă Iuncus, qui cumulait la province dâAsie et de Bithynie avant de transmettre cette derniĂšre Ă Aurelius Cotta[5]. François de CallataĂż place le dĂ©but de la guerre contre Mithridate (menĂ©e par Lucullus) au dĂ©but de lâannĂ©e 74 av. J.-C. au lieu dâinitialement, au dĂ©but de lâannĂ©e 73.
Si on s'en tient Ă la premiĂšre chronologie, de nombreux Romains, qui n'avaient pas oubliĂ© les massacres perpĂ©trĂ©s en 88 av lors de la PremiĂšre guerre de Mithridate menĂ©e par Sylla contre Mithridate, se rĂ©fugiĂšrent dans ChalcĂ©doine (une citĂ© de Bithynie), Ă l'entrĂ©e mĂ©ridionale du Bosphore. Le proconsul Aurelius Cotta, nommĂ© en 73 av. J.-C. comme premier gouverneur de la province de Bithynie, Ă©choue Ă rĂ©sister Ă Mithridate tandis que le proconsul de Cilicie, Lucius Lucinus Lucullus (un des plus riches de Rome), pendant ce temps, avait rĂ©cupĂ©rĂ© les lĂ©gions de Servilius Isauricus en Cilicie. Lucullus rĂ©ussit Ă maĂźtriser Mithridate et le contraint Ă lever le siĂšge de Cyzique (une citĂ© de Mysie). Lucullus Ă©crase lâarmĂ©e de Mithridate et rĂ©ussit Ă rĂ©occuper la Bithynie. En 72 av. J.-C., Lucullus bat la flotte pontique grĂące Ă sa flotte improvisĂ©e et oblige Mithridate Ă regagner ses Ătats par la mer. Lucullus envahit aussitĂŽt le royaume du Pont en passant par Amisos, une citĂ© ravagĂ©e par le passage des armĂ©es. AprĂšs lâhiver 72-71 av. J.-C., Lucullus et ses troupes se font battre par la cavalerie adverse mais il se maintient dans les montagnes Ă la frontiĂšre avec la Cappadoce qui lâapprovisionne. Mithridate dĂ©cide alors de replier ses troupes et lĂšve le camp pour aller en ArmĂ©nie chez son gendre Tigrane II d'ArmĂ©nie qui nâavait jamais rĂ©pondu Ă ses appels Ă lâaide. Lucullus qui ne prĂ©fĂšre pas poursuivre Mithridate, dĂ©cide dâoccuper stratĂ©giquement les terres du Pont.
AprĂšs ĂȘtre reparti dans la province dâAsie, il met en place en place des rĂ©formes administratives qui le rendent populaire auprĂšs du peuple, des troupes militaires et des financiers romains. DĂ©but 70 av. J.-C., Lucullus se rend au Pont pour rĂ©duire les derniĂšres rĂ©sistances oĂč il prend les deux capitales Sinope et Amaseia. Ainsi, dĂšs que lâordre est rĂ©tabli, Lucullus invite le SĂ©nat Ă envoyer sa commission dâorganisation pour organiser la nouvelle province du Pont. Au terme de trois annĂ©es de guerre, Lucullus avait le contrĂŽle sur quatre provinces : lâAsie, la Bithynie, la Cilicie et le Pont. De plus, il avait renvoyĂ© Mithridate du royaume du Pont ainsi quâenvahit lâArmĂ©nie qui appartenait Ă Tigrane dĂšs 69 av. J.-C.
Pour ce qui est des dĂ©tails de la provincialisation de la Bithynie, ils sont plus ou moins inconnus. Lâorganisation a dĂ» ĂȘtre trĂšs sommaire, dans la mesure oĂč un an au maximum sâest Ă©coulĂ© entre la transformation de la rĂ©gion en province et le dĂ©but de la guerre. Il semblerait que Iuncus ait soumis Ă lâimpĂŽt provincial toutes les citĂ©s de lâancien royaume, sauf HĂ©raclĂ©e qui Ă©tait une citĂ© indĂ©pendante. On sait que la Bithynie fut rĂ©unie avec la province de lâAsie pour former un seul espace douanier.
Ă la fin de lâannĂ©e 68 av. J.-C., Lucullus est victime dâune coalition dâintĂ©rĂȘts rĂ©unissant PompĂ©e, les publicains et une partie du SĂ©nat autour de CicĂ©ron, et la consĂ©quence fut la non-prorogation de son commandement extraordinaire. Il est dĂ©mis dâabord de la province de la Cilicie puis de celle dâAsie ainsi que de ses lĂ©gions puis il abandonna ses commandements sur la Bithynie et sur le Pont (rĂ©occupĂ© par Mithridate). GrĂące Ă la Lex Gabinia de janvier 67 av. J.-C. contre la piraterie et la Lex Manilia de janvier 66 av. J.-C. sur la poursuite de la guerre contre Mithridate, PompĂ©e devient le grand commandant de lâAsie et lâOrient romain Ă la place de Lucullus. PompĂ©e en 63 av. J.-C., apprend le suicide de Mithridate pendant quâil est en Syrie.
La rĂ©organisation administrative de lâAsie est achevĂ©e par PompĂ©e entre 64 et 62 av. J.-C. PompĂ©e remania lâorganisation des trois provinces dâAsie, de Cilicie et de Bithynie. La Lex Pompeia rĂ©git la rĂ©organisation de la Bithynie en nouvelle province de Bithynie-Pont. Cette loi est perçue comme une exception dans lâhistoire de la provincialisation romaine car elle interfĂšre directement avec les institutions grecques qui rĂ©gulaient la Bithynie avant lâarrivĂ©e des Romains. Il est probable que le texte se divisait en plusieurs rubriques Ă©numĂ©rant les rĂ©formes institutionnelles locales, identifiant les diffĂ©rentes entitĂ©s administratives, fixant les limites des territoires, reconnaissant les privilĂšges de chaque communautĂ©. PompĂ©e, aprĂšs avoir ajoutĂ© la Bithynie au royaume du Pont, procĂ©da au redĂ©coupage du territoire entre les citĂ©s : onze citĂ©s pontiques viennent sâajouter aux huit citĂ©s bithyniennes. La Lex Pompeia est une des rares initiatives institutionnelles romaines dans une province. On peut la considĂ©rer comme un cas particulier car les Romains la plupart du temps nâinterviennent pas dans les institutions civiques des territoires quâils provincialisent, ainsi, la Bithynie est une exception. En gĂ©nĂ©ral, quand les Romains organisent une province, ils prennent une loi fondamentale (la lex Sempronia de Asia pour lâAsie par exemple) et dĂ©finissent les citĂ©s libres, les frontiĂšres et les taxes. La Lex Pompeia quant Ă elle, modifie les institutions de la Bithynie par le biais de rĂ©formes inspirĂ©es du modĂšle oligarchique romain : rĂ©duction de la dĂ©mocratie pour donner plus de pouvoir aux notables, crĂ©ation de censures locales, imposition dâun cens pour les candidats aux magistratures, formation de Conseils permanents et non plus tournants, imposition de rĂšgles gĂ©nĂ©rales relatives Ă la gestion des citoyennetĂ©s locales qui allaient Ă lâencontre de la tradition grecque... Tout cela dans un but favorisant lâordre et limitant la pression populaire. Mais pourquoi spĂ©cifiquement en Bithynie ? Mithridate a rĂ©ussi Ă rallier de trĂšs nombreuses rĂ©gions grecques et la Bithynie Ă©tait pro-Mithridate lors des guerres mithridatiques donc on peut voir la lex Pompeia comme une punition romaine afin de limiter les pressions dĂ©mocratiques en sâappuyant sur les notables normalement davantage conservateurs. On peut donc affirmer que le non-interventionnisme romain relĂšve dâune question de pragmatisme, les formes de domination sâadaptant au contexte local de chaque province.
Ă la fin des annĂ©es 60 av. J.-C., on compte alors trois provinces romaines en Anatolie : lâAsie, la Bithynie et Pont, la Cilicie.
La Bithynie province byzantine
Saint Abraham y fut Ă©vĂȘque de Cratea (aujourdâhui Guerede en Turquie) au Ve siĂšcle.
Pendant lâAntiquitĂ© tardive et tout le Moyen Ăge, de nombreux monastĂšres furent fondĂ©s en Bithynie et sây maintinrent. Le pays Ă©tait aussi une province maritime, avec des chantiers navals trĂšs actifs qui contribuĂšrent au dĂ©boisement de la rĂ©gion (lâart de la charpenterie de marine en bois sâest transmis jusquâĂ nos jours, par exemple Ă Chromna, aujourdâhui KurucaĆile). Il est intĂ©grĂ© aux thĂšmes byzantins des Optimates et des Bucellaires.
La Bithynie resta byzantine jusquâen 1328 lorsquâelle est conquise par les Ottomans, la population devenant ensuite petit Ă petit turque et musulmane (les derniers Grecs sont expulsĂ©s en 1923 selon les dispositions du traitĂ© de Lausanne). La Bithynie Ă©tait une province de l'Empire ottoman jusqu'Ă l'effondrement de ce dernier en 1923.
Notes et références
- Xénophon, Anabase [détail des éditions] [lire en ligne], Livre VI, ch. II.
- SuĂ©toneVie de 12 CĂ©sarsË Le Dieux Julius Livre de Poche n° 718 Paris 1973 (ISBN 225300326-3) p. 42.
- Robert Ătienne, Jules CĂ©sar, Fayard, , p. 43.
- Suétone, Vies des douze Césars - César, 2 et 49.
- Henri-Louis Fernoux 2004, p. 120-121.
Voir aussi
Bibliographie
- Henri-Louis Fernoux, Notables et élites des cités de Bithynie aux époques hellénistique et romaine (IIIe s. av.-IIIes. ap. J.-C.) : Essai d'histoire sociale, Lyon, Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, coll. « de la Maison de l'Orient méditerranéen / Série épigraphique, 31 », , 602 p. (lire en ligne)
- Henri-Louis Fernoux, Bernard Legras, Jean-Baptiste Yon, CitĂ©s et royaumes de lâOrient mĂ©diterranĂ©en. 323-55 av. J.-C., Paris, Armand Colin, 2003.
- Ădouard Will, Histoire politique du monde hellĂ©nistique 323-30 av. J.-C., nouvelle Ă©dition, Paris, Le Seuil, 2003.
- Maurice Sartre, LâAsie mineure et lâAnatolie dâAlexandre Ă DioclĂ©tien (IVe siĂšcle av. J.-C./IIIe siĂšcle), Paris, Armand Colin, 1995.