Georges BardanĂšs
Georges BardanĂšs (en grec ÎΔÏÏÎłÎčÎżÏ ÎαÏÎŽÎŹÎœÎ·Ï ; nĂ© Ă la fin du XIIe siĂšcle Ă AthĂšnes, mort vers 1240) fut un homme dâĂglise (mĂ©tropolite et thĂ©ologien) et Ă©crivain. ĂlĂšve et protĂ©gĂ© de Michel ChoniatĂšs, il devint mĂ©tropolite de Corfou. Avec Michel ChoniatĂšs et Jean Apokaukos, mĂ©tropolite de Naupacte, il appuya le despote ThĂ©odore Ier Ange Doukas ComnĂšne dans ses entreprises visant Ă affirmer lâindĂ©pendance du despotat dâĂpire, notamment au cours du schisme qui opposa lâĂglise dâĂpire et le Patriarcat ĆcumĂ©nique exilĂ© dans lâEmpire de NicĂ©e. Ses nombreuses lettres sont une source prĂ©cieuse dâinformation sur lâĂ©volution du despotat ; il est Ă©galement l'auteur de divers poĂšmes et de piĂšces polĂ©miques contre les Latins.
Sa vie
Georges BardanĂšs naquit Ă AthĂšnes vers la fin du XIIe siĂšcle. Il Ă©tait fils de lâun des suffragants de Michel ChoniatĂšs (aussi appelĂ© « Acominatus »), archevĂȘque de la ville, lequel prit le jeune homme sous sa protection et le fit entrer dans le clergĂ© local[1] - [2].
LorsquâAthĂšnes fut capturĂ©e par les croisĂ©s en 1205, BardanĂšs suivit son maitre et ami sur lâĂźle de Keos, lui servant de secrĂ©taire et de conservateur des archives (hypomnematographos et chartophylaxe)[N 1]. En 1214, ChoniatĂšs lâenvoya Ă Constantinople, capitale de lâEmpire latin, pour des discussions entre les prĂ©lats grecs orthodoxes et le reprĂ©sentant du pape, le cardinal PĂ©lage dâAlbano[3]. BardanĂšs ne rentra pas directement Ă Keos, mais se rendit Ă NicĂ©e oĂč ThĂ©odore Laskaris avait invitĂ© ChoniatĂšs Ă venir rĂ©sider. Ce dernier ne voulut pas quitter ses fidĂšles mais espĂ©rait voir BardanĂšs entrer au service du patriarche Manuel Ier. Ceci ne se produisit pas et BardanĂšs retourna Ă Keos[4].
Peu avant sa mort, ChoniatĂšs alla sâinstaller en Ăpire oĂč Jean Apokaukos Ă©tait mĂ©tropolite de Naupacte. En 1218, on retrouve BardanĂšs Ă©vĂȘque du diocĂšse de Grevena en Ăpire avant dâĂȘtre nommĂ© lâannĂ©e suivante par Apokaukos mĂ©tropolite de Corfou (Kerkyra) avec lâapprobation du despote, ThĂ©odore Ange, et de Michel ChoniatĂšs, mais sans en rĂ©fĂ©rer au patriarche Manuel Ier, ce qui fait ultĂ©rieurement planer des doutes sur la rĂ©gularitĂ© de son intronisation[5] - [6]. Ă partir de cette date, trois ecclĂ©siastiques vont appuyer jusquâen 1233 les ambitions de restauration du despote et lâindĂ©pendance de lâĂglise dâĂpire face Ă lâEmpire de NicĂ©e : Jean Apokaukos, mĂ©tropolite de Naupacte, DĂ©mĂ©trios ChomatĂšnos, archevĂȘque dâOhrid, et Georges BardanĂšs. Le couronnement du despote Ă Thessalonique en 1228 par lâarchevĂȘque dâOhrid comme « basileus » avait dĂ©jĂ provoquĂ© la colĂšre du patriarche Germain II, nommĂ© « patriarche ĆcumĂ©nique » par lâempereur Jean III VatatzĂšs Ă NicĂ©e ; il y avait ainsi deux empires et deux Ăglises briguant la succession de lâEmpire byzantin[7].
La mĂȘme annĂ©e, BardanĂšs Ă©crivit une lettre au nom du clergĂ© Ă©pirote au patriarche Germain II qui consacrait le schisme existant entre les deux Ăglises. Contrairement Ă DĂ©mĂ©trios ChomatĂšnos qui soutenait que la fin de lâEmpire de Constantinople signifiait aussi la fin du patriarcat ĆcumĂ©nique, BardanĂšs plaidait que la fin de lâunitĂ© politique ne devait pas nĂ©cessairement signifier la fin de lâunitĂ© religieuse des orthodoxes. Il suffisait pour ce faire que le patriarche de NicĂ©e continuĂąt Ă exercer une prĂ©sidence honoraire sur les autres Ă©vĂȘques orthodoxes, sans pour autant sâimmiscer dans les affaires de leurs diocĂšses respectifs :
« Que chacun de nous sâengage dans cette voie, se contentant de sa propre Sparte et se satisfaisant de son sort, sans convoiter des yeux les autres extrĂ©mitĂ©s de la terre, mais vivant avec satisfaction dans lâamour fraternel, craignant Dieu et rendant chacun hommage Ă son propre souverain[8]. »
Le schisme devait se poursuivre jusquâen 1233. ThĂ©odore Ange menaça mĂȘme, face Ă lâintransigeance de NicĂ©e, dâentreprendre des nĂ©gociations avec Rome en vue dâun Ă©ventuel retour de lâĂglise dâĂpire dans le giron romain. BardanĂšs dut Ă de nombreuses reprises aller rencontrer le despote pour quâil nâen fĂźt rien. La menace politique dâune rĂ©unification avec lâĂglise de Rome ainsi que la dĂ©faite militaire de Klokotnica en 1230, qui affaiblit considĂ©rablement le despotat au profit des Bulgares, modĂ©ra les prĂ©tentions des Ăpirotes, et les Ă©vĂȘques se ralliĂšrent progressivement au patriarche de NicĂ©e, si bien quâil Ă©chut de nouveau Ă BardanĂšs de composer en 1233 la lettre au patriarche qui mit un terme Ă ce schisme[9].
La rĂ©putation de BardanĂšs comme diplomate de talent sâĂ©tendait Ă©galement au domaine des relations internationales. En 1231 et plus tard en 1235, Il fut envoyĂ© en Italie pour conduire une ambassade auprĂšs de FrĂ©dĂ©ric II de Hohenstaufen et du pape GrĂ©goire IX. Ă son retour dâItalie, il trouva Corfou assiĂ©gĂ©e par Michel II Doukas, lequel, aprĂšs un exil Ă la mort de son pĂšre, Ă©tait revenu en Ăpire et Ă©tait en lutte avec ses frĂšres Constantin, qui avait hĂ©ritĂ© de lâAcarmanie, et Manuel, empereur de Thessalonique dont relevait thĂ©oriquement Corfou. Prenant la tĂȘte de la rĂ©sistance, BardanĂšs fit refaire les citernes de la ville et mettre les fortifications en Ă©tat. Toutefois, la ville fut cĂ©dĂ©e sans consulter les habitants. BardanĂšs Ă©crivit alors au nouveau souverain pour lâavertir que si ses agents faisaient mine dâopprimer la ville, les habitants sauraient lui rĂ©sister[10].
Son Ćuvre
LâĆuvre littĂ©raire de Georges BardanĂšs consiste principalement dans les nombreuses lettres quâil Ă©crivit aux personnalitĂ©s politiques et religieuses de son Ă©poque, sources prĂ©cieuses dâinformation sur cette pĂ©riode, lettres dont Michel ChoniatĂšs, lâancien tuteur, louait lâĂ©lĂ©gance du style et la clartĂ© dâexposition, sans sâempĂȘcher toutefois de corriger certaines fautes de style.
Parmi ces lettres, on note particuliĂšrement celles Ă©changĂ©es entre lui-mĂȘme et Jean Apokaukos, mĂ©tropolite de Naupacte, sur divers problĂšmes juridiques soulevĂ©s dans leurs archidiocĂšses respectifs. Avec la chute de Constantinople aux mains des croisĂ©s, les tribunaux ecclĂ©siastiques prirent, dans les territoires non occupĂ©s par les Latins, une importance quâils nâavaient pas auparavant en raison de lâimpossibilitĂ© dâen appeler de leur verdict Ă Constantinople[11]. Les Ă©crits des prĂ©lats dĂ©passent dĂšs lors le cadre de simples rapports administratifs sur lâĂ©tat de leurs diocĂšses[12] ; ils disent le droit, notamment dans le domaine de la famille (divorce, mariage consanguin, etc.), ou dans les litiges opposant frĂ©quemment propriĂ©tĂ©s religieuses et pouvoir civil ou entre divers membres du clergĂ© (notamment les moines) et les Ă©vĂȘques[N 2].
Outre ses lettres et de nombreux poĂšmes iambiques, Georges BardanĂšs est lâauteur de piĂšces polĂ©miques contre les Latins, notamment sur la question du « purgatoire » (1231), un concept Ă©tranger Ă lâĂglise orthodoxe avant la conquĂȘte latine et dont le nom mĂȘme nâexistait pas en grec (BardanĂšs utilise la pĂ©riphrase « lieu de purification ») ; BardanĂšs trouvait cette notion troublante, ne fĂ»t-ce que parce quâil sâagissait dâune innovation et quâil nâexistait pas de rĂ©fĂ©rence sur lesquelles se guider[1] - [13].
Notes et références
Notes
- Pour les titres et fonctions, se rĂ©fĂ©rer Ă lâarticle « Glossaire des titres et fonctions dans lâEmpire byzantin ».
- Voir la discussion Ă ce sujet dans Angold 1995, p. 234-236.
Références
- Vasiliev 1952, p. 561-562.
- Angold 1995, p. 200.
- Kazhdan 1991, « BardanÚs », p. 254-255.
- Angold 1995, p. 210 et 519.
- Patlagean 2007, p. 298.
- Angold 1995, p. 211 et 217.
- Patlagean 2007, p. 299-300.
- Loenertz, « Lettre de Georges BardanÚs », p. 116-117, citée dans Angold 1995, p. 539, notre traduction.
- Claverie 2013, p. 203.
- Angold 1995, p. 238.
- Angold 1995, p. 214-215.
- Angold 1995, p. 3-4.
- Angold 1995, p. 451-452.
Bibliographie
- (en) Michael Angold, Church and Society in Byzantium under the Comneni, 1081-1261, Cambridge, Cambridge University Press, , 604 p. (ISBN 978-0-521-26986-5, lire en ligne).
- Pierre-Vincent Claverie, Honorius III et lâOrient (1216-1217). Ătude et publication de sources inĂ©dites des Archives vaticanes, Leiden, Brill, , 502 p. (ISBN 978-90-04-24559-4).
- (en) A. D. Karpozilos, The Ecclesiastical Controversy between the Kingdom of Nicea and the Principality of Epirus (1217-1233), Thessalonique, .
- (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, t. 1, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208).
- (it) Raymond-Joseph Loenertz (o. p.), Byzantina et Franco-Graeca (articles parus de 1935 à 1966), Rome, Edizioni di storia e litteratura, coll. « Storia e letteratura » (no 118), .
- Jean-Marie Mayeur, Luce Pietri, André Vauchez et Marc Venard (dir.), Histoire du Christianisme, vol. 5 : Apogée de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), Paris, Desclée, , 973 p. (ISBN 978-2-7189-0573-0).
- Ăvelyne Patlagean, Un Moyen Ăge grec, Byzance IXeâââXVe siĂšcle, Paris, Albin Michel, , 474 p. (ISBN 978-2-226-17110-8).
- Martiniano Roncaglia, Georges BardanĂšse, mĂ©tropolite de Corfou et BarthĂ©lemy de lâOrdre franciscain (mĂ©moire de thĂšse Ă lâUniversitĂ© de Paris), Rome, Scuola Typogr. Italo-Orientale, .
- (en) A. A. Vasiliev, History of the Byzantine Empire, vol. 2, Madison, University of Wisconsin Press, , 310 p. (ISBN 0-299-11884-3).