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Coup d'État de 1930 en Argentine

Le coup d’État de 1930 en Argentine est le renversement du gouvernement lĂ©gal par l’armĂ©e argentine et la confiscation du pouvoir exĂ©cutif au profit d'une junte militaire placĂ©e sous la direction du gĂ©nĂ©ral JosĂ© FĂ©lix Uriburu. La pĂ©riode dictatoriale civico-militaire dont ce coup d’État fut le prĂ©lude, et qui sera plus tard surnommĂ©e « DĂ©cennie infĂąme », se caractĂ©risera par la pratique systĂ©matique de la fraude Ă©lectorale, appelĂ©e « fraude patriotique », par la persĂ©cution des opposants politiques (principalement des membres de l’UCR), et par de nombreux cas de corruption qui scandaliseront l’opinion publique argentine.

Coup d’État de 1930 en Argentine
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Foule en liesse sur la place du CongrĂšs Ă  Buenos Aires
aprùs le coup d’État du 6 septembre.
Date
Lieu Drapeau de l'Argentine Argentine
RĂ©sultat Renversement du gouvernement constitutionnel d’HipĂłlito Yrigoyen, instauration d’une junte militaire dirigĂ©e par Uriburu, dĂ©but de la pĂ©riode dite « DĂ©cennie infĂąme »
Chronologie
Prise de la Casa Rosada Ă  Buenos Aires par une colonne militaire
ArrĂȘt de la Cour suprĂȘme, reconnaissance du gouvernement de facto
Élections provinciales dans la province de Buenos Aires, victoire inattendue de l’UCR
Convocation d’élections gĂ©nĂ©rales ; non participation de l’UCR ; victoire de la Concordancia et du binĂŽme prĂ©sidentiel Justo-Roca

Le coup de force eut lieu dans un contexte d’impopularitĂ© croissante du prĂ©sident HipĂłlito Yrigoyen, Ă©lu Ă  l’automne , flĂ©tri autant sur sa droite par les fractions conservatrices et par l’extrĂȘme droite (et leurs organes de presse), qui le taxaient de dĂ©magogie, que sur sa gauche, en raison de grĂšves ouvriĂšres vigoureusement rĂ©primĂ©es et de multiples interventions fĂ©dĂ©rales dans les provinces (c’est-Ă -dire de leur mise sous tutelle directe par le pouvoir central). De façon gĂ©nĂ©rale, le gouvernement « yrigoyĂ©niste », incapable d’apporter une rĂ©ponse efficace Ă  la crise Ă©conomique des annĂ©es 1920 (il y avait plus de 300 mille chĂŽmeurs en Argentine), Ă©tait devenu synonyme de corruption et la population semblait avoir perdu foi dans le rĂ©gime dĂ©mocratique.

Le coup d’État, qui fut prĂ©parĂ© lors de rĂ©unions (Ă  peine clandestines) de conspirateurs militaires et civils, avait pour chefs de file les gĂ©nĂ©raux Uriburu et Justo (ce dernier anciennement membre du Parti radical). Le matin de l’évĂ©nement, Uriburu rĂ©ussit Ă  rĂ©unir une colonne peu nombreuse, composĂ©e de militaires de la garnison de Campo de Mayo et de quelques cadets du CollĂšge militaire de la nation, Ă  laquelle vinrent se joindre quelques effectifs de la base d’El palomar, laquelle colonne, conduite par Juan PerĂłn, fit mouvement vers la place de Mai et s’empara du palais du gouvernement. Yrigoyen fut contraint de dĂ©missionner et mis en dĂ©tention.

Le gouvernement militaire Ă  peine mis en place, avec Uriburu Ă  sa tĂȘte, les premiers tiraillements apparurent entre, d’une part, la tendance, incarnĂ©e par Uriburu et formulĂ©e notamment par l’écrivain Leopoldo Lugones, prĂŽnant un État corporatiste, glorifiant la « hiĂ©rarchie », rĂ©servant un rĂŽle fondamental aux forces armĂ©es et rĂȘvant d’un chef d’État militaire charismatique, et, d’autre part, un secteur estimant que « le salut de la patrie » s’obtiendrait en limitant la participation populaire dans le gouvernement et en confiant la conduite de celui-ci Ă  une Ă©lite idĂ©ologique « choisie et restreinte ». L’une comme l’autre tendance exprimait son hostilitĂ© au suffrage universel, mĂȘme si la loi SĂĄenz Peña ne fut pas remise en cause.

Uriburu, qui aspirait Ă  remplacer la Constitution et le systĂšme dĂ©mocratique par un rĂ©gime corporatiste, s’emploiera, dans les premiers mois de son gouvernement, Ă  mettre en chantier un dispositif institutionnel en ce sens, qui lui permĂźt d’instaurer un gouvernement inspirĂ© du fascisme (italien et espagnol), rĂ©gime dans lequel il voyait un exemple de paix et d’ordre. Le nouveau pouvoir adopta des mesures protectionnistes et de relance de l’industrie nationale, mais se signalera surtout par un usage systĂ©matique de la torture contre les opposants et par des mesures rĂ©pressives Ă  l’encontre des secteurs jugĂ©s les plus rĂ©calcitrants : dirigeants de la FĂ©dĂ©ration universitaire d'Argentine, radicaux « yrigoyĂ©nistes », communistes et anarchistes. Les syndicats et le Parti socialiste adoptĂšrent cependant une attitude passive, voire de complaisance, devant le coup d’État, la majoritĂ© de leurs membres ne percevant guĂšre de diffĂ©rence entre le gouvernement radical d’Yrigoyen et celui des conservateurs. NĂ©anmoins, la politique antisyndicale du nouveau gouvernement porta les syndicats, jusque-lĂ  dispersĂ©s, Ă  hĂąter leur coalition en une grande confĂ©dĂ©ration, la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du travail de la RĂ©publique argentine.

S’étant avisĂ© de ce que la plupart des forces politiques qui avaient appuyĂ© le coup d’État se rejoignaient tous, nonobstant leur hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, dans le rejet de son projet corporatiste et que, de surcroĂźt, il manquait de soutien dans une fraction majoritaire des officiers des forces armĂ©es, Uriburu songea, pour sortir de l’impasse politique, Ă  une issue Ă©lectorale et s’enhardit Ă  convoquer des Ă©lections provinciales Ă©chelonnĂ©es, dans la prĂ©supposition que les rĂ©sultats seraient favorables Ă  son groupe conservateur, et vaudraient en quelque sorte plĂ©biscite lui permettant ensuite de mettre en Ɠuvre la rĂ©forme constitutionnelle nĂ©cessaire Ă  son projet corporatiste. FrustrĂ© dans son dessein par la victoire inopinĂ©e des radicaux de l’UCR Ă  Buenos Aires en avril 1931, le gouvernement Ă©tendit le champ de la consultation Ă©lectorale en organisant des Ă©lections gĂ©nĂ©rales, y compris prĂ©sidentielles. Les radicaux, rĂ©organisĂ©s, notamment sous la direction d’Alvear revenu d’exil, furent cependant interdits de participation au scrutin sous prĂ©texte de violences et de stigmates d’« yrigoyĂ©nisme ». Justo qui, ancien membre de l’UCR, avait su prendre quelque distance d’avec le gouvernement, rassembla sur son nom les voix conservatrices et une partie des voix radicales et fut Ă©lu prĂ©sident le 8 novembre 1931 ; son parti nouvellement formĂ©, l’alliance conservatrice Concordancia, d’idĂ©ologie libĂ©rale-conservatrice, deviendra le principal parti de gouvernement pour les douze annĂ©es Ă  venir.

Antécédents

Position politique des radicaux

Jusqu’à ce que la loi SĂĄenz Peña ne fĂ»t adoptĂ©e en , l’Union civique radicale (UCR) en Ă©tait rĂ©duit Ă  recourir Ă  des actions insurrectionnelles, telles que la RĂ©volution de 1890 (dite rĂ©volution du Parc) et la RĂ©volution radicale de 1905 (es), oĂč les militants radicaux cĂŽtoyĂšrent des militaires de carriĂšre, c’est-Ă -dire de jeunes officiers ayant passĂ© par l’étape de l’école de cadets et formĂ©s dans une discipline d’obĂ©issance Ă  la prussienne. Ainsi, une partie de l’armĂ©e Ă©tait-elle impliquĂ©e aux cĂŽtĂ©s d’insurgĂ©s civils dans la rĂ©bellion qui Ă©clata le , laquelle fut marquĂ©e par la capture du vice-prĂ©sident et fut en passe de triompher. Le radical Yrigoyen, aux yeux de qui les gouvernements du « rĂ©gime » Ă©taient illĂ©gitimes, rejetait le projet du gouvernement et de l’état-major visant une stricte professionnalisation de l’institution militaire ; pour lui en effet, le militaire Ă©tait avant tout un citoyen ayant le devoir sacrĂ© d’« exercer le suprĂȘme recours de la protestation armĂ©e », ainsi que l’énonçait le manifeste du 4 fĂ©vrier. En somme, les radicaux estimaient que les militaires devaient se soumettre aux civils, mais seulement Ă  ceux qui dĂ©fendaient, dans le gouvernement ou dans l’opposition, l’idĂ©al dĂ©mocratique.

Si, par suite de l’échec du coup d’État de 1905, nombre de militaires eurent leur carriĂšre dĂ©truites, Yrigoyen continuera nĂ©anmoins de mettre sa confiance dans les forces armĂ©es, Ă  telle enseigne qu’il convint avec le gouvernement de laisser Ă  l’armĂ©e le soin d’établir les listes Ă©lectorales, et qu’il demanda mĂȘme au gouvernement que l’armĂ©e garantĂźt l’élection du gouverneur de la province de Santa Fe en .

Élection d’Yrigoyen Ă  la prĂ©sidence

Le 12 octobre 1916, Yrigoyen accĂ©da Ă  la prĂ©sidence de la Nation, mais l’opposition gouvernait 10 des 14 provinces et dĂ©tenait la majoritĂ© au SĂ©nat et Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s. Le manque d’audace et d’imagination politiques d’Yrigoyen, qualitĂ©s nĂ©cessaires dans la pĂ©riode de grande effervescence sociale qu’il lui incomba de gĂ©rer, lui valut dans les classes nanties et dans de larges fractions de l’armĂ©e une reputation de dĂ©magogue favorable aux travailleurs[1].

Contexte Ă©conomique

Depuis la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale, la position hĂ©gĂ©monique du Royaume-Uni dans l’économie mondiale Ă©tait sur le dĂ©clin, en mĂȘme temps que ce pays Ă©tait peu Ă  peu supplantĂ© par les États-Unis en tant que centre Ă©conomique et financier. Du point de vue argentin, les produits industriels amĂ©ricains Ă©taient mieux adaptĂ©s Ă  ses besoins, mais dans le mĂȘme temps les États-Unis Ă©taient un concurrent de l’Argentine pour la production agricole et tendaient en outre Ă  renforcer leur politique protectionniste ― de sorte qu’en somme le Royaume-Uni Ă©tait le principal client de l’Argentine pour ses exportations agricoles et la source des livres sterling qui, une fois converties, servaient Ă  payer les importations de produits amĂ©ricains.

Les salaires rĂ©els Ă©taient Ă  la baisse depuis ; l’armistice avait provoquĂ© sur le marchĂ© international une chute des prix des produits alimentaires que l’Argentine exportait ; le nombre et l’intensitĂ© des conflits sociaux s’accrurent au point que les nombres record de journĂ©es perdues pour cause de grĂšve dans les annĂ©es ne sera pas Ă©galĂ© dans les dĂ©cennies ultĂ©rieures. Quoiqu’Yrigoyen maintĂźnt en vigueur les lois rĂ©pressives dites de rĂ©sidence (es) et de sĂ»retĂ© sociale, voire fĂźt appel en quelques occasions aux forces de police, Ă  la marine et Ă  l’armĂ©e pour combattre les grĂšves, il s’évertua d’autre part, davantage pas ses postures que par sa politique sociale, Ă  renforcer, dans les fractions mĂ©contentes de la bourgeoisie et dans les forces armĂ©es, son image de dĂ©magogue recherchant l’appui des classes « infĂ©rieures »[2].

Entre et , l’Argentine connut une certaine embellie Ă©conomique, qui cependant commença Ă  s’inverser Ă  partir de . La diminution des exportations, la hausse des dĂ©penses de l’État, la baisse des taux d’intĂ©rĂȘt, la fuite des capitaux eurent un effet dĂ©lĂ©tĂšre sur la valeur de la monnaie nationale contraignant Yrigoyen Ă  interrompre en la convertibilitĂ© du peso argentin. Cette mesure signifiait que l’État argentin n’était plus obligĂ© d’échanger les pesos contre l’or qui lui servait de couverture. Une mission commerciale britannique, arrivĂ©e en Argentine Ă  l’invitation du gouvernement argentin, parvint avec ce dernier Ă  un accord prĂ©figurant le futur pacte Roca-Runciman de : l’Argentine s’engageait Ă  se pourvoir pendant deux ans auprĂšs du Royaume-Uni en Ă©quipements et fournitures pour les chemins de fer de l’État, en contrepartie de quoi le Royaume-Uni s’engageait Ă  poursuivre ses achats habituels de viandes argentines.

Idéologie radicale et dérive autoritaire

L’Union civique radicale professait une sorte de « religion civique » et aimait Ă  s’identifier elle-mĂȘme Ă  une « cause » providentielle et messianique, qui s’opposait Ă  l’« oligarchie » ayant gouvernĂ© jusque-lĂ . Elle s’érigea en reprĂ©sentante du « peuple » ou de la « nation », d’un ensemble de citoyens aux contours imprĂ©cis, en s’appuyant sur la foi, enracinĂ©e dans de larges secteurs de la population, en l’application ― rĂ©elle ou imaginaire ― des principes de mobilitĂ© sociale et en les possibilitĂ©s du progrĂšs individuel. Yrigoyen, qui avait su lors de la campagne Ă©lectorale de 1928 Ă©veiller de fortes attentes quant Ă  ses capacitĂ©s de rĂ©alisation, Ă©tait l’expression suprĂȘme de cette « religion civique ».

Les gouvernements radicaux d’Yrigoyen et d’Alvear furent, avec celui d’Urquiza, ceux qui, jusqu’en 1930, avaient mis en Ɠuvre le plus souvent la procĂ©dure de l’intervention fĂ©dĂ©rale (Ă  19 reprises). Toutes les provinces ― Ă  l’exception de Santa Fe ― eurent Ă  subir une telle intervention une fois au moins (quelques-unes mĂȘme jusqu’à trois fois) sous le premier gouvernement d’Yrigoyen[3], ce qui, remarque Waldo Ansaldi, « ne peut apparaĂźtre que comme un paradoxe : la principale force motrice de la dĂ©mocratisation politique fit appel Ă  une pratique institutionnelle qui, de fait, fermait la possibilitĂ© d’affirmer et d’approfondir la dĂ©mocratie
 De surcroĂźt, lorsque le radicalisme prit le contrĂŽle du Parlement, essentiellement la Chambre des dĂ©putĂ©s, il n’hĂ©sita pas Ă  appliquer la ‘tyrannie du nombre’ pour rejeter les accrĂ©ditations de lĂ©gislateurs reprĂ©sentant l’opposition et alla jusqu’à procĂ©der Ă  des excisions dans le tronc des partis, comme dans les cas des Ă©lus de Mendoza (lencinisme) et de San Juan (cantonisme)[4].

Yrigoyen lors de sa deuxiÚme accession à la présidence de la république en 1928.

Seconde prĂ©sidence d’Yrigoyen

L’UCR obtint 61,68 % des voix aux Ă©lections prĂ©sidentielles d’avril 1928. Les collĂšges Ă©lectoraux rĂ©unis dans la foulĂ©e, le 12 juin 1928, Ă©lurent HipĂłlito Yrigoyen comme prĂ©sident de la Nation et Francisco BeirĂł comme vice-prĂ©sident, mais le dĂ©cĂšs de celui-ci, survenu le 22 juillet de cette mĂȘme annĂ©e, crĂ©a une situation institutionnelle inĂ©dite, obligeant les collĂšges Ă  se rĂ©unir une nouvelle fois le 6 aoĂ»t, pour dĂ©signer Ă  la vice-prĂ©sidence Enrique MartĂ­nez (es), qui Ă©tait entrĂ© en fonction comme gouverneur de la province de CĂłrdoba le 17 mai 1928, et qui en consĂ©quence dut dĂ©missionner de ce gouvernorat. Le 12 aoĂ»t enfin, l’assemblĂ©e lĂ©gislative proclama les rĂ©sultats, qui s’établirent comme suit : 245 Ă©lecteurs pour Yrigoyen, 71 pour Melo, 3 pour Matienzo (es) et 57 votes blancs ou nuls[5].

Les premiers stades de la crise Ă©conomique qui devait dĂ©boucher sur le krach de 1929 ne laissĂšrent pas d’affecter aussi l’économie argentine, en provoquant une hausse de l’inflation, une baisse du pouvoir d’achat des salariĂ©s et une compression de la dĂ©pense publique, et bien qu’il n’y eĂ»t pas une situation de conflit social intense comme sous le premier mandat d’Yrigoyen, l’adhĂ©sion au prĂ©sident accusa une nette chute. Sur la scĂšne politique, oĂč tant le pouvoir en place que l’opposition tendaient Ă  construire des identitĂ©s totalisantes et Ă  dĂ©lĂ©gitimer l’adversaire, la crise eut pour effet d’accroĂźtre encore la tension.

Entre 1928 et 1930, le gouvernement mit tout en Ɠuvre pour obtenir davantage de places de sĂ©nateur, recourant Ă  diffĂ©rents moyens, y compris Ă  de discutables interventions fĂ©dĂ©rales dans les provinces de Corrientes, Mendoza, San Juan et Santa Fe. Un climat de violence se dĂ©veloppa dans tout le pays, commençant par des proclamations, telle celle de l’antipersonnalisme d’Entre RĂ­os, qui appelait Ă  la venue d’un nouvel Urquiza capable de renverser le tyran Rosas, et poursuivit son action par des manifestations dans les rues, voire par des actes plus graves comme l’assassinat de Carlos Washington Lencinas (es) en dĂ©cembre 1929 ― que les lencinistes imputĂšrent Ă  Yrigoyen ― ou l’attentat avortĂ© contre le prĂ©sident que, nonobstant qu’il fĂ»t exĂ©cutĂ© par un militant anarchiste solitaire, l’opposition attribuera au personnalisme. Pendant les Ă©lections lĂ©gislatives nationales de mars 1930, il y eut, aussi bien lors de la campagne Ă©lectorale que pendant le scrutin, des affrontements armĂ©s avec mort d’homme, des pressions policiĂšres et des manƓuvres frauduleuses. Dans les provinces de San Juan et de Mendoza, les interventeurs fĂ©dĂ©raux Ɠuvraient ouvertement Ă  obtenir des rĂ©sultats favorables au pouvoir en place ; dans la province de CĂłrdoba, la police mit en dĂ©tention des procureurs de l’opposition ; et enfin, la prĂ©sence d’urnes ouvertes fut dĂ©noncĂ©e. Si l’UCR dans son ensemble rĂ©alisa une assez bonne performance lors de ce scrutin, cependant le fait que dans la ville de Buenos Aires le Parti socialiste indĂ©pendant remporta la victoire, que le Parti socialiste s’empara de la deuxiĂšme place et que les radicaux ne sortirent que troisiĂšme, eut une grande rĂ©sonance.

Pendant les sĂ©ances prĂ©paratoires de la Chambre des dĂ©putĂ©s, l’UCR valida les mandats Ă©lectoraux de ceux qui avaient Ă©tĂ© Ă©lus par une minoritĂ© dans les provinces de Mendoza et de San Juan, ce qui provoqua un dĂ©bat politique que occupa la quasi-totalitĂ© de cette annĂ©e lĂ©gislative, et en raison de quoi le pouvoir exĂ©cutif ne put convoquer de sĂ©ances ordinaires qu’à partir d’aoĂ»t[6].

Au lendemain de l’élection, Yrigoyen avait des partisans Ă  la plupart des postes de gouverneur de province et une majoritĂ© Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s. Le sĂ©nat, oĂč l’opposition Ă©tait majoritaire, devint un obstacle clef aux mesures proposĂ©es par un pouvoir exĂ©cutif qui ne put ou ne sut trouver les moyens d’enrayer le dĂ©clin Ă©conomique et se borna d’en rejeter la faute sur l’opposition.

Crise intérieure

La dĂ©tĂ©rioration de la santĂ© du prĂ©sident eut l’effet d’amener au jour et d’attiser les disputes Ă  peine dissimulĂ©es entre ses collaborateurs proches, qui se battaient autour de son hĂ©ritage politique. En mĂȘme temps que venaient Ă  ĂȘtre connues du public les activitĂ©s conspiratives de civils et militaires qui sans nullement se dissimuler tenaient des rĂ©unions, p.ex. au siĂšge du journal CrĂ­tica (es) ou au domicile du gĂ©nĂ©ral JosĂ© FĂ©lix Uriburu, deux tendances se dessinaient au sein du cabinet ministĂ©riel : celle reprĂ©sentĂ©e par le ministre de la Guerre, le gĂ©nĂ©ral Luis Dellepiane, partisan d’utiliser les moyens de l’État, en ce compris la force, pour dĂ©jouer la conspiration, et l’autre tendance, incarnĂ©e notamment par le vice-prĂ©sident Enrique MartĂ­nez (es), le ministre de l’IntĂ©rieur Elpidio GonzĂĄlez (es) et le ministre des Relations extĂ©rieures Horacio Oyhanarte (es), qui accordait moins d’importance Ă  ces faits et jugeait prĂ©fĂ©rable de ne pas exaspĂ©rer les esprits. Yrigoyen, malade et reclus dans son logis, fut amenĂ© Ă  choisir cette deuxiĂšme option, et le fut rendue publique la dĂ©mission de Dellepiane, survenue aprĂšs que le ministre GonzĂĄlez eut annulĂ© l’ordre d’arrestation Ă©mis par lui Ă  l’encontre de plusieurs prĂ©sumĂ©s conspirateurs.

La conspiration

Sous la premiĂšre prĂ©sidence d’Yrigoyen, les forces politiques conservatrices n’étaient pas parvenues Ă  construire un parti apte Ă  lutter dans l’arĂšne Ă©lectorale. Alors qu’ils pensaient pouvoir, aprĂšs la prĂ©sidence de Marcelo Torcuato de Alvear, empĂȘcher le retour d’Yrigoyen en encourageant des dissidences au sein mĂȘme de l’Union civique radicale, l’élection de , remportĂ©e par Yrigoyen, les persuada de la nĂ©cessitĂ© de tenter l’accession au pouvoir par d’autres moyens. AgustĂ­n Pedro Justo, ministre de la Guerre sous Alvear, et les chefs militaires qui lui Ă©taient dĂ©vouĂ©s se mirent Ă  conspirer, en guettant la dĂ©bĂącle du gouvernement. Au milieu de 1930, Justo prit contact, par le truchement d’intermĂ©diaires, avec l’ancien dĂ©putĂ© conservateur, le gĂ©nĂ©ral JosĂ© FĂ©lix Uriburu, et avec un groupe de jeunes gens fascinĂ©s par Mussolini, qui Ă©taient Ă©galement occupĂ©s Ă  conspirer. L’objectif de ces deux mouvances Ă©tait diffĂ©rent, Justo se proposant en effet d’évincer Yrigoyen et d’arriver Ă  la prĂ©sidence avec le soutien d’un front unissant des radicaux antipersonnalistes, des conservateurs et des socialistes indĂ©pendants, tandis qu’Uriburu ambitionnait de rĂ©former la constitution pour instaurer un État corporatiste, avec suffrage qualifiĂ© et systĂšme de gouvernement hiĂ©rarchisĂ© et autoritaire ; pourtant, Justo s’accommoda de l’utopie d’Uriburu, connaissant son peu d’habiletĂ© politique, et obtint que la proclamation qui suivit le coup d’État fĂ»t amendĂ©e pour ne pas effaroucher le public par ses rĂȘves fascistes.

Fin aoĂ»t, la rĂ©volution en gestation Ă©tait ouvertement discutĂ©e. Le juriste Alfredo Colmo (es) et le politicien socialiste NicolĂĄs Repetto lancĂšrent en vain des appels au bon sens, et il ne s’en fallait que d’une Ă©tincelle pour que le stade prĂ©-rĂ©volutionnaire fĂ»t dĂ©passĂ©.

Le , par une campagne d’affiches sur les murs de Buenos Aires, la Ligue patriotique argentine exigea la dĂ©mission d’Yrigoyen. Le lendemain, d’autres affiches, portant cette fois la signature de la « Jeunesse universitaire », rĂ©clamaient des explications de la part du prĂ©sident Ă  propos de supposĂ©es « alarmantes activitĂ©s guerriĂšres ». Le , aprĂšs qu’on eut appris la dĂ©mission de Dellepiane, il y eut quelques manifestations estudiantines sans beaucoup de participants, et le journal CrĂ­tica titra sur toute la largeur de sa une : « La situation du pays est une bombe qui ne tardera pas Ă  exploser ». Le , lors d’une nouvelle vague de manifestations, il y eut devant la Casa Rosada une fusillade, oĂč un jeune laissa la vie, lequel, bien qu’il fĂ»t un employĂ© de banque radical, sera converti, dans la bouche des adversaires du gouvernement, en « l’étudiant assassinĂ© », soit en ce martyr dont ils s’autoriseront ensuite pour parler de « sang versĂ© ».

Le , Yrigoyen, atteint d’une grippe, dĂ©lĂ©gua la prĂ©sidence au vice-prĂ©sident MartĂ­nez, qui suspendit les Ă©lections dans les provinces de Mendoza et de San Juan. Le mĂȘme jour, le bras droit du gĂ©nĂ©ral Justo, le colonel BartolomĂ© Descalzo (es), se rĂ©unit avec Uriburu pour coordonner l’action des civils avec celle des militaires ; ce dernier accepta l’idĂ©e que des civils se prĂ©cipitent dans les casernes pour tenter de persuader les militaires de se rallier Ă  la rĂ©volution.

La presse hostile Ă  Yrigoyen

Le journal CrĂ­tica (es), s’il Ă©tait trĂšs critique Ă  l’égard d’Yrigoyen et appuya le coup d’État qui le renversa, commença cependant Ă  se distancer des secteurs militaires Ă  partir de 1931 et restera interdit de publication tout au long des deux annĂ©es suivantes.

La Nueva RepĂșblica, qui avait pour sous-titre Organe du nationalisme argentin, Ă©tait un pĂ©riodique de tendance nationaliste qui parut en Argentine du 1er dĂ©cembre 1927 au 5 mars 1929, et du 18 juin 1930 au 10 novembre 1931. Il avait pour modĂšle L'Action française, journal de combat Ă  caractĂšre polĂ©mique publiĂ© en France. Le directeur en Ă©tait Rodolfo Irazusta, cousin d’Uriburu. Le journal s’acharnait Ă  dĂ©noncer la profonde crise d’ordre spirituel que traverserait la sociĂ©tĂ© argentine et dont l’origine rĂ©siderait dans les idĂ©ologies surgies depuis la RĂ©volution française et diffusĂ©es dans le pays au cours des dĂ©cennies antĂ©rieures, en particulier parmi les classes dirigeantes et Ă  l’universitĂ©, entraĂźnant une mĂ©connaissance des « hiĂ©rarchies ». Le suffrage universel y Ă©tait attaquĂ©, de mĂȘme que la loi 1420 (relative Ă  l’instruction publique, votĂ©e en 1880), la RĂ©forme universitaire et les partis progressistes, et on y aspirait Ă  organiser la « contre-rĂ©volution » et Ă  restaurer « l’Ordre ». Ses modĂšles politiques de dilection Ă©taient l’Espagne du gĂ©nĂ©ral Primo de Rivera et l’Italie de Benito Mussolini[7] - [8].

Les pĂ©riodiques La Mañana (es) (-) et son continuateur La Fronda (es), tous deux fondĂ©s par Francisco Uriburu (fils), autre cousin du gĂ©nĂ©ral Uriburu, Ă©taient, Ă  partir d’une position conservatrice, de fermes dĂ©fenseurs de la loi SĂĄenz Peña. Leurs rĂ©dacteurs soulignaient la nĂ©cessitĂ© qu’existent des partis politiques stables et permanents, de portĂ©e nationale, avec des programmes reflĂ©tant leurs postulats idĂ©ologiques et prĂ©sentant des jugements concrets, c’est-Ă -dire des partis programmatiques ― connus alors sous le terme de « partis d’idĂ©es » ou de «partis organiques » ― appelĂ©s Ă  substituer Ă  la politique pratiquĂ©e par les cercles de notables et contaminĂ©e de personnalisme et de caudillisme un ensemble de mĂ©canismes internes dĂ©mocratiques de dĂ©libĂ©ration et de dĂ©cision[9] - [10] - [11].

L’yrigoyĂ©nisme Ă©tait fustigĂ© par Francisco Uriburu non seulement pour son absence de plate-forme Ă©lectorale, mais aussi pour l’exploitation qu’il ferait des pulsions Ă©motionnelles et irrationnelles des Ă©lecteurs et pour son ambition Ă  fonder une « religion civique » autour du caudillo charismatique placĂ© Ă  la tĂȘte du parti ; en rĂ©alitĂ©, cette indĂ©termination programmatique Ă©tait pour Yrigoyen l’essence mĂȘme de son mouvement, vu qu’il identifiait l’Union civique radicale avec la nation elle-mĂȘme, et qu’une plate-forme prĂ©cise eĂ»t impliquĂ© de pencher vers tel intĂ©rĂȘt particulier au dĂ©triment de l’intĂ©rĂȘt national. La victoire d’Yrigoyen en 1916 n’entama pas la foi de Francisco Uriburu en la perfectibilitĂ© du systĂšme dĂ©mocratique moyennant l’éducation politique du peuple Ă©lecteur par les soins des « partis d’idĂ©es » et la pratique continuĂ©e du suffrage[9] - [10] - [11].

Le scrutin de 1928 marqua le dĂ©but d’un profond changement dans l’orientation idĂ©ologique de La Fronda, qui se traduira dans ses colonnes Ă  partir de l’annĂ©e suivante, lorsque le journal proclamera que pour l’opposition « la voie des urnes a Ă©tĂ© fermĂ©e pour toujours ». Depuis lors, le journal cessa de prĂŽner le systĂšme dĂ©mocratique fondĂ© sur le suffrage universel, et renonça Ă  sa conviction que, au-dedans du rĂ©gime en vigueur, il y eĂ»t des mesures ― telles que la crĂ©ation d’un parti reprĂ©sentatif de la droite, ou mĂȘme la mise Ă  l’écart d’Yrigoyen de la prĂ©sidence ― propres Ă  rĂ©soudre le problĂšme politique, parce qu’il ne percevait dĂ©sormais plus dans ce rĂ©gime qu’une « machine de corruption crĂ©Ă©e par lui durant de longues annĂ©es d’action dĂ©magogique », que donc seul un changement de rĂ©gime pouvait Ă©liminer. Ce virage, par lequel le journal allait Ă©voluer de plus en plus vers des positions d’extrĂȘme droite, apparaĂźt liĂ© Ă  l’accueil fait par le journal aux idĂ©es contre-rĂ©volutionnaires et plus spĂ©cialement Ă  l’idĂ©ologie maurrassienne. Aussi apporta-t-il son plein appui au coup d’État du 6 septembre 1930, qui, emmenĂ© par le gĂ©nĂ©ral JosĂ© FĂ©lix Uriburu, renversa le gouvernement d’Yrigoyen.

La revue Criterio, publication argentine dirigĂ©e par l’avocat, homme politique et journaliste Atilio Dell'Oro Maini (es) et dont la premiĂšre livraison parut le 8 mars 1928, suivit dans ses premiĂšres annĂ©es une orientation nationaliste et catholique ainsi que d’opposition au libĂ©ralisme et au communisme. À la revue contribuaient TomĂĄs D. Casares (es), CĂ©sar Pico, Ernesto Palacio, Manuel GĂĄlvez (es), Julio Irazusta, Julio Meinvielle et J. A. Atwell de Veyga, entre autres figures du nationalisme argentin, et quoique ses pages fussent Ă©logieuses Ă  l’égard de La Nueva RepĂșblica eu Ă©gard Ă  « son nationalisme » et Ă  son apport Ă  « la transformation de l’atmosphĂšre libĂ©rale-dĂ©mocratique qui nous entoure », les commentaires politiques Ă©taient plus modĂ©rĂ©s que ceux des autres publications[12].

Les militaires conspirateurs

JosĂ© FĂ©lix Uriburu (Ă  gauche) et AgustĂ­n Pedro Justo, principaux protagonistes du coup d’État.

José Félix Uriburu

Issu d’une famille de haut rang social et Ă©conomique, JosĂ© FĂ©lix Uriburu (-) s’engagea dans la carriĂšre militaire en s’inscrivant en 1885 comme cadet au CollĂšge militaire de la nation, dans la banlieue de Buenos Aires. Porteur alors du grade de sous-lieutenant, il fut l’un des chefs de la Loge des 33 officiers qui participa Ă  l’organisation de la rĂ©volution du Parc en 1890. En 1907, il fut nommĂ© directeur de l’École supĂ©rieure de guerre, puis, Ă  l’issue d’un sĂ©jour d’études de trois annĂ©es en Allemagne, monta au grade de gĂ©nĂ©ral de division. En 1922, il sera dĂ©signĂ© inspecteur gĂ©nĂ©ral de l’armĂ©e par le prĂ©sident Marcelo T. de Alvear et Ă  partir de 1926 siĂ©gera au Conseil suprĂȘme de guerre jusqu’à ce qu’Yrigoyen le mĂźt Ă  la retraite aprĂšs atteinte de la limite d’ñge rĂ©glementaire.

AgustĂ­n Pedro Justo

AgustĂ­n Pedro Justo (1876-1943), fils d’un ancien gouverneur de la province de Corrientes, dĂ©buta son parcours de militaire Ă  l’ñge de 11 ans en entrant au CollĂšge militaire de la nation. Lors de la rĂ©volution du Parc, il rejoignit, encore cadet, la colonne des insurgĂ©s et fut arrĂȘtĂ©[13]. Une fois amnistiĂ©, il reprit le fil de sa carriĂšre tout en poursuivant parallĂšlement des Ă©tudes d’ingĂ©nieur civil Ă  l’universitĂ© de Buenos Aires. Il exerça comme professeur dans diffĂ©rents instituts militaires, et devint en 1915 pour une pĂ©riode de 7 ans directeur du CollĂšge militaire, auquel titre il Ă©largit l’enseignement dispensĂ© par cet Ă©tablissement et renforça la formation de son corps enseignant.

Penchant idĂ©ologiquement pour le radicalisme antipersonnaliste, qui s’opposait Ă  la fraction d’HipĂłlito Yrigoyen, il entretenait une bonne relation avec le prĂ©sident Alvear, et fut nommĂ© par lui en 1922, dotĂ© alors du grade de colonel, au poste de ministre de la Guerre ; en cette qualitĂ©, il travailla Ă  faire augmenter le budget de la dĂ©fense ― entre 1922 et 1927, le budget militaire fera plus que doubler[14] ―, afin d’acquĂ©rir des Ă©quipements et d’amĂ©liorer les infrastructures de l’armĂ©e, et s’attacha Ă  rĂ©organiser la structure des forces armĂ©es. Il demanda au ministre de l’IntĂ©rieur de restreindre l’envoi de militaires en cas d’intervention fĂ©dĂ©rale dans les provinces et fut Ă  l’initiative de deux dĂ©crets faisant interdiction aux militaires d’intervenir en politique. Sous son ministĂšre, le gouvernement entreprit une modernisation de l’armement et mit en place une vigoureuse politique industrialiste rĂ©pondant en particulier au souci qu’avaient les militaires de se libĂ©rer de la dĂ©pendance de l’étranger quant aux approvisionnements jugĂ©s par eux vitaux pour la dĂ©fense nationale[15]. Justo fut promu gĂ©nĂ©ral de brigade en 1923 et gĂ©nĂ©ral de division en 1927.

Opérations militaires rebelles

Militaires marchant dans les rues de Buenos Aires lors du coup d’État, le 6 septembre 1930.

Dans la matinĂ©e du 6 septembre 1930, un groupe d’une cinquantaine de civils, parmi lesquels figuraient des dĂ©putĂ©s conservateurs et des dirigeants du Parti socialiste indĂ©pendant, se rendit au camp militaire Campo de Mayo, la plus grande garnison militaire du pays, pour exhorter les militaires Ă  sortir dans la rue. Ce fut en vain cependant, car le chef de l’École d’infanterie, le colonel Álvarez, commandant du camp, se dĂ©clara lĂ©galiste[16], et seul un escadron de cavalerie quitta subrepticement le camp pour marcher sur Buenos Aires. Dans la capitale, la 1re division de l’armĂ©e de terre demeura loyale au gouvernement, de mĂȘme que la police, tandis que la marine prĂ©fĂ©ra rester dans l’expectative.

Uriburu se rendit alors au CollĂšge militaire de la nation, dont le directeur, le colonel Reynols, n’était au courant du mouvement militaire que depuis la veille, et rĂ©ussit vers le milieu de la matinĂ©e Ă  former une colonne constituĂ©e d’effectifs peu nombreux et de quelques centaines de cadets, Ă  la tĂȘte de laquelle il marcha sur Buenos Aires. Juan JosĂ© Valle et JosĂ© MarĂ­a Sosa Molina figuraient parmi les lieutenants qui avaient acceptĂ© d’enthousiasme d’apporter leur concours au coup d’État[17] ; Federico Toranzo Montero (es) Ă©tait l’un des cadets qui, Ă  l’inverse, refusĂšrent de s’y rallier. Au cours de la marche vers la capitale, vint encore se joindre Ă  ce groupe un dĂ©tachement de l’École de transmission de la base d’El Palomar, avec quelque 800 hommes de troupe et des civils armĂ©s. Les meneurs rebelles de la base aĂ©rienne d’El Palomar Ă©taient les capitaines Pedro Castex Lainfor (es) et Claudio Rosales. L’agent de liaison entre la base et le lieutenant-gĂ©nĂ©ral JosĂ© FĂ©lix Uriburu sera le premier-lieutenant Edmundo Sustaita (es)[18].

À partir de 7h.40, quelques avions basĂ©s Ă  El Palomar survolĂšrent Buenos Aires et larguĂšrent des feuilles volantes appelant Ă  l’insurrection. La colonne put traverser la ville sans rencontrer de rĂ©sistance, abstraction faite d’une fusillade prĂšs de la Plaza del Congreso, lors de laquelle pĂ©rirent deux cadets, et atteignit la Casa Rosada. Yrigoyen, toujours malade, fut transportĂ© Ă  La Plata, oĂč il signa sa dĂ©mission. Ayant brandi la menace de pilonner l’Arsenal et le dĂ©partement de Police, siĂšge de la Police fĂ©dĂ©rale (es), Uriburu obtint que le vice-prĂ©sident MartĂ­nez signĂąt Ă©galement sa dĂ©mission, aprĂšs quoi les nouveaux gouvernants s’installĂšrent Ă  la Casa Rosada.

Attitude du gouvernement légal

Le vice-prĂ©sident MartĂ­nez (es) et le ministre de l’IntĂ©rieur GonzĂĄlez ne surent, ni ne voulurent, dĂ©fendre le gouvernement, et certains dĂ©nonceront mĂȘme une attitude complice avec les putschistes. Le secrĂ©taire du Conseil de dĂ©libĂ©ration (=conseil municipal de Buenos Aires), Atilio Larco, relatera que le ministre de la Marine, le contre-amiral Zurueta, avait sollicitĂ© Yrigoyen d’affecter quelques agents d’investigation Ă  la surveillance de personnes suspectes ; le prĂ©sident accĂ©da Ă  cette demande et l’officier ordonna alors de surveiller le vice-prĂ©sident, les ministres de l’IntĂ©rieur et de la Justice, et le chef de la police.

Il est possible qu’il y eĂ»t, au sein des forces militaires loyalistes, des personnes croyant qu’il ne s’agissait que d’obtenir la dĂ©mission d’Yrigoyen ; l’attitude du vice-prĂ©sident MartĂ­nez s’accorde avec cette thĂšse, vu qu’il avait commencĂ© le 5 septembre Ă  remanier le cabinet, opĂ©ration annulĂ©e ensuite par le coup d’État. Le gĂ©nĂ©ral Severo Toranzo, inspecteur gĂ©nĂ©ral de l’armĂ©e, affirmera que lorsque la colonne avançait vers la capitale, il ne fut pas en mesure de mobiliser les troupes stationnĂ©es dans la ville parce que MartĂ­nez refusa de le nommer commandant en chef de la dĂ©fense.

Le soir du 6 septembre 1930, les gĂ©nĂ©raux loyalistes Toranzo, Enrique Mosconi, Adalid et MartĂ­nez conseillĂšrent Ă  Elpidio GonzĂĄlez d’envoyer l’un d’eux faire part au vice-prĂ©sident que les forces des casernes de Campo de Mayo, de Liniers, de l’Arsenal et de l’intĂ©rieur du pays attendaient des ordres, et lui demander si sa dĂ©mission Ă©tait authentique et spontanĂ©e ou obtenue par la force. Au gĂ©nĂ©ral Mosconi, choisi pour cette mission, le docteur MartĂ­nez rĂ©pondit que sa dĂ©mission Ă©tait spontanĂ©e et dĂ©finitive, qu’il ne voulait pas d’effusion de sang, puis le pria de rentrer Ă  son domicile.

Policiers surveillant le domicile privé du président déposé Yrigoyen, auparavant saccagé par des manifestants.

Le récit de Juan Perón

Juan PerĂłn relate en dĂ©tail sa participation au coup d’État du 6 septembre 1930 dans son livre Tres revoluciones militares[19]. Il y raconte qu’en , il fut contactĂ© par le major Ángel Solari, un « vieil et cher ami », qui lui dĂ©clara sans ambages : « Le gĂ©nĂ©ral Uriburu envisage d’organiser un mouvement armĂ© » ; il demanda ensuite Ă  PerĂłn s’il Ă©tait de connivence avec quelqu’un, et devant la nĂ©gative, lui dit : « Alors nous comptons sur toi », ce Ă  quoi PerĂłn rĂ©pliqua : « Oui, mais il est nĂ©cessaire de savoir d’abord ce qu’ils proposent » (ibid., p. 11). Ce mĂȘme soir, PerĂłn, invitĂ© par Solari, assista Ă  une rĂ©union oĂč Ă©taient prĂ©sents le gĂ©nĂ©ral Uriburu, son fils et d’autres officiers. Uriburu « parla de questions relatives Ă  un mouvement armĂ©, qui devait ĂȘtre judicieusement prĂ©parĂ© », ce Ă  quoi tous acquiescĂšrent (ibid.). L’on discuta aussi de la façon de recruter des adhĂ©rents et de les inscrire. Quand, toujours au cours de cette mĂȘme rĂ©union, PerĂłn proposa de « commencer le travail dĂ©finitif d’organisation et de prĂ©paration du mouvement », il s’entendit rĂ©pondre que cela ne pouvait pas se faire encore, attendu qu’il y avait d’autres groupes qui « s’ils penchent, comme nous, pour renverser le gouvernement, avaient d’autres idĂ©es quant aux finalitĂ©s ultĂ©rieures » (ibid., p. 14).

PerĂłn indique que « depuis ce moment, je tentai de m’ériger, au sein de ce groupement, en celui qui se chargerait de l’unir avec les autres [groupements] qui pourraient exister, et m’efforçai par tous les moyens d’éviter que, pour des intĂ©rĂȘts personnels ou pour des divergences dans le choix des moyens, la rĂ©volution ne s’écartĂąt du 'principe de la masse' si Ă©lĂ©mentairement indispensable si l’on voulait mener celle-ci Ă  bon terme » (ibid., p. 15).

Les jours suivants, PerĂłn continua d’entreprendre des dĂ©marches pour faire adhĂ©rer des officiers au projet, et le 3 juillet, le lieutenant-colonel Álvaro Alsogaray lui communiqua qu’il avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ© pour faire partie de la section « OpĂ©rations » de l’état-major rĂ©volutionnaire (EMR), dont Alsogaray Ă©tait le chef. Cependant, dans les semaines qui suivirent, selon ce qu’en Ă©crit PerĂłn, il se mit Ă  avoir de sĂ©rieux doutes sur la capacitĂ© de ceux qui dirigeaient l’EMR, et le 3 septembre, il fit part Ă  Alsogaray que pour cette raison il quittait le mouvement, tout en s’engageant Ă  collaborer avec celui-ci quand la rĂ©volution se produirait (ibid. p. 61-63).

Le lendemain, Ă  l’initiative du lieutenant-colonel BartolomĂ© Descalzo (es), les cinq officiers ― dont PerĂłn ― ayant participĂ© Ă  la conspiration, tinrent une rĂ©union et s’accordĂšrent pour estimer que « le pire qui puisse se faire serait d’introniser une dictature militaire que serait combattue absolument par la nation tout entiĂšre » (ibid., p. 65). DĂšs lors, et compte tenu qu’ils ne disposaient pas d’un appui militaire suffisant pour lancer le coup d’État, « l’unique salut Ă©tait le peuple et plus particuliĂšrement les Ă©tudiants, ainsi qu’également la LegiĂłn de Mayo », de sorte que l’on rĂ©solut de se mettre au travail sans tarder pour trouver des soutiens chez les officiers ; en outre, un programme de gouvernement, rĂ©digĂ© par le lieutenant-colonel Sarobe, fut approuvĂ©.

La veille du coup d’État, PerĂłn fut dĂ©signĂ© aide de camp du lieutenant-colonel Descalzo, et le 6 septembre, les deux hommes se rendirent Ă  l’École supĂ©rieure de guerre, oĂč ils s’assurĂšrent de son ralliement. Ensuite, ils allĂšrent, Ă  la tĂȘte d’une colonne, au rĂ©giment de grenadiers Ă  cheval General San MartĂ­n, mirent en dĂ©tention son commandant en chef, qui refusait de se rallier, et le remplacĂšrent par un autre officier. Une colonne fut alors constituĂ©e avec des troupes, au sein de laquelle PerĂłn se dĂ©plaçait dans une voiture blindĂ©e et armĂ©e de quatre mitrailleuses ; ils firent mouvement sur la Casa Rosada, la trouvant envahie de civils en train de se livrer Ă  des dĂ©pradations, et qu’ils s’employĂšrent Ă  dĂ©loger pacifiquement (ibid., p. 80). PerĂłn y restera tout au long de cette journĂ©e, assurant la sĂ©curitĂ©, jusqu’à ce les troupes restantes fussent arrivĂ©es ; durant la nuit, il patrouilla dans les rues de Buenos Aires pour prĂ©venir les dĂ©bordements.

Les proclamations initiales

Uriburu confia au poĂšte Leopoldo Lugones, dont les idĂ©es politiques avaient Ă©voluĂ© du socialisme au fascisme, le soin de rĂ©diger la proclamation rĂ©volutionnaire, mais le brouillon n’en fut pas acceptĂ© par les conspirateurs, le colonel JosĂ© MarĂ­a Sarobe et le gĂ©nĂ©ral AgustĂ­n P. Justo.

[
] Nous respecterons la libre discussion des actes du gouvernement provisoire, chaque fois que celle-ci se fera avec sĂ©rĂ©nitĂ© et hauteur et selon les normes de correction. Nous ne tolĂ©rerons pas, en consĂ©quence, ni l’insolence, ni l’instigation, ouverte ou dĂ©guisĂ©e, au moyen de la presse ou de l’action individuelle ou collective, contre l’Ɠuvre de reconstruction qu’il nous incombe d’entreprendre. Nous avons des raisons fondĂ©es pour admettre que le dĂ©sappointement de ceux qui se sont laissĂ© tenter par des promesses de gratifications personnelles (que a Ă©tĂ© la façon de corrompre les consciences pour obtenir des approbations plĂ©biscitaires) est dĂ©finitif. Le gouvernement provisoire promet en contrepartie une seule chose : aborder immĂ©diatement et en premier lieu les problĂšmes d’intĂ©rĂȘt national qui requiĂšrent une solution urgente. Le bĂ©nĂ©fice personnel pour tous les habitants du pays, et en particulier pour les classes prolĂ©tariennes, rĂ©sultera immanquablement de la prospĂ©ritĂ© qu’atteint la Nation, par l’ordre et par le travail. Cependant, l’Ɠuvre qu’aujourd’hui nous entreprenons n’aurait aucune portĂ©e, et nous ne pourrions pas invoquer l’élĂ©vation de nos desseins, si nous croyions qu’une simple substitution d’hommes suffise pour modifier substantiellement la situation Ă  laquelle nous sommes arrivĂ©s. Malheureusement, la maladie qui menace l’existence du pays possĂšde des racines plus profondes, et, loin que nous eussions bien mĂ©ritĂ© de la patrie, il pourrait nous ĂȘtre reprochĂ© de l’avoir convulsĂ©e sans objet, si nous n’évitions par tous les moyens la rĂ©pĂ©tition de circonstances analogues Ă  celles que nous venons de vivre. Cela constituera donc une prĂ©occupation fondamentale du gouvernement provisoire que d’engager les nĂ©cessaires rĂ©formes d’ordre institutionnel, qui seront soumises au pays en temps opportun, afin que, aprĂšs avoir Ă©lu ses autoritĂ©s et reprĂ©sentants lĂ©gitimes, il puisse se reposer sur la confiance en ce que son organisation politique et constitutionnelle garantira pleinement dans le futur le fonctionnement regulier desdites institutions. L’indispensable dissolution de l’actuel Parlement obĂ©it Ă  des raisons suffisamment notoires pour qu’il ne soit nĂ©cessaire de les exposer. Complice du gouvernement destituĂ©, jamais CongrĂšs n’avait donnĂ© exemple d’une soumission et d’une servilitĂ© plus grandes. Les rares voix qui se sont Ă©levĂ©es en dĂ©fense des principes d’ordre et de hauteur dans l’une ou l’autre Chambre n’ont rĂ©ussi qu’à sauver la dignitĂ© personnelle de ceux ayant dĂ©noncĂ© l’opprobre, mais en aucun cas n’ont pu restituer au Corps auquel ils appartenaient l’honorabilitĂ© et le respect, dĂ©finitivement perdus auprĂšs de l’opinion. Nous invoquons enfin, en cette heure, le nom de la patrie et la mĂ©moire des grandes figures qui insufflĂšrent aux gĂ©nĂ©rations futures le devoir sacrĂ© de l’agrandir ; et, le drapeau hissĂ© haut, nous lançons un appel Ă  tous les cƓurs argentins pour qu’ils nous aident Ă  accomplir ce mandat avec honneur.
Général José M. Sarobe, Memorias sobre la Revolución del 6 de septiembre de 1930, Buenos Aires.

Lugones dut alors la modifier, et le nouveau texte énonçait :

« [
] Le gouvernement provisoire, inspirĂ© par le bien public et dĂ©montrant les sentiments patriotiques qui l’animent, proclame son respect Ă  la Constitution et aux lois en vigueur et son dĂ©sir de revenir dĂšs que possible Ă  la normalitĂ©, en offrant Ă  l’opinion publique les garanties absolues, afin que dans les plus brefs dĂ©lais la Nation puisse, lors de scrutins libres, Ă©lire ses nouveaux reprĂ©sentants lĂ©gitimes. En outre, les membres du gouvernement provisoire prennent devant le pays l’engagement d’honneur de ne prĂ©senter ni d’accepter l’auspice de leur candidature Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique. Le gouvernement provisoire s’efforcera Ă©galement de rendre la tranquillitĂ© Ă  la sociĂ©tĂ© argentine, profondĂ©ment perturbĂ©e par la politique de haines, favoritismes et exclusions, tenacement encouragĂ©e par le rĂ©gime destituĂ©, de sorte que lors des confrontations Ă©lectorales prochaines puisse prĂ©dominer l’esprit Ă©levĂ© de concorde et de respect pour les idĂ©es de l’adversaire, lesquels appartiennent Ă  la tradition de la culture et de la gentilhommerie argentines. Le gouvernement provisoire interprĂšte le sentiment unanime de la masse d’opinion qui l’accompagne quand, dans le contexte actuel, il rend grĂące Ă  la presse sĂ©rieuse du pays pour le service que celle-ci a rendu Ă  la cause de la RĂ©publique en maintenant latent, par une propagande patriotique et bien inspirĂ©e, l’esprit civique de la Nation et en provoquant la rĂ©action populaire contre les abus de ses gouvernants. Il est confiant en ce qu’elle saura jouer Ă  l’avenir avec la mĂȘme sagacitĂ© le rĂŽle essentiel que les Ă©vĂ©nements lui rĂ©serveront, de sorte Ă  guider vers les mĂȘmes buts Ă©levĂ©s les efforts civiques de l’opinion nationale.

L’armĂ©e et la marine de la Patrie, rĂ©pondant Ă  la chaleur unanime du peuple de la Nation et aux impĂ©ratifs pĂ©remptoires que nous impose, en cette heure solennelle pour le destin du pays, le devoir d’Argentins, ont rĂ©solu de lever le drapeau pour intimer aux hommes qui ont, au gouvernement, trahi la confiance du peuple et de la RĂ©publique, l’ordre de quitter immĂ©diatement leurs fonctions, qu’ils n’exercent plus pour le bien commun, mais pour l’assouvissement de leurs appĂ©tits personnels. Nous leur notifions catĂ©goriquement qu’ils ne disposent plus de l’appui des forces armĂ©es, dont l’objectif primordial est de dĂ©fendre l’honneur personnel, compromis par eux, et qu’il n’y aura pas dans nos rangs un seul homme qui se lĂšvera par devant ses camarades pour dĂ©fendre une cause qui s’est transformĂ©e en honte de la Nation. Nous leur notifions encore que nous ne tolĂ©rerons pas que par des manƓuvres et des communications de derniĂšre heure ils tentent de sauver un gouvernement rĂ©pudiĂ© par l’opinion publique, ou de maintenir au pouvoir les rĂ©sidus du conglomĂ©rat politique occupĂ© Ă  Ă©trangler la RĂ©publique. »

ArrĂȘt de la Cour suprĂȘme de justice

Sans tarder, sitĂŽt le gouvernement investi, le gĂ©nĂ©ral Uriburu envoya un avis Ă  la Cour suprĂȘme de justice de la Nation, lui faisant part de la mise en place d’un gouvernement provisoire. Le tribunal suprĂȘme accusa rĂ©ception de la note et, le 10 septembre 1930, rendit un arrĂȘt, adoptĂ© Ă  l’unanimitĂ©, qui sera Ă  l’origine de la Doctrine des gouvernements de facto en Argentine (es), et dans lequel les juges Ă©nonçaient :

« 
que ce gouvernement se trouve en possession des forces militaires et policiĂšres nĂ©cessaires Ă  assurer la paix et l’ordre de la Nation, et, par consĂ©quent, Ă  protĂ©ger la libertĂ©, la vie et la propriĂ©tĂ© des personnes, et qu’il a dĂ©clarĂ© en outre, lors de sĂ©ances publiques, qu’il maintiendra la suprĂ©matie de la Constitution et des lois fondamentales du pays dans l’exercice du pouvoir [...]. Que la prĂ©sente Cour a dĂ©clarĂ©, relativement aux fonctionnaires de facto, « que les doctrines constitutionnelle et internationale s’accordent Ă  prĂȘter validitĂ© Ă  leurs actes, quels que puissent ĂȘtre le vice ou la dĂ©ficience de leurs nominations ou de leur Ă©lection, dĂšs lors que [ces actes] se fondent sur des raisons de police et de nĂ©cessitĂ© et qu’ils soient accomplis Ă  l’effet de protĂ©ger le public et les individus dont les intĂ©rĂȘts pourraient ĂȘtre affectĂ©s, attendu qu’il ne serait pas possible Ă  ces derniers d’entreprendre des enquĂȘtes ni de discuter de la lĂ©galitĂ© des dĂ©signations de fonctionnaires se trouvant dans l’apparente possession de leurs pouvoirs et fonctions [...]. Que le gouvernement provisoire qui vient de se constituer dans le pays est, par lĂ , un gouvernement de facto dont le titre ne peut pas ĂȘtre judiciairement contestĂ© avec quelque chance de succĂšs par les personnes, dĂšs lors qu’il exerce la fonction administrative et policiĂšre dĂ©rivĂ©e de ce qu’il est dĂ©tenteur de la force [...]. Que ce nonobstant, s’il advenait que, une fois normalisĂ©e la situation, les fonctionnaires qui en font partie mĂ©connaĂźtraient, dans le dĂ©ploiement de l’action du gouvernement de facto, les garanties individuelles ou celles de la propriĂ©tĂ©, ou d’autres parmi celles garanties par la Constitution, l’administration judiciaire chargĂ©e de l’application de celles-ci serait amenĂ©e Ă  les rĂ©tablir dans les mĂȘmes conditions et avec la mĂȘme portĂ©e qu’elle le ferait dans le cas d’un pouvoir exĂ©cutif de jure. »

Uriburu dĂ©cida la dissolution du CongrĂšs, proclama l’état de siĂšge, dĂ©crĂ©ta une intervention dans toutes les provinces gouvernĂ©es par le radicalisme et, dans les grandes lignes, se proposait d’instaurer un gouvernement inspirĂ© du fascisme, rĂ©gime dans lequel il voyait un exemple de paix et d’ordre et dont d’utiles leçons pouvaient ĂȘtre apprises.

Le 18 septembre 1930, les ambassadeurs des États-Unis et du Royaume-Uni, pays oĂč il avait exercĂ© comme attachĂ© militaire, firent savoir Ă  Uriburu que les puissances par eux reprĂ©sentĂ©es reconnaissaient le gouvernement provisoire.

Quoiqu’Uriburu dĂ©clarĂąt publiquement vouloir respecter la constitution, il estimait personnellement que le pays avait besoin d’en revenir Ă  un rĂ©gime politique conservateur, prĂ©alablement Ă  la ratification de la loi SĂĄenz Peña, laquelle instituait le suffrage secret pour les citoyens de sexe masculin (les femmes ne pourront voter pour la premiĂšre fois qu’en 1951, Ă  la faveur d’un amendement de la loi Ă©lectorale). Dans un discours prononcĂ© Ă  l’École supĂ©rieure de guerre, Uriburu exprima son opposition au suffrage universel dans les termes suivants :

« Nous devons essayer de mettre en place une autoritĂ© politique qui soit une rĂ©alitĂ©, pour ne pas vivre purement de thĂ©ories [...]. La dĂ©mocratie fut dĂ©finie par Aristote, qui dit que c’était le gouvernement par les meilleurs pour les plus Ă©clairĂ©s. La difficultĂ© est justement de faire en sorte que les meilleurs l’exercent. Il est difficile que cela se produise dans un pays oĂč, comme dans le nĂŽtre, il y a soixante pour cent d’analphabĂštes, car il ressort de cela, avec clartĂ© et Ă©vidence, sans discussion possible, que ces soixante pour cent d’analphabĂštes sont ceux qui gouvernent le pays, attendu que dans des Ă©lections lĂ©gales, ce sont eux qui forment une majoritĂ©[20]. »

Installation du nouveau gouvernement

Le gĂ©nĂ©ral Justo ne voulut accepter aucune fonction dans le nouveau gouvernement, oĂč il lui Ă©tait offert d’assumer la vice-prĂ©sidence. À ce poste sera nommĂ© Enrique Santamarina (es), dirigeant du Parti conservateur, qui prĂȘta serment aux cĂŽtĂ©s d’Uriburu le [21]. Le nouveau cabinet ministĂ©riel se composait de : l’avocat MatĂ­as SĂĄnchez Sorondo (es) (-), au poste de ministre de l’IntĂ©rieur ; Ernesto Mauricio Bosch (es) (-), diplomate, qui avait rempli la mĂȘme fonction sous la prĂ©sidence de Roque SĂĄenz Peña entre 1910 et 1914, aux Affaires Ă©trangĂšres ; Enrique SimĂłn PĂ©rez (es) ( - )[22], avocat, qui fut ministre des Finances de Roque SĂĄenz Peña, dĂ©signĂ© au mĂȘme poste ; Ernesto Padilla (es) (-), avocat appartenant Ă  la dĂ©nommĂ©e gĂ©nĂ©ration du Centenario (es), qui fut lĂ©gislateur provincial (dans son TucumĂĄn d’origine) puis national, et gouverneur de TucumĂĄn, nommĂ© Ă  la Justice ; le gĂ©nĂ©ral Francisco Medina, au ministĂšre de la Guerre ; l’amiral Abel Renard (es), au ministĂšre de la Marine ; Horacio Beccar Varela (es), qui entre autres fonctions avait Ă©tĂ© inspecteur gĂ©nĂ©ral des sociĂ©tĂ©s anonymes, ministre de la Justice et directeur de la Caisse nationale de conversion (Caja Nacional de ConversiĂłn)[23], Ă  l’Agriculture ; enfin, l’ingĂ©nieur Octavio Sergio Pico (es), aux Travaux publics[24] - [25] - [26] - [22] - [27].

La fraction nationaliste était représentée dans le nouveau gouvernement par Carlos Ibarguren, interventeur dans la province de Córdoba, et par Roberto Laferrere, Arturo Mignaquy, Eduardo Muñiz et Enrique Torino.

Répercussions dans la société argentine

Dans le milieu universitaire

Le 7 septembre 1930, Alfredo Palacios dĂ©missionna de sa charge de doyen de la facultĂ© de droit de l’universitĂ© de Buenos Aires, charge qu’il exerçait depuis juillet de cette annĂ©e, au motif qu’il Ă©tait « contraire Ă  la Constitution et Ă  l’esprit dĂ©mocratique qui l’inspire, de reconnaĂźtre une junte imposĂ©e par l’armĂ©e »[28]. Dans la foulĂ©e remirent aussi leur dĂ©mission les professeurs Antonio Cammarota, Jorge de la Torre, Eusebio GĂłmez et JosĂ© Peco, ainsi que le conseiller pour les Ă©tudiants au Conseil directeur, Mariano Calvento ; en revanche, le Centre des Ă©tudiants en droit dĂ©clara ne pas se solidariser avec cette dĂ©cision. Quelques professeurs d’universitĂ© au contraire devaient occuper des postes dans le gouvernement militaire, notamment Atilio Dell'Oro Maini, en tant qu’interventeur dans la province de Corrientes, Pablo Calatayud, dans celle de Catamarca, RamĂłn Castillo dans celle de TucumĂĄn, Dimas GonzĂĄlez Gowland dans celle de Santiago del Estero, Enrique P. Torino dans celle de CĂłrdoba, et Clodomiro ZavalĂ­a dans celle de Buenos Aires, et enfin le ministre de l’IntĂ©rieur, SĂĄnchez Sorondo[29].

Dans le milieu syndical

Avant le 6 septembre, le dirigeant anarchiste Diego Abad de SantillĂĄn dĂ©clara dans les colonnes de La Protesta (es) qu’il s’érigerait en dĂ©fenseur non de tel ou tel gouvernement, mais des libertĂ©s et conquĂȘtes du peuple argentin et des travailleurs, dĂ©nonça par voie de presse la conspiration militaire, et alerta sur les risques qu’un coup d’État entraĂźnerait pour les travailleurs[30].

Le 7 septembre, il fit la déclaration suivante :

« Nous sommes, donc, sous la dictature militaire [
]. La dictature est le pire ennemi des peuples, de la pensĂ©e humaine, et, plus particuliĂšrement, du prolĂ©tariat [
]. PrĂ©coniser le dĂ©sarmement des travailleurs par la passivitĂ©, c’est s’incliner devant les bottes militaires [
]. Contre la dictature, il n’y a plus aujourd’hui dans le pays qu’une seule force : le prolĂ©tariat. »

— Abad de Santillana[31]

AprĂšs que le coup d’État du 6 septembre 1930 se fut produit, « les organisations ouvriĂšres n’étaient en gĂ©nĂ©ral ni pour ni contre celui-ci [
] ; en effet, s’il est certain que quelques syndicalistes l’appuyaient [le gouvernement d’Yrigoyen], la majoritĂ© des membres de ce mouvement et les socialistes ne voyaient aucune diffĂ©rence notable entre le gouvernement radical yrigoyĂ©niste et celui des conservateurs »[32]. La plupart des travailleurs n’avaient pas Ă©tĂ© d’accord avec la politique d’Yrigoyen, mais ne souhaitaient pas pour autant se rallier au gouvernement militaire, et les syndicats tentĂšrent de prĂ©munir leurs organisations contre une possible rĂ©pression en affirmant leur caractĂšre apolitique[33]. L’historien Julio Godio, s’interrogeant comment il Ă©tait possible que le mouvement ouvrier ait pu ne pas s’aviser de la diffĂ©rence substantielle qu’il y avait entre le radicalisme yrigoyĂ©niste et le bloc de droite civico-militaire, et par lĂ  tomber dans une attitude passive devant le coup d’État, imputera cela Ă  la position simpliste consistant Ă  qualifier l’yrigoyĂ©nisme de « dĂ©magogique », de « capitaliste », de « national-fasciste », etc[34].

Le coup d’État, la subsĂ©quente et immĂ©diate mise hors la loi de la FĂ©dĂ©ration ouvriĂšre rĂ©gionale argentine (FORA) et d’autres mesures rĂ©pressives eurent pour effet d’accĂ©lĂ©rer la fusion des centrales syndicales ConfĂ©dĂ©ration ouvriĂšre argentine (COA) et Union syndicale argentine (USA) ― fusion en gestation depuis fort longtemps ―, pour constituer en septembre 1930 la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du travail (CGT).

Le projet corporatiste

Uriburu entreprit de modifier la Constitution de 1853, par les procĂ©dures prĂ©vues par celle-ci, afin que « les reprĂ©sentants du peuple cessent d’ĂȘtre rien de plus que des reprĂ©sentants de comitĂ©s politiques, et que des ouvriers, des Ă©leveurs, des agriculteurs, des professionnels, des industriels, etc. occupent les bancs du CongrĂšs. »[35]

Lugones proposa un pouvoir lĂ©gislatif composĂ© exclusivement de corporations, avec 35 commissions de producteurs, une pour chaque branche, chargĂ©es de prĂ©parer les projets de loi. Le contribuable, c’est-Ă -dire quiconque paye des impĂŽts, ne voterait que dans le cadre de sa corporation. Lugones proposait d’ajouter deux nouveaux pouvoirs aux trois existants, l’« universitaire » et le « militaire »[36].

DĂšs 1928, Rodolfo Irazusta avait Ă©crit dans la revue La Nueva RepĂșblica qu’une « reprĂ©sentation fidĂšle » n’était concevable que s’il s’agissait d’hommes « d’une mĂȘme condition sociale ou professionnelle » et Ă©labora en mars 1931 un programme dĂ©taillĂ© basĂ© notamment sur le suffrage censitaire au niveau municipal, les gouverneurs de province Ă©tant en effet nommĂ©s, dans ce systĂšme, par le gouvernement central. Le pouvoir fondamental rĂ©siderait dans un sĂ©nat-corps qui nommerait le prĂ©sident de la Nation, et qui, outre les personnalitĂ©s dĂ©signĂ©es par les provinces, comprendrait 5 gĂ©nĂ©raux, 2 amiraux, un sĂ©nateur pour chaque universitĂ©, tous les archevĂȘques, le prĂ©sident de la Cour suprĂȘme de justice et d’autres fonctionnaires[36].

Les autres auteurs qui rĂ©flĂ©chissaient sur ces projets de rĂ©gime politique Ă©taient Francisco Bedoya, Julio Meinvielle et Ernesto Palacio. Quoique les lugonistes autant que les nĂ©o-rĂ©publicains justifiaient la dictature d’Uriburu comme Ă©tape prĂ©alable provisoire dans la voie vers un nouveau rĂ©gime, il y avait entre eux une diffĂ©rence sur le point de savoir qui aurait Ă  diriger l’État. Lugones et ses adeptes glorifiaient la hiĂ©rarchie, rĂ©servaient un rĂŽle fondamental aux forces armĂ©es et songeaient Ă  un chef d’État militaire charismatique, attendu que, selon Lugones, « l’autoritĂ© n’est pas [
] le rĂ©sultat de dĂ©libĂ©rations, mais l’imposition de la supĂ©rioritĂ© personnelle », alors que les autres estimaient que « le salut de la patrie » pouvait s’obtenir en restreignant la participation populaire dans le gouvernement et en confiant la conduite de celui-ci Ă  une Ă©lite idĂ©ologique « choisie et rĂ©duite », qui serait appelĂ©e Ă  s’accroĂźtre rapidement et Ă  ĂȘtre opportunĂ©ment suivie par « la masse ». Dans les discours d’Uriburu transparaĂźt une forte adhĂ©sion aux positions lugoniennes[37].

Uriburu jura de respecter la Constitution nationale et la loi SĂĄenz Peña, et invita dans son discours d’investiture la population Ă  corriger les « abus » de l’yrigoyĂ©nisme Ă  travers les urnes. Cependant, ce discours s’explique par l’appui dont il avait eu besoin de la part du secteur « libĂ©ral » dirigĂ© par Justo et JosĂ© MarĂ­a Sarobe. Au fil du temps toutefois, il en revint Ă  ses conceptions corporatistes, ainsi qu’il appert de ses discours et de ses nominations pour les postes dirigeants. Il aspirait Ă  remplacer la Constitution et le systĂšme dĂ©mocratique par un autre rĂ©gime, totalement diffĂ©rent, dans lequel ce ne serait pas le vote individuel qui dĂ©ciderait de la direction politique, mais l’opinion des corporations, en particulier des corporations patronales et des associations professionnelles, parmi lesquelles du reste les syndicats ne seraient que des acteurs de moindre importance, corporations qui au surplus devraient faire montre de puretĂ© idĂ©ologique.

Parmi les idéologues nationalistes, Uriburu préférait Carlos Ibarguren, son cousin, catholique militant et admirateur de la droite espagnole, et qui était en outre un brillant écrivain. En revanche, il dédaigna celui qui jusque-là avait été le chef de file des nationalistes, Juan Carulla, qui inclinait davantage pour les idées de Benito Mussolini ou de Charles Maurras.

La rĂ©forme envisagĂ©e par les nationalistes avait des caractĂ©ristiques qui n’étaient pas toutes nettement dĂ©finies. Il Ă©tait clair en tous cas qu’une prise de distance totale vis-Ă -vis de la dĂ©mocratie et du suffrage universel en Ă©tait un Ă©lĂ©ment de base, et qu’elle requĂ©rait avant tout nouveau scrutin un remaniement draconien des rĂšgles du jeu politique[38].

Les discours insistaient incessamment sur la nĂ©cessitĂ© de rĂ©tablir l’ordre, la propriĂ©tĂ© privĂ©e et les hiĂ©rarchies[39]. Cependant, Ă  la diffĂ©rence des fascismes europĂ©ens, la droite argentine considĂ©rait que la clef du systĂšme politique qu’elle prĂ©conisait devait ĂȘtre l’armĂ©e, et non les organisations paramilitaires[40].

Uriburu proposa la fondation d’un Parti national, auquel se rallieraient les autres partis, Ă  l’exclusion toutefois du radicalisme yrigoyĂ©niste et, peut-ĂȘtre, du Parti socialiste. L’invitation fut rejetĂ©e par tous, abstraction faite de quelques groupes conservateurs. Uriburu s’enhardit Ă  convoquer des Ă©lections pour dĂ©signer le gouverneur de Buenos Aires, escomptant pouvoir prĂ©senter une candidature unique du Parti national face aux radicaux ; lorsque son dessein eut Ă©chouĂ©, il ne lui fut plus possible de se rĂ©tracter[41].

Politique Ă©conomique et du travail

La chute de l’activitĂ© Ă©conomique survenue en 1930 porta nombre de chefs d’entreprise Ă  licencier des travailleurs. La CGT, ayant proclamĂ© dans sa dĂ©claration de principe du 27 septembre 1930 son caractĂšre apolitique, put dĂšs lors se concentrer sur la dĂ©fense de la classe ouvriĂšre, en requĂ©rant le gouvernement militaire de stimuler l’emploi par des investissements publics, d’adopter de nouvelles lois de protection sociale et de mettre en Ɠuvre celles dĂ©jĂ  existantes[42] - [43].

Le gouvernement nomma Ă  la tĂȘte du DĂ©partement national du travail Eduardo F. Maglione, qui, en mĂȘme temps qu’il tenta de rĂ©frĂ©ner les mesures patronales contre les syndicats, Ɠuvra Ă  la crĂ©ation de corporations comprenant, par branche d’industrie, les corporations patronales et de travailleurs. En vue de ces objectifs, il favorisa la judiciarisation de l’application des lois sociales, en particulier celles relatives Ă  la journĂ©e de travail et au repos dominical dans la Capitale fĂ©dĂ©rale, cette derniĂšre Ă©tant en effet la juridiction dans laquelle il dĂ©tenait le pouvoir de police en ces matiĂšres. En outre, il convoqua pour mars 1931 un CongrĂšs national des dĂ©partements du travail tant de la Nation que des provinces[44] - [45].

À la suite des Ă©lections d'avril 1931, Maglione fut remplacĂ© en mai de cette mĂȘme annĂ©e par le lieutenant-colonel Carlos GĂŒiraldes, membre de la LĂ©gion civique argentine, qui fera porter l’accent sur la rĂ©pression syndicale ; le projet corporatiste, auquel la CGT s’était opposĂ©e, fut abandonnĂ©[46] - [47].

D’autre part, le gouvernement prit un certain nombre de mesures de protection de l’industrie locale, imposant des taxes Ă  l’importation pour, entre autres, les produits textiles, les chaussures, les plantes aromatiques et le sucre — mesures qui susciteront les critiques de la part tant de la CGT que du Parti socialiste, qui dĂ©fendaient traditionnellement un point de vue libre-Ă©changiste, mais recueilleront les louanges de l’Union industrielle argentine[48] - [49]. Le syndicat de cheminots Union ferroviaire fit valoir que, sous l’angle de vue ouvrier, limiter l’importation de plantes aromatiques n’était pas Ă  l’avantage des travailleurs occupĂ©s dans cette industrie dans le pays, mais aux rares nĂ©gociants dĂ©tenteurs du privilĂšge de les importer et de les commercialiser, et dĂ©nonça qu’en ce qui concerne la chaussure, le protectionnisme n'avait eu d’autre effet que d’augmenter les gains des patrons[50].

Une autre mesure gouvernementale fut celle tendant Ă  donner la prĂ©fĂ©rence Ă  l’embauche de citoyens argentins pour les travaux de construction des voies de chemin de fer vers CĂłrdoba et BahĂ­a Blanca, Ă  obliger les ouvriers et employĂ©s des chemins de fer Ă  acquĂ©rir une carte de citoyennetĂ©, et Ă  restreindre l'arrivĂ©e d’immigrants d'outremer. Dans le but d’équilibrer le budget de l’État, il fut dĂ©cidĂ© de licencier des fonctionnaires et de rĂ©duire leurs rĂ©munĂ©rations, d’appliquer de nouvelles taxes sur le tabac, les allumettes, l’essence et la rente, et rehausser les tarifs de la poste et du tĂ©lĂ©graphe. Le premier recensement des chĂŽmeurs fournit un chiffre de 333 997 sans-emploi dans tout le pays, dont 87 223 dans la seule Capitale fĂ©dĂ©rale[51]. Toujours sur le plan Ă©conomique, le pays subit aussi les contrecoups de la Grande DĂ©pression, Ă  savoir une forte baisse des recettes de l’État, la chute de la consommation, et la hausse du chĂŽmage[52].

Autres aspects de la politique gouvernementale

Le nouveau gouvernement dĂ©crĂ©ta l’état de siĂšge et la loi martiale, et rĂ©prima les secteurs opposant la plus forte rĂ©sistance : dirigeants de la FĂ©dĂ©ration universitaire argentine, radicaux yrigoyĂ©nistes, communistes et anarchistes[53]. Plusieurs centaines d’individus furent expulsĂ©s du pays en application de la loi de RĂ©sidence, et des milliers de personnes appartenant Ă  ces secteurs furent mis en dĂ©tention et torturĂ©s ; pour les besoins de cette politique, le nouveau pouvoir mit en place un rĂ©gime rĂ©pressif incluant pour la premiĂšre fois l’usage systĂ©matique de la torture contre les opposants, par le biais de la Section de l’ordre politique de la Police fĂ©dĂ©rale argentine, sous le commandement du fils de Leopoldo Lugones[54]. En outre, il fit exĂ©cuter clandestinement, ou Ă  l’issue de parodies de jugement, des militants de l’anarchisme « expropriateur », dont Severino Di Giovanni, Gregorio Galeano, JosĂ© Gatti, JoaquĂ­n Penina, Paulino ScarfĂł et Jorge Tamayo GavilĂĄn[53].

Le gouvernement fit d’autre part incarcĂ©rer plusieurs dirigeants politiques, parmi lesquels l’ancien prĂ©sident HipĂłlito Yrigoyen, instaura la censure des journaux, et mit les universitĂ©s sous sa tutelle directe, annulant le rĂ©gime d’autonomie et de co-gouvernance instaurĂ©e par la rĂ©forme universitaire de 1918. Le coup d’État une fois consommĂ©, la flamboyante CGT et le Parti socialiste adoptĂšrent une attitude de complaisance face au rĂ©gime militaire. La prioritĂ© de la premiĂšre sera dorĂ©navant de prĂ©server la sphĂšre de lĂ©galitĂ© syndicale et d’obtenir des mesures propres Ă  pallier les effets de la crise Ă©conomique sur les travailleurs, et celle du second, de rĂ©aliser un prompt retour au rĂ©gime constitutionnel[55].

En mars 1931, Uriburu accueillit Édouard VIII, prince de Galles et hĂ©ritier du trĂŽne britannique, aux cĂŽtĂ©s de qui il visita Campo de Mayo, l’Hippodrome national et la station balnĂ©aire de Mar del Plata, et inaugura l’Exposition britannique des arts et industries qui allait se tenir sur le terrain de la SociĂ©tĂ© rurale argentine Ă  Buenos Aires.

Alvear rédigeant le manifeste avant son départ en exil de 1931.

Issue Ă©lectorale

Élections du 5 avril 1931

S’étant avisĂ© de ce que la plupart des forces politiques qui avaient appuyĂ© le coup d’État se rejoignaient tous, nonobstant leur hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, dans le rejet de son projet corporatiste et que, de surcroĂźt, il manquait de soutien dans une fraction majoritaire des officiers des forces armĂ©es, Uriburu chercha une issue Ă©lectorale, selon un plan conçu par SĂĄnchez Sorondo. Son idĂ©e consistait Ă  organiser des Ă©lections provinciales Ă©chelonnĂ©es, dans la prĂ©supposition que les rĂ©sultats lui seraient favorables et vaudraient en quelque sorte plĂ©biscite lui permettant ensuite de mettre en Ɠuvre la rĂ©forme constitutionnelle nĂ©cessaire Ă  son projet corporatiste[56].

DĂ©but 1931, il convoqua des Ă©lections dans la province de Buenos Aires, qui se tinrent le 5 avril. Le radicalisme se trouvait alors dĂ©sorganisĂ© et divisĂ© ; Ă  la mi-mars, l’on parvint nĂ©anmoins Ă  rĂ©unir la Convention provinciale. Fernando Saguier, Roberto Marcelino Ortiz, Vicente Gallo, Carlos Noel et JosĂ© P. Tamborini tĂ©lĂ©phonĂšrent Ă  Paris pour avertir Alvear qu’ils voteraient sur son nom lors de cette Convention provinciale ; cependant les dĂ©lĂ©guĂ©s Ă©lurent pour leurs candidats Honorio PueyrredĂłn et Mario Guido.

Aux Ă©lections du 5 avril, les candidats radicaux obtinrent 218 783 voix, les conservateurs 187 734, et les socialistes 41 573[57], de sorte que, n’ayant pas remportĂ© de majoritĂ© absolue au collĂšge Ă©lectoral provincial appelĂ© Ă  Ă©lire le gouverneur, les radicaux durent nĂ©gocier avec les socialistes pour voir un des leurs Ă©lu Ă  ce poste.

Crise au sein du gouvernement

Le rĂ©sultat Ă©lectoral provoqua une crise ministĂ©rielle ; Octavio Sergio Pico passa au ministĂšre de l’IntĂ©rieur, pour supplĂ©er SĂĄnchez Sorondo, dĂ©missionnaire, Enrique Uriburu fut nommĂ© Ă  la tĂȘte du ministĂšre des Finances, Guillermo Rothe Ă  la tĂȘte de celui de la Justice et de l’Instruction publique, David Arias Ă  l’Agriculture, Pablo Calatayud aux Travaux publics, et Carlos G. Daireaux Ă  la Marine. Sans tarder, le 17 avril, Pico convoqua les reprĂ©sentants de tous les partis, hormis les radicaux yrigoyĂ©nistes, afin de mettre sur pied une coalition apte Ă  empĂȘcher le retour au pouvoir des « personnalistes ». La proposition visait clairement Ă  faire accepter par la coalition la candidature du gĂ©nĂ©ral Justo, qui, pour s’affranchir d’un gouvernement en dĂ©clin, avait le 25 septembre 1930 dĂ©missionnĂ© Ă  titre provisoire de son poste de commandant en chef de l’armĂ©e et demandĂ© que l’on enquĂȘtĂąt sur les accusations de malversation formulĂ©es Ă  son encontre[58].

Appel à des élections générales

Le 11 avril 1931, Marcelo Torcuato de Alvear s’embarqua pour Buenos Aires, oĂč il mit pied Ă  terre le 25 avril et fut accueilli dans le port par quelque 6 000 personnes, parmi lesquelles le gĂ©nĂ©ral Justo et un aide de camp, Ă  titre de reprĂ©sentants du prĂ©sident de facto JosĂ© FĂ©lix Uriburu. Alvear s’employa alors Ă  unifier le radicalisme autour de sa personne, sans Ă©gard Ă  la demande de Justo et d’Uriburu d’appuyer leurs projets politiques[59]. Dans un premier temps, Alvear tenta un rapprochement avec le gouvernement, dans la perspective d’une issue Ă©lectorale Ă  l’impasse politique — l’amitiĂ© entre Alvear et Uriburu datait de l’époque des rĂ©volutions radicales de la fin du XIXe siĂšcle —, mais lorsqu’Uriburu lui eut fait comprendre qu’il pourrait une nouvelle fois accĂ©der Ă  la prĂ©sidence moyennant qu’il lui garantĂźt que des yrigoyĂ©nistes ne figureraient pas sur ses listes, Alvear dĂ©clina la proposition[60]. Le 4 mai, l’interventeur fĂ©dĂ©ral dans la province de Buenos Aires, Carlos Meyer Pellegrini, fut remplacĂ© par Mariano Vedia (fils de Mariano de Vedia y Mitre), avec la fonction de « dĂ©lĂ©guĂ© », mais fut Ă  son tour remplacĂ© le 12 mai par Manuel RamĂłn Alvarado, comme interventeur fĂ©dĂ©ral. Dans l’intĂ©rim, le 8 mai, Uriburu suspendit l’appel au collĂšge Ă©lectoral provincial[61] et convoqua pour le 8 novembre des Ă©lections pour le congrĂšs national.

Le 16 mai 1931 apparut le Manifiesto del City, par lequel le radicalisme de tout le pays Ă©tait convoquĂ© Ă  une rĂ©organisation « dignement fortifiĂ©e dans l’adversitĂ© ». Le 28 de ce mĂȘme mois, on instaura la Junta del City composĂ©e d’Alvear, Adolfo GĂŒemes, Enrique Mosca, Julio Borda et Obdulio Siri, pour supplĂ©er le ComitĂ© national, dissous en pratique Ă  la suite du coup d’État[62]. Tandis qu’HipĂłlito Yrigoyen Ă©tait toujours retenu prisonnier, les radicaux rouvraient leurs comitĂ©s. Le 5 juin, le gouvernement leva la loi martiale[63].

Le 20 juillet 1931 Ă©clata une rĂ©volution dans la province de Corrientes, dirigĂ©e par le lieutenant-colonel Gregorio Pomar ; bien que promptement rĂ©primĂ©e, elle fournit Ă  Uriburu le prĂ©texte qu’il cherchait : il fit fermer tous les locaux de l’UCR, mit en Ă©tat d’arrestation des douzaines de dirigeants et le 25 juillet fit savoir que le parti radical ne pouvait pas prĂ©senter de listes de candidats et expulsa du pays les principaux chefs du radicalisme rĂ©organisĂ© : Alvear, Tamborini, PueyrredĂłn et Noel[64]. De plus, il suspendit les Ă©lections de gouverneurs prĂ©vues dans les provinces de CĂłrdoba et de Santa Fe[65]. Le 28 juillet 1931 Ă  10 heures du soir, l’ancien prĂ©sident Alvear s’embarqua de nouveau pour l’exil, aprĂšs avoir rĂ©digĂ© la veille un manifeste, qu’il fallut diffuser clandestinement, sa publication ayant Ă©tĂ© interdite par la dictature[64]. On y relĂšve le passage suivant :

« Je contemple de loin, sur le navire qui m’éloigne, la ville natale oĂč se dressent les statues de mes ancĂȘtres. Elle me portait Ă  raison au respect de toutes les classes sociales, car je sus les gouverner dans la lĂ©galitĂ©, l’ordre et avec prudence. Ce sont des mains crispĂ©es qui m’arrachent Ă  son sein. »

— Alvear, 1931[66].

Le 31 juillet 1931, les forces conservatrices fondĂšrent le Parti dĂ©mocrate national. Le 5 aoĂ»t, Alvear publia un violent manifeste, datĂ© du 28 juillet, qui parut dans tous les journaux conjointement avec une rĂ©plique d’Uriburu. Alvear y dĂ©nonçait la « brutale dictature », caractĂ©risĂ©e par la torture des prisonniers politiques et par l’annulation et la suspension de scrutins, et l’accusa d’avoir corrompu l’armĂ©e[67]. L’historien RouquiĂ© affirme que le gĂ©nĂ©ral Justo mit Ă  profit cette polĂ©mique pour mettre en avant son passĂ© de ministre d’un gouvernement radical et se prĂ©senter devant les classes moyennes civiles et militaires, non comme le candidat des conservateurs, mais comme reprĂ©sentant d’un radicalisme « respectable et de bonne sociĂ©tĂ© »[67]. Le 1er aoĂ»t 1931, un groupe de radicaux antipersonnalistes emmenĂ©s par Eduardo Laurencena lança le binĂŽme prĂ©sidentiel Justo-Laurencena, et le 28 aoĂ»t, le gouvernement Ă©largit la portĂ©e du scrutin prĂ©vu pour le 8 novembre en y incluant Ă©galement l’élection du prĂ©sident et du vice-prĂ©sident de la Nation.

Entre le 10 et le 11 septembre, la convention radicale antipersonnaliste confirma le binĂŽme Justo-Laurencena, mais, aprĂšs la dĂ©mission de ce dernier, le remplaça par JosĂ© NicolĂĄs Matienzo. Pour sa part, le Parti dĂ©mocrate national et le Parti socialiste indĂ©pendant proclamĂšrent les candidatures de Justo et de Julio Argentino Pascual Roca, donnant naissance Ă  l’alliance politique dĂ©nommĂ©e Concordancia[68]. Justo se prĂ©sentait ainsi aux suffrages dans deux tickets diffĂ©rents, dans l’un accompagnĂ© de Matienzo, dans l’autre de Roca.

Le PDP engagea une alliance avec le socialisme sous le nom d’Alliance dĂ©mocrate-socialiste, et se prĂ©senta aux Ă©lections avec un binĂŽme dirigĂ© par Lisandro de la Torre, dont le second terme Ă©tait le socialiste NicolĂĄs Repetto.

Vu l’absence d’Alvear et de GĂŒemes (qui Ă©tait vice-prĂ©sident et avait plongĂ© dans la clandestinitĂ© pour ne pas ĂȘtre emprisonnĂ©), Vicente Gallo prit la direction de l’UCR. Peu aprĂšs, GĂŒemes fit sa rĂ©apparition, mais Gallo refusa de se dĂ©sister. AprĂšs cet Ă©pisode, la quasi totalitĂ© du comitĂ© directeur de la Junta remit sa dĂ©mission, Ă  la suite de quoi le corps dĂ©cida de confĂ©rer des fonctions exĂ©cutives Ă  GĂŒemes, Gallo, Saguier, Juan O'Farrel, Mosca, Aramburu, Borda et Noel. La candidature d’Alvear plus GĂŒemes reçut l’approbation des radicaux, mais cette approbation faisait l’impasse sur le fait qu’Alvear n’accepterait pas une telle candidature que ne se fĂ»t d’abord rĂ©unie la convention nationale de l’UCR. La convention eut finalement lieu le 25 septembre et reconstitua le ComitĂ© national. Alvear fut Ă©lu prĂ©sident et Saguier renonça Ă  ses ambitions pour laisser la candidature Ă  GĂŒemes. La Convention nationale, prĂ©sidĂ©e par BenjamĂ­n Zorrilla, approuva cette plate-forme Ă©lectorale, qui sortit ensuite victorieuse du vote des membres[69]. Cependant, dans une communication tĂ©lĂ©phonique de Rio de Janeiro, Alvear dĂ©cida de renoncer Ă  la candidature pour deux raisons : d’abord parce que la possibilitĂ© existait que sa candidature fĂ»t annulĂ©e au motif qu’une pĂ©riode prĂ©sidentielle complĂšte ne s’était pas Ă©coulĂ©e depuis sa propre prĂ©sidence, et ensuite parce qu’il jugeait opportun de procĂ©der Ă  un renouvellement du personnel politique. Devant les instances des radicaux, qui considĂ©raient qu’il Ă©tait la seule personnalitĂ© capable de forger l’union du parti, Alvear finit par accepter la candidature et voyagea le 8 octobre Ă  Montevideo[70]. Quatre jours aprĂšs, la Convention nationale se rĂ©unit Ă  nouveau, oĂč l’on donna lecture de la dĂ©mission d’Alvear et de GĂŒemes[71]. Deux jours aprĂšs, la Convention nationale rejeta les dĂ©missions, dĂ©clara « dĂ©pourvue de valeur lĂ©gale » l’annulation des Ă©lections du 5 avril 1931, et autorisa le ComitĂ© directeur de ne pas participer aux Ă©lections du 8 novembre 1931 au cas oĂč les mesures d’hostilitĂ© Ă  l’égard du radicalisme seraient maintenues[72].

Le 6 octobre, le gouvernement invalida les candidatures d’Alvear et GĂŒemes en arguant de leur relation avec le rĂ©gime yrigoyĂ©niste. Le 8 octobre, il annula le scrutin du 5 avril dans la province de Buenos Aires. Le 27 octobre, l’UCR dĂ©cida son abstention absolue et le 29 octobre, la Commission Ă©lectorale rejeta la demande d’officialisation de son binĂŽme que l’UCR avait dĂ©posĂ©e le 23, en allĂ©guant qu’elle n’avait pas compĂ©tence Ă  ce faire.

Le 8 novembre se tinrent les Ă©lections presidentielles, qui virent la victoire de la Concordancia avec 607 765 voix, soit 43,26% des votants ; ce rĂ©sultat lui valut 237 grands Ă©lecteurs, qui formeront une majoritĂ© au sein du CollĂšge Ă©lectoral et voteront en faveur de Justo-Roca. Ces derniers accĂ©deront Ă  leur poste le 20 fĂ©vrier 1932. SĂĄnchez Sorondo considĂ©ra, dans un article publiĂ© en 1958, que l’annulation du scrutin du 5 avril 1931 et l’interdiction faite ensuite au radicalisme de prĂ©senter des candidats ont constituĂ© de graves erreurs institutionnelles de nature Ă  ĂŽter toute lĂ©gitimitĂ© Ă  l’élection d’AgustĂ­n P. Justo[73].

CĂ©lĂ©bration de l’anniversaire du coup d’État

Les anniversaires du coup d’État Ă©taient pour ses protagonistes ou sympathisants l’occasion d’organiser des cĂ©rĂ©monies publiques. La derniĂšre de ces occasions se prĂ©senta en 1943, quand, justement, le gouvernement du dictateur Pedro Pablo RamĂ­rez rendit officielle cette cĂ©lĂ©bration.

Corrélats

Bibliographie

  • (es) FĂ©lix Luna, Golpes militares y salidas electorales, Buenos Aires, Editorial Sudamericana, , 175 p. (ISBN 950-07-0151-0)
  • (es) MatĂ­as SĂĄnchez Sorondo, Crisis y revoluciĂłn de 1930, Buenos Aires, HyspamĂ©rica Ediciones Argentinas S.A., (ISBN 950-614-498-2), « 6 septembre 1930 », p. 126-140
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