Les colonies israéliennes (dénommées « hitnahalut » (התנחלות) par les Israéliens traduit par « implantations »)[Note 1], sont des communautés de citoyens israéliens qui ont été établies depuis la guerre des Six Jours en 1967 dans la péninsule du Sinaï, les territoires palestiniens occupés (dont Jérusalem-Est et sa proche banlieue), ainsi que dans le Plateau du Golan.
Elles totalisent en 2020 plus de 705 000 habitants répartis comme suit : environ 440 000 personnes en Cisjordanie, plus de 230 000 à Jérusalem-Est et dans les villes créées aux alentours (réservées aux Israéliens), environ 35 000 sur le Golan, devenu par une loi votée par la Knesset le 14 décembre 1981 territoire israélien et sous-district du district Nord d'Israël. Elles sont réparties dans près de 150 implantations en Cisjordanie et plus de 35 sur le plateau du Golan[1],[2],[3],[4]. Certaines colonies sont devenues des villes, comme Ma'aleh Adumim qui compte près de 40 000 habitants ou Ariel qui en compte 20 000. De nombreuses ont été rattachées au territoire israélien lors de la construction de la barrière de séparation.
L'établissement de colonies israéliennes, y compris à Jérusalem-Est et sur le plateau du Golan, a débuté dès 1967, mais s'est accéléré à partir de 1977 et l'arrivée du Likoud au pouvoir. À la suite des accords de Camp David en 1982, la totalité des colonies du Sinaï furent évacuées et en 2005, la totalité de celles de la bande de Gaza furent démantelées. Avec l'arrivée de Benyamin Netanyahou au pouvoir en 2009, leur développement s'est accéléré.
L'implantation de colonies par Israël a été condamnée par des votes de l'Assemblée générale des Nations unies dans le cadre de résolutions du Conseil de sécurité. Elles sont ainsi jugées illégales au regard du droit international, ce que le gouvernement israélien conteste ; ainsi que les États-Unis, depuis le 18 novembre 2019.
Sommaire
- Histoire
- Contexte
- Premières colonies (1967-1977)
- Menachem Begin (1977-1984)
- Gouvernement de coalition (1984 - 1988)
- De l'intifada aux accords d'Oslo (1988-1993)
- Des accords d'Oslo à la seconde intifada (1993-2000)
- Situation des Palestiniens dans la Bande de Gaza
- Les évènements de la seconde intifada (2000-2006) et l'après-Sharon (2006-2009)
- Gouvernements Netanyahou (2009-2019)
- Évolution démographique
- Situation juridique
- Administration
- Sociologie
- Situation économique
- Violence
- Notes et références
- Voir aussi
Histoire
L'implantation de colonies dans les territoires occupés par Israël, a débuté dès 1967 à la suite de la conquête de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza (territoires palestiniens occupés), du Sinaï (pris sur l'Égypte) et du Golan (pris sur la Syrie). Elle s'est poursuivie de manière interrompue depuis sauf dans le Sinaï, restitué en 1982 et à Gaza, évacuée unilatéralement par Israël en 2005.
Contexte
De 1948 au 5 juin 1967
Après 30 ans de conflits entre les communautés juive et arabe, l'ONU vote le 30 novembre 1947 le plan de partage de la Palestine en vue d'y fonder un État juif et un État arabe, tandis que Jérusalem et les Lieux saints devaient devenir une zone sous contrôle international[5].
L'Agence juive accepte le plan, la Ligue arabe s'y oppose. Il s'ensuit une guerre à l'issue de laquelle Israël est établie, mais pas l'État arabe palestinien. Jérusalem-Est et la Cisjordanie sont annexées par la Jordanie et la Bande de Gaza passe sous contrôle militaire égyptien. Israël est reconnue internationalement dans les délimitations des accords d'armistice de 1949 (dénommées la ligne verte) et entre à l'Organisation des Nations unies.
Une autre conséquence de la guerre est l'exode massif de 750.000 Arabes palestiniens sur les 900.000 qui vivaient dans ce qui est devenu Israël et leur interdiction de tout retour à l'issue de la guerre et en définitive leur dépossession[6]. La majorité s'installe dans des camps de réfugiés au Liban, à Gaza, en Syrie, en Cisjordanie. La guerre chasse également 10.000 Juifs des territoires annexés par la Jordanie. Le drame palestinien (la « Nakba ») devient un enjeu pour monde arabe qui réclame justice et revanche. Côté israélien, bien que la guerre de 1948 se solde par une victoire (le territoire contrôlé est en définitive 50 % supérieur à celui prévu par le plan de partage), le fait d'avoir peut-être à jamais renoncé à la vieille ville de Jérusalem ainsi qu'à la « Judée » et la « Samarie » (la Cisjordanie) est perçu par David Ben Gourion comme une bechiya ledorot (« cause de lamentation pour des générations »)[7].
Durant les 20 années qui suivent, les Juifs du monde arabe fuient ou sont expulsés. Aujourd'hui, il n'y existe plus de présence autre que symbolique alors que les communautés juives y totalisaient près de 800 000 membres en 1948. En 1956, Israël intervient aux côtés des Français et des Britanniques lors de la crise du canal de Suez. Dans le contexte de la guerre froide et sous l'impulsion de Gamal Abdel Nasser qui porte un projet de fusion du monde arabe, le Moyen-Orient se polarise. Les Arabes passent dans le camp soviétique et Israël devient le principal allié pro-occidental de la région.
À partir des années 1960, la tension monte. Des incidents de frontières de plus en plus fréquents se produisent entre Israël et la Syrie, qui signe en 1966 une alliance avec l'Égypte. Gamal Abdel Nasser appelle à la destruction d'Israël. Après l'évacuation des troupes de l'ONU à la demande de Nasser[8] et leur remplacement par des troupes égyptiennes, la mobilisation est décrétée en Israël[8]. Puis l'Égypte ferme le détroit de Tiran, ce qui entraine le blocus du port israélien d'Eilat, un casus belli pour les Israéliens. Le 26 mai, Nasser déclare qu'en cas de guerre, « notre but sera la destruction d'Israël car nous en avons les moyens »[9]. Un début de panique s'empare de la population israélienne et des communautés juives dans le monde qui craignent un nouvel Holocauste[10].
Moshe Dayan et Menahem Begin, partisans d'une frappe préventive de façon à diminuer les pertes israéliennes, entrent dans un gouvernement d'union nationale. Israël, qui se considère en état de légitime défense du fait des initiatives égyptiennes et syriennes et du terrorisme à ses frontières, déclenche, le 5 juin 1967, les hostilités. En quelques heures, les forces aériennes égyptienne sont anéanties. En six jours, les forces égyptiennes sont balayées et repoussées jusqu'au canal de Suez, l'ensemble de la Cisjordanie est conquise jusqu'au Jourdain, la partie jordanienne de Jérusalem est « libérée » et les hauteurs du Golan depuis lesquelles les Syriens bombardaient la Galilée sont capturées.
250 000 Palestiniens fuient ou sont expulsés des territoires conquis et 70 000 autres sont déplacés en leur sein[11]. Dans le plateau du Golan, les villages syriens désertés sont systématiquement rasés[12] et à l'exception des 6 000 à 7 000 Druzes[13], l'ensemble des 120 000 résidents arabes fuient ou sont chassés avant la fin 1967[14],[15],[16].
La « victoire totale » de la Guerre des Six Jours
La « victoire totale »[18] de 1967 va provoquer un bouleversement des esprits au sein du monde juif qui va impacter la suite des événements et l'issue du contentieux israélo-palesinien.
L'exaltation et l'émotion des Israéliens sont extrêmement fortes, unissant toute la société israélienne autour de sentiments religieux et nationalistes[19],[20]. Si Moshe Dayan fait enlever dès le 7 juin le drapeau israélien que les soldats avaient hissé sur le dôme du Rocher[21] et laisse l'administration de l'esplanade des Mosquées au Waqf de Jérusalem, ce sont près de 250 000 Israéliens qui se rendent au Mur des Lamentations le 14 juin pour célébrer la fête de Chavouot[20].
Pour les militaires, les territoires nouvellement conquis sur les pays arabes (Golan, Sinaï) sont une « monnaie d'échange contre la paix » mais ils restent réticents à « se défaire d'une part quelconque de la terre biblique d'Israël » (Jérusalem, la Cisjordanie, Gaza)[22]. Des contacts seront pris en ce sens quelques jours après la guerre avec l'Égypte et la Syrie qui répondra par une fin de non recevoir. Moshe Dayan déclare le 8 juin :
- « Jérusalem et les mont d'Hébron resteront à jamais entre nos mains[22]. »
Les activistes religieux voient cette victoire comme « miraculeuse » et la libération des territoires comme le début de la rédemption divine (at'halta dege'ula). Lors d'un sermon au Mur des Lamentations, le rabbin Zvi Yehouda Kook déclare :
- « Par la présente déclaration, nous informons le peuple d'Israël et le monde entier que selon le commandement de Dieu, nous venons de rentrer chez nous. (...). Nous ne partirons plus jamais. »[22]
Tant au sein de la population israélienne qu'au sein des communautés juives principalement aux États-Unis et en France apparaissent deux « attitudes »[23]: des Juifs avec un complexe et avec de l'arrogance. Avec le complexe de Massada, le monde extérieur est perçu comme « hostile dans sa globalité ». À l'angoisse de la destruction imminente par les Arabes, dernier chaînon dans une lignée d'ennemis plurimillénaire remontant à l'antiquité biblique, succède l'exaltation de la victoire ; cette dernière allant jusqu'à être perçue comme une « forme de réparation humaine ou divine de la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale »[23]. Apparaît également une « politique de l'arrogance » et le sentiment que l'ennemi est faible et « méprisable », qu'il ne comprend que la force, et que l'armée israélienne a pour vocation à la fois de dissuader tout ennemi de l'attaquer mais également de le forcer à accepter une solution dictée sur base des intérêts fondamentaux d'Israël[23].
Faits accomplis
Une politique de « faits accomplis » est mise en place durant la guerre et dans les semaines et mois qui suivent. Voici les exemples :
- le 11 juin, Teddy Kollek, le maire de Jérusalem-Ouest, fait raser la plupart du quartier maghrébin de la Vieille ville de Jérusalem de manière à libérer l'accès au Mur des Lamentations, lieu saint du judaïsme qui a été interdit aux juifs entre 1948 et 1967, sous l'occupation jordanienne, alors que la Jordanie, avait en avril 1949, lors des pourparlers d'armistice, promis aux Israéliens l'accès libre au Mur, pour tous les juifs qui voudraient s'y rendre pour prier[24],[25]. La majorité des 3 000 habitants arabes vivant dans ce qui avait été le Quartier juif de la vieille ville de Jérusalem avant 1948 est également expulsée avant la fin de l'année pour être remplacée par les précédents propriétaires et des Juifs israéliens[26]. Des relogements sont proposés aux habitants évincés avec une compensation de 100[27] à 200 Dinar jordanien[28],[29]. Le lieutenant colonel, Yaakov Salman justifie son opération par le fait que les Jordaniens avaient déjà prévu un plan d'évacuation du quartier qui était devenu un bidonville[24],[30].
- Le 29 juin, la Knesset étend la « juridiction administrative » de Jérusalem-ouest sur la partie arabe de la ville[31] et sur les régions cisjordaniennes au nord et au sud de celle-ci[12]. L'action est condamnée dès le 4 juillet à l'Assemblée générale des Nations unies[32]. Les murs en béton séparant les deux parties de la ville sont également abattus[12].
Premières colonies (1967-1977)
Après les captures territoriales de 1967, différentes stratégies politiques et militaires sont proposées au sein du gouvernement israélien[34],[35]. Moshe Dayan et Shimon Peres, tous deux de la faction Rafi, soutiennent des plans d'intégration économique et politique[36]. Le Mapaï et le Achdut HaAvoda opposent l'intégration, l'un souhaitant transférer le territoire à la Jordanie, tandis que le plan Allon est proposé visant à conserver des zones stratégiques[36]. En 1968 le gouvernement opte pour l'implantation de colonies de Nahal le long de la frontière jordanienne dans la vallée du Jourdain, comme mesure militaire face à la Jordanie[34],[35]. Parallèlement des mouvements politiques messianiques visent à créer des communautés juives en Cisjordanie pour des raisons religieuses et nationalistes[35].
Dès le deuxième jour de la guerre, le gouvernement israélien d'union nationale est conscient que la victoire est acquise et réfléchit aux actions à venir[25]. Yigal Allon envisage a minima l'annexion de certains territoires et la conservation des autres comme monnaie d'échange avec les États arabes. Menahem Begin et les membres du Parti national religieux voient les territoires conquis comme des « éléments historiques de la Terre d'Israël » « libérés » et proposent d'annexer la Cisjordanie et la Bande de Gaza[25],[12].
Au début du mois de juillet, le Cabinet israélien approuve la construction de « deux ou trois chantiers de travail temporaires » dans le no man's land qui séparait Israël et la Syrie avant la guerre[12]. Un kibboutz est fondé le 16 juillet dans le Golan pour prendre en charge le cheptel et les vergers « abandonnés »[37]. Le 27 août, le gouvernement donne l'autorisation aux Israéliens de cultiver les champs sur tout le plateau[12].
En août, l'État-major décide d'y établir une chaîne d'avant-postes du Nahal[12]. Il s'agit d'installations initialement militaires mais dans lesquelles ces derniers cultivent la terre aux alentours, puis s'y installent définitivement quand ils retournent à la vie civile. La première est fondée à Banias en septembre[12]. En janvier 1968, 2 avant-postes du Nahal sont établis dans le sud de la vallée du Jourdain puis dans la bande de Gaza[12].
À l'initiative d'activistes religieux, en l'espace de deux-trois ans, une « gigantesque entreprise de colonisation est mise sur pied ». Ils sont convaincus que le gouvernement n'osera pas s'opposer à eux ou utiliser la force pour les déloger, ils bravent les interdits officiels et lancent des initiatives privées d'implantations[12].
Au printemps 1968, le rabbin Moshe Levinger demande une permission pour célébrer le seder de Pessah dans la ville sainte du Judaïsme de Hébron, et décident de ne pas quitter les lieux, pour en réalité « faire revivre la communauté juive » de la ville, qui avait été massacrée en 1929. Après un mois (et une série d'evictions, le gouvernement israélien leur permet de rester temporairement[12]) le groupe reçoit la protection de l'armée et en février 1970, il reçoit l'autorisation pour s'installer sur une colline proche (Hébron Illit), qui deviendra Kiryat Arba[38].
Dans ce contexte, la première « colonie » mise en place est celle de Kfar Etzion, fondée sur le site d'un ancien kibboutz situé entre Bethléem et Hébron et qui avait été détruit par la Légion arabe en 1948[39]. Les opérations sont menées par Yossef Weiz[37],[19] et le rabbin Hanan Porat (en) qui y avait passé son enfance[40].
Selon Benny Morris, l'État finit par collaborer avec eux en leur fournissant des terres publiques (plus de 50 % du territoire cisjordanien est public à l'époque) ou en leur cédant des terres arabes expropriées pour « des raisons de sécurité »[12],[41]. Des aides sont même données aux candidats colons sous la forme de prêts immobiliers à faible taux d'intérêt, voire de subventions pures et simples[12],[41].
Après la guerre du Kippour, des colonies du Nahal sont fondées dans la région stratégique dominant sur le désert de Judée et la vallée du Jourdain. Tekoa est fondée en 1975 et est transférée aux autorités civiles du Gush Emunim en 1977[42].
Dès mars 1974, les militants se rassemblent au sein du Goush Emounim pour établir une première colonie à Ofra en mai 1975[22]. Ce mouvement naît du messianisme et reçoit le soutien du rabbin Zvi Yehuda Kook pour qui la rédemption d'Israël vient du peuplement de la terre promise[43].
En conclusion, un an après la guerre, le Golan compte 6 colonies ; en 1973, 19 et en 1977, ce sont 26 colonies qui ont été établies sur le plateau syrien[12]. En Cisjordanie, Israël possède 17 colonies en 1973 et 36 en 1977[12], dont Ma'aleh Adumim à l'est de Jérusalem qui compte près de 40 000 colons en 2016[44] et qui a été la première colonie israélienne à obtenir le statut de ville en 1992. Dans la bande de Gaza et le long de la frontière égyptienne, 7 colonies se sont installées entre 1968 et 1973 et leur nombre est passé à 16 en 1977[12], dont Kfar Darom (détruite en 1948). Dans le Sinaï, on compte 7 colonies israéliennes en 1977[12], dont Yamit.
Au total, 10 ans après la guerre, 11 000 Israéliens se sont installés dans les territoires conquis[12].
Menachem Begin (1977-1984)
En 1970, Menahem Begin quitte le gouvernement d'union nationale en raison de l'acception par Israël de la résolution 242 et de la formule « terre contre paix ». Pour son parti le Hérout, la Cisjordanie et la bande de Gaza sont « aussi juifs que Tel-Aviv » et ne peuvent en aucun cas être cédés aux Arabes[45]. La victoire aux élections israéliennes de 1977 d'une coalition rassemblant différents partis de droite et de partis religieux autour du Hérout, du Likoud et du Parti libéral[45] va dépasser la stratégie sécuritaire pour ce que A. Dieckhoff décrit comme une « stratégie de la présence », favorisant le peuplement juif dans des endroits stratégiques de la Cisjordanie[46].
En 1978, Israël et l'Égypte signent les Accords de Camp David qui marque la fin du conflit entre eux. Malgré les négociations de paix qui demandent un gel de toute construction dans les colonies, une centaine de nouvelles implantations voient le jour, en particulier des centres urbains à l'Est de Jérusalem (comme Beit El fondée en 1977) et de Tel-Aviv (comme Elkana établie en 1977, Ariel en 1978 ou Beit Aryeh-Ofarim en 1981)[47].
Évacuation du Sinaï
À la suite des accords de paix, les colonies du Sinaï sont évacuées (mais rasées par les Israéliens) en même temps que les territoires conquis sur l'Égypte en 1967 lui sont restitués. Le mouvement des colons s'y oppose et des militants s'y réinstallent « illégalement ». À Yamit, Menachem Begin et Ariel Sharon, ministre de l'Agriculture, chargé de la colonisation, font intervenir l'armée israélienne : 20 000 soldats sont mobilisés pour déloger 1 500 « squatteurs ». L'opération se fait sans faire de blessés mais sous les yeux des télévisions. Selon Benny Morris, la motivation est double : il s'agit de montrer au monde « le coût des sacrifices concédés par Israël dans sa recherche de la paix » et de « montrer à la population israélienne l'atrocité de l'évacuation de colonies », afin de mettre en garde les citoyens Israéliens qui militent pour l'évacuation de la Cisjordanie et du Golan[48]
La détermination israélienne à ne pas restituer l'ensemble des territoires occupés se traduit également par deux décisions :
- le 30 juillet 1980, le parlement israélienne (la Knesset) vote une « Loi fondamentale » faisant de Jérusalem réunifiée, la capitale d'Israël[49]. Cette annexion de Jérusalem-Est est immédiatement condamnée par les résolutions 476 et 478 du Conseil de sécurité en tant que violation du droit international[50] ;
- le 14 décembre 1981, la Knesset vote la loi du plateau du Golan affirmant l'annexion du territoire par Israël. L'annexion est immédiatement condamnée par la résolution 497 du Conseil de sécurité qui la déclare « nulle et non avenue et sans effet juridique sur le plan international »[51].
Fin 1983, on compte 76.095 colons à Jérusalem-Est, 22.800 en Cisjordanie, 6.800 dans le Golan et 900 dans la bande de Gaza, soit un total de 106.595 dans l'ensemble des territoires occupés[52]. Le rythme de la colonisation s'est accéléré d'un facteur 10 par rapport à la période précédente.
Situation des Palestiniens dans les territoires occupés
Le développement des réseaux routiers et électriques nécessaires pour des raisons sécuritaires et pour desservir les colonies bénéficièrent également à la population palestinienne. Ainsi, en 1967 seuls 18 % des foyers gazaouites possédaient l'électricité. Ils étaient 89 % en 1981[53]. La population palestinienne put également bénéficier des services hospitaliers et des soins de santé israéliens, ce qui se traduisit par une chute importante du taux de mortalité à la naissance et à une augmentation conséquente de la population palestinienne, en particulier à Gaza[53].
Sur le plan politique, selon Benny Morris, Israël se montra « tolérant »[53]. De nombreuses organisations citoyennes virent le jour comme des syndicats, des associations professionnelles, des comités estudiantins (7 universités virent le jour en Cisjordanie et à Gaza en 10 ans), des associations caritatives, des journaux, des instituts de recherche, des groupes féministes[53]... Les Israéliens autorisèrent même l'établissement d'institutions officielles militant pour l'autonomie et la résistance politique[53]. Par contre, Israël refusa de donner toute légitimité aux indépendantistes de l'Organisation de libération de la Palestine (l'OLP) de Yasser Arafat, ce qui laissa place libre aux Frères musulmans, sous la direction du Cheik Yassine qui distillèrent un discours intégriste dans la population[53].
Sur le plan économique, sur les 15 ans qui suivirent la conquête des territoires, le revenu annuel par habitant dans la bande de Gaza passa de 80 à 1 700 dollars; et en Cisjordanie, il fit plus que tripler. Le nombre de voitures fut multiplié par 10, celui des tracteurs par 9 et celui des téléphones par 6. Chaque année entre 1968 et 1978, le PNB connut une croissance supérieure à 10 % dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie, tandis qu'il augmentait de 5,5 % par an en Israël sur la même période[53].
Selon Zeev Schiff et Ehud Yaari, la politique gouvernementale israélienne dans les territoires occupés fut cependant subordonnée aux besoins économiques israéliens et étouffait le développement palestinien. Par exemple, la majeure partie des réserves d'eau furent détournées au profit d'Israël et des colons[53],[54]. Ces derniers en utilisaient en moyenne douze fois plus que la population palestinienne et la superficie des terres arabes irriguées en Cisjordanie fut réduite de 30 % entre 1967 et 1987[53]. L'administration israélienne des territoires interdit aux Palestiniens d'installer des manufactures et réglementa à l'extrême les déplacements, l'importation de fonds ou de matériaux, la culture de certains produits agricoles... ce qui transforma les territoires en un vaste marché (et une « décharge ») pour les marchandises israéliennes[53]. Le gel des développements industriel et agricole palestiniens força une part importante de la main-d'œuvre des territoires occupés à chercher du travail en Israël, en particulier dans la construction ou l'agriculture, où elle se vit reléguée à des « tâches ingrates » et un « salaire de misère » en usant des mots de Benny Morris[53].
Gouvernement de coalition (1984 - 1988)
Les élections législatives israéliennes de 1984 voient les partis de gauche, réunis sous la bannière « Alignement », remporter 44 sièges contre 41 pour le Likoud. Aucun des deux ne réussit cependant à rassembler suffisamment d'autres partis dans une coalition qui pourrait former une majorité à la Knesset. Shimon Peres et Yitzhak Shamir décident alors de gouverner alternativement, chacun occupant le poste de Premier ministre pendant 2 ans.
Durant cette période, si le nombre de colonies ne grandit pas sensiblement, leur population s'accroit considérablement en raison de leur expansion[55]. La population israélienne de Cisjordanie passe de 35 000 à 64 000 de 1984 à 1988[55]. En 1989, on compte 200 000 colons : 117 000 à Jérusalem-Est, 70 000 en Cisjordanie, 10 000 dans le Golan et 3 000 dans la Bande de Gaza[52].
L'administration des territoires est sous la responsabilité d'Yitzhak Rabin, ministre de la Défense. Il y instaure une politique de « répression continue » envers les militants nationalistes palestiniens[55]. Plusieurs dizaines de milliers d'habitants sont détenus plusieurs semaines ou mois d'affilée souvent sans jugement[55]. En parallèle, des groupes de colons s'établissent en groupes d'autodéfense « vengeurs », en citant les mots utilisés par Benny Morris[55]. En Israël, les représentants politiques de l'extrême-droite appellent régulièrement et ouvertement à l'expulsion (le « transfert ») des Palestiniens des territoires occupés vers la Jordanie[55].
C'est dans ce contexte que se déclenche le 9 décembre 1987 la Première intifada, appelée par les Palestiniens la « révolte des pierres »[56].
De l'intifada aux accords d'Oslo (1988-1993)
La révolte palestinienne s'exprime initialement par une désobéissance civile généralisée face à laquelle l'armée n'est pas préparée, tandis que les extrémistes des deux camps, Hamas et colons intégristes, prônent et usent de violence[57]. Devant la situation, Yitzhak Rabin ordonne à l'armée de réprimer durement la révolte. Il s'exprime à la télévision en affirmant qu'il faut « briser les os » des émeutiers. La répression provoque des dizaines de milliers de blessés au sein de la population civile palestinienne dont des milliers à vie. Au bout de trois ans, l'armée a procédé à plus de 15 000 arrestations administratives et 8 000 Palestiniens sont prisonniers en Israël[58].
Cette situation génère une opposition en Israël sur la politique du gouvernement et le renforcement du « mouvement pour la paix », ce qui va mener sous l'égide des États-Unis, à la signature en septembre 1993 des accords d'Oslo entre Israël et l'OLP[59]. Ces accords reconnaissent la souveraineté de l'Autorité palestinienne sur la Cisjordanie et Gaza et annoncent le retrait progressif d'Israël des territoires occupés[60].
Durant cette période, la population de colons passe de 200 000 à 282 000 (+45 000 en Cisjordanie et +35 000 à Jérusalem-Est)[52], malgré l'annonce en 1992 par le gouvernement israélien d'un « gel de la colonisation »[61].
Des accords d'Oslo à la seconde intifada (1993-2000)
Après 1993, le retrait israélien ne se produit cependant pas et la colonisation s'intensifie contrairement aux accords d'Oslo.
Le mouvement des colons établit des « avant-postes » dans les territoires occupés en infraction théorique avec la loi israélienne[62],[63]. En pratique, bien qu'ils ne soient pas ouvertement reconnus par le gouvernement, les autorités israéliennes les soutiennent dans leur établissement et développement[64]. Selon La Paix maintenant, une cinquantaine sont établis entre 1993 et 2000[65].
Les extrémistes des deux camps expriment également dans le terrorisme leur opposition au processus de paix[66]. Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un colon de Kyriat Arba et adepte de Meir Kahane, perpètre le massacre d'Hébron au cours duquel 29 Palestiniens sont tués et 125 autres blessés. De son côté, le Hamas commet un attentat-suicide à Afoula, tuant 8 Israéliens, ainsi que de nombreux autres sur l'ensemble du territoire israélien jusqu'à la fin 1998[66]. Le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin alors Premier ministre, est assassiné par Yigal Amir, un extrémiste néosioniste[67].
Le 24 septembre 1995, l'accord intérimaire sur la Cisjordanie et la bande de Gaza scinde la Cisjordanie en 3 zones[60] :
- la zone A (3 % du territoire[Note 2] et 20 % de la population palestinienne) placée sous le contrôle de l'Autorité palestinienne. Cette zone regroupe les grandes villes palestiniennes, à l'exception de Jérusalem-Est (annexée en 1980) et de Hébron ;
- la zone B (27 % du territoire et 70 % de la population palestinienne) placée sous administration civile palestinienne mais où Israël reste responsable de la sécurité ;
- la zone C (70 % du territoire et 10 % de la population palestinienne) qui reste sous contrôle israélien et où se trouvent l'essentiel des colonies.
Selon les points de vue, les accords de Taba sont vus soit comme la possibilité future d'instaurer un État palestinien ou soit comme un découpage de la Cisjordanie en enclaves mal connectées dans le réseau des colonies israéliennes[60].
En mai 1996, la droite israélienne revient au pouvoir avec la victoire du Likoud aux élections, ce qui ralentit le processus de paix[68]. Néanmoins, le 7 février 1999, Benyamin Netanyahou et Yasser Arafat signent les accords de Wye Plantation qui transfèrent 13 % de la zone C vers les zones B (12 %) et A (1 %) ainsi que 14 % de la zone B vers la zone A en échange de mesures à prendre par les Palestiniens dans la lutte contre le terrorisme[69]. Ehud Barak lui succède en 1999.
Sur les 8 ans entre la signature des accords d'Oslo et le déclenchement de la seconde intifada, la population des colons est passée de 280 000 à 390 000 avec une augmentation principalement en Cisjordanie où elle s'accroit de 70 % (+ 80 000)[52].
Situation des Palestiniens dans la Bande de Gaza
La Bande de Gaza fait 45 km de long et 12,5 km dans sa partie la plus large (au sud-ouest) et 5,5 km dans sa partie la plus étroite (au centre). Environ 50 % de la zone est désertique, 20 % sont affectés aux colonies et 15-20 % voués à la sécurité et à des installations ou des camps militaires[70].
Au moment du déclenchement de la seconde intifada, 125 km2 sur les 360 sont sous contrôle israélien. La zone compte 13 villes, 8 camps de réfugiés et 21 colonies[70]. La population totalise 1 500 000 personnes dont 1 070 000 de réfugiés (~ 71,5 %) et 8 000 colons israéliens (~ 0,5 %). L'armée israélienne y stationne également une brigade[70]. La densité de population est en moyenne de 4 167 personnes au km² et de 74 706 dans les camps de réfugiés. Elle est de 110 personnes au km² dans les colonies[70].
La Bande de Gaza connaît également un grave problème d'approvisionnement en eau : 96 % de la nappe aquifère a été vidée de ses réserves ; elle est également polluée et son taux de salinité est élevé. La consommation en eau des colons s'élève à 584 litres par personne et par jour, soit 7 fois plus que la moyenne de la population palestinienne de Gaza (~ 80 litres par jour) tandis que l'Organisation mondiale de la santé préconise une disponibilité de 100 litres par jour et par personne pour répondre aux besoins de base[71].