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Religion proto-indo-européenne

La religion proto-indo-europĂ©enne dĂ©signe l'ensemble des mythes et divinitĂ©s associĂ©s aux Proto-Indo-EuropĂ©ens, les locuteurs prĂ©sumĂ©s du langage reconstituĂ© indo-europĂ©en. Bien qu'il ne subsiste aucun tĂ©moignage Ă©crit de ce systĂšme de croyance — les Proto-Indo-EuropĂ©ens Ă©taient un peuple sans Ă©criture — les chercheurs en mythologie comparĂ©e ont reconstituĂ© celui-ci grĂące aux similitudes trouvĂ©es au sein des peuples de langue indo-europĂ©enne, en supposant que le systĂšme de croyance proto-indo-europĂ©en aurait survĂ©cu dans les traditions ultĂ©rieures[note 1].

Plusieurs écoles de pensée existent concernant les interprétations possibles de la mythologie proto-indo-européenne reconstruite. La mythologie comparée étudie principalement les mythologies indo-iranienne, balte, romaine et nordique, et en partie les mythologies celtique, grecque, slave, hittite, arménienne, illyrienne, et albanaise.

Panthéon

Le systÚme tripartite, qui caractérise également l'organisation sociale indo-européenne, se retrouve dans le panthéon indo-européen[1] :

  1. La premiĂšre fonction, la fonction de souverainetĂ©, est incarnĂ©e par la caste sacerdotale, chargĂ©e de maintenir l'ordre magico-religieux et lĂ©gal. Les dieux associĂ©s Ă  la fonction souveraine sont souvent prĂ©sentĂ©s par paire, dont chacune des parties reflĂšte un aspect particulier : religieux pour Varuna et Odin, lĂ©gal pour Mitra et TĂœr[1] ;
  2. La deuxiÚme fonction, la fonction militaire, est celle de la caste guerriÚre et se caractérise par l'usage de la force. Cette fonction se reflÚte dans les divinités de la guerre : Indra, Mars et Thor[1] ;
  3. La troisiÚme fonction se caractérise par la fertilité, la subsistance, et est incarnée par la caste des éleveurs-cultivateurs. Les personnages mythiques prennent ici la forme de jumeaux divins, intimement associés aux chevaux, et accompagnés d'une figure féminine, par exemple, les Ashvins et Sarasvati dans la littérature védique, les Dioscures et HélÚne dans la mythologie grecque, Freyr, Freyja et Njörd dans la mythologie nordique[1].

Le Ciel

Le dieu du ciel diurne a Ă©tĂ© reconstituĂ© en indo-europĂ©en commun sous le nom de *Dyēus. Il serait ainsi le dieu patron des Proto-Indo-EuropĂ©ens et la forme primordiale avant la dispersion d'une partie des dieux principaux que l'on retrouve dans les mythologies indo-europĂ©ennes. Le *Dyēus proto-indo-europĂ©en se retrouve en Jupiter, Zeus, Dyaus Pitar et TĂœr, tous d'Ă©tymologie et de fonctions communes. Avec la diffĂ©renciation, leurs rĂŽles auraient Ă©voluĂ©, certains perdant une part de leur fonction souveraine initiale, comme TĂœr.

Dans plusieurs langues indo-européennes, on retrouve le proto-indo-européen commun deywos comme étymologie pour dieux ; dei en latin, deva en sanskrit, dia en vieil irlandais, tívar en vieux norrois[2].

L'Aurore

Eos dans son char survolant la mer, céramique à figures rouges du sud de l'Italie, 430-420 av. J.-C. Collection des Antiquités, Munich.

*Hâ‚‚Ă©wsƍs est la dĂ©esse proto-indo-europĂ©enne reconstituĂ©e de l'Aurore[3] - [4]. Dans trois traditions (vĂ©dique, grecque et balte), elle est la « fille du Ciel » (Dyēus). Dans ces trois panthĂ©ons, ainsi que dans le panthĂ©on italique, la dĂ©esse de l'Aurore est chassĂ©e ou exclue des lieux pour s'ĂȘtre attardĂ©e trop longtemps[5] - [6]. Une Ă©pithĂšte ancienne la dĂ©signe comme « Fille Ciel » (*DÊ°uÇ”h₂tᾗr DiwĂłs)[7]. Elle ouvre les portes du Ciel au moment oĂč la journĂ©e commence[8]. Elle est gĂ©nĂ©ralement dĂ©crite comme immortelle ou renaissant chaque matin[9]. AssociĂ©e avec des vĂȘtements dorĂ©s ou rouges, elle est souvent reprĂ©sentĂ©e en train de danser[10].

Vingt-et-un hymnes du Rig-VĂ©da sont dĂ©diĂ©s Ă  la dĂ©esse de l'aube Ushas et un passage de l'Avesta lui rend hommage. Dans la mythologie grecque, Eos tient une place prĂ©pondĂ©rante. Dans la mythologie romaine, Aurore est l'Ă©quivalente de la dĂ©esse Eos, mais le culte de l'Aurore fut probablement perpĂ©tuĂ© avec celui de Mater Matuta[11]. Les Anglo-Saxons vĂ©nĂ©raient la dĂ©esse Éostre, une divinitĂ© cĂ©lĂ©brĂ©e au moment de l'Ă©quinoxe de printemps, et qui donna son nom Ă  la fĂȘte chrĂ©tienne de PĂąques (Easter en anglais). Le nom ÔstarmĂąnĂŽth en vieux haut allemand indique qu'une dĂ©esse similaire Ă©tait Ă©galement adorĂ©e dans le sud de l'Allemagne. En Lituanie, la dĂ©esse AuĆĄrinė Ă©tait encore rĂ©vĂ©rĂ©e au XVIe siĂšcle[11].

Le Soleil et la Lune

Représentation probable de la déesse hittite du Soleil tenant un enfant dans ses bras, XVe-XIIIe siÚcle av. J.-C.

La dĂ©esse du Soleil (*Seh₂ul) est une dĂ©esse proto-indo-europĂ©enne reconstituĂ©e d'aprĂšs la divinitĂ© grecque HĂ©lios, la figure mythique d'HĂ©lĂšne[12] - [13], le dieu romain Sol, la dĂ©esse celtique Sulis, la dĂ©esse nordique SĂłl, la dĂ©esse germanique Sƍwilƍ, la dĂ©esse hittite Arinna[14], le dieu indo-iranien Hvare-khshaeta[14] et le dieu vĂ©dique SĆ«rya[15].

Le dieu de la Lune (*Meh₁not-) est quant Ă  lui reconstituĂ© d'aprĂšs le dieu nordique MĂĄni, le dieu slave Myesyats[note 2] - [14] et le dieu lituanien MĂ©nuo[15]. Des traces d'une divinitĂ© lunaire sont prĂ©sentes dans le dieu letton Mēness[18], le dieu anatolien (ou phrygien) Men[19] - [18], dans Mene, l'autre nom de la dĂ©esse grecque SĂ©lĂ©nĂ©, et dans la divinitĂ© lunaire zoroastrienne Mah (MĂ„Ć‹ha)[20] - [21] - [22].

Le trajet quotidien de *Seh₂ul dans le ciel sur un char tirĂ© par des chevaux est un motif courant des mythes indo-europĂ©ens[note 3]. Ce motif apparaĂźt probablement aprĂšs l'introduction de la roue dans la steppe pontique au IVe millĂ©naire av. J.-C. Il est donc une addition tardive de la culture proto-indo-europĂ©enne[5].

Bien que la dĂ©esse du Soleil soit reprĂ©sentĂ©e comme une divinitĂ© fĂ©minine indĂ©pendante[24], les Proto-Indo-EuropĂ©ens l'ont Ă©galement vue comme la « lampe de *Dyēus » ou l'« Ɠil de *Dyēus », ce qu'illustrent plusieurs rĂ©fĂ©rences de la littĂ©rature mythique : la « lampe de Dieu » dans la MĂ©dĂ©e d'Euripide, la « chandelle cĂ©leste » dans Beowulf, le « pays de la lampe de Hatti » (la dĂ©esse-soleil d'Arinna) dans une priĂšre hittite[25], HĂ©lios considĂ©rĂ© comme l'Ɠil de Zeus[26] - [27], Hvare-khshaeta comme l'Ɠil d'Ahura Mazda dans le mazdĂ©isme, ou bien le soleil comme « Ɠil de Dieu » dans le folklore roumain[28]. Les noms des dĂ©esses celtiques du soleil Sulis et Grian font probablement allusion Ă  cette association : les mots pour « Ɠil » et « soleil » sont inversĂ©s dans les langues celtiques, comme le nom des dĂ©esses[29].

Les Jumeaux divins

Paire de statuettes romaines du IIIe siÚcle représentant les Dioscures. Metropolitan Museum of Art, New York.

Les Jumeaux divins sont un couple de frĂšres jumeaux existant dans presque tous les panthĂ©ons indo-europĂ©ens et dont le nom signifie gĂ©nĂ©ralement « cheval » (*h₁éឱwos)[30], bien que les noms ne soient pas toujours apparentĂ©s, et qu'aucun nom proto-indo-europĂ©en n'ait pu ĂȘtre reconstituĂ©[30].

Mithra-Varuna

Bien que l'association Ă©tymologique soit jugĂ©e irrecevable[31], certains chercheurs (comme Georges DumĂ©zil[32] et S. K. Sen) ont proposĂ© *Worunos ou *Werunos (le dieu Ă©ponyme du dialogue indo-europĂ©en reconstituĂ© Le Roi et le Dieu) comme le dieu du ciel nocturne et l'Ă©quivalent bienveillant de *Dyēus. Il serait apparentĂ© au dieu grec Ouranos et au dieu vĂ©dique Varuna, et son nom serait tirĂ© de la racine proto-indo-europĂ©enne *woru- (« recouvrir »). Worunos reprĂ©sentait probablement le firmament ou le ciel nocturne. Dans la poĂ©sie grecque et vĂ©dique, Ouranos et Varuna sont dĂ©crits comme « Ă©tendus », bondissant ou saisissant leurs victimes, et possĂ©dant ou incarnant un « siĂšge » cĂ©leste[33]. Dans le modĂšle cosmologique Ă  trois cieux, les phĂ©nomĂšnes cĂ©lestes reliant les cieux nocturne et diurne sont incarnĂ©s par un « dieu-lieur » : le grec Cronos, une divinitĂ© intermĂ©diaire entre Ouranos et Zeus dans la ThĂ©ogonie d'HĂ©siode, le dieu vĂ©dique Savitáč›, associĂ© au lever et au coucher du soleil dans les Vedas, et le dieu romain Saturne[34] - [35].

Les divinités de la nature

La dĂ©esse de la Terre (*DÊ°Ă©Ç”Ê°Ćm) Ă©tait associĂ©e avec la fertilitĂ© et la croissance, mais Ă©galement avec la mort et le lieu de rĂ©sidence des dĂ©funts[36].

Le dieu de l'orage et du tonnerre (*PerkÊ·unos) Ă©tait gĂ©nĂ©ralement reprĂ©sentĂ© avec un marteau ou une arme similaire[5]. Le tonnerre et la foudre avaient une connotation Ă  la fois destructrice et rĂ©gĂ©nĂ©ratrice : un Ă©clair pouvant fendre une pierre ou un arbre, mais s'accompagnant souvent d'une pluie fertile. Cela explique probablement la solide association entre le dieu du tonnerre et le chĂȘne dans certaines traditions (le chĂȘne Ă©tant l'un des arbres les plus denses, il est le plus sujet aux coups de foudre)[5].

Le dieu du feu (*h₁nÌ„gÊ·nis) incarnait les flammes du soleil et de la foudre, les feux de forĂȘt, le foyer domestique et le feu de l'autel sacrificiel[37]. NĂ©anmoins les traces linguistiques de ce dieu sont limitĂ©es aux traditions vĂ©diques et balto-slaves[37] - [38].

Certains chercheurs supposent que *Neptonos ou *H₂epom Nepƍts Ă©tait le dieu indo-europĂ©en des eaux. Son nom signifiait littĂ©ralement « Petit-fils (ou neveu) des Eaux »[39] - [40]. Les linguistes ont reconstituĂ© son nom d'aprĂšs le dieu vĂ©dique Apam Napat, le dieu romain Neptune, et le dieu celtique irlandais Nechtan. Bien qu'il ait Ă©tĂ© solidement attestĂ© dans la religion proto-indo-iranienne, Mallory et Adams contestent l'existence de ce dieu pour des motifs linguistiques[24].

Cosmogonie

Le monde des morts

Yazılıkaya : bas-relief hittite représentant les douze dieux du monde souterrain, XIIIe siÚcle av. J.-C.
Charon accueillant une Ăąme dans sa barque, vers 500-450 av. J.-C.

Le monde des morts est gĂ©nĂ©ralement dĂ©peint comme le pays sans retour[41]. De nombreux mythes indo-europĂ©ens relatent un voyage Ă  travers une riviĂšre, guidĂ© par un vieil homme (*Ç”erh₂ont-), afin d'atteindre le monde des morts[24]. Le rĂ©cit grec des morts transportĂ©s Ă  travers le Styx par Charon est probablement liĂ© Ă  ce mythe, tout comme la traversĂ©e du fleuve pour atteindre les Enfers dans la mythologie celtique[42]. Plusieurs textes vĂ©diques contiennent Ă©galement des rĂ©fĂ©rences Ă  la traversĂ©e d'une riviĂšre (Vaitarna) afin d'atteindre le pays des morts[43] et le mot latin tarentum (« tombe ») signifiait Ă  l'origine « point de passage »[44]. Dans la mythologie nordique, Hermod doit traverser un pont sur la riviĂšre Giöll afin d'atteindre Hel et, dans le folklore letton, les morts doivent traverser un marais[45]. La tradition consistant Ă  poser des piĂšces de monnaie sur les corps des dĂ©funts afin de payer le passeur sont attestĂ©es Ă  la fois dans les pratiques funĂ©raires grecques archaĂŻques et dans les pratiques slaves modernes. Bien que les premiĂšres piĂšces de monnaie datent de l'Ăąge du fer, cette pratique tĂ©moigne d'une tradition ancienne d'offrandes au passeur[46].

Le chien-gardien

HĂ©raclĂšs et CerbĂšre. Face A (faces rouges) d'une amphore attique bilingue, 530-520 av. J.-C.

Dans un motif rĂ©current, le monde des morts contient une porte, gĂ©nĂ©ralement gardĂ©e par un chien Ă  plusieurs tĂȘtes (parfois plusieurs yeux) qui peut Ă©galement servir de guide et s'assurer que ceux qui entrent ne puissent pas sortir[47] - [48]. Le grec CerbĂšre et l'hindou Sharvara dĂ©rivent trĂšs probablement du nom commun *áž°Ă©rberos (« mouchetĂ© »)[24] - [48]. Le chercheur Bruce Lincoln leur associe un mythe d'origine nordique : Garm[49], bien que cela soit considĂ©rĂ© comme linguistiquement intenable[50] - [note 4].

Le motif d'un chien-gardien Ă  l'entrĂ©e du monde des morts est Ă©galement attestĂ© dans la mythologie perse, oĂč deux chiens Ă  quatre yeux gardent le pont de Chinvat, un pont qui marque le seuil entre le monde des vivants et le monde des morts[52] - [53] Le Vendidad les dĂ©crit comme spĂąna pəơu.pĂąna (« deux chiens gardiens de pont »)[54] - [55]. Une image similaire se retrouve dans le vĂ©disme : Yama, le souverain des enfers, possĂšde deux chiens Ă  quatre yeux qui lui servent Ă©galement de messagers[56] et exercent la fonction de protecteurs de l'Ăąme sur le chemin du ciel. Ces chiens, nommĂ©s Shyama (ƚyāma) et Sabala, sont dĂ©crits comme la progĂ©niture de Sarama, une chienne divine : l'un est noir et l'autre mouchetĂ©[57] - [58] - [43].

Le dieu slave Kresnik est Ă©galement associĂ© Ă  un chien Ă  quatre yeux ; une figure similaire (un chien avec des taches blanches ou brunes au-dessus des yeux — donc « Ă  quatre yeux ») est censĂ©e ĂȘtre capable de sentir l'approche de la mort[59].

Dans la mythologie nordique, un chien se tient sur la route de Hel ; il est souvent assimilĂ© Ă  Garm, le chien postĂ© devant l'entrĂ©e de Gnipahellir. Dans le folklore albanais, un chien Ă  trois tĂȘtes qui ne dort jamais est Ă©galement censĂ© vivre dans le monde des morts[47]. Un autre parallĂšle peut ĂȘtre fait avec CĆ”n Annwn (« la meute d'Annwvyn »), crĂ©atures de la mythologie galloise censĂ©es vivre dans Annwvyn, le monde des morts gallois[52]. Ils sont dĂ©crits comme des chiens infernaux ou spectraux participant Ă  la « chasse fantastique », pourchassant les morts et poursuivant les Ăąmes des hommes[60] - [61] - [62].

Des restes de chiens trouvĂ©s dans les tombes de la culture de Wielbark[63] et des sĂ©pultures de chiens chez les Slaves de PomĂ©ranie pendant le Haut Moyen Âge[64] suggĂšrent que cette croyance est trĂšs ancienne. Une autre sĂ©pulture de chien Ă  GĂłra CheƂmska et une lĂ©gende de PomĂ©ranie Ă  propos d'une figure canine associĂ©e au monde des morts semblent confirmer l'existence de ce motif dans la tradition slave[65].

Eschatologie

Plusieurs traditions rĂ©vĂšlent des traces d'un mythe eschatologique proto-indo-europĂ©en qui dĂ©crit la fin du monde Ă  la suite d'une bataille cataclysmique[66]. Le rĂ©cit commence lorsqu'un archidĂ©mon, gĂ©nĂ©ralement issu d'une lignĂ©e paternelle diffĂ©rente et hostile, prĂ©tend Ă  une position d'autoritĂ© au sein de la communautĂ© des dieux ou des hĂ©ros (le norrois Loki, le romain Tarquin le Superbe, l'irlandais Bres). Les sujets sont traitĂ©s de maniĂšre injuste par le nouveau souverain, et sont contraints d'Ă©riger des fortifications tandis que l'archidĂ©mon favorise plutĂŽt les Ă©trangers, sur lesquels repose son soutien. AprĂšs un acte particuliĂšrement odieux, l'archidĂ©mon est banni par ses sujets et se rĂ©fugie chez ses parents Ă©trangers[67]. Un nouveau chef (le norrois VĂ­Ă°arr, le romain Lucius Junius Brutus, l'irlandais Lug), connu comme le « silencieux » et gĂ©nĂ©ralement le neveu ou le petit-fils (*nĂ©pƍt) de l'archidĂ©mon exilĂ©, surgit alors et les deux forces s'affrontent dans une bataille cataclysmique. Le mythe s'achĂšve par l'interruption de l'ordre cosmique et la conclusion d'un cycle temporel[68]. Dans les traditions nordiques et iraniennes, un « hiver cosmique » cataclysmique prĂ©cĂšde la bataille finale[69] - [68].

Mythes indo-européens

La lutte contre le serpent

Le dieu hittite Tarhu, suivi par son fils Sarruma, tue le dragon Illuyanka. Musée des civilisations anatoliennes, Ankara (Turquie), 850-800 av. J.-C.
Vase grec dépeignant HéraclÚs terrassant l'Hydre de Lerne, vers 375-340 av. J.-C.
L'oiseau (le Christ) victorieux du serpent (Satan), Apocalypse de Saint-Sever, XIe siĂšcle.

Un mythe commun Ă  presque toutes les mythologies indo-europĂ©ennes est le combat opposant un hĂ©ros ou un dieu Ă  un serpent ou un dragon[70] - [71] - [72]. Bien que les dĂ©tails de l'histoire varient parfois considĂ©rablement, plusieurs caractĂ©ristiques restent les mĂȘmes dans toutes les versions. Le protagoniste de l'histoire est gĂ©nĂ©ralement un dieu du tonnerre, ou un hĂ©ros associĂ© d'une maniĂšre ou d'une autre au tonnerre[73]. Son ennemi, le serpent, est gĂ©nĂ©ralement associĂ© Ă  l'eau et possĂšde plusieurs tĂȘtes, ou est « multiple » d'une autre maniĂšre[72].

Les mythes indo-europĂ©ens dĂ©crivent souvent la crĂ©ature comme un « rĂ©tenteur des eaux », et ses nombreuses tĂȘtes finissent par ĂȘtre tranchĂ©es par le dieu du tonnerre dans une bataille Ă©pique, libĂ©rant des torrents d'eau auparavant refoulĂ©s[74]. La lĂ©gende originale a peut-ĂȘtre symbolisĂ© le Chaoskampf, un affrontement entre les forces de l'ordre et les forces du chaos[75]. Le dragon ou le serpent est vaincu dans toutes les versions de l'histoire, bien que dans certaines mythologies, comme le mythe nordique du Ragnarök, le hĂ©ros ou le dieu meurt avec son ennemi au cours de la confrontation[76]. L'historien Bruce Lincoln considĂšre que le conte de meurtre de dragon et le mythe de *Trito tuant le serpent NgÊ·hi appartiennent tous deux au mĂȘme rĂ©cit originel[77] - [78].

Dans la mythologie hittite, le dieu de la tempĂȘte Tarhunt tue le serpent gĂ©ant Illuyanka[79], tout comme le dieu vĂ©dique Indra tue le serpent Ă  plusieurs tĂȘtes Vritra, qui avait provoquĂ© une sĂ©cheresse en rĂ©tenant les eaux cĂ©lestes[74] - [80]. Plusieurs variantes de la mĂȘme histoire se retrouvent dans la mythologie grecque[81]. Le motif original apparaĂźt hĂ©ritĂ© du rĂ©cit de Zeus tuant le Typhon Ă  cent tĂȘtes, tel que relatĂ© par HĂ©siode dans la ThĂ©ogonie[71][82], et peut-ĂȘtre dans le mythe d'HĂ©raclĂšs tuant l'Hydre de Lerne, ou dans la lĂ©gende de Apollon terrassant le serpent monstrueux Python[71] - [83]. Le rĂ©cit du vol par HĂ©raclĂšs des bƓufs de GĂ©ryon est aussi probablement liĂ©[71]. Bien qu'il ne soit pas considĂ©rĂ© gĂ©nĂ©ralement comme une divinitĂ© de l'orage, HĂ©raclĂšs possĂšde de nombreux attributs des divinitĂ©s indo-europĂ©ennes de l'orage, notamment la force physique et une tendance Ă  la violence et la gourmandise[71] - [84].

Le mĂȘme motif apparaĂźt dans la mythologie germanique[85]. Thor, le dieu du tonnerre, tue le serpent gĂ©ant Jörmungandr qui vit dans les eaux entourant le royaume de Midgard[86] - [87]. Dans la Völsunga saga, Siegfried (SigurĂ°r) tue le dragon FĂĄfnir et, dans Beowulf, le hĂ©ros affronte Ă©galement un dragon[88]. Dans les lĂ©gendes germaniques, la reprĂ©sentation de dragons gardant un trĂ©sor est peut-ĂȘtre Ă©galement un reflet du mythe originel du serpent rĂ©tenteur des eaux[89].

Dans le zoroastrisme et dans la mythologie perse, Fereydoun (et plus tard Garchasp) tue le serpent Zahhak. Dans la mythologie albanaise, les drangĂče, figures divines semi-humaines associĂ©es au tonnerre, tuent les kulshedra, d'Ă©normes serpents cracheurs de feu Ă  plusieurs tĂȘtes associĂ©s Ă  l'eau et aux tempĂȘtes. Dans la mythologie slave, le dieu de l'orage et des tempĂȘtes PĂ©roun tue son ennemi le dieu-dragon VĂ©lĂšs, tout comme le hĂ©ros bogatyr Dobrynia Nikititch tue Zmey, le dragon Ă  trois tĂȘtes. Le dieu armĂ©nien Vahagn fauche Ă©galement le dragon Vishap, le hĂ©ros roumain Făt-Frumos Ă©limine le monstre Zmeu, et le dieu-mĂ©decin celte Diancecht exĂ©cute le serpent Meichi[75].

Dans le shintoĂŻsme, oĂč l'influence indo-europĂ©enne est visible dans la mythologie Ă  travers le vĂ©disme, le dieu des tempĂȘtes Susanoo tue le dragon Ă  huit tĂȘtes Yamata-no-Orochi[90].

La guerre de fondation

Un mythe indo-europĂ©en supposĂ© dĂ©crit une guerre de fondation, un conflit opposant les deux premiĂšres fonctions (les prĂȘtres et les guerriers) Ă  la troisiĂšme (la fonction productrice), qui font finalement la paix et dĂ©cident de former une sociĂ©tĂ© parfaitement intĂ©grĂ©e[91]. La Saga des Ynglingar raconte la guerre entre les Ases (commandĂ©s par Odin et Thor) et les Vanes (commandĂ©s par Freyr, Freyja and Njörd) qui s'achĂšve par l'installation des Vanes dans la communautĂ© des Ases. Peu aprĂšs la fondation mythique de Rome, Romulus affronte ses riches voisins, les Sabins, puis ordonne l'enlĂšvement de leurs femmes avant de les incorporer au sein des tribus fondatrices de Rome[92]. Dans la mythologie vĂ©dique, les Ashvins (reprĂ©sentant la troisiĂšme fonction en tant que jumeaux divins) sont empĂȘchĂ©s d'accĂ©der au cercle cĂ©leste du pouvoir par Indra (reprĂ©sentant la deuxiĂšme fonction), mais parviennent finalement Ă  forcer le passage[93] - [92]. La guerre de Troie a Ă©galement Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme une version alternative de ce mythe, l'opulente ville de Troie reprĂ©sentant la troisiĂšme fonction, et la coalition grecque les deux premiĂšres[92].

Rites

La religion proto-indo-europĂ©enne Ă©tait axĂ©e sur les sacrifices de bĂ©tail et de chevaux, probablement exĂ©cutĂ©s par une classe de prĂȘtres ou de chamans. Les animaux Ă©taient abattus (*gÊ·Ê°nÌ„tĂłs) et consacrĂ©s aux dieux (*deywáč“s) dans l'espoir de gagner leur faveur[94]. Des traces archĂ©ologiques de sacrifices d'animaux domestiques ont Ă©tĂ© trouvĂ©es au sein de la culture de Khvalynsk, une culture associĂ©e Ă  la langue archaĂŻque proto-indo-europĂ©enne[95].

La cosmologie reconstituĂ©e des Proto-Indo-EuropĂ©ens montre que le sacrifice rituel du bĂ©tail, bovin en particulier, Ă©tait Ă  la racine de leurs croyances, et une condition primordiale de l'ordre du monde[96] - [95]. Le mythe de *Trito, le premier guerrier, raconte la libĂ©ration d'un bĂ©tail volĂ© par une entitĂ© Ă  trois tĂȘtes nommĂ©e *NgÊ·Ê°i. AprĂšs avoir rĂ©cupĂ©rĂ© le butin, *Trito finit par offrir le bĂ©tail Ă  un prĂȘtre afin d'assurer la continuitĂ© du cycle du don entre les dieux et les humains[97]. Le mot *h₁óitos (« serment »), dĂ©rive du verbe *h₁ey- (« aller »), d'aprĂšs la pratique consistant Ă  marcher entre les animaux abattus lors de la prestation d'un serment[98].

Les Proto-Indo-EuropĂ©ens semblent avoir connu une tradition sacrĂ©e de sacrifice du cheval, rĂ©alisĂ© pour le renouvellement de la royautĂ© et impliquant l'accouplement rituel d'une reine ou d'un roi avec un cheval, ensuite sacrifiĂ© et dĂ©coupĂ© pour ĂȘtre distribuĂ© aux autres participants[99] - [78]. Lors du rite romain October equus et du rite vĂ©dique Ashvamedha, le sacrifice du cheval est effectuĂ© au profit de la classe guerriĂšre ou d'une divinitĂ© guerriĂšre, et les morceaux dĂ©membrĂ©s de l'animal sont ensuite distribuĂ©s. Un rite similaire se retrouve dans une tradition irlandaise mĂ©diĂ©vale impliquant un prĂ©tendant au royaume du comtĂ© de Donegal copulant avec une jument avant de se baigner avec les membres de l'animal sacrifiĂ©[78] - [99]. Le rituel vĂ©dique impliquait Ă©galement le mariage symbolique de la reine avec l'Ă©talon immolĂ©[100]. Par ailleurs, si les lois hittites interdisaient la copulation avec les animaux, elles faisaient une exception pour les chevaux et les mulets[99]. Dans les traditions celtiques et vĂ©diques, un breuvage enivrant avait une fonction dans le rituel, et le suffixe dans aƛva-medhĂĄ pourrait ĂȘtre liĂ© au verbe indo-aryen mad- (« se rĂ©jouir, s'enivrer »)[101]. Jaan Puhvel a Ă©galement comparĂ© le nom vĂ©dique de cette tradition avec le dieu gaulois Epomeduos, le « maĂźtre des chevaux »[102] - [103].

Notes et références

Notes

  1. West 2007, p. 2: "If there was an Indo-European language, it follows that there was a people who spoke it: not a people in the sense of a nation, for they may never have formed a political unity, and not a people in any racial sense, for they may have been as genetically mixed as any modern population defined by language. If our language is a descendant of theirs, that does not make them ‘our ancestors’, any more than the ancient Romans are the ancestors of the French, the Romanians, and the Brazilians. The Indo-Europeans were a people in the sense of a linguistic community. We should probably think of them as a loose network of clans and tribes, inhabiting a coherent territory of limited size. (...) A language embodies certain concepts and values, and a common language implies some degree of common intellectual heritage." — « S'il y avait une langue indo-europĂ©enne, il s'ensuit qu'il y avait un peuple qui la parlait : pas un peuple au sens de nation, car ils n'ont peut-ĂȘtre jamais formĂ© d'unitĂ© politique, et pas un peuple au sens racial, car ils ont peut-ĂȘtre Ă©tĂ© mĂ©langĂ©s gĂ©nĂ©tiquement comme n'importe quelle population moderne dĂ©finie par la langue. Si notre langue est une descendante de la leur, cela ne fait pas d'eux « nos ancĂȘtres », pas plus que les anciens Romains ne sont les ancĂȘtres des Français, des Roumains et des BrĂ©siliens. Les Indo-EuropĂ©ens Ă©taient un peuple au sens d'une communautĂ© linguistique. Nous devrions probablement les considĂ©rer comme un vague rĂ©seau de clans et de tribus, habitant un territoire homogĂšne de taille limitĂ©e. (...) Une langue incarne certains concepts et valeurs, et une langue commune implique un certain degrĂ© d'hĂ©ritage intellectuel commun. »
  2. Dans la mythologie ukrainienne, comme dans la tradition balte, la lune, Myesyats, est un dieu masculin[16] marié à la déesse du soleil[17]
  3. Dans le mĂȘme registre, le rĂ©cit perse du Bundahishn raconte que le crĂ©ateur du monde Ohrmazd a donnĂ© au soleil des « chevaux vĂ©loces »[23]
  4. Le nom Garm apparaßt également dans le composé Managarmr (« chien de la lune »), un autre nom pour Hati, le loup poursuivant la lune dans la mythologie nordique [51]

Références

  1. Mallory 1989, p. 132.
  2. Reconstruction du proto-indo-européen deywos.
  3. Mallory et Adams 2006, p. 410, 432.
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Annexes

Bibliographie

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Articles connexes

Liens externes

  • Romain Garnier et Xavier Delamarre (dir.), Wekwos Revue d'Ă©tudes indo-europĂ©ennes, revue internationale de linguistique, de grammaire comparĂ©e et d'histoire des religions. Éditeurs : Actes Sud, puis Les Cent chemins et .
  • (en) Ranko Matasović, « A reader in comparative indo-european religion », [PDF]
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