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RĂ©action alcali-granulat

Les rĂ©actions alcali-granulat (aussi connues sur l'acronyme RAG) constituent une famille de rĂ©actions de dĂ©gradation endogĂšnes aux bĂ©tons. Ces rĂ©actions ont lieu entre les ions hydroxyles (OH−) accompagnĂ©s (en raison de l'Ă©lectro-neutralitĂ© des solutions aqueuses) par les ions alcalins solubles (Na+, K+) prĂ©sents dans la solution interstitielle du bĂ©ton (principalement ions sodium et potassium) et les granulats. Elles conduisent au gonflement et Ă  la fissuration des bĂ©tons affectĂ©s[1] ainsi qu'Ă  une diminution des propriĂ©tĂ©s mĂ©caniques du bĂ©ton (rĂ©sistance Ă  la compression, Ă  la traction, Ă  la flexion, et modification du module de Young) rĂ©duisant ainsi la durĂ©e de vie des ouvrages affectĂ©s.

Surface d'un pilier de béton présentant les signes caractéristiques de faïençage de la réaction alcali-silice (RAS). Le gel alcalin liquide exsudé le long des fissures (bavures grasses trÚs reconnaissables) est trÚs souvent de couleur jaune ou ambrée et possÚde un pH élevé.

Ces réactions ont lieu sous trois conditions :

  • rĂ©activitĂ© des granulats ;
  • prĂ©sence en quantitĂ©s suffisantes d'ions hydroxydes et de cations alcalins en solution interstitielle ;
  • taux d'humiditĂ© interne du bĂ©ton suffisant.

Cette famille de réactions est composée de 3 réactions :

  • la rĂ©action alcali-silice (principale responsable de la RAG) ;
  • la rĂ©action alcali-silicate (si le bĂ©ton est souillĂ© par de la terre ou des argiles) ;
  • la rĂ©action alcali-carbonate (beaucoup moins frĂ©quente et impliquant la dolomie).

Types de réactions alcali-granulat

RĂ©action alcali-silice

Les granulats, quand ils contiennent une quantitĂ© suffisante de silice y sont vulnĂ©rables : la silice amorphe ou mal cristallisĂ©e (opale, calcĂ©doine, chert
) est la plus altĂ©rable et rĂ©agit avec les ions hydroxyles (OH−) de la solution interstitielle hyperalcaline (dominĂ©e par KOH et NaOH, pH = 13.5) contenue dans la porositĂ© de la pĂąte de ciment durcie.

La dissolution de la silice (SiO2) en conditions trÚs basiques peut s'écrire schématiquement de la façon suivante dans l'ancien systÚme de notation industrielle utilisé pour représenter l'acide silicique et les silicates:

SiO2 + H2O → H2SiO3
H2SiO3 + 2 NaOH → Na2SiO3 + 2 H2O

Globalement, la réaction de dissolution de la silice par l'hydroxyde de sodium peut s'écrire comme suit:

SiO2 + 2 NaOH → Na2SiO3 + H2O

Si le NaOH est en défaut par rapport à la silice et en ne considérant que la premiÚre réaction de dissociation de l'acide métasilicique (H2SiO3), la réaction peut également s'écrire comme suit avec un rapport atomique Na/Si = 1 et non de 2 comme dans l'équation correspondante plus haut :

SiO2 + NaOH → NaHSiO3

Il convient toutefois de noter que cet ancien formalisme de notation chimique des silicates, quoique prĂ©sentant l'avantage de la simplicitĂ© d'Ă©criture et d'une similitude avec celle de l'acide carbonique et des carbonates est en fait incorrect car ni l'acide mĂ©tasilicique (H2SiO3), ni l'anion mĂ©tasilicate (SiO32−) n'ont jamais Ă©tĂ© observĂ©s ou identifiĂ©s en solution aqueuse, parce que ces espĂšces sont instables et continuent leur hydratation. En effet, contrairement Ă  l'hydratation du CO2 qui ne consomme qu'une seule molĂ©cule d'eau et s'arrĂȘte Ă  H2CO3, l'hydratation de SiO2 consomme deux molĂ©cules d'eau et continue une Ă©tape plus loin pour aboutir Ă  la molĂ©cule de H4SiO4. La diffĂ©rence de comportement d'hydratation entre le CO2 et le SiO2 s'explique par des raisons thermodynamiques et d'Ă©nergie de liaison ou d'encombrement stĂ©rique autour de l'atome central de la molĂ©cule. De ce point de vue, le systĂšme de notation utilisĂ© actuellement en gĂ©ochimie est plus correct. L'acide silicique y est notĂ© sous la forme de H4SiO4 ou Si(OH)4 et l'anion silicate de sa premiĂšre base conjuguĂ©e comme H3SiO4− ou Si(OH)3O−. Toutefois, par souci de simplicitĂ© d'Ă©criture, l'ancien systĂšme de notation des silicates est utilisĂ© ci-aprĂšs afin d'apprĂ©hender plus facilement une sĂ©rie de rĂ©actions chimiques avec de multiples interactions souvent complexes. À dĂ©faut de correspondre exactement Ă  la rĂ©alitĂ© beaucoup plus compliquĂ©e, il reste cependant utile pour Ă©tablir des bilans de masse. La rĂ©action de dissolution de la silice conduit Ă  la formation de silicate de sodium et de potassium au dĂ©triment de la durĂ©e de vie du bĂ©ton en provoquant « un gonflement du bĂ©ton dĂ» Ă  une fissuration microscopique sous pression de produits de rĂ©action qui sont des gels gonflant par absorption d’eau. Si le bĂ©ton est chargĂ©, la fissuration microscopique se dĂ©veloppe en fonction du chargement local du bĂ©ton, ce qui induit une anisotropie de comportement et de dĂ©formation du bĂ©ton »[2]. La cinĂ©tique de l'attaque est contrĂŽlĂ©e par un ensemble de paramĂštres tels que le pH, l'alcalinitĂ© (concentration en ions OH−), la concentration en ions calcium (Ca2+), la nature plus ou moins amorphe ou cristalline de la structure du granulat SiO2, etc.

Les ponts siloxanes ≡Si–O–Si≡ de la structure polymĂ©rique de la silice colloĂŻdale solide sont hydrolysĂ©s et des groupements de surface silanols ≡Si–O− (dĂ©protonĂ©s en conditions basiques) sont crĂ©Ă©s. Les charges Ă©lectriques nĂ©gatives des groupes silanols sont contrebalancĂ©es par les charges positives des cations K+ et Na+. Le nouveau composĂ© produit est un gel fortement hydrophile qui gonfle en prĂ©sence d'eau. Les produits que l'on nomme "gels" sont Ă©galement appelĂ©s K-C-S-H, N-C-S-H et C-S-H (notĂ©s ici avec des tirets pour souligner la non-stƓchiomĂ©trie des composĂ©s) selon la notation de la chimie du ciment. Il s'agit de phases hydratĂ©es polymĂ©riques composĂ©es de potassium (K, pour K2O), de sodium (N, pour Na2O), de calcium (C, pour CaO), de silicate (S, pour SiO2) et d'eau (H, pour H2O).

Hydrolyse et dissolution du réseau de SiO2

Surface de la silice anhydre et hydratée: voir aussi l'hydratation de la surface de l'électrode de verre utilisée pour la mesure du pH en potentiométrie.

La surface de la silice solide (SiO2) en contact avec l'eau est recouverte de liaisons siloxane (≡Si–O–Si≡) et de groupes silanol (≡Si–OH) sensibles à une attaque alcaline par les ions OH−.

Les liaisons siloxanes peuvent subir des réactions d'hydrolyse et de condensation comme représenté schématiquement ci-aprÚs :

Lien siloxane entre deux atomes de silicium.
Lien siloxane entre deux atomes de silicium.
≡Si–O–Si≡ + H2O ↔ ≡Si–OH + HO–Si≡
=Si=O + H2O ↔ =Si(–OH)2
Formule chimique d'un groupe silanol
Formule chimique d'un groupe silanol

D'autre part, les groupes silanol peuvent également subir une protonation/déprotonation, comme dans le cas de l'autoprotolyse de l'eau :

≡Si–OH ↔ ≡Si–O− + H+

Si l'on augmente la concentration en anion hydroxyde (OH−) en solution (ajout de NaOH et accroissement du pH), ces Ă©quilibres peuvent ĂȘtre dĂ©placĂ©s vers le cĂŽtĂ© droit de la rĂ©action et entraĂźner la dissolution de la silice.

L'hydrolyse alcaline des liaisons siloxanes se produit par substitution nuclĂ©ophile de OH− sur un atome de silicium, tandis qu'un autre groupe −O–Si≡ (groupe sortant) doit s'en aller pour prĂ©server le caractĂšre tĂ©travalent de l'atome de Si :

≡Si–O–Si≡ + OH− → ≡Si–OH + −O–Si≡
=Si=O + OH− → =Si(OH)O−

DĂ©protonation des groupes silanol :

≡Si–OH + OH− → ≡Si–O− + H2O

Mécanisme de la réaction alcali-silice

Les granulats rĂ©actifs de SiO2 amorphe gonflent Ă  la suite de leur attaque par les hydroxydes alcalins prĂ©sents dans le bĂ©ton (KOH et NaOH) produisant un gel hygroscopique de silicate de sodium et de potassium. Si l’on considĂšre le seul cas du silicate de sodium (Na2SiO3·n H2O) afin de simplifier le systĂšme, le principe fondamental de la rĂ©action chimique alcali-silice peut s’écrire schĂ©matiquement de la façon suivante dans l'ancienne notation industrielle des silicates (par analogie avec le comportement chimique de l'anion carbonate):

SiO2 + 2 NaOH → Na2SiO3 · H2O

Il s’agit de la dissolution en conditions hyper-alcalines (pH ≄ 13.5) de la silice hydratĂ©e (acide silicique, suivant la notation choisie: H2SiO3, H4SiO4 ou Si(OH)4) contenue dans le granulat. Ce sont les ions hydroxydes (OH−) responsables du haut pH en solution qui sont les principaux agents responsables de la rĂ©action alcali-granulats, car il s'agit bien ici d'une rĂ©action acide-base (Ă©change de protons H+) entre l'acide silicique et les ions OH−. Les anions hydroxydes hydrolysent donc en tout premier lieu le rĂ©seau de la silice amorphe et la dissolvent. Sans eux, la rĂ©action de dissolution de la silice ne serait pas possible : il faut un haut pH (donc des conditions trĂšs basiques) pour dissoudre la silice ou le verre. Le rĂŽle des cations alcalins (Na+ et K+) solubles et mobiles qui accompagnent les OH− (Ă©lectro-neutralitĂ©) est toutefois nettement moins bien compris : en effet, les ions Li+ ayant un trĂšs petit rayon ionique Ă  l'Ă©tat nu et Ă©tant donc trĂšs hydratĂ©s sont connus depuis les travaux de McCoy et Caldwell (1951)[3] pour inhiber la rĂ©action alcali-silice, mais ce mĂ©canisme reste encore mal connu et fait toujours l'objet de dĂ©bats. La double couche Ă©lectrique (electrical double layer, EDL)[4] des gels de silice ainsi que les phĂ©nomĂšnes osmotiques jouent vraisemblablement un rĂŽle important dans la rĂ©action alcali-silice, mais l'interaction de l'ion lithium avec ces processus reste mal comprise.

Étant hydratĂ©s, les cations alcalins contribuent probablement aussi Ă  retenir l'eau dans le gel de silice soluble obtenu. Le silicate de sodium produit est donc trĂšs hygroscopique, tout comme le silica gel d'ailleurs souvent utilisĂ© comme agent de dessiccation. Le silicate de sodium attire Ă  lui les molĂ©cules d’eau pour lesquelles il prĂ©sente une grande affinitĂ© et s’hydrate fortement suivant la rĂ©action suivante:

Na2SiO3 · H2O + n H2O → Na2SiO3 · (n+1) H2O

La rĂ©action d'hydratation du silicate de sodium s'accompagne Ă©galement de gonflement et provoque une augmentation de volume importante. Le silicate de sodium gonfle donc au cours de son hydratation et commence par remplir la porositĂ© libre au sein du granulat. Quand celle-ci est complĂštement remplie, le silicate de sodium continue Ă  s'expanser et Ă  migrer au sein du granulat en raison du gradient chimique (diffusion, loi de Fick) auquel vient s’ajouter son expulsion hydraulique (advection, loi de Darcy) Ă  la suite de l’élĂ©vation de la pression interne au sein du granulat. La viscositĂ© Ă©levĂ©e du silicate de sodium hydratĂ© entrave encore son transport au sein du granulat accroissant d’autant la pression hydraulique qui y rĂšgne. La matrice du granulat est alors mise en tension et l’effort de traction en rĂ©sultant conduit finalement Ă  la fissuration du granulat. Les granulats peuvent ainsi se fissurer de part en part[5].

Un autre phĂ©nomĂšne contribue aussi Ă  la fissuration des granulats: ceux-ci se recouvrent progressivement d’une pellicule impermĂ©able de silicate de calcium hydratĂ© (CaSiO3 · n H2O, Ă©galement notĂ© C-S-H en abrĂ©gĂ©) qui empĂȘche Ă©galement le silicate de sodium hydratĂ© de sortir du granulat. Cette pellicule se forme lentement Ă  la suite de la rĂ©action du silicate de sodium avec les ions calcium relĂąchĂ©s par les grains de portlandite (Ca(OH)2) prĂ©sents dans la pĂąte de ciment durcie. Il se produit alors un Ă©change entre les ions calcium et sodium des deux rĂ©actifs suivi de la prĂ©cipitation de C-S-H moins solubles suivant la rĂ©action suivante:

Na2SiO3 · n H2O + Ca(OH)2 → CaSiO3 · n H2O + 2 NaOH

On notera Ă©galement que cette rĂ©action produit deux "molĂ©cules" d'hydroxyde de sodium (NaOH) soluble qui contribueront Ă  leur tour Ă  dissoudre la silice amorphe du granulat rĂ©actif. La boucle est bouclĂ©e et la rĂ©action alcali silice continue Ă  la façon d’un catalyseur (rĂ©gĂ©nĂ©ration permanente d’un des rĂ©actifs au sein du systĂšme). Elle ne s’arrĂȘtera que faute de combattants quand toute la silice rĂ©active aura Ă©tĂ© consommĂ©e ou que la portlandite aura complĂštement disparu. Tel que le font remarquer Wang et Gillott (1991)[6] la principale rĂ©serve d’ions hydroxyles (OH−) dans la pĂąte de ciment durcie se trouve stockĂ©e en phase solide dans la portlandite relativement soluble (de l’ordre de 1.5 g Ca(OH)2 /L de solution Ă  pH = 12.5, mais cette valeur est plus faible Ă  pH plus Ă©levĂ© par effet d’ions communs faisant rĂ©gresser l’équilibre de dissolution de la portlandite)

Lorsque le silicate de calcium hydratĂ© colmate presque toute la porositĂ© Ă  la surface du granulat en contact avec la pĂąte de ciment durcie, on observe alors en lame mince au microscope optique un rebord continu autour du granulat. Cette membrane semi-permĂ©able de C-S-H laisse passer plus facilement les ions Na+ et OH− entrant par diffusion dans le granulat sous l’effet du gradient chimique que le silicate de sodium hydratĂ© sortant dont la viscositĂ© entrave le transport. Cette membrane se comporte comme une sorte de “coquille” impermĂ©able au silicate de sodium hydratĂ© l’empĂȘchant de migrer en dehors du granulat. L’augmentation de la pression hydraulique exercĂ©e par le gonflement du silicate de sodium confinĂ© au sein du granulat conduit finalement Ă  la fissuration de ce dernier[7].

Quand tout le gel N-S-H (N pour sodium, natrium) a été converti en C-S-H aprÚs consommation du calcium de la portlandite présente dans le systÚme, la réaction alcali-silice totalement aboutie dans le béton s'apparente plus ou moins à la réaction pouzzolanique du ciment des romains:

SiO2 + Ca(OH)2 + n H2O → CaSiO3 · (n+1) H2O

En effet, dans la réaction pouzzolanique, le verre de silice d'origine volcanique (obsidienne, pierre ponce) réagit avec la chaux éteinte pour donner un liant hydraulique.

La réaction alcali-silice diffÚre cependant de la réaction pouzzolanique par le fait qu'elle est constamment catalysée par la présence de NaOH et de KOH dans le béton. En cela, elle ressemble également à la réaction de la chaux sodée avec le CO2 de l'air. Le NaOH y joue également le rÎle de catalyseur et sert à améliorer la vitesse et l'efficacité de la réaction de piégeage du CO2.

Un des moyens pour éviter, ou minimiser, la réaction alcali-silice en présence de granulats potentiellement réactifs est de veiller à maintenir la concentration en NaOH et KOH (les agents catalyseurs de la réaction) dans l'eau interstitielle aussi basse que possible. En général, les normes pour les ciments Portland (CEM I) à faible alcalinité (Low Alkalinity, LA) prescrivent moins de 0.6 % en poids de Na2O équivalent (par rapport au poids du ciment).

Analogie avec la carbonatation de la chaux sodée et du béton

Le mĂ©canisme de la rĂ©action alcali-silice catalysĂ©e par une base forte soluble comme NaOH ou KOH en prĂ©sence de Ca(OH)2 (tampon d'alcalinitĂ© prĂ©sent dans la phase solide) peut ĂȘtre comparĂ© au processus de carbonatation de la chaux sodĂ©e.

(1) CO2 + 2 NaOH → Na2CO3 + H2O (piĂ©geage du CO2 par le NaOH soluble)
(2) Na2CO3 + Ca(OH)2 → CaCO3 + 2 NaOH (rĂ©gĂ©nĂ©ration du NaOH aprĂšs rĂ©action avec la chaux)
(1+2) CO2 + Ca(OH)2 → CaCO3 + H2O (rĂ©action globale)

En présence d'eau ou simplement d'humidité ambiante, les bases fortes, NaOH ou KOH, se dissolvent facilement dans leur eau d'hydratation (substances hygroscopiques, phénomÚne de déliquescence) et cela facilite grandement le processus de catalyse car la réaction en solution aqueuse se produit beaucoup plus rapidement que dans la phase solide sÚche. Le NaOH humide imprÚgne la surface et la porosité des grains d'hydroxyde de calcium à haute surface spécifique. La chaux sodée est couramment utilisée dans les appareils recycleurs en plongée en circuit fermé et dans les systÚmes d'anesthésie pour capter le CO2 rejeté par la respiration.

Le mĂȘme effet catalytique par les hydroxydes alcalins (en fonction de la teneur en Na2Oeq du ciment) contribue Ă©galement Ă  la carbonatation de la portlandite par le CO2 atmosphĂ©rique dans les bĂ©tons bien que la vitesse de propagation du front de rĂ©action y soit surtout limitĂ©e par le transport diffusif du CO2 au sein de la matrice de bĂ©ton de porositĂ© moindre[8].

La rĂ©action de carbonatation de la chaux sodĂ©e peut ĂȘtre directement traduite dans l'ancienne notation industrielle des silicates (en rĂ©fĂ©rence Ă  l'acide mĂ©tasilicique, H2SiO3, jamais observĂ©) simplement en remplaçant un atome de C par un atome de Si dans les Ă©quations de bilan de masse (c'est-Ă -dire en remplaçant le CO2 par du SiO2 et les anions carbonate par des anions mĂ©tasilicate). On obtient ainsi l'ensemble de rĂ©actions suivantes, que l'on rencontre aussi couramment dans la littĂ©rature, pour dĂ©crire schĂ©matiquement la rĂ©gĂ©nĂ©ration continue du NaOH dans la rĂ©action alcali-silice:

(1) SiO2 + 2 NaOH → Na2SiO3 + H2O (SiO2 rapidement dissous par le NaOH hygroscopique)
(2) Na2SiO3 + Ca(OH)2 → CaSiO3 + 2 NaOH (rĂ©gĂ©nĂ©ration du NaOH aprĂšs rĂ©action avec la portlandite)
(1+2) SiO2 + Ca(OH)2 → CaSiO3 + H2O (rĂ©action globale ressemblant Ă  la rĂ©action pouzzolanique)

Si le NaOH est en net dĂ©faut dans le systĂšme considĂ©rĂ© (chaux sodĂ©e ou rĂ©action alcali-silice), il est formellement possible d'Ă©crire les mĂȘmes jeux de rĂ©action en remplaçant simplement les anions CO32− par des HCO3− et les SiO32− par des HSiO3−, le principe de la catalyse restant le mĂȘme.

Évolution et vieillissement des gels alcalins de silice

Exsudations de gel alcalin liquide à la surface du béton: tùches grasses baveuses trÚs typiques de couleur jaune foncé imprégnant la porosité du béton le long des fissures. En se solidifiant, le gel laisse une protubérance en saillie le long de la fissure.

Le processus de transformation progressive du gel de silice alcalin liquide prĂ©sent dans les exsudats des granulats du bĂ©ton en produits solides moins solubles (que l'on retrouve couramment dans les pĂątes de gel ou dans des efflorescences) peut ĂȘtre considĂ©rĂ© en quatre Ă©tapes successives[6].

1. Dissolution du SiO2 et formation de gel alcalin liquide et hygroscopique

2 NaOH + SiO2 → Na2SiO3 · H2O
Na2SiO3 · H2O + n H2O → Na2SiO3 · (n+1) H2O

La rĂ©action d'hydratation du gel alcalin fraĂźchement formĂ© est responsable du gonflement causant l’éclatement des granulats rĂ©actifs. Le pH du gel alcalin est Ă©levĂ© et il est souvent de couleur ambrĂ©e caractĂ©ristique. Le pH Ă©levĂ© des exsudations rĂ©centes de gel alcalin empĂȘche la croissance de mousses et de lichens Ă  la surface du remplissage des fissures du bĂ©ton. Les exsudations diffusent aussi progressivement dans la porositĂ© Ă  la surface du bĂ©ton de part et d'autre des fissures. Le silicagel (Na2SiO3 · n H2O) Ă©tant trĂšs hygroscopique (comme NaOH et KOH), il en rĂ©sulte des bavures de couleur plus sombre et Ă  l'aspect gras trĂšs caractĂ©ristique autour des fissures. On a affaire Ă  un gel de N-S-H jeune et soluble (gel liquide).

2. Maturation du gel alcalin et augmentation de sa viscosité
PolymĂ©risation des anions silicates et gĂ©lification suivant un mĂ©canisme de transition sol-gel. Condensation de monomĂšres ou d'oligomĂšres de silicates dispersĂ©s dans une suspension colloĂŻdale (sol) en un rĂ©seau tridimensionnel aqueux diphasique de silicagel. Les ions calcium divalents Ca2+ libĂ©rĂ©s par l’augmentation de la solubilitĂ© de l'hydroxyde de calcium (portlandite) lorsque le pH de l’eau interstitielle du bĂ©ton commence progressivement Ă  baisser peuvent participer au processus de gĂ©lification.

3. Précipitation de pùte de silicate de calcium hydraté (C-S-H)
Échange de cations du silicate de sodium (ou de potassium) avec l'hydroxyde de calcium (portlandite) et prĂ©cipitation de silicate de calcium hydratĂ© amorphe ou cryptocristallin (C-S-H) accompagnĂ©e de la rĂ©gĂ©nĂ©ration de NaOH :

Na2SiO3 · n H2O + Ca(OH)2 → CaSiO3 · n H2O + 2 NaOH

Les silicates de calcium hydratĂ©s amorphes (C-S-H, leur non-stƓchiomĂ©trie Ă©tant soulignĂ©e ici par l'utilisation de tirets dans l’abrĂ©viation) peuvent recristalliser sous la forme de rosettes semblables Ă  celles caractĂ©ristiques de la gyrolite, un C-S-H produit notamment lors de l’hydratation lente de laitier de haut fourneau dans les ciments sidĂ©rurgiques (CEM III selon la norme europĂ©enne EN-197 sur les ciments). On a affaire Ă  un gel de C-S-H Ă©voluĂ© et peu soluble (gel en voie de solidification).

4. Carbonatation des C-S-H
La réaction de carbonatation du gel de silice conduit à la précipitation de carbonate de calcium et de SiO2 amorphe selon une réaction stylisée trÚs schématiquement de la façon suivante :

CaSiO3 + CO2 → CaCO3 + SiO2

Tant que le gel alcalin (Na2SiO3) hydratĂ© n'a pas encore rĂ©agi avec les ions Ca2+ libĂ©rĂ©s par la dissolution progressive de la portlandite, bien qu’assez visqueux, il reste suffisamment fluide pour s'Ă©chapper des agrĂ©gats rĂ©actifs Ă©clatĂ©s ou des fissures crĂ©Ă©es dans le bĂ©ton soumis Ă  des tensions internes Ă  la suite de son gonflement. Il en rĂ©sulte des exsudations de liquide visqueux jaune parfois visible (sous forme de petites gouttelettes liquides ambrĂ©es) Ă  la surface du bĂ©ton affectĂ©. Le plus souvent, cependant, les exsudations de gel ambrĂ© imprĂšgnent la porositĂ© de la pĂąte de ciment durcie directement le long des fissures et leur donnent ainsi une apparence de bavures graisseuses humides et jaunes assez caractĂ©ristiques.

Lorsque le pH de l’eau interstitielle de la pĂąte de ciment durcie baisse progressivement en raison de l’avancement de la rĂ©action de dissolution de la silice, la solubilitĂ© de l'hydroxyde de calcium augmente et le gel alcalin rĂ©agit avec les ions Ca2+. Sa viscositĂ© augmente en raison du processus de gĂ©lification et sa mobilitĂ© (moindre fluiditĂ©) diminue fortement lorsque les phases de C-S-H commencent Ă  prĂ©cipiter aprĂšs rĂ©action du gel alcalin avec l'hydroxyde de calcium (portlandite). À ce moment, le gel calcifiĂ© durcit et limite le transport du gel alcalin dans le bĂ©ton.

Lorsque le gel pĂąteux de C-S-H entre en contact et rĂ©agit avec le dioxyde de carbone de l’atmosphĂšre, il subit une carbonatation rapide et des efflorescences blanches/jaunes apparaissent Ă  la surface des fissures du bĂ©ton. Le gel alcalin plus fluide continuant de gonfler et d'exsuder sous la couche superficielle durcie de gel calcifiĂ© et carbonatĂ© repousse ainsi les efflorescences hors des fissures, les faisant ainsi souvent apparaĂźtre en lĂ©gĂšre saillie. Comme les vitesses de sĂ©chage et de carbonatation du gel de silice sont plus Ă©levĂ©es que la vitesse d'exsudation du gel alcalin (vitesse d'expulsion du gel alcalin plus fluide Ă  travers les fissures), les exsudats alcalins frais et encore liquides sont souvent peu visibles Ă  la surface des structures en bĂ©ton, sauf sous la forme de bavures jaunĂątres caractĂ©ristiques et d’apparence graisseuse et plus foncĂ©e imprĂ©gnant la porositĂ© du bĂ©ton le long des fissures. Parfois, dans certains ouvrages en bĂ©ton et moyennant certaines prĂ©cautions de forage, des carottes tout fraĂźchement dĂ©comprimĂ©es au moment de leur prĂ©lĂšvement peuvent laisser apparaĂźtre des exsudats alcalins liquides sous forme de gouttelettes ambrĂ©es.

RĂ©action alcali-silicate

La rĂ©action alcali-silicate survient lorsque les agrĂ©gats du bĂ©ton sont contaminĂ©s par la prĂ©sence de minĂ©raux argileux (argile, terre, 
). L'argile peut parfois ĂȘtre prĂ©sente comme impuretĂ© au sein mĂȘme de roches calcaires. Souvent, ce qui est pris pour une rĂ©action alcali-carbonate est en fait une rĂ©action alcali-silicate. Cette rĂ©action est une cousine de la rĂ©action alcali-silice et donne lieu Ă©galement Ă  la formation de silicates de calcium hydratĂ©s (C-S-H). Ce type d'interactions est trĂšs Ă©tudiĂ© dans le cadre des interfaces argile/bĂ©ton et des panaches alcalins se dĂ©veloppant en milieu argileux pour le stockage gĂ©ologique des dĂ©chets radioactifs.

RĂ©action alcali-carbonate

La réaction alcali-carbonate est plutÎt mal nommée et se rapporte en fait à la réaction alcali-magnésium. La présence de dolomie ou de magnésite dans les agrégats peut engendrer une réaction entre le carbonate de magnésium et la chaux qui donne lieu à la cristallisation de brucite, un hydroxyde de magnésium dont le gonflement différé peut endommager le béton.

Dans le cas de la réaction de la magnésite et de la portlandite, la réaction s'écrit comme suit :

MgCO3 + Ca(OH)2 → Mg(OH)2 + CaCO3

Dans le cas de l'attaque de la dolomie par les hydroxydes alcalins solubles (NaOH, KOH) présents dans le béton, il s'agit plutÎt de la réaction de dé-dolomitisation, donnée ici pour l'attaque par NaOH :

(Ca,Mg)(CO3)2 + 2 NaOH → Mg(OH)2 + CaCO3 + Na2CO3

Le carbonate de sodium beaucoup plus soluble réagit à son tour avec l'hydroxyde de calcium essentiellement disponible en phase solide pour précipiter du carbonate de calcium et relibérer du NaOH:

Na2CO3 + Ca(OH)2 → CaCO3 + 2 NaOH

Le NaOH ainsi régénéré peut contribuer à entretenir indéfiniment la réaction tel que le font remarquer Fournier et Bérubé (2000) et Bérubé et al. (2005)[9] - [10]. Le systÚme est donc catalysé par l'hydroxide de sodium dissout en phase aqueuse tandis que la réserve d'ion hydroxydes se trouve en fait en phase solide dans la portlandite (phase tampon) qui réagit beaucoup plus lentement car peu soluble.

La somme des deux réactions revient finalement à la réaction directe entre l'hydroxyde de calcium et la dolomite, le catalyseur n'apparaissant pas dans la réaction globale:

(Ca,Mg)(CO3)2 + Ca(OH)2 → Mg(OH)2 + 2 CaCO3

La rĂ©action alcali-carbonate dĂ©couverte au Canada dans les annĂ©es 1950 par Swenson[11] - [12] - [13] est moins bien connue que la rĂ©action alcali-silice. Elle peut Ă©galement ĂȘtre chimiquement couplĂ©e Ă  cette derniĂšre. Le fait que les roches dolomitiques contiennent Ă©galement souvent diverses impurĂ©tĂ©s comme des argiles et de la matiĂšre organique complique l'Ă©tude de la rĂ©action alcali-carbonate qui pourrait aussi cacher une rĂ©action alcali-silice.

L'utilisation de granulats calcaires ne suffit donc pas à éviter la réaction alcali-silice, tant s'en faut.

En effet, certains calcaires peuvent Ă©galement contenir de la silice amorphe comme impuretĂ© cimentant les grains de calcite au sein de la roche. C'est le cas notamment de certains calcaires au Canada et en Belgique. Les calcaires carbonifĂšres du Tournaisien (rĂ©gion du Tournaisis en Belgique et du nord de la France peuvent contenir jusqu'Ă  25 – 30 % en poids de silice amorphe. Cette silice provient des spicules des Ă©ponges, organismes animaux primitifs trĂšs abondants Ă  l'Ă©poque du carbonifĂšre. Ces calcaires Ă©galement trĂšs riches en niveaux de silex (chert, calcĂ©doine) sont donc trĂšs sensibles Ă  la rĂ©action alcali-silice, Ă  ne pas confondre dans leur cas avec une rĂ©action alcali-carbonate beaucoup moins frĂ©quente et moins dommageable. L'usage de ces calcaires trĂšs riches en silice est actuellement totalement interdit comme granulats dans les bĂ©tons. Leur usage dans de nombreux ouvrages d'art dans les annĂ©es 60 et 70 lors de la construction des autoroutes en Belgique y causent encore beaucoup de problĂšmes.

Références

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  2. Charpin L. (2013). ModÚle micromécanique pour l'étude de l'anisotropie de la réaction alcali-silice ; Université Paris-Est. NNT: 2013PEST1103. pastel-00873539 ; voir résumé page 7/194.
  3. W. J. McCoy et A. G. Caldwell, « New approach to inhibiting alkali-aggregate expansion », Journal Proceedings, vol. 47, no 5,‎ , p. 693–706 (ISSN 0002-8061, DOI 10.14359/12030, lire en ligne, consultĂ© le ).
  4. Monica Prezzi, Paulo J.M. Monteiro et Garrison Sposito, « The alkali–silica reaction: Part I. Use of the double-layer theory to explain the behavior of reaction-product gels », ACI materials journal, vol. 94, no 1,‎ , p. 10–17 (ISSN 0889-325X).
  5. B.J. Wigum, L.T. Pedersen, B. Grelk et J. Lindgard, State-of-the art report : Key parameters influencing the alkali aggregate reaction. SBF52 A06018 — Unrestricted Report. 134 pp., SINTEF Building and Infrastructure, (ISBN 82-14-04078-7, lire en ligne).
  6. H. Wang et J. E. Gillott, « Mechanism of alkali-silica reaction and the significance of calcium hydroxide », Cement and Concrete Research, vol. 21, no 4,‎ , p. 647–654 (ISSN 0008-8846, DOI 10.1016/0008-8846(91)90115-X, lire en ligne, consultĂ© le ).
  7. Vidéo sur la réaction alcali-silice montrant la fracturation complÚte d'un granulat..
  8. G. Verbeck, « Carbonation of hydrated Portland cement », STP205-EB Cement and Concrete (West Conshohocken, PA: ASTM International,‎ , p. 17–36 (DOI 10.1520/STP39460S).
  9. Benoit Fournier et Marc-AndrĂ© BĂ©rubĂ©, « Alkali-aggregate reaction in concrete: a review of basic concepts and engineering implications. Voir les Ă©quations chimiques p. 168 », Canadian Journal of Civil Engineering, vol. 27, no 2,‎ , p. 167–191 (ISSN 0315-1468, DOI 10.1139/l99-072, lire en ligne, consultĂ© le ).
  10. BĂ©rubĂ©, M. A., Smaoui, N., Bissonnette, B., & Fournier, B. (2005). Outil d’évaluation et de gestion des ouvrages d’art affectĂ©s de rĂ©actions alcalis-silice (RAS). Études et Recherches en Transport, MinistĂšre des Transports du QuĂ©bec. Voir les Ă©quations chimiques pp. 3-4.
  11. Swenson, E.G. (1957a) A reactive aggregate undetected by ASTM test. ASTM Bulletin, 226: 48–50.
  12. Swenson, E.G. (1957b) Cement-aggregate reaction in concrete of a Canadian bridge. ASTM Proceedings, 57: 1043–1056.
  13. E.G. Swenson et J.E. Gillott, « Alkali–carbonate rock reaction », Highway Research Record, vol. 45,‎ , p. 21–40.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Ian Sims et Alan B. Poole, Alkali-aggregate reaction in concrete : A world review, CRC Press, , 768 p. (ISBN 978-1-317-48441-7, lire en ligne)
  • Sous la direction de Jean-Pierre Ollivier et AngĂ©lique Vichot, La durabilitĂ© des bĂ©tons. Bases scientifiques pour la formulation des bĂ©tons durables dans leur environnement, Presses de l'Ă©cole nationale des Ponts et ChaussĂ©es, Paris, 2008 (ISBN 978-2-85978-434-8)
  • RILEM Technical Committee 259-ISR RILEM State of the Art Reports : Diagnosis & Prognosis of AAR Affected Structures / State-of-the-Art Report of the RILEM Technical Committee 259-ISR URL=https://ceae.colorado.edu/~saouma/wp-content/uploads/2019/12/STAR-TC-259-Red.pdf ; Victor Saouma Editor
  • RILEM Technical Committee 259-ISR RILEM State of the Art Reports : Diagnosis & Prognosis of AAR Affected Structures / State-of-the-Art Report of the RILEM Technical Committee 259-ISR URL=https://ceae.colorado.edu/~saouma/wp-content/uploads/2019/12/STAR-TC-259-Red.pdf ; Victor Saouma Editor

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