Pomerium
Dans la Rome antique, le pomerium (ou pomĆrium) est la limite sacrĂ©e qui sĂ©pare la ville (urbs) de son territoire alentour (ager). La notion de pomerium ne sâapplique quâĂ Rome, aux villes anciennes du Latium et aux colonies romaines fondĂ©es rituellement.
Il forme une frontiĂšre Ă la fois juridique et religieuse : limite de l'autoritĂ© des tribuns de la plĂšbe et du pouvoir militaire (imperium militiae) ; interdiction pour l'armĂ©e de le franchir ; tenue des comices centuriates Ă l'extĂ©rieur du pomerium ; exclusion des sĂ©pultures et de certains lieux de culte de lâintĂ©rieur du pomerium.
NĂ© sous la RoyautĂ©, le pomerium s'est agrandi Ă plusieurs reprises sous la RĂ©publique et l'Empire. Le nombre et l'importance de ces extensions sont toutefois mal connus et prĂȘtent Ă discussion.
Ătymologie
La dĂ©finition du pomerium a donnĂ© autant de difficultĂ©s aux anciens qu'aux modernes[1]. Les Romains eux-mĂȘmes avaient bien du mal Ă ĂȘtre dâaccord sur la dĂ©finition et lâĂ©tymologie du mot : Varron[A 1] et Plutarque[A 2] expliquaient pomerium par post murum, plaçant celui-ci Ă lâextĂ©rieur du mur dâenceinte ; d'autres auteurs[A 3] - [A 4] font dĂ©river pomerium de *promoerium et le placent Ă l'intĂ©rieur du mur ; tandis que Tite-Live[A 5] propose comme synonyme circamoerium, plaçant le pomerium de part et d'autre du mur dâenceinte.
La premiĂšre Ă©tymologie (*postmoerium) est la plus gĂ©nĂ©ralement acceptĂ©e[2] Ă la suite dâAloĂŻs Walde[3] qui fait dĂ©river pomerium de *pos + *moirion. En accord avec la seconde (*promoerium), Roland Kent[4] place le pomerium comme un espace vide en dehors du mur dâenceinte. Le prĂ©fixe de ce mot est donc ambigu : il peut venir soit de post-, soit de pro- et signifier derriĂšre ou devant. Par ailleurs on voit mal comment pomoerium aurait pu Ă©voluer en pomerium avec un -e- long[5].
Une autre Ă©tymologie (*po + *smer) a Ă©tĂ© proposĂ©e par Roger Antaya[6] qui fait remonter Ă un prĂ©fixe indo-europĂ©en *po-, de mĂȘme racine que positus, pono (« poser, placer »), et Ă une racine indo-europĂ©enne *smer-, Ă rapprocher des mots grecs ÎŒÎÏÎżÏ, ÎŒÎżÎŻÏα (la « part »). Selon cette Ă©tymologie, le pomerium serait une limite, une ligne de dĂ©marcation, et non la bande de terre que dĂ©crivent certaines des sources anciennes. Cette Ă©tymologie permettrait Ă la fois de sĂ©parer le pomerium dâune origine Ă©trusque (par son Ă©tymologie indo-europĂ©enne) et de ne pas lier Ă©tymologiquement la notion de pomerium Ă la notion de mur (murus)[7].
DĂ©finition
Sâil est clair pour les anciens comme pour les modernes que le pomerium est la limite qui sĂ©pare le territoire antique de Rome (ager romanus antiquus) et la ville (urbs), la nature exacte de cette limite reste discutĂ©e et aucun auteur antique n'en donne une dĂ©finition prĂ©cise.
Ă Rome, comme en d'autres villes italiques, le mur d'enceinte est entourĂ© de deux bandes de terrain, l'une extĂ©rieure, l'autre intĂ©rieure, chacune limitĂ©e par des cippes[A 1] - [A 5] - [A 6]. Les modernes se sont demandĂ© si le pomerium Ă©tait la bande intĂ©rieure, la bande extĂ©rieure, les deux bandes, ou bien simplement la ligne entre les deux[8]. Varron[A 1] dĂ©finit le pomerium comme une ligne, et seule cette dĂ©finition est considĂ©rĂ©e comme exacte[9] - [10]. AprĂšs avoir rappelĂ© le rite dit Ă©trusque de la charrue, utilisĂ© lors de la fondation des villes et des colonies, il prĂ©cise que la ligne immĂ©diatement au contact des mottes de terre toutes rejetĂ©es Ă l'intĂ©rieur, est le pomerium lui-mĂȘme. Le tĂ©moignage de Varron est confirmĂ© par Plutarque[A 2] et Tacite[A 6], ainsi que par les cippes de la colonie triumvirale de Capoue. La notion de pomerium ne sâapplique quâĂ Rome, aux villes anciennes du Latium et aux colonies romaines fondĂ©es rituellement[11].
D'aprĂšs Pierre Grimal[10], se dĂ©gagent trois concepts distincts, qui se superposent, non sans quelque confusion dans la pratique : d'une part, le concept dâoppidum, essentiellement militaire, puis le concept dâurbs, qui est religieux, et enfin celui dâagglomĂ©ration qui est seulement un Ă©tat de fait. Lâenceinte servienne, dont nul ne saurait nier quâelle soit une enceinte dĂ©fensive, est indĂ©pendante du pomerium, puisque, jusqu'au temps de lâempereur Claude, lâAventin, compris Ă l'intĂ©rieur de l'enceinte militaire, se trouve extra pomerium[A 7] - [A 3]. Plus tard, lorsque les colons romains s'installent en plaine, comme Ă Ostie, enceinte militaire et limite pomĂ©riale peuvent sans difficultĂ© se confondre. Ainsi, dĂšs lâorigine, il semble bien que la notion de limite pomĂ©riale soit indĂ©pendante Ă la fois de celle dâenceinte fortifiĂ©e et aussi de celle d'agglomĂ©ration. Le vocabulaire conserve les traces de cette conception : Ă la notion de ville dĂ©fendue rĂ©pond le terme dâoppidum tandis que celui dâurbs rĂ©pond Ă ce quâest la ville « au regard des dieux »[12]. Le texte de Varron[A 1] ne lie pas non plus le mur rĂ©el et le tracĂ© augural : au contraire, il les distingue en droit et les sĂ©pare en fait. La notion de pomerium ne coĂŻncide donc nullement, ni en droit ni en fait, avec une enceinte fortifiĂ©e[12].
En revanche, ce mĂȘme texte de Varron lie indissolublement la notion de ville (urbs) et celle de pomerium : pour avoir le titre dâurbs, il faut qu'il y ait eu constitution dâun pomerium[10], car celui-ci rĂ©pond essentiellement Ă lâimpĂ©ratif religieux de constituer la limite pour les auspices urbains, et de signifier et prĂ©server l'intĂ©gritĂ© du sol auspicialement privilĂ©giĂ© de la ville[11].
Fondation
On ne sait pas avec certitude qui a crĂ©Ă© le pomerium et les textes anciens manquent de prĂ©cision : bien que l'on considĂšre que Romulus a inaugurĂ© le pomerium lorsquâil a dĂ©fini la future enceinte de Rome[A 6], Tite-Live ne parle du pomerium que pour signaler que Servius Tullius lâagrandit[A 5] - [13].
DâaprĂšs la lĂ©gende, lorsque Romulus trace le sillon de l'enceinte lors de la fondation de Rome en 753 av. J.-C., il effectue cette opĂ©ration de fondation en tant que rex (roi), Ă©tymologiquement « tireur de trait »[14] (cette Ă©tymologie est importante, car elle vient renforcer la notion de pomerium en tant que ligne et non comme espace). Le caractĂšre sacrĂ© du pomerium est trĂšs fort. Lorsque RĂ©mus, par dĂ©rision, viole cette limite en sautant au-dessus du sillon, Romulus le tue, car l'acte est vu comme sacrilĂšge. D'aprĂšs Tacite[A 6], le pomerium de Romulus correspondrait au Palatin, et l'on a suggĂ©rĂ©[15] qu'il pourrait coĂŻncider avec l'itinĂ©raire suivi lors des Lupercales (crĂ©Ă©es par Romulus) durant la course des Luperques autour de la colline.
Un texte de Varron[A 1] décrit l'opération de fondation :
« Dans le Latium, bien des fondateurs de citĂ©s suivaient le rite Ă©trusque : avec un attelage de bovins, un taureau et une vache, celle-ci sur la ligne intĂ©rieure, ils traçaient Ă la charrue un sillon d'enceinte [âŠ], afin de se fortifier par fossĂ© et muraille. Le trou d'oĂč ils avaient enlevĂ© la terre, ils l'appelaient fossĂ© (fossa) et la terre rejetĂ©e Ă l'intĂ©rieur, ils lâappelaient muraille (murus). DerriĂšre ces Ă©lĂ©ments, le cercle (orbis) qui se trouvait tracĂ© formait le commencement de la ville (urbis, gĂ©nitif de urbs, jeu de mots), et comme ce cercle Ă©tait « derriĂšre la muraille » (post murum) on l'appela le postmoerium. Il marque la limite pour la prise des auspices urbains. Des bornes, limites du pomerium se dressent autour d'Aricie et autour de Rome⊠»
â Varron[16].
Bien que Varron[A 1] prĂ©sente le rite de fondation comme Ă©trusque, on ne voit pas ce qu'il aurait de spĂ©cifiquement Ă©trusque[17] - [18]. LâĂ©tymologie de rex en tant que « tireur de traits » mise en parallĂšle avec celle proposĂ©e pour le pomerium par Roger Antaya[7] vont, elles aussi, dans ce sens.
Sans le rite de la charrue, le pomerium perdrait sa valeur sacrale et ne serait plus qu'une ligne administrative. Ce cercle magique protĂšge la ville contre les influences nĂ©fastes de l'extĂ©rieur, sauf Ă la hauteur des portes, lĂ oĂč la charrue a Ă©tĂ© soulevĂ©e[A 8], oĂč la protection est assurĂ©e par Janus, dieu des passages[19] - [20].
Ceux qui souhaitent rattacher la crĂ©ation du pomerium Ă Romulus sont confortĂ©s dans leur conviction par le rĂ©sultat des fouilles dâAndrea Carandini[21]. Cet archĂ©ologue a retrouvĂ© au pied du Palatin les fondations de plusieurs fortifications, construites chaque fois sur les remblais de la prĂ©cĂ©dente. La plus ancienne, atteignant le sol nu, a Ă©tĂ© datĂ©e des annĂ©es 730-720 av. J.-C. ; presque contemporaine, donc, de la date traditionnelle Ă laquelle on place la fondation de Rome[22]. Si Rome a donc Ă©tĂ© constituĂ©e en citĂ© bien avant la royautĂ© Ă©trusque, puisquâelle avait un mur dâenceinte vers la fin du VIIIe siĂšcle av. J.-C., il nâest pas dĂ©raisonnable, dans ces conditions, de considĂ©rer que la fondation de Rome est antĂ©rieure Ă la Rome des Tarquins et de rendre le rite de fondation et le pomerium Ă Romulus[23] - [24].
Limite religieuse et juridique
La sĂ©paration de lâurbs et de lâager par le pomerium reprĂ©sente une dualitĂ© topographique qui affecte profondĂ©ment Ă la fois la religion et le droit[25], sĂ©parant les diffĂ©rents types dâactivitĂ©s humaines et les diffĂ©rents types de relations avec les dieux[26] entre celles qui doivent avoir lieu Ă lâintĂ©rieur de lâurbs et celles qui ne sont valables quâau-delĂ du pomerium, et il n'y a aucune raison de douter que cette distinction ne remonte aux origines de la ville[15]. C'est Ă l'intĂ©rieur du pomerium qu'ont lieu les activitĂ©s civiques : principaux cultes religieux, activitĂ©s politiques et justice civile. Si on les tient pour complĂ©mentaires, on s'abstient d'Ă©tablir une dĂ©pendance entre les deux aspects religieux et constitutionnel de la distinction de lâurbs et de lâager[25]. Le pomerium offre une protection magique qui « est au moins aussi importante que la protection matĂ©rielle du rempart , les deux tracĂ©s ne ne coĂŻncidant pas d'ailleurs obligatoirement[27] ».
Inauguration du pomerium
La mise en place du pomerium est un acte religieux de la plus haute importance[17].
Lâurbs et lâager ont la mĂȘme condition de loci effati et liberati[A 9]. L'effatio est la dĂ©limitation augurale par la parole ; la liberatio est l'Ă©limination des esprits malfaisants qui lâhabitent[28]. Mais lâurbs n'est pas seulement un locus effatus et liberatus. Ă l'intĂ©rieur du pomerium, elle possĂšde une qualitĂ© qui la distingue de lâager qui l'entoure : elle est par surcroĂźt un lieu inaugurĂ©[29]. L'inauguration de lâurbs, trĂšs fortement attestĂ©e, est placĂ©e par la lĂ©gende romulĂ©enne sous le signe miraculeux des douze vautours[30] qui fait de lâurbs, Ă l'intĂ©rieur du pomerium, une zone Ă©lue de Jupiter au sein de son territoire[31]. Inaugurer, câest techniquement exĂ©cuter lâacte propre aux augures[24]. Il sâagit ici essentiellement de prendre les auspices, afin de sâassurer que lâensemble pomĂ©rial soit acceptĂ©, que sa fonction soit reconnue par les dieux[24]. Le rite augural fait place nette pour permettre l'installation de l'homme dans lâurbs Ă l'intĂ©rieur de limites prĂ©cises[32].
Ces deux zones ont donc des statuts diffĂ©rents : lâager Romanus antiquus, s'il est comme lâurbs un locus liberatus et effatus, n'est pas un locus augustus, il n'a pas Ă©tĂ© inaugurĂ© comme elle. Il a Ă©tĂ© simplement dĂ©limitĂ© (effatus) et dĂ©barrassĂ© des esprits malfaisants (liberatus) qui l'habitaient. C'est tout ce qu'il a de commun avec lâurbs. Elle seule a Ă©tĂ© dotĂ©e de la grĂące particuliĂšre des auspices romulĂ©ens[33]. L'inauguration confĂšre au sol de lâurbs auspicialement privilĂ©giĂ© une valeur mystique qui exige une protection de sa puretĂ©[34]. Par consĂ©quent, le droit sacrĂ© prescrit des interdits Ă©cartant les souillures qui sont rejetĂ©es sur lâager au-delĂ du pĂ©rimĂštre pomĂ©rial[31].
Pomerium et Imperium
La ligne pomĂ©riale constitue la limite entre pouvoir civil (imperium domi) Ă lâintĂ©rieur de la ville (urbs) et plein pouvoir militaire (imperium militiae) Ă l'extĂ©rieur de Rome[11] - [35]. Si Ă la suite de Theodor Mommsen[36], la division de la notion dâimperium entre imperium domi et imperium militiae est largement acceptĂ©e[37] - [38] - [39] - [11], la notion dâimperium est parfois[40] rĂ©servĂ©e au seul pouvoir militaire tandis que le pouvoir civil est liĂ©e exclusivement Ă la notion de potestas. Mais si le dĂ©bat porte sur les termes du vocabulaire du droit romain, la rĂ©alitĂ© de la sĂ©paration des pouvoirs est, elle, bien attestĂ©e[40].
La diffĂ©rence de statut en droit sacrĂ© entre l'urbs et lâager a pour consĂ©quence en droit public que la compĂ©tence urbaine d'abord du roi ensuite des magistrats supĂ©rieurs est purement civile, alors que le pouvoir militaire ne s'exerce qu'en dehors de la ville, une fois que le pomerium a Ă©tĂ© franchi[34]. Lâimperium est le pouvoir militaire suprĂȘme, soigneusement limitĂ© par la limite sacrĂ©e du pomerium, Ă lâintĂ©rieur duquel il ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, sâexercer. Le magistrat qui possĂšde le pouvoir militaire a, par exemple, le droit total de vie ou de mort sur les citoyens romains en dehors du pomerium et, de fait, le droit est diffĂ©rent entre l'intĂ©rieur et l'extĂ©rieur du pomerium. Câest pourquoi[41] le pouvoir des magistrats romains est limitĂ© : la puissance tribunitienne (tribunicia potestas) est restreinte Ă lâintĂ©rieur de Rome[A 10] - [A 11] tandis que le magistrat investi de lâimperium proconsulaire (imperium proconsulare) nâa de pouvoir quâĂ lâextĂ©rieur du pomerium[A 12]. Lâimperium, comme les autres affaires militaires, reste en dehors du pomerium[42] - [43].
Lâimperium militaire n'est pas permanent[44]. Il ne s'acquiert que par une cĂ©rĂ©monie (vĆux sur le capitole, prise dâauspice, tenue militaire) au dĂ©part du magistrat lorsquâil franchit le pomerium. Le magistrat ne peut ensuite rentrer Ă lâintĂ©rieur du pomerium sans perdre automatiquement son imperium[44] - [45] (plusieurs exemples sont donnĂ©s par Dion Cassius durant la guerre civile[A 13]). Il doit ensuite lorsquâil ressort du pomerium cĂ©lĂ©brer de nouveau les rites nĂ©cessaires pour reprendre de maniĂšre lĂ©gitime lâimperium[46]. Les Romains accordent une si grande importance aux formalitĂ©s nĂ©cessaires pour prendre lâimperium en franchissant le pomerium que durant la guerre civile de CĂ©sar, en 49 av. J.-C., les ennemis de CĂ©sar font attention Ă bien cĂ©lĂ©brer correctement les rites nĂ©cessaires bien qu'ils aient nĂ©gligĂ© dâobtenir une lex curiata leur donnant le droit de prendre lâimperium[A 14] - [47].
Les seules exceptions Ă cette rĂšgle sont la cĂ©rĂ©monie du triomphe et la magistrature extraordinaire de la dictature, le dictateur dĂ©tenant les pleins pouvoirs Ă lâintĂ©rieur comme Ă lâextĂ©rieur de Rome[48].
Au dĂ©but de la RĂ©publique, la compĂ©tence urbaine s'exerce Ă l'origine jusqu'Ă la limite du pomerium. Par suite de l'extension de la ville au-delĂ de son enceinte, cette compĂ©tence par commoditĂ© est Ă©tendue jusqu'Ă la premiĂšre borne milliaire[25]. Lâimportance du pomerium comme limite de lâimperium disparaĂźt avec la RĂ©publique. Lors du passage Ă lâEmpire, Auguste nâa dâabord que certains des pouvoirs du tribun avant que rapidement, en 23 av. J.-C., il ne reçoive la pleine puissance tribunitienne, alors que dans le mĂȘme temps il exerce lâimperium proconsulaire Ă partir de 19 av. J.-C. Le sĂ©nat lui accorde dâĂȘtre tribun Ă vie ainsi que les pouvoirs proconsulaires permanents, de maniĂšre quâil nâa ni Ă le dĂ©poser en entrant dans lâenceinte du pomerium, ni Ă le reprendre ensuite[A 15]. Rapidement la combinaison des pouvoirs civils et militaires aux mains d'Auguste[49] conduit Ă l'abandon des restrictions spatiales de lâimperium liĂ©es au pomerium et aprĂšs lui tous les empereurs obtiennent les mĂȘmes pouvoirs sans aucune restriction[A 11]. Contrairement aux magistrats rĂ©publicains, les empereurs exercent ensuite sans distinction leur autoritĂ© Ă la fois dans la sphĂšre civile et dans la sphĂšre militaire. De mĂȘme, durant le Ier siĂšcle, les comices centuriates perdent de leur importance lorsque le pouvoir se dĂ©place vers le sĂ©nat et lâempereur[43].
Auspices urbains et auspices militaires
La distinction entre pouvoir civil et pouvoir militaire se reflĂšte dans le droit des auspices[28], lâimperium des magistrats supĂ©rieurs Ă©tant, en effet, assorti du droit dâauspices.
Les deux pouvoirs civil et militaire correspondent Ă deux zones distinctes en droit sacrĂ©, lâurbs et lâager qui ont respectivement des auspices qui leur sont propres[28]. Le pomerium dĂ©finit la limite entre les auspices urbains (auspicia urbana) et les auspices militaires (auspicia bellica)[A 1] - [A 7] - [A 16]. Aussi ces deux pouvoirs s'acquiĂšrent-ils par des auspications diffĂ©rentes : le pouvoir civil par les auspices d'entrĂ©e en charge, le pouvoir militaire par les auspices de dĂ©part au Capitole[50].
Les pouvoirs domi et militiae correspondent Ă des espaces qui ont des statuts religieux indĂ©pendants. Le droit constitutionnel et le droit sacrĂ© se rejoignent. La topographie constitutionnelle recouvre la topographie sacrale. La ligne de partage est elle-mĂȘme religieuse, le pomerium[28].
Deux exemples montrent bien lâimportance que les Romains accordent Ă la prise dâauspices et au rĂŽle du pomerium (et aux rites religieux en gĂ©nĂ©ral[51]) comme contrainte religieuse dans la vie politique et la lĂ©gitimitĂ© des magistrats romains :
- le premier est racontĂ© par Tite-Live[A 17] : en 177 av. J.-C., le consul Caius Claudius part de Rome prĂ©cipitamment pour se rendre dans sa province sans prendre le temps dâaccomplir les rites nĂ©cessaires. Ă son arrivĂ©e, le proconsul et les soldats romains refusent alors de lui obĂ©ir tant quâil nâa pas accompli les rites dâusages. Claudius est alors obligĂ© de retourner Ă Rome et dâaccomplir correctement les rites de dĂ©part ;
- lâautre exemple est donnĂ© par CicĂ©ron[A 18] - [A 19] : en 162 av. J.-C.[52] TibĂ©rius Gracchus, sortant de Rome aprĂšs une sĂ©ance au SĂ©nat, oublie en retraversant le pomerium de reprendre les auspices avant de mettre en route les opĂ©rations Ă©lectorales ; il nâa plus les auspices urbains, qui sâarrĂȘtent au pomerium ; il nâa pas les auspices militaires qui lui sont nĂ©cessaires pour prĂ©sider cette assemblĂ©e. Lorsquâil sâen rend compte quelque temps plus tard Ă la lecture des livres auguraux, il en avertit le collĂšge des augures qui font un rapport au sĂ©nat et les consuls Ă©lus cette annĂ©e-lĂ dĂ©missionnent pour recommencer les Ă©lections[53].
Interdit funéraire
L'inauguration confÚre au sol de la ville une valeur mystique qui exige une protection de sa pureté. Celle-ci est assurée par l'interdit funéraire qui écarte de la ville les morts[34], sans qu'il y ait à distinguer l'incinération de l'inhumation[A 20] - [A 21] - [A 22], moyennant des exceptions théoriques[31] difficiles à vérifier au profit des Vestales, des triomphateurs[A 23] et dans les temps les plus reculés de quelques grandes familles comme les Valerii[A 24].
La rĂšgle elle-mĂȘme est respectĂ©e tout au long de lâhistoire de Rome, et les seules sĂ©pultures prĂ©sentes dans lâenceinte du pomerium sont celles qui se trouvent en dehors avant un agrandissement, celles-ci nâĂ©tant dans ce cas pas dĂ©placĂ©es. Si CĂ©sar rĂ©ussit Ă faire voter en avance le privilĂšge spĂ©cial dâavoir une tombe Ă lâintĂ©rieur du pomerium, ses cendres sont finalement enterrĂ©es dans son tombeau au Champ de Mars au cĂŽtĂ© de celles de sa fille Julia[49] - [54].
Lâinterdit funĂ©raire liĂ© au pomerium nâest pas modifiĂ© par les empereurs. Il est au contraire rĂ©affirmĂ© en plusieurs occasions par Hadrien[A 25], Antonin[A 26], au temps des SĂ©vĂšres[A 27], et DioclĂ©tien[A 28]. Cette interdiction persiste jusqu'Ă la fin du IVe siĂšcle[55]. Les empereurs eux-mĂȘmes respectent cet interdit[49], Ă lâexception de Trajan, dont les cendres sont amenĂ©es Ă Rome et conservĂ©es dans la colonne qui porte son nom[A 29]. Mais cette anomalie est expliquĂ©e et justifiĂ©e par un droit prĂ©tendument traditionnel de ceux qui cĂ©lĂšbrent un triomphe d'ĂȘtre enterrĂ© dans la ville[49]. Les catacombes chrĂ©tiennes suivent cette tradition et sont donc hors du pomerium[56].
Guerre et triomphe
Le caractÚre sacré du pomerium en exclut la mort et tout ce qui rappelle la mort. Les cadavres et dépouilles en sont donc théoriquement bannis[31].
Les soldats en armes, n'y pĂ©nĂštrent pas, sans doute parce qu'ils sont souillĂ©s par la guerre, ou plutĂŽt parce que le pomerium dĂ©limite une autre sphĂšre d'existence civique[11]. Ă lâĂ©poque impĂ©riale, le camp de la garde prĂ©torienne est situĂ© juste en dehors du pomerium[49]. Entrer dans la ville avec une armĂ©e sans la permission du sĂ©nat est donc un sacrilĂšge[57]. Lorsqu'en 82 av. J.-C., Sylla pĂ©nĂštre dans Rome Ă la tĂȘte de ses troupes pour y rĂ©duire, dans la violence et le sang, les partisans de Marius[A 30] - [A 31], ce n'est pas le massacre en lui-mĂȘme qui est considĂ©rĂ© comme nefas mais le franchissement du pomerium, interdit Ă lâarmĂ©e[57].
Pour la mĂȘme raison, les comices centuriates, l'assemblĂ©e des citoyens mobilisables, ne se rĂ©unissent quâĂ lâextĂ©rieur de Rome, sur le Champ de Mars[A 32], cette assemblĂ©e ayant depuis sa fondation un caractĂšre militaire[58]. Par consĂ©quent, il est nefas que les comices centuriates se rassemblent Ă l'intĂ©rieur du pomerium, contrairement au comices curiates dont le rĂŽle est purement civil[59].
En principe, l'état de paix est requis pour que les legati exterarum nationum (les ambassadeurs étrangers) soient admis dans la ville[60] - [50]. Le tabou de la guerre s'étend aux ambassadeurs des peuples ennemis ; ils sont reçus, si le sénat leur accorde une audience, hors du pomerium, dans le temple de Bellona[61].
La cĂ©rĂ©monie du triomphe est prĂ©sentĂ©e dans les sources antiques comme un Ă©vĂ©nement exceptionnel et spectaculaire (tel le triomphe de Paul-Emile[A 33] - [A 34]). En effet, il l'est, non seulement parce quâil est liĂ© Ă une expĂ©dition victorieuse dâun gĂ©nĂ©ral romain, et que toute campagne victorieuse n'est pas forcĂ©ment fĂȘtĂ©e par un triomphe, mais aussi parce quâil sâagit dâune exception Ă lâinterdiction pour lâarmĂ©e de pĂ©nĂ©trer dans le pomerium, rĂšgle que les gĂ©nĂ©raux romains respectent majoritairement[62].
Un gĂ©nĂ©ral romain victorieux qui dĂ©sire cĂ©lĂ©brer un triomphe Ă son retour de campagne ne peut pas traverser le pomerium et entrer dans la ville. La demande de triomphe doit ĂȘtre faite lors dâune sĂ©ance spĂ©ciale du sĂ©nat tenue hors du pomerium[63]. Le sĂ©nat nâa pas lâobligation dâaccorder le droit au triomphe au magistrat victorieux, il sâagit dâune faveur exceptionnelle[57], et tant que le triomphe nâa pas Ă©tĂ© accordĂ© par le sĂ©nat, il doit camper avec son armĂ©e en dehors de Rome (Caius Pomptinus en est un exemple, lui qui devra attendre huit ans avant de pouvoir cĂ©lĂ©brer son triomphe[A 35]). Il ne peut pas pĂ©nĂ©trer dans le pomerium sans perdre Ă la fois son imperium et le droit au triomphe[A 36] (ce droit est liĂ© Ă lâimperium dont il est investi ; sâil perd son imperium il perd les droits qui en dĂ©coulent). Ce nâest que lorsque le triomphe a Ă©tĂ© accordĂ© par le sĂ©nat, que le triomphateur peut pĂ©nĂ©trer Ă lâintĂ©rieur du pomerium avec son armĂ©e non dĂ©mobilisĂ©e[57] tout en conservant son imperium[63]. La cĂ©rĂ©monie du triomphe doit faire passer le triomphateur avec son armĂ©e le long de la Via Sacra pour ensuite aller au Capitole rendre grĂące Ă Jupiter[62].
Caecilius Metellus Creticus et Quintus Marcius Rex ont tous les deux attendu durant des annĂ©es[A 37] - [64] juste Ă l'extĂ©rieur du pomerium avec leur armĂ©e, dans lâespoir que le triomphe leur soit accordĂ©. Tandis que CĂ©sar abandonne en 60 av. J.-C.[A 38] - [A 39] sa demande de triomphe pour pouvoir rentrer Ă Rome et annoncer sa candidature pour les Ă©lections consulaire de lâannĂ©e.
Le triomphe apporte donc une dĂ©rogation exceptionnelle Ă l'interdit guerrier, mais le passage par la porta triumphalis purifie les combattants, selon un rite semblable Ă celui du tigellum sororium (« poutre de la sĆur ») au profit d'Horace vainqueur et assassin[31].
Des divinitĂ©s patronnant les activitĂ©s de mort et de destruction, comme Mars[65] qui est le dieu de la fureur guerriĂšre, Bellona, dĂ©esse de la guerre[66], et Vulcain qui patronne le feu et lâincendie[67], ne peuvent pas recevoir de sanctuaire Ă l'intĂ©rieur du pomerium et ont leurs temples en dehors de la ville[11]. Mars, dieu de la guerre, a son autel in Campo et son temple dĂ©diĂ© en 388 extra portam Capenam[31]. Cela n'empĂȘche pas que des lieux de culte appartenant Ă ces divinitĂ©s, rattrapĂ©s par l'extension de la ville, subsistent Ă l'intĂ©rieur de cette limite : ainsi le Volcanal du Forum est maintenu Ă l'emplacement qu'il occupait Ă l'Ă©poque archaĂŻque, mais lorsqu'on fonde un nouveau temple de Vulcain, c'est au Champ de Mars, Ă l'extĂ©rieur du pomerium[11]. Cependant, Auguste s'affranchit de cette rĂšgle et installe en 2 av. J.-C. le temple de Mars vengeur sur le nouveau forum, reflĂ©tant ainsi les profonds changements imprimĂ©s par l'Ăšre augustĂ©enne Ă la religion romaine[68].
Le pomerium et les dieux
Si dâaprĂšs Vitruve[A 40] les temples de certains dieux romains (VĂ©nus, Mars, Vulcain et CĂ©rĂšs) doivent ĂȘtre placĂ©s Ă l'extĂ©rieur du pomerium pour des raisons qui touchent Ă la nature de ces dieux, un aspect remarquĂ© depuis longtemps concernant lâemplacement des temples de nombreuses divinitĂ©s d'origine Ă©trangĂšre (comme Apollon, Hercule, Diane, Junon reine, Esculape) est leur installation en dehors du pomerium[11]. Il en a Ă©tĂ© dĂ©duit que pendant la pĂ©riode archaĂŻque la zone intrapomĂ©riale Ă©tait rĂ©servĂ©e aux dieux nationaux et que les divinitĂ©s Ă©trangĂšres introduites Ă Rome recevaient un culte en dehors du pĂ©rimĂštre sacrĂ© de la ville mĂȘme lorsqu'elles ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©es[69]. Cette rĂšgle pomĂ©riale qui relĂ©guait les divinitĂ©s Ă©trangĂšres hors du pomerium[70] a Ă©tĂ© formulĂ©e pour la premiĂšre fois par Julius Ambrosch en 1839, et reprise par Georg Wissowa[71].
La question de savoir si l'espace pomĂ©rial Ă©tait rĂ©servĂ© aux divinitĂ©s strictement romaines est dĂ©battue et complexe. Bien que de nombreux cultes clairement Ă©trangers fussent situĂ©s en dehors du pomerium, d'autres reçurent des temples Ă lâintĂ©rieur de la limite religieuse de la ville. Il suffit de considĂ©rer le fait que Castor fĂ»t installĂ© en plein Forum, plus prĂšs de l'aedes Vestae qu'aucun dieu national[72] et CybĂšle[73] sur le Palatin pour saisir lâambiguĂŻtĂ© de la rĂšgle. Il sâagit dans les deux cas de dieux Ă©trangers, venu pour le premier de la Grande-GrĂšce, pour lâautre dâAnatolie, qui furent installĂ©s Ă lâintĂ©rieur du pomerium durant la RĂ©publique. De mĂȘme, les plus anciens rapports, politiques et religieux, de Rome avec ses voisins immĂ©diats comme Tusculum, Lavinium, Tibur et quelques autres citĂ©s du Latium, ne se laissent pas dĂ©terminer, et lâon ne parvient pas Ă dĂ©finir quels sont les liens particuliers qui lui permirent d'emprunter Ă ces villes des cultes aussitĂŽt considĂ©rĂ©s comme nationaux et installĂ©s Ă l'intĂ©rieur du pomerium[74]. Il nâest pas immĂ©diatement clair pourquoi un culte italique non-romain aurait Ă©tĂ© considĂ©rĂ© suffisamment « natif » pour ĂȘtre placĂ© Ă lâintĂ©rieur du pomerium alors que dâautres cultes italiques auraient Ă©tĂ© traitĂ©s comme Ă©trangers, et placĂ©s hors du pomerium[75]. Pour prendre en compte les exceptions apparentes, cette rĂšgle a dĂ» ĂȘtre affinĂ©e au fur et Ă mesure, en soutenant, dâune maniĂšre ou dâune autre, que les Romains ne considĂ©raient pas ces cultes comme Ă©trangers[76]. La rĂšgle est donc certainement beaucoup plus complexe que ne le pensait Georg Wissowa, et l'on ne peut pas affirmer que sous la RĂ©publique les divinitĂ©s d'origine Ă©trangĂšre Ă©taient systĂ©matiquement exclues du pomerium[11].
Le problĂšme fondamental repose prĂ©cisĂ©ment sur la dĂ©finition du terme « culte Ă©tranger ». Aucune source romaine ne traite directement de ce point ou ne donne de critĂšre pour y rĂ©pondre. Ce silence peut ĂȘtre instructif, car il pourrait indiquer quâil nâĂ©tait pas aussi important pour les Romains que pour les modernes de classer les cultes comme dâorigine romaine ou non. Ce qui importait premiĂšrement aux Romains Ă©tait de savoir si le culte Ă©tait acceptĂ© ou non comme faisant partie de la religion officielle de Rome[77]. Une fois ce point Ă©tabli, c'est plutĂŽt la nature hostile des divinitĂ©s qui doit ĂȘtre prise en compte : hostilitĂ© fonctionnelle, comme celle d'Apollon ou d'Hercule, ou comportement supposĂ© hostile Ă l'Ă©gard des Romains, comme Isis[11].
La plupart des spĂ©cialistes pensent que la rĂšgle existait durant la pĂ©riode rĂ©publicaine, mais a Ă©tĂ© ensuite renforcĂ©e sous Auguste[49]. Si Auguste lui-mĂȘme Ă©tait montrĂ© comme trĂšs attentif Ă la distinction entre cultes romains et Ă©trangers, dans la pratique la rĂšgle est souvent contournĂ©e :
- si Auguste lui-mĂȘme bannit les rites Ă©gyptiens de lâintĂ©rieur de pomerium[A 41], restaurant, ou peut-ĂȘtre inventant, la rĂšgle pomĂ©riale[49], les raisons en sont essentiellement politiques et liĂ©es au conflit avec Marc Antoine durant lequel Auguste emploie une forte propagande anti-Ă©gyptienne. Virgile[A 42] dĂ©crit la bataille d'Actium comme une bataille entre les dieux romains Neptune, VĂ©nus et Minerve contre Anubis et dâautres dieux Ă©gyptiens. Le bannissement du pomerium (justifiĂ© par l'argument religieux) et la destruction des temples dâIsis (tolĂ©rĂ©s jusqu'alors) sont alors expliquĂ©s politiquement puisqu'elle avait Ă©tĂ© la dĂ©esse tutĂ©laire de l'Ăgypte, ennemie d'Auguste et des Romains[78] ;
- au contraire, le rĂŽle donnĂ© Ă Apollon aprĂšs la victoire d'Auguste est un bon exemple de l'utilisation personnelle qu'Auguste fait de la rĂšgle. Tant qu'Apollon Ă©tait considĂ©rĂ© comme un dieu grec, son temple (temple d'Apollon Sosianus) Ă©tait situĂ© en dehors du pomerium, sur le Champ de Mars. Auguste, se considĂ©rant sous la protection d'Apollon, et considĂ©rĂ© lui-mĂȘme comme son fils, dĂ©placera son culte Ă lâintĂ©rieur et lui consacrera un sanctuaire sur le mont Palatin (temple d'Apollon Palatin), plaçant celui qui Ă©tait jusquâĂ prĂ©sent un dieu guĂ©risseur secondaire Ă la plus haute place dans le panthĂ©on romain[78].
Le pomerium, limite administrative
Sous l'Empire, la limite du pomerium prend un rĂŽle administratif avec la crĂ©ation par Vespasien de taxes sur les marchandises entrant dans Rome, l'ansarium taxant les marchandises destinĂ©es Ă la vente dans la ville, et le foriculareium frappant les marchandises non transportĂ©es en amphores. En raison des controverses avec les commerçants, des bornes indicatrices durent ĂȘtre placĂ©es sous Marc AurĂšle et Commode[79] pour rappeler la limite d'application de cette rĂ©glementation fiscale[80].
Histoire du pomerium
Le mur d'enceinte de la ville ne marque pas la limite du pomerium, pas plus que ni le pomerium, ni le mur dâenceinte ne marquent la limite de la ville habitĂ©e[10]. Le pomerium est signalĂ© par des cippes Ă chaque fois que le tracĂ© change de direction. La distance prĂ©cise entre chaque cippe est indiquĂ©e sur le cippe lui-mĂȘme en pieds, et tous les cippes sont numĂ©rotĂ©s dans lâordre dans lequel ils sont disposĂ©s le long de la ligne pomĂ©riale[81]. Le pomerium aurait Ă©tĂ© successivement agrandi trois fois avant la fin de la RĂ©publique, puis au moins deux fois durant lâEmpire, seuls les agrandissements menĂ©s par Claude et Vespasien sont certains[82].
CritĂšre dâextension
Lâextension du pomerium est prĂ©sentĂ©e par SĂ©nĂšque[A 43] comme un privilĂšge accordĂ© aux gĂ©nĂ©raux qui ont Ă©tendu le territoire romain en Italie. Tacite[A 44] confirme cette dĂ©claration, mais en liant lâagrandissement du pomerium Ă celui du territoire de Rome sans le restreindre Ă lâItalie seule. Aulu-Gelle[A 7] donne une version diffĂ©rente de ce droit : ceux qui ont augmentĂ© la population de Rome en capturant des territoires ennemis ont le droit dâagrandir le pomerium. Lâattention ne serait donc pas forcĂ©ment portĂ©e sur le territoire mais sur le corps civique. Lâextension du pomerium par Servius aurait Ă©tĂ© accomplie non en lien avec la cĂ©lĂ©bration dâune conquĂȘte, mais en lien avec sa rĂ©forme censitaire et lâaugmentation de la population romaine. La liaison entre augmentation de la population romaine et augmentation du pomerium serait corroborĂ©e par le fait que les extensions du pomerium faites par Claude, Vespasien et Titus ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es alors quâils exerçaient la censure[83].
Certains modernes[84] - [85] pensent toutefois que Claude ayant voulu par-lĂ accentuer la grandeur de ses victoires, pourrait ĂȘtre Ă l'origine de ce critĂšre.
Servius Tullius
D'aprĂšs Tite-Live[A 5] et Denys d'Halicarnasse[A 45], Servius Tullius, aurait agrandi le pomerium romulĂ©en qui passait autour du Palatin et lâaurait fait coĂŻncider, exception faite du Capitole et de lâAventin, avec le mur dâenceinte qui lui est attribuĂ© en lui incorporant le Quirinal, le Viminal et peut-ĂȘtre l'Esquilin. Cependant ni Tite-Live ni Denys d'Halicarnasse ne donnent la justification par laquelle Servius Tullius aurait agrandi le pomerium.
Sylla
Le pomerium aurait Ă©tĂ© agrandi par Sylla[A 46] - [A 7] - [A 47] - [A 43], faisant revivre lâun des plus anciens rituels religieux qui nâavait pas Ă©tĂ© accompli depuis Servius Tullius.
La raison pour laquelle Sylla agrandit le pomerium nâest pas claire, et aucun auteur antique n'y fait rĂ©fĂ©rence. Il est probable que le recul de la frontiĂšre entre la Gaule cisalpine et lâItalie de lâAesis au Rubicon fournit la justification nĂ©cessaire Ă Sylla pour accomplir le rite[86]. On peut penser que Sylla a fait coĂŻncider le pomerium avec le tracĂ© de l'enceinte rĂ©publicaine, sauf sur l'Aventin, qui est toujours maintenu extra pomerium pour des raisons apparemment religieuses[87].
Jules CĂ©sar
DâaprĂšs CicĂ©ron[A 48], Dion Cassius[A 49] et Aulu-Gelle[A 7], Jules CĂ©sar a agrandi le pomerium en 45 av. J.-C. Ă un mille romain (1,5 km) des anciennes murailles de la ville.
CicĂ©ron, contemporain de CĂ©sar, tĂ©moigne que lâagrandissement du pomerium est certainement lâĆuvre de CĂ©sar, quâil soit rĂ©alisĂ© de son vivant ou Ă titre posthume par ses exĂ©cuteurs testamentaires[88].
Auguste
MalgrĂ© des sources littĂ©raires indiquant quâAuguste aurait agrandi le pomerium en 8 av. J.-C., il semble bien que cette extension n'a jamais eu lieu. Les indications contradictoires de Tacite[A 44], de Dion Cassius[A 50] et de lâHistoire Auguste[A 51] sont en gĂ©nĂ©ral expliquĂ©es par une confusion avec la crĂ©ation des XIV regiones[82].
On dispose en effet d'excellents arguments pour mettre en doute cette extension : en 70, la Lex de imperio Vespasiani[A 52] dans laquelle Vespasien reçoit le droit dâagrandir le pomerium, ne mentionne comme prĂ©cĂ©dent que le cas de Claude, sans aucune mention d'Auguste. De plus, les modifications du pomerium effectuĂ©es sous Claude et sous Vespasien sont indiscutables puisqu'on a retrouvĂ© un certain nombre des cippes correspondants, alors qu'aucun cippe indiquant une extension sous Auguste n'a jamais Ă©tĂ© retrouvĂ©[82]. Enfin, la valeur du tĂ©moignage de lâHistoire Auguste a Ă©tĂ© trĂšs nettement remise en cause[89]. Ces Ă©lĂ©ments orientent donc la plupart des modernes Ă penser quâAuguste nâa certainement jamais Ă©tendu le pomerium[90] - [82].
Claude
En 49, Claude reçoit du SĂ©nat le droit d'Ă©largir le pomerium[A 44], et la conquĂȘte de la Bretagne, rĂ©alisant lâauctio populi Romani, rend lĂ©gitime l'exercice de ce droit. Au printemps de l'an 49 Claude reporte vers le sud la ligne pomĂ©riale[A 7], qui n'a pas bougĂ© dans cette direction depuis Romulus[91]. Il inclut l'Aventin, la rive du Tibre avec le port de Rome, ses entrepĂŽts et le Monte Testaccio[92]. Cet Ă©largissement est citĂ© comme prĂ©cĂ©dent dans la Lex de imperio Vespasiani[A 52] et est confirmĂ© par les diffĂ©rents cippes pomĂ©riaux de Claude qui ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s[A 53] - [A 54] - [93] - [94].
Il sâagit, avec lâextension de Vespasien, de la seule extension indiscutable car mise hors de doute Ă la fois par les sources Ă©pigraphiques, littĂ©raires et archĂ©ologiques[82] - [95].
NĂ©ron
D'aprÚs l'Histoire Auguste[A 51], Néron aurait agrandi le pomerium durant son rÚgne aprÚs avoir soumis le Pont Polémoniaque et les Alpes cottiennes. Selon Ronald Syme, l'auteur de l'Histoire Auguste qui se base sur Aurelius Victor[A 55] aurait pris le verbe augere au sens propre (accroßtre [la ville de Rome]), tandis qu'Aurelius Victor l'employait au sens figuré (embellir la ville)[96]. Aucune autre source ne confirme cette extension, qui est donc considérée comme improbable[97] - [98].
Vespasien et Titus
Il sâagit de lâextension du pomerium qui est la mieux connue. La Lex de imperio Vespasiani[A 52] y fait rĂ©fĂ©rence, et un certain nombre des cippes correspondants ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s[A 56] - [99], dont un encore en place, en 1930, Ă l'emplacement de l'ancien Champ de Mars. Il porte les titulatures de Vespasien et de Titus, rappelant l'agrandissement du pomerium rĂ©alisĂ© par ces deux empereurs dans les premiers mois de 75, Ă l'expiration de leur censure[89].
Vespasien et Titus doivent reporter le pomerium au-delà du Tibre, limite que lui a assigné Claude[100], lui incorporant essentiellement une partie du Champ de Mars, l'ßle Tibérine et une partie du TranstévÚre[82].
Trajan
D'aprÚs l'Histoire Auguste[A 51], Trajan aurait agrandi le pomerium durant son rÚgne. Aucune autre source ne confirme cependant cette extension, qui est donc considérée comme peu probable[97] - [98].
Hadrien
Sâil nâa pas agrandi le pomerium, Hadrien a en revanche restaurĂ© en 121 le tracĂ© qui lui avait Ă©tĂ© donnĂ© par Vespasien et Titus[98].
Lâun des cippes retrouvĂ©s encore en place Ă Rome en 1930 au cĆur mĂȘme de l'ancien Champ de Mars mentionne la restauration du tracĂ© dont fut chargĂ© en 121, sous le rĂšgne d'Hadrien, le collĂšge des augures. Les augures ne font, cette annĂ©e-lĂ , que restaurer par un nouveau bornage un tracĂ© dĂ©jĂ existant. Les deux cippes retrouvĂ©s l'un et l'autre in situ (le premier datant d'Hadrien, lâautre de Vespasien) ont le mĂȘme emplacement et le mĂȘme numĂ©ro d'ordre : le tracĂ© d'Hadrien est donc identique Ă celui de Vespasien, et toute idĂ©e d'un Ă©largissement du pomerium entre leurs deux rĂšgnes se trouve par-lĂ mĂȘme exclue[89].
Commode
Souvent reprĂ©sentĂ© en Hercule, Commode a essayĂ© de sâidentifier Ă la figure du fondateur de Rome[101]. La reprĂ©sentation de Commode sur une monnaie en train de mener lâattelage de deux bĆufs traçant un sillon avec la lĂ©gende HERC(uli) ROM(ae) CONDITORI (Ă Hercule, fondateur de Rome)[102], a amenĂ© certains modernes[103] - [104] - [105] Ă interprĂ©ter cette scĂšne comme le tracĂ© du sillon du pomerium et Ă postuler lâexistence dâun agrandissement du pomerium par Commode. LâinterprĂ©tation de cette reprĂ©sentation numismatique a Ă©tĂ© fortement remise en cause[98] - [106] et aucun Ă©lĂ©ment Ă©pigraphique ou littĂ©raire ne venant supporter cette extension, elle est considĂ©rĂ©e comme improbable[97] - [98] - [107].
Aurélien
DâaprĂšs lâHistoire Auguste[A 51], l'empereur AurĂ©lien aurait repoussĂ© les limites du pomerium en 273 en mĂȘme temps quâil faisait construire un nouveau mur autour de Rome. Pourtant aucun autre Ă©lĂ©ment ne vient confirmer cette information. Lâabsence de Claude et de Vespasien et Titus dans le passage de la Vita Aureliani rend suspect tout le passage alors quâil sâagit des deux seules extensions pomĂ©riales confirmĂ©es et par les sources littĂ©raires et par les sources Ă©pigraphiques[108]. Pour Ronald Syme, l'Histoire Auguste extrapole sur l'agrandissement de l'enceinte indiquĂ© par Aurelius Victor[A 57] - [96]. De plus AurĂ©lien nâa pas agrandi le territoire de Rome, au contraire durant son rĂšgne, le territoire a mĂȘme Ă©tĂ© rĂ©duit, comme en Dacie au nord du Danube[109]. Il est donc possible qu'il n'y ait pas eu d'agrandissement du pomerium sous AurĂ©lien[97] - [98], soit quâil nâa procĂ©dĂ© quâĂ une rĂ©novation du pomerium[110] soit que cette attribution nâa quâun caractĂšre laudatif qui aurait Ă©tĂ© reliĂ©e Ă la construction du mur dĂ©fensif autour de Rome : le mur ayant une valeur militaire, et lâextension une valeur religieuse[111].
Notes et références
Références antiques
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- Plutarque, Vies parallĂšles, Romulus, XI, 4
- Festus Grammaticus, L, 294
- Lucain, La Pharsale, I, 594
- Tite-Live, Ab Urbe Condita, I, 44
- Tacite, Annales, XII, 24
- Aulu-Gelle, Noctes Atticae, XIII, 14,
- Plutarque, Questions romaines, XXVII
- Cicéron, De legibus, II, 21
- Tite-Live, Ab urbe condita, III, 20, 6-7
- Dion Cassius, Historia Romana, LI, 19, 6
- Dion Cassius, Historia Romana, LIII, 13, 3-4 ; LIII, 17, 4
- Dion Cassius, Historia Romana, XLI, 3 : « AprĂšs avoir pris ces rĂ©solutions, le sĂ©nat chargea, suivant lâusage, les consuls et les autres magistrats de veiller Ă la sĂ»retĂ© de Rome. Ensuite il se transporta auprĂšs de PompĂ©e, hors du pomerium » ; XLI, 16 : « CĂ©sar parut devant le sĂ©nat assemblĂ© hors du pomerium par Antoine et par Longinus qui, chassĂ©s de ce corps, lâavaient convoquĂ© dans cette circonstance » ; XXXIX, 63 : « Le peuple sâĂ©tant rassemblĂ© hors du pomerium, attendu que PompĂ©e, revĂȘtu de la puissance proconsulaire, ne pouvait entrer dans Rome »
- Dion Cassius, Historia Romana, XLI, 43
- Dion Cassius, Historia Romana, LIII, 32, 5
- Maurus Servius Honoratus. In Vergilii carmina commentarii, VI, 197
- Tite-Live, Ab Urbe Condita, XLI, 10
- Cicéron, De Natura Deorum, II, 10-12
- Cicéron, De Divinatione, I, 17
- Lex Duodecim Tabularum, X, 1 : hominem mortuum in urbe ne sepelito, neve urito
- Lex Ursonensis, 73-74
- Cicéron, De legibus, II, 23, 58
- Plutarque, Questions romaines, LXXIX
- Plutarque, Vies parallĂšles, Publicola, XXIII, 5
- Digesta Iustiniani, XLVII, 12, 5
- Historia Augusta, Vita Antoninus Pius, XII, 3
- Pauli Sententiae, I, XXI, 2-3
- Codex Iustinianus, III, 44, 12
- Eutrope, Breviarium historiae romanae, VIII, 2
- Lucain, La Pharsale, II, 67-233
- Appien, guerres civiles, I, 93
- Aulu-Gelle, Noctes Atticae, XV, 27, 4-5
- Plutarque, Vies parallĂšles, Paul-Emile, XXXII-XXXIV
- Tite-Live, Ab Urbe Condita, XXVI, 21 ; XXXIX, 6-7
- Dion Cassius, Historia Romana, XXIX, 65
- Tite-Live, Ab Urbe Condita, XXIV, 7, 11 : XXIV, 9, 2
- Salluste, Conjuration de Catilina, XXX
- Appien, Guerres civiles, II, 8
- Suétone, Vie des douze Césars, César, 18
- Vitruve, De architectura, I, 7 [lire en ligne]
- Dion Cassius, Historia Romana, XL, 47 ; LIII, 2
- Virgile, Aenéide, VIII, 696-700
- SĂ©nĂšque, De Brevitate vitae, XIII, 8
- Tacite, Annales, XII, 23
- Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, IV, 13, 3
- Tacite, Annales, XII, 23 et XII, 24
- Dion Cassius, Historia Romana, XLIII, 50
- Cicéron, ad Atticum, XIII, 20
- Dion Cassius, Historia Romana, XLIII, 50, 1
- Dion Cassius, Historia Romana, LV, 6
- Histoire Auguste, Vita Aureliani, XXI
- CIL VI, 930
- CIL VI, 1231 = 31537
- CIL VI, 37022 - 37024
- Aurelius Victor, De Caesaribus, V NĂ©ron
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Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :