Politique (Aristote)
La Politique, en grec ancien : ΠολÎčÏÎčÎșÎŹ, ou Questions de Politique, est un ouvrage en huit livres dâAristote, dans lequel le philosophe grec s'attache Ă Ă©tudier les diverses questions que pose la vie d'une citĂ©-Ătat (en grec, ÏÏλÎčÏ / pĂłlis). Lâouvrage que nous connaissons sous le titre de la Politique est une synthĂšse constituĂ©e de diffĂ©rentes parties, Ă©laborĂ©es peu Ă peu, avec lâaide de nombreux collaborateurs, et Ă partir d'une abondante documentation et dâune masse dâobservations. Un premier traitĂ© de politique normative auquel Aristote fait allusion[A 1], incluant les livres II, III, et peut-ĂȘtre aussi les livres VII et VIII[1], a Ă©tĂ© enrichi durant les annĂ©es de sĂ©jour Ă AthĂšnes ; Aristote a ensuite retravaillĂ© cet ouvrage de portĂ©e plus Ă©tendue jusqu'Ă la fin de sa vie[2]. Lâensemble du Politique peut ainsi ĂȘtre datĂ© de l'Ă©poque du LycĂ©e, soit entre 335 et 323 av. J.-C. Au LycĂ©e, le travail d'Ă©quipe Ă©tait de rĂšgle, et l'enseignement allait de pair avec la recherche. Lâouvrage n'Ă©tait pas destinĂ© Ă la publication mais Ă l'enseignement dâAristote[Note 1] : Ă lâoccasion de ses nouvelles leçons, le philosophe traite parfois les mĂȘmes thĂšmes de maniĂšre diffĂ©rente en les illustrant dâexemples toujours plus nombreux, et modifie, Ă la lumiĂšre de nouvelles Ă©tudes ou de nouvelles conceptions, les jugements qu'il a prĂ©cĂ©demment portĂ©s ; lâĆuvre prĂ©sente ainsi certaines incohĂ©rences et des ambiguĂŻtĂ©s, mais qui ne remettent pas en cause toute sa politique ou son Ă©thique[Note 2].
Titre original |
(grc) ΠολÎčÏÎčÎșÎŹ |
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Date de création |
IVe siĂšcle av. J.-C. |
L'ouvrage a Ă©tĂ© redĂ©couvert au Moyen Ăge avec la traduction latine qu'en a faite Guillaume de Moerbeke au XIIIe siĂšcle et qui servira de base au commentaire de saint Thomas d'Aquin intitulĂ© In octo libros Politicorum Aristotelis commentarii. Il a Ă©tĂ© abondamment commentĂ© depuis lors et peut ĂȘtre vu comme « le fondement de la maniĂšre dont nous pensons les rapports des hommes entre eux, et plus gĂ©nĂ©ralement le monde des choses humaines[3]. » Lâampleur et lâimportance des problĂšmes politiques Ă©tudiĂ©s dans cet ouvrage par Aristote font de lui lâun des principaux artisans du progrĂšs des sciences morales et politiques, sinon leur vĂ©ritable fondateur[4].
Présentation générale
Travaux préparatoires
La pensĂ©e politique dâAristote a mĂ»ri et sâest dĂ©veloppĂ©e pendant de longues annĂ©es, et aprĂšs de nombreux travaux[5]. Les recherches et publications qui ont prĂ©parĂ© le grand ouvrage que nous connaissons aujourdâhui sont dâabord les deux livres sur le Politique (perdus), qui avaient Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©s Ă Aristote par le Politique de Platon, et les quatre volumes Sur la Justice ; vinrent ensuite le livre Sur la RoyautĂ©, le dialogue Alexandre ou Sur la Colonisation (Ă©galement perdu)[6], le recueil juridique des Revendications des CitĂ©s, ÎÎčÎșαÎčÏΌαÏα ÏÏλΔÏÎœ / Dikaiomata, et les Ă©tudes sur les Constitutions[7].
Forme, date, sujet
La Politique, commencĂ©e trĂšs tĂŽt, est restĂ©e en chantier presque jusquâĂ la mort dâAristote. Lâouvrage se prĂ©sente, en maints endroits, moins comme un traitĂ© parfaitement achevĂ©, que comme un recueil de cours professĂ©s par Aristote devant lâauditoire de ses disciples, successivement Ă Assos, Ă MytilĂšne ou au LycĂ©e â cours que lâon dĂ©signe sous le terme dâouvrages acroamatiques ou Ă©sotĂ©riques â. Tous les exĂ©gĂštes ont en effet relevĂ© des disparates de ton et de style, mais aussi des incohĂ©rences[Note 3], des lacunes et des dĂ©veloppements incomplets[8]. PubliĂ©e aprĂšs la mort dâAristote, la Politique nâa pas pu bĂ©nĂ©ficier des derniĂšres retouches nĂ©cessaires qui lui auraient donnĂ© une forme plus harmonieuse. Mais dans son Ă©tat actuel, elle possĂšde une unitĂ© de composition avec de nombreuses rĂ©fĂ©rences qui lient entre elles les diffĂ©rentes parties de lâĆuvre[9]. Ces rĂ©fĂ©rences supposent, dâaprĂšs Werner Jaeger, une rĂ©vision dâensemble par Aristote lui-mĂȘme. LâĆuvre peut ĂȘtre datĂ©e des derniĂšres annĂ©es du LycĂ©e, soit de 330 Ă 323 av. J.-C.[10]
Comme le suggĂšre le titre de l'ouvrage, Aristote sâattache Ă dĂ©chiffrer le comportement politique des hommes et Ă comprendre ce qui est en jeu sous lâexpression vie politique (ÎČÎŻÎżÏ ÏολÎčÏÎčÎșÏÏ), un terme pris ici dans un sens trĂšs large, englobant la recherche rationnelle de ce qui est bon pour l'homme vivant au sein dâune communautĂ©, tant sur le plan individuel que collectif[11]. Par rapport Ă lâactivitĂ© pratique, la politique est en effet dĂ©finie par Aristote comme la plus haute de toutes les disciplines, elle est la « science souveraine entre toutes » car elle est capable de nous diriger dans la connaissance du Souverain Bien, la fin en vue de laquelle sâexercent toutes nos activitĂ©s[12] ; elle a pour but d'Ă©tablir le bien de tous au moyen de la justice, c'est-Ă -dire lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral[A 2]. L'ouvrage prĂ©sente en mĂȘme temps les difficultĂ©s propres Ă la science politique et pose la question de savoir ce qu'est une philosophie politique.
Ordre des livres
Les marques dâinachĂšvement de la Politique ont incitĂ© un certain nombre dâĂ©diteurs, depuis Nicolas Oresme (dont la traduction daterait de 1370)[13], jusquâau dĂ©but du XXe siĂšcle, Ă effectuer des transpositions dans lâordre des livres ou dans les parties de lâouvrage, au nom dâune logique plus rigoureuse, mais qui se rĂ©vĂšle toujours subjective[Note 4]. Il convient de souligner cependant, avec Pierre Pellegrin, que « la question de lâordre des livres est peut-ĂȘtre hors de notre portĂ©e[14]. » Quant Ă la question, elle aussi controversĂ©e, de lâunitĂ© de cette Ćuvre, elle est rĂ©elle sur le fond, selon Jean Aubonnet, malgrĂ© lâexistence probable, sur la forme, de versions dâĂ©poques diverses : « Les matĂ©riaux qui forment le fond du traitĂ© sont de la main dâAristote et le tout relĂšve dâune mĂȘme pensĂ©e qui a Ă©tabli le plan de la Politique et souvent en a rĂ©glĂ© jusquâaux moindres dĂ©tails[15] ». Il plaide en faveur de lâordre traditionnel des livres (câest-Ă -dire lâordre successif de I Ă VIII) qui se justifie par les arguments suivants : câest le seul qui nous ait Ă©tĂ© transmis par la tradition remontant au moins Ă la fin du IIIe siĂšcle av. J.-C., câest le seul que donnent tous les manuscrits, et câest mĂȘme « le seul logique et cohĂ©rent » selon plusieurs Ă©rudits[Note 5]. Selon le mot de LĂ©on Robin qui adopte la mĂȘme position que Jean Aubonnet aux Ă©ditions des Belles Lettres, il vaut donc mieux « sâen tenir Ă lâordre consacrĂ© »[16], qui est lâordre suivi par un grand nombre dâĂ©diteurs au XXe siĂšcle. En 1987, Pierre Pellegrin juge lĂ©gitime cet ordre traditionnel, mais refuse de le prendre comme hypothĂšse de dĂ©part pour soutenir une interprĂ©tation[17].
Structure philosophique du livre
La Politique est lâun des plus anciens traitĂ©s de philosophie politique de la GrĂšce antique. Aristote y examine la façon dont devrait ĂȘtre organisĂ©e la citĂ© (en grec, polis). Il discute et critique au livre II les conceptions exposĂ©es par Platon dans La RĂ©publique et Les Lois. Reprenant la notion platonicienne dâĂtat idĂ©al (áŒÏÎŻÏÏη ÏολÎčÏΔία), il brosse Ă son tour lâesquisse de lâĂtat le meilleur selon lui, dans les livres VII et VIII, mais il lâĂ©tablit sur un fondement solidement empirique : les livres IV et VI dĂ©ploient en effet une richesse inĂ©puisable dâexemples historiques, Ă©tudiant des citĂ©s-Ătats et des lĂ©gislateurs rĂ©els et proposant des traitements pour les multiples formes des maladies de lâĂtat ; les disciples dâAristote avaient en effet rĂ©uni 158 constitutions, dont la Constitution des AthĂ©niens qu'il a lui-mĂȘme rĂ©digĂ©e[18], rĂ©sultat dâune vaste recherche sur les rĂ©gimes en vigueur dans diverses citĂ©s grecques ; Aristote Ă©tudie Ă©galement les projets de constitution idĂ©ale proposĂ©s par les thĂ©oriciens Phaleas de ChalcĂ©doine et Hippodamos de Milet. La Politique dans son ensemble offre ainsi le double caractĂšre dâune science politique positive et expĂ©rimentale, et la thĂ©orie dâun Ătat idĂ©al mais non pas utopique[Note 6]. IdĂ©alisme et rĂ©alisme fusionnent donc de façon originale[19], selon le principe dĂ©fini par Aristote lui-mĂȘme Ă la fin de lâĂthique Ă Nicomaque[A 3], oĂč il expose le plan gĂ©nĂ©ral de la Politique[20] : « En premier lieu, nous devons chercher Ă Ă©tablir ce que nos prĂ©dĂ©cesseurs ont pu dire de juste sur chacun de ces cas, et ensuite rechercher, Ă partir de notre collection de constitutions, ce qui permet la conservation des Ătats et ce qui entraĂźne leur destruction, Ă la fois en gĂ©nĂ©ral et dans les cas particuliers des formes singuliĂšres des Ătats, et Ă©galement les causes du fait que les uns sont bien gouvernĂ©s et pas les autres. Lorsque nous aurons effectivement fait cela, nous pourrons peut-ĂȘtre connaĂźtre mieux comment doit ĂȘtre constituĂ© lâĂtat le meilleur, dont tout Ătat a besoin de connaĂźtre lâorganisation, les lois et les institutions. »
MĂ©thode philosophique et scientifique
Pour comprendre le cadre de pensée d'Aristote, il faut garder à l'esprit quelques-unes des notions-clés propres au Stagirite[Note 7] et les caractéristiques principales de sa méthode.
Forme, norme et fin
Au plan conceptuel, Aristote pose le principe que tous les hommes sont des ĂȘtres rationnels, y compris les barbares, les femmes et les esclaves ; dans la thĂ©orie des rĂ©gimes politiques, il met en Ćuvre les concepts fondamentaux de forme (Î”áŒ¶ÎŽÎżÏ), de norme (ᜠÏÎżÏ) et de fin (ÏÎλοÏ). La plus importante de ces normes ou principes de dĂ©termination est « la mesure et le juste milieu » (Ï᜞ ÎŒÎÏÏÎčÎżÎœ áŒÏÎčÏÏÎżÎœ Îșα᜶ Ï᜞ ÎŒÎÏÎżÎœ). Elle sâapplique aussi bien aux rĂ©alitĂ©s quantifiables comme la population de la citĂ©, quâaux notions abstraites comme les vertus des citoyens : câest la grande rĂšgle de toute lâĂ©thique dâAristote, elle est le garant de la vie la meilleure pour les Ătats comme pour les individus[A 4]. Car la concordance entre vertus individuelles et vertus sociales est totale. Le bonheur, bien diffĂ©rent de la rĂ©ussite, est entendu comme lâĂ©panouissement spirituel des citoyens ; câest la fin mĂȘme de lâĂtat ; il consiste Ă faire preuve de vertu, et particuliĂšrement des quatre vertus cardinales que sont le courage (áŒÎœÎŽÏΔία), la tempĂ©rance (ÏÏÏÏÎżÏÏΜη), la justice (ÎŽÎčÎșαÎčÎżÏÏΜη) et la sagesse (ÏÏÏΜηÏÎčÏ)[21].
Méthode aporétique
Au plan de la mĂ©thode, selon lâusage des cours dispensĂ©s devant ses Ă©tudiants, Aristote conduit la discussion, utilisant la premiĂšre personne du pluriel. Il suit la mĂ©thode aporĂ©tique ou diaporĂ©matique[Note 8] ; lâaporie (en grec, áŒÏÎżÏία, embarras, difficultĂ©) reflĂšte parfois lâembarras du chercheur arrĂȘtĂ© par une difficultĂ© apparemment inextricable, mais elle peut aussi ĂȘtre une mĂ©thode de recherche qui consiste Ă soulever, discuter et rĂ©soudre successivement les diverses difficultĂ©s.
MĂ©thode analytique
DĂšs le dĂ©but du livre I, la mĂ©thode analytique est employĂ©e pour lâĂ©tude de lâhomme dâĂtat, (ÏολÎčÏÎčÎșÏÏ)[A 5] et de la citĂ© ; elle consiste Ă diviser un tout composĂ© en ses Ă©lĂ©ments simples et Ă les examiner sĂ©parĂ©ment[22] : Aristote use ainsi de distinctions Ă©tablies dans sa Physique[A 6] entre composĂ© artificiel et composĂ© naturel ; un composĂ© naturel comme une citĂ© est un tout (Ï᜞ áœÎ»ÎżÎœ) dans lequel Aristote distingue d'une part les conditions nĂ©cessaires Ă son existence et dâautre part, les parties organiques qui composent ce tout. La loi qui rĂ©git ce composĂ© naturel est la prĂ©Ă©minence du tout sur les parties[23] : la famille est donc plus importante que lâindividu, et la citĂ© est prĂ©dominante sur la famille[A 7]. Cette mĂ©thode analytique est parfois associĂ©e Ă la mĂ©thode gĂ©nĂ©tique qui consiste à « regarder les choses Ă©voluer depuis leur origine », selon les propres mots dâAristote.
MĂ©thode doxographique
Aristote utilise aussi la mĂ©thode doxographique consistant Ă Ă©tudier son sujet Ă lâaide dâun rappel historique de lâopinion de ses prĂ©dĂ©cesseurs : il peut sâagir aussi bien dâopinions personnelles, que de pensĂ©es illustres ou de thĂ©ories Ă©laborĂ©es par les nomothĂštes, par les sophistes ou par Platon[24]. Câest ainsi que tout le livre II est consacrĂ© Ă lâexamen critique des constitutions proposĂ©es par Platon et par plusieurs thĂ©oriciens politiques, tels Lycurgue et Solon, mais aussi Zaleucos, Charondas ou Dracon. Mais Aristote ne fait pas une histoire des thĂ©ories politiques grecques, et on ne relĂšve pas chez lui de thĂ©orie du progrĂšs[25]. La validitĂ© de ces thĂ©ories naĂźt de deux critĂšres : lâopinion du grand nombre (en grec ÎżáŒ± Ïολλοί) et celle des grands thĂ©oriciens. Mais il arrive que la diversitĂ© des opinions ne fasse apparaĂźtre que des divergences insurmontables, comme Aristote le constate Ă propos de la nature de lâĂ©ducation, ses buts et ses mĂ©thodes[A 8] : pour ne pas « compliquer lâenquĂȘte », le philosophe use alors de lâargument de convenance[26].
SynthĂšse de rĂ©alisme et dâidĂ©al
Aristote explique lui-mĂȘme que sa mĂ©thode suit Ă©galement le modĂšle de la biologie qui a permis la classification scientifique des espĂšces[A 9] : cette mĂ©thode privilĂ©gie le point de vue fonctionnel par rapport au critĂšre purement morphologique[27]. Il dĂ©gage ainsi du foisonnement innombrable des phĂ©nomĂšnes particuliers que lui offre le rĂ©el, la forme abstraite qui dĂ©finit leur essence ; partant des rĂ©alitĂ©s singuliĂšres, il recherche leur loi interne Ă partir de leurs traits communs ou de rĂ©gularitĂ©s, rĂ©duisant ainsi la diversitĂ© particuliĂšre du multiple Ă quelques types gĂ©nĂ©raux[28]. Ce souci de rĂ©alisme poussĂ© Ă lâextrĂȘme semble annoncer, de nos jours, « les mĂ©thodes des Ă©coles rĂ©alistes scandinaves et rĂ©aliste-pragmatique amĂ©ricaine[29]. » Selon le juriste Hans Kelsen[30], Aristote rĂ©alise lâĂ©quilibre entre le rĂ©alisme et lâidĂ©al ; cet Ă©quilibre sâĂ©tablit Ă tous les niveaux de lâanalyse dans lâunion entre la morale traditionnelle de la vertu pratique et lâidĂ©al contemplatif, entre les dieux officiels de lâOlympe et le Dieu unique et immuable, entre la CitĂ© la meilleure possible, plutĂŽt dĂ©mocratique, et la Constitution idĂ©ale monarchique[31]. Ainsi, il affirme quâil nâexiste pas une seule espĂšce de dĂ©mocratie, ni une seule espĂšce dâoligarchie, etc., mais des variĂ©tĂ©s trĂšs diffĂ©rentes[32]. DĂšs lors, la recherche de la meilleure constitution politique possible dans des circonstances donnĂ©es prend constamment appui, de maniĂšre empirique, sur la rĂ©alitĂ© effective ; or, il y a une tĂ©lĂ©ologie de la vie politique, puisque la fin de lâĂtat, identifiĂ©e Ă la fin Ă©thique de lâindividu, est de permettre Ă l'homme de trouver le bonheur, non dans le sens du bien-ĂȘtre, mais de la valeur spirituelle et morale des citoyens[33] : le nouvel Ătat idĂ©al quâil esquisse finalement rĂ©pond Ă des normes, conditions nĂ©cessaires confirmĂ©es par lâexpĂ©rience ; en ce sens, cet Ătat idĂ©al dĂ©coule non pas dâune spĂ©culation a priori, mais dâune dĂ©duction scientifique : au jugement de Werner Jaeger, câest prĂ©cisĂ©ment cette combinaison de pensĂ©e normative et de sens de la forme qui fait la grandeur et la puissance dâAristote. « Ce sens de la forme, capable de maĂźtriser et dâorganiser la multiplicitĂ© des faits politiques rĂ©els, a empĂȘchĂ© sa recherche dâune norme absolue de se rigidifier ; en mĂȘme temps, sa puissante notion de la fin lâa gardĂ© du relativisme oĂč lâon tombe si facilement lorsquâon sâabandonne indiffĂ©remment Ă la comprĂ©hension de toutes choses. Ă ces deux points de vue, dans la rĂ©union de ces deux orientations, Aristote est appelĂ© Ă ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le modĂšle de lâattitude scientifique et philosophique moderne[34]. »
Nature et fin de toute communauté politique
Le point de dĂ©part de la Politique est lâexamen du dĂ©veloppement de la sociĂ©tĂ© Ă partir des communautĂ©s Ă©lĂ©mentaires qui la composent, la famille, le village puis la citĂ© : Aristote dĂ©termine ainsi les conditions naturelles fondamentales de toute vie politique et sociale, Ă savoir les relations dâautoritĂ© entre le maĂźtre et lâesclave, le mari et la femme, les parents et les enfants. De ces trois relations, seule la question des esclaves en liaison avec lâĂ©conomie est traitĂ©e[35]. Aristote se propose ainsi de dĂ©finir toutes les caractĂ©ristiques qui permettent de comprendre ce quâest une communautĂ© politique « par nature » (ÏÏÏΔÎč) et quelle est sa fin ultime.
La loi naturelle
Aristote rappelle sa maxime selon laquelle « la nature ne fait rien en vain ». La citĂ©, agrĂ©gation de plusieurs villages et familles, est elle-mĂȘme « une rĂ©alitĂ© naturelle[A 10] », et non pas une rĂ©alitĂ© conventionnelle ou artificielle comme le soutenaient les sophistes. Elle n'est due ni Ă une convention, ni au hasard ; elle a bien son origine dans les exigences de la nature humaine[36]. On comprend dĂšs lors pourquoi l'homme ne peut quâĂȘtre « par nature un animal politique, ÏολÎčÏÎčÎș᜞Μ Î¶áż·ÎżÎœ », câest-Ă -dire un ĂȘtre destinĂ© Ă vivre en sociĂ©tĂ©[A 11].
La cellule fondamentale de la citĂ© est la famille, qui se base elle-mĂȘme sur la propriĂ©tĂ©[37]. La citĂ© est une rĂ©alitĂ© naturelle Ă un double titre, en ce sens quâelle est le tout vers lequel tendent comme vers leur achĂšvement, les communautĂ©s naturelles de la famille et du village ; lâĂtat est Ă©galement naturel, parce que sa fin, la pleine autarcie, est ce quâil y a de meilleur, câest la fin que poursuit la nature.
Mais le pouvoir politique ne pourrait-il pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une autoritĂ© violente et contraire Ă la nature ? Ă cette objection, Aristote rĂ©pond par une comparaison avec d'autres pouvoirs : lâautoritĂ© du maĂźtre sur ses esclaves et celle de lâhomme dâĂtat ne sont pas la mĂȘme chose, car « lâune sâexerce sur des hommes libres par nature, lâautre sur des esclaves ; et le pouvoir du chef de famille est une monarchie alors que lâautoritĂ© politique sâexerce sur des hommes libres et Ă©gaux »[A 12]. Aristote entend, par ce recours au critĂšre de la nature, sâopposer aux sophistes et aux disciples dâAntisthĂšne qui ne voyaient dans la citĂ© quâun produit de la nĂ©cessitĂ©, artificiel et conventionnel[Note 9]. Mais si cette loi naturelle (ÏÏÏÎčÏ) Ă lâorigine de la citĂ© prĂ©side Ă la nĂ©cessaire union de lâhomme et de la femme qui fonde la famille, si elle explique mĂȘme la thĂ©orie aristotĂ©licienne de lâesclavage naturel, elle ne prĂ©side pas Ă tout[Note 10]. Îr « seul parmi les animaux, lâhomme a un langage » et une raison (λÏÎłÎżÏ / logos), grĂące auxquels il dĂ©cide, par « choix dĂ©libĂ©rĂ© » (ÏÏοαίÏΔÏÎčÏ), de « vivre en commun »[A 13].
Unité dans la diversité et propriété privée
Câest ce choix dĂ©libĂ©rĂ© de la vie en commun que traduisent, dans la citĂ©, les alliances de familles et les diverses formes de sociabilitĂ© que sont les phratries, les sacrifices publics, les passe-temps communs[A 14] - [39]. Aristote qualifie dâ « amitiĂ© » (ÏÎčλία) ces activitĂ©s qui maintiennent lâunitĂ© de la citĂ©. Mais cette unitĂ© ne doit pas ĂȘtre poussĂ©e Ă lâextrĂȘme : contrairement Ă Platon[40], qui prĂ©conisait dans la RĂ©publique la mise en commun des femmes et des enfants, Aristote rejette cette abolition de la propriĂ©tĂ© privĂ©e et de la famille. Il nâest pas rĂ©aliste d'imputer Ă lâabsence de communautĂ© des biens lâorigine de tous les maux qui existent dans les constitutions[41]. Pour lui, « ces maux ne surviennent pas du fait de lâabsence de communautĂ© mais du fait de la perversitĂ© humaine, puisque nous voyons bien que ceux qui possĂšdent des biens en commun et les partagent ont beaucoup plus de diffĂ©rends que ceux qui ont des propriĂ©tĂ©s privĂ©es »[A 15]. La communautĂ© des biens gĂ©nĂšre en effet plus de diffĂ©rends que l'appropriation privĂ©e. Ă la tentation d'en finir avec les conflits sociaux internes Ă la citĂ© en crĂ©ant une communautĂ© des biens, il rĂ©pond en substance quâon prend fort peu soin de ce qui est commun Ă un trĂšs grand nombre de gens : les individus en effet s'occupent principalement de ce qui leur est propre et moins de ce qui est commun, ou seulement dans la mesure oĂč chacun est concernĂ©[A 16] - [42].
Au contraire, pour Aristote, « il est manifeste que si elle avance trop sur la voie de lâunitĂ©, une citĂ© nâen sera plus une, car la citĂ© par sa nature est une certaine sorte de multiplicitĂ©[A 17] » : « On ne fait pas une citĂ© Ă partir dâindividus semblables » â tout au plus obtiendrait-on un conglomĂ©rat, non une vraie communautĂ© politique[43] â car une citĂ© requiert une diffĂ©rence de capacitĂ©s entre ses membres afin de favoriser lâĂ©change mutuel de services diffĂ©rents. Il faut donc rechercher l'unitĂ© dans la diversitĂ© des compĂ©tences.
Justice et vertu
Mais si le « vivre ensemble » (Ï᜞ ÏÏ Î¶áżÎœ) est un choix prĂ©alable, il nâest pas le but : la fin derniĂšre de la communautĂ© sociale humaine est la constitution dâune citĂ©, en termes modernes, dâun Ătat ; seul lâĂtat est capable dâinstaurer une contrainte qui a pour but la justice ; avec la citĂ© en effet, la violence fait place Ă lâĂtat de droit. Et puisque le droit est la rĂšgle de la communautĂ© politique, « la justice est donc une valeur politique ; or câest lâexercice de la justice qui dĂ©termine ce qui est juste[A 18]. » Le droit, cet ordre Ă©tabli par la communautĂ© politique entre ses membres, est Ă lâorigine des vertus morales[44]. La citĂ© permet ainsi Ă l'individu d'atteindre sa perfection. Toute association politique exige les vertus de sagesse et de justice : elle repose sur des bases Ă©thiques[45], car « sans la vertu, lâhomme est lâĂȘtre le plus pervers et le plus fĂ©roce, le plus bassement portĂ© vers les plaisirs de lâamour et du ventre[A 19]. »
Le bonheur pour finalité
Câest ce cadre Ă©tatique oĂč le droit est instaurĂ©, qui permet lâĂ©panouissement de la vie parfaite. Car la citĂ© est une communautĂ© humaine formĂ©e en vue dâun certain bien. Mais « le âvivre ensembleâ dont on nous rebat aujourd'hui les oreilles nâest jamais quâun piĂštre objectif [46] », selon le mot de Jean-Louis LabarriĂšre. Aristote fait sans ambiguĂŻtĂ© du bonheur (ÏÏλÎčÎœ ΌαÎșαÏÎŻÎ±Îœ) la finalitĂ© de lâĂtat bien gouvernĂ©, ce bonheur impliquant comme Ă©lĂ©ments essentiels une synthĂšse de la beautĂ© morale et du plaisir ; formĂ©e pour permettre de vivre, une communautĂ© politique existe pour permettre de vivre bien (ΔᜠζáżÎœ[Note 11]), elle est donc constituĂ©e en vue du bonheur par la vertu (ÎŹÏΔÏÎź) : « Les belles actions, voilĂ ce quâil faut poser comme fin de la communautĂ© politique, et non la seule vie en commun[A 20]. ». Cette vie heureuse, fin ultime de la citĂ©, implique encore dâautres Ă©lĂ©ments qui ont aussi leur valeur pour Aristote : « Une citĂ© nâest pas une simple communautĂ© de lieu Ă©tablie pour empĂȘcher les injustices mutuelles et faciliter les Ă©changes [..] Une citĂ© est la communautĂ© de la vie heureuse, c'est-Ă -dire dont la fin est une vie parfaite et autarcique (ζÏáżÏ ÏÎ”Î»Î”ÎŻÎ±Ï Îșα᜶ αáœÏÎŹÏÎșÎżÏ Ï) »[A 21]. Elle est capable de vivre en autarcie, c'est-Ă -dire en auto-suffisance Ă©conomique, Ă condition dâassigner des limites Ă lâaccroissement de la population[A 22]. Car le libre accroissement dĂ©mographique aboutit Ă la misĂšre, aux sĂ©ditions et au crime[47] - [Note 12].
Souveraineté du peuple
Enfin, une fois le rĂ©gime politique Ă©tabli dans la citĂ©, câest Ă lâensemble des citoyens, au peuple, quâappartient la souverainetĂ©, mais au peuple en corps, et non pas individuellement[A 23]. Car câest un grand nombre de citoyens qui exercent les trois pouvoirs, exĂ©cutif, dĂ©libĂ©ratif et judiciaire[A 24], au sein des trois organes constitutifs de lâĂtat que sont le conseil, l'assemblĂ©e et les tribunaux.
L'Ă©conomie
Chez les Grecs, le mot « Ă©conomie » sâentendait au sens Ă©tymologique pour dĂ©signer lâĂ©conomie domestique, les biens de la famille, (en grec ÎżáŒ¶ÎșÎżÏ / oikos, signifie « maison »), et non pas ceux de la communautĂ© civique. Cependant le problĂšme des richesses, de leur production, de leur rĂ©partition et de leur circulation est Ă©tudiĂ© par Aristote, conjointement Ă celui de la constitution et du gouvernement[48]. Il dĂ©finit la richesse comme « la somme des instruments que possĂšde une famille ou une citĂ© », et cette somme de biens suffisante pour vivre bien « nâest pas illimitĂ©e », comme on le croit parfois[A 25]. Ces biens sont constituĂ©s par tous les moyens propres Ă assurer la subsistance : chasse, pĂȘche, Ă©levage, agriculture, toutes ces activitĂ©s dĂ©rivent de la Nature et se limitent dâelles-mĂȘmes dĂšs quâest atteinte la fin dont elles doivent satisfaire les exigences. Aristote fait dans tout ce passage du livre I, chapitre IV, la claire distinction entre « objet de propriĂ©tĂ© » (ÎșÏáżÎŒÎ± / ktĂšma), « possession » (ÎșÏáżÏÎčÏ / ktĂšsis), art dâacquĂ©rir de la richesse (ÎșÏηÏÎčÎșÎź / ktĂštikĂš) et « outil de production » (ÏÎżÎčηÏÎčÎș᜞Μ áœÏÎłÎ±ÎœÎżÎœ / poĂŻĂ©tikon organon). Il dĂ©coule de ces dĂ©finitions de la richesse et de la propriĂ©tĂ© que le niveau dĂ©mographique de la population doit toujours ĂȘtre proportionnel Ă la quantitĂ© disponible de ses moyens dâexistence et de son activitĂ© : la population sera donc constante[Note 13], et ne variera en plus ou en moins qu'avec les subsistances, sous peine pour lâĂtat de perdre sa capacitĂ© essentielle qui est de se suffire Ă lui-mĂȘme[49].
Aristote envisage ensuite comment on sâĂ©carte des conditions naturelles de cette vie sociale, avec lâinstitution de la monnaie. Une augmentation anormale du groupe obligerait en effet ce dernier Ă importer ce qui lui manque ou bien Ă exporter le surplus de ses biens, et donc Ă perdre son autarcie : la science de la richesse devient alors une science financiĂšre, une technique des affaires quâAristote appelle la « chrĂ©matistique » (ÏÏηΌαÏÎčÏÏÎčÎșÎź), sorte dâĂ©conomie artificielle et dĂ©rĂ©glĂ©e dans laquelle on produit pour produire, avec pour seul but le profit[50]. Or, « la vie est action et non pas production[A 26]. » Aristote vise quatre formes de cette Ă©conomie pervertie[50] : le commerce Ă petite ou grande Ă©chelle, le commerce de lâargent câest-Ă -dire le prĂȘt Ă intĂ©rĂȘt et l'usure, mais aussi le travail salariĂ© (ÎŒÎčÏΞαÏÎœÎŻÎ±)[A 27], et enfin lâindustrie avec lâexploitation des forĂȘts et des mines[A 28]. Lâusure pervertit complĂštement la fonction de la monnaie : « On a parfaitement raison dâexĂ©crer le prĂȘt Ă intĂ©rĂȘt, parce quâalors les gains acquis proviennent de la monnaie et non plus de ce pour quoi on lâinstitua[A 29]. » Or, la monnaie est « le principe et le terme de lâĂ©change[A 30] », « elle nâa Ă©tĂ© faite quâen vue de lâĂ©change ». Aristote nâest cependant pas contre le fait dâacquĂ©rir des biens mais cela doit se faire conformĂ©ment Ă la nature, selon ses besoins. Il reconnaĂźt l'aspect purement conventionnel de la monnaie, qui n'a de valeur que « par convention lĂ©gale, et non par la nature ». Quant Ă lâĂ©conomie mercantile, elle est condamnĂ©e car elle « n'a pas mĂȘme pour fin le but qu'elle poursuit, puisque son but est prĂ©cisĂ©ment une opulence et un enrichissement indĂ©finis[A 31] ». Il reconnaĂźt toutefois que, dans certaines circonstances, des individus et des Ătats peuvent se crĂ©er un « monopole » (en grec ÎŒÎżÎœÎżÏÏλία) et accumuler ainsi des richesses considĂ©rables[A 32]. Aristote a donc perçu le danger que posait Ă la citĂ© le dĂ©veloppement de l'Ă©conomie marchande[51], et ce livre I sur l'Ă©conomie constitue « un des premiers essais en Ă©conomie politique », selon les mots de Pierre Pellegrin.
Le citoyen et lâesclave
Pour rĂ©pondre Ă lâactualitĂ© de son temps, Aristote Ă©tudie le problĂšme central de la citoyennetĂ©. En effet, les citĂ©s prĂ©servaient jalousement un droit de citĂ© rarement accordĂ© Ă des Ă©trangers ; et la question de savoir qui Ă©tait un « bon citoyen », quelle Ă©tait sa vertu, se posait rĂ©guliĂšrement devant les tribunaux et les assemblĂ©es lors de lâexamen des candidats (la dokimasie / ÎŽÎżÎșÎčΌαÏία) avant toute nomination Ă une charge officielle[52].
La dĂ©finition du citoyen diffĂšre selon les diverses formes de gouvernement ; Aristote propose donc la dĂ©finition la moins imparfaite possible : est citoyen celui qui a la possibilitĂ© dâaccĂ©der au Conseil ou aux magistratures[53]. Il montre ensuite la faiblesse de la dĂ©finition communĂ©ment admise en GrĂšce de la citoyennetĂ© par la naissance, pour celui qui est nĂ© dâun pĂšre et dâune mĂšre citoyens[Note 14], car elle ne « saurait sâappliquer aux premiers habitants ou fondateurs dâune citĂ© »[A 33]. On peut acquĂ©rir la citoyennetĂ© de façon juste, ou injuste, Ă la suite dâune rĂ©volution par exemple[A 34]. Cependant il ne faut pas remettre en cause le droit de citĂ© admis de façon non juste. Aristote cherche donc Ă savoir qui est citoyen et qui ne lâest pas et va ainsi se demander si les artisans doivent ĂȘtre ou pas des citoyens[A 35]. Aristote estime « quâon ne doit pas Ă©lever au rang de citoyens tous les individus dont lâĂtat a cependant nĂ©cessairement besoin[A 36]. » Ainsi, dans la citĂ© idĂ©ale dont il dessine les contours, les artisans et les esclaves ne sont pas citoyens, ni les mĂ©tĂšques, mĂȘme s'ils habitent tous dans la citĂ©. Dans une bonne constitution selon Aristote, les artisans et les laboureurs sont exclus de la citoyennetĂ©, faute des connaissances et qualitĂ©s voulues, car ils sont trop occupĂ©s Ă gagner leur vie, et « on ne peut sâadonner Ă la pratique de la vertu si lâon mĂšne une vie dâouvrier ou de manĆuvre[A 37] » ; asservis Ă leur tĂąche, ils ne disposent donc ni du loisir[Note 15] ni de lâindĂ©pendance dâesprit nĂ©cessaires Ă la vie politique[54]. Les activitĂ©s des artisans, des ouvriers et de tous les travailleurs manuels seront donc dĂ©volues aux esclaves[55].
Le citoyen est celui qui peut exercer les fonctions de juge et de magistrat[A 38]. Aristote soulĂšve alors la question de la vertu du bon citoyen, par rapport Ă celle de lâhomme de bien. En dâautres termes, morale sociale et morale individuelle sont-elles identiques ? Pour lui, Ă la diffĂ©rence de Socrate et de Platon qui ont affirmĂ© lâunitĂ© de la vertu, les deux types de vertus diffĂšrent ; la vertu varie selon la fonction que lâon occupe et donc selon la constitution de la citĂ©[56] : « La perfection du citoyen est nĂ©cessairement en rapport avec le rĂ©gime[A 39]. » Le pouvoir politique, câest de gouverner des gens du mĂȘme genre que soi, c'est-Ă -dire libres. Câest pourquoi la perfection de lâhomme de bien consiste en la vertu de commandement et la vertu dâobĂ©issance, propre aux hommes libres[A 40], qui consiste Ă savoir gouverner et ĂȘtre gouvernĂ©, et non uniquement Ă savoir bien dĂ©libĂ©rer et bien juger (vertu du bon citoyen)[57].
Hostile Ă l'industrie manufacturiĂšre, et considĂ©rant le travail artisanal et ouvrier comme une dĂ©chĂ©ance, il n'est pas Ă©tonnant quâAristote considĂšre donc lâesclavage comme fondĂ© en droit et en fait[55] ; pour le justifier, il faut admettre le principe gĂ©nĂ©ral de subordination qui rĂ©git toute entitĂ© composĂ©e de parties, oĂč il y a toujours une autoritĂ© et une obĂ©issance ; le maĂźtre doit autant que possible laisser Ă un intendant le soin de commander Ă ses esclaves, chargĂ©s des besognes journaliĂšres, afin de pouvoir se livrer Ă la vie politique ou Ă la philosophie, seules activitĂ©s vraiment dignes d'un citoyen[A 41] ; mais Aristote signale que lâopinion Ă©tait partagĂ©e Ă son Ă©poque sur lâesclavage[Note 16], puisque, dit-il, « pour d'autres, au contraire, la domination du maĂźtre sur l'esclave est contre nature[A 42]. » L'esclavage, qui Ă©tait une institution commune dans l'AntiquitĂ©, est Ă peine Ă©voquĂ© par les historiens et cet ouvrage d'Aristote est le seul qui analyse le concept[11].
Aristote adopte sur cette question une position nuancĂ©e ; il reconnaĂźt la nĂ©cessitĂ© des esclaves comme instruments non de production mais d'action[58] : « Si les navettes tissaient toutes seules, si le plectre jouait tout seul de la cithare, les entrepreneurs se passeraient dâouvriers, et les maĂźtres, dâesclaves[A 43]. » Il y a un esclavage naturel, c'est-Ă -dire des ĂȘtres qui sont esclaves par nature, par infĂ©rioritĂ© naturelle, comme le sont les Barbares par rapport aux Grecs ; et pour eux « l'esclavage est utile autant qu'il est juste[A 44]. » L'autoritĂ© du maĂźtre sur l'esclave doit ĂȘtre juste car ce dernier est sa propriĂ©tĂ©, lâesclave est comme une partie du maĂźtre : « Entre le maĂźtre et lâesclave, quand câest la nature qui les a faits tous les deux, il existe un intĂ©rĂȘt commun, une bienveillance rĂ©ciproque » ; il en va tout diffĂ©remment dans le cas de lâesclavage lĂ©gal, quand câest la loi et la force seule qui les ont faits lâun et lâautre ; lâesclavage sans distinction des captifs de guerre est un esclavage injuste rejetĂ© par Aristote[A 45], parce qu'il est fondĂ© sur un droit conventionnel nĂ© de la force et dont le principe est souvent une injustice initiale[59]. Mais, Ă cĂŽtĂ© de l'esclave naturel, Aristote signale, de façon Ă©tonnamment moderne, le cas des esclaves contre nature que sont les hommes de condition libre asservis Ă une tĂąche Ă©troitement dĂ©terminĂ©e[40] : la main-d'Ćuvre constituĂ©e par les « artisans de l'industrie, (ÎČÎŹÎœÎ±Ï ÏÎżÏ ÏΔÏÎœÎŻÏηÏ) »[A 46], produits de cette Ă©conomie financiĂšre pervertie quâAristote a appelĂ©e la « chrĂ©matistique », subit une espĂšce de servitude limitĂ©e, un mode dâesclavage Ă part. L'esclavage n'avait Ă©tĂ© introduit en GrĂšce que depuis peu de temps et cette pratique suscitait des oppositions chez certains de ses contemporains[A 47].
Au total, la position d'Aristote est nuancĂ©e, et se caractĂ©rise par une grande humanitĂ© ; certes, elle contraste avec celle de Platon, qui n'avait pas d'esclaves dans sa rĂ©publique idĂ©ale et pour qui les laboureurs et les artisans Ă©taient des citoyens Ă part entiĂšre[60]. Mais il a indiquĂ© que lâesclave peut avoir un noble caractĂšre[A 48] ; il affirme surtout quâil « vaut mieux proposer Ă tous les esclaves la libertĂ© comme une rĂ©compense[A 49] », puisque dans ce cas, on nâagit pas seulement dans leur intĂ©rĂȘt mais plus encore dans son propre intĂ©rĂȘt, comme il lâexplique dans lâĂconomique, oĂč Aristote recommande aussi de traiter les esclaves avec humanitĂ©[Note 17].
La cité idéale
Aristote esquisse le tableau de sa citĂ© idĂ©ale dans les livres VII et VIII. En prĂ©cisant la nĂ©cessitĂ© de se tenir dans le cadre du possible, il montre que la structure de lâĂtat qui rĂ©pond Ă ses vĆux sera plus proche de la rĂ©alitĂ© que celle de la citĂ© de Platon[61]. Cependant, cette citĂ© idĂ©ale demeure une pure abstraction ; elle ne correspond ni Ă une volontĂ© rĂ©volutionnaire, ni Ă une utopie. Elle semble conçue comme modĂšle pour une nouvelle citĂ© Ă fonder[62].
Population et territoire Ă Ă©chelle humaine
La grandeur optimale de la citĂ© est dĂ©terminĂ©e par sa fonction propre. On aura donc une population minimum afin d'assurer lâauto-suffisance Ă©conomique de la citĂ©, sans dĂ©passer un trop grand nombre, au risque de rendre impossible le fonctionnement des institutions politiques. Il n'est pas souhaitable en effet qu'un Ătat soit trop vaste ni trop peuplĂ©, car, comme Platon[A 50], Aristote montre que la connaissance mutuelle des citoyens est nĂ©cessaire Ă lâexercice du gouvernement direct par le peuple : « Pour rĂ©partir les charges selon le mĂ©rite, les citoyens doivent nĂ©cessairement se connaĂźtre avec leurs caractĂšres particuliers, puisque lĂ oĂč ce nâest pas le cas, le choix des magistrats et les jugements se font dans de mauvaises conditions[A 51]. » La norme de grandeur de la population câest donc « dâĂȘtre facile Ă embrasser dâun seul coup dâĆil » (ΔáœÏÏÎœÎżÏÏÎżÎœ), et par lĂ mĂȘme, facile Ă dĂ©fendre[A 52].
Parmi les autres critĂšres Ă prendre en compte figurent la bonne organisation et la topographie du territoire : « Ainsi, le territoire doit ĂȘtre divisĂ© en deux parties, lâune doit ĂȘtre le domaine public, lâautre celui des particuliers[A 53]. » Le territoire doit ĂȘtre difficile Ă envahir par les ennemis mais facile Ă Ă©vacuer par ses habitants. Terre fertile en tout, il sera le plus autarcique possible et permettra une vie de loisirs. LâaccĂšs Ă la mer de la ville principale (áŒÏÏÏ , asty) lui offrira des avantages Ă©conomiques pour le commerce et lâindustrie, et des avantages militaires, pour secourir la population en cas dâattaques par des ennemis[62]. En sâinterrogeant sur l'Ă©tendue du territoire, Aristote pressent trĂšs clairement la notion de frontiĂšre, Ă©lĂ©ment constitutif de lâĂtat[63].
Structure sociale
Aristote Ă©numĂšre six fonctions publiques indispensables Ă lâexistence de cette citĂ© idĂ©ale : vivres, artisanat, armes, finances, affaires religieuses et justice[A 54]. Seuls les citoyens, « hommes absolument justes », exercent les activitĂ©s politiques, parce quâils disposent du loisir nĂ©cessaire Ă la croissance de la vertu. La fonction militaire des hoplites est assurĂ©e par les citoyens jeunes, celles de conseiller dĂ©libĂ©rant et de juge sont confiĂ©es aux plus ĂągĂ©s. Lâagriculture est assurĂ©e par des esclaves ou des pĂ©riĂšques. Les fonctions sacerdotales seront exercĂ©es exclusivement par les citoyens ĂągĂ©s, retirĂ©s de la vie politique.
Urbanisme
Câest Aristote qui, pour la premiĂšre fois, formula les rĂšgles et les principes dâun urbanisme fonctionnel[64]. Le plan dâensemble de la citĂ© idĂ©ale sera « moderne », dit Aristote, câest-Ă -dire ordonnĂ© selon un plan rĂ©gulier Ă la maniĂšre dâHippodamos de Milet pour la commoditĂ© du trafic et des activitĂ©s urbaines autant que pour lâesthĂ©tique ; mais dans certains quartiers, les maisons seront disposĂ©es en quinconce afin de dĂ©router dâĂ©ventuels envahisseurs. Ă lâinverse de Sparte, la citĂ© devra assurer son salut au moyen de fortifications rĂ©guliĂšrement entretenues[A 55]. Selon lâarchĂ©ologue Roland Martin, « non moins modernes sont les prescriptions dâAristote relatives Ă la fonction nutritive. Le plein exercice de cette derniĂšre exige un compromis avec les prĂ©occupations dĂ©fensives[65] ». Une « agora libre », dĂ©pourvue de tout trafic commercial et agrĂ©mentĂ©e de gymnases, offrira un lieu de repos et de dĂ©tente, tandis que lâagora des marchandises, bien sĂ©parĂ©e de la prĂ©cĂ©dente, facilitera la concentration des biens produits dans le pays ou importĂ©s[A 56].
RĂ©partition des richesses
Mais le problĂšme le plus important pour Aristote est celui de la rĂ©partition des richesses, entendue d'abord dans le sens que ces mots avaient dans l'antiquitĂ© grecque de rĂ©partition des domaines attribuĂ©s aux citoyens, mais aussi dans le sens dâallocations attribuĂ©es aux pauvres et de contributions imposĂ©es aux riches ; une distribution Ă©gale pour tous ne peut pas ĂȘtre appliquĂ©e, car les citoyens ne sont pas Ă©gaux, il y a les gens trĂšs aisĂ©s, les gens trĂšs modestes et la classe intermĂ©diaire. Ceux qui sâestiment supĂ©rieurs pourraient alors rĂ©clamer une part supĂ©rieure. Quel critĂšre devra-t-on retenir si on envisage une rĂ©partition proportionnelle Ă la valeur de chacun ? La naissance, la vertu câest-Ă -dire le mĂ©rite personnel, ou bien la fortune dĂ©jĂ possĂ©dĂ©e[66] ? Or, « aucun des citoyens ne doit manquer des moyens de subsistance[A 57]. » Un Ă©quilibre social stable est atteint si la classe moyenne (Ï᜞ ÎŒÎÏÎżÎœ, ÎżáŒ° ÎŒÎÏÎżÎč) est assez nombreuse pour dĂ©tenir lâautoritĂ©. Pour y parvenir, seule la dĂ©mocratie suppose lâĂ©galitĂ© arithmĂ©tique (en grec áŒÎŸ ጎÏÎżÏ ÎșαÏâáŒÏÎčΞΌÏÎœ) des citoyens entre eux, par rapport au pouvoir politique et par rapport aux fortunes, Ă©galitĂ© qui peut attĂ©nuer les diffĂ©rences. Telle est la meilleure communautĂ© politique, car elle permet d'Ă©viter les dĂ©rives que sont la tyrannie ou la dĂ©magogie : « C'est lĂ oĂč la classe moyenne est nombreuse qu'il y a le moins de factions et de dissensions parmi les citoyens[A 58]. »
Ăducation
Aristote consacre une longue rĂ©flexion Ă la fois Ă lâĂ©ducation de la jeunesse mais aussi Ă la formation continue du citoyen pendant lâĂąge adulte. Le terme dâĂ©ducation, en grec ÏαÎčΎΔία / paideia, doit en effet ĂȘtre entendu au sens large : la paideia grecque dĂ©signe non seulement lâenseignement scolaire Ă partir de sept ans, mais aussi toutes les formes de culture par lesquelles le citoyen sâĂ©lĂšve Ă un idĂ©al de perfection humaine. Câest dans ce sens quâAristote Ă©voque dans la Politique la paideia en liaison avec les coutumes ou les mĆurs (ጀΞη), la philosophie, les lois et les institutions[Note 18].
- 1. Dans le sens restreint dâĂ©ducation scolaire, il consacre plusieurs chapitres des livres VII et VIII Ă l'Ă©ducation de la jeunesse dont il dit qu'elle doit ĂȘtre « le souci primordial du lĂ©gislateur », car, variant selon chaque constitution, « elle assure la sauvegarde du rĂ©gime, tout comme, dĂšs le dĂ©but, son Ă©tablissement[A 59]. » Il traite les questions fondamentales relatives Ă lâĂ©ducation, et dĂ©limite les droits respectifs de la famille et de lâĂtat ; il dĂ©finit les matiĂšres et le but de lâenseignement, qui est Ă la fois dâordre moral et pratique, sans pour autant ĂȘtre trop utilitariste, grĂące Ă une pĂ©dagogie Ă©minemment laĂŻque[67]. S'opposant nettement au collectivisme de Platon, il voit dans l'Ă©ducation le moyen « de ramener Ă la communautĂ© et Ă l'unitĂ© l'Ătat, qui est multiple[A 60] » : « L'Ă©ducation sera donc nĂ©cessairement unique et la mĂȘme pour tous[A 61]. » Elle sera publique, Ă la charge de la citĂ© tout entiĂšre, et non rĂ©glĂ©e comme une affaire privĂ©e, au grĂ© de chaque famille, comme câĂ©tait l'usage Ă cette Ă©poque dans presque toutes les citĂ©s en GrĂšce, Ă l'exception de Sparte.
Quelles disciplines enseigner Ă la jeunesse ? Puisquâil distingue les nobles occupations des citoyens libres et les activitĂ©s des travailleurs asservis Ă des tĂąches manuelles souvent Ă©crasantes, Aristote estime que l'Ă©ducation doit comprendre des matiĂšres indispensables, et quelques-unes utiles mais pas avilissantes : « On doit tenir pour avilissant tout travail, tout art, tout enseignement qui aboutit Ă rendre le corps, lâĂąme ou lâintelligence des hommes libres impropre Ă la pratique et aux actions vertueuses[A 62] », comme le sont les techniques des artisans, qui sont gĂ©nĂ©ralement des esclaves. Aristote envisage quatre disciplines Ă enseigner : les lettres, la gymnastique, la musique[68] et le dessin. Pendant le premier Ăąge, il ne faut pas rĂ©primer les cris et les pleurs bruyants des enfants, « car ils sont utiles pour la croissance ; câest une sorte dâexercice pour le corps[A 63] ». Ă l'enfant de moins de cinq ans, on fera entendre des fables, choisies par les « inspecteurs de lâĂ©ducation » (les ÏαÎčÎŽÎżÎœÏÎŒÎżÎč, pĂ©donomes[Note 19]). On veillera soigneusement Ă bannir de la vue des plus jeunes les peintures et spectacles de comĂ©die indĂ©cents[A 64]. Entre cinq et sept ans, l'enfant assistera aux leçons qu'il lui faudra suivre plus tard. La pratique de la gymnastique comporte « deux Ă©poques distinctes, depuis sept ans jusqu'Ă la pubertĂ©, et depuis la pubertĂ© jusqu'Ă vingt-et-un ans[A 65] ». Lâobjectif gĂ©nĂ©ral de cette Ă©ducation est de rendre le citoyen apte Ă mener une vie de loisir[A 66]. Il ne faut surtout pas viser par l'Ă©ducation Ă faire des athlĂštes, ni des musiciens ou des sculpteurs, mais Ă former des personnes bien dĂ©veloppĂ©es et capables de porter un jugement Ă©clairĂ© sur les Ćuvres des artistes[A 67].
- 2. Dans son sens large, la paideia est aussi lâaffaire du lĂ©gislateur : au plan social, les lois devront « enraciner la perfection dans lâĂąme des hommes », et pour cela, favoriser les vertus de tempĂ©rance, justice et sagesse, en vue dâune vie noble et heureuse. La politique a ainsi un fondement et une fin Ă©thiques[69]. Le lĂ©gislateur aura donc pour tĂąche « dâĂ©tudier comment on devient homme de bien[A 68]. » Ă cette question : « Comment devient-on vertueux ? », Aristote rĂ©pond : « grĂące Ă trois conditions, la nature (ÏÏÏÎčÏ, dispositions innĂ©es), lâhabitude[70] (áŒÎžÎżÏ, exercices dans lâapprentissage[Note 20]) et la raison (λÏγοÏ, persuasion) » ; ces trois facteurs correspondent Ă lâordre chronologique de leur mise en Ćuvre. Le devoir du lĂ©gislateur consistera, « plus que tout, Ă bannir totalement de la CitĂ© lâindĂ©cence des propos », et particuliĂšrement « toutes choses viles qui impliquent perversitĂ© ou malveillance ». Commençant dĂšs avant le mariage, cette Ă©ducation devra favoriser la tempĂ©rance des garçons et des filles, câest-Ă -dire la maĂźtrise de leurs sens ; l'Ăąge idĂ©al du mariage sera dâenviron 37 ans pour un homme et de 18 ans pour une femme, afin que le terme de leur fĂ©conditĂ© survienne vers la mĂȘme Ă©poque[A 69] - [Note 21], et que lâĂ©cart des Ăąges entre parents et enfants ne soit ni trop court ni trop grand. Aristote recommande au lĂ©gislateur de s'assurer que « les mĂšres, durant la grossesse, veillent avec soin Ă leur rĂ©gime, et se gardent bien dâĂȘtre inactives et de se nourrir lĂ©gĂšrement[A 70]. » Comme Platon[A 71], Aristote opte pour une limitation de la procrĂ©ation dans sa citĂ© idĂ©ale, lâĂtat fixant le nombre dâenfants Ă ne pas dĂ©passer dans chaque famille[A 72]. Une loi devra interdire que l'on prenne soin des enfants nĂ©s difformes, qui devront ĂȘtre abandonnĂ©s[A 73] - [Note 22]. Aristote fixe une durĂ©e pour la procrĂ©ation en tant que « service de la citĂ© » : elle sâarrĂȘtera vers cinquante-cinq ans pour les hommes et vers quarante ans pour les femmes.
Au plan de la politique et des affaires Ă©trangĂšres, le seul but du lĂ©gislateur sera de prendre des dispositions pour que la citĂ© puisse « jouir du loisir et de la paix », loin de lâesprit de conquĂȘte et dâhĂ©gĂ©monie sur les Ătats voisins qui anima Sparte. Aristote dĂ©plore en effet que LacĂ©dĂ©mone ait « Ă©tabli toute sa lĂ©gislation en vue de la domination et de la guerre », et « ait perdu le sens dâune vie noble[A 74]. » Pour vivre en paix, la CitĂ© idĂ©ale devra cultiver une sage modĂ©ration, la justice et la philosophie.
Ainsi, la thĂ©orie aristotĂ©licienne de lâĂ©ducation a prĂ©cisĂ© la notion dâhomme cultivĂ© basĂ©e sur sa participation politique, sa personnalitĂ© morale et sa capacitĂ© crĂ©atrice, et a dĂ©fini cette notion dâĂ©ducation dâune maniĂšre novatrice comme une progression continue de lâhomme depuis lâĂ©tat naturel jusquâau raisonnement, et Ă lâexcellence du kalos kagathos[71].
Les constitutions
ModernitĂ© de la pensĂ©e dâAristote
Plus quâun enjeu politique ou polĂ©mique, Aristote fait de la Constitution un vĂ©ritable concept[72]. Il inaugure ainsi la premiĂšre vĂ©ritable analyse de la Constitution (avec une majuscule) au sens moderne du terme : il dĂ©finit en effet la Constitution comme lâensemble des lois organiques relatives Ă la rĂ©partition et Ă la rĂ©glementation des fonctions dâautoritĂ© dans une citĂ©, et surtout de lâautoritĂ© suprĂȘme quâest le gouvernement (ÏολίÏÎ”Ï ÎŒÎ±), câest-Ă -dire lâĂtat. Mais il ne fait pas de distinction entre science politique et science juridique. Il fonde la thĂ©orie de la Constitution comme une composante du rĂ©gime politique liĂ© aux habitudes et Ă la pratique[73] (áŒÎžÎżÏ, Ă©thos)[A 75]. Câest la nature mĂȘme de cette autoritĂ© suprĂȘme qui dĂ©cide de la nature de la constitution (avec une minuscule), entendue comme rĂ©gime politique[74]. De cette notion aristotĂ©licienne de Constitution, Ă©rigĂ©e en norme suprĂȘme, garante de lâĂtat de droit, dĂ©coule comme consĂ©quence une hiĂ©rarchie des rĂšgles juridiques, la hiĂ©rarchie des normes : les lois doivent obĂ©ir Ă la Constitution quant Ă leur Ă©diction et leur contenu. La suprĂ©matie de la Constitution a donc Ă©tĂ© garantie par une sorte de contrĂŽle de constitutionnalitĂ©[75], que ce contrĂŽle soit concentrĂ© entre les mains des magistrats, ou diffus et invocable par tout citoyen, afin de vĂ©rifier la compĂ©tence juridique de ceux qui Ă©dictent la norme. En appliquant Ă la diversitĂ© des rĂ©gimes politiques de citĂ©s mĂ©diterranĂ©ennes la notion grecque de « loi », Aristote mĂȘle les considĂ©rations juridiques et politiques ; le grec ÎœÏÎŒÎżÏ signifie Ă la fois « loi » et « droit ». Le rĂšgne et lâamour de la loi, dĂ©finie comme « la raison libĂ©rĂ©e du dĂ©sir », loi impersonnelle dĂ©pouillĂ©e des passions aveugles dont lâindividu est la proie, est une exigence maintes fois rĂ©itĂ©rĂ©e par Aristote ; elle est au cĆur de lâidentitĂ© grecque[76]. Aristote donne ainsi Ă ce concept de Constitution une double signification moderne : il reprĂ©sente Ă la fois le fondement du rĂ©gime politique, et la norme juridique suprĂȘme[77].
Science politique des constitutions
Aristote passe en revue diverses constitutions, telles celle dâHippodamos de Milet, de Sparte, de CrĂšte, de Carthage et d'AthĂšnes[A 76], mais souligne quâil nâexiste pas de constitution parfaite pour toutes les circonstances[A 77]. Il commence par identifier trois principaux types de constitutions selon que le pouvoir est exercĂ© par un seul, par plusieurs ou par la multitude ; mais une classification purement juridique des rĂ©gimes nâa pas dâintĂ©rĂȘt, la loi nâest pas tout ; plusieurs autres critĂšres entrent en ligne de compte, en particulier la classe sociale au pouvoir, la naissance, la pratique des institutions, et la maniĂšre de gouverner, en vue de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou de lâintĂ©rĂȘt dâun seul. Aristote intĂšgre aussi dans le droit la notion de lois non Ă©crites (áŒÎłÏαÏÎżÎč ÎœÏÎŒÎżÎč) inventĂ©e par la pensĂ©e grecque[A 78] ; ce sont dâune part les lois tirĂ©es de la coutume (áŒÎžÎ·), usages nationaux trĂšs anciens qui se perpĂ©tuent et assurent la cohĂ©sion sociale, et dâautre part la loi naturelle ou universelle, commune Ă tous les hommes[78].
Typologie des régimes politiques
Tout rĂ©gime politique instituĂ© en vue du bien commun est juste, ou « droit » selon lâappellation dâAristote qui en distingue trois :
- La monarchie, sous la forme de la royautĂ©, a pour principe lâautoritĂ© : « Nous appelons dâordinaire royautĂ© celle des monarchies (ou gouvernement d'un seul) qui a en vue l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral[A 79]. » C'est un rĂ©gime juste lorsque celui qui lâexerce surpasse incontestablement en vertu tous les autres citoyens[79], et alors, dit Aristote, « des hommes comme lui seront perpĂ©tuellement rois dans leurs citĂ©s[A 80]. »
- Lâaristocratie a pour principe en droit la valeur personnelle[80] : câest « le gouvernement dâun petit nombre, mais non dâune seule personne, soit parce que les meilleurs ont le pouvoir, soit parce que leur pouvoir a pour objet le plus grand bien de la citĂ© et de ses membres[A 79]. »
- La dĂ©mocratie ou « politie »[Note 23], dans laquelle la souverainetĂ© appartient Ă tous, a pour principe la libertĂ©. Ce gouvernement constitutionnel correct quâon appelle aussi rĂ©publique est la forme de gouvernement qui allie la citoyennetĂ© au mode d'organisation de la citĂ©. Ce rĂ©gime est celui qui sâadapte le mieux Ă tous les corps politiques, en gĂ©nĂ©ral, car il ne requiert de la multitude ni une vertu ou une Ă©ducation hors pair, ni des conditions de fortune. Câest le gouvernement de la classe moyenne[81].
RĂšgne de la loi
La formation autrefois de la royautĂ© absolue[Note 24] qui est celle des temps hĂ©roĂŻques, s'explique par la carence d'une multitude Ă©voluĂ©e ; cette situation amĂšne Aristote Ă se poser la question du choix entre gouvernement personnel et rĂšgne de la loi[82] : « Le point de dĂ©part de la recherche est celui-ci : est-il plus avantageux d'ĂȘtre gouvernĂ© par l'homme le meilleur ou par les lois les meilleures[A 81] ? » Aristote rĂ©pond : « Mieux vaut un ĂȘtre totalement dĂ©pourvu de passion, quâun ĂȘtre oĂč elle est innĂ©e » ; or ces passions nâexistent pas dans la loi[Note 25]. Les lois, Ă condition dâĂȘtre correctement Ă©tablies, doivent donc ĂȘtre souveraines. Ainsi, puisquâune constitution est caractĂ©ristique d'un Ătat de droit, il est donc clair qu'il faut prĂ©fĂ©rer la souverainetĂ© de la loi Ă celle d'un des citoyens [A 82]. Il est prĂ©fĂ©rable de donner le pouvoir Ă un grand nombre car « la multitude est plus difficile Ă corrompre ». Il faut donc donner le pouvoir, en fonction de leurs compĂ©tences, Ă des hommes de bien, et non pas en fonction de leur naissance[A 83]. Contrairement Ă Platon qui, dans les Lois veut que personne nâait une fortune supĂ©rieure Ă cinq fois[Note 26] la plus petite[A 84], Aristote considĂšre que ce sont les dĂ©sirs quâil faut modĂ©rer et cela passera par la loi[A 85]. Comme les lois influent sur les comportements et les mentalitĂ©s, câest la tĂąche du lĂ©gislateur de modifier les comportements des habitants par des lois adĂ©quates et surtout par lâĂ©ducation des enfants : « Car la nature du dĂ©sir est d'ĂȘtre sans borne et la plupart des hommes ne vivent que pour le combler[A 86]. »
IntĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et bonheur
Chacune des formes de gouvernement est lĂ©gitime en soi, Ă condition que les gouvernants aient pour objectif lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral (Ï᜞ ÎșÎżÎčΜ᜞Μ ÏÏ ÎŒÏÎÏÎżÎœ) et non leur intĂ©rĂȘt propre (Ï᜞ ጎΎÎčÎżÎœ ÏÏ ÎŒÏÎÏÎżÎœ). Une constitution est excellente si elle assure le bonheur des citoyens et si elle est capable de durer[83]. Le bonheur (ΔᜠζáżÎœ) selon Aristote signifie quelque chose de plus que le contentement nĂ© du plaisir ; il inclut une ardeur dâesprit car il rĂ©sulte de deux facteurs : dâabord la joie de vivre qui implique en soi « une part qui est belle, et une douceur naturelle », ensuite la possibilitĂ© de lâĂ©panouissement personnel que la citĂ© doit offrir Ă tous et Ă chacun[A 87]. Aristote rejoint ainsi la pensĂ©e de Sappho (fragment 79), de Bacchylide, dâEschyle et de Sophocle. Inversement, une constitution est mauvaise si elle n'assure pas le bonheur, entraĂźne des rĂ©volutions et l'appauvrissement d'une grande partie des citoyens par des lois inadĂ©quates[A 88] : « Toutes celles qui nâont en vue que lâintĂ©rĂȘt personnel des gouvernants, viciĂ©es dans leurs bases, ne sont que la corruption des bonnes constitutions ; ce sont des formes de despotisme, tandis quâau contraire la citĂ© est une association dâhommes libres[A 89]. »
DĂ©viation
Il arrive que le principe de chacune de ces formes de gouvernement correctes (áœÏΞα᜶ ÏολÎčÏΔáżÎ±Îč) soit poussĂ© Ă lâextrĂȘme (Î”áŒ°Ï ÏᜎΜ áœÏΔÏÎČÎżÎ»ÎźÎœ) par le moyen de divers sophismes politiques (Ïáż¶Îœ ÏολÎčÏΔÎčáż¶Îœ ÏÎżÏÎŻÏΌαÏα)[A 90] : Aristote introduit ici la notion de dĂ©viation, une constitution Ă©tant dĂ©viĂ©e quand elle ne vise pas Ă lâintĂ©rĂȘt commun[84]. En effet, quand lâautoritĂ© du gouvernant devient despotisme, la monarchie se mue en tyrannie ; quand la supĂ©rioritĂ© personnelle se transforme en supĂ©rioritĂ© de fortune, câest lâoligarchie de richesse qui sâinstalle aux dĂ©pens de lâaristocratie, et seuls dirigent les plus riches ; quand la libertĂ© devient licence, et que rĂšgne lâarbitraire au profit des plus pauvres et de ceux qui ont le moins de mĂ©rite, la « politie » dĂ©naturĂ©e se mue en dĂ©magogie (en dĂ©mocratie, pour parler comme Aristote) qui est un rĂ©gime populaire, comme lâavait montrĂ© Platon[A 91]. Câest ainsi que des constitutions fautives (áŒĄÎŒÎ±ÏÏηΌÎΜαÎč ÏολÎčÏΔáżÎ±Îč) ou dĂ©viantes (ÏαÏÎÎșÏαÏÎčÏ) se substituent aux constitutions correctes. Cette notion de dĂ©viation constitue un des points de divergence entre Aristote et Platon[84]. Aristote Ă©tablit un ordre dans les constitutions dĂ©viantes pour savoir laquelle serait la moins mauvaise : la tyrannie est le pire des rĂ©gimes[85], câest la forme de gouvernement « la plus nuisible pour les sujets[A 92] » ; dans ce rĂ©gime de terreur, les citoyens sont menacĂ©s dans leurs biens et asservis par un tyran qui nâa en vue que son propre intĂ©rĂȘt[86]. L'oligarchie et la dĂ©mocratie (au sens de « dĂ©magogie populaire ») sont des dĂ©viations intrinsĂšquement mauvaises : lâoligarchie est hostile au peuple, et la dĂ©mocratie est hostile Ă lâĂ©lite[87]. Cette dĂ©mocratie est cependant la moins mauvaise[A 93] des formes de gouvernement, en ce sens quâelle est « la plus proche du juste milieu »[A 94].
RĂ©gimes mixtes
Toute citĂ©, dit Aristote, renferme plusieurs Ă©lĂ©ments â humains, sociologiques, Ă©conomiques â. Cette composition ou ÏÏΜΞΔÏÎčÏ / synthesis peut ĂȘtre envisagĂ©e du point de vue de la pluralitĂ© des familles, des diffĂ©rences de richesses et dâarmement, des fonctions productives ou des mĂ©tiers, ou encore du point de vue des diffĂ©rences selon la naissance ou la vertu[88]. Ainsi, le gouvernement constitutionnel ou politie rĂ©alise une combinaison entre Ă©lĂ©ments oligarchiques et dĂ©mocratiques : Ă lâoligarchie il peut emprunter la loi infligeant une amende aux gens aisĂ©s sâils ne siĂšgent pas dans les tribunaux, et Ă la dĂ©mocratie, lâindemnitĂ© versĂ©e aux gens modestes pour y participer. Le gouvernement constitutionnel qui rĂ©alise cette combinaison vise ainsi le juste milieu, en grec Ï᜞ ÎŒÎÏÎżÎœ[89].
Pour Pierre Pellegrin, il est vain de chercher Ă savoir si Aristote est « partisan de l'aristocratie, de la dĂ©mocratie ou d'un « gouvernement des classes moyennes » comme on le dit souvent »[90]. Aristote, en effet, tout en affirmant qu'il existe « une constitution excellente », et tout en reconnaissant que l'Ă©tablissement de celle-ci est nĂ©cessairement progressif, prĂ©vient que les situations sont diverses en fonction de la culture locale et que « dans chaque situation concrĂšte il y a une et une seule forme constitutionnelle qui soit excellente[91] ». La stabilitĂ© d'une constitution est un gage de sa qualitĂ©. Le seul principe universel qui soit valable pour toutes les constitutions est celui de lâĂ©galitĂ© proportionnelle : « Chacun doit recevoir proportionnellement Ă son excellence[92]. »
Toutefois, s'il faut absolument choisir entre divers rĂ©gimes, « le rĂ©gime oĂč tout le monde participe au pouvoir est le meilleur ». C'est ce que montre le passage suivant, « immense texte, probablement une des seules, une des trĂšs grandes dĂ©fenses de l'idĂ©al dĂ©mocratique[93] » :
« Mais qu'il faille que la masse soit souveraine plutĂŽt que ceux qui sont les meilleurs mais qui sont peu nombreux, cela semblerait apporter une solution qui certes fait aussi difficultĂ©, mais qui comporte aussi sans doute du vrai. Car il est possible que de nombreux individus, dont aucun n'est un homme vertueux, quand ils s'assemblent soient meilleurs que les gens dont il a Ă©tĂ© question, non pas individuellement, mais collectivement, comme les repas collectifs sont meilleurs que ceux qui sont organisĂ©s aux frais d'une seule personne. Au sein d'un grand nombre, en effet, chacun possĂšde une part d'excellence et de prudence, et quand les gens se sont mis ensemble de mĂȘme que cela donne une sorte d'homme unique aux multiples pieds, de mĂȘme en est-il aussi pour les qualitĂ©s Ă©thiques et intellectuelles. C'est aussi pourquoi la multitude est meilleur juge en ce qui concerne les arts et les artistes : en effet, les uns jugent une partie, les autres une autre et tous jugent le tout. [...]
Il reste donc à faire participer ces gens-là aux fonctions délibérative et judiciaire. [...] En effet, quand ils sont tous réunis, ils possÚdent une juste perception des choses, et mélangés aux mailleurs, ils sont utiles aux cités. Par contre, pris individuellement, chacun a un jugement imparfait[94]. (Les Politiques, III, 11) »
La souverainetĂ©, critĂšre de lâĂtat
Ă quels principes doit-on faire appel pour dĂ©finir la lĂ©gitimitĂ© de lâĂtat ? Aristote distingue la lĂ©gitimitĂ© dâun pouvoir de droit de la simple autoritĂ© de fait. AprĂšs un changement constitutionnel, la lĂ©gitimitĂ© d'un tyran, qui a accĂ©dĂ© au pouvoir par la force, est en effet remise en cause et la validitĂ© des actes pris par ces gouvernants est contestĂ©e, puisquâils nâavaient pas en vue le bien commun. Aristote pose ainsi le principe de la lĂ©gitimitĂ© de lâĂtat, en la distinguant de la simple lĂ©galitĂ© (ÎŹÎŽÎŻÎșÏÏ áŒÏÏΔÎčÎœ). De mĂȘme que lâillĂ©gitimitĂ© entache mais ne supprime pas le caractĂšre du magistrat puisquâelle nâannule pas son investiture, de mĂȘme les actes de lâoligarchie et de la tyrannie doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des actes de lâĂtat[95].
Cette distinction entre lĂ©galitĂ© et lĂ©gitimitĂ© de lâĂtat est liĂ©e Ă celle de la permanence de lâĂtat. Quel est tout dâabord le critĂšre de lâidentitĂ© de lâĂtat ? Pour Aristote, les Ă©lĂ©ments constitutifs de lâĂtat tiennent conjointement Ă la population, au territoire et Ă la constitution[63]. LâidentitĂ© de lâĂtat dĂ©pend de la disposition de ces trois Ă©lĂ©ments qui le composent (Ï᜞ Î”áŒ¶ÎŽÎżÏ ÏáżÏ ÏÏ ÎœÎžÎÏΔÏÏ) ; aussi lâidentitĂ© des Ătats change-t-elle avec un changement de constitution. Proposant une thĂ©orie extrĂȘmement moderne de la notion dâĂtat, Aristote montre que le vĂ©ritable critĂšre de la pĂ©rennitĂ© de lâĂtat rĂ©side uniquement dans la souverainetĂ© ; car lâĂtat subsiste en tant que collectivitĂ© de citoyens disposant du pouvoir dĂ©libĂ©ratif et judiciaire ; Aristote dit expressĂ©ment : « si câest une participation commune des citoyens Ă un gouvernement[A 95]. » Le peuple est ainsi dĂ©fini en tant que concept juridique de communautĂ© civique. La permanence de la souverainetĂ© est la marque de la permanence de lâĂtat ; Aristote est ici en dĂ©saccord avec Isocrate[A 96] pour qui les citĂ©s sont immortelles, mais il constitue dĂ©jĂ une source dâinspiration pour la modernitĂ© des analyses de Jean Bodin.
Puisque la citĂ© se caractĂ©rise par son adhĂ©sion commune Ă une mĂȘme constitution[96], une constitution se maintient si la partie du peuple qui est en sa faveur est plus forte que celle en sa dĂ©faveur[A 97]. Le changement vient de ceux qui sâattaquent Ă la constitution afin quâelle soit remplacĂ©e par une autre ; c'est aussi le cas lorsque les sĂ©ditieux gardent les mĂȘmes institutions mais prennent le rĂ©gime politique sous contrĂŽle[97]. Le changement est plus important en oligarchie quâen dĂ©mocratie car le changement dans les deux cas peut venir du peuple alors quâil vient du peuple ou de la rivalitĂ© entre les oligarques en oligarchie. Donc la dĂ©mocratie est plus stable que lâoligarchie[97]. On change de constitution tantĂŽt par la force, tantĂŽt par la ruse[97]. « Les dĂ©mocraties changent principalement du fait de lâaudace des dĂ©magogues. Dans les temps anciens, quand un mĂȘme individu devenait dĂ©magogue et stratĂšge, la constitution se changeait en tyrannie. Car la majoritĂ© des anciens tyrans Ă©taient sortis des rangs des dĂ©magogues[A 98]. « La dĂ©mocratie extrĂȘme, en effet, est une tyrannie[A 99]. »
Aristote critique lâostracisme[Note 27], cette forme dâĂ©puration profitable aux tyrans et dĂ©rive des dĂ©mocraties qui Ă©liminent ainsi ceux qui surpassent les autres par quelque avantage, acquis ou naturel. Mais il fait une rĂ©serve pour l'homme de gĂ©nie, lâĂȘtre supĂ©rieur dâune vertu Ă©minente (ÎŽÎčαÏÎÏÏÎœ ÎșαÏâáŒÏΔÏÎźÎœ) : il faut plutĂŽt lui obĂ©ir de bonne grĂące[Note 28], car « un tel individu est comme un dieu parmi les hommes »[A 100].
Ă AthĂšnes, Solon a bien distribuĂ© les divers niveaux de participation au pouvoir par un heureux mĂ©lange des Ă©lĂ©ments de la constitution : l'ArĂ©opage qui dĂ©libĂšre sur les affaires communes est oligarchique ; lâĂ©lection des magistrats, rĂ©servĂ©e aux citoyens les meilleurs, est aristocratique ; lâorganisation des tribunaux est dĂ©mocratique. Ces trois domaines peuvent ĂȘtre organisĂ©s de plusieurs maniĂšres : Ă tour de rĂŽle ou par reprĂ©sentation Ă©lective[A 101].
DĂ©mocratie et politie
Aristote revient trĂšs souvent sur la notion de dĂ©mocratie, qui signifie que le pouvoir est exercĂ© par la masse du peuple, au dĂ©triment des riches, sous l'impulsion des dĂ©magogues. Le terme grec ÎŽÎ·ÎŒÎżÎșÏαÏία / democratia, pris dans un sens pĂ©joratif, est dans ce cas traduit par « dĂ©magogie » ou « rĂ©gime populaire »[98] - [99]. Elle est considĂ©rĂ©e comme une forme dĂ©viante du rĂ©gime constitutionnel correct qu'est la rĂ©publique tempĂ©rĂ©e, qu'Aristote appelle la « politie » (ÏολÎčÏΔία).
- DĂ©mocratie
La dĂ©mocratie a deux caractĂ©ristiques principales : l'une est l'Ă©galitĂ© des citoyens[A 102], et l'autre est la libertĂ©. La premiĂšre implique de pouvoir ĂȘtre alternativement gouvernĂ© et gouvernant, la seconde de pouvoir vivre comme on veut[A 103]. Mais la libertĂ© et lâĂ©galitĂ© politique ne doivent pas entraĂźner un partage Ă©gal des avantages du pouvoir ; car la justice, ce nâest pas lâĂ©galitĂ© entre Ă©gaux, cette conception erronĂ©e est gĂ©nĂ©ratrice de luttes pour le pouvoir au sein des citĂ©s ; en effet, les dĂ©mocrates, voulant rĂ©aliser la justice absolue, exigent une Ă©galitĂ© absolue, erreur lourde de discordes et de guerres civiles ; or la justice, câest lâĂ©galitĂ© proportionnelle ou justice distributive[A 104] ; elle Ă©tablit une moyenne proportionnelle entre deux inĂ©galitĂ©s : ceux qui contribuent le plus au bien de la communautĂ© en raison de « leurs belles actions » (Ïáż¶Îœ ÎșÎ±Î»áż¶Îœ ÏÏÎŹÎŸÎ”ÏÎœ) ont dans lâĂtat une part plus grande que les autres, qui ne sont pas leurs Ă©gaux en vertu civique (áŒÏΔÏÎź), â mĂȘme sâils sont supĂ©rieurs par la naissance ou la richesse[A 105] â. Seuls les hommes bons et vertueux ont donc vraiment qualitĂ© pour gouverner lâĂtat[100] ; mais allant plus loin que Platon[A 106] qui sâen tenait Ă la vertu comme unique base de sa citĂ© idĂ©ale, Aristote retient aussi comme titres de faveur pour assumer les charges de lâĂtat, la possession des facteurs essentiels que sont la naissance libre, la richesse, la noblesse, et la culture (la ÏαÎčΎΔία / paideia)[A 107].
« Voici les traits caractĂ©ristiques du rĂ©gime populaire : Ă©lection de tous les magistrats parmi tous les citoyens ; exercice du pouvoir par tous sur chacun, chacun Ă tour de rĂŽle commandant Ă tous ; tirage au sort de toutes les magistratures, ou du moins de toutes celles qui nâexigent ni expĂ©rience pratique ni connaissances techniques ; absence totale ou extrĂȘme modicitĂ© du cens pour accĂ©der aux magistratures ; interdiction pour le mĂȘme citoyen d'exercer deux fois une magistrature, sauf quelques exceptions et seulement pour quelques charges, mises Ă part les fonctions militaires ; courte durĂ©e ou de toutes les magistratures, ou dâun aussi grand nombre que possible ; accĂšs de tous aux fonctions judiciaires et choix, parmi tous, de juges ayant une compĂ©tence universelle, ou la plus large possible pour les affaires les plus importantes et vraiment primordiales, par exemple les vĂ©rifications de comptes, les questions constitutionnelles et les contrats de droit privĂ© ; souverainetĂ© absolue de l'assemblĂ©e en toutes matiĂšres[A 108]. »
Concernant le pouvoir dĂ©libĂ©ratif, le rĂ©gime dĂ©mocratique doit ĂȘtre tempĂ©rĂ© par des lois et des magistrats dĂ©signĂ©s par Ă©lection et ayant compĂ©tence pour dĂ©cider de certains sujets : « Le vote du petit nombre, sâil est nĂ©gatif, est sans appel, mais sâil est positif, il nâest pas sans appel et entraĂźne toujours renvoi Ă la multitude[A 109]. »
- Politie
La politie, constitution mixte, est un mĂ©lange dâoligarchie et de dĂ©mocratie ; si on veut lâĂ©tablir, on peut emprunter des Ă©lĂ©ments Ă ces deux rĂ©gimes selon trois modes diffĂ©rents de mĂ©langes[101], par exemple « emprunter Ă lâoligarchie les magistratures Ă©lectives, Ă la dĂ©mocratie, la suppression du cens[A 110]. » Ainsi, « la fusion de deux rĂ©gimes en eux-mĂȘmes mauvais, dĂ©viĂ©s, peut produire un rĂ©gime correct, droit, bĂ©nĂ©fique[102]. » La politie ou rĂ©publique tempĂ©rĂ©e est le rĂ©gime le plus praticable et celui qui risque le moins de se dĂ©voyer du fait dâune mauvaise pratique des institutions. Câest aussi le rĂ©gime qui donne le pouvoir Ă la classe moyenne et assure ainsi un gouvernement des modĂ©rĂ©s[103], de ceux qui tiennent le juste milieu (ΌΔÏÏÏηÏ) et dont « lâappoint fait pencher la balance et empĂȘche les extrĂȘmes opposĂ©s dâarriver au pouvoir[104]. »
Théorie des révolutions
Aristote consacre le livre V Ă un examen systĂ©matique de la transformation et de la ruine des constitutions ; il Ă©tudie les causes particuliĂšres et les causes gĂ©nĂ©rales qui expliquent ces changements, et dans le livre VI, il expose les moyens de sauvegarder les diffĂ©rents rĂ©gimes politiques, quels quâils soient, sans jugement de valeur[105]. IllustrĂ© par une foule dâexemples historiques concrets tirĂ©s de toutes les parties du monde hellĂ©nique et servant de preuves aux thĂšses politiques, ce livre V se prĂ©sente comme « ce manuel pratique de lâhomme dâĂtat dont sâinspirera sans doute Machiavel dans Le Prince et dans les Discours sur la premiĂšre dĂ©cade de Tite-Live[106]. » Le maĂźtre-mot lĂ©guĂ© par Aristote aux lĂ©gislateurs, câest celui de « juste milieu » (en grec Ï᜞ ÎŒÎÏÎżÎœ, áŒĄ ΌΔÏÏÏηÏ), qui doit caractĂ©riser tous les rĂ©gimes quels quâils soient[107].
- Causes et vanité des révolutions
Le changement de rĂ©gime et les troubles politiques proviennent Ă la fois de facteurs internes, parce qu'une citĂ© est un organisme vivant comparable Ă un corps, et de disparitĂ©s gĂ©ographiques, ce qui se rapproche d'une conception darwinienne[108] ; ainsi Aristote mentionne-t-il dans le territoire de certaines citĂ©s, des zones non homogĂšnes : par exemple Ă AthĂšnes, dit-il, les habitants du PirĂ©e sont plus dĂ©mocrates que ceux de la ville ; de mĂȘme, lâabsence de communautĂ© de race ou de mĆurs, (en grec áŒÎœÎżÎŒÎżÎčÏÏÎ·Ï / anomoĂŻotĂšs, hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©) est-elle une cause de troubles politiques, « tant quâil nây a pas une communautĂ© dâaspirations » :
« Une citĂ© ne naĂźt pas de nâimporte quelle foule. Câest pourquoi les Ătats qui ont admis des Ă©trangers comme cofondateurs ou ensuite comme colons ont, pour la plupart, connu des sĂ©ditions (V, 1303 a 25-28) »
Les causes de contestation dâun rĂ©gime politique sont nombreuses, la principale Ă©tant le sentiment d'injustice, donc d'inĂ©galitĂ©[109]. C'est souvent l'excĂšs dans l'application d'un principe juste qui amĂšne une constitution dĂ©viante Ă remplacer celle qui Ă©tait droite :
« La dĂ©mocratie est nĂ©e presque toujours de ce quâon a prĂ©tendu rendre absolue et gĂ©nĂ©rale une Ă©galitĂ© qui nâĂ©tait rĂ©elle quâĂ certains Ă©gards. Parce que tous sont Ă©galement libres, ils ont cru quâils devaient ĂȘtre Ă©gaux dâune maniĂšre absolue. Lâoligarchie est nĂ©e de ce quâon a prĂ©tendu rendre absolue et gĂ©nĂ©rale, une inĂ©galitĂ© qui nâĂ©tait rĂ©elle que sur quelques points, parce que, tout en nâĂ©tant inĂ©gaux que par la fortune, ils ont supposĂ© quâils devaient lâĂȘtre en tout et sans limite (V, 1301 a 28-33) »
La rĂ©volution ne sâopĂšre pas nĂ©cessairement de maniĂšre brusque, mais parfois par une lente transition d'un rĂ©gime dĂ©mocratique Ă un rĂ©gime oligarchique ou inversement. Car on voit Ă©merger des formes mixtes et imprĂ©cises de rĂ©gime politique, du fait de petits empiĂštements et de petits avantages gagnĂ©s, dans un premier temps, sur le parti adverse, de sorte que « les lois restent les lois prĂ©cĂ©demment en vigueur, mais le pouvoir tombent aux mains de ceux qui changent le rĂ©gime[A 111]. » Jules Tricot observe quâAristote dĂ©veloppe là « une vue profonde et trĂšs moderne sur la vanitĂ© des rĂ©volutions, qui conservent plus qu'elles ne dĂ©truisent[110]. »
- RemĂšdes
Quels sont les remĂšdes possibles aux sĂ©ditions et Ă la dĂ©cadence des constitutions ? La dĂ©mocratie doit mĂ©nager les riches, et s'assurer que les conservateurs soient plus forts que les rĂ©formateurs. Un systĂšme Ă©ducatif conforme au rĂ©gime politique est un moyen puissant de faire durer une constitution[111] : sans cette Ă©ducation et des habitudes adaptĂ©es Ă lâesprit de la constitution, pas d'obĂ©issance aux lois, condition essentielle pour le maintien du rĂ©gime. Mais le plus important est la rĂšgle du juste milieu et la modĂ©ration des dirigeants (ΌΔÏÏÎčÏÏηÏ)[Note 29]. Dans une monarchie, moins les rois ont de domaines oĂč ils sont souverains, plus leur pouvoir dans son intĂ©gralitĂ© durera nĂ©cessairement longtemps. En revanche, dans le cas de la tyrannie, il y a deux façons de maintenir le rĂ©gime. La premiĂšre est de la renforcer en augmentant la rĂ©pression, en dĂ©veloppant le contrĂŽle de la police secrĂšte sur les citoyens, en utilisant la corruption et en appauvrissant son peuple : « Un autre principe de la tyrannie est dâappauvrir les sujets : câest le moyen Ă la fois de nâavoir pas Ă entretenir de garde et de priver les citoyens, absorbĂ©s par leur tĂąche quotidienne, de tout loisir pour conspirer[A 112]. » L'autre mĂ©thode, tout Ă fait opposĂ©e, est que le tyran adopte un comportement ayant les apparences de celui d'un roi. Ces considĂ©rations sur la violence et la duplicitĂ© des tyrans peuvent paraĂźtre empreintes dâun certain cynisme, elles Ă©voquent Machiavel[Note 30]. Toutefois, Ă la diffĂ©rence de ce dernier, Aristote ne dissimule pas sa rĂ©pugnance et son mĂ©pris pour les tyrans et ne conseille pas de suivre leur conduite ; il considĂšre au contraire que le tyran qui veut se donner les apparences de la vertu en arrivera, par la force de l'habitude, Ă s'amĂ©liorer, car il est persuadĂ© que les humains sont naturellement attirĂ©s vers le bien[112].
Lâinfluence de la Politique dâAristote
- Dans lâantiquitĂ© classique
- La Politique semble nâavoir connu quâune diffusion trĂšs limitĂ©e, seule lâĂ©dition dâAndronicos de Rhodes c.â et les copies des ouvrages dâAristote que possĂ©daient les bibliothĂšques royales de Pergame et dâAlexandrie ont permis une certaine diffusion. Ă la fois descriptif et prescriptif, le traitĂ© de science politique d'Aristote n'a pas eu d'influence Ă son Ă©poque, car de nombreuses citĂ©s-Ă©tats Ă©taient alors en voie de perdre leur indĂ©pendance sous la conquĂȘte d'Alexandre le Grand. Ă Rome, au IIe siĂšcle av. J.-C., lâhistorien Polybe se montre disciple dâAristote dans sa description du « cycle constitutionnel », sa ÏολÎčÏΔÎčáż¶Îœ áŒÎœÎ±ÎșÏÎșλÏÏÎčÏ[113]. La Politique est commentĂ©e par CicĂ©ron dans son De Republica et son De Legibus ; le penseur romain pouvait lire le traitĂ© dâAristote grĂące au grammairien Tyrannion qui essaya dâen rĂ©viser le texte ; c'est par lâintermĂ©diaire de CicĂ©ron que la doctrine politique du Stagirite exerça une influence certaine sur lâĂ©volution des idĂ©es politiques dans le monde romain, en particulier pour lâexposĂ© logique des rĂšgles juridiques par les juristes de lâĂ©poque impĂ©riale puis pour la pensĂ©e juridique du Bas Empire[114].
- Au Moyen Ăge
- Depuis le Moyen Ăge chrĂ©tien, la renommĂ©e et lâinfluence dâAristote nâont cessĂ© de grandir. En Orient, seul Michel d'ĂphĂšse au temps de la Renaissance des lettres antiques Ă Byzance, a connu plusieurs grands ouvrages dâAristote et a pris la Politique comme objet de son enseignement Ă Constantinople[115]. AprĂšs avoir Ă©tĂ© longtemps oubliĂ©, l'ouvrage est redĂ©couvert au XIIIe siĂšcle, sans doute c.â, par Guillaume de Moerbeke : il en fait alors une traduction latine qui inspirera le commentaire de saint Thomas d'Aquin intitulĂ© Commentarii in octo libros Politicorum Aristotelis[116] ; elle inspire aussi saint Albert le Grand et Pierre d'Auvergne qui l'utilisent et la commentent. Saint Thomas dâAquin est celui qui opĂšre la synthĂšse la plus complĂšte des principes aristotĂ©liciens et chrĂ©tiens, comme on le voit Ă propos de la souverainetĂ© qui appartient au peuple, bien que lâautoritĂ© des princes et magistrats vienne de Dieu[Note 31] ; Ă sa doctrine, Thomas dâAquin ajoute quelques correctifs empruntĂ©s Ă la CitĂ© de Dieu de saint Augustin. Les arguments dâAristote sont dâailleurs invoquĂ©s dans une rĂ©flexion sur l'augustinisme. DĂšs la fin du XIIIe siĂšcle, les textes dâAristote jouissent dâune autoritĂ© exceptionnelle, comme le prouve le De Monarchia, en , de Dante Alighieri ; dans sa Divine ComĂ©die, le poĂšte florentin salue Aristote comme « il maestro di color che sanno », « le MaĂźtre de ceux qui ont science »[117]. En , Jean de Jandun et Marsile de Padoue, dans leur Defensor Pacis (1324), demandent « la doctrine de vĂ©ritĂ© Ă lâoracle de la sagesse paĂŻenne, au divin Aristote ». La Politique est Ă cette Ă©poque commentĂ©e par les plus illustres docteurs chrĂ©tiens[118].AllĂ©gorie du Bon Gouvernement, fresque dâAmbrogio Lorenzetti (vers 1339), dâinspiration aristotĂ©licienne (Palazzo Pubblico, Sienne).
Durant la mĂȘme pĂ©riode, deux franciscains dâOxford, Roger Bacon et Richard de Middletown, considĂšrent lâĆuvre dâAristote comme la base de toute philosophie morale et politique, et en particulier de la philosophie sociale objective. Au XIVe siĂšcle, la pensĂ©e d'Aristote entre dans la lutte qui oppose la papautĂ© et l'empire[119], la querelle entre Boniface VIII et Philippe le Bel ; les partisans du pouvoir pontifical, PtolĂ©mĂ©e de Lucques, Jacques de Viterbe, lâarchevĂȘque de Bourges, Gilles de Rome, et Jean Buridan de BĂ©thune utilisent divers arguments tirĂ©s de la Politique ; leurs adversaires, Siger de Brabant et Jean de Paris prĂŽnent au contraire la sĂ©paration de lâĂglise et de lâĂtat. Jean de Paris soutient le droit des jeunes nations Ă lâindĂ©pendance, donnant ainsi naissance Ă une notion Ă©largie de la polis aristotĂ©licienne qui sera une des bases des Ătats modernes. La Politique dâAristote a donc permis de prĂ©ciser les thĂ©ories des droits de lâĂtat, et surtout les relations entre lâĂglise et lâĂtat : les principes aristotĂ©liciens deviennent ainsi lâintroduction Ă la politique religieuse des temps modernes. Nicolas Oresme traduit et commente la Politique et lâĂthique dâAristote en 1371, et rĂ©dige pour le futur Charles V un TraitĂ© de la premiĂšre invention de la monnaie qui reprend les considĂ©rations du philosophe grec sur lâusure et lâĂ©conomie monĂ©taire.
- Aux XVe et XVIe siĂšcles
- Ă lâaube des temps modernes, les conditions historiques et religieuses sont rĂ©unies pour que la Politique connaisse une grande vogue ; les Ă©ditions, les traductions et les paraphrases dâAristote se multiplient partout en Europe. La nouvelle traduction proposĂ©e par Leonardo Bruni dâArezzo suscite parmi les humanistes de nombreux admirateurs au philosophe grec. Câest Ă Venise que paraĂźt en 1498 lâĂ©dition princeps des Ćuvres dâAristote en grec. Les villes dâItalie, qui connaissent Ă cette Ă©poque dâincessants changements de rĂ©gime politique, offrent comme une illustration vivante des thĂ©ories aristotĂ©liciennes sur les rĂ©volutions dans les oligarchies et les dĂ©mocraties ; on puise alors dans la Politique des arguments pour conforter les notions de citoyennetĂ©, de droit naturel dans la vie en sociĂ©tĂ©, et pour limiter le pouvoir dominateur des princes et des dynastes. La RĂ©forme protestante, avec Luther et Calvin, contribue, quant Ă elle, Ă ruiner la thĂ©ocratie pontificale et Ă renouveler la conception du pouvoir temporel[120]. Câest sans doute Machiavel qui emprunte le plus Ă Aristote : il reprend la notion dâĂtat au sens moderne du mot, et prĂ©sente Ă la maniĂšre dâAristote les diffĂ©rents rĂ©gimes politiques ; pour dresser le portrait du Prince (1513), Ă©nergique et habile mais capable aussi de cynisme et de fourberie si le succĂšs est Ă ce prix, il utilise les livres V et VI de la Politique oĂč Aristote fait le portrait du tyran. Les emprunts au philosophe grec sont Ă©vidents Ă©galement dans les Discours sur la premiĂšre dĂ©cade de Tite-Live oĂč Machiavel prĂ©sente les trois formes traditionnelles de rĂ©gimes politiques et dĂ©finit son idĂ©al, le gouvernement mixte dâune « rĂ©publique » dans laquelle « le prince, les grands et le peuple, gouvernant ensemble lâĂtat, peuvent plus facilement se surveiller entre eux[121]. » Ă la mĂȘme Ă©poque, un grand nombre dâhumanistes reprennent dans leurs Ćuvres les notions fondamentales dâAristote sur la nature de lâĂtat qui a pour fin le bien commun, sur le consentement des citoyens et sur les mĂ©rites des gouvernants : câest le cas de Guillaume Postel, du dominicain espagnol Francisco de Vitoria, des penseurs rĂ©formĂ©s ThĂ©odore de BĂšze et François Hotman, mais surtout dâĂrasme avec son traitĂ© sur lâInstitution du prince chrĂ©tien (en) (1516) destinĂ© au futur Charles Quint, et du fervent lecteur dâAristote que fut Thomas More, auteur de L'Utopie ; pour lui comme pour le philosophe grec, les fonctions publiques sont Ă©lectives, et pour les remplir, seul le mĂ©rite compte[122]. Jusquâau dĂ©but du XVIIe siĂšcle, dans toute lâEurope, les penseurs poursuivent un dialogue fĂ©cond avec Aristote mais aussi entre eux, et leurs Ćuvres se succĂšdent en controverses doctrinales et politiques : citant abondamment la RĂ©publique de Platon et la Politique dâAristote, Jean Bodin insiste sur la vertu de justice comme fondement de la vie sociale et politique, dans Les Six Livres de la RĂ©publique () ; George Buchanan dans son De Jure Regni apud Scotos () et le jĂ©suite espagnol Juan de Mariana dans son De Rege et Regis Institutione (1598-1599) admettent tous deux la lĂ©gitimitĂ© de lâinsurrection contre le tyran ; le philosophe calviniste allemand Johannes Althusius dans sa Politica methodica digesta () dĂ©veloppe des thĂ©ories dĂ©mocratiques ; deux jĂ©suites, lâespagnol Francisco SuĂĄrez, « lâun des plus Ă©minents reprĂ©sentants de la philosophie du droit », dans son De Legibus ac de Deo Legislatore (), et l'italien saint Robert Bellarmin dans ses traitĂ©s, reprennent les notions fondamentales dâAristote. Le XVIe siĂšcle voit ainsi dĂ©finies les notions dâĂtat et de souverainetĂ© Ă partir des principes dâAristote, et avec elles, vont apparaĂźtre de nouvelles normes juridiques qui vont permettre au Hollandais Hugo Grotius de fonder le droit international public, dans son De Jure Belli et Pacis () [123].
- Aux XVIIe et XVIIIe siĂšcles
- Lâinfluence du philosophe grec se fait encore fortement sentir, et il nâest aucun penseur Ă cette Ă©poque qui ne soit largement tributaire de la Politique, sans toujours indiquer la source de ses emprunts. Hobbes fait, comme Aristote, lâĂ©tude des diverses formes de gouvernement dans ses Elementa philosophica : de Cive (1642) et dans son Leviathan ; Spinoza dans son Tractatus theologico-politicus (1670) confĂšre Ă la communautĂ© politique un pouvoir absolu ; pour le libĂ©ral John Locke et son Essai sur le Gouvernement civil (1690), cette communautĂ© politique rĂ©sulte au contraire dâune acceptation volontaire, un agreement tacite ou expresse, lâĂtat assurant Ă lâindividu, dĂ©livrĂ© de lâinsĂ©curitĂ©, la jouissance paisible de ses biens[124]. Parmi les philosophes français, Montesquieu est sans conteste celui qui se montre le plus proche disciple dâAristote. Dans L'Esprit des Lois (1748), il distingue, lui aussi, constitution et lois particuliĂšres qui en dĂ©coulent, ainsi que trois gouvernements : monarchie, despotisme et rĂ©publique, le principe de la rĂ©publique Ă©tant la vertu ; Montesquieu traite des climats, Ă©tudie les finances, lâesclavage, le commerce, la monnaie et lâĂ©ducation, autant de thĂšmes quâil emprunte directement Ă Aristote. Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social () reprend Ă©galement la classification aristotĂ©licienne des trois formes de gouvernement : monarchie, aristocratie et dĂ©mocratie, et fait intervenir aussi le territoire et le climat. Il insiste comme le philosophe grec sur lâĂ©ducation du futur citoyen, dans lâĂmile (). Condorcet publie la Vie de Turgot en , et Esquisse d'un tableau historique des progrĂšs de l'esprit humain (). Ă la base de toute sociĂ©tĂ©, il place la raison universelle, analogue Ă lâIntellect actif dâAristote, et comme lui, il attache une grande importance Ă lâĂ©ducation. Ces efforts des philosophes et penseurs politiques pour prĂ©ciser la notion de libertĂ© civique et personnelle, Ă la suite des caractĂ©ristiques de la citoyennetĂ© Ă©tudiĂ©es par Aristote, devaient contribuer Ă dĂ©finir les droits du citoyen, tels quâon les trouve dans la DĂ©claration des droits de l'homme et du citoyen de 1789[125].
Depuis le XIXe siĂšcle, dans toute lâEurope, de trĂšs nombreuses Ă©ditions, traductions et Ă©tudes ont Ă©tĂ© publiĂ©es, tĂ©moignant de lâintĂ©rĂȘt universel de la Politique dâAristote, qui reste, selon le mot du grand historien Eduard Zeller, « le plus important de tous les travaux que nous ayons dans le domaine de la science politique[126] ». Un colloque rĂ©unissant six experts issus du monde acadĂ©mique europĂ©en sâest mĂȘme tenu Ă lâUNESCO en novembre 2016 sur le thĂšme « Enseigner Aristote », et a montrĂ© que « les Ă©crits de ce grand penseur de lâantiquitĂ© ne sont pas frappĂ©s dâun risque dâobsolescence et leur intĂ©gration sous des formes appropriĂ©es dans nos mĂ©thodes Ă©ducatives nâest pas une idĂ©e incongrue[127]. »
Notes et références
Notes
- Les traités utilisés par Aristote pour son enseignement sont appelés « acroamatiques ». Il ne s'agit toutefois pas de notes prises par ses étudiants. Voir Pellegrin 1990, p. 11.
- Nous ne disposons pas de commentaires grecs anciens sur le Politique, comme pour les autres traitĂ©s, ni mĂȘme de tous les Ă©crits dâAristote dont disposaient les Anciens, pour nous permettre d'apprĂ©cier l'Ă©volution de sa pensĂ©e politique devant les bouleversements quâĂ la mĂȘme Ă©poque Alexandre le Grand rĂ©alisait sur la scĂšne du monde.
- Ces incohĂ©rences ne sont souvent qu'apparentes, et des savants comme Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff, Werner Jaeger et Hans von Arnim ont pu, grĂące Ă elles, dĂ©celer dans le texte des couches dâĂąge diffĂ©rents, permettant de mesurer lâĂ©volution de la pensĂ©e dâAristote dans son incessant travail de retouche.
- Câest le cas de lâĂ©dition de BarthĂ©lemy Saint-Hilaire (1837), disponible sur Wikisource, ici mĂȘme, qui transpose les livres VII et VIII aprĂšs le livre III, et les livres VI et V aprĂšs le livre IV.
- Les détails et arguments sur toute cette question sont examinés à fond par Jean Aubonnet, Introduction à la Politique, édition Les Belles Lettres, 1968, p. CV à CIX.
- Aristote admet quâil « faut imaginer les hypothĂšses quâon voudra, mais rien dâimpossible », Livre II, 6, 1265 a 16-17.
- Aristote est né dans la cité de Stagire, on le désigne donc parfois du nom de « Stagirite ».
- Le grec ÎŽÎčαÏÏÏηΌα dĂ©signe un doute.
- Jean-Jacques Rousseau et les partisans du contrat prolongent Ă lâĂ©poque moderne cette conception.
- Pour Aristote, comme dâailleurs pour les sophistes ou pour Platon, malgrĂ© leurs divergences, câest lâĂ©ducation qui compte, et non pas la nature[38].
- Câest ce mĂȘme objectif dâune vie heureuse que Platon assignait dĂ©jĂ Ă sa CitĂ© idĂ©ale dans Les Lois (VIII, 829 a).
- Aristote cite Ă lâappui de son argument un des plus anciens lĂ©gislateurs grecs, PhĂ©don de Corinthe, pour qui le nombre des citoyens et le nombre des propriĂ©tĂ©s familiales devaient rester Ă©gaux.
- D'une façon gĂ©nĂ©rale, pour Aristote, il nây a plus de citĂ© quand il y a surpeuplement : dix personnes rĂ©unies ne font pas une citĂ©, mais cent mille Ăąmes nâen font pas une non plus ; Ăthique Ă Nicomaque, IX, 10, 1170 b 32.
- Une objection sur ce critĂšre a Ă©tĂ© formulĂ©e par AntisthĂšne, peut-ĂȘtre disciple de Gorgias.
- Le loisir des citoyens libres est une absence dâactivitĂ©s manuelles, il dĂ©pend de l'accomplissement de besognes infĂ©rieures par les travailleurs manuels, artisans et esclaves. Ainsi sâexplique que ces travailleurs, bien que privĂ©s de droits civiques, restent indispensables Ă la vie mĂȘme de la citĂ©. Voir Friedrich Solmsen, « Leisure and play in Aristotle's ideal State », Rheinisches Museum, N.F. 107, Heft 3, p. 193-220.
- Aristote fait allusion Ă certains sophistes comme Thrasymaque, Antiphon, Lycophron et d'autres.
- « Il est conforme Ă la justice et Ă lâintĂ©rĂȘt de leur proposer comme rĂ©compense, la libertĂ©, car ils se donnent volontiers de la peine lorsquâune rĂ©compense est en jeu et que leur temps de servitude est limitĂ©. Il faut aussi sâassurer de leur fidĂ©litĂ© en leur permettant dâavoir des enfants. » (Ăconomique, Livre I, 3, 1344 b 15-19.) C'est cet affranchissement de ses propres esclaves quâAristote a expressĂ©ment demandĂ© dans son testament, voir Werner Jaeger, Aristote, p. 333-334.
- Platon avait dĂ©jĂ soulignĂ© lâinterdĂ©pendance entre caractĂšre et constitution : RĂ©publique, VIII, 544 d.
- Les pĂ©donomes surveillent lâemploi du temps des enfants avant lâĂąge de sept ans et leur Ă©vitent les contacts avec les esclaves, pour quâils nâacquiĂšrent pas de tournures incorrectes de langage ni de mauvais exemples. Platon Ă©voque ces problĂšmes dans son Lysis, 223 a.
- Les vertus morales sâacquiĂšrent par lâhabitude. Les efforts et lâapplication sont pĂ©nibles tant quâils sont des effets de la nĂ©cessitĂ© et de la contrainte ; mais devenu habituel, lâacte rĂ©pĂ©tĂ© un nombre suffisant de fois produit un effet apaisant et devient agrĂ©able : la contrainte initiale peut alors disparaĂźtre.
- Pratiquée durant les mois d'hiver, par vent du nord, l'union sexuelle aurait plus de chance de donner naissance à des enfants mùles selon les médecins de l'époque. Platon avait déjà noté cette influence des vents et des eaux dans ses Lois, Livre V, 747 d.
- Cette coutume, qui était en usage à Sparte et dans de nombreuses villes grecques, est également soutenue par Platon, au livre V 461 b, de sa République ; il recommande en outre de prendre toutes les précautions pour ne pas mettre au monde des enfants nés d'une union illicite.
- En grec ÏολÎčÏΔία : il s'agit de la constitution normale ou non dĂ©viante que les traducteurs dâAristote appellent « rĂ©publique », « rĂ©publique tempĂ©rĂ©e » ou encore « gouvernement constitutionnel », pour la distinguer de ÎŽÎ·ÎŒÎżÎșÏαÏία / demokratia, qui dĂ©signe la dĂ©magogie.
- Aristote distingue cinq sortes de royautĂ© : la royautĂ© absolue, la royautĂ© des barbares par droit dâhĂ©rĂ©ditĂ©, lâaisymnĂ©tie, la royautĂ© de type lacĂ©dĂ©monien et la royautĂ© dâun seul homme ayant autoritĂ© sur tout.
- Câest lâargument de Platon, Lois, Livre IV, 713 e sq.
- Aristote cite les Lois de mĂ©moire et se trompe : il sâagit en fait de quatre fois.
- Lâostracisme Ă©tait inusitĂ© au temps dâAristote.
- Aristote pense sans doute ici aux vrais philosophes de la RĂ©publique de Platon, livre VII, 540 d, devenus maĂźtres du pouvoir et gouvernant selon la justice ; BarthĂ©lemy-Saint-Hilaire fait observer que « lâhumanitĂ© sâest toujours soumise Ă CĂ©sar, Ă Cromwell, Ă NapolĂ©on, et elle en a quelquefois profitĂ© ».
- Platon en parle dans les Lois, III, 693 e et 701 e.
- Selon Aristote, « le tyran doit toujours se montrer dâun zĂšle exemplaire pour le culte des dieux car les citoyens redoutent moins de subir quelque action illĂ©gale de la part de gens de cette espĂšce, et ils conspirent moins contre lui, se disant quâil a les dieux mĂȘme pour alliĂ©s (Politique, Livre V, XI, 1314 b 38-40). » Machiavel affirme de mĂȘme que le Prince doit prendre le plus grand soin Ă paraĂźtre et Ă parler comme sâil Ă©tait lâincarnation de la piĂ©tĂ© (Le Prince, chapitres XVI et XVIII).
- Câest le principe omnis potestas a Deo per populum. La doctrine politique de saint Thomas dâAquin sâexprime dans le De Regimine Principum, le Commentaire sur la Politique, la Somme ThĂ©ologique (Secunda Secundae), les Commentaires sur les Sentences de Pierre Lombard ou Sur les ĂpĂźtres de saint Paul.
Références antiques
Sauf exception, les rĂ©fĂ©rences au texte grec dâAristote sont donnĂ©es dans lâĂ©dition des Belles Lettres. La traduction de BarthĂ©lemy Saint-Hilaire est non seulement datĂ©e (1874) mais source de nombreuses confusions.
- Politique livre IV, 1289 a 26-27.
- Politique, Livre III, chap. XII, 1282 b 14.
- Ăthique Ă Nicomaque, Livre X, 10, 1181 b 13 et suivants.
- Politique, Livre IV, XI, 1295 a 37-38 et 1295 b 4. Platon, La République [détail des éditions] [lire en ligne], X, 619 a.
- Politique, I, I, 1252 a 17-26.
- Physique, Livre II, 1, 192 b 8 sq.
- Politique, Livre I, chap. II, 1253 a 19-22.
- Politique, Livre VIII, chap. II, 1337 a 34-42 1337 b 1-3.
- Politique, Livre IV, chapitre IV, 1290 b 25 et sq.
- Politique, Livre I, II, 1252 b 30 - 1253 a 2-30.
- Politique, Livre I, II, 1253 a 2-3.
- Politique, Livre I, VII, 1255 b 18-20.
- Politique, Livre III, chap. IX, 1280 b 38-39.
- Politique, Livre III, IX, 1280 b 33-40.
- Politique, Livre II, V, 1263 b 22-25.
- Politique, Livre II, V, 1262 b 37-1263 b 1-14.
- Politique, Livre II, I, 1261 a 16-18.
- Politique, Livre I, II, 1253 a 35-38.
- Politique, Livre I, chap. II, 1253 a 35-37.
- Politique, Livre III, chap.IX, 1281 a 2-4.
- Politique, Livre III, IX, 1280 a 35-36 et 1280 b 29-35.
- Politique, Livre II, VI, 1265 a 38-41 1265 b 1-16.
- Politique, Livre III, XI, 1282 a 34-41.
- Politique, Livre IV, XIV, 1297 b 38-41 et 1298 a 1-3.
- Politique, Livre I, VIII, 1256 b 32-37.
- Politique, Livre I, IV, 1254 a 7.
- Politique, Livre I, IV, 1258 b 25.
- Politique, Livre I, IV, 1258 b 28-33.
- Politique, Livre I, X, 1258 b 2-4.
- Politique, Livre I, IX, 1257 b 23.
- Politique, Livre I, IX, 1257 b 28-30.
- Politique, Livre I, XI, 1259 a 1-36.
- Politique Livre III, II, 1275 b 32-33.
- Politique, Livre III, II, 1275 b 34 - 1276 a 1-6.
- Politique, Livre III, V, 1277 b - 1278 a.
- Politique, Livre III, V, 1278 a 3.
- Politique, Livre III, V, 1278 a 20-21.
- Politique, Livre III, I, 1275 a 22-23.
- Politique, Livre III, IV, 1276 b 30.
- Politique, Livre III, IV, 1277 b 7-16.
- Politique, Livre I, VII, 1255 b 36-37.
- Politique, Livre I, III, 1253 b 20-21.
- Politique, Livre I, IV, 1253 b 37.
- Politique, Livre I, V, 1254 b 37 - 1255 a.
- Politique, Livre I, VI 1255 b 12-15.
- Politique, Livre I, XIII, 1260 a 41 - 1260 b.
- Politique, Livre I, VI, 1255 a - 1255 b.
- Poétique, 15, 1454 a 19 et suiv.
- Politique, Livre VII, chap. X, 1330 a 32-33.
- Platon, Les Lois [détail des éditions] [lire en ligne], Livre V, 738 d et VI, 751 d.
- Politique, Livre VII, IV, 1326 b 14-19.
- Politique, Livre VII, V, 1327 a 2-3.
- Politique, Livre VII, X, 1330 a 9-11.
- Politique, Livre VII, chap. VIII, 1328 b 5-15.
- Politique, Livre VII, chap. XI, 1330 b 21-31.
- Politique, Livre VII, chap. XII, 1331 a 30-37 - 1331 b 1-4.
- Politique, VII, 9, 1329 a 18-19.
- Politique, Livre IV, XI, 1296 a 8-9.
- Politique, VIII, I, 1337 a 11-16.
- Politique, II, V, 1263 b 36-37.
- Politique, VIII, I, 1337 a 22-24.
- Politique, VIII, II, 1337 b 8-11.
- Politique Livre VII, chap. XVII, 1336 a 34-37.
- Politique, Livre VII, Chap. XVII, 1336 b 3 Ă 23.
- Politique, VIII, chap. IV, 1338 b 40 - 1339 a 1-7.
- Politique, VIII, 3, 1337 b 23-25.
- Politique, VIII, 3, 1338 a 18-24.
- Politique, Livre VII, chap. 14, 1333 a 14-15.
- Politique, VII, 16, 1335 a 28-29.
- Politique, Livre VII, chap. XVI, 1335 b 12-14.
- Platon, La République [détail des éditions] [lire en ligne], Livre II, 372 b-c.
- Politique, Livre VII, XVI, 1335 b 22 sq.
- Politique, VII, XVI, 1335 b 19-21.
- Politique, Livre VII, chap. XIV, 1333 a 40 - 1334 a 10.
- Politique, Livre IV, V, 1292 b 12-17.
- Politique, Livre II, VIII Ă XII.
- Livre III.
- Sophocle, Antigone, vers 453-454 ; Platon, Les Lois [détail des éditions] [lire en ligne], VII, 793 a-c. ; Aristote, Rhétorique, I, 13, 1373 b 5.
- Politique, Livre III, VII, 1279 a 32-39.
- Politique, Livre III, XIII, 1284 b 33-34.
- Politique, Livre III, XV, 1286 a 7-9.
- Politique, Livre III, XI, 1282 b 2-3.
- Politique, Livre III, XV, 1286 a 31-35.
- Platon, Lois, Livre V, 744 e et VI, 754 d.
- Politique, Livre II, VII, 1266 b 29-31.
- Politique, Livre II, VII, 1267 b 3-5.
- Politique, Livre III, VI, 1278 b 23-30.
- Politique, Livre II, IX, 1270 a 16-18.
- Politique, Livre III, VI, 1279 a 17-21.
- Politique, Livre V, VIII, 1308 a 2.
- Platon, RĂ©publique, Livre VIII en entier ; Politique, 283 b et suivants, et 291 d Ă 303 d.
- Politique, V, 10, 1310 b 5.
- Aristote, Ăthique Ă Nicomaque, VIII, 12, 1160 b 19.
- Politique, Livre IV, II, 1289 b 2-5.
- Politique, Livre III, 3, 1276 b 1-4.
- Isocrate, Sur la Paix, 120.
- Politique, Livre IV, XII, 1296 b 15-16.
- Politique, Livre V, chap. V, 1305 a 9.
- Politique, Livre V, chap. X, 1312 b 5-6.
- Politique, Livre III, XIII, 1284 a 3-11 et 1284 b 28-34.
- Politique, Livre II, XII, 1273 b 35-41.
- Politique, Livre IV, IV, 1291 b 30-34.
- Politique, Livre VI, II, 1317 a 40 - 1317 b 1-12.
- Aristote, Ăthique Ă Nicomaque, Livre V, VI, 1131 a 15 - 1131 b 8.
- Politique, Livre III, IX, 1281 a 2-8.
- Platon, Lois, Livre V, 744 b.
- Politique, Livre IV, XII, 1296 b 17-19.
- Politique, Livre VI, II, 1317 b 18-30.
- Politique, IV, XIV, 16, 1298 b 38-40.
- Politique, Livre IV, VIII, 1293 b 31 et 1294 b 10-13.
- Politique, Livre IV, V, 1292 b 17-21.
- Politique, Livre V, XI, 1313 b 19-21.
Références bibliographiques
- Jean Aubonnet, Politique livre IV, Notes complémentaires, p. 295 note 8.
- Jean Aubonnet, Politique, Introduction, p. LXXIII.
- Pellegrin 1990 QuatriĂšme de couverture.
- Jean Aubonnet, Politique, Introduction, p. VII et VIII.
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- Werner Jaeger 1997, p. 270-271.
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- (en) F. Susemihl and R.D. Hicks, The Politics of Aristotle, Teubner, Leipzig, 1894, p. 365 et suiv.
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- Pellegrin 2012, p. 559.
- LĂ©on Robin 1944, p. 209 et 272.
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- Pellegrin 1987, p. 133.
- Pellegrin 2012, p. 558
- Werner Jaeger 1997, p. 274, 275 et 279.
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Annexes
Ăditions et traductions
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- Finalité et éthique
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- Annick Charles-Saget, « Sur le sens de lâeuchĂš â vĆu et priĂšre â dans la pensĂ©e politique dâAristote », Revue des Sciences Religieuses, vol. 67, no 1,â , p. 39-52 (lire en ligne, consultĂ© le ).
- Fortune et postérité
- Francesco Gregorio, « Les Politiques au XIXe siÚcle », dans Denis Thouard (dir.) et al., Aristote au XIXe siÚcle, Paris, Presses Universitaires du Septentrion, (ISBN 978-2859398644, lire en ligne), p. 125-140. .
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- Jeannine Quillet, « PrĂ©sence dâAristote dans la philosophie politique mĂ©diĂ©vale », Revue de Philosophie ancienne, vol. 2, no 2,â , p. 93-102 (lire en ligne)
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Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire sur le site remacle.org
- Aristote â Politique (Livres I, III, IV et V) Livre audio gratuit sur Litteratureaudio.com
- Aristote â Politique (Livres II, VI, VII et VIII) Livre audio gratuit sur Litteratureaudio.com