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Juste milieu

Depuis Aristote, on parle de juste milieu à propos, non nécessairement d'une position située à égale distance ou au milieu de deux extrêmes, mais d’« un équilibre entre deux extrêmes » fâcheux, d’une position intermédiaire optimale qui évite aussi bien l’excès que le défaut[1], et qui définit, non une position médiocre, moyenne, mais une position excellente, parfaite, optimale[2]. Ainsi, chez Aristote, le courage, qui est la meilleure conduite possible à tenir de ce point de vue, est le juste milieu entre la témérité, qui est excès de courage, et la lâcheté, qui est défaut de courage, mais il est en un sens plus proche de la témérité que de la lâcheté.

Le juste milieu selon Aristote

L'idĂ©e de « juste milieu Â» a Ă©tĂ© pour la première fois exprimĂ©e par Aristote[3] dans l'Éthique Ă  Nicomaque (livre II, chapitre VI) : « Il faut dire que toute vertu, selon la qualitĂ© dont elle est la perfection, est ce qui produit cette perfection et fournit le mieux le rĂ©sultat attendu. Par exemple la vertu de l’œil exerce l’œil et lui fait remplir sa fonction d’une façon satisfaisante ; c’est par la vertu de l’œil que nous voyons distinctement. […] Or, l’égal est intermĂ©diaire entre l’excès et le dĂ©faut. D’autre part, j’appelle position intermĂ©diaire dans une grandeur ce qui se trouve Ă©galement Ă©loignĂ© des deux extrĂŞmes, ce qui est un et identique partout. Par rapport Ă  nous, j’appelle mesure ce qui ne comporte, ni exagĂ©ration, ni dĂ©faut. Or, dans notre cas, cette mesure n’est ni unique, ni partout identique. Par exemple, soit la dizaine, quantitĂ© trop Ă©levĂ©e, et deux, quantitĂ© trop faible. Six sera le nombre moyen par rapport Ă  la somme, parce que six dĂ©passe deux de quatre unitĂ©s et reste d’autant infĂ©rieur Ă  dix. Telle est la moyenne selon la proportion arithmĂ©tique. Mais il ne faut pas envisager les choses de cette façon par rapport Ă  nous. Ne concluons pas du fait que dix mines de nourriture constituent une forte ration et deux mines une faible ration, que le maĂ®tre de gymnastique en prescrira six Ă  tous les athlètes. Car une semblable ration peut ĂŞtre, selon le client, excessive ou insuffisante. […] Ainsi, tout homme averti fuit l’excès et le dĂ©faut, recherche la bonne moyenne et lui donne la prĂ©fĂ©rence, moyenne Ă©tablie non relativement Ă  l’objet, mais par rapport Ă  nous. De mĂŞme toute connaissance remplit bien son office, Ă  condition d'avoir les yeux sur une injuste moyenne et de s'y rĂ©fĂ©rer pour ses actes. C’est ce qui fait qu’on dit gĂ©nĂ©ralement de tout ouvrage convenablement exĂ©cutĂ© qu’on ne peut rien lui enlever, ni rien lui ajouter, toute addition et toute suppression ne pouvant que lui enlever de sa perfection et cet Ă©quilibre moyen la conservant. Ainsi encore les bons ouvriers Ĺ“uvrent toujours les yeux fixĂ©s sur ce point d’équilibre. […] [L]e but que se propose la vertu pourrait bien ĂŞtre une sage moyenne. Je parle de la vertu morale qui a rapport avec les passions et les actions humaines, lesquelles comportent excès, dĂ©faut et sage moyenne. Par exemple, les sentiments d’effroi, d’assurance, de dĂ©sir, de colère, de pitiĂ©, enfin de plaisir ou de peine peuvent nous affecter ou trop ou trop peu, et d’une manière dĂ©fectueuse dans les deux cas. Mais si nous Ă©prouvons ces sentiments au moment opportun, pour des motifs satisfaisants, Ă  l’endroit de gens qui les mĂ©ritent, pour des fins et dans des conditions convenables, nous demeurerons dans une excellente moyenne, et c’est lĂ  le propre de la vertu : de la mĂŞme manière, on trouve dans les actions excès, dĂ©faut et juste moyenne. Ainsi donc la vertu se rapporte aux actions comme aux passions. LĂ , l’excès est une faute et le manque provoque le blâme ; en revanche, la juste moyenne obtient des Ă©loges et le succès, le double rĂ©sultat propre Ă  la vertu. La vertu est donc une sorte de moyenne, puisque le but qu’elle se propose est un Ă©quilibre entre deux extrĂŞmes. Ajoutons que nos fautes peuvent prĂ©senter mille formes […], en revanche, il n’y a qu’une façon de rĂ©aliser le bien. C’est pourquoi il est facile de manquer le but et difficile de l’atteindre. Toutes raisons qui font que l’excès et le dĂ©faut dĂ©noncent le vice, tandis que la juste moyenne caractĂ©rise la vertu […]. La vertu est donc une disposition acquise volontaire, consistant par rapport Ă  nous, dans la mesure, dĂ©finie par la raison conformĂ©ment Ă  la conduite d’un homme rĂ©flĂ©chi. Elle tient la juste moyenne entre deux extrĂ©mitĂ©s fâcheuses, l’une par excès, l’autre par dĂ©faut. »

Le juste milieu après Aristote

L'idée de juste milieu a été reprise sous de nombreuses formes, notamment sous celle du proverbe « In medio stat virtus ». C'est une notion différente de la médiocrité, celle-ci consistant à se placer entre un grand et un petit ou se placer à égale distance entre le bien et le mal ou entre le feu et les pompiers, etc.

Le juste milieu selon les Chinois

Cette même notion est présente à des milliers de kilomètres de la Grèce et depuis des milliers d'années également :

  • La Chine : 中国 (ZhĹŤng GuĂł en pinyin) est « l’empire du milieu Â» ;
  • Le « juste milieu » (中庸, Zhong Yong en pinyin, prononcer djong yong), est une partie centrale du confucianisme et de la philosophie chinoise en gĂ©nĂ©ral.

Critique de la notion de juste milieu

Une autre façon de voir les choses se trouve chez Blaise Pascal. Il présente, non pas un juste milieu, définissable, mais un entre-deux, indéfinissable :

  • « La nature nous a si bien mis au milieu que si nous changeons un cĂ´tĂ© de la balance, nous changeons aussi l'autre. Il y a des ressorts dans notre tĂŞte qui sont tellement disposĂ©s que qui touche l'un touche aussi le contraire [4] » ;
  • « Disproportion de l'homme. […] Car enfin, qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un nĂ©ant Ă  l'Ă©gard de l'infini, un tout Ă  l'Ă©gard du nĂ©ant, un milieu entre rien et tout[5] ».

Notes et références

  1. Cf. ci-dessous, extrait d'Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre II, Chapitre VI, notamment l'exemple des rations. C'est bien parce que le juste milieu n'est pas une simple moyenne située au milieu des deux extrêmes qu'Aristote a besoin de préciser juste milieu, bonne moyenne, sage moyenne, excellente moyenne, juste moyenne, ou sorte de moyenne.
  2. Cf. ci-dessous, extrait d'Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre II, Chapitre VI, où la vertu est définie, d'abord, comme perfection, puis comme une juste moyenne, laquelle est aussi qualifiée d'excellente moyenne.
  3. Denis Collin, « Chercher la vie bonne avec Aristote », L'inactuelle,‎ (lire en ligne)
  4. Blaise Pascal, Pensées, éd. Brunschvicg, no 70, pp. 346-347.
  5. Blaise Pascal, op. cit., no 72, p. 350.

Annexes

Bibliographie

  • Patrice Guillamaud, « La mĂ©diation chez Aristote », Revue Philosophique de Louvain, Quatrième sĂ©rie, vol. 85, no 68,‎ , p. 457-474 (lire en ligne, consultĂ© le ).
  • Mustapha Cherif, Le Principe du juste milieu, Éditions Albouraq, 2013, 176 p.
  • Annabel Lyon, Le juste milieu, Folio (Poche), 2013, 416 p.
  • Thibault Isabel, Manuel de sagesse paĂŻenne, Le Passeur, 2020, 240 p.

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