Isocrate
Isocrate, en grec ancien ጞÏÎżÎșÏÎŹÏÎ·Ï / IsokrĂĄtĂȘs (AthĂšnes 436 â 338 av. J.-C.), est l'un des dix orateurs attiques. DiogĂšne LaĂ«rce dit de lui qu'il est de six ans plus vieux que Platon[1]. Il fut le fondateur d'une Ă©cole de rhĂ©torique cĂ©lĂšbre, qui forma nombre d'orateurs. Son idĂ©al de culture, qu'il appela philosophie, enseignait que l'art de bien parler passait par l'art de bien penser. Il s'opposa aux physiciens naturalistes[2] du Ve siĂšcle av. J.-C., aux sophistes et Ă Platon. AssoiffĂ© de connaissance, Aristote commença par suivre les cours dâIsocrate, avant de dĂ©cider de rentrer Ă lâAcadĂ©mie de Platon. Toute sa vie, il ne cessa d'appeler les Grecs Ă l'union pour lutter contre l'ennemi hĂ©rĂ©ditaire que reprĂ©sentaient les Barbares, Ă savoir les Perses. Souvent comparĂ© Ă Lysias, il a su donner Ă la prose une valeur artistique, comparable Ă celle de la poĂ©sie, qui a servi de modĂšle Ă l'ensemble des orateurs antiques, aussi bien de langue grecque que latine.
Naissance |
436 av. J.-C. DĂšme d'Erchia, AthĂšnes antique |
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DĂ©cĂšs |
338 av. J.-C. AthĂšnes |
Activité principale |
Langue dâĂ©criture | Grec ancien |
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Genres |
Ćuvres principales
- Sur l'attelage
- Trapézitique
- Panégyrique
- Sur la paix
- Aréopagitique
- Philippe
- Panathénaïque
Biographie
Jeunesse
Isocrate est nĂ© en 436 av. J.-C., dans le dĂšme dâErchia, en Attique, au cours de la 86e Olympiade, sous lâarchontat de Lysimaque de Myrrhionte[3]. Il Ă©tait fils de ThĂ©odoros et HĂ©dyto, et avait deux frĂšres, TĂ©lĂ©sippos et Diomnestos. Son pĂšre possĂ©dait des esclaves qui fabriquaient des flĂ»tes : son commerce lui assura une fortune qui le fit appartenir Ă la classe moyenne. NĂ©anmoins, ce patrimoine familial est perdu lors de la guerre du PĂ©loponnĂšse, du propre aveu d'Isocrate[4]. Plus tard, des comiques, dont Aristophane, le raillĂšrent au sujet du commerce de son pĂšre. Les trois enfants reçurent une Ă©ducation de qualitĂ©. Isocrate assista Ă AthĂšnes aux discussions de Socrate, aux cours de Prodicos, de Tisias, de ThĂ©ramĂšne, et de Gorgias (entre 415 / 414 et 403 av. J.-C.) lors dâun voyage en Thessalie[5].
DĂ©but de carriĂšre : Isocrate logographe
Cependant, si ses Ă©tudes le destinaient Ă la carriĂšre politique, sa timiditĂ© et la faiblesse de sa voix lâempĂȘchĂšrent de se prĂ©senter devant lâassemblĂ©e du peuple. En effet, Isocrate ne prononça jamais le moindre discours[6]. Toutefois, ses dĂ©buts Ă©taient prometteurs[7] ; en tĂ©moigne Platon, qui, dans le PhĂšdre, tout en valorisant sa propre doctrine Ă©ducative, Ă©crit Ă propos dâIsocrate : « [...] il me semble supĂ©rieur Ă Lysias pour l'Ă©loquence[8] ». Pour pallier ses difficultĂ©s Ă sâexprimer en public, Isocrate se lance alors dans une carriĂšre de logographe : il Ă©crit des discours judiciaires sur demande. Il sâadonne Ă ce mĂ©tier pendant une dizaine dâannĂ©es, y gagnant une grande renommĂ©e.
L'Ă©criture de discours dĂ©clamĂ©s lors de diadikasia[9] n'est pas limitĂ©e Ă la citĂ© d'AthĂšnes. En effet, un Siphnien qui plaidait Ă Ăgine, Ăźle situĂ©e Ă vingt-cinq kilomĂštres au sud du PirĂ©e, fit appel Ă lui[10]. De plus, Aristote dit qu'on trouve ses productions trĂšs facilement grĂące Ă leur abondance[11].
NĂ©anmoins, son activitĂ© de logographe ne rĂ©pond pas Ă ses ambitions politiques : il abandonne alors sa carriĂšre, et parle par la suite de lâĂ©loquence judiciaire avec beaucoup de mĂ©pris[12].
Le professeur de rhétorique
Isocrate, Ă dĂ©faut de pouvoir sâadresser directement au public Ă cause de sa timiditĂ©, dĂ©cide alors de fonder une Ă©cole de rhĂ©torique.
Selon le Pseudo-Plutarque[13], câest dâabord Ă Chios quâil ouvre une Ă©cole. Câest la seule source qui tĂ©moigne de lâexistence de cette Ă©cole : la prudence est donc de mise, mĂȘme si ce fait n'est pas en soi invraisemblable[14]. En revanche, le fait est avĂ©rĂ© pour AthĂšnes : en 393 av. J.-C., Isocrate ouvre sa propre Ă©cole de rhĂ©torique[15], Ă©cole dont la notoriĂ©tĂ© est immense. Isocrate se consacre pendant les cinquante derniĂšres annĂ©es de sa vie Ă lâenseignement. Ses Ă©lĂšves furent nombreux, cĂ©lĂšbres et vinrent de tout le monde grec pour assister Ă ses cours[16]. On compte entre autres, parmi ses Ă©lĂšves le stratĂšge TimothĂ©e, DĂ©mosthĂšne[17], le stratĂšge Iphicrate, les historiens ThĂ©opompe de Chios et Ăphore de CymĂ©, AsclĂ©piade de Tragilos[18], NicoclĂšs, roi de Chypre et fils d'Ăvagoras et ThĂ©odecte de PhasĂ©lis[18]. HypĂ©ride, IsĂ©e, Charmantide du dĂšme de PĂ©anie[19], Lycurgue, Python de Byzance, orateur de Philippe II de MacĂ©doine, Leodamas d'Acharnes et Lacritos font Ă©galement partie de cette liste.
LâĂ©cole dâIsocrate
LâĂ©cole dâIsocrate se situait prĂšs du gymnase du LycĂ©e[20] ; le maĂźtre faisait payer 1 000 drachmes son enseignement aux Ă©trangers, alors quâil Ă©tait gratuit pour les AthĂ©niens[21]. Cependant, une anecdote concernant DĂ©mosthĂšne, rapportĂ©e par le Pseudo-Plutarque[22], laisse supposer quâĂ une Ă©poque - probablement jusqu'aux alentours de 365 - mĂȘme les compatriotes dâIsocrate durent payer les leçons.
DĂšs ses dĂ©buts, Isocrate souligna la rivalitĂ© qui existait entre son enseignement et celui des sophistes, dâune part, et celui des Ă©lĂšves de Platon dâautre part. Pour ce faire, il publia[23] en 390 av. J.-C.[24] un discours Contre les Sophistes exposant sa propre philosophia, en opposition avec les formations proposĂ©es par ses contemporains. Isocrate a Ă©galement marquĂ© sa distance par rapport Ă ceux quâil appelle les Ă©ristiques, Ă savoir les sectateurs de Platon, dont il refusait la spĂ©culation abstraite[25], Ă Aristote, et aux physiciens du Ve siĂšcle av. J.-C.
LâidĂ©al de culture dâIsocrate fut nommĂ© par le maĂźtre lui-mĂȘme philosophie, en grec ancien ÏÎčλοÏÎżÏία. Elle vise Ă la formation morale de lâhomme et du citoyen par la pratique de lâĂ©loquence. Lâart de la parole passe par lâart de bien penser. La philosophie dâIsocrate sâoppose Ă celle de Platon en ceci quâelle a une finalitĂ© pratique : « mieux vaut apporter sur des sujets utiles une opinion raisonnable (âŠ) que sur des futilitĂ©s des connaissances exactes[26] », Ă©crit Isocrate lui-mĂȘme. La philosophie est donc une Ă©ducation du citoyen : «Je regarde comme sages les gens qui, par leurs opinions, peuvent atteindre le plus souvent la solution la meilleure, et comme philosophes ceux qui consacrent leur temps aux Ă©tudes qui leur donneront le plus vite cette facultĂ© de rĂ©flexion[27] ». « [âŠ] Ă la fois lâĂ©loquence et la rĂ©flexion apparaĂźtront chez celui qui montre Ă lâĂ©gard des discours un esprit plein de philosophie et dâambition[28] ». Se retrouvent dans ces citations des points cruciaux de l'Ă©ducation isocratique : l'importance de la doxa accordĂ©e au kairos. En effet, Isocrate est partisan d'une « sagesse pratique » utile dans la vie quotidienne : il dĂ©sire armer les citoyens d'un bon sens leur permettant de mieux prendre des dĂ©cisions.
Isocrate enseignait que l'art de lĂ©gifĂ©rer est plus facile que la rhĂ©torique et la politique au motif que la personne, qui pense connaĂźtre les astuces de l'art oratoire, n'en connaĂźt pas la nature exacte et n'est pas capable de s'occuper de lĂ©gislation[29]. Lâenseignement dâIsocrate porte sur les questions importantes dans la vie sociale et politique. La morale classique y tient une part importante : respecter les ancĂȘtres, observer la justice, honorer les dieux, s'inspirer des Ćuvres des poĂštes[30] ou des actes des premiers citoyens[31]⊠Dans le PanathĂ©naĂŻque, son dernier discours, Isocrate donne les principes de la formation morale de lâhomme : avoir un comportement honorable, une opinion adĂ©quate aux circonstances, ĂȘtre capable de viser au pratique, ĂȘtre courtois, Ă©quitable, modĂ©rĂ©, courageux face au malheur, maĂźtre de ses plaisirs ; ne pas ĂȘtre gĂątĂ© par le succĂšs et lâorgueil[32]. Il enseigne en outre lâart de composer un discours, dont lâensemble se doit d'ĂȘtre harmonieux, ce qu'il tient de Gorgias[33]. Isocrate a uni lâenseignement de la composition littĂ©raire Ă celui des idĂ©es nĂ©cessaires au citoyen. Lâimmense rĂ©putation de son Ă©cole en a fait le modĂšle des professeurs de rhĂ©torique pour des siĂšcles.
Cicéron, dans son De Oratore[34], compare l'école d'Isocrate au cheval de Troie, rempli des héros grecs.
La fin de sa vie
Pour ce qui est de sa vie privĂ©e, Isocrate a vĂ©cu avec une courtisane, LagiskĂ©, avant dâĂ©pouser PlathanĂ©, veuve du rhĂ©teur Hippias, dont il adopta un fils, ApharĂ©os. Il mourut en octobre -338, Ă 98 ans, sous lâarchontat de ChĂ©rondas, aprĂšs la nouvelle de la bataille de ChĂ©ronĂ©e, lors des funĂ©railles des morts. Il fut enterrĂ© aux frais de la CitĂ©, au sud-ouest dâAthĂšnes, prĂšs du gymnase du Cynosarge. Une statue de lui fut dĂ©diĂ©e par TimothĂ©e, fils de Conon, devant le portique dâentrĂ©e Ă Ăleusis : « TimothĂ©e admirant le commerce agrĂ©able et lâintelligence dâIsocrate a consacrĂ© aux dĂ©esses cette statue, Ćuvre de LĂ©ocharĂšs[35] ». Lâauteur anonyme de la Vie dâIsocrate (Ă distinguer de celle du pseudo-Plutarque) prĂ©tend quâune sirĂšne fut sculptĂ©e sur son tombeau pour reprĂ©senter lâharmonie de sa parole. AnaximĂšne de Lampsaque, rhĂ©toricien, a Ă©crit des traitĂ©s (tous perdus) qui semblent avoir Ă©tĂ© d'inspiration isocratique, tout en se montrant, en tant qu'orateur, un spĂ©cialiste de l'improvisation.
ThÚses défendues
Non-implication dans le politique et Ă©criture
ParallĂšlement Ă son activitĂ© dâenseignement, Isocrate se lance dans le discours Ă©pidictique, câest-Ă -dire dans lâĂ©loquence dâapparat, pour diffuser ses idĂ©es politiques. Mais comme sa timiditĂ© lâempĂȘche dâintervenir directement dans les affaires politiques, il a recours au discours fictif. MĂȘme le pseudo-Plutarque est trompĂ© par le Sur lâĂchange, lorsquâil prĂ©tend que câest le seul discours quâIsocrate prononça (Isocrate, 4). Isocrate emprunte le genre du discours Ă©pidictique Ă Gorgias et Ă Lysias, qui sâĂ©taient dĂ©jĂ adressĂ©s aux Grecs rĂ©unis Ă Olympie, Ă cette diffĂ©rence prĂšs quâil lâapplique Ă la fiction. Isocrate crĂ©e alors le discours « hellĂ©nique et politique », composĂ© dâhistoire et de philosophie, comme il le dĂ©finit dans le PanathĂ©naĂŻque (246).
Panhellénisme
Ses idĂ©es politiques sont fixĂ©es depuis le PanĂ©gyrique, dĂšs 380 av. J.-C. : « Il est impossible dâavoir une paix assurĂ©e si nous ne faisons pas en commun la guerre aux Barbares (PanĂ©gyrique, 173) ». Cette phrase rĂ©sume Ă elle seule ce qui fut le leitmotiv dâIsocrate : lâunion de tous les Grecs, et la lutte contre lâennemi commun que reprĂ©sente l'Empire perse. Seul a variĂ© le personnage chargĂ© de coordonner cette union panhellĂ©nique. LâhellĂ©nisme est pour lâorateur une communautĂ© de civilisation, dont les intĂ©rĂȘts sont Ă©galement communs. Ces idĂ©es, relativement simples, sont inspirĂ©es par le siĂšcle prĂ©cĂ©dent : pour Isocrate, le bonheur et la paix dĂ©pendent de lâunion des Grecs, mais les citĂ©s doivent toutefois garder leur indĂ©pendance. On voit donc quâil nây a pas de rupture avec le siĂšcle de PĂ©riclĂšs. Au contraire, il faut suivre lâexemple des anciens : les Grecs rassemblĂ©s devant Troie et la gĂ©nĂ©ration de la bataille de Marathon reprĂ©sentent pour Isocrate le modĂšle quâil faut suivre. Une fois la Perse vaincue, il faudra coloniser toute lâAsie Mineure, pour dĂ©fendre le domaine des Grecs et y envoyer les bannis et mercenaires, qui sont un flĂ©au pour les citĂ©s.
Les idĂ©es politiques dâIsocrate furent tournĂ©es vers le panhellĂ©nisme, tandis que la politique intĂ©rieure fut relativement nĂ©gligĂ©e. Son influence sur Philippe II est discutĂ©e. En effet l'historien Pierre Briant Ă©crit : «Les deux programmes Ă©taient, Ă la limite, inconciliables : alors quâIsocrate entendait utiliser la puissance macĂ©donienne pour lancer AthĂšnes dans un nouvel impĂ©rialisme, Philippe, quant Ă lui, avait bien lâintention dâutiliser la ligue de Corinthe Ă ses fins propres. Rien ne permet donc dâaffirmer que Philippe avait fait sien le programme dâIsocrate, qui envisageait une conquĂȘte et une colonisation de lâAsie Mineure, « de la Cilicie Ă Sinope ».
Puissance Ă soutenir
Isocrate a dĂ©fendu ces idĂ©es inlassablement pendant cinquante ans. Cependant, il est conscient des changements de son Ă©poque. En effet, le choix dâune puissance directrice, qui puisse coordonner lâunion de tous les Grecs, est la condition nĂ©cessaire Ă la victoire sur les Barbares. Or, en fonction des Ă©vĂ©nements, Isocrate modifie le choix de la puissance directrice : il propose dâabord AthĂšnes, dĂšs le PanĂ©gyrique, en 380 av. J.-C., avant de se tourner vers Sparte et Archidamos, vers Jason de PhĂšres et la Thessalie, Denys le Jeune et la Sicile ou NicoclĂšs⊠Ses dĂ©marches se solvant par des Ă©checs, Isocrate se retourne finalement vers AthĂšnes en 356 av. J.-C. Dans le Sur la Paix, il indique par quelles rĂ©formes politiques AthĂšnes pourra reconstituer sa confĂ©dĂ©ration avant de lâĂ©tendre Ă tous les Grecs. En 346 av. J.-C., grĂące Ă la paix de Philocrate, Philippe intervient dans les affaires de la GrĂšce : Isocrate croit alors trouver lâhomme qui pourra ĂȘtre Ă la tĂȘte de tous les Grecs. Il cherche la collaboration plutĂŽt que la domination macĂ©donienne.
Universalisme
Le panhellĂ©nisme d'Isocrate se caractĂ©rise par son universalisme. Il distingue la race (gĂ©nĂš) de la culture (dianoia) et considĂšre comme Grec quiconque est Ă©duquĂ© selon les mĆurs et les lois grecques. L'origine est moins importante que l'Ă©ducation (paĂŻdeia). « [...] le nom de Grecs dĂ©signe moins un peuple particulier, quâune sociĂ©tĂ© dâhommes Ă©clairĂ©s et polis; si lâon appelle Grecs plutĂŽt ceux qui participent Ă notre Ă©ducation que ceux qui partagent notre origine, câest Ă nos institutions quâon le doit » (PanĂ©gyrique, 50)[36]. De ce fait, « on appelle Grecs plutĂŽt ceux qui participent Ă notre Ă©ducation que ceux qui ont la mĂȘme origine de nous »[37].
Le style d'Isocrate
Lâauteur anonyme de la Vie d'Isocrate prĂ©tend quâil « imita Gorgias dans la recherche des terminaisons semblables et des mots de mĂȘme son, sans aller cependant comme lui jusquâĂ satiĂ©tĂ©. Il emploie des expressions claires, Ă©mouvantes et persuasives ; mais elles ne sont pas ramassĂ©es et agrĂ©ables comme celles de Lysias. (âŠ) Isocrate est continu dans ses sentences ; car avant dâavoir achevĂ© une idĂ©e, il y enchaĂźne une autre sentence ».
CicĂ©ron pour sa part reconnaĂźt que, « supĂ©rieur en toutes choses Ă ses devanciers, Isocrate le fut surtout en ceci : le premier, il comprit que mĂȘme dans la prose il doit y avoir du mĂštre et une certaine cadence, Ă la condition toutefois que soient Ă©vitĂ©es les formes du vers » (Brutus, 32).
La plus grande influence dâIsocrate fut sans conteste sa technique littĂ©raire. Dans lâEvagoras (8-11) et dans le Sur lâĂchange (46), il a prĂ©tendu que ses discours Ă©galaient les Ćuvres poĂ©tiques. Le tĂ©moignage de CicĂ©ron confirme cette prĂ©tention, dâautant plus que le juge nâest pas des moindres. Et en effet, Isocrate fut le modĂšle de la rhĂ©torique pendant des siĂšcles, par lâintermĂ©diaire de lâĂ©loquence cicĂ©ronienne.
Isocrate porte une grande attention Ă la composition, et vise Ă lâharmonie (ce que confirme la citation de la Vie d'Isocrate, quand elle prĂ©tend quâIsocrate ne va pas jusquâĂ la satiĂ©tĂ©), Ă la liaison des parties. Plus encore que lâensemble, le dĂ©tail est soignĂ© et câest son style qui caractĂ©rise le plus Isocrate : exactitude et puretĂ©[38]. La prose attique est en outre scrupuleusement respectĂ©e. On peut noter que les figures de rhĂ©torique sont assez peu nombreuses. Une des rĂšgles essentielles chez Isocrate est le refus de deux syllabes identiques qui se suivent : lâhiatus est proscrit. La construction de la pĂ©riode est aussi essentielle : on constate que son organisation est primordiale, que les divers Ă©lĂ©ments sont harmonisĂ©s. Les pĂ©riodes sont composĂ©es de parallĂšles (ÎŒÎÎœ... ÎŽÎ), de balancements (Îżáœ ÎŒÏÎœÎżÎœ... áŒÎ»Î»áœ° Îșαί), dâoppositions (ÎżáœÎș... áŒÎ»Î»áœ°), de consĂ©cutives (ÏÎżÏοῊÏÎżÎœ... ᜄÏÏΔ)⊠Une seule phrase peut marquer les nuances de la pensĂ©e en utilisant toutes les ressources de la syntaxe grecque. Les critiques ont pu voir dans le style dâIsocrate une certaine monotonie. Cependant, grĂące Ă lâentremise des orateurs romains, lâart de lâorateur a survĂ©cu jusquâĂ nos jours.
Ćuvres
Une soixantaine de discours lui étaient attribués dans l'Antiquité, dont la moitié seulement seraient authentiques : Denys d'Halicarnasse avance le chiffre de 25, Cécilius 28. Ont été conservés six discours relatifs à l'activité de logographe, deux éloges, caractéristiques du goût sophistique pour les éloges paradoxaux, et ce que l'on pourrait appeler des manifestes politiques.
Six de ces discours sont liĂ©s Ă son activitĂ© de logographe. Selon la rĂšgle du genre, ils ne sont pas signĂ©s du nom d'Isocrate, Ă©tant la propriĂ©tĂ© du plaideur. C'est ce dernier qui s'y exprime Ă la premiĂšre personne. Isocrate a trĂšs certainement publiĂ© les discours qui ont eu un certain retentissement : il les aurait conservĂ©s pour illustrer ses thĂ©ories lors de lâouverture de son Ă©cole ; les six discours de logographe que nous possĂ©dons reprĂ©sentent donc un instrument dâenseignement rĂ©servĂ© Ă l'Ă©cole d'Isocrate. En voici les titres :
- Contre Euthynous (403 ou 402) : discours peu développé sur un procÚs en restitution de dépÎt, intenté en faveur d'un Nikias. Le demandeur n'a pas de témoins à présenter, et Isocrate s'appuie sur la pertinence de son raisonnement.
- Contre Callimaque (402 ou 401) : demande d'exception (ÏαÏαγÏαÏÎź), en vertu d'une loi instaurĂ©e par Archinos, interdisant de « rappeler le passĂ© » Ă la suite des luttes politiques de 403 av. J.-C.
- Contre LochitĂšs (entre 400 et 396) : procĂšs pour une plainte privĂ©e pour coups et blessures. Seule la seconde partie est conservĂ©e, dans laquelle on trouve un procĂ©dĂ© d'amplification, visant Ă montrer que l'intĂ©rĂȘt de l'Ătat est liĂ© Ă celui du plaignant.
- Sur l'attelage (396 ou 395) : plaidoyer visant Ă dĂ©fendre le fils d'Alcibiade. Alcibiade avait Ă©tĂ© accusĂ©, aprĂšs sa triple victoire olympique de 416 av. J.-C., de ne pas restituer un des attelages victorieux qui lui avaient Ă©tĂ© prĂȘtĂ©s. L'accusation fut reprise contre son fils dĂšs sa majoritĂ©.
- Trapézitique (entre 393 et 391) : plaidoyer pour une plainte contre un banquier refusant de restituer un dépÎt. Le plaignant est originaire du royaume du Bosphore.
- ĂginĂ©tique (390 ou 391) : procĂšs sur une affaire d'hĂ©ritage. Seul exemple de procĂšs jugĂ© hors de l'Attique. Traduit la renommĂ©e internationale d'Isocrate.
Figurent Ă©galement quelques Ă©loges, dont un Ăloge d'HĂ©lĂšne (publiĂ© entre 390 et 380), et un Busiris (publiĂ© aprĂšs 390), caractĂ©ristiques du goĂ»t sophistique pour les Ă©loges paradoxaux. On peut y ajouter le Contre les Sophistes, publiĂ© aux alentours de 390, qui faisait certainement partie de l'enseignement d'Isocrate.
L'essentiel est constitué par ce qu'on pourrait appeler les manifestes politiques :
- PanĂ©gyrique (Î Î±ÎœÎ·ÎłÏ ÏÎčÎșÏÏ / PanĂȘgurikĂłs), 380 av. J.-C.
- Archidamos (365 / 362)
- Sur la paix (356)
- L'Aréopagitique (v.354), qui inspirera Milton
- Philippe (346)gravure moderne d'aprÚs un modÚle antique du rhéteur Isocrate d'AthÚnes
- Panathénaïque (entre 342 et 339).
Ses autres Ćuvres sont le PlataĂŻque, Ă NicoclĂšs, NicoclĂšs, Evagoras, Sur lâĂchange. S'y ajoutent neuf lettres et quelques fragments.
- Ădition rĂ©cente bilingue : Isocrate, Discours, tome I Ă IV, Paris, Les Belles Lettres, 2003
Sources antiques
- Denys d'Halicarnasse, Opuscules rhétoriques (collection des universités de France) vol. 1. Les Orateurs antiques, traduit du grec par Germaine AUJAC, Paris, Les Belles Lettres, 1978, 320 p.
- Plutarque de ChĂ©ronĂ©e, Ćuvres morales (collection des universitĂ©s de France), vol. 12. TraitĂ©s 54-57, Il ne faut pas s'endetter - Vies des dix orateurs - Comparaison d'Aristophane et de MĂ©nandre - De la malignitĂ© d'HĂ©rodote, traduit du grec par Marcel Cuvigny et Guy Lachenaud, Paris, Les Belles Lettres, 1981.
- Vie anonyme d'Isocrate.
Références
- DiogÚne Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres [détail des éditions] (lire en ligne), L. III, 1.
- Isocrate, Ăloge d'HĂ©lĂšne, 3 - 4, mais aussi Sur l'Ă©change, 261 - 263.
- Selon la parole du Pseudo-Plutarque, chez PLUTARQUE, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 2.
- ISOCRATE, Sur l'Ă©change, 161.
- Jean LOMBARD, Isocrate, rhétorique et éducation ( Philosophie de l'éducation ), Paris, éditions Klincksieck, 1990, p. 22.
- Comme le souligne le Pseudo-Plutarque chez Plutarque, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 31.
- Néanmoins, comme l'a développé Jean Lombard dans son Isocrate, p. 17, cette mention peut aussi signifier un regret de la part de Platon pour une « insuffisante mobilisation de cette aptitude au service de la philosophie. »
- Platon, PhÚdre [détail des éditions] [lire en ligne], 279 a.
- « DĂ©finition de ÎŽÎčαΎÎčÎșαÏία », sur perseus.
- Yun Lee TOO, Isocrates I, p. 112.
- Denys d'Halicarnasse, Isocrate, 18, 2 â 3 : « Je nâignore pas non plus que ce que disait Aristote, que chez les marchands de livres circulaient par liasses entiĂšres des discours dâIsocrate ».
- Isocrate, Sur lâĂchange, 48 - 50.
- Affirmation du Pseudo-Plutarque visible chez Plutarque de Chéronée, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 6.
- Georges Mathieu, Introduction, p. II du premier tome des Discours d'Isocrate.
- Jacqueline de Romilly 1980, p. 152.
- Isocrate, Sur l'Ă©change, 226.
- Lucien de Samosate 2015, p. 862.
- Pseudo-Plutarque, Vie des X orateurs, 55 837c8-11; Photius, BibliothĂšque, 260, 486b36-41.
- Platon, La République [détail des éditions] [lire en ligne], Livre I, 328 b.
- Vie anonyme d'Isocrate, contenue dans le tome 1 de ses Discours.
- Affirmation du Pseudo-Plutarque visible chez Plutarque de Chéronée, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 33.
- Plutarque, Vies des dix orateurs, IV - Isocrate, 12 - 13.
- Isocrate, Sur l'Ă©change, 193.
- Jean Lombard, Isocrate, rhétorique et éducation, p. 9.
- Isocrate, Contre les sophistes, 1.
- Isocrate, Ăloge d'HĂ©lĂšne, 5.
- Isocrate Sur lâĂchange, 271.
- Isocrate Sur lâĂchange, 277.
- Isocrate, Sur lâĂchange, 79 - 83.
- Isocrate, Contre les sophistes, 2 ainsi que Ă NicoclĂšs, 3.
- Isocrate, Sur l'Ă©change, 230 - 236.
- Isocrate, Panathénaïque, 30 - 33.
- Isocrate, Ăloge d'HĂ©lĂšne, 14.
- Cicéron, De Oratore, II, 94 : "cuius e ludo tamquam ex equo Troiano meri principes exierunt".
- Plutarque, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 27.
- « Isocrate : PanĂ©gyrique dâAthĂšnes », sur remacle.org (consultĂ© le )
- Jean-Jacques Chevallier, Histoire de la pensée politique, Payot, 1979-<1984> (ISBN 978-2-228-13530-6, OCLC 6356697, lire en ligne)
- Philippe, 4 : ÏᜎΜ λÎΟÎčÎœ ... áŒÎșϱÎčÏáż¶Ï Îșα᜶ ÎșαΞαÏáż¶Ï áŒÏÎżÏ ÏαΜ.
Voir aussi
Bibliographie
- (fr) Ămile Chambry, Ămeline Marquis, Alain Billault et Dominique Goust (trad. du grec ancien par Ămile Chambry), Lucien de Samosate : Ćuvres complĂštes, Paris, Ăditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1248 p. (ISBN 978-2-221-10902-1)
- (fr) Pierre Pellegrin (dir.) (trad. du grec ancien), Aristote : Ćuvres complĂštes, Paris, Ăditions Flammarion, , 2923 p. (ISBN 978-2-08-127316-0)
- (fr) Jacqueline de Romilly (dir.), Précis de littérature grecque, PUF, coll. « Quadrige Grands textes », , 284 p. (ISBN 2-13-056076-8)
- Cinzia Bearzot, « Isocrate et PhĂšres : Jason et ses successeurs », KtĂšma, no 41,â , p. 5-15 (lire en ligne)
- Christian Bouchet, « Le vocabulaire du commandement chez Isocrate », KtĂšma, no 36,â , p. 185-209 (lire en ligne)
- Christian Bouchet (préf. Patrice Brun et Nicolas Richer), Isocrate l'Athénien, ou la belle hégémonie : étude des relations internationales au IVe siÚcle av. C., Bordeaux, Ausonius éditions, coll. « Scripta antiqua no 60 », , 277 p. (ISBN 978-2-35613100-3)
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Article connexe
Liens externes
- Texte et traduction de Denys d'Halicarnasse
- Ćuvres complĂštes en trois volumes (traduction AimĂ©-Marie-Gaspard de Clermont-Tonnerre), 1862-1864.
- Isocratis sermo de regno ad Nicoclem regem. Bartholomei Facii Orationes disponible sur Somni
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- (en) British Museum
- (de + en + la) Sandrart.net
- (en) Union List of Artist Names
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :