AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Isocrate

Isocrate, en grec ancien áŒžÏƒÎżÎșÏÎŹÏ„Î·Ï‚ / IsokrĂĄtĂȘs (AthĂšnes 436 – 338 av. J.-C.), est l'un des dix orateurs attiques. DiogĂšne LaĂ«rce dit de lui qu'il est de six ans plus vieux que Platon[1]. Il fut le fondateur d'une Ă©cole de rhĂ©torique cĂ©lĂšbre, qui forma nombre d'orateurs. Son idĂ©al de culture, qu'il appela philosophie, enseignait que l'art de bien parler passait par l'art de bien penser. Il s'opposa aux physiciens naturalistes[2] du Ve siĂšcle av. J.-C., aux sophistes et Ă  Platon. AssoiffĂ© de connaissance, Aristote commença par suivre les cours d’Isocrate, avant de dĂ©cider de rentrer Ă  l’AcadĂ©mie de Platon. Toute sa vie, il ne cessa d'appeler les Grecs Ă  l'union pour lutter contre l'ennemi hĂ©rĂ©ditaire que reprĂ©sentaient les Barbares, Ă  savoir les Perses. Souvent comparĂ© Ă  Lysias, il a su donner Ă  la prose une valeur artistique, comparable Ă  celle de la poĂ©sie, qui a servi de modĂšle Ă  l'ensemble des orateurs antiques, aussi bien de langue grecque que latine.

Isocrate
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Naissance 436 av. J.-C.
DĂšme d'Erchia, AthĂšnes antique
DĂ©cĂšs 338 av. J.-C.
AthĂšnes
Activité principale
Auteur
Langue d’écriture Grec ancien
Genres

ƒuvres principales

  • Sur l'attelage
  • TrapĂ©zitique
  • PanĂ©gyrique
  • Sur la paix
  • ArĂ©opagitique
  • Philippe
  • PanathĂ©naĂŻque

Biographie

Jeunesse

Isocrate est nĂ© en 436 av. J.-C., dans le dĂšme d’Erchia, en Attique, au cours de la 86e Olympiade, sous l’archontat de Lysimaque de Myrrhionte[3]. Il Ă©tait fils de ThĂ©odoros et HĂ©dyto, et avait deux frĂšres, TĂ©lĂ©sippos et Diomnestos. Son pĂšre possĂ©dait des esclaves qui fabriquaient des flĂ»tes : son commerce lui assura une fortune qui le fit appartenir Ă  la classe moyenne. NĂ©anmoins, ce patrimoine familial est perdu lors de la guerre du PĂ©loponnĂšse, du propre aveu d'Isocrate[4]. Plus tard, des comiques, dont Aristophane, le raillĂšrent au sujet du commerce de son pĂšre. Les trois enfants reçurent une Ă©ducation de qualitĂ©. Isocrate assista Ă  AthĂšnes aux discussions de Socrate, aux cours de Prodicos, de Tisias, de ThĂ©ramĂšne, et de Gorgias (entre 415 / 414 et 403 av. J.-C.) lors d’un voyage en Thessalie[5].

DĂ©but de carriĂšre : Isocrate logographe

Cependant, si ses Ă©tudes le destinaient Ă  la carriĂšre politique, sa timiditĂ© et la faiblesse de sa voix l’empĂȘchĂšrent de se prĂ©senter devant l’assemblĂ©e du peuple. En effet, Isocrate ne prononça jamais le moindre discours[6]. Toutefois, ses dĂ©buts Ă©taient prometteurs[7] ; en tĂ©moigne Platon, qui, dans le PhĂšdre, tout en valorisant sa propre doctrine Ă©ducative, Ă©crit Ă  propos d’Isocrate : « [...] il me semble supĂ©rieur Ă  Lysias pour l'Ă©loquence[8] ». Pour pallier ses difficultĂ©s Ă  s’exprimer en public, Isocrate se lance alors dans une carriĂšre de logographe : il Ă©crit des discours judiciaires sur demande. Il s’adonne Ă  ce mĂ©tier pendant une dizaine d’annĂ©es, y gagnant une grande renommĂ©e.

L'Ă©criture de discours dĂ©clamĂ©s lors de diadikasia[9] n'est pas limitĂ©e Ă  la citĂ© d'AthĂšnes. En effet, un Siphnien qui plaidait Ă  Égine, Ăźle situĂ©e Ă  vingt-cinq kilomĂštres au sud du PirĂ©e, fit appel Ă  lui[10]. De plus, Aristote dit qu'on trouve ses productions trĂšs facilement grĂące Ă  leur abondance[11].

NĂ©anmoins, son activitĂ© de logographe ne rĂ©pond pas Ă  ses ambitions politiques : il abandonne alors sa carriĂšre, et parle par la suite de l’éloquence judiciaire avec beaucoup de mĂ©pris[12].

Le professeur de rhétorique

Isocrate, Ă  dĂ©faut de pouvoir s’adresser directement au public Ă  cause de sa timiditĂ©, dĂ©cide alors de fonder une Ă©cole de rhĂ©torique.

Selon le Pseudo-Plutarque[13], c’est d’abord Ă  Chios qu’il ouvre une Ă©cole. C’est la seule source qui tĂ©moigne de l’existence de cette Ă©cole : la prudence est donc de mise, mĂȘme si ce fait n'est pas en soi invraisemblable[14]. En revanche, le fait est avĂ©rĂ© pour AthĂšnes : en 393 av. J.-C., Isocrate ouvre sa propre Ă©cole de rhĂ©torique[15], Ă©cole dont la notoriĂ©tĂ© est immense. Isocrate se consacre pendant les cinquante derniĂšres annĂ©es de sa vie Ă  l’enseignement. Ses Ă©lĂšves furent nombreux, cĂ©lĂšbres et vinrent de tout le monde grec pour assister Ă  ses cours[16]. On compte entre autres, parmi ses Ă©lĂšves le stratĂšge TimothĂ©e, DĂ©mosthĂšne[17], le stratĂšge Iphicrate, les historiens ThĂ©opompe de Chios et Éphore de CymĂ©, AsclĂ©piade de Tragilos[18], NicoclĂšs, roi de Chypre et fils d'Évagoras et ThĂ©odecte de PhasĂ©lis[18]. HypĂ©ride, IsĂ©e, Charmantide du dĂšme de PĂ©anie[19], Lycurgue, Python de Byzance, orateur de Philippe II de MacĂ©doine, Leodamas d'Acharnes et Lacritos font Ă©galement partie de cette liste.

L’école d’Isocrate

L’école d’Isocrate se situait prĂšs du gymnase du LycĂ©e[20] ; le maĂźtre faisait payer 1 000 drachmes son enseignement aux Ă©trangers, alors qu’il Ă©tait gratuit pour les AthĂ©niens[21]. Cependant, une anecdote concernant DĂ©mosthĂšne, rapportĂ©e par le Pseudo-Plutarque[22], laisse supposer qu’à une Ă©poque - probablement jusqu'aux alentours de 365 - mĂȘme les compatriotes d’Isocrate durent payer les leçons.

DĂšs ses dĂ©buts, Isocrate souligna la rivalitĂ© qui existait entre son enseignement et celui des sophistes, d’une part, et celui des Ă©lĂšves de Platon d’autre part. Pour ce faire, il publia[23] en 390 av. J.-C.[24] un discours Contre les Sophistes exposant sa propre philosophia, en opposition avec les formations proposĂ©es par ses contemporains. Isocrate a Ă©galement marquĂ© sa distance par rapport Ă  ceux qu’il appelle les Ă©ristiques, Ă  savoir les sectateurs de Platon, dont il refusait la spĂ©culation abstraite[25], Ă  Aristote, et aux physiciens du Ve siĂšcle av. J.-C.

L’idĂ©al de culture d’Isocrate fut nommĂ© par le maĂźtre lui-mĂȘme philosophie, en grec ancien ϕÎčÎ»ÎżÏƒÎżÏ†ÎŻÎ±. Elle vise Ă  la formation morale de l’homme et du citoyen par la pratique de l’éloquence. L’art de la parole passe par l’art de bien penser. La philosophie d’Isocrate s’oppose Ă  celle de Platon en ceci qu’elle a une finalitĂ© pratique : « mieux vaut apporter sur des sujets utiles une opinion raisonnable (
) que sur des futilitĂ©s des connaissances exactes[26] », Ă©crit Isocrate lui-mĂȘme. La philosophie est donc une Ă©ducation du citoyen : «Je regarde comme sages les gens qui, par leurs opinions, peuvent atteindre le plus souvent la solution la meilleure, et comme philosophes ceux qui consacrent leur temps aux Ă©tudes qui leur donneront le plus vite cette facultĂ© de rĂ©flexion[27] ». « [
] Ă  la fois l’éloquence et la rĂ©flexion apparaĂźtront chez celui qui montre Ă  l’égard des discours un esprit plein de philosophie et d’ambition[28] ». Se retrouvent dans ces citations des points cruciaux de l'Ă©ducation isocratique : l'importance de la doxa accordĂ©e au kairos. En effet, Isocrate est partisan d'une « sagesse pratique » utile dans la vie quotidienne : il dĂ©sire armer les citoyens d'un bon sens leur permettant de mieux prendre des dĂ©cisions.

Isocrate enseignait que l'art de lĂ©gifĂ©rer est plus facile que la rhĂ©torique et la politique au motif que la personne, qui pense connaĂźtre les astuces de l'art oratoire, n'en connaĂźt pas la nature exacte et n'est pas capable de s'occuper de lĂ©gislation[29]. L’enseignement d’Isocrate porte sur les questions importantes dans la vie sociale et politique. La morale classique y tient une part importante : respecter les ancĂȘtres, observer la justice, honorer les dieux, s'inspirer des Ɠuvres des poĂštes[30] ou des actes des premiers citoyens[31]
 Dans le PanathĂ©naĂŻque, son dernier discours, Isocrate donne les principes de la formation morale de l’homme : avoir un comportement honorable, une opinion adĂ©quate aux circonstances, ĂȘtre capable de viser au pratique, ĂȘtre courtois, Ă©quitable, modĂ©rĂ©, courageux face au malheur, maĂźtre de ses plaisirs ; ne pas ĂȘtre gĂątĂ© par le succĂšs et l’orgueil[32]. Il enseigne en outre l’art de composer un discours, dont l’ensemble se doit d'ĂȘtre harmonieux, ce qu'il tient de Gorgias[33]. Isocrate a uni l’enseignement de la composition littĂ©raire Ă  celui des idĂ©es nĂ©cessaires au citoyen. L’immense rĂ©putation de son Ă©cole en a fait le modĂšle des professeurs de rhĂ©torique pour des siĂšcles.

Cicéron, dans son De Oratore[34], compare l'école d'Isocrate au cheval de Troie, rempli des héros grecs.

La fin de sa vie

Pour ce qui est de sa vie privĂ©e, Isocrate a vĂ©cu avec une courtisane, LagiskĂ©, avant d’épouser PlathanĂ©, veuve du rhĂ©teur Hippias, dont il adopta un fils, ApharĂ©os. Il mourut en octobre -338, Ă  98 ans, sous l’archontat de ChĂ©rondas, aprĂšs la nouvelle de la bataille de ChĂ©ronĂ©e, lors des funĂ©railles des morts. Il fut enterrĂ© aux frais de la CitĂ©, au sud-ouest d’AthĂšnes, prĂšs du gymnase du Cynosarge. Une statue de lui fut dĂ©diĂ©e par TimothĂ©e, fils de Conon, devant le portique d’entrĂ©e Ă  Éleusis : « TimothĂ©e admirant le commerce agrĂ©able et l’intelligence d’Isocrate a consacrĂ© aux dĂ©esses cette statue, Ɠuvre de LĂ©ocharĂšs[35] ». L’auteur anonyme de la Vie d’Isocrate (Ă  distinguer de celle du pseudo-Plutarque) prĂ©tend qu’une sirĂšne fut sculptĂ©e sur son tombeau pour reprĂ©senter l’harmonie de sa parole. AnaximĂšne de Lampsaque, rhĂ©toricien, a Ă©crit des traitĂ©s (tous perdus) qui semblent avoir Ă©tĂ© d'inspiration isocratique, tout en se montrant, en tant qu'orateur, un spĂ©cialiste de l'improvisation.

ThÚses défendues

Non-implication dans le politique et Ă©criture

ParallĂšlement Ă  son activitĂ© d’enseignement, Isocrate se lance dans le discours Ă©pidictique, c’est-Ă -dire dans l’éloquence d’apparat, pour diffuser ses idĂ©es politiques. Mais comme sa timiditĂ© l’empĂȘche d’intervenir directement dans les affaires politiques, il a recours au discours fictif. MĂȘme le pseudo-Plutarque est trompĂ© par le Sur l’Échange, lorsqu’il prĂ©tend que c’est le seul discours qu’Isocrate prononça (Isocrate, 4). Isocrate emprunte le genre du discours Ă©pidictique Ă  Gorgias et Ă  Lysias, qui s’étaient dĂ©jĂ  adressĂ©s aux Grecs rĂ©unis Ă  Olympie, Ă  cette diffĂ©rence prĂšs qu’il l’applique Ă  la fiction. Isocrate crĂ©e alors le discours « hellĂ©nique et politique », composĂ© d’histoire et de philosophie, comme il le dĂ©finit dans le PanathĂ©naĂŻque (246).

Panhellénisme

Ses idĂ©es politiques sont fixĂ©es depuis le PanĂ©gyrique, dĂšs 380 av. J.-C. : « Il est impossible d’avoir une paix assurĂ©e si nous ne faisons pas en commun la guerre aux Barbares (PanĂ©gyrique, 173) ». Cette phrase rĂ©sume Ă  elle seule ce qui fut le leitmotiv d’Isocrate : l’union de tous les Grecs, et la lutte contre l’ennemi commun que reprĂ©sente l'Empire perse. Seul a variĂ© le personnage chargĂ© de coordonner cette union panhellĂ©nique. L’hellĂ©nisme est pour l’orateur une communautĂ© de civilisation, dont les intĂ©rĂȘts sont Ă©galement communs. Ces idĂ©es, relativement simples, sont inspirĂ©es par le siĂšcle prĂ©cĂ©dent : pour Isocrate, le bonheur et la paix dĂ©pendent de l’union des Grecs, mais les citĂ©s doivent toutefois garder leur indĂ©pendance. On voit donc qu’il n’y a pas de rupture avec le siĂšcle de PĂ©riclĂšs. Au contraire, il faut suivre l’exemple des anciens : les Grecs rassemblĂ©s devant Troie et la gĂ©nĂ©ration de la bataille de Marathon reprĂ©sentent pour Isocrate le modĂšle qu’il faut suivre. Une fois la Perse vaincue, il faudra coloniser toute l’Asie Mineure, pour dĂ©fendre le domaine des Grecs et y envoyer les bannis et mercenaires, qui sont un flĂ©au pour les citĂ©s.

Les idĂ©es politiques d’Isocrate furent tournĂ©es vers le panhellĂ©nisme, tandis que la politique intĂ©rieure fut relativement nĂ©gligĂ©e. Son influence sur Philippe II est discutĂ©e. En effet l'historien Pierre Briant Ă©crit : «Les deux programmes Ă©taient, Ă  la limite, inconciliables : alors qu’Isocrate entendait utiliser la puissance macĂ©donienne pour lancer AthĂšnes dans un nouvel impĂ©rialisme, Philippe, quant Ă  lui, avait bien l’intention d’utiliser la ligue de Corinthe Ă  ses fins propres. Rien ne permet donc d’affirmer que Philippe avait fait sien le programme d’Isocrate, qui envisageait une conquĂȘte et une colonisation de l’Asie Mineure, « de la Cilicie Ă  Sinope ».

Puissance Ă  soutenir

Isocrate a dĂ©fendu ces idĂ©es inlassablement pendant cinquante ans. Cependant, il est conscient des changements de son Ă©poque. En effet, le choix d’une puissance directrice, qui puisse coordonner l’union de tous les Grecs, est la condition nĂ©cessaire Ă  la victoire sur les Barbares. Or, en fonction des Ă©vĂ©nements, Isocrate modifie le choix de la puissance directrice : il propose d’abord AthĂšnes, dĂšs le PanĂ©gyrique, en 380 av. J.-C., avant de se tourner vers Sparte et Archidamos, vers Jason de PhĂšres et la Thessalie, Denys le Jeune et la Sicile ou NicoclĂšs
 Ses dĂ©marches se solvant par des Ă©checs, Isocrate se retourne finalement vers AthĂšnes en 356 av. J.-C. Dans le Sur la Paix, il indique par quelles rĂ©formes politiques AthĂšnes pourra reconstituer sa confĂ©dĂ©ration avant de l’étendre Ă  tous les Grecs. En 346 av. J.-C., grĂące Ă  la paix de Philocrate, Philippe intervient dans les affaires de la GrĂšce : Isocrate croit alors trouver l’homme qui pourra ĂȘtre Ă  la tĂȘte de tous les Grecs. Il cherche la collaboration plutĂŽt que la domination macĂ©donienne.

Universalisme

Le panhellĂ©nisme d'Isocrate se caractĂ©rise par son universalisme. Il distingue la race (gĂ©nĂš) de la culture (dianoia) et considĂšre comme Grec quiconque est Ă©duquĂ© selon les mƓurs et les lois grecques. L'origine est moins importante que l'Ă©ducation (paĂŻdeia).  Â« [...] le nom de Grecs dĂ©signe moins un peuple particulier, qu’une sociĂ©tĂ© d’hommes Ă©clairĂ©s et polis; si l’on appelle Grecs plutĂŽt ceux qui participent Ă  notre Ă©ducation que ceux qui partagent notre origine, c’est Ă  nos institutions qu’on le doit » (PanĂ©gyrique, 50)[36]. De ce fait, « on appelle Grecs plutĂŽt ceux qui participent Ă  notre Ă©ducation que ceux qui ont la mĂȘme origine de nous »[37].

Le style d'Isocrate

L’auteur anonyme de la Vie d'Isocrate prĂ©tend qu’il « imita Gorgias dans la recherche des terminaisons semblables et des mots de mĂȘme son, sans aller cependant comme lui jusqu’à satiĂ©tĂ©. Il emploie des expressions claires, Ă©mouvantes et persuasives ; mais elles ne sont pas ramassĂ©es et agrĂ©ables comme celles de Lysias. (
) Isocrate est continu dans ses sentences ; car avant d’avoir achevĂ© une idĂ©e, il y enchaĂźne une autre sentence ».

CicĂ©ron pour sa part reconnaĂźt que, « supĂ©rieur en toutes choses Ă  ses devanciers, Isocrate le fut surtout en ceci : le premier, il comprit que mĂȘme dans la prose il doit y avoir du mĂštre et une certaine cadence, Ă  la condition toutefois que soient Ă©vitĂ©es les formes du vers » (Brutus, 32).

La plus grande influence d’Isocrate fut sans conteste sa technique littĂ©raire. Dans l’Evagoras (8-11) et dans le Sur l’Échange (46), il a prĂ©tendu que ses discours Ă©galaient les Ɠuvres poĂ©tiques. Le tĂ©moignage de CicĂ©ron confirme cette prĂ©tention, d’autant plus que le juge n’est pas des moindres. Et en effet, Isocrate fut le modĂšle de la rhĂ©torique pendant des siĂšcles, par l’intermĂ©diaire de l’éloquence cicĂ©ronienne.

Isocrate porte une grande attention Ă  la composition, et vise Ă  l’harmonie (ce que confirme la citation de la Vie d'Isocrate, quand elle prĂ©tend qu’Isocrate ne va pas jusqu’à la satiĂ©tĂ©), Ă  la liaison des parties. Plus encore que l’ensemble, le dĂ©tail est soignĂ© et c’est son style qui caractĂ©rise le plus Isocrate : exactitude et puretĂ©[38]. La prose attique est en outre scrupuleusement respectĂ©e. On peut noter que les figures de rhĂ©torique sont assez peu nombreuses. Une des rĂšgles essentielles chez Isocrate est le refus de deux syllabes identiques qui se suivent : l’hiatus est proscrit. La construction de la pĂ©riode est aussi essentielle : on constate que son organisation est primordiale, que les divers Ă©lĂ©ments sont harmonisĂ©s. Les pĂ©riodes sont composĂ©es de parallĂšles (ΌέΜ... Ύέ), de balancements (Îżáœ ÎŒÏŒÎœÎżÎœ... ጀλλᜰ Îșαί), d’oppositions (ÎżáœÎș... ጀλλᜰ), de consĂ©cutives (Ï„ÎżÏƒÎżáżŠÏ„ÎżÎœ... ᜄστΔ)
 Une seule phrase peut marquer les nuances de la pensĂ©e en utilisant toutes les ressources de la syntaxe grecque. Les critiques ont pu voir dans le style d’Isocrate une certaine monotonie. Cependant, grĂące Ă  l’entremise des orateurs romains, l’art de l’orateur a survĂ©cu jusqu’à nos jours.

ƒuvres

Isocrate, ƒuvres complĂštes, Ă©dition de 1570.

Une soixantaine de discours lui étaient attribués dans l'Antiquité, dont la moitié seulement seraient authentiques : Denys d'Halicarnasse avance le chiffre de 25, Cécilius 28. Ont été conservés six discours relatifs à l'activité de logographe, deux éloges, caractéristiques du goût sophistique pour les éloges paradoxaux, et ce que l'on pourrait appeler des manifestes politiques.

Six de ces discours sont liĂ©s Ă  son activitĂ© de logographe. Selon la rĂšgle du genre, ils ne sont pas signĂ©s du nom d'Isocrate, Ă©tant la propriĂ©tĂ© du plaideur. C'est ce dernier qui s'y exprime Ă  la premiĂšre personne. Isocrate a trĂšs certainement publiĂ© les discours qui ont eu un certain retentissement : il les aurait conservĂ©s pour illustrer ses thĂ©ories lors de l’ouverture de son Ă©cole ; les six discours de logographe que nous possĂ©dons reprĂ©sentent donc un instrument d’enseignement rĂ©servĂ© Ă  l'Ă©cole d'Isocrate. En voici les titres :

  • Contre Euthynous (403 ou 402) : discours peu dĂ©veloppĂ© sur un procĂšs en restitution de dĂ©pĂŽt, intentĂ© en faveur d'un Nikias. Le demandeur n'a pas de tĂ©moins Ă  prĂ©senter, et Isocrate s'appuie sur la pertinence de son raisonnement.
  • Contre Callimaque (402 ou 401) : demande d'exception (Ï€Î±ÏÎ±ÎłÏÎ±Ï•Îź), en vertu d'une loi instaurĂ©e par Archinos, interdisant de « rappeler le passĂ© » Ă  la suite des luttes politiques de 403 av. J.-C.
  • Contre LochitĂšs (entre 400 et 396) : procĂšs pour une plainte privĂ©e pour coups et blessures. Seule la seconde partie est conservĂ©e, dans laquelle on trouve un procĂ©dĂ© d'amplification, visant Ă  montrer que l'intĂ©rĂȘt de l'État est liĂ© Ă  celui du plaignant.
  • Sur l'attelage (396 ou 395) : plaidoyer visant Ă  dĂ©fendre le fils d'Alcibiade. Alcibiade avait Ă©tĂ© accusĂ©, aprĂšs sa triple victoire olympique de 416 av. J.-C., de ne pas restituer un des attelages victorieux qui lui avaient Ă©tĂ© prĂȘtĂ©s. L'accusation fut reprise contre son fils dĂšs sa majoritĂ©.
  • TrapĂ©zitique (entre 393 et 391) : plaidoyer pour une plainte contre un banquier refusant de restituer un dĂ©pĂŽt. Le plaignant est originaire du royaume du Bosphore.
  • ÉginĂ©tique (390 ou 391) : procĂšs sur une affaire d'hĂ©ritage. Seul exemple de procĂšs jugĂ© hors de l'Attique. Traduit la renommĂ©e internationale d'Isocrate.

Figurent Ă©galement quelques Ă©loges, dont un Éloge d'HĂ©lĂšne (publiĂ© entre 390 et 380), et un Busiris (publiĂ© aprĂšs 390), caractĂ©ristiques du goĂ»t sophistique pour les Ă©loges paradoxaux. On peut y ajouter le Contre les Sophistes, publiĂ© aux alentours de 390, qui faisait certainement partie de l'enseignement d'Isocrate.

L'essentiel est constitué par ce qu'on pourrait appeler les manifestes politiques :

  • PanĂ©gyrique (Î Î±ÎœÎ·ÎłÏ…ÏÎčÎșός / PanĂȘgurikĂłs), 380 av. J.-C.
  • Archidamos (365 / 362)
  • Sur la paix (356)
  • L'ArĂ©opagitique (v.354), qui inspirera Milton
  • gravure moderne d'aprĂšs un modĂšle antique du rhĂ©teur Isocrate d'AthĂšnes
    Philippe (346)
  • PanathĂ©naĂŻque (entre 342 et 339).

Ses autres Ɠuvres sont le Plataïque, À Nicoclùs, Nicoclùs, Evagoras, Sur l’Échange. S'y ajoutent neuf lettres et quelques fragments.

  • Édition rĂ©cente bilingue : Isocrate, Discours, tome I Ă  IV, Paris, Les Belles Lettres, 2003

Sources antiques

  • Denys d'Halicarnasse, Opuscules rhĂ©toriques (collection des universitĂ©s de France) vol. 1. Les Orateurs antiques, traduit du grec par Germaine AUJAC, Paris, Les Belles Lettres, 1978, 320 p.
  • Plutarque de ChĂ©ronĂ©e, ƒuvres morales (collection des universitĂ©s de France), vol. 12. TraitĂ©s 54-57, Il ne faut pas s'endetter - Vies des dix orateurs - Comparaison d'Aristophane et de MĂ©nandre - De la malignitĂ© d'HĂ©rodote, traduit du grec par Marcel Cuvigny et Guy Lachenaud, Paris, Les Belles Lettres, 1981.
  • Vie anonyme d'Isocrate.

Références

  1. DiogÚne Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres [détail des éditions] (lire en ligne), L. III, 1.
  2. Isocrate, Éloge d'HĂ©lĂšne, 3 - 4, mais aussi Sur l'Ă©change, 261 - 263.
  3. Selon la parole du Pseudo-Plutarque, chez PLUTARQUE, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 2.
  4. ISOCRATE, Sur l'Ă©change, 161.
  5. Jean LOMBARD, Isocrate, rhétorique et éducation ( Philosophie de l'éducation ), Paris, éditions Klincksieck, 1990, p. 22.
  6. Comme le souligne le Pseudo-Plutarque chez Plutarque, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 31.
  7. Néanmoins, comme l'a développé Jean Lombard dans son Isocrate, p. 17, cette mention peut aussi signifier un regret de la part de Platon pour une « insuffisante mobilisation de cette aptitude au service de la philosophie. »
  8. Platon, PhÚdre [détail des éditions] [lire en ligne], 279 a.
  9. « DĂ©finition de ÎŽÎčαΎÎčÎșÎ±ÏƒÎŻÎ± », sur perseus.
  10. Yun Lee TOO, Isocrates I, p. 112.
  11. Denys d'Halicarnasse, Isocrate, 18, 2 – 3 : « Je n’ignore pas non plus que ce que disait Aristote, que chez les marchands de livres circulaient par liasses entiĂšres des discours d’Isocrate ».
  12. Isocrate, Sur l’Échange, 48 - 50.
  13. Affirmation du Pseudo-Plutarque visible chez Plutarque de Chéronée, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 6.
  14. Georges Mathieu, Introduction, p. II du premier tome des Discours d'Isocrate.
  15. Jacqueline de Romilly 1980, p. 152.
  16. Isocrate, Sur l'Ă©change, 226.
  17. Lucien de Samosate 2015, p. 862.
  18. Pseudo-Plutarque, Vie des X orateurs, 55 837c8-11; Photius, BibliothĂšque, 260, 486b36-41.
  19. Platon, La République [détail des éditions] [lire en ligne], Livre I, 328 b.
  20. Vie anonyme d'Isocrate, contenue dans le tome 1 de ses Discours.
  21. Affirmation du Pseudo-Plutarque visible chez Plutarque de ChĂ©ronĂ©e, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 33. 
  22. Plutarque, Vies des dix orateurs, IV - Isocrate, 12 - 13.
  23. Isocrate, Sur l'Ă©change, 193.
  24. Jean Lombard, Isocrate, rhétorique et éducation, p. 9.
  25. Isocrate, Contre les sophistes, 1.
  26. Isocrate, Éloge d'HĂ©lĂšne, 5.
  27. Isocrate Sur l’Échange, 271.
  28. Isocrate Sur l’Échange, 277.
  29. Isocrate, Sur l’Échange, 79 - 83.
  30. Isocrate, Contre les sophistes, 2 ainsi que À Nicoclùs, 3.
  31. Isocrate, Sur l'Ă©change, 230 - 236.
  32. Isocrate, Panathénaïque, 30 - 33.
  33. Isocrate, Éloge d'HĂ©lĂšne, 14.
  34. Cicéron, De Oratore, II, 94 : "cuius e ludo tamquam ex equo Troiano meri principes exierunt".
  35. Plutarque, Vies des dix orateurs. IV - Isocrate, 27.
  36. « Isocrate : PanĂ©gyrique d’AthĂšnes », sur remacle.org (consultĂ© le )
  37. Jean-Jacques Chevallier, Histoire de la pensée politique, Payot, 1979-<1984> (ISBN 978-2-228-13530-6, OCLC 6356697, lire en ligne)
  38. Philippe, 4 : τᜎΜ λέΟÎčÎœ ... ጀÎșϱÎčÏáż¶Ï‚ Îșα᜶ ÎșÎ±ÎžÎ±Ïáż¶Ï‚ áŒ”Ï‡ÎżÏ…ÏƒÎ±Îœ.

Voir aussi

Bibliographie

  • (fr) Émile Chambry, Émeline Marquis, Alain Billault et Dominique Goust (trad. du grec ancien par Émile Chambry), Lucien de Samosate : ƒuvres complĂštes, Paris, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1248 p. (ISBN 978-2-221-10902-1)
  • (fr) Pierre Pellegrin (dir.) (trad. du grec ancien), Aristote : ƒuvres complĂštes, Paris, Éditions Flammarion, , 2923 p. (ISBN 978-2-08-127316-0)
  • (fr) Jacqueline de Romilly (dir.), PrĂ©cis de littĂ©rature grecque, PUF, coll. « Quadrige Grands textes », , 284 p. (ISBN 2-13-056076-8)
  • Cinzia Bearzot, « Isocrate et PhĂšres : Jason et ses successeurs », KtĂšma, no 41,‎ , p. 5-15 (lire en ligne)
  • Christian Bouchet, « Le vocabulaire du commandement chez Isocrate », KtĂšma, no 36,‎ , p. 185-209 (lire en ligne)
  • Christian Bouchet (prĂ©f. Patrice Brun et Nicolas Richer), Isocrate l'AthĂ©nien, ou la belle hĂ©gĂ©monie : Ă©tude des relations internationales au IVe siĂšcle av. C., Bordeaux, Ausonius Ă©ditions, coll. « Scripta antiqua no 60 », , 277 p. (ISBN 978-2-35613100-3)
  • Christian Bouchet, « Isocrate l’AthĂ©nien ou Isocrate d’Apollonia. Les affaires cariennes », KtĂšma, no 41,‎ , p. 29-41 (lire en ligne)
  • Paul ClochĂ©, Isocrate et son temps, Belles Lettres, Annales littĂ©raires de l'universitĂ© de Besançon, 1963 ;
  • Annie Hourcade, « Isocrate, la mĂ©decine et la philosophie », KtĂšma, no 41,‎ , p. 17-28 (lire en ligne)
  • Jean Lombard, Isocrate. RhĂ©torique et Ă©ducation, Paris, Ă©ditions Klincksieck, collection "Philosophie de l'Ă©ducation", 1990 (ISBN 2-252-02727-4)
  • Albert Martin, Le manuscrit d'Isocrate Urbinas CXI de la Vaticane. Description et histoire. Recension du panĂ©gyrique, Paris, Ernest Thorin Ă©diteur, coll. « BibliothĂšque des Écoles françaises d'AthĂšnes et de Rome no 24 », (lire en ligne)
  • Georges Mathieu, Les idĂ©es politiques d'Isocrate, Belles Lettres, 1966 (premiĂšre Ă©dition 1925)
  • Claude MossĂ©, « Sur un passage de l’Archidamos d’Isocrate », dans D’HomĂšre Ă  Plutarque. ItinĂ©raires historiques, Bordeaux, Ausonius Ă©ditions, coll. « Scripta Antiqua no 19 », (ISBN 978-2-91002390-4, lire en ligne), p. 229-233
  • Pierre Pontier, « Isocrate et XĂ©nophon, de l’éloge de Gryllos Ă  l’éloge du roi : Ă©chos, concordances et discordances », KtĂšma, no 41,‎ , p. 43-58 (lire en ligne)
  • Nicolas Richer, « Isocrate et Sparte : un parcours », KtĂšma, no 41,‎ , p. 59-86 (lire en ligne)
  • Suzanne SaĂŻd, Monique TrĂ©dĂ© et Alain Le Boulluec, Histoire de la littĂ©rature grecque, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Premier Cycle », (ISBN 2130482333 et 978-2130482338)
  • Paul Schubert, « P. Bodmer LII : Isocrate, a NicoclĂšs 16-22 », Museum Helveticum, vol. 54, no 2,‎ (lire en ligne)
  • Maddalena Vallozza, « L’Éloge d’HĂ©lĂšne d’Isocrate en tant que texte d’école », KtĂšma, no 41,‎ , p. 109-119 (lire en ligne)
  • AbbĂ© Vatry , « Que l'ancien Isocrate est auteur du discours Ademonicus », dans Histoire de l'AcadĂ©mie royale des inscriptions et belles-lettres de MDCCXXXIV jusques & compris MDCCXXXVII, t. VI, Amsterdam, Chez François Changuion, mdccxliii (lire en ligne), p. 283-297

Article connexe

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.