Lycurgue (orateur)
Lycurgue (en grec ancien ÎÏ ÎșοῊÏÎłÎżÏ / LukoĂ»rgos), est un orateur et homme politique grec, du parti nationaliste et anti-macĂ©donien (vers 390 AthĂšnes, 324 av. J.-C.). RĂ©putĂ© incorruptible et admirateur de l'idĂ©al de Sparte, il dirige la politique athĂ©nienne en assumant la magistrature, nouvelle Ă lâĂ©poque, de la direction des finances et des travaux publics, de 338 Ă 326 av. J.-C., dans des circonstances troublĂ©es, oĂč il se rĂ©vĂšle selon Jules Humbert et Henri Berguin un administrateur d'une activitĂ© mĂ©thodique et d'une probitĂ© sĂ©vĂšre[1]. Outre son importante action dans ces deux domaines, il est aussi Ă l'origine d'une rĂ©forme imposant une sorte de dĂ©pĂŽt lĂ©gal, sous forme d'une copie officielle conservĂ©e aux archives, des piĂšces des trois grands tragiques grecs[2] : il a permis ainsi dâempĂȘcher les modifications abusives apportĂ©es au texte par les acteurs, et Ă ce titre, il peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le codificateur du canon tragique[3].
Notice biographique
Issu dâune vieille famille aristocratique athĂ©nienne, les EtĂ©Îżboutades[4], mais ralliĂ© Ă la dĂ©mocratie, Lycurgue suit dans sa jeunesse les leçons de Platon, puis dâIsocrate. Bouleute, il ne prend pas part Ă la bataille de ChĂ©ronĂ©e, et ne joue un rĂŽle dans la politique de la citĂ© athĂ©nienne qu'aprĂšs la dĂ©faite de ChĂ©ronĂ©e en 338 face aux troupes de Philippe II de MacĂ©doine. Il est Ă©lu en 338 avant notre Ăšre Ă un poste nouvellement crĂ©Ă© de contrĂŽleur des finances - il occupe cette fonction pendant douze ans. Il meurt vers 324 Ă AthĂšnes.
CarriĂšre
Le trait particulier de la « pĂ©riode lycurguĂ©enne » - de la bataille de ChĂ©ronĂ©e en 338 Ă sa mort - est la diversitĂ© et le fort contingent des actions politiques attestĂ©es dans la vie politique de la citĂ© : un grand nombre de rĂ©formes, de constructions publiques, de mesures de consolidation des finances et de lâĂ©conomie athĂ©nienne. Si lâon voit dans Lycurgue lâinstigateur de tout ce mouvement, dâautres citoyens athĂ©niens ont ĆuvrĂ© dans ce mĂȘme sens.
Les finances
En tant que trĂ©sorier, Lycurgue Ă©tait chargĂ© de remettre de lâordre dans les finances dâAthĂšnes, durement affectĂ©es par la guerre contre Philippe II de MacĂ©doine. On estime gĂ©nĂ©ralement quâil rĂ©ussit Ă porter le montant annuel des revenus de lâĂtat Ă 1 200 talents. Câest une somme considĂ©rable qui reprĂ©sente plus de deux fois et demi le montant annuel que recevait la citĂ© au Ve siĂšcle par les Ătats membres de lâempire athĂ©nien. Il reste quâon ne sait pas vraiment comment Lycurgue a augmentĂ© Ă ce point les revenus de la citĂ©[5]. Mais on peut penser que la reprise de l'activitĂ© miniĂšre et la remise en fonction dâanciennes galeries abandonnĂ©es ont apportĂ© beaucoup Ă lâaccroissement des revenus. La hausse des revenus s'explique aussi par les fermages supplĂ©mentaires venant du territoire rĂ©cemment conquis dâOropos, ainsi que par la confiscation des biens des citoyens condamnĂ©s (notamment lors des procĂšs intentĂ©s par Lycurgue) ou encore par lâaugmentation de certaines taxes commerciales comme celles qui taxaient les biens Ă lâimportation et Ă lâexportation de 2 % de la valeur de la marchandise. Si les citoyens athĂ©niens ne payaient pas dâimpĂŽt direct, les mĂ©tĂšques payaient, eux, globalement 10 talents par an finançant ainsi les arsenaux et les chantiers navals. Lycurgue faisait Ă©galement beaucoup appel aux souscriptions publiques ; lâaccroissement des recettes correspond Ă©galement Ă une diminution des dĂ©penses publiques avec notamment la suppression des fonds du thĂ©ĂŽrique (allocations permettant aux plus pauvres dâassister aux fĂȘtes officielles et aux reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales).
Les constructions
Depuis PériclÚs, AthÚnes n'avait jamais connu une activité aussi étendue dans le domaine de la construction. C'est également la derniÚre fois qu'AthÚnes peut poursuivre des travaux de grande envergure seule. La muraille des fortifications est alors consolidée[6], le port élargi, un arsenal édifié. En , on inaugure le nouveau stade panathénaïque construit par Lycurgue. Celui-ci pourvoit également le théùtre de Dionysos d'un nouveau dispositif de gradins en pierre. Le lieu de réunion de l'assemblée, sur la Pnyx, voit ses travaux terminés sous Lycurgue en Un temple en l'honneur d'Apollon PatrÎos est érigé sur l'agora. Enfin on peut noter la construction d'un portique de 50 m de long ornant le sanctuaire d'Asclépios ou encore le monument de Lysicrate.
L'armée
La bonne gestion des finances par Lycurgue permet Ă©galement Ă la citĂ© de remettre sur pieds son armĂ©e et sa marine. Le nombre de navires de guerre croĂźt alors d'annĂ©e en annĂ©e. La loi d'ĂpikratĂšs concernant l'Ă©phĂ©bie et permettant une meilleure prĂ©paration de la jeunesse athĂ©nienne Ă l'exercice militaire est Ă©galement rendue possible par les finances saines de la citĂ©. Enfin on peut noter la proposition en 335 de Lycurgue, de concert avec Aristonicos, d'envoyer une escadre combattre les pirates sous le commandement de Diotimos. Cette opĂ©ration connut vraisemblablement un vĂ©ritable succĂšs puisque l'annĂ©e suivante, Lycurgue proposa d'honorer Diotimos. La remise sur pied des finances athĂ©niennes par Lycurgue aprĂšs la dĂ©faite de ChĂ©ronĂ©e a permis la construction de nouveaux Ă©difices publiques, un embellissement de la citĂ© et un rĂ©tablissement des forces terrestres et maritimes.
RĂŽle historique
Certains historiens comme Patrice Brun remettent en cause cette vision de la période comme de celle d'une Úre de Lycurgue ; si Lycurgue est pour beaucoup responsable du redressement financier d'AthÚnes aprÚs la défaite de Chéronée, il n'a dans ce sens pas agi seul : le fait que la figure de Lycurgue soit à ce point magnifiée peut s'expliquer, selon Patrice Brun, par le fait qu'il fallait mettre en avant une figure anti-macédonienne et patriote à la restauration de la démocratie en 307, aprÚs dix ans de domination macédonienne. Lycurgue convenait alors parfaitement et StratoclÚs proposa alors un décret en faveur de Lycurgue. Le décret de StratoclÚs de 307 av. J.-C.[7] fait presque disparaßtre une autre figure de la politique athénienne, Démade. Le patriotisme de Lycurgue est alors préféré à la subtilité de la politique de Démade à l'égard d'Antipatros. Les mérites de Démade sont en fait occultés et rangés au crédit de Lycurgue si bien qu'aujourd'hui encore on peut entendre parler d'Úre lycurguéenne. Pourtant sans réduire l'action de Lycurgue dans le domaine de la finance, « il est impératif de ne pas faire de Lycurgue une sorte de grand organisateur ayant seul autorité et ayant couvert de sa seule volonté AthÚnes de constructions prestigieuses » selon Patrice Brun[8].
L'orateur
On conserve des fragments de plusieurs plaidoyers de Lycurgue ainsi qu'un de ses plaidoyers dans son intĂ©gralitĂ©, le Contre LĂ©ocrate[9]. Ce sont tous des plaidoyers prononcĂ©s dans des procĂšs politiques, des ÎłÏαÏαί / graphĂš dont un grand nombre dâ ΔጰÏαγγΔλία, / eisangĂ©lie, procĂ©dure de mise en accusation d'un magistrat devant l'assemblĂ©e, procĂ©dure exceptionnelle pour haute trahison, qui n'est normalement utilisĂ©e que lorsque l'on ne peut pas attendre la reddition de compte. On trouve en particulier :
- Contre Lycophon. Il lâaccuse dâadultĂšre. Ce plaidoyer est perdu mais on a gardĂ© sa dĂ©fense, faite par HypĂ©ride.
- Contre Euxenippos : AprĂšs ChĂ©ronĂ©e, Philippe de MacĂ©doine Ă©pargne AthĂšnes et sâen prend essentiellement Ă ThĂšbes. Il propose de donner Ă AthĂšnes un canton thĂ©bain quâelle revendiquait. AthĂšnes envoie Exenippos consulter lâoracle du Dieu. Mais cet oracle est trĂšs ambigu. Lycurgue lâattaque car selon lui il a rapportĂ© une rĂ©ponse volontairement ambiguĂ«. On nâa pas conservĂ© le plaidoyer de Lycurgue mais on a gardĂ© sa dĂ©fense par HypĂ©ride.
- Contre Aristogiton : Lycurgue sâest alliĂ© Ă DĂ©mosthĂšne contre Aristogiton, sycophante qui attaque les hommes politiques en justice dans lâespoir de faire des bĂ©nĂ©fices.
- Contre CĂ©phisodote : CĂ©phisodote propose un dĂ©cret accordant des honneurs Ă DĂ©made : une statue honorifique et des repas au PrytanĂ©e. DĂ©made, orateur politique pro-macĂ©donien avait nĂ©gociĂ© une paix avantageuse pour AthĂšnes et empĂȘchĂ© les rĂ©percussions sur AthĂšnes alors que la ville sâĂ©tait agitĂ©e au moment de lâavĂšnement dâAlexandre. Mais Lycurgue ne rĂ©ussit pas Ă faire condamner CĂ©phisodote.
- Contre LysiclÚs : Un des stratÚges de Chéronée qui sera condamné à mort et exécuté aprÚs ce procÚs en eisangélie.
- Contre Autolycos : membre du conseil de lâArĂ©opage qui a mis sa famille en sĂ©curitĂ© loin dâAthĂšnes au moment de la bataille de ChĂ©ronĂ©e. Il est condamnĂ© et exĂ©cutĂ©.
- Contre LĂ©ocrate : Ce citoyen athĂ©nien aisĂ©, Ă la nouvelle du dĂ©sastre de ChĂ©ronĂ©e, s'enfuit de nuit avec sa maĂźtresse et toutes ses richesses en s'embarquant sur un navire Ă destination de Rhodes. Quand il y parvient, il rĂ©pand le bruit qu'AthĂšnes est tombĂ©e aux mains des ennemis macĂ©doniens et que seul, il a pu parvenir Ă s'Ă©chapper. Quelque temps aprĂšs, il s'installe Ă MĂ©gare, oĂč il se lance dans le commerce de blĂ© pendant cinq ans et liquide ses biens Ă AthĂšnes par l'intermĂ©diaire de son beau-frĂšre qui lui fait mĂȘme parvenir ses dieux domestiques. Un jour, il dĂ©cide de rentrer Ă AthĂšnes dans la pensĂ©e que sa fuite, qui remonte Ă sept ou huit ans, sera oubliĂ©e. Lycurgue lui intente alors un procĂšs pour haute trahison. L'affaire passe devant les juges durant l'annĂ©e 331-330. Il Ă©chappe Ă la condamnation Ă mort Ă une voix prĂšs[10]. Ce plaidoyer est le seul dont on ait conservĂ© l'intĂ©gralitĂ©.
Bibliographie
Plaidoyers de Lycurgue
- (grc + fr) Lycurgue (notice biographique et introduction), « Plaidoyer contre Léocrate », sur remacle.org, Paris, Choix de Harangues, chez Garnier FrÚres,
Ătudes
- Christian Habicht (dir.) (trad. de l'allemand par Denis Knoepfler), AthÚnes hellénistique : Histoire de la cité d'Alexandre le Grand à Marc Antoine [« Athen, Die Geschichte der Stadt in hellenistischer Zeit »], Les Belles Lettres, coll. « Histoire » (1re éd. 2000), 608 p. (ISBN 978-2-251-38077-3).
- Luciano Canfora (trad. Denis Fourgous), Histoire de la littĂ©rature grecque : d'HomĂšre Ă Aristote, DesjonquĂšres Ăditions, coll. « La Mesure des choses », , 706 p. (ISBN 978-2-904227-84-4, prĂ©sentation en ligne)
- FĂ©lix DĂŒrrbach, L'orateur Lycurgue : Ă©tude historique et littĂ©raire, Paris, Ernest Thorin Ă©diteur, coll. « BibliothĂšque des Ăcoles françaises d'AthĂšnes et de Rome no 57 », , 192 p. (lire en ligne)
- Vincent Azoulay (dir.) et Paulin Ismard (dir.), ClisthĂšne et Lycurgue dâAthĂšnes : Autour du politique dans la citĂ© classique, Paris, Publications de la Sorbonne, , 406 p. (ISBN 978-2-85944-682-6).
- Patrice Brun, Lâorateur DĂ©made : Essai dâhistoire et dâhistoriographie, Bordeaux, Ausonius, 2000.
- Pierre Sineux (dir.), Le LĂ©gislateur et la loi dans lâAntiquitĂ©, Caen, 2005.
- M-H. Hansen, La DĂ©mocratie athĂ©nienne Ă lâĂ©poque de DĂ©mosthĂšne, trad. S. Bardet, Paris, Les Belles Lettres, 1993.
Notes et références
- Jules Humbert et Henri Berguin, Histoire illustrée de la littérature grecque, Didier, Paris, 1966, p. 324.
- Voir le témoignage du Pseudo-Plutarque
- Luciano Canfora 2014, p. Chapitre VII, § 2.
- Luciano Canfora 2014, p. Le Contre LĂ©ocrate.
- Ădouard Will, Claude MossĂ©, Paul Goukowsky, Le Monde grec et l'Orient, tome II, Le IVe siĂšcle av. J.-C. et l'Ă©poque hellĂ©nistique, P.U.F., 1975, p. 144.
- Ădouard Will, Claude MossĂ©, Paul Goukowsky, Le Monde grec et l'Orient, tome II, Le IVe siĂšcle av. J.-C. et l'Ă©poque hellĂ©nistique, P.U.F., 1975, p. 301.
- DĂ©cret de StratoclĂšs, IG, II, 457.
- Patrice Brun, L'orateur DĂ©made, Essai d'Histoire et d'historiographie, Ausonius, 2000, note 26 p. 138 sq.
- Pseudo-Plutarque, Vie des dix orateurs grecs, Lycurgue, 3 sq.
- Jules Humbert et Henri Berguin, Histoire illustrée de la littérature grecque, Didier, Paris, 1966, p. 325.
Liens externes
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