Lycurgue (législateur)
Lycurgue (en grec ancien ÎÏ ÎșÎżÏÏÎłÎżÏ / LykoĂșrgos, « celui qui tient les loups Ă lâĂ©cart ») est un lĂ©gislateur mythique de Sparte.
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VIIIe siĂšcle av. J.-C. |
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Plutarque, dans ses Vies parallĂšles, consacre une Vie Ă Lycurgue, mis en parallĂšle avec le roi romain Numa Pompilius. Il situe son existence au IXe siĂšcle av. J.-C. ou au tout dĂ©but du VIIIe siĂšcle, mais il avertit au tout dĂ©but de son Ćuvre que :
« On ne peut absolument rien dire sur le lĂ©gislateur Lycurgue qui ne soit sujet Ă controverse : son origine, ses voyages, sa mort, lâĂ©laboration enfin de ses lois et de sa constitution ont donnĂ© lieu Ă des rĂ©cits historiques trĂšs divers[1]. »
De fait, les historiens modernes, voire antiques, utilisent son nom pour dĂ©finir l'ensemble de la lĂ©gislation mise en Ćuvre Ă Sparte et qui lui est attribuĂ©e, sans s'engager sur l'historicitĂ© du personnage ou le fait qu'un seul homme ait Ă©tĂ© Ă l'origine de ces mesures.
Biographie
Prince et régent de Sparte
Selon Simonide de CĂ©os, il est le fils du roi spartiate Prytanis, de la dynastie des Eurypontides. Plutarque tĂ©moigne cependant que la majoritĂ© des auteurs en fait le fils d'Eunomos, lui-mĂȘme fils de Prytanis et de sa deuxiĂšme femme, DionassĂ©. Il a pour demi-frĂšre Polydecte, nĂ© d'un premier lit, qui devient roi quand leur pĂšre meurt. Ă la mort de Polydecte, Lycurgue est destinĂ© Ă ĂȘtre roi, quand on sâaperçoit que la femme de son dĂ©funt frĂšre est enceinte. Celle-ci fait appeler Lycurgue, devenu rĂ©gent, en secret. Elle lui propose alors de tuer lâenfant Ă naĂźtre si lui, Lycurgue, accepte de lâĂ©pouser. Celui-ci feint dâaccepter et, lorsque lâenfant â un garçon â naĂźt, le proclame roi de Sparte et le baptise Charilaos (littĂ©ralement, « joie du peuple »).
En exil
Furieux, les parents de la reine rĂ©pandent sur son compte des rumeurs qui lâobligent Ă sâexiler. Lycurgue se rend dâabord en CrĂšte, oĂč il Ă©tudie les institutions locales et rencontre le poĂšte ThalĂ©tas. Il se dirige ensuite vers lâIonie, rĂ©putĂ©e alors indolente et dĂ©cadente, afin dâanalyser les mĆurs et les institutions locales.
Selon HĂ©rodote[2], il se rend ensuite en Ăgypte, dâoĂč il prend lâidĂ©e de sĂ©parer les guerriers des travailleurs. Selon AristocratĂšs (en) dans son Histoire des Spartiates, il pousse jusquâen Inde, oĂč il rencontre les gymnosophistes.
La Constitution de Sparte
RappelĂ© par ses concitoyens, Lycurgue rentre Ă Sparte et dĂ©cide de composer une constitution. Il se rend donc Ă Delphes pour interroger Apollon, dispensateur de la justice, par son oracle. La Pythie le salue alors comme « aimĂ© du dieu, et dieu lui-mĂȘme plutĂŽt quâĂȘtre humain[3] ». De retour Ă Sparte, Lycurgue convoque les trente citoyens les plus importants sur lâagora, qui lâaident Ă composer sa constitution, la « Grande RhĂȘtra » (ÎŒÎ”ÎłÎŹÎ»Î· áż„ÎźÏÏα / megĂĄlĂȘ rháșżtra).
Sa premiĂšre mesure est dâĂ©tablir la gĂ©rousie pour compenser le pouvoir des rois. La deuxiĂšme est la redistribution des terres : la Laconie est divisĂ©e en 30 000 lots (klĂ©roi) et le territoire civique de Sparte, en 9 000 lots. Il dĂ©crĂšte ensuite la cessation du cours de la monnaie dâor et dâargent, et les remplace par de lourds lingots de fer â trempĂ© au vinaigre afin dâen augmenter le cassant et dâen diminuer la mallĂ©abilitĂ©. De la sorte, Lycurgue espĂšre mettre fin Ă la thĂ©saurisation. De mĂȘme, il instaure lâautarcie et bannit les arts jugĂ©s inutiles, câest-Ă -dire lâartisanat du luxe. Il oblige les Spartiates Ă prendre leurs repas en commun (syssities) et Ă se nourrir frugalement. Enfin, il met en place lâĂ©ducation spartiate, obligatoire et dispensĂ©e par lâĂtat.
Ayant Ă©tabli toutes ces lois (rhetrai), Lycurgue souhaite demander l'avis d'Apollon, Ă Delphes, et dĂ©fend aux Spartiates de modifier les lois nouvelles avant qu'il soit revenu de Delphes. Il part donc pour la ville sacrĂ©e, et demande Ă Apollon si les lois quâil a Ă©dictĂ©es sont bonnes. Le dieu acquiesce. Estimant son Ćuvre accomplie, et ne voulant pas dĂ©lier ses compatriotes de leur serment, il se suicide en se laissant mourir de faim.
Le lieu de sa sĂ©pulture nâest pas connu. Selon certains auteurs, il se suicide Ă Cirrha, port du golfe de Corinthe oĂč dĂ©barquent les pĂšlerins pour Delphes. Dâautres, comme TimĂ©e de TauromĂ©nion et AristoxĂšne, le font plutĂŽt mourir en CrĂšte. AristocratĂšs prĂ©cise mĂȘme quâĂ sa demande, son corps est brĂ»lĂ© et ses cendres rĂ©pandues en mer : il veut Ă©viter que les Spartiates ne rapportent ses restes Ă LacĂ©dĂ©mone, et se tiennent pour dĂ©liĂ©s de leur serment.
Symbolique
Lycurgue est, selon Plutarque, borgne. Il reçoit cette infirmitĂ© lors dâune altercation avec de riches citoyens, indignĂ©s par les mesures Ă©dictĂ©es contre le luxe :
« Lâun [de ses adversaires], Alcandros, jeune homme violent et emportĂ© qui par ailleurs nâĂ©tait pas dĂ©pourvu de qualitĂ©s, le poursuivit et le rejoignit : comme Lycurgue se retournait, il le frappa de son bĂąton et lui creva un Ćil. »
Loin de sâabandonner Ă la douleur, Lycurgue fait face Ă ses adversaires. Honteux, ceux-ci baissent les armes. Alcandros, livrĂ© par les siens, est pris par Lycurgue Ă son service. Ă force de vivre en compagnie du lĂ©gislateur, le jeune homme sâamende. Plutarque conclut : « Pour rappeler le traitement quâil avait subi, il Ă©difia un sanctuaire Ă AthĂ©na quâil nomma OptillĂ©tis : car les Doriens de ce pays appellent les yeux optilloĂŻ. »
Pour Georges DumĂ©zil, cet Ă©pisode revĂȘt une grande importance. Sâappuyant sur lâĂ©tymologie du nom « Lycurgue » (*Lyko-vorgos, « celui qui tient les loups Ă lâĂ©cart »), il compare le lĂ©gislateur lĂ©gendaire Ă dâautres figures tutĂ©laires indo-europĂ©ennes. Il Ă©tablit ainsi un parallĂšle avec la lĂ©gende ossĂšte de FĂŠlvĂŠra, protecteur des moutons, et de Tutyr, le berger des loups. Le motif de lâaveuglement se retrouve Ă©galement dans la lĂ©gende du dieu nordique Odin, qui abandonne son Ćil en Ă©change de la sagesse, et du sage Zoroastre, aveuglĂ© par ses disciples quand il veut les quitter, et dĂ©vorĂ© par les loups.
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Georges Dumézil, « Le brutal et le borgne », Ultra Ponticos fluctus (Esquisse de mythologie), Gallimard, coll. « Quarto », 1982 (ISBN 2-07-076839-2).
- Moses Finley, « Sparte et la sociĂ©tĂ© spartiate », Ăconomie et sociĂ©tĂ© en GrĂšce ancienne, Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1997 (ISBN 2-02-014644-4).
- Henri Jeanmaire, Couroi et CourÚtes : essai sur l'éducation spartiate et sur les rites d'adolescence dans l'Antiquité hellénique, Lille, BibliothÚque universitaire, 1939.
- Pierre Vidal-Naquet, Le Chasseur noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, Maspéro, 1981 (ISBN 2-7071-4500-9).
Notes
- Les extraits de Plutarque sont issus de la traduction d'Anne-Marie Ozanam, 1991.
- Hérodote, Histoires [détail des éditions] [lire en ligne], II, 164.
- Propos rapportés par Plutarque, Lycurgue, V, 4 ; comparer avec Hérodote (I, 65) qui livre un récit similaire, avant d'indiquer que Lycurgue apporta ses lois de CrÚte sous le rÚgne de son neveu LéobotÚs.