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Infini

Le mot « infini » (-e, -s) est un adjectif servant Ă  qualifier quelque chose qui n'a pas de limite en nombre ou en taille. Il vient du latin infÄ«nÄ«tus, dĂ©rivĂ© de fÄ«nÄ«tus « limitĂ© » (avec in-, prĂ©fixe nĂ©gatif), issu lui-mĂȘme du verbe fÄ«nÄ­o, fÄ«nÄ«re (« dĂ©limiter », mais aussi : « prĂ©ciser », « dĂ©terminer », et intransitivement « finir »), et du nom fÄ«nis (souvent au pluriel, fÄ«nes : « bornes, limites d'un champ », « frontiĂšres d'un pays ») ; il signifie donc, littĂ©ralement « qui est sans borne »[1], mais aussi « indĂ©terminĂ© » et « indĂ©fini »[2]. Lorsqu'il est substantivĂ©, l'infini dĂ©signe fondamentalement une notion mathĂ©matique, ainsi qu'un concept philosophique, mĂ©taphysique ou thĂ©ologique, dont les paradoxes ont nourri depuis longtemps et nourrissent encore l'histoire de la pensĂ©e dans le monde entier.

∞ : le symbole infini.

Le symbole de l'infini, en mathĂ©matiques et au-delĂ  des mathĂ©matiques, est « ∞ », inventĂ© par le mathĂ©maticien John Wallis au XVIIe siĂšcle[3], signe dont l'origine est controversĂ©e et dont la forme peut Ă©voquer un « 8 » horizontal (mais ce n'est pas en rĂ©fĂ©rence au chiffre 8 que ce signe fut choisi) ; cette forme a Ă©tĂ© rapprochĂ©e de celles de la lemniscate de Bernoulli ou du ruban de Möbius. Celles-ci sont d'ailleurs aussi des figurations possibles de l'infini ou de l'inaccessible mouvement perpĂ©tuel, mais figurations « Ă  la limite » justement, pour un concept qui est par dĂ©finition ou par nature impossible Ă  figurer.

La notion d'infini a fortement marquĂ© l'histoire de la philosophie occidentale au moins depuis l'antiquitĂ© grecque, notamment dans la tentative de concilier la thĂ©ologie chrĂ©tienne (dans ses rĂ©flexions sur le caractĂšre Ă  la fois infini et rĂ©el ou « actuel » de la nature divine) avec la pensĂ©e nĂ©oplatonicienne et l'aristotĂ©lisme, et singuliĂšrement avec la distinction conceptuelle d'Aristote entre « l'infini en acte, effectif et concret, qui ne peut se rĂ©aliser dans la nature, et l'infini en puissance, celui que peuvent imaginer les hommes, le seul Ă  exister »[4], mais seulement en tant que concept abstrait et potentialitĂ©. Les grandes Ă©tapes de cette rĂ©flexion ont probablement Ă©tĂ©, depuis le mystĂ©rieux Livre des XXIV philosophes, du IVe siĂšcle au XVe siĂšcle, les Ɠuvres de : Marius Victorinus, BoĂšce, Jean DamascĂšne, Thomas d'Aquin, Raymond Lulle, Jean Duns Scot, Nicole Oresme, et surtout Nicolas de Cues (voir la section « Une avancĂ©e vers l'Infini » de l'article consacrĂ© Ă  ce dernier)[4]. Sans oublier que c'est entre autres sa vision d'un univers infini constituĂ© d'une infinitĂ© de mondes finis chantant tous la gloire de Dieu prĂ©sent partout (au risque, pour l'Inquisition de confondre le CrĂ©ateur avec sa crĂ©ation) qui a valu le bĂ»cher Ă  Giordano Bruno, Ă  l'orĂ©e du XVIIe siĂšcle[5].

Toutefois, cette notion d'infini a connu depuis le XVIIe siĂšcle dans la pensĂ©e occidentale, ainsi que dans l'histoire des mathĂ©matiques et des sciences, un rebond spectaculaire, notamment Ă  partir du dĂ©veloppement du calcul infinitĂ©simal par Fermat, Leibniz et Newton (et dĂ©jĂ  dans les Ɠuvres de Descartes[6], de Pascal et de Spinoza[7]). Ces innovations en mathĂ©matiques (mais aussi en physique) ont induit un changement radical de perspectives : ainsi, Alexandre KoyrĂ© affirme que « la substitution d'un univers infini et homogĂšne au cosmos fini et hiĂ©rarchiquement ordonnĂ© de la pensĂ©e antique et mĂ©diĂ©vale implique et nĂ©cessite la refonte des principes premiers de la raison philosophique et scientifique »[8].

Historique

Religion Ă©gyptienne

Dans la religion égyptienne antique, Noun était le nom du dieu d'un océan infini existant avant la création du monde[9] - [10] - [11] - [12] - [13].

Chine

Une théorie de l'infini a été développée par le moïsme, une des « cent écoles » de philosophie nées en Chine au cours de la période des Royaumes combattants, qui remettait en cause les enseignements confucianistes et taoïstes[14] aux environs de 300 av. J.-C. Cette théorie a été publiée dans le texte fondateur de cette école, qui est un recueil des paroles et des pensées de son maßtre : Mozi[15].

Mathématiques indiennes

Le Yajur-Veda documente la plus ancienne utilisation connue de nombres allant jusqu'Ă  cent mille billions (parārdha en sanskrit[16]). Il utilise aussi le concept d'infinitĂ© numĂ©rique (pĆ«ráč‡a), Ă©tablissant que si on soustrait pĆ«ráč‡a de pĆ«ráč‡a, il reste toujours pĆ«ráč‡a[17].

JudaĂŻsme

La Bible fait référence à l'infini en trois endroits du texte - dans le Livre de Job, chapitre 22, verset 5, dans Psaumes 147 : 5 et au livre de Nahum, chapitre 3, verset 9[18].

L'infini et les Présocratiques

Les philosophes prĂ©socratiques Ă©taient en fait les premiers physiciens (phusikoi). En effet, Ă©tant les premiers Ă  avoir osĂ© Ă©tudier la nature pour elle-mĂȘme, ils en sont venus Ă  instaurer une mĂ©thode d'analyse, de recherche et de rĂ©flexion qui deviendra plus tard celle des scientifiques et des philosophes. À cet effet, une grande partie du jargon scientifique encore utilisĂ© Ă  l'heure actuelle a Ă©tĂ© introduite par ces penseurs et avait Ă  l'origine comme fonction d'exprimer les concepts indispensables pour faire progresser l'Ă©tude de la nature. Univers (kosmos), principe (archĂš)[note 1], raison (logos), nature (phusis) sont autant d'outils avancĂ©s pour pĂ©nĂ©trer au cƓur des choses et en dĂ©couvrir le mĂ©canisme ; les fonctions traditionnelles des divinitĂ©s, jusqu'alors conçues comme interventions externes, sont de ce fait naturalisĂ©es. Ces penseurs avaient donc comme objectif d'internaliser les principes gĂ©rant le fonctionnement du monde, et ainsi de trouver des explications inhĂ©rentes Ă  la nature elle-mĂȘme. À travers cet objectif, ils utiliseront directement ou indirectement le concept d'infini (apeiron)[19].

Les acceptions générales du concept de l'infini chez les présocratiques

Il ne reste que quelques fragments de leurs écrits, ce qui rend la recherche difficile. C'est pourquoi, afin de savoir ce que disent les présocratiques quant au concept de l'infini, il faut consulter Aristote qui fut le premier à recenser leurs thÚses. Sur l'infini, c'est dans le livre III de sa Physique qu'il énumÚre les points communs entre les pensées de ses prédécesseurs et les raisons qui les ont poussés à croire en l'existence de l'infini.

Quelques points d’accords sur l’infini
Les prĂ©socratiques font de l’infini un principe.

Ils ne croient pas que l’infini existe en vain, non plus qu’il ait une autre valeur que celle de principe. Pour eux, tout est principe ou provient d’un principe, or, l’infini ne provient pas d’un principe du fait mĂȘme qu’il en est un.

L’infini est non engendrĂ© et non corruptible en tant que principe.

L’infini est principe de toute chose, il les dirige toutes. C’est que toute chose provient d’un principe ou est elle-mĂȘme principe. D’une part, l’infini en tant que principe n’a lui-mĂȘme pas de principe qui l’engendre, sa limite est celle de ne pas en avoir et il est donc non engendrĂ©. D'autre part, toute gĂ©nĂ©ration reçoit une fin et toute corruption a un terme. Or, non engendrĂ©, l’infini ne reçoit pas de fin et il est donc incorruptible.

Immortel et impĂ©rissable, l’infini apparaĂźt ĂȘtre la divinitĂ©[note 2].

Cinq raisons qui ont poussĂ© Ă  la croyance de l’infini

PremiĂšrement, l'infini est dans la division des grandeurs.

Les mathĂ©maticiens aussi utilisent l'infini, et ce par la division. Par exemple, la formule de l'aire du cercle π.r2 est corroborĂ©e par la division du cercle en un nombre infini de triangles.

DeuxiÚmement, il y a infinité de la source.

En effet, la destruction et la gĂ©nĂ©ration ne s'Ă©puisent pas, ce ne peut ĂȘtre que grĂące Ă  l’infinitĂ© de la source d’oĂč tout est engendrĂ©.

TroisiĂšmement, le temps est infini.

Toute gĂ©nĂ©ration reçoit une fin, mais la source n'a pas de principe qui l'engendre et ainsi elle n'a pas non plus de fin. Ainsi, le mouvement de la gĂ©nĂ©ration et de la corruption s'inscrit dans le temps et il est dĂ» Ă  une source inengendrĂ©e et incorruptible. C’est dire que le temps lui-mĂȘme est infini.

QuatriĂšmement, il n'y a pas de limite en soi.

Ce qui est limité ne l'est que par autre chose, de sorte que rien ne sera limite puisque la limitation est toujours entre deux termes. L'infini est cette absence de limite en soi.

CinquiÚmement, la représentation de l'infini ne l'épuise pas.

Aristote donne pour exemple les grandeurs mathématiques et ce qui est hors du ciel. Les quantités et les étendues ne peuvent pas circonscrire l'infini par représentation. Autrement dit, on ne peut pas cerner l'infini dans son ensemble, car l'infini est toujours plus grand que ce qu'on aura cerné.

Il est toutefois possible, Ă  partir des fragments et des commentaires, de distinguer la pensĂ©e de chacun des prĂ©socratiques et de la comprendre pour elle-mĂȘme.

Anaximandre
SchĂ©mas du modĂšle de l'univers d'Anaximandre. À gauche, le jour en Ă©tĂ© ; Ă  droite, la nuit en hiver.

Le concept d'infini (apeiron) fut pour la premiĂšre fois introduit dans la pensĂ©e du philosophe Anaximandre (vers -610 Milet – vers -546), Ă©lĂšve de ThalĂšs. Sous son influence, il voulut se pencher sur le fondement de l'univers, et c'est ainsi qu'il en vint Ă  postuler l'infini comme principe et comme substrat des choses qui existent. En effet, le rĂŽle de substrat ne peut ĂȘtre assignĂ© Ă  l'un des quatre Ă©lĂ©ments (l'eau pour ThalĂšs, l'air pour AnaximĂšne, le feu pour HĂ©raclite), car ils sont changeants, dĂ©pendent les uns des autres et aucun ne peut ĂȘtre privilĂ©giĂ©. Il faut donc, au-delĂ  des Ă©lĂ©ments, une autre nature qui agit comme substrat d'oĂč sont engendrĂ©s tous les mondes. Ce substrat, c'est l'infini, le principe qui engendre l'univers sous l'influence d'un mouvement Ă©ternel. Le mouvement Ă©ternel est en constante production, il s'agit en ce sens d’un « retour gĂ©nĂ©rique ». Ce retour a besoin d’un principe matĂ©riel qui doit ĂȘtre inĂ©puisable afin de tout produire Ă©ternellement. C’est celui de l’apeiron et c’est en ce sens que l’infini est aussi mouvement Ă©ternel chez Anaximandre.

L'Ă©cole pythagoricienne

Parmi ses doctrines, l'Ă©cole avance celle de l'Ă©ternel retour : les choses seront de nouveau les mĂȘmes. Si pour d'autres philosophes, comme Anaximandre ou HĂ©raclite, un retour gĂ©nĂ©rique peut ĂȘtre observĂ©, chez certains pythagoriciens il existe un retour individuel qui peut se reproduire Ă  l'infini. En effet, s'il y a 1) un nombre fini d'Ă©vĂ©nements possibles, 2) si chaque Ă©vĂ©nement possĂšde une cause et que 3) une mĂȘme cause doit toujours produire un semblable effet, il en rĂ©sulte qu'au sein d'un temps infini les Ă©vĂ©nements reviennent nĂ©cessairement[20]. Dans l'Éthique Ă  Nicomaque, Aristote dit que pour les Pythagoriciens le mal relĂšve de l'infini.

HĂ©raclite

Pour HĂ©raclite (seconde moitiĂ© du VIe siĂšcle av. J.-C., vers 544-541 av. J.-C ÉphĂšse), le feu est le principe de l'univers : toute chose est convertible en feu et le feu en toute chose. D'une part, l'infini s'y retrouve Ă  travers la gĂ©nĂ©ration car pour lui, toute chose advient par le conflit et la nĂ©cessitĂ© (toute chose est mue vers son contraire). Mais le feu, en tant qu'unitĂ© fondamentale de cette pluralitĂ© contradictoire, n'est jamais Ă©puisĂ© par ces tensions dynamiques, par ces transformations. D'autre part, l'infini caractĂ©rise le temps car pour HĂ©raclite, l'univers n'a ni commencement ni fin. Le cosmos Ă©tait, est et sera toujours feu Ă©ternel.

Parménide

Quant Ă  ParmĂ©nide (fin du VIe siĂšcle av. J.-C. ÉlĂ©e - milieu du Ve siĂšcle av. J.-C.), la conception de l'infini inhĂ©rente Ă  sa pensĂ©e se retrouve dans l'explication de l'immobilitĂ© et de l'Ă©ternitĂ© de l'ĂȘtre, et ce contrairement Ă  HĂ©raclite. En effet, ParmĂ©nide considĂšre que l'ĂȘtre ne peut pas changer, sinon il ne serait pas. Ainsi, il doit ĂȘtre immobile. De plus, la gĂ©nĂ©ration et la corruption sont Ă©galement des formes de changement, et c'est pourquoi l'ĂȘtre doit ĂȘtre Ă©ternel, c'est-Ă -dire qu'il est inengendrĂ© et impĂ©rissable. L'infini est donc nĂ©cessaire Ă  l'existence d'un ĂȘtre Ă©ternellement identique.

MĂ©lissos

MĂ©lissos, Ă©lĂšve de ParmĂ©nide, considĂšre que ce qui existe, ou plutĂŽt ce qui est, doit ĂȘtre unique : il n'existe qu'une seule chose. FondĂ© sur les dires de son maĂźtre, il affirme qu'une chose qui existe, existe toujours, mais il ajoute qu'elle doit Ă©galement toujours ĂȘtre infinie en grandeur. L'argument prend comme point de dĂ©part l'impossibilitĂ© du vide. Par exemple, s'il n'y a rien entre plancher et plafond, c'est dire que le plancher et le plafond sont contigus, et qu'il n'y aurait pas de sĂ©paration entre ces deux termes. Le vide ainsi expulsĂ©, s'il y a de l'ĂȘtre, il n'y a que de l'ĂȘtre. Ensuite, toute chose doit ĂȘtre dans un espace et il n'y a qu'un espace, or ce dernier est occupĂ© pleinement par l'ĂȘtre et par un ĂȘtre qui est unique. En effet, nul ne peut dire de l'ĂȘtre qu'il est et qu'il n'est pas, ni dire qu'un ĂȘtre est Ă  certains endroits et pas Ă  d'autres. C'est pourquoi l'ĂȘtre est infini en grandeur, c'est-Ă -dire qu'il n'y a pas de limite Ă  l'ĂȘtre.

DĂ©mocrite

En ce qui concerne Démocrite (460 av. J.-C. AbdÚre - 370), la nature est constituée de petites substances illimitées en nombre qui se trouvent dans un lieu qu'il nomme l'infini. Cette infinité de petites substances qui nagent dans un vide infini et éternel parfois s'agglomÚrent et forment les corps visibles à travers leur mouvement. L'infini se retrouve donc dans une division des corps en une infinité de substances, ce qui constitue la premiÚre théorie atomiste.

D'autres penseurs prĂ©socratiques ont Ă©galement utilisĂ© le concept d'infini dans leurs recherches, tels que AnaximĂšne, AlcmĂ©on de Crotone, XĂ©nophane et ZĂ©non d'ÉlĂ©e.

Les paradoxes de ZĂ©non

ZĂ©non d’ÉlĂ©e montrant Ă  ses disciples la porte du Vrai et celle du Faux, fresque de l'Escurial, Madrid, fin du XVIe siĂšcle.

ZĂ©non est un philosophe grec de l’AntiquitĂ© (environ 400 av. J.C.). Habitant d’ÉlĂ©e, il avait comme maĂźtre ParmĂ©nide qui dĂ©fendait le fait que la rĂ©alitĂ© est immuable. ZĂ©non ne traite pas directement du sujet de l’infini. Il se sert plutĂŽt de la notion d’infini pour montrer que la maniĂšre de dĂ©crire un problĂšme peut conduire Ă  l'impossibilitĂ© de traiter celui-ci. La mĂ©thode de ZĂ©non consistait Ă  utiliser des prĂ©misses admises par tous et d’en dĂ©duire des conclusions absurdes ou contraires. Il montrait ainsi non que le mouvement n’est qu’une illusion, ce que nul ne pouvait soutenir, mais que le dĂ©crire sans prĂ©caution menait Ă  des contradictions. On doit de nombreux paradoxes Ă  ZĂ©non (au moins une quarantaine), mais seuls quelques-uns sont connus, Ă  travers les Ă©crits d’Aristote. Des quatre paradoxes sur le mouvement citĂ©s par Aristote, deux utilisent l’infini pour prouver que les prĂ©misses affirmant la possibilitĂ© du mouvement aboutissent Ă  l’absurde.

Dans les deux paradoxes qui suivent, ZĂ©non utilise la prĂ©misse selon laquelle l’espace peut ĂȘtre divisible Ă  l’infini pour montrer que si tel Ă©tait le cas certaines façons de le dĂ©crire interdiraient de l'explorer. La portĂ©e philosophique de ZĂ©non est incontestable ; selon Aristote, il aurait Ă©tĂ© l’inventeur de la dialectique.

La dichotomie

Si le mouvement existe, un corps en mouvement doit se dĂ©placer sur une certaine distance en un temps fini ; mais avant d’avoir parcouru toute la distance, le corps doit d’abord en avoir parcouru la moitiĂ© ; et avant d’en avoir parcouru la moitiĂ©, il doit avoir parcouru la moitiĂ© de cette moitiĂ©. Puisque toute distance est divisible en moitiĂ©s, et ce, Ă  l’infini, et puisqu’il est impossible de parcourir un nombre infini de positions en un temps fini, le mouvement n’existe donc pas.

Achille et la tortue

Achille, hĂ©ros de la mythologie grecque, ne peut rattraper la tortue qu’il poursuit ; en effet, avant de la rattraper, il doit d’abord atteindre le point d’oĂč celle-ci est partie au dĂ©but de la course. Mais pendant ce temps, la tortue continue d’avancer d’une certaine distance ; mĂȘme si cette distance est moins grande que celle parcourue par Achille (car la tortue est plus lente), elle avance quand mĂȘme, elle n’est pas immobile. Ainsi, durant le temps qu’il faut Ă  Achille pour parcourir cette deuxiĂšme distance, la tortue a encore parcouru une certaine distance. Donc, mĂȘme si cette distance diminue Ă  chaque Ă©tape, la tortue ne sera jamais rattrapĂ©e par Achille[21] - [22].

Les néoplatoniciens

Plotin (205 - 270 ap. J.-C.) dĂ©clare : « Il ne faut pas redouter l'illimitation dans l'intelligible » (EnnĂ©ades, V.7.1). Plotin affirme l'infinitĂ© de l'Un, apeiria. Alors qu'auparavant l’infini, apeiron, reprĂ©sente le degrĂ© infĂ©rieur de l’existence, ou mĂȘme un pur non-ĂȘtre, pour Plotin, l’essence de la matiĂšre reste infinie dans ce sens nĂ©gatif, elle devient un attribut positif des trois hypostases (l’Un, l’Intelligence, l’Âme universelle). EnnĂ©ades II.4.15 : « Comment l'illimitĂ© peut-il donc exister lĂ -bas [dans l'intelligible] et ici [dans la matiĂšre] ? C'est qu'il y a deux illimitĂ©s. Et en quoi diffĂšrent-ils ? Comme un archĂ©type et une image. L'illimitĂ© d'ici est donc moins illimitĂ© ? Il l'est davantage, car plus une image fuit l'ĂȘtre et le vrai, et plus elle est illimitĂ©e. En effet, l'illimitation est plus importante dans ce qui est moins dĂ©fini, car le moins dans le bien est un plus dans le mal. Ainsi donc, ce qui est lĂ -bas, parce qu'il est davantage ĂȘtre, est illimitĂ© seulement en tant qu'image, alors que ce qui est ici, parce qu'il est moins ĂȘtre, dans la mesure oĂč il fuit l'ĂȘtre et le vrai, tirĂ© qu'il est vers la nature de l'image, est vĂ©ritablement illimitĂ©. »[23]

Avicenne

Avicenne - portrait sur un billet de banque au Tadjikistan

Avicenne reprend Aristote

Avicenne (980 AfshĂ©na, prĂšs de Boukhara, dans la province de Grand Khorasan - 1037), pour Ă©tablir sa mĂ©taphysique, a repris celle Ă©tablie par Aristote, mais lue Ă  travers Al-FĂąrĂąbĂź et le nĂ©oplatonisme[24]. C’est-Ă -dire qu’il va comprendre des notions aristotĂ©liciennes, mais dans un contexte thĂ©ologique. Ainsi, il reprend l’idĂ©e du monde Ă©ternel, mais dans une mĂ©taphysique crĂ©ationniste[25]. Dans le cadre de l’infini, il est Ă©vident que l’existence d’un Dieu viendra donner un sens nouveau Ă  la mĂ©taphysique d’Aristote car Dieu amĂšne des notions d’infini qui ne sont pas prĂ©sentes chez Aristote. Avant de poursuivre, il faut dĂ©finir certains concepts afin de montrer comment Avicenne les utilise.

La distinction entre acte et puissance

La puissance est dĂ©finie comme Ă©tant : « toute disposition se trouvant dans une chose et Ă©tant principe de changement »[26], tandis que l’acte (ou l’actualisation) Ă©tant ce passage de l’état de repos Ă  l’état actif, une chose changeant d’état passerait de la puissance Ă  l’acte. On peut prendre par exemple, la graine qui dĂ©tiendrait l’arbre en puissance et qui deviendrait acte une fois celui-ci poussĂ©. À ce sujet Aristote accepte l’infini en puissance (sous forme d’infini par division et par addition), mais rejette l’infini en acte. Avicenne va rajouter une sous-division entre actualitĂ© forte/faible et potentialitĂ© forte/faible[27].

L’infini dans le monde supralunaire

Notons tout d’abord que Dieu est par dĂ©finition infini et c’est le principe premier d’oĂč tout Ă©mane[28], mais Dieu n’est pas le seul ĂȘtre infini ; il y a une dĂ©pendance ontologique des intelligences cĂ©lestes (qui sont au nombre de dix) envers le premier principe, dĂ©pendance traduite par le dĂ©sir de se rapprocher de la perfection de Dieu. Le dĂ©sir comme principe de motion Ă©tant le fait de vouloir atteindre Dieu, lui ressembler. Ce dĂ©sir de perfection, serait le principe de tout mouvement selon Avicenne[29]. Ainsi, les intelligences cĂ©leste en dĂ©sirant le premier principe feraient mouvoir les sphĂšres leurs correspondant dans un mouvement infini.

Avant de poursuivre, il faut prĂ©ciser que le mouvement en question dans le monde supralunaire est diffĂ©rent de celui dans le monde sublunaire[30]. Dans le premier cas, le mouvement est constant ; il a toujours la mĂȘme vitesse. C’est pourquoi on peut dire qu’il y a un infini prĂ©supposĂ© pour les intelligences cĂ©lestes. Cependant, dans le monde sublunaire, le mouvement est sujet Ă  la dĂ©cĂ©lĂ©ration et l’accĂ©lĂ©ration.

Pour conclure sur ce point, il faut nommer une autre preuve abondant dans le sens de la prĂ©sence de l’infini chez les intelligences cĂ©lestes, c’est-Ă -dire, le passage oĂč Avicenne dit que mĂȘme ce qui est infini (et nĂ©cessaire) requiert une cause[31]. Enfin, notons que si Avicenne parle de l’infini dans le monde supralunaire, il ne le classifie pas comme il va le faire pour l’infini prĂ©sent dans le monde sublunaire. Probablement parce que l’infini mĂ©taphysique ne prĂ©sente pas a priori autant de problĂšmes que l’infini dans un monde limitĂ© (physique).

L’infini dans le monde sublunaire

Tout d’abord, l’infini en acte est amenĂ© par la thĂ©ologie ; les Ăąmes (des hommes) Ă©tant immortelles, il y en a donc une infinitĂ© dans un monde Ă©ternel[32]. C’est d'ailleurs ce qui caractĂ©rise l’infini en acte fort dans l’avicennisme.

L’infini en acte faible Ă©tant quant Ă  lui dĂ©fini par les Ă©vĂšnements et les annĂ©es passĂ©s[27]. Pour bien comprendre ce type d’infini, il faut maintenant s’attarder au concept de causalitĂ©. Car, selon Avicenne, il y aurait des causes accidentelles (ou adjuvantes) en nombre infini. En d’autres termes, il y a une succession infinie de causes prĂ©paratrices. Ici entre en jeu la distinction entre causes essentielles et causes adjuvantes. Les causes essentielles (ou vraies) Ă©tant liĂ©es au mouvement, au continu, car elles demeurent avec l’effet. Les causes vraies « empĂȘchent la non-existence de la chose »[33]. Les causes adjuvantes sont secondaires car elles sont antĂ©rieures Ă  la chose. Celles-ci seraient en nombre infini selon Avicenne. On peut penser Ă  la relation pĂšre/fils qui remonterait de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration pour expliciter ce fait. Car, dans le contexte d’un monde Ă©ternel, il y a une infinitĂ© de relations filiales. En effet, « [
] ce qui va ad infinitum c’est un individu qui vient aprĂšs un autre [
] »[34].

En ce qui concerne l’infini en puissance fort, il est toujours le mĂȘme que l’infini en puissance d’Aristote, Ă  savoir l’infini par division et par addition. C’est pourquoi il ne sera pas plus dĂ©taillĂ© dans cet article. En effet, comme dans les paradoxes de ZĂ©non, on peut facilement imaginer la division d’une ligne en quatre parties, la division de chacune de ces parties en quatre et ainsi de suite, Ă  l'infini.

Concernant l’infini en puissance faible, il se trouve dans le mouvement. Tel que mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, ce mouvement ne correspond pas Ă  celui des sphĂšres cĂ©lestes. En effet, celui-ci, n’est pas rĂ©ellement continu et peut se regarder de diffĂ©rentes façons. On peut dĂ©jĂ  le voir comme le mouvement gĂ©nĂ©ral d’un corps. Cependant, cette dĂ©finition du mouvement ne sera pas celle important dans le cas de l'infini en puissance faible ; l’impulsion concrĂšte d’un corps Ă  un instant prĂ©cis Ă©tant plutĂŽt la dĂ©finition Ă  retenir[27]. En d'autres termes, le passage d’un temps A Ă  B serait un mouvement constituĂ© d’une infinitĂ© de temps. On peut penser Ă  une addition infinie de points mis bout Ă  bout pour former une ligne. Cette ligne, comme le mouvement, serait d’apparence continue mais serait en rĂ©alitĂ© constituĂ©e de plusieurs points intermĂ©diaires[35].

Jean Duns Scot

John Duns Scot

Un apport à l'infini mathématique

Dans une dĂ©monstration du mouvement continu des anges au Livre II de l'Ordinatio, Scot (1266 Duns - 1308) soulĂšve deux paradoxes qui entreront dans la postĂ©ritĂ©. Dans sa dĂ©fense, il voudra rĂ©futer la thĂšse selon laquelle le continu est formĂ© d'indivisibles. Chez Aristote, dans Le Livre VI de la Physique, il est clair qu'« il est impossible qu'un continu soit formĂ© d'indivisibles, par exemple qu'une ligne soit formĂ©e de points, s'il est vrai que la ligne est un continu et le point un indivisible »[36], mais cette preuve inspirĂ©e de l'autoritĂ© du Philosophe ne lui suffit pas. Il proposera deux problĂšmes gĂ©omĂ©triques du mĂȘme esprit montrant tout le contradictoire d'une telle thĂ©orie.

Dans l'une des deux, on trace deux cercles concentriques Ă  partir d'un centre a. Le petit, notĂ© D et le plus grand, notĂ© B. Scot dira que puisque, selon cette thĂ©orie, la circonfĂ©rence du grand cercle est formĂ©e de points, il est possible d'en identifier deux, b et c. Du point a, traçons une ligne droite le joignant Ă  chacune de ces deux points de maniĂšre que les deux droites formĂ©es coupent le petit cercle D. La question : les droites ab et ac coupent-elles D en un seul point ou en deux points distincts ? S'il s'agit du mĂȘme point, l'une des deux droites ne sera plus droite (mais courbe) ce qui entre en contradiction avec la prĂ©misse du dĂ©part. Dans le cas contraire, B et D incluraient le mĂȘme nombre de points, pourtant, fait remarquer Scot, il est impossible Ă  deux cercles inĂ©gaux d'ĂȘtre composĂ©s d'un nombre Ă©gal de parties Ă©gales. Il en dĂ©coule qu'un continu, ici reprĂ©sentĂ© par la ligne, ne peut ĂȘtre composĂ© d'un nombre de points discrets[37].

Le paradoxe des cercles

Bien que Scot lui-mĂȘme n'ait pas explicitĂ© la chose dans ces termes, pour sa postĂ©ritĂ©, il s'est retrouvĂ© Ă  illustrer Ă  l'aide de ces figures gĂ©omĂ©triques, en germe, certaines des dĂ©couvertes les plus importantes concernant l'infini mathĂ©matique se retrouvant entre autres chez Georg Cantor. Les rayons issus du centre crĂ©ant entre les points des deux cercles une correspondance biunivoque, le paradoxe soulĂšve la possibilitĂ© pour deux ensembles infinis d'indivisibles d'ĂȘtre Ă©gaux malgrĂ© leurs tailles manifestement inĂ©gales[38].

D'ailleurs, dans une autre dĂ©monstration, Duns Scot se frottera Ă  de pareils dĂ©bats quant Ă  la grandeur des infinis. Scot Ă  la question 3 du livre II, distinction 1 de l'Ordinatio rabat l'objection selon laquelle il serait impossible pour Dieu de produire quelque chose d'autre que lui-mĂȘme sans que cette production ait un commencement[39]. Selon cette objection, si la crĂ©ation est ab aeterno sine principio, l'infini qui a menĂ© jusqu'Ă  hier est Ă©quivalent Ă  l'infini qui s'est Ă©coulĂ© jusqu'Ă  aujourd'hui ce qui va Ă  l'encontre de l'axiome d'Euclide voulant que la partie soit toujours plus petite que le tout. À cela, dans un premier temps, le Docteur rĂ©pondra que ces deux derniĂšres caractĂ©risations ne sont applicables qu'aux grandeurs finies puisque les choses se divisent en fini et infini avant que « plus grand » ou « plus petit » ne s'appliquent. Cependant, ses adversaires soulĂšvent le problĂšme qu'une crĂ©ation de toute Ă©ternitĂ© produirait une quantitĂ© infinie d'Ăąmes en acte, or, une telle chose est impossible selon le Philosophe. Devant cette objection, Scot dĂ©veloppe davantage : « Tout ce qui ne peut pas ĂȘtre fait par Dieu en un jour, parce que « cela implique contradiction » ne pourrait, pour la mĂȘme raison, ĂȘtre fait par lui au cours d’un temps d’une durĂ©e infinie. »[40] Il en vient Ă  cette conclusion : « Il apparaĂźt donc, que les instants de ce jour – voire de cette heure – ont une infinitĂ© Ă©gale Ă  celle des instants infinis de ces jours infinis. »[40] Cette intuition se verra, entre autres, confirmĂ©e par Richard Dedekind dans sa dĂ©finition d’un ensemble infini qui se caractĂ©rise justement par l'Ă©quivalence entre le dit ensemble infini et une de ses parties propres de ce point de vue[41].

De l'infini mathématique à l'infini théologique

Il n’en demeure pas moins que le fondement de l’affirmation par Scot qu’il existe quelque chose comme un infini en acte est thĂ©ologique. Jean Duns Scot refuse qu’il soit impossible pour Dieu de crĂ©er spontanĂ©ment une infinitĂ© en acte. En effet, selon Aristote une grandeur ne peut ĂȘtre infinie qu’en puissance. Or, voulant construire l'idĂ©e d'une nature infinie intensivement (selon la qualitĂ©), Scot fait un passage obligĂ© par la dĂ©monstration d'une grandeur extensivement (selon la quantitĂ©) infinie en acte[42]. Selon la dĂ©finition d’Aristote au Livre III de la Physique, l’ « infini est ce qui est tel que lorsqu’on en prend une quantitĂ©, c’est-Ă -dire quelque grande que soit la quantitĂ© qu’on prend, il reste toujours quelque chose Ă  prendre »[43], donc un tout infini n’est qu’une rĂ©alitĂ© potentielle et par cela, conclut Scot, imparfaite. Pour remĂ©dier Ă  une telle situation, le mĂ©diĂ©val imagina Ă  partir de cet infini potentiel ce qu’il serait en acte :

Pour notre propos, dit Duns Scot, transformons la notion d’infini potentiel dans la quantitĂ© en la notion de l’infini en acte dans la quantitĂ© en supposant qu’il puisse ĂȘtre en acte dans la quantitĂ©. NĂ©cessairement, la quantitĂ© croĂźtrait toujours, en prenant une partie aprĂšs l’autre, mais si nous imaginons que toutes les parties qui peuvent ĂȘtre prises successivement le sont simultanĂ©ment, alors nous aurons une quantitĂ© infinie en acte, puisqu’elle sera aussi grande en acte qu’elle l’est en puissance. Si donc toutes les parties Ă©taient conçues comme prĂ©sentes en acte simultanĂ©ment, l’infini ainsi imaginĂ© serait vĂ©ritablement un tout et serait vĂ©ritablement parfait, car il n’y aurait rien au dehors. Bien plus, nulle quantitĂ© ne pourrait lui ĂȘtre ajoutĂ©e, car alors il pourrait ĂȘtre excĂ©dĂ©. »[44]

Par ce passage, Jean Duns Scot fait de l’infini non pas ce qui laisse toujours quelque chose derriĂšre, mais bien ce qui excĂšde le fini selon toute proportion dĂ©terminĂ©e ou dĂ©terminable[45].

Le passage de l'infini en quantitĂ© Ă  l'infini sous le mode de la qualitĂ© ne se fait pas non plus sans Aristote. Bien que chez ce dernier l'infini ne s'applique qu'aux grandeurs, il ouvre une porte au livre V de sa MĂ©taphysique admettant la transposition de notions quantitatives Ă  d'autres objets « par extension »[46]. À la question 6 du Quodlibet, Scot commente ce dernier passage et montre que des termes quantitatifs comme petit, grand, moins, plus, sont applicables Ă  tous les ĂȘtres, peu importe leur genre. La transposition de la physique Ă  la mĂ©taphysique est, par lĂ , possible. Toutefois, Scot voudra faire de l'infini non un accident mais une quantitĂ© d'ĂȘtre ou quantitĂ© de perfection. Il tire de l’ocĂ©an d'ĂȘtre infini de l'essence divine de Jean de Damas le concept de l'infinitĂ© comme mode d'ĂȘtre intrinsĂšque d'une nature infinie: « de mĂȘme que l'ocĂ©an ne serait l'ocĂ©an sans l'immensitĂ© de sa masse, de mĂȘme l'essence divine ne serait pas l'essence qu'elle est sans la magnitude qui est la sienne. »[47] Dans la mesure oĂč nous concevons un ĂȘtre infini actuel en entitĂ©, explique Scot, il se doit d'ĂȘtre pensĂ© sous le mode d'une quantitĂ© infinie actuelle, c'est-Ă -dire qu'aucun autre ne saura le dĂ©passer en entitĂ©. En cela, il « sera vĂ©ritablement un tout, et un tout parfait »[48].

L’infini dans la mĂ©taphysique et la thĂ©ologie scotiennes

Dans la mĂ©taphysique de Jean Duns Scot, le concept d'infini est assimilĂ© aux transcendantaux. Les transcendantaux, outre l'Ă©tant, sont des attributs qui peuvent ĂȘtre, chez le Docteur Subtil soit : des attributs disjonctifs (infini/fini, possible/nĂ©cessaire, en acte/en puissance, etc.) ; des attributs convertibles (l'un, le vrai, le bien
) qui sont directement coextensifs avec l'Ă©tant ; des perfectiones simpliciter (i.e. un prĂ©dicat qui n'admet pas de limite telle que l'intelligence divine par exemple)[49].

Le couple d'attributs disjonctifs infini/fini permet d'Ă©tablir une mesure de l'ĂȘtre, non plus au sens strictement quantitatif, mais plutĂŽt au sens d'un degrĂ© d'excellence de l'ĂȘtre. Il s'agit d'une diffĂ©rence strictement modale – plutĂŽt que formelle – entre les ĂȘtres : Dieu est sur le mode de l'infini, alors que l'homme est sur le mode de la finitude. Cette prĂ©cision – qui ne s'inscrit pas seulement dans la mĂ©taphysique scotienne, mais aussi dans le cadre d'un argument thĂ©ologique portant sur l'existence de Dieu infĂšre que la diffĂ©rence entre un ĂȘtre fini et un ĂȘtre infini n'est pas une diffĂ©rence gĂ©nĂ©rique ce qui, au sein du raisonnement du Docteur Subtil, permet de sauvegarder la simplicitĂ© divine[50].

En vertu de la thĂ©ologie naturelle scotienne et, plus largement, de sa thĂ©orie cognitive, il est possible pour l’homme de connaĂźtre Ă  l’aune de son expĂ©rience sensible. Ainsi, si la connaissance essentielle de Dieu n'est pas accessible ici-bas faute de pouvoir faire l'expĂ©rience de ce dernier, il est cependant possible de prĂ©diquer Ă  Dieu des attributs partagĂ©s avec lui (comme l'intelligence) en vertu de la thĂ©orie scotienne de la prĂ©dication univoque[51]. Par exemple, s'il est possible de prĂ©diquer l'intelligence Ă  Marie, de mĂȘme peut-on attribuer l'intelligence Ă  Dieu, mais pas sous le mĂȘme mode que celui de la crĂ©ature finie. Pour Dieu, il s'agira d'une perfectiones simpliciter. Il s'agit du mĂȘme concept d'intelligence, mais qui n'est pas donnĂ© sous le mĂȘme mode chez la crĂ©ature finie et chez Dieu, ĂȘtre infini.

De plus, la créature finie sera aussi en mesure de parvenir à la caractérisation la plus parfaite et la plus simple du Premier principe. Comme vu plus haut, on parvient précisément à cette caractérisation positive avec le concept d'infini, sous-tendant tous les attributs que l'on peut prédiquer à Dieu[52]. Scot renverse ici l'infini en tant que concept négatif pour en faire un concept positif. En effet, on pourrait défendre la négativité du concept d'infini sur le plan étymologique par la présence du préfixe in qui implique une négation. Considéré comme tel, il serait alors contradictoire de parler de l'infini comme une caractérisation positive de Dieu. On peut analyser un tel renversement d'un point de vue logique en affirmant que, la finitude étant en soi concept impliquant une limite négative, l'ajout du préfixe in, la double négation fait naßtre (sur le plan logique et formel du moins) un concept positif. Cependant, pour Scot, la nature de la distinction du couple fini/infini est métaphysique et non formelle ou linguistique[53]. Ainsi, défendre la positivité ou la négativité du concept à partir de la sphÚre de la logique ou, plus simplement, de l'étymologie est inutile dans l'optique scotienne ; il faut plutÎt admettre sa positivité comme un présupposé métaphysique.

Thomas Bradwardine

Bradwardine (c. 1300 – 1349) a proposĂ© l'idĂ©e d'un espace infini autour de la terre (en dehors du " firmament"), en rĂ©ponse Ă  l'impĂ©ratif de l'Ă©glise catholique de 1277 (en), afin de rĂ©soudre les conflits de pensĂ©e et de doctrine chrĂ©tiennes rĂ©sultant de la comprĂ©hension de la philosophie et de la thĂ©ologie aristotĂ©liciennes[54], par la synthĂšse de gĂ©omĂ©trie euclidienne dans la comprĂ©hension chrĂ©tienne[55]. C'est ce qu'il a fait spĂ©cifiquement pour rĂ©concilier Aristote conceptualisant l'infini avec la notion chrĂ©tienne d'un «infini de Dieu» en possession d'un pouvoir infini[56].

Nicolas Oresme

Oresme (c.1320 Allemagnes (ancien nom de Fleury-sur-Orne)- 1382) [57] a commencĂ© Ă  penser Ă  l'infini, en partie aprĂšs l'Ă©criture de Aristote [58] et son travail Physique. Dans Questions sur la gĂ©omĂ©trie d'Eclide, Oresme a dĂ©montrĂ© la possibilitĂ© du concept de "sĂ©rie infini", dans sa considĂ©ration, dans la continuitĂ© (et la transcendance), de l'idĂ©e de division infinie proposĂ©e par Aristote (" en division en parties, la division est elle-mĂȘme divisible " [58])[59].

Galilée

GalilĂ©e (1564 Pise - 1642) remarque qu'il y a une correspondance biunivoque entre les nombres et leurs carrĂ©s, d'oĂč il dĂ©duit que l'assertion commune « le tout est plus grand que la partie » ne se vĂ©rifie pas lorsqu'on parle de quantitĂ©s infinies[60]. Cependant, loin d'y trouver une motivation pour l'Ă©tude des ensembles infinis, il y voit la preuve du caractĂšre non opĂ©rationnel de tels ensembles, position approuvĂ©e plus de deux siĂšcles plus tard par Cauchy[61]. Ainsi donc, jusqu'Ă  une pĂ©riode assez avancĂ©e dans l'Ă©poque moderne, les mathĂ©maticiens s'interdisaient d'utiliser directement les ensembles infinis et prĂ©fĂ©raient raisonner « en comprĂ©hension » sur les propriĂ©tĂ©s de leurs Ă©lĂ©ments. Ils se contentaient alors de la possibilitĂ© d'augmenter toute grandeur donnĂ©e, ou de la diminuer s'il s'agit d'une grandeur continue[61].

Dieu en tant qu’unique infini

Dans la pensĂ©e mĂ©taphysique de Descartes (1596 La Haye-en-Touraine - 1650), seul Dieu peut ĂȘtre qualifiĂ© d’infini. La MĂ©ditation III offre une dĂ©finition de ce dernier : « Par le nom de Dieu j’entends une substance infinie, Ă©ternelle, immuable, indĂ©pendante, toute connaissante, toute puissante, et par laquelle moi-mĂȘme, et toutes les autres choses qui sont ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©es et produites. »[64] La notion d’infini rĂ©el ou en acte est strictement rĂ©servĂ©e Ă  Dieu ; seul Dieu est infini car il est l’ĂȘtre infini lui-mĂȘme. Il est donc question chez Descartes d’un infini d’ordre qualitatif ; d’une perfection infinie qui existe uniquement chez l’ĂȘtre parfait, chez Dieu - « il n’y a rien que je nomme proprement infini, sinon ce en quoi de toutes parts je ne rencontre point de limites, auquel sens Dieu seul est infini. »[65]

L’idĂ©e de l’infini dans la pensĂ©e de l’homme

La notion d’infini a toutefois aussi une place dans l’homme, dans sa pensĂ©e. Elle s’y trouve contenue en lui en tant qu’idĂ©e qui lui est innĂ©e ; l’homme possĂšde une idĂ©e de l’infini, il est capable de concevoir, Ă  sa maniĂšre limitĂ©e, l’infini. C’est prĂ©cisĂ©ment cette idĂ©e de l’infini que Descartes assimile Ă  l’idĂ©e de Dieu en l'homme ; « la notion de l’infini [
] c’est-Ă -dire de Dieu. »[64] Il s’agit simplement de la conception que l'on est capable de se faire d’un ĂȘtre infini et parfait, en d’autres termes de notre idĂ©e de la divinitĂ©. Bien qu’il ne s’agisse pas de l’infini vĂ©ritable, qui lui ne se trouve qu’en Dieu lui-mĂȘme, l’idĂ©e de l’infini (ou de Dieu) que l’on retrouve dans la pensĂ©e de l’homme occupe une place importante dans la mĂ©taphysique cartĂ©sienne car elle est ce Ă  partir de quoi Descartes infĂšre l’existence effective et rĂ©elle de Dieu (hors du cogito). C’est la preuve de l’existence de Dieu dite « par l’infini », que l’on retrouve dans la MĂ©ditation III.

La preuve par l’infini de la MĂ©ditation III

L’idĂ©e de l’infini tĂ©moigne de la finitude de l’ego cartĂ©sien, du je qui pense cet infini. Le degrĂ© de perfection du contenu que reprĂ©sente cette idĂ©e est d’une telle ampleur qu’il rend manifeste la finitude du je dans lequel loge cette idĂ©e mĂȘme. Ultimement, Descartes veut montrer qu’il est impossible que cette idĂ©e, dont le contenu possĂšde un tel degrĂ© de perfection, puisse ĂȘtre la crĂ©ation du je qui pense, puisse ĂȘtre causĂ©e par lui de quelconque maniĂšre[66]. Cela Ă©tant, elle ne peut ĂȘtre « imprimĂ©e »[67] ou se trouver dans ce mĂȘme je qu’en vertu d’un ĂȘtre qui lui soit externe, c’est-Ă -dire autre que le je, et qui possĂšde formellement ou en acte suffisamment de perfection afin de pouvoir ĂȘtre l’auteur ou la cause du contenu de notre idĂ©e de l’infini. Pour Descartes, il ne peut s’agir que de Dieu, d'un ĂȘtre possĂ©dant rĂ©ellement en lui l'infinitĂ© et la perfection que l’ego ne peut qu’à peine et de maniĂšre bien limitĂ©e concevoir. Descartes dira, de maniĂšre mĂ©taphorique, que l’« on ne doit pas trouver Ă©trange que Dieu, en me crĂ©ant, ait mis en moi cette idĂ©e pour ĂȘtre comme la marque de l’ouvrier empreinte sur son ouvrage. »[68]

Bien que l’homme soit donc capable de penser l’infini, il ne peut le faire qu’avec ses capacitĂ©s limitĂ©es, celles de l’ĂȘtre fini qu’il est. Bien qu’il tende Ă  le comprendre, et s’aime Ă  le contempler, il ne pourra jamais saisir cet infini dans sa totalitĂ©, dans sa perfection. De son idĂ©e de l’infini qu’il trouve en lui, l’homme doit donc se contenter de la simple certitude qu’elle lui permet d’acquĂ©rir de l’existence effective, extĂ©rieure Ă  sa pensĂ©e, de cet infini et que ce dernier soit non seulement la cause de cette idĂ©e mais aussi bien de l’existence de l’homme ainsi que de toute chose qui est[67]. « Et toute la force de l’argument dont j’ai usĂ© ici consiste en ce que je reconnais qu’il ne serait pas possible que ma nature fĂ»t telle qu’elle est, c’est-Ă -dire que j’eusse en moi l’idĂ©e d’un Dieu, si Dieu n’existait vĂ©ritablement ; ce mĂȘme Dieu, dis-je, duquel l’idĂ©e est en moi, c’est-Ă -dire qui possĂšde toutes ces hautes perfections, dont notre esprit peut bien avoir quelque idĂ©e sans pourtant les comprendre toutes, qui n’est sujet Ă  aucun dĂ©faut, et qui n’a rien de toutes les choses qui manquent quelque perfection. »[67]

L’infini dans l’homme, sous forme d’idĂ©e innĂ©e, permet donc de connaĂźtre que cet infini existe actuellement hors de l’homme mais ne peut nĂ©anmoins propulser l’homme vers une connaissance absolue de cet infini. Ce serait lĂ  une contradiction avec la notion mĂȘme de ce que signifie l’infini chez Descartes. En effet, l’infini ne pourrait, par sa nature, jamais ĂȘtre compris par le fini. Descartes dira qu’« il est de la nature de l’infini, que ma nature, qui est finie et bornĂ©e, ne le puisse comprendre. »[68] Le crĂ©ateur ne saura jamais ĂȘtre compris par sa crĂ©ature.

Notre conception de l’infini nous permet donc non seulement de constater notre propre finitude, mais Ă©galement d’infĂ©rer avec certitude qu’un tel ĂȘtre infini doit nĂ©cessairement exister hors de nous-mĂȘmes, bien qu’on ne puisse jamais espĂ©rer le comprendre entiĂšrement. Descartes nomme cet ĂȘtre Dieu[69].

La distinction entre infini et indéfini

Alors que l'infini se dit de Dieu, l'indĂ©fini se dit du monde physique et des mathĂ©matiques. L'indĂ©fini dĂ©signe ce dont on ne peut prouver les bornes. Sa vĂ©ritable nature est l'indĂ©termination, puisque ni fini, ni infini. Tout ce qui est ontologiquement second Ă  Dieu est seulement indĂ©fini, c'est-Ă -dire qu'il traduit l'ignorance du sujet. Pourtant, Dieu lui-mĂȘme Ă©chappe Ă  l'homme. L'essence de l'infini dĂ©borde toute tentative dicible. Il y a inadĂ©quation entre l'idĂ©e de l'infini en moi et l'infini, puisque vouloir dire l'infini, l'Ă©crire ou le dĂ©finir excĂšde toujours la comprĂ©hension qu'on peut en avoir. L'idĂ©e de l'infini, se prĂ©sente comme un paradoxe: c'est Ă  la fois l'idĂ©e la plus claire et distincte, et l'idĂ©e la plus incomprĂ©hensible. En affirmant qu'il est faux de concevoir l'infini en niant le fini, Descartes suggĂšre que l'on doit se contenter de se servir d'expressions nĂ©gatives tout en les refusant sur le plan du sens, non seulement parce que l'essence de l'infini dĂ©borde toute tentative de le renfermer dans le langage, mais aussi que la mesure dans la positivitĂ© est essentielle Ă  l'infini[70].

Descartes, héritier d'Aristote ?

La tradition a plutÎt interprété l'indéfini cartésien comme un infini en extension ou infini spatial. Ce qui est présupposé dans cette interprétation est que Descartes reprend le couple infini en acte et infini potentiel d'Aristote. Jean-Baptiste JeangÚne Vilmer[70] suggÚre de mettre en cause cette interprétation et considérer plutÎt une interprétation littérale de la notion d'indéfini dans la pensée de Descartes ; c'est-à-dire indéfini comme in-défini ou non défini. Notons qu'il y a des raisons métaphysiques pour refuser de considérer que l'indéfini soit un infini en son genre, dont le genre serait l'étendue. Ontologiquement, l'infinie positivité de Dieu implique nécessairement l'existence d'un seul infini. Aussi, l'étendue étant la marque du corps, cela constitue un défaut. On ne peut donc pas la prédiquer à Dieu, qui est infinie perfection. Enfin, puisque l'infini de Descartes n'est pas un infini de quantité, mais un infini de qualité - la perfection - on doit voir une différence de nature et non de degré entre infini et indéfini.

MĂ©taphysique et physique

Cette distinction entre infini et indĂ©fini s'explique aussi par le rapport de subordination qu'il y a entre mĂ©taphysique et physique chez Descartes. La mĂ©taphysique est la science des sciences, celle qui permet d'atteindre les principes de base et d'expliquer les fondements du savoir. Plus encore, les Ă©vidences des sciences ont besoin d'ĂȘtre ultimement garanties par l'existence de Dieu. La preuve de Dieu Ă©tant le fondement de l'ontologie, pour Descartes « un athĂ©e ne peut ĂȘtre gĂ©omĂštre », elle assure la validitĂ© des vĂ©ritĂ©s Ă©ternelles[71].

Volonté comme marque divine

On a notĂ© que l'idĂ©e de l'infini se prĂ©sente comme un paradoxe. La clartĂ© de la notion d'infini, vient de l'idĂ©e innĂ©e d'infini. Dieu ayant fait l'homme Ă  son image, il y a forcĂ©ment un rapport de ressemblance entre les deux. C'est la volontĂ© qui a pour Descartes un rĂŽle d'image ou de marque divine. On ne peut concevoir cette ressemblance que par la mĂȘme facultĂ© par laquelle on se conçoit soi-mĂȘme. Cette facultĂ© est la volontĂ©, soit le pouvoir d'affirmer ou de nier sans qu'une force extĂ©rieure nous y contraigne, c'est-Ă -dire porter un jugement qui lie des idĂ©es entre elles. On ne parle jamais de son caractĂšre infini, mais seulement de son infinitude parce qu'elle est prĂ©cisĂ©e seulement semblable[72].

L'infinitude de la volonté

Cette infinitude est le but, l'aspiration naturelle ou le désir que l'homme a pour l'infini. Pour éviter que l'infini soit objet et donc vienne contredire l'idée d'infini, il est nécessaire que l'infini soit l'origine et le but de l'homme. Ainsi, l'infini est origine puisque l'homme est marqué par lui en ayant l'idée innée de l'infini. Et l'infini est aspiration naturelle, puisque c'est la manifestation du refus du fini. L'idée de l'infini qui est en moi, c'est-à-dire en tant qu'idée innée, est le point de départ pour dépasser le solipsisme et de démontrer l'existence de l'infini. On doit ensuite remarquer que dans la conception de la volonté de Descartes, volonté et liberté sont liées, voire confondues. Il définit la liberté comme l'amplitude de notre volonté. Alors, poser que la volonté est infinie c'est dire que son amplitude est infinie, et ainsi l'homme a une infinie liberté. Si on peut affirmer son infinitude, c'est parce que la volonté porte les signes de l'infini: soit la positivité et l'incompréhensibilité. La positivité de la volonté se traduit par l'évidence du libre arbitre, alors que son incompréhensibilité réside dans le paradoxe de la finitude de mon entendement et de l'infinie volonté[72].

Infinitude comme cause de l'erreur

On peut aussi voir la cause de l'erreur dans l'infinitude de la volontĂ© ; l'erreur est une imperfection dont Dieu ne peut ĂȘtre responsable, Ă©tant infiniment bon et parfait. La cause se situe donc nĂ©cessairement au niveau de l'esprit humain, dans l'usage de ses facultĂ©s. On dĂ©finit l'esprit humain comme cette chose qui pense, composĂ©e de l'entendement et de la volontĂ©. D'abord, l'entendement est une facultĂ© passive qui reçoit les idĂ©es. Bien que l'entendement humain soit fini, il ne peut ĂȘtre la cause de l'erreur puisqu'une idĂ©e ne peut pas ĂȘtre plus ou moins vraie, seulement plus ou moins claire et distincte. Ensuite, la facultĂ© de la volontĂ© est active. Elle lie les idĂ©es ensemble pour former des jugements. Les relations ne peuvent pas ĂȘtre erronĂ©es en soi. Elle ne peut donc pas ĂȘtre seule cause de l'erreur. Descartes montre que l'erreur se produit lorsque la volontĂ© dĂ©passe les limites de l'entendement et pose des relations entre des idĂ©es qui ne sont pas claires et distinctes. Tel est l'effet de l'infinitude de la volontĂ©[73].

Bonaventura Cavalieri

En 1635 [74] Cavalieri (1598 Milan - 1647) propose une nouvelle idée de la géométrie dans laquelle les corps sont composés de surfaces infinies et les surfaces de corps de lignes infinies[75]. Il appelle son idée de l'infiniment petit en géométrie les indivisibles[76]. La méthode des indivisibles est publiée dans Geometria indivisilibus continuorum nova quadam ratione promota (1635). Cavalieri conçoit cette idée pour la premiÚre fois en 1629[77] - [78].

Blaise Pascal

Pascal [79] (1623 Clermont (aujourd'hui Clermont-Ferrand) - 1662) connaissait l'infini comme un fait de rĂ©alitĂ© existant dans toutes les sciences, ce qu'il pensait ĂȘtre vrai en raison du fait que la nature Ă©tait en rĂ©alitĂ© « un double infini »[80]. En considĂ©rant comment il est impossible de comprendre l'infini par la contemplation pour des individus, Pascal a montrĂ© comment cette impossibilitĂ© poussait grandement les individus Ă  la recherche de la vĂ©ritĂ© dans la nature dans le cadre d'une enquĂȘte scientifique, mais il n'y a pas de capacitĂ© chez l'humain de connaĂźtre l'infini, et donc pas de capacitĂ© infinie (comme il en existe dans la nature) chez l'humain, cette seconde capacitĂ© d'infini Ă©tant nĂ©cessaire pour une connaissance correcte de la nature (synonyme de recherche scientifique)[81].

John Locke

Locke (aoĂ»t 1632 Wrington (Somerset) - October 1704) [82] a considĂ©rĂ© que dans les considĂ©rations sur le sujet de l'Ă©ternitĂ©, qu'il a classĂ© comme un infini, les humains sont susceptibles de faire des erreurs[83]. Dans Essai sur l'entendement humain, il a observĂ© comment discussions sur le sujet de l'infini semblent possibles pour les individus, du fait de la possibilitĂ© d'utiliser des mots pour exprimer des quantitĂ©s d'espace, de durĂ©e ou de divisibilitĂ©, mais l'idĂ©e d'infini est en fait incomprĂ©hensible (partie 21). Locke croyait que l'infini Ă©tait un attribut de Dieu du christianisme (partie 1), mais ne pouvait comprendre la nature d'un ĂȘtre sans commencement, et ne pouvait donc pas complĂ©ter sa propre idĂ©e d'un "ĂȘtre Ă©ternel" (partie 17). Il pensa que comprendre l'infiniment petit Ă©tait plus facile que l'infiniment grand (partie 18)[84].

L'infini en acte

C’est avec Gottfried Wilhelm Leibniz (1646 Leipzig - 1716) que l’actualitĂ© de l’infini sera pour la premiĂšre fois objet d’une vĂ©ritable analyse, Ă©tant donnĂ© que cette actualitĂ© est affirmĂ©e positivement. L’infini joue dans le systĂšme leibnizien un rĂŽle fondamental quant Ă  l’existence de toute chose. Cette affirmation s’oppose directement Ă  la pensĂ©e aristotĂ©licienne selon laquelle le concept d’infini ne peut ĂȘtre pensĂ© que comme un possible. Selon Leibniz, l’infini en acte est la condition de possibilitĂ© de toute opĂ©ration d’addition et de division, en tant que sa rĂ©alitĂ© est toujours dĂ©jĂ  prĂ©supposĂ©e[85].

Dieu

Selon Leibniz, seul Dieu et ses attributs peuvent vĂ©ritablement ĂȘtre dits « infinis ». En ce sens, tous les autres contextes oĂč l'on trouve l’infini ne sont que des expressions plus ou moins parfaites de l’infinitĂ© de Dieu. Cette absolue infinitĂ© s’explique par la prĂ©misse selon laquelle Dieu est parfait, la perfection Ă©tant ici entendue comme « la grandeur de la rĂ©alitĂ© positive prise prĂ©cisĂ©ment, en mettant Ă  part les limites et bornes dans les choses qui en ont ». Dieu ne pouvant ĂȘtre limitĂ©, c’est sa perfection mĂȘme qui est infinie. De par son infinitĂ©, Dieu est d’ailleurs le terme ultime de la sĂ©rie infinie des faits contingents du monde, en tant que raison suffisante derniĂšre[87].

Les idées de Dieu

C’est dans les idĂ©es de Dieu que l’on trouve une infinitĂ© de mondes possibles. L’infini y est donc d’abord possible, puis rĂ©el. Le passage du possible au rĂ©el est rĂ©gi par le principe de la dĂ©termination du meilleur. En effet, la crĂ©ation du meilleur monde possible par Dieu s’effectue selon un calcul qui prend en considĂ©ration l’infinitĂ© des possibles. Par la combinatoire, Dieu compare d’abord l’infinitĂ© des possibles, puis Ă©galement l’infinitĂ© des systĂšmes possibles, pour finalement dĂ©terminer le systĂšme prĂ©sentant le plus haut degrĂ© de perfection. Il y a donc dans les idĂ©es de Dieu infinitĂ© d’infinis[88].

Les monades

L’infini se trouve Ă©galement dans les rĂ©alitĂ©s individuelles (monades). Les monades Ă©tant par nature perceptives et appĂ©titives, elles rassemblent une multitude de perceptions dans leur unitĂ© substantielle. Leur capacitĂ© de reprĂ©sentation n’est donc pas limitĂ©e Ă  un aspect partiel des choses, mais Ă  la multitude des choses dans l'univers, ce qui pousse Leibniz Ă  affirmer « qu’elles vont toutes confusĂ©ment Ă  l’infini, au tout » (Monadologie par.60) . Il ne faut cependant pas se mĂ©prendre quant Ă  la nature bel et bien finie de la monade. Ce type de rĂ©alitĂ© est fermĂ©e, « sans porte ni fenĂȘtre », mais elle accĂšde par ces Ă©tats Ă  la multitude des choses de l’univers. La monade est ainsi une rĂ©alitĂ© finie dont la capacitĂ© reprĂ©sentative est infinie. La diffĂ©rence entre l’infinitĂ© de Dieu et l’infinitĂ© de la monade est dĂšs lors une diffĂ©rence quant Ă  la maniĂšre d’ĂȘtre infini.

L'univers

L’univers accĂšde Ă©galement Ă  l’infini, mais en un tout autre sens. L’univers n’est ni une totalitĂ©, ni une rĂ©alitĂ© unique et simple. Il est plutĂŽt un « amas d’un nombre infini de substances ». C’est donc que le monde crĂ©Ă©, de par l’infinitĂ© des substances et la division infinie de la matiĂšre, ne peut ĂȘtre unifiĂ©. Il est donc ici question d’un agrĂ©gat d’une infinitĂ© de rĂ©alitĂ©s Ă  quoi l’on ne peut assigner de limite[89].

La divisibilité de la matiÚre

La nature est pour Leibniz une structure de corps Ă©tendus, ces corps Ă©tant divisibles Ă  l’infini. Leibniz compare d’ailleurs la nature Ă  un Ă©tang habitĂ© par une multitude de crĂ©atures, oĂč chaque parcelle de l’étang contient en lui-mĂȘme une infinitĂ© d’étangs. C’est donc que la division de la matiĂšre est Ă  comprendre non seulement comme une premiĂšre division Ă  l’infini, mais Ă©galement selon une multitude de divisions oĂč chaque partie actuellement divisĂ©e est elle-mĂȘme divisĂ©e Ă  l’infini, et ainsi Ă  l’infini. Cette division est d'ailleurs imaginĂ©e par Leibniz selon qu'il s'agirait de « plis» qui vont Ă  l'infini. La divisibilitĂ© des corps Ă  l'infini doit ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e non pas comme un nombre infini de grains de sable, mais comme les plis infinis d'une feuille de papier, oĂč l'on ne peut atteindre le pli ultime[90].

L'infini quantitatif dans le calcul infinitésimal

Conceptuellement, la prĂ©sence de la notion d’infini dans le calcul infinitĂ©simal est problĂ©matique. L’utilisation des expressions « dx » et « dy », qui semble faire rĂ©fĂ©rence Ă  une quantitĂ© infiniment petite de temps ou d’espace peut en effet ĂȘtre la source de confusion. Leibniz mentionne Ă  cet Ă©gard que le calcul infinitĂ©simal est autonome opĂ©ratoirement quant Ă  sa mĂ©taphysique, et que l’écriture infinitĂ©simale possĂšde une valeur strictement instrumentale. Le calcul infinitĂ©simal peut donc ĂȘtre dit indĂ©pendant de la mĂ©taphysique leibnizienne du point de vue de son fonctionnement. L’infini mathĂ©matique, en tant qu’infini quantitatif, s'apparente davantage Ă  un « faux infini », ou Ă  un infini simplement possible ; les diffĂ©rentielles sont des grandeurs qui n’existent pas avant d’ĂȘtre instrumentalement posĂ©es[91].

Infini mathématique

L’infini actuel et l’infini possible peuvent tous deux ĂȘtre objets d’une science. En ce qui a trait Ă  l’infini mathĂ©matique, bien qu’il soit considĂ©rĂ© comme un « faux infini » (potentialitĂ©), il est clair pour Leibniz qu’il est possible de connaĂźtre la loi d’une progression interminable de quantitĂ©. En ce sens, la raison suffisante de cette progression est accessible ; nous en avons donc une connaissance.

Infini physique et métaphysique

Le concept d’infini en acte est une idĂ©e innĂ©e. En ce sens, l’idĂ©e d’infini est Ă©vidente par elle-mĂȘme et donc soumise uniquement au principe de non-contradiction, ce qui la rend rationnelle. Il est Ă©galement possible d’avoir une idĂ©e adĂ©quate de l’infini mĂ©taphysique ou vĂ©ritable, c'est-Ă -dire qu'il est possible d'en avoir une connaissance ou d'en prĂ©senter une dĂ©finition dont l'on connait distinctement tous les termes. Dieu, de par ses attributs infinis, soit l'Ă©ternitĂ© et l'immensitĂ©, peut alors ĂȘtre connu. Or les monades sont des rĂ©alitĂ©s finies qui ne peuvent percevoir l’infini que du point de vue dans lequel elles sont placĂ©es. C’est donc seulement en Dieu que la comprĂ©hension parfaite de l’infini est possible[92].

Kant

La premiÚre des quatre antinomies de Kant (1724 - 1804) est exprimée comme suit dans la Critique de la raison pure[93] :

ThĂšse

« Le monde a un commencement dans le temps [
], relativement dans l’espace, contenu dans certaines limites. » : II serait, en effet, absurde d’admettre une sĂ©rie Ă  la fois infinie et rĂ©alisĂ©e. La totalitĂ© des ĂȘtres ou des phĂ©nomĂšnes forme un nombre qui dĂ©passe notre imagination, mais qui est un nombre rĂ©el, et l’infini dĂ©passe tous les nombres. Le passĂ© contient un nombre d’ĂȘtres et de phĂ©nomĂšnes auquel chaque instant ajoute. Il est contradictoire de nommer infini ce qui augmente ou peut augmenter. Le mĂȘme raisonnement rĂ©fute l’éternitĂ© du passĂ© : l’éternitĂ© est infinie, inaugmentable et chaque instant augmente le passĂ©.

AntithĂšse

« Le monde n’a ni commencement ni limites spatiales mais il est infini [
] Ă  l’espace que par rapport au temps. » : Si le monde n’était Ă©ternel et sans mesure, il s’envelopperait donc d’un temps et d’un espace vides. Mais un temps vide ne renferme aucune cause, aucune condition, aucune possibilitĂ© de commencement, et rien n’aurait jamais pu commencer. Borner le monde dans le temps, c’est l’annihiler. Et un espace vide n’est rien. Dire qu’un espace vide limite le monde, dire que le monde est limitĂ© par rien, c’est dire tout ensemble que le monde est limitĂ© et qu’il n’est pas limitĂ©.

Un infini qualitatif

Le projet du systĂšme hĂ©gĂ©lien de la dialectique et de l’infini a pour ambition de dĂ©passer les oppositions philosophiques de l’infinitĂ© de la substance objective chez Spinoza et de la finitude de l’entendement humain chez Kant. C’est Ă  partir de la premiĂšre antinomie cosmologique du fini et de l’infini dans la Critique de la raison pure que Hegel (1770 - 1831) forme sa conception du vĂ©ritable infini. Pour Kant, tĂąchons de rappeler que l’absolu n’est jamais donnĂ© dans l’intuition, mais il est forgĂ© de toutes piĂšces par l’esprit en tant que simple concept, comme idĂ©e transcendantale. Cette idĂ©e de l’infini joue le rĂŽle de pure fiction pour l’homme, fiction utile comme le dĂ©clarait Leibniz, alors qu’elle devient une idĂ©e-limite, une projection trans-empirique, peut-ĂȘtre nĂ©cessaire comme outil de dĂ©veloppement de la connaissance, mais n’ayant vraisemblablement aucune rĂ©alitĂ© ontologique[94]. Selon Hegel, l’erreur de Kant aura Ă©tĂ© de ne concevoir qu’un infini quantitatif, puisque le concept d’éternitĂ©, comme progrĂšs temporel interminable ne prend forme qu’en concevant une droite interminable ou encore une suite infinie de nombres naturels. Il en va de mĂȘme pour l’infini spatial qui prĂ©suppose nĂ©cessairement une grandeur inexhaustible dans laquelle la finitude viendrait s’engouffrer ; encore une fois, l’argument est circulaire[94]. Les catĂ©gories a priori de la sensibilitĂ© que sont le temps et l’espace chez Kant constituent la solution transcendantale au problĂšme de la premiĂšre antinomie, mais elles ne peuvent rendre compte pour Hegel de la dialectique interne de l’esprit seule apte Ă  subsumer les antagonismes qu’il porte en son sein mĂȘme[94]. Si l’infini hĂ©gĂ©lien est dit qualitatif, c’est bien parce qu’il ne se rĂ©sume pas dans l’énumĂ©ration ou l’itĂ©ration de sĂ©ries de nombres ou dans la somme de ces sĂ©ries, mais bien parce qu’il rĂ©side dans le rapport qu’elles entretiennent ensemble.

Une méthode à la fois analytique et synthétique

Les mathĂ©matiques ont pour Hegel, un caractĂšre essentiellement analytique ; non seulement la valeur de vĂ©ritĂ© des Ă©quations mathĂ©matiques ne tient pas de l’expĂ©rience sensible, mais elle dĂ©rive toujours en quelque sorte de sa conformitĂ© avec un paradigme au sein duquel sont prĂ©supposĂ©es des lois et des dĂ©finitions a priori (au sens kantien). En ce sens, pour Hegel, le procĂ©dĂ© analytique reprĂ©sente, contrairement Ă  Kant, « la pure immanence des dĂ©terminations Ă  la totalitĂ© originelle prĂ©sente sous la modalitĂ© de l’en-soi »[95]. Autrement dit, ce n’est pas le nombre comme objet qui dĂ©ploie de son essence les lois et mĂ©canismes qui caractĂ©risent son intĂ©rioritĂ© pure, mais elles sont insĂ©rĂ©es de l’extĂ©rieur par l’esprit et deviennent de sorte le miroir du fonctionnement de l’esprit humain et de son organisation intĂ©rieure. Ultimement, « l’objet, le nombre, n’est que la pensĂ©e, et la pensĂ©e abstraite de l’extĂ©rioritĂ© elle-mĂȘme [
] En raison de cette extĂ©rioritĂ© pure et de cette absence de dĂ©termination propre, le penser a dans le nombre une matiĂšre dĂ©terminable infinie qui n’oppose aucune rĂ©sistance. »[95]. La vĂ©ritĂ© pour Hegel, ou plutĂŽt, le dĂ©ploiement de la connaissance est toujours Ă  la fois un procĂ©dĂ© objectif et subjectif, une mĂ©thode Ă  la fois analytique et synthĂ©tique. La connaissance mathĂ©matique partage donc ce caractĂšre analytique avec la connaissance conceptuelle, toutefois, elle se diffĂ©rencie de cette derniĂšre en n’étant qu’analytique, alors que la connaissance du concept est Ă©galement un procĂ©dĂ© synthĂ©tique. Pour Hegel, le vĂ©ritable infini est dans la relation qualitative qui s’établit dans le rapport entre deux grandeurs quantitatives. Comme Leibniz l’avait remarquĂ© avant lui, ce ne sont pas les quantitĂ©s infiniment petites ou infiniment grandes qui sont importantes, mais leur diffĂ©rence qui est infinitĂ©simale[94]. Le passage de la quantitĂ© en qualitĂ© s’effectue Ă  travers une relation dynamique engendrĂ©e par la raison qui rĂ©sulte en une mesure, une proportion, ce qui pour Hegel signifie l’assimilation mutuelle du dĂ©terminant (qualitĂ©) et du dĂ©terminĂ© (quantitĂ©).

Un rapport dynamique entre fini et infini

La conception de l’infini Ă©laborĂ©e chez Hegel n’avait pas de prime abord des prĂ©tentions mathĂ©matiques ou pratiques, mais essentiellement mĂ©taphysiques et c'est bien en ce sens que sa vision de l’infini devenait celle de la dynamique du concept absolu. Ainsi il faut Ă©galement prendre en considĂ©rations que pour Hegel - axiome fondamental de tout son systĂšme qu’il emprunte Ă  Spinoza -, toute dĂ©termination est du mĂȘme coup une nĂ©gation et par consĂ©quent, la nĂ©gation de la nĂ©gation reflĂšte l’automouvement du concept absolu. En rĂ©sulte que la finitude et l’infini ne sont pas liĂ©s de maniĂšre externe par opposition l’une Ă  l’autre, mais entretiennent plutĂŽt une relation dynamique internalisĂ©e, l’infini absorbe en lui la finitude comme un des moments de son perpĂ©tuel dĂ©ploiement. « Pour Hegel, ce devenir processuel est un infini dynamique ou qualitatif, et sa figure est celle du cercle sans point initial et sans point final – et non pas l’image de la droite infinie ou de la suite illimitĂ©e des nombres naturels. »[94]. Selon Hegel, l’histoire de l’ĂȘtre est un devenir perpĂ©tuel, « toute forme donnĂ©e est poussĂ©e Ă  se dĂ©passer, selon la nĂ©cessitĂ© d’une poussĂ©e, d’une pulsion, immanente, constitutive de la nĂ©cessitĂ© de sa transcendance. »[96]. Le mĂ©canisme inhĂ©rent Ă  ce mouvement universel est la dialectique, « la loi de la pensĂ©e et du rĂ©el qui, progressant par nĂ©gations successives, rĂ©sout les contradictions en accĂ©dant Ă  des synthĂšses elles-mĂȘmes toujours partielles et appelĂ©es Ă  ĂȘtre dĂ©passĂ©es »[97]. Une conception particuliĂšre est toujours en elle-mĂȘme un systĂšme positif et cohĂ©rent et en ce sens, il contient en lui un fragment du concept absolu qu'il reprĂ©sente de maniĂšre incomplĂšte. Une idĂ©e dĂ©passĂ©e ne disparaĂźt jamais totalement, elle est plutĂŽt submergĂ©e dans un nouveau systĂšme au sein duquel le fragment de son absolutisme est ratifiĂ© et incorporĂ©. La nĂ©gativitĂ© qui est au cƓur de la dialectique s’effectue toujours dans un rapport dont elle est le principe mĂ©diateur. En d’autres mots, c’est le nĂ©gatif qui effectue le rapport structurel entre une intĂ©rioritĂ© idĂ©elle et une extĂ©rioritĂ© manifeste. En ce sens, le nĂ©gatif s’apparente Ă  l’essence de la chose, la poussĂ©e directrice, le moteur ontologique de l’ĂȘtre. Ce travail du nĂ©gatif, inscrit au cƓur mĂȘme du devenir, anime pour Hegel toute histoire particuliĂšre[97]. Ce mouvement est pour Hegel un infini abstrait, un mĂ©canisme universel Ă  l’Ɠuvre en toutes choses positives.

Finalement, ce qui est fini, par dĂ©finition toujours en transition, est toujours en devenir, toujours appelĂ© Ă  ĂȘtre transcendĂ©, dĂ©passĂ© vers l’infini. L’absolu contient donc en lui tous les moments de la finitude, l’absolu s’aliĂšne lui-mĂȘme Ă  partir de lui-mĂȘme pour finalement s’extĂ©rioriser comme esprit. L’infini chez Hegel est donc esprit absolu, idĂ©e absolue ou concept absolu, synonymes de la totalitĂ© du systĂšme de la philosophie. Si l’esprit ou l’idĂ©e est dite infinie chez Hegel, c’est que l’infinitĂ© est l’ĂȘtre de ce qui est sursumĂ© et n’est que sursumĂ©[98].

Cantor

Georg Cantor en 1894

Georg Cantor (1845 Saint-PĂ©tersbourg - 1918) – mathĂ©maticien de formation – constate, au fil de ses travaux, que l’analyse mathĂ©matique est insuffisante Ă  saisir complĂštement l’essence de l’infini[99]. En fait, il se penche sur la question Ă  travers les ensembles, dont les propriĂ©tĂ©s n’avaient pas Ă©tĂ© clairement Ă©lucidĂ©es avant lui. Celles-ci semblaient triviales pour les ensembles finis, alors que celles des ensembles infinis concernaient plutĂŽt la philosophie. Cantor devient donc le fondateur de la thĂ©orie des ensembles, une mĂ©thode « plus rapprochĂ©e de la philosophie gĂ©nĂ©rale »[99] et dont le dĂ©veloppement constituera un « achĂšvement aux consĂ©quences majeures dans l’histoire des mathĂ©matiques »[100]. La thĂ©orie des ensembles, plus prĂ©cisĂ©ment la thĂ©orie des nombres transfinis, qui en constitue le noyau[99], servira d’assise Ă  une rĂ©flexion sur un Ă©ventail d’infinis diffĂ©rents. Cantor distinguera donc trois notions diffĂ©rentes d’infini : l’infiniment grand, qu’il analyse et hiĂ©rarchise et pour lequel il est reconnu (sections 1 Ă  4) ; les infinitĂ©simaux, qu’il nie et rejette (section 5) ; enfin, l’infini absolu, sur lequel il fonde sa mĂ©taphysique de l’infini[101] (section 6).

Ainsi, l’appareil conceptuel dĂ©ployĂ© par Cantor se fonde sur des distinctions mathĂ©matiques complĂštement nouvelles, qui font de l’infiniment grand un objet Ă  part, nĂ©anmoins analysable, mais qui contredit l’intuition[102]. Cantor croit que l’arithmĂ©tisation de l’infini est possible, autrement dit, il pense que l’infiniment grand est une quantitĂ© Ă  laquelle doit ĂȘtre attribuĂ© un nombre[103], nombre sur lequel il convient d’appliquer des opĂ©rations ordinaires[104]. Il en vient Ă  penser ainsi Ă  la suite de ses travaux en arithmĂ©tique et en trigonomĂ©trie ; il ne prĂ©suppose donc pas que l'infini ait diffĂ©rentes valeurs, il le dĂ©couvre. Comme « des propriĂ©tĂ©s finies ne peuvent ĂȘtre prĂ©diquĂ©es Ă  tous les cas de l’infini »[105], il faut trouver les propriĂ©tĂ©s de l’infini. SubsĂ©quemment, ces propriĂ©tĂ©s seront Ă©laborĂ©es dans sa thĂ©orie des ensembles des nombres transfinis.

L’infini dans les ensembles

La rĂ©flexion de Cantor le mĂšne Ă  fonder les mathĂ©matiques sur une thĂ©orie des ensembles plutĂŽt que sur l’arithmĂ©tique[99]. Il s’inspire ainsi de la dĂ©marche de Bolzano[106] et de sa mĂ©thode de la correspondance biunivoque, ou bijection. Cantor considĂšre donc les ensembles comme des objets ayant « une existence en soi indĂ©pendamment de nos moyens de l’atteindre »[107] et seulement dĂ©finis par leur contenu. Cantor travaillera essentiellement avec les ensembles infinis suivants :

  • l'ensemble des nombres naturels N = {0, 1, 2, 3, ...} ;
  • l'ensemble des nombres rationnels Q : les fractions, incluant les Ă©lĂ©ments de N ;
  • l'ensemble des nombres rĂ©els R : Q, ainsi que les nombres avec une infinitĂ© de dĂ©cimales irrĂ©guliĂšres comme la racine carrĂ©e de 2, π ou e.

Les nombres rĂ©els intĂ©resseront particuliĂšrement Cantor puisqu’ils permettent de localiser n’importe quel point sur une droite, dans un plan, ou dans l'espace.

Dénombrement des ensembles : la cardinalité

Comme un ensemble se dĂ©finit par ses Ă©lĂ©ments, il faut trouver une façon de les compter pour pouvoir les comparer. C’est ici qu’intervient la notion de cardinalitĂ© : le nombre cardinal d’un ensemble est le nombre d’élĂ©ments contenus dans cet ensemble[108] ; ceci « faisant abstraction de la nature des Ă©lĂ©ments de l’ensemble »[109]. Ainsi, dans l’ensemble {2, ..., 101}, la cardinalitĂ© est de 100. Dans le cas des nombres infinis, il faudra trouver une façon de les comptabiliser et de leur attribuer un cardinal. Cela sera possible en les comparant entre eux.

On peut ainsi chercher Ă  comparer la cardinalitĂ© d'un ensemble avec celle de son ensemble des parties : il s'agit de l'ensemble des ensembles possibles, Ă  l'intĂ©rieur d'un ensemble. Par exemple, si le cardinal de A = {1, 2, 3} est 3, celui de son ensemble des parties est 23 = 8, car on peut former 8 ensembles Ă  partir de A : {1}, {2}, {3}, {1,2}, {2,3}, {1,3}, {1,2,3}, ∅.

Dans les ensembles finis

Pour comparer les ensembles finis, il s’agit de les compter, ce qui n’est rien d’autre que les associer un Ă  un Ă  l’ensemble M des nombres {1, 2, 3, 
, n} oĂč n est le nombre d’élĂ©ments dans l’ensemble, autrement dit le nombre cardinal. On cherche Ă  Ă©tablir entre eux une correspondance biunivoque ou bijection, c’est-Ă -dire une association de tous les Ă©lĂ©ments d’un ensemble avec ceux d’un autre, « sans rĂ©pĂ©tition ni omission »[110] ; si une telle correspondance est possible, on dira que les deux ensembles ont la mĂȘme « puissance », ils sont Ă©quipotents[109]. En des termes plus prĂ©cis, associer des Ă©lĂ©ments de l'ensemble D Ă  ceux de l'ensemble E, sans rĂ©pĂ©tition (pour chaque Ă©lĂ©ment de D, il n'y a qu'un Ă©lĂ©ment de E associĂ©), est une simple injection, alors que les associer, sans oublier d'Ă©lĂ©ments de D, est une surjection. Une bijection n'est qu'une relation de deux ensembles qui est Ă  la fois injective et surjective.

Dans les ensembles infinis

Une telle correspondance peut s’appliquer aux ensembles infinis. De ce fait, l’ensemble de tous les nombres naturels pairs peut ĂȘtre mis en association avec l’ensemble de tous les naturels par la fonction y = 2x, oĂč x est un Ă©lĂ©ment parmi l’ensemble N de tous les naturels et y un Ă©lĂ©ment parmi l’ensemble Nâ€Č de tous les naturels pairs. La cardinalitĂ© de N et de Nâ€Č est donc la mĂȘme, aussi contre-intuitif que cela puisse paraĂźtre.

Ainsi, Ă  premiĂšre vue, il semble y avoir davantage de rĂ©els que de rationnels, et de rationnels que de naturels[111] ; or, Cantor montre que les rationnels Q et les naturels N peuvent ĂȘtre mis en correspondance biunivoque, et donc qu’ils possĂšdent le mĂȘme nombre d’élĂ©ments. Cela permettra en fait de ranger les nombres rationnels (considĂ©rĂ©s comme fractions) de la façon suivante : Q+ = {1/1, 2/1, 1/2, 3/1, 1/3, 3/2, 2/3, 4/1, 1/4, ...} (les fractions nĂ©gatives ne sont pas incluses ici pour faciliter la comprĂ©hension). On remarquera que, dans la suite, les fractions rĂ©ductibles, et donc rĂ©pĂ©titives, ont Ă©tĂ© retirĂ©es (2/4 = 1/2, par exemple). Comme les nombres rationnels sont placĂ©s dans un ordre qui les rĂ©unira tous sans exception, on peut dire qu’ils sont dĂ©nombrables, c’est-Ă -dire qu’on peut associer un nombre n Ă  chacun d’eux. De maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, on voit que tout ensemble dĂ©nombrable infini a la mĂȘme cardinalitĂ©, et donc le mĂȘme nombre d’élĂ©ments que les naturels.

Les comparaisons entre N et Nâ€Č ou entre Q et N reviennent Ă  envisager une partie comme aussi grande que le tout ; ce qui va Ă  l’encontre de ce que les philosophes ont toujours considĂ©rĂ© comme une rĂšgle fondamentale[112]. Cette apparente transgression chez Cantor devient finalement la dĂ©finition d’un ensemble infini : la cardinalitĂ© d’un ensemble est infinie si et seulement si une ou plusieurs de ses parties est Ă©gale Ă  son tout[note 3].

Or, tous les ensembles infinis n’ont pas la mĂȘme cardinalitĂ© comme le montre l’argument de la diagonale, dĂ©monstration de l’impossibilitĂ© de dresser une bijection entre N et R, et donc que , c'est-Ă -dire que la cardinalitĂ© des rĂ©els est strictement supĂ©rieure Ă  celle des nombres naturels. En effet, l’ensemble R des rĂ©els n’est pas dĂ©nombrable, et Cantor nommera sa cardinalitĂ© : puissance du continu. L’ensemble des rĂ©els est un ensemble continu (par opposition Ă  discret) puisqu’il regroupe tous les points d’une droite, d’un plan ou d’un graphique, sans « trous ».

Aleph 0 et son arithmétisation

Les « nombres transfinis » est l’appellation que donne Cantor aux nombres infinis correspondant aux diffĂ©rentes cardinalitĂ©s des ensembles infinis en raison de la connotation nĂ©gative liĂ©e au concept d’infini, comme s’il s’agissait d’un « incomplet » ou d’un « indĂ©fini ». Les transfinis cantoriens sont de rĂ©els objets mathĂ©matiques, ils sont « en acte », Ă©tant donnĂ© que les ensembles, aussi infinis soient-ils, sont bien rĂ©els. Par convention, la cardinalitĂ© de N (qui est aussi celle de Z et de Q) est nommĂ©e Aleph 0, , et constitue la plus petite quantitĂ© infinie. « Aleph », qui est l'Ă©quivalent de la lettre « a » en hĂ©breu, a sans doute Ă©tĂ© choisi parce que, pour Cantor, les infinis sont justement des entitĂ©s rĂ©elles avec lesquelles on peut dĂ©velopper une nouvelle arithmĂ©tique[113]. Mais comment effectuer des calculs arithmĂ©tiques Ă  partir de ? Cantor dĂ©montre[114] que, pour tout entier , « », que « » et que « » .

Ce dernier rĂ©sultat est dĂ©jĂ  Ă©tonnant, car il implique l’assertion que l’ensemble des fractions et celui des entiers ont la mĂȘme cardinalitĂ©. C'est d'ailleurs Ă©galement le cas de l'ensemble des points d’une droite et de l’ensemble des points d’un plan, qui ont la mĂȘme cardinalitĂ©, qui est cette fois celle du continu. En fait, peu importe le nombre de dimensions de la « zone de travail », le nombre de points qu’elle contient est identique. On a donc c × c = c oĂč c est la cardinalitĂ© d’un ensemble transfini. Par consĂ©quent, « les espaces d’un nombre arbitraire de dimensions peuvent ĂȘtre seulement cartographiĂ©s sur la ligne unidimensionnelle des rĂ©els »[115]. Dans sa correspondance avec Dedekind, Cantor dira Ă  propos de cette dĂ©couverte « je le vois, mais je ne le crois pas »[116].

Le cardinal de l'ensemble des parties d'Aleph 0

On pourrait croire, d'aprĂšs les rĂ©sultats prĂ©cĂ©dents, qu'il n'y aurait qu'une seule cardinalitĂ© infinie. Mais Cantor dĂ©montre (voir ThĂ©orĂšme de Cantor pour une analyse dĂ©taillĂ©e) qu'il n'y a pas de surjection – et donc pas de bijection – entre un ensemble B et son ensemble des parties (P(B)). Cela est assez Ă©vident pour les ensembles finis, par contre, pour les infinis, il faut opĂ©rer une reduction ad absurdum et une construction (non effectuĂ©e ici). Le rĂ©sultat auquel arrive Cantor est que, la cardinalitĂ© de N < la cardinalitĂ© de P(N) < celle de P(P(N))... la cardinalitĂ© de N est , alors que celle de son ensemble des parties est de etc. Ainsi,

Cependant, Cantor veut faire mieux que de dresser une telle hiĂ©rarchie : il veut construire la suite des alephs oĂč chaque nouvel aleph est le successeur immĂ©diat du prĂ©cĂ©dent. Il aura besoin, pour ce faire, des ordinaux.

La suite des alephs grĂące aux ordinaux

Cantor devra faire appel Ă  la thĂ©orie des ordinaux, c'est-Ă -dire des ensembles en tant qu'ils sont ordonnĂ©s (oĂč, contrairement aux cardinaux, la position des termes est primordiale). L'ordinalitĂ© ne peut ĂȘtre appliquĂ©e qu'Ă  des ensembles bien ordonnĂ©s (qui ont un bon ordre). Cantor rĂ©ussit ainsi Ă  obtenir, grĂące aux ordinaux, un langage plus prĂ©cis, qui lui permettra d'avoir une arithmĂ©tique plus subtile des infinis. Ainsi, l'addition n'est pas commutative avec les ordinaux, par exemple ( correspondant Ă  l’ordinalitĂ© de ). L'ordinalitĂ© permet Ă©galement de comparer des ensembles avec plus de prĂ©cision que par la simple comparaison de cardinalitĂ©.

GrĂące Ă  la notion d'ordinaux, Cantor rĂ©ussit Ă  dĂ©finir les alephs : est la cardinalitĂ© de l'ensemble – infini – de tous les ordinaux finis, alors que est celle de tous les ordinaux dĂ©nombrables. Et en poursuivant il lui devient possible de construire la suite (elle-mĂȘme indexĂ©e par les ordinaux) :

.
L'hypothĂšse du continu

Le cardinal de l'ensemble des ensembles d'entiers naturels est celui de l'ensemble des réels, et Cantor fait l'hypothÚse que ce cardinal est : c'est l'hypothÚse du continu (le continu est l'ensemble des réels, qui n'a pas de « trous »). Cette derniÚre équivaut donc à soutenir que = , à savoir, que la cardinalité des réels est le successeur de celle de l'ensemble des entiers naturels, c'est-à-dire la « quantité infinie » immédiatement supérieure.

Le rejet des infinitésimaux

MalgrĂ© sa concession pour l’utilitĂ© de l’infiniment petit dans le calcul infinitĂ©simal, Cantor s’oppose Ă  ce que l’infiniment petit soit un vĂ©ritable infini (en acte), autrement dit, qu’il soit un objet mathĂ©matique Ă  part entiĂšre, et il le dĂ©finira plutĂŽt comme un « mode de variabilitĂ© »[117] ou un infini simplement potentiel. Il dira qu’il s’agit d’un infini « improprement dit »[99], dont la grandeur est variable, dĂ©croissante Ă  volontĂ©, mais toujours finie comme l’est n’importe quel nombre irrationnel (ce n’est pas parce qu’un nombre en particulier a un nombre infini de dĂ©cimales sans rĂšgle qu’il est lui-mĂȘme infini). Dans le Mitteilungen, Cantor souhaite montrer formellement la contradiction intrinsĂšque des infinitĂ©simaux, mais il ne fait que rĂ©itĂ©rer finalement l’axiome d’ArchimĂšde (Ă  partir de a et b oĂč a < b, oĂč a et b sont des nombres rĂ©els positifs, et oĂč il existe un c tel que a×c > b)[118]. Cantor rejettera donc les thĂ©ories de Du Bois-Reymond et de Thomae Stolz, ainsi que celle de Veronese, car elles Ă©chouent toujours Ă  montrer Ă  quel ensemble peuvent rĂ©fĂ©rer les infinitĂ©simaux (ou de quels ensembles ils sont obtenus). Si les infinitĂ©simaux Ă©taient des nombres, ils devraient ĂȘtre constitutifs d’un ensemble, et ce dernier serait plus continu que l’ensemble des rĂ©els[119](lui-mĂȘme « puissance du continu »).

L’infini absolu : un fondement thĂ©ologique

AbordĂ©e dans le Mitteilungen, la question de l’infini absolu de Dieu est pour Cantor d’une importance capitale[120]. MĂȘme si elle concerne plus directement la thĂ©ologie spĂ©culative, elle sert tout de mĂȘme de fondement Ă  la thĂ©orie des transfinis[121]. C’est une sorte de rĂ©vĂ©lation mystique pour Cantor : « il Lui a plu que je parvienne aux rĂ©vĂ©lations les plus Ă©tonnantes et les plus inattendues dans la thĂ©orie des ensembles »[122], Ă©crit-il Ă  propos de ce qu’il considĂšre comme un vĂ©ritable infini, comme un maximum absolu. Les nombres transfinis sont accessibles Ă  l’homme, mais leur ensemble, c’est-Ă -dire le systĂšme de tous les nombres « Ω »[123], est incomprĂ©hensible.

Comment concilier la diversitĂ© mathĂ©matique des infinis (aleph 0, 1, la puissance du continu, etc.) avec l’unicitĂ© de l’infinitude absolue de Dieu ? Pour Cantor, c’est ce dernier qui garantit l’existence des transfinis, car a priori, ils devraient normalement dĂ©couler de la nature infinie de Dieu, et qu’a posteriori, ils permettent une explication d’un plus grand Ă©ventail de phĂ©nomĂšnes. MalgrĂ© tout, il semble que la thĂ©orie cantorienne sur les transfinis puisse se passer de l’hypothĂšse de Dieu[122].

Russell

Bertrand Russell (1916).

L’infini devient un problĂšme pour Russell (1872 Trellech (Monmouthshire, pays de Galles) - 1970) lui-mĂȘme au cours de ses recherches avec Whitehead sur la rĂ©duction logique des mathĂ©matiques dans les Principia Mathematica de 1910 Ă  1913. Il propose peu de temps aprĂšs une application de la mĂ©thode analytico-logique au problĂšme traditionnel de l’infini en philosophie pour en dĂ©gager une thĂ©orie positive dans La MĂ©thode scientifique en philosophie en 1914.

Le projet logiciste

Le projet logiciste consiste Ă  dĂ©montrer logiquement les concepts et les propositions mathĂ©matiques. En 1889, Peano dĂ©veloppe une axiomatique de la thĂ©orie des nombres rĂ©duisant ainsi les mathĂ©matiques Ă  l’arithmĂ©tique. Pour que Russell puisse dĂ©montrer la rĂ©ductibilitĂ© des mathĂ©matiques Ă  la logique pure, tout ce qu’il a Ă  faire, c’est donc de rĂ©duire les axiomes de Peano Ă  la logique[124]. Pour ce faire, il mobilise les outils conceptuels de Cantor en mathĂ©matique et de Frege en logique. Toutefois, ce projet s’avĂšre ĂȘtre un Ă©chec car Russell n’arrive pas Ă  dĂ©montrer logiquement l’existence d’une classe infinie d’objets et se voit dĂšs lors obligĂ© de postuler l'infinitĂ© d'objets qui la rend possible.

La définition du nombre

Russell travaille avec la dĂ©finition frĂ©gĂ©enne du nombre avancĂ©e dans Les fondements de l’arithmĂ©tique : « la classe de toutes les classes semblables Ă  la classe donnĂ©e »[125]. Cette dĂ©finition du nombre permet Ă  Russell de fournir la dĂ©monstration logique de quatre des cinq axiomes de l’arithmĂ©tique de Peano. Seul l’axiome qui consiste Ă  postuler que « si deux nombres ont le mĂȘme successeur, ces deux nombres sont identiques »[126] est problĂ©matique. Le problĂšme vient entre autres de la dĂ©finition logique du nombre telle que donnĂ©e par Frege.

La dĂ©finition logique du nombre considĂšre celui-ci comme une propriĂ©tĂ© d’un terme gĂ©nĂ©ral ou d’une description gĂ©nĂ©rale[127]. Selon Russell, dans le cas du nombre, il est possible de remplacer la notion de terme gĂ©nĂ©ral par celle de classe sans que cela ne pose de problĂšme sur le plan logique. Ainsi, n’importe quel nombre, en tant que prĂ©dicat d’un terme gĂ©nĂ©ral qui dĂ©note quelque chose qui n’existe pas, a pour cardinalitĂ© la classe nulle, car le nombre ne dĂ©note rien[128]. Par exemple, zĂ©ro est un prĂ©dicat qui s’applique au terme gĂ©nĂ©ral « licorne » car aucune licorne n’existe. Étant donnĂ© cette caractĂ©ristique du nombre, il faut nĂ©cessairement qu’il y ait une classe infinie afin qu’il soit possible de dĂ©montrer logiquement l'axiome de Peano. Sinon, tout nombre dĂ©passant le dernier nombre qui dĂ©note la quantitĂ© de tout ce qui existe a le mĂȘme cardinal que son successeur, soit la classe nulle. Ces nombres sont donc identiques[129]. Si n est le nombre de choses qui existent, son successeur n+1 a une cardinalitĂ© de 0, de mĂȘme que n+2. n+1 a donc pour successeur n+2 tout en lui Ă©tant identique, ce qui est une contradiction avec l'axiome de Peano. Afin qu’il n‘y ait pas de contradiction et que cet axiome puisse ĂȘtre dĂ©montrĂ©, il faut nĂ©cessairement qu’il y ait une classe infinie[129]. Russell considĂšre donc trois possibilitĂ©s de dĂ©montrer l’existence d’une classe infinie.

Les démonstrations de la classe infinie

La premiĂšre des classes infinies est dĂ©rivĂ©e d’un argument inspirĂ© de ParmĂ©nide, considĂ©rant l’Être[129]. La deuxiĂšme classe infinie est dĂ©rivĂ©e d’un argument tenant compte du nombre et de son idĂ©e[130]. Ces deux dĂ©monstrations sont invalides Ă  cause de leur caractĂšre psychologique et du fait que l’ĂȘtre et l’idĂ©e du nombre ne peuvent constituer des prĂ©misses mathĂ©matiquement dĂ©montrables[130]. La derniĂšre dĂ©monstration, contrairement aux deux autres, est dĂ©rivĂ©e d’un argument qui relĂšve de la logique. L’argument dĂ©montre qu'il est possible de construire une classe infinie Ă  partir de la classe nulle. 0 existe Ă  cause de la classe nulle. 1 est le nombre de la classe dont seule la classe nulle est membre ; 2 est le nombre de la classe constiuĂ©e de 1 et 0, et ainsi de suite. En suivant ce principe, la classe spĂ©cifique Ă  chaque nombre est construite. Le nombre de 0 Ă  n est n+1 et ce dernier est un nombre fini. À cause de la caractĂ©ristique hĂ©rĂ©ditaire des nombres, l’existence est une propriĂ©tĂ© de tous les nombres entiers finis. Ainsi tous les nombres entiers existent et la cardinalitĂ© de la suite des nombres finis est infinie. Toutefois, selon ce raisonnement chaque nombre sera d’un type diffĂ©rent que son successeur. Étant donnĂ© que cette preuve ne respecte pas la thĂ©orie des types, elle n’est pas valide. En n’arrivant pas Ă  dĂ©montrer l’existence d’une classe infinie, Russell est forcĂ© de postuler l’infini Ă  titre d’axiome.

L’axiome de l’infini

Cet axiome suppose l’infinitĂ© de l’univers du discours, car seulement ainsi il peut y avoir une classe infinie et une infinitĂ© de nombres. Cependant, le fait que cet axiome Ă©nonce un prĂ©dicat d’existence fait en sorte qu’il ne puisse appartenir Ă  la logique pure[131]. MalgrĂ© le fait qu’il ne peut ĂȘtre dĂ©montrĂ© logiquement, Russell soutient que seul l’axiome de l’infini peut assurer l’applicabilitĂ© de la logique pure au monde empirique. À ce titre, puisque la logique est applicable au monde, l’axiome de l’infini constitue une hypothĂšse empiriquement vĂ©rifiable. Par ailleurs, l’axiome de l’infini semble problĂ©matique dans la mesure oĂč il est posĂ© de maniĂšre ad hoc dans la dĂ©monstration de Russell. Puisque ce dernier a foi en la vĂ©rification empirique de l’axiome, il le prĂ©suppose dans l’application de sa mĂ©thode analytico-logique en philosophie.

Le fondement philosophique de l’infini mathĂ©matique

ZĂ©non affirme que l’espace et le temps sont indivisibles en points et en instants dans les contextes fini et infini. Selon Russell, si l’espace et le temps consistent en un nombre fini de points et d’instants, alors les arguments de ZĂ©non contre la thĂšse que l’espace et le temps sont composĂ©s de points et d’instants sont tout Ă  fait valables[132]. En mathĂ©matique, le calcul infinitĂ©simal est l’outil fondamental de l’étude des corps en mouvement dans l’espace en fonction du temps. Or, le calcul infinitĂ©simal prĂ©suppose que l’espace et le temps ont une structure en points et en instants. Au sens de ZĂ©non, le calcul infinitĂ©simal est donc logiquement infondĂ©. Or, Russell montre que si l’espace et le temps consistent en un nombre infini de points et d’instants, alors les paradoxes de ZĂ©non n’ébranlent plus les mathĂ©matiques Ă  cet Ă©gard[132]. Le prĂ©supposĂ© essentiel du calcul infinitĂ©simal conserve ainsi sa lĂ©gitimitĂ© philosophique. Russell souligne cependant que la tradition a longtemps nĂ©gligĂ© la thĂšse selon laquelle le monde est composĂ© d’un nombre infini de points et d’instants Ă  cause des contradictions qu’impliquait une notion naĂŻve de l’infini.

La critique de la notion kantienne de l’infini

Pour illustrer les effets d’une conception erronĂ©e de l’infini, Russell analyse les deux premiĂšres antinomies de la raison pure de Kant sur l’idĂ©e rĂ©gulatrice de monde[133].

Le problùme de la synthùse successive de l’infini

Kant caractĂ©rise une sĂ©rie infinie par le fait qu’on ne peut jamais la synthĂ©tiser successivement au complet. Par extension, c’est affirmer que la sĂ©rie des nombres naturels, Ă  savoir la somme des termes de la suite des entiers positifs Ă  partir de zĂ©ro, est infinie parce qu’elle ne peut se complĂ©ter dans un temps fini par l'homme, qui est fini. Or, Russell soutient que la notion d’infini « est avant tout une propriĂ©tĂ© de classes, et n’est que secondairement applicable aux sĂ©ries »[134]. C'est qu'une sĂ©rie, par dĂ©finition, tient compte de l’ordre successif des Ă©lĂ©ments la constituant de sorte qu’il y a toujours au moins un Ă©lĂ©ment qui lui Ă©chappe lorsqu’elle est infinie. Au contraire, Ă  la maniĂšre d'un concept, une classe renvoie Ă  chacun des Ă©lĂ©ments la constituant, ce qui permet de capturer l’infini mathĂ©matique sans en avoir fait la synthĂšse. Russell fait ressortir par lĂ  l’erreur consistant Ă  comprendre l’infini Ă  partir de notre propre finitude au lieu de le considĂ©rer comme le caractĂšre propre du nombre en tant qu’objet logico-mathĂ©matique.

Le problùme de la constitution de l’espace en points

Kant plaide en faveur de l’impossibilitĂ© d’un espace composĂ© de points en raison de l’absurditĂ© qu’implique la division Ă  l’infini. En fait, Kant suppose que pour obtenir un point, il faudrait arriver au bout d’une opĂ©ration de dĂ©coupages successifs, Ă  chaque fois en deux, de l’espace qui par dĂ©finition est sans fin. Or, pour Ă©viter ce problĂšme, Russell conçoit Ă  l’instar de Frege et de Cantor que « tout comme une classe infinie peut intĂ©gralement ĂȘtre donnĂ©e par le concept qui la dĂ©finit, [
] de mĂȘme un groupe infini de points peut ĂȘtre donnĂ© intĂ©gralement comme formant une ligne, une aire ou un volume, quoiqu’ils ne puissent jamais ĂȘtre atteints par des divisions successives »[135].

Le rejet des infinitésimaux

Comme le suggĂšre Leibniz, un infinitĂ©simal serait une quantitĂ© d’espace ou de temps si petite qu’il n’en existerait pas une infĂ©rieure de sorte qu’il serait impossible de la diviser en deux quantitĂ©s finies. Or, Russell rejette la possibilitĂ© en mathĂ©matique de manipuler des quantitĂ©s infinitĂ©simales, Ă  savoir des quantitĂ©s telles que « toute distance finie quelconque lui soit supĂ©rieure »[136]. Selon Russell, l’erreur d’imagination menant Ă  la croyance des infinitĂ©simaux consiste Ă  penser que, Ă  la fin de l’opĂ©ration de dĂ©coupage en deux de l’espace et du temps, les distances et les pĂ©riodes ne soient plus divisibles en quantitĂ©s finies. De lĂ , il existerait des quantitĂ©s infiniment petites manipulables en mathĂ©matique. Or, Russell rappelle que la divisibilitĂ© infinie ne permet pas de conclure Ă  l’existence d’un dernier terme dans une opĂ©ration qui par dĂ©finition est sans fin[137].

Russell explicite en ce sens l’erreur logique consistant Ă  interprĂ©ter l’énoncĂ© vrai « pour toute distance finie[note 4], il y a une distance infĂ©rieure » par l’énoncĂ© faux « il y a une distance telle que, quelque distance finie que nous puissions choisir, la distance en question est infĂ©rieure »[137]. Du point de vue de la logique formelle, il s’agit lĂ  d’une inversion des quantificateurs universel et existentiel opĂ©rant dans la proposition. En effet, la proposition fausse veut faire dire « il existe une distance plus petite que toute distance finie », l’infinitĂ©simal, alors que la proposition vraie veut dire « pour toutes distances, il existe une distance finie plus petite », ce qui implique l’impossibilitĂ© de l’infinitĂ©simal. Par la mĂ©thode analytico-logique, Russell parvient donc Ă  mettre de l’ordre dans la comprĂ©hension des infinitĂ©simaux en vue de rejeter leur nĂ©cessitĂ© pour opĂ©rationnaliser le calcul infinitĂ©simal.

L'infini au XXIe siĂšcle

En mathématiques

Pour la grande majoritĂ© des mathĂ©maticiens du XXIe siĂšcle, l'infini (dans chacune de ses acceptions) est une notion mathĂ©matique comme les autres, possĂ©dant une dĂ©finition explicite, et qui pourrait en principe se ramener aux objets primitifs du langage utilisĂ© (le plus souvent celui de la thĂ©orie des ensembles de Zermelo-Fraenkel). Ainsi, par exemple, un ensemble est infini (au sens de Dedekind) s'il peut ĂȘtre mis en bijection avec un de ses sous-ensembles stricts ; le point Ă  l'infini d'un espace est un objet formel ajoutĂ© Ă  cet espace en suivant des rĂšgles prĂ©cises, etc. Les sections suivantes dĂ©taillent les diffĂ©rents usages de cette notion, et prĂ©cisent d'Ă©ventuels points de dĂ©saccord.

Théorie des ensembles

L'un des objectifs de la théorie de Cantor est de donner un sens précis à la phrase « l'ensemble E contient un nombre infini d'éléments », et permettant en particulier de différencier plusieurs infinis différents (infini dénombrable, infini du continu, etc.). Comme cela a été exposé dans la partie historique, les conceptions de Cantor se sont heurtées, d'une part aux objections de certains mathématiciens, en particulier Kronecker, refusant l'« infini actuel », d'autre part aux contradictions bien réelles créées par une vision trop naïve de la théorie, en particulier par l'« ensemble de tous les ensembles ». La solution à ces antinomies, et à la crise des fondements qui en résultait, fut apportée par diverses axiomatiques (le plus souvent équivalentes entre elles), dont la plus utilisée est celle de Zermelo-Fraenkel, dite ZF. Pour ces axiomatiques, il existe évidemment (au sens intuitif) des « collections d'objets » infinies (par exemple la collection de tous les entiers) ; l'axiome de l'infini affirme alors que l'une de ces collections au moins est un ensemble (et donc un objet légal de la théorie, contrairement à la collection de tous les ensembles), ce qui revient à affirmer l'existence de l'infini actuel. La hiérarchie d'infinis découverte par Cantor devient alors une simple conséquence de la théorie, et l'existence de cardinaux distincts ne présente plus de difficulté de principe ; cependant la question de leur taille exacte fait depuis cette époque l'objet d'intenses recherches, portant en particulier sur l'hypothÚse du continu et sur les conséquences de l'existence de certains grands cardinaux. La définition précise d'un « ensemble de taille infinie » s'avÚre toutefois dépendre de l'axiome du choix : en sa présence (c'est-à-dire dans la théorie ZFC), toutes ces définitions sont équivalentes, mais sinon, il est par exemple possible de construire des ensembles infinis ne contenant aucune suite dénombrable d'objets distincts (ensembles dits finis au sens de Dedekind). Enfin, cette théorie permet un véritable « calcul avec l'infini », que ce soit avec les nombres cardinaux mesurant la taille des ensembles, ou avec les nombres ordinaux, plus précis, et décrivant, en un certain sens, une façon de « compter » les éléments des ensembles étudiés.

Analyse

Le sens Ă  donner Ă  l'infini (infiniment grand ou infiniment petit) en analyse a amenĂ© aux querelles philosophiques du XVIIe siĂšcle[138], puis, aprĂšs d'impressionnants succĂšs initiaux, Ă  de sĂ©rieuses difficultĂ©s mathĂ©matiques, liĂ©es en particulier Ă  l'impossibilitĂ© de construire un systĂšme rigoureux d'infinitĂ©simaux. Le travail de refondation de Cauchy et Weierstrass dans la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle devait amener Ă  remplacer partout des phrases telles que « la dĂ©rivĂ©e de f en zĂ©ro est infiniment proche du quotient lorsque h est infiniment petit » par , la notion de limite recevant elle mĂȘme une dĂ©finition parfaitement rigoureuse, et ne faisant plus intervenir que des nombres ordinaires ; dans ce contexte, le symbole dans des notations telles que n'est plus qu'une abrĂ©viation. Avec ce choix, les infinis apparaissant en analyse ne sont que des infinis potentiels, ce que montrent bien les dĂ©finitions classiques de Weierstrass, avec lesquelles la formule prĂ©cĂ©dente se lit « l'expression peut ĂȘtre rendue aussi proche que l'on veut de 2 en prenant x suffisamment grand ».

Un point de vue plus moderne (mais mathĂ©matiquement strictement Ă©quivalent) consiste Ă  rajouter aux ensembles de nombres Ă©tudiĂ©s de nouveaux Ă©lĂ©ments (comme pour la construction des nombres complexes), obtenant par exemple la droite rĂ©elle achevĂ©e ℝ ; les nouveaux objets et sont munis de rĂšgles de calcul, telles que , qui reflĂštent le calcul Ă©lĂ©mentaire sur les limites.

Des tentatives de redonner un sens aux infinitĂ©simaux et Ă  diffĂ©rents « ordres d'infinis » (pour pouvoir, par exemple, exprimer que le carrĂ© de l'infini est beaucoup plus grand que l'infini) ont Ă©tĂ© effectuĂ©es par du Bois-Reymond, Hardy et Landau ; elles consistent Ă  introduire des fonctions de rĂ©fĂ©rence (les Ă©chelles de comparaison) et Ă  dire par exemple qu'une quantitĂ© varie dans certaines conditions comme un infiniment petit de tel ou tel ordre si elle est Ă©quivalente Ă  une des fonctions de l'Ă©chelle, elle-mĂȘme trĂšs petite dans les mĂȘmes conditions. Mais ces dĂ©finitions, bien qu'utiles en pratique, souffrent d'un certain arbitraire, et sont par ailleurs nĂ©cessairement incomplĂštes (il existe toujours des fonctions situĂ©es en dehors d'une Ă©chelle donnĂ©e).

Analyse non standard et nombres surréels

Les progrÚs de la logique mathématique dans la premiÚre moitié du XXe siÚcle ont amené divers théoriciens (Hewitt, Robinson et Nelson en particulier) à envisager de reconstruire une théorie rigoureuse des infinitésimaux en s'appuyant sur la théorie des modÚles. Dans cette approche, on construit par exemple un modÚle des nombres réels « non standard », qui contient tous les réels ordinaires (comme ou ) mais aussi de nouveaux nombres, nécessairement « infiniment grands » ou « infiniment proches » des anciens ; les résultats de la théorie garantissent que ces nouveaux réels ont toutes les propriétés des anciens (les paradoxes apparents, comme celui du plus petit entier non standard, qui avaient amené l'abandon de ces conceptions au XIXe siÚcle, se résolvant par l'impossibilité d'exprimer certaines propriétés dans le langage précis utilisé).

L'intĂ©rĂȘt principal de l'analyse non standard est de redonner un sens prĂ©cis Ă  de nombreuses formulations anciennes des concepts du calcul infinitĂ©simal (dĂ©rivĂ©es, intĂ©grales, sommes de sĂ©ries, produits infinis, etc.), plus intuitives que l'approche moderne par calcul de limites, mais tombĂ©es en disgrĂące car utilisant des notions d'infini non dĂ©finies : ainsi, la dĂ©finition de l'intĂ©grale de Riemann devient simplement « le rĂ©el standard le plus proche d'une somme de Riemann ayant un pas infiniment petit ».

Une toute autre approche utilise les nombres surréels découverts par John Horton Conway : il s'agit d'une vaste extension des nombres réels à l'aide d'une ingénieuse application de la méthode des coupures de Dedekind, introduisant des nombres infinis tels que les ordinaux (avec ses notations, on a ) et permettant ensuite de calculer avec ces nombres comme avec des réels ordinaires, définissant ainsi des infiniment petits tels que , mais aussi des objets bien plus surprenants tels que , qui est infiniment grand, mais beaucoup plus petit que , par exemple. Il ne semble cependant pas que cette extension, en dépit de sa richesse, permette d'aborder des questions d'analyse non élémentaires.

Géométrie et topologie

La notion de point Ă  l'infini, apparue avec le dĂ©veloppement de la gĂ©omĂ©trie projective (elle-mĂȘme dĂ©veloppĂ©e en relation avec l'invention de la perspective gĂ©omĂ©trique), et ayant pour but de modĂ©liser la phrase bien connue selon laquelle « les parallĂšles se coupent Ă  l'infini », est dĂ©sormais formalisĂ©e en gĂ©omĂ©trie par la construction des espaces projectifs.

En physique

Au début du XXe siÚcle, la physique se trouvait dans l'impossibilité d'expliquer divers phénomÚnes[139], dont le fait qu'un corps noir à l'équilibre thermodynamique est censé rayonner un flux infini (voir catastrophe ultraviolette). Ce problÚme fut résolu par l'introduction des quanta par Planck, ce qui forme la base de la physique quantique.

Dans le cadre de la relativité générale, le Big Bang conduit, dans son interprétation naïve, à l'apparition de valeurs infinies (on parle aussi de singularités) à l'origine des temps, apportant ainsi la preuve que nos connaissances physiques actuelles ne sont pas capables de décrire cette époque lointaine de l'histoire de l'Univers.

Dans plusieurs branches de la physique, comme la thĂ©orie quantique des champs ou la physique statistique, les chercheurs ont pu Ă©liminer les divergences indĂ©sirables de la thĂ©orie Ă  l'aide de techniques mathĂ©matiques de renormalisation. Ces techniques n'ont pu ĂȘtre appliquĂ©es pour l'instant Ă  la thĂ©orie de la gravitation.

Les notations

On attribue, en l'état des connaissances, la premiÚre utilisation du symbole , qui revient fréquemment en analyse, à John Wallis, dans son ouvrage De sectionibus conicis de 1655[140], puis peu aprÚs dans l'Arithmetica Infinitorum :

« esto enim ∞ nota numeri infiniti[141] »

Trois hypothĂšses existent quant Ă  l'origine de ce choix.

  1. La plus communĂ©ment admise est qu'il s'agit d'une Ă©volution du chiffre dĂ©signant '1000' dans la numĂ©ration romaine : successivement Ⓧ, puis ↀ (aussi reprĂ©sentĂ© par les symboles CIƆ), avant de devenir M. L'Ă©volution graphique du deuxiĂšme symbole aurait donnĂ© . ParallĂšlement on note l'emploi du mot latin millě au pluriel (millia) pour dĂ©signer un nombre arbitrairement grand et inconnu, soit un nombre indĂ©fini parce que trop grand pour ĂȘtre prĂ©cisĂ©[142]. On notera l’expression française encore utilisĂ©e aujourd’hui « des mille et des cents » rappelant cet usage. Le symbole actuel serait donc simplement l’évolution de la ligature minuscule cıɔ en Ă©criture manuscrite onciale.
  2. Une hypothĂšse concurrente est que le symbole serait issu de la lettre grecque ω, derniĂšre lettre de l'alphabet grec, et mĂ©taphore courante pour dĂ©signer l'extrĂ©mitĂ© finale (comme dans l'expression l'alpha et l'omĂ©ga). Depuis Georg Cantor on utilise d'ailleurs des lettres grecques pour dĂ©signer les nombres ordinaux infinis. Le plus petit ordinal infini, qui correspond au bon ordre usuel sur les entiers naturels, est notĂ© ω.
  3. Enfin, Georges Ifrah, dans son encyclopĂ©die « L'histoire universelle des chiffres », explique que la graphie de l'infini remonte Ă  la civilisation indienne, et plus particuliĂšrement Ă  la mythologie indienne. L'Ananta (terme sanskrit qui signifie infini), le « serpent infini » du dieu Vishnu, est reprĂ©sentĂ© enroulĂ© sur lui-mĂȘme Ă  la maniĂšre d'un « huit renversĂ© ».

Notons que l'on peut en obtenir un trĂšs bel exemplaire en traçant la Lemniscate de Bernoulli, courbe Ă©lĂ©gante et simple aux multiples propriĂ©tĂ©s dont celle d'ĂȘtre parcourue infiniment.

Notes et références

Notes

  1. La phusis se prĂ©sente comme la constitution interne des choses et se dĂ©voile donc comme un principe (archĂš). Il faut ici prĂ©ciser que le terme archĂš Ă©tait ambigu dans la langue courante des anciens car il pouvait aussi bien signifier « gouvernement » que « commencement ». Il faut en comprendre que dans l’identification de la nature comme un principe, les phusikoi entendaient rechercher non seulement l’origine du monde mais aussi ce qui continue de le gĂ©rer. L’archĂš est donc un point de dĂ©part et ce qui dĂ©termine le dĂ©veloppement de la chose Ă  laquelle il se rattache.
  2. Aristote lui-mĂȘme n’étaye pas vraiment ce point, il semble qu’il s’agisse simplement d’un constat dĂ©coulant des propriĂ©tĂ©s Ă©noncĂ©es antĂ©rieurement.
  3. Cette définition, due à Richard Dedekind, ne coïncide avec la définition courante que sous l'hypothÚse de l'axiome du choix - voir l'article Ensemble infini.
  4. En fait, ici, par « distance finie » on entend un réel strictement positif.

Références

  1. Paul Robert, Alain Rey, Josette Rey-Debove et alii, Le Petit Robert 1, entrée "infini, ie [I]", Dictionnaires Le Robert, , 2175 p. (ISBN 2-85036-066-X), page 999.
  2. Consulter en ligne le Dictionnaire Gaffiot, aux entrĂ©es : → (la + fr) FĂ©lix Gaffiot, « infÄ«nÄ«tus », p. 814 ; → « fÄ«nÄ­o, fÄ«nis », sur lexilogos.com, (consultĂ© le ), p. 668
  3. Maria RemĂ©nyi, « Histoire d'infini », Pour la Science, no 278,‎ , § introductif (lire en ligne, consultĂ© le ).
  4. Voir sur ce sujet, dans le numĂ©ro spĂ©cial 202 consacrĂ© Ă  L'Infini de la revue Sciences et Avenir, l'article de Denis Delbecq, « Deux mille cinq cents ans pour approcher l'inconcevable », Sciences et Avenir,‎ , p. 26-31.
  5. Delbecq 2020, p. 28, « Giordano Bruno, prophĂšte de l'infini, brĂ»lĂ© vif par l'Église ».
  6. Surtout dans la troisiÚme Méditation métaphysique, selon le philosophe Emmanuel Lévinas, dans son article de l'EncyclopÊdia Universalis sur : « INFINI, philosophie », sur universalis.fr (consulté le ), Introduction.
  7. Ainsi, selon le philosophe des mathĂ©matiques Jean-Toussaint Desanti, « on trouve chez Spinoza, dans la premiĂšre partie de L'Éthique, l'expression achevĂ©e [...] d'un concept philosophique pleinement Ă©laborĂ© de l'infini ». Lire en ligne, dans l'EncyclopĂŠdia Universalis : Jean Toussaint Desanti, « INFINI, mathĂ©matiques », sur universalis.fr (consultĂ© le ), Introduction.
  8. Alexandre KoyrĂ©, Études d'histoire de la pensĂ©e scientifique, Gallimard, coll. « Tel », , 420 p. (ISBN 978-2070703357 et 2070703355, prĂ©sentation en ligne, lire en ligne), avant-propos. Voir aussi la rĂ©Ă©dition en 2014 chez Gallimard, dans la « BibliothĂšque des idĂ©es » : .
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  16. GĂ©rard Huet, Dictionnaire HĂ©ritage du Sanscrit (lire en ligne).
  17. Zero, One, two, Three...Infinity.
  18. Dictionnaire (en anglais) Outils d'étude biblique - 25 décembre 2017.
  19. Voir notamment :
    • Aristote, Physique, Livre III, Paris, Les Belles Lettres, , p. 84-108 ;
    • Jean-Pierre Bernard, L'univers d'HĂ©raclite, Belin, coll. « L'ExtrĂȘme Contemporain », , 317 p. (ISBN 978-2-7011-2055-3), p. 77-109 ;
    • Catherine Collobert, L'ĂȘtre de ParmĂ©nide ou le refus du temps, Paris, KimĂ© (ISBN 978-2-908212-71-6), p. 155-193 ;
    • Jabel JeanniĂšre, Les PrĂ©socratiques, Paris, Seuil, , p. 63-160 ;
    • Robert Lahaye, La philosophie ionienne, Paris, Éditions du CĂšdre, , p. 47-67 ;
    • GĂ©rard Legrand, La pensĂ©e des prĂ©socratiques, Paris, Bordas, coll. « Pour connaĂźtre » (no 34), , p. 25-129 ;
    • Monique Anto-Sperber (dir.), Philosophie grecque, VendĂŽme, PUF, , p. 3-84.
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  23. Plotin, Traités 7-21, trad. Luc Brisson et Jean-François Pradeau, G.F., 2003, p. 259. Note p. 279 : D'aprÚs Aristote, Platon pose l'illimité à la fois dans les choses sensibles et dans les Idées (Physique, III, 4, 203a9-10).
  24. H. Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, 1986, coll. « folio essais », p. 365
  25. Goodman 1992, p. 63
  26. Avicenne 1978-1985, p. 282
  27. Adamson et Taylor 2004, p. 299
  28. Avicenne 1978-1985, p. 343
  29. Avicenne, Psychologie, d’aprĂšs son Ɠuvre AĆĄ-Ć ifāۄ II, trad. J. BakoĆĄ, Prague, Éditions de l’AcadĂ©mie tchĂ©coslovaque des sciences, 1956, p. 28
  30. Adamson et Taylor 2004, p. 297
  31. Goodman 1992, p. 66
  32. Adamson et Taylor 2004, p. 298
  33. Avicenne 1978-1985, p. 265
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  37. (en) Richard Cross, « The Physics of Duns Scotus », dans The Scientific Context of a Theological Vision, Clarendon Press, Oxford, 1998, p. 122-123
  38. Jean-Louis Gardies, Pascal entre Eudoxe et Cantor, « ProblÚmes et controverses », Vrin, Paris, 1984, p. 44
  39. Sondag, Duns Scot : la métaphysique de la singularité, p. 111
  40. Édition vaticane (1950) VII, 86, dans Sondag, Duns Scot : la mĂ©taphysique de la singularitĂ©, p. 112
  41. Jean-Louis Gardies, « Les antécédents scolastiques de la théorie des ensembles », Revue de métaphysique et de morale, vol. 91, numéro 4, octobre-décembre 1986, p. 499
  42. Sondag 2005, p. 118
  43. Aristote, Physique, III, 6, 206 b 32-207 a 15[207 a 7-8], dans Sondag 2005, p. 119
  44. Quodlibet V (Olms, p. 118) dans Sondag 2005, p. 120
  45. Quolibet V (Olms, p. 118) dans Sondag, Duns Scot : la métaphysique de la singularité, p. 107
  46. Aristote, Métaphysique, livre V, c.13, 1020a dans Sondag, Duns Scot : la métaphysique de la singularité, p. 114
  47. Sondag, Duns Scot : la métaphysique de la singularité, p. 115
  48. Reprint de Wadding, Hildesheim, 1968, XII, p. 118 dans Sondag, Duns Scot : la métaphysique de la singularité, p. 119
  49. Williams 2003 et Olivier Boulnois, « Introduction », Sur la connaissance de Dieu et l'univocité de l'étant, Paris, PUF, 1988
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  51. Williams 2003 et (en) William E. Mann, « Duns Scotus on Natural and Supernatural Knowledge of God », dans Adamson et Taylor 2004, p. 249-252
  52. " [L]'infini est le concept Ă  la fois le plus parfait et le plus simple qu'il soit possible d'avoir : il est en effet plus simple que le concept d'ĂȘtre bon ou d'ĂȘtre vrai ou de tout autre concept similaire ; parce que l'infinitĂ© n'est pas un attribut ou une passion de l'ĂȘtre, ou bien de ce dont elle est le prĂ©dicat, mais elle exprime le mode d'ĂȘtre intrinsĂšque de cette entitĂ© ; de telle sorte que quand je dis « ĂȘtre infini » ; je n'ai pas un concept dĂ©rivĂ© comme par accident de l'ĂȘtre ou de la passion, mais un concept par soi-mĂȘme pertinent d'un sujet existant avec un certain degrĂ© de perfection" Ordinatio, I, 2, p. 1, q. 2 ; III, 40, 58 citĂ© dans A. Ghisalberti, « Jean Duns Scot et la thĂ©ologie rationnelle d'Aristote », dans Revues des sciences philosophiques et thĂ©ologiques, tome 83, numĂ©ro 1 (janvier 1999), p. 6
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  54. Olaf Pedersen (2012) - Science and Religion: One World — Changing Perspectives on Reality - p.151 Springer Science & Business Media, 6 December 2012 (ISBN 9400920210) Accessed December 12th, 2017
  55. Edith Wilks Dolnikowski (1995) - Thomas Bradwardine: A View of Time and a Vision of Eternity in Fourteenth Century Thought - front cover BRILL, 1995 (ISBN 9004102264) Accessed December 12th, 2017
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  63. Dan Arbib, Descartes, la métaphysique et l'infini, Paris, PUF, , 368 p. (lire en ligne)
  64. Adam et Tannery 1897-1913, p. 36
  65. Adam et Tannery 1897-1913, p. 89
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  71. Jean-Baptiste Jeangene Vilmer, « La prudence de Descartes face à la question de l'infini en mathématiques », dans Philosophiques, vol. 34, no 2, 2007, p. 295-316 et « Descartes et les bornes de l'univers : l'indéfini physique », dans Philosophiques, vol. 37, no 2, 2010, p. 299-323
  72. Jean-Baptiste Jeangene Vilmer, « Descartes : l'infinitude de ma volonté ou comment Dieu m'a fait à son image », dans Revue des sciences philosophiques et théologiques, vol. 92, no 2, 2008, p. 287-312
  73. Voir notamment :
    • Henri Gouhier, La pensĂ©e mĂ©taphysique de Descartes, Paris, Vrin, 1987, p. 195-214
    • Jean-Luc Marion, « Le paradigme cartĂ©sien de la mĂ©taphysique », dans Laval thĂ©ologique et philosophique, vol. 3, 1997, p. 785-791
    • ThĂ©rĂšse Nadeau-Lacour, « Levinas, lecteur de Descartes ou l'idĂ©e d'infini comme Ă©vĂ©nement Ă©thique », dans Laval thĂ©ologique et philosophique, vol. 58, no 1, 2002, p. 155-164
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  74. Alexander, Amir (2014) - Guldin et les indivisibles de Cavalieri pour le science.fr - 10 décembre, 2018
  75. Savérien (M., Alexandre) 1773 - Histoire des philosophes modernes: Copernic. Viete. Tycho-Brahé. Galilée. Keple. Fermat. Cassni. Hughens. La Hire. Varignon pp.xxv-xxvj Brunet - 10 décembre, 2018
  76. Volken, H Devant la loi : XIe séminaire interdisciplinaire du Groupe d'étude "Raison et rationalités" : actes p.83 Librairie Droz, 2006 (ISBN 2600009590) - 10 décembre, 2018
  77. Seidengart, Jean (6 Julliet 2015) - Dieu, l'univers et la sphÚre infinie: Penser l'infinité cosmique à l'aube de la science classique nota 115, Albin Michel, - 10 décembre, 2018
  78. Ross, André Cégep de Lévis-Lauzon - 10 décembre, 2018
  79. Pascal, Blaise (Descotes, D; Proust, G) - MisÚre 17 BibliothÚque nationale de France, Universités à Clermont-Ferrand - 8 décembre 2018
  80. Pascal, Blaise (Descotes, D; Proust, G) - Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230) texte actuel BibliothÚque nationale de France, Universités à Clermont-Ferrand - 8 décembre 2018
  81. Pascal, Blaise (Descotes, D; Proust, G) - Disproportion de l’homme BibliothĂšque nationale de France, UniversitĂ©s Ă  Clermont-Ferrand "La fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachĂ©s dans un secret impĂ©nĂ©trable, Ă©galement incapable de voir le nĂ©ant d’oĂč il est tirĂ© et l’infini oĂč il est englouti." - "Manque d’avoir contemplĂ© ces infinis, les hommes se sont portĂ©s tĂ©mĂ©rairement Ă  la recherche de la nature comme s’ils avaient quelque proportion avec elle." "C’est une chose Ă©trange qu’ils ont voulu comprendre les principes des choses et de lĂ  arriver jusqu’à connaĂźtre tout, par une prĂ©somption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu’on ne peut former ce dessein sans une prĂ©somption ou sans une capacitĂ© infinie, comme la nature" - 8 dĂ©cembre 2018
  82. G.A.J. Rogers, « John Locke, English philosopher », Brittanica, (consulté le )
  83. Philosophical beauties selected from the works of John Locke - p.237 T.Hurst 1802 [récupéré 2015-3-28](ed. Locke writes: And hence it is, that in disputes and reasonings concerning eternity, or any other infinite, we are apt to blunder, and involve ourselves in manifest absurdities...)
  84. John Locke - Un Essai Concernant la compréhension humaine, chapitre 17, à l'infini récupéré 7 décembre 2018
  85. Jacqueline Guichard, L’Infini au carrefour de la philosophie et des mathĂ©matiques, Ellipses, 2000 (ISBN 978-2-72987987-7), p. 109 et Burbage et Chouchan 1993, p. 33
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  88. André Robinet, Architectonique disjonctive, automates systémiques et idéalité transcendantale dans la pensée de Leibniz, Vrin, 1986, p. 184
  89. Jean Seidengart, Dieu, l'univers et la sphÚre infinie : penser l'infinité cosmique à l'aube de la science classique, Albin Michel, 2006, p. 496-498
  90. Belaval 1962, p. 206 et 222-225 et Koyré 1962, p. 303
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  93. Critique de la raison pure/Partie 2/Division 2/Livre 2/Chapitre 2
  94. Yvon Gauthier, Hegel, Introduction Ă  une lecture critique, PUF, 2010, p. 42-48
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  96. Jean-Pierre Cléro et Alain Niderst, Le Végétal, Publications de l'université de Rouen, 1938, chapitre sur Hegel
  97. Dictionnaire de Philosophie, p. 94
  98. Denis Souche-Dagues, Recherches hégéliennes, Infini et Dialectique, 1994, p. 59
  99. Hilbert, Sur l’Infini, Göttingen, traduit par AndrĂ© Weil, Paris, 1972, p. 91
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  108. LachiĂšze-Rey 1999, p. 53
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  110. Belna 2000, p. 227
  111. CavaillĂšs 1962, p. 73
  112. LachiÚze-Rey 1999, p. 55 : Rey parle précisément de Galilée, cependant cet argument remonte à Aristote.
  113. Belna 2000, p. 126
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  116. En français dans le texte allemand. CavaillÚs 1962, Correspondances Cantor-Dedekind : p. 211.
  117. Belna 2000, p. 157
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  120. (en) Ignacio JanĂ©, « The role of the absolute infinite in Cantor's conception of set », Erkenntnis, vol. 42, no 3,‎ , p. 375-402 (DOI 10.1007/BF01129011), §3.2
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  138. En particulier aux célÚbres critiques faites par Berkeley envers les « quantités évanescentes ».
  139. Voir (en) C. W. Misner, Kip Thorne & John Wheeler : Gravitation, Freeman & Co. (San Francisco-1973), chapitre 44.
  140. Voir le scan de la page
  141. (en) Earliest uses of symbols of calculus
  142. Cette acception de « nombre indĂ©fini et trĂšs grand » pour le mot latin millě est attestĂ©e chez Tite-Live, Virgile et Horace selon le dictionnaire Gaffiot : (la + fr) FĂ©lix Gaffiot, « entrĂ©e : millě », sur lexilogos.com, (consultĂ© le ), p. 976.

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Voir aussi

Articles connexes

  • Voyages au pays des maths

Liens externes

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