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Nombre cardinal

En linguistique, les nombres entiers naturels zĂ©ro, un, deux, trois, etc. s’appellent des adjectifs numĂ©raux cardinaux.

Le nombre cardinal des deux ensembles X et Y est 4

En théorie des ensembles, le nombre cardinal ou cardinal d'un ensemble E (fini ou infini) est, intuitivement, le « nombre » d'éléments lui appartenant. On peut définir formellement ce « nombre » comme la classe de tous les ensembles équipotents à E (c'est-à-dire en bijection avec E), ou, de maniÚre fort différente, comme le plus petit ordinal équipotent à E.

Le cas fini

Les saisons, les points cardinaux, les fils Aymon, forment trois ensembles partageant une certaine qualité, qu'ils ne partagent pas avec l'ensemble des doigts de la main : on peut mettre en évidence cette qualité en faisant correspondre un à un les éléments respectifs de ces ensembles et dire qu'ils sont de cardinal « quatre »[1]. « Quatre » serait alors la signature de la propriété en question.

De la mĂȘme façon l'ensemble des doigts de la main peut ĂȘtre mis en correspondance, Ă©lĂ©ment Ă  Ă©lĂ©ment, avec l'ensemble des mots {« AmĂ©rique », « Afrique », « Antarctique », « OcĂ©anie », « Eurasie »} ; ces deux ensembles sont en un certain sens Ă©quivalents : on dit qu'ils sont en bijection ou qu'ils sont Ă©quipotents.

Il n'y a en revanche aucun moyen de mettre en correspondance « un Ă  un » chaque point cardinal avec chaque doigt de la main (il n'existe mĂȘme pas d'injection du second ensemble dans le premier) ; on n'a donc pas affaire Ă  des ensembles Ă©quipotents. Il existe cependant une injection du premier ensemble dans le second. On dira que le premier est subpotent au second. La subpotence est une relation de prĂ©ordre dans la classe des ensembles.

Ce que l'on appelle « cardinal » sera en quelque sorte la mesure de la « puissance » d'un ensemble. Un ensemble sera dit fini de cardinal n s'il est Ă©quipotent Ă  l'ensemble de nombres entiers {1, 2, 
 , n} ou de façon Ă©quivalente Ă  l'ensemble {0, 1, 2, 
 , n – 1} qui dans la notation de von Neumann est identifiĂ© Ă  n lui-mĂȘme.

Ainsi donc, tant qu'on s'en tient au fini, les cardinaux apparaissent sous le double aspect de l’équivalence et de l’ordre : chacun d'eux est la signature d'une Ă©quivalence entre ensembles, mais entre eux ils sont ordonnĂ©s par taille.

On verra plus bas que la situation se complique lorsque l'on a affaire Ă  des cardinaux infinis ; ainsi, l'affirmation que de deux cardinaux l'un doit ĂȘtre supĂ©rieur Ă  l'autre dĂ©pend de l'axiomatique choisie : c'est le problĂšme de la comparabilitĂ© cardinale.

Le cas général

DĂ©finition de Frege

Une premiÚre théorie de la cardinalité peut se construire comme une théorie de la relation d'équipotence, sans définir ce qu'est vraiment un nombre cardinal en toute généralité.

La relation d'équipotence étant réflexive, symétrique et transitive sur la classe des ensembles, chaque classe d'équivalence est appelée nombre cardinal ou simplement cardinal.

Cette dĂ©finition, qui paraĂźt trĂšs naturelle, se prĂ©sente parfois dans les exposĂ©s Ă©lĂ©mentaires de la thĂ©orie des ensembles. Cependant, son usage pose certains problĂšmes dans les thĂ©ories usuelles : ainsi la classe des ensembles Ă  un seul Ă©lĂ©ment, qui serait le nombre un, n'est pas un ensemble et n'est Ă©lĂ©ment d'aucune classe, de mĂȘme pour la classe des ensembles Ă  quatre Ă©lĂ©ments, etc., d'oĂč l'impossibilitĂ© de mĂȘme parler d'intervalles de nombres entiers naturels. Ces difficultĂ©s s'apparentent au paradoxe de Russell, qui fut d'ailleurs dĂ©couvert quand ce dernier adressa une lettre critique Ă  Frege[2].

Position du problĂšme

On pourrait, pour contourner ces difficultés, choisir de caractériser un représentant dans chaque classe d'ensembles équipotents entre eux. Ceci peut se faire trÚs simplement dans le cas fini comme suit :

  • L'ensemble vide et les ensembles d'entiers de la forme {1, 2, 
 , n} forment des ensembles de cardinaux deux Ă  deux diffĂ©rents ;
  • Avec la dĂ©finition des « entiers de von Neumann », qui est le cas particulier restreint au fini de la dĂ©finition des ordinaux, l'entier naturel n, vu comme un ordinal fini, est l'ensemble de ses prĂ©dĂ©cesseurs :
    n = {0, 1, 2, 
 , n – 1}, en particulier 0 = ∅, l’ensemble vide Ă©tant le seul ensemble Ă  n'ĂȘtre Ă©quipotent qu'Ă  lui-mĂȘme ;
  • On note card(∅) = 0 et card({1, 2, 
 , n}) = n.

Cependant, l’extension de cette mĂ©thode aux ensembles infinis requiert des outils supplĂ©mentaires :

  • La relation « il existe une injection de l'ensemble X dans l'ensemble Y » est un prĂ©ordre partiel sur les ensembles ;
  • Si deux ensembles A et B sont Ă©quipotents, il existe Ă©videmment une injection de chacun des deux dans l'autre ;
  • Le thĂ©orĂšme de Cantor-Bernstein permet de montrer la rĂ©ciproque : deux ensembles sont Ă©quipotents dĂšs qu'il existe une injection de chacun d'eux dans l'autre. Ainsi, l'Ă©quipotence est la relation d'Ă©quivalence associĂ©e au prĂ©ordre, et on a une relation d'ordre (partiel) sur les classes d'Ă©quipotence ;
  • L'affirmation que cet ordre est total Ă©quivaut Ă  l'axiome du choix : c'est le thĂ©orĂšme de comparabilitĂ© cardinale (dĂ» Ă  Friedrich Hartogs[3]). Sans cet axiome, Ă©tant donnĂ©s deux ensembles E et F, il n’existe pas nĂ©cessairement d’injection de E dans F ni de F dans E ;
  • On voit donc que la dĂ©finition du cardinal est dĂ©pendante de l’axiome du choix. L’axiome du choix Ă©quivaut Ă  l’existence d’un bon ordre sur tout ensemble ;
  • Dans la thĂ©orie des ensembles ZF (de Zermelo-Fraenkel) et ses extensions, on dĂ©finit une classe de reprĂ©sentants de tous les bons ordres : les nombres ordinaux, gĂ©nĂ©ralisation des nombres entiers dont la reprĂ©sentation en thĂ©orie des ensembles est due Ă  von Neumann. Il s'agit d'une classe propre, elle-mĂȘme bien ordonnĂ©e donc en particulier totalement ordonnĂ©e.

DĂ©finition

Dans ZFC (théorie des ensembles de Zermelo-Fraenkel avec axiome du choix) un nombre cardinal est alors défini comme un nombre ordinal (de von Neumann) qui n'est équipotent à aucun ordinal qui lui soit strictement inférieur. Le cardinal d'un ensemble est le plus petit ordinal auquel cet ensemble est équipotent.

Tous les entiers naturels, identifiĂ©s Ă  des ordinaux finis, sont des cardinaux en ce sens. Les cardinaux infinis sont reprĂ©sentĂ©s au moyen de la lettre hĂ©braĂŻque aleph : â„”. Le plus petit cardinal infini est ℔₀. C'est le cardinal de l'ensemble N des entiers naturels, qui est Ă©galement dĂ©signĂ© en tant que nombre ordinal par ω. Le cardinal immĂ©diatement supĂ©rieur est ℔₁, etc. D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale — dans ZFC â€” un cardinal infini quelconque peut toujours[4] s'Ă©crire ℔α, oĂč α est un ordinal. NĂ©anmoins la classe des alephs peut ĂȘtre dĂ©finie plus gĂ©nĂ©ralement dans ZF et, en l'absence de l'axiome du choix, ces cardinaux sont ceux des ensembles bien ordonnables (l'axiome du choix Ă©quivaut, dans ZF, Ă  « tout cardinal infini est de la forme »)[5].

Propriétés générales

Exemples

card(ℚ) = ℔₀ := card(ℕ).
(théorÚme de Cantor).
Ce cardinal se note Ă©galement , dit cardinal du continu.
  • On dit qu'un ensemble a la puissance du continu si son cardinal est (« puissance » Ă©tait utilisĂ© dans le sens de « cardinal », et a donnĂ© Ă©galement Ă©quipotent).
  • De mĂȘme que ℕk est Ă©quipotent Ă  ℕ, pour tout entier k > 0, ℝk est Ă©quipotent Ă  ℝ , c'est-Ă -dire de cardinal . L'ensemble ℝℕ des suites rĂ©elles est Ă©galement Ă©quipotent Ă  ℝ.
  • L'ensemble des fonctions continues de ℝ dans ℝ est donc aussi de cardinal , car cet ensemble a au plus la puissance de ℝℚ (et au moins celle du continu).
  • (BA dĂ©signe l'ensemble des applications de A dans B).

Propriétés

  • S'il existe une surjection de A dans B, alors card(B) ≀ card(A).
  • Il n'existe pas de surjection d'un ensemble E sur l'ensemble de ses parties . Un ensemble n'est donc jamais Ă©quipotent Ă  l'ensemble de ses parties, bien qu'il s'injecte dedans par l'ensemble des singletons de ses Ă©lĂ©ments, ce qui permet d'Ă©crire :C'est le thĂ©orĂšme de Cantor ; le point de dĂ©part de la thĂ©orie de la cardinalitĂ© pour les ensembles infinis fut un article de 1874 de Georg Cantor qui montrait que le continu, l'ensemble des rĂ©els, ne pouvait ĂȘtre mis en bijection avec l'ensemble des entiers naturels, et que donc il existait des infinis diffĂ©rents du point de vue de la cardinalitĂ©.
  • Si A est infini alors card(A×A) = card(A). Cet Ă©noncĂ©, qui Ă©quivaut Ă  l'axiome du choix, a de nombreux corollaires. Par exemple, si est infini :
    • si , alors — en particulier, card(A⊔A) = card(A), donc
    • si , alors ;
      • en particulier, si est inclus dans infini avec , alors ;
    • si , alors[6] .
    • l'ensemble Fin(A) des parties finies de A et l'ensemble A<ω des suites finies d'Ă©lĂ©ments de A ont mĂȘme cardinal que A.En effet, card(A) ≀ card(Fin(A)) ≀ card(A<ω) = ∑n∈ℕ card(An) = ∑n∈ℕ card(A) = card(ℕ×A) ≀ card(A×A) = card(A) ;

Les grands cardinaux

L'étude de la cardinalité en théorie des ensembles est toujours un sujet de recherche actif. Les « grands cardinaux » permettent une extension naturelle de la théorie ZFC.

Cardinal inaccessible

L'accessibilité est la possibilité d'atteindre un ordinal ou un cardinal donné à partir des ordinaux plus petits.

Un ordinal ÎČ est dit cofinal dans un ordinal α s'il existe une application strictement croissante f de ÎČ dans α tel que α soit la limite de f au sens suivant :

Par exemple, aucun ordinal strictement plus petit que ℔₀ n'est cofinal dans ℔₀, puisqu'un ordinal strictement infĂ©rieur Ă  ℔₀ est un entier n = {0, 1, 2, 
 , n – 1} et qu'une application strictement croissante dĂ©finie sur {0, 1, 2, 
 , n – 1} est bornĂ©e. Le cardinal ℔₀ est dit alors rĂ©gulier, c'est le cas de tous les cardinaux successeurs.

Par contre, ω est cofinal dans le cardinal ℔ω au moyen de l'application .

Ce cardinal ℔ω est dit alors singulier.

En notant cf(α) le plus petit ordinal cofinal dans α, on obtient cf(ω) = cf(℔ω) = ω.

Les cardinaux se classent alors comme suit :

  • ceux de la forme ℔α+1, indexĂ©s par un ordinal α + 1 successeur d'un ordinal α ;
  • ceux de la forme ℔α, indexĂ©s par un ordinal α limite et qui sont singuliers ;
  • ceux de la forme ℔α, indexĂ©s par un ordinal α limite et qui sont rĂ©guliers.

Ce dernier type de cardinal est qualifiĂ© de faiblement inaccessibles car ils ne peuvent ĂȘtre construits Ă  partir de cardinaux plus petits. On distingue parmi eux les cardinaux fortement inaccessibles qui vĂ©rifient de plus . L'existence de tels cardinaux ne peut se dĂ©duire des axiomes de la thĂ©orie des ensembles ZFC ; ces cardinaux, et d'autres satisfaisant la mĂȘme condition, sont qualifiĂ©s pour cette raison de grands cardinaux.

Les deux premiers types de cardinaux sont qualifiés au contraire d'accessibles, car on peut les construire (dans ZFC) à partir de cardinaux plus petits qu'eux.

HypothĂšse du continu

L'inĂ©galitĂ© card N = ℔₀ < card R = 2℔₀ Ă©noncĂ©e plus haut permet d'Ă©crire ℔₁ ≀ 2℔₀ puisque ℔₁ est le plus petit cardinal strictement supĂ©rieur Ă  ℔₀.

L'hypothĂšse du continu affirme l'Ă©galitĂ© ℔₁ = 2℔₀. On montre que cette propriĂ©tĂ© est indĂ©cidable dans ZFC.

Par extension, l'hypothĂšse gĂ©nĂ©ralisĂ©e du continu Ă©nonce que, pour tout ordinal α, on a ℔α+1 = 2℔α.

Les résultats suivants s'obtiennent en admettant comme axiome l'hypothÚse généralisée du continu.

  • Il y a Ă©quivalence entre les notions de cardinaux faiblement inaccessibles et fortement inaccessibles.
  • L'ensemble ℔α℔ÎČ des fonctions de â„”ÎČ dans ℔α a pour cardinal :
    • ℔α si â„”ÎČ < cf(℔α) ;
    • ℔α+1 si cf(℔α) ≀ â„”ÎČ â‰€ ℔α ;
    • â„”ÎČ+1 si ℔α ≀ â„”ÎČ.

Une reformulation de l'hypothĂšse du continu est que R, l'ensemble des rĂ©els, est bien ordonnable de type â„”1. C'est un Ă©noncĂ© plus fort que le simple fait que R peut ĂȘtre bien ordonnĂ©, qui Ă©quivaut dans ZF Ă  l'axiome du choix sur les sous-ensembles des rĂ©els.

Une forme forte de l'hypothÚse généralisée du continu, énoncée pour des ensembles infinis quelconques, a pour conséquence l'axiome du choix (voir l'article Ordinal de Hartogs).

Notes et références

  1. R. Maillard, G. Girard et A. Lentin, Mathématiques, classe de seconde, 1964.
  2. . Une solution, due Ă  Dana S. Scott, consiste Ă  utiliser l'ensemble des x de rang minimum contenus dans une telle classe, ce qui suppose l'axiome de fondation.
  3. Voir par exemple Gillman 2002, p. 550-551.
  4. René Cori et Daniel Lascar, Logique mathématique, Dunod, Paris 2003, vol. 2, chap. 7, § 4.13, p. 163.
  5. Voir par exemple le chapitre 11 (Cardinal numbers in Set Theory without Choice) dans Jech 1973.
  6. Voir par exemple Jech 2003, p. 50, preuve du théorÚme 5.20 (ii).

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article : document utilisĂ© comme source pour la rĂ©daction de cet article.

  • Patrick Dehornoy, Logique et thĂ©orie des ensembles, Notes de cours, FIMFA ENS, 2006-2007, chapitre 5 : Les cardinaux
  • (en) Thomas Jech, Set Theory : The Third Millennium Edition, Springer, coll. « Springer Monographs in Mathematics », (1re Ă©d. 1978), 772 p. (ISBN 978-3-540-44085-7, lire en ligne)
  • (en) Akihiro Kanamori, The Higher Infinite: Large Cardinals in Set Theory from Their Beginnings, Springer-Verlag, Berlin, 1994, xxiv+536 p. Seconde Ă©dition, Springer, coll. Monographs in Mathematics, 2008 (ISBN 978-3540003847)
  • (en) Leonard Gillman, « Two Classical Surprises Concerning the Axiom of Choice and the Continuum Hypothesis », The American Mathematical Monthly, Mathematical Association of America, vol. 109,‎ , p. 544-553 (lire en ligne). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • (en) Thomas Jech, The Axiom of Choice, North-Holland, (ISBN 0720422752). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
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