Accueil🇫🇷Chercher

Histoire de l'agence d'information Havas

L’histoire de l'agence d'information Havas, allant de 1832 à 1944, est le reflet de la croissance du marché des informations à travers le monde, sur lequel l'agence française a conservé une emprise internationale, par le biais d'une diplomatie à l'échelle de la planète.

Histoire

Les débuts, comme bureau de traduction

L'histoire de l'agence d'information Havas a commencé sous la forme d'un modeste bureau de traduction de journaux étrangers fondé en 1832 par Charles-Louis Havas, ex-négociant devenu journaliste à la suite de sa faillite personnelle en 1825. Rival de la maison Rothschild, Charles-Louis Havas occupe une position stratégique d'informateur relais, depuis la capitale française, au centre de l'Europe. Ses informations et traductions alimentent la spéculation entre Londres et Paris[1]. Sa petite entreprise devient la plaque tournante de l'information, idéalement située à Paris, au cœur du continent, en face de la poste centrale. Avec une grande rapidité, ce bureau Havas établit sa suprématie face à d'autres « offices de correspondance » français, appelée aussi « agencicules » par les historiens. En seulement 25 ans, de 1832 à 1857, tous les concurrents sont éliminés et Havas acquiert une position de monopole[2].

Selon l’historien Antoine LefĂ©bure, qui a travaillĂ© sur les fonds d'archives de la branche information d'Havas, dĂ©posĂ©s aux Archives nationales, ainsi que sur des archives entreposĂ©es dans d'autres Ă©tablissements publics, la « branche » information, sur laquelle est venue ensuite se greffer la branche publicitĂ©, a bĂ©nĂ©ficiĂ© d'un « traitement de faveur des autoritĂ©s françaises, dès les annĂ©es 1830 », grâce aux bonnes relations entretenues par Charles-Louis Havas avec l'administration[3]. Sa marge de manĹ“uvre « dĂ©pend de la politique tĂ©lĂ©graphique de l'État », prĂ©cise MichaĂ«l Palmer, un autre historien[2]. Jusqu'en 1940, elle tirera sa force, selon Antoine LefĂ©bure, d'un statut d'agence « officiellement officieuse », pour ne la perdre que lorsque la mainmise de l'État apparaĂ®tra par trop voyante : subventions en 1931, afin d'assurer le maintien de la prĂ©sence en AmĂ©rique du Sud, puis par la nationalisation de la branche information en 1940. Antoine LefĂ©bure, qui a comparĂ© le dĂ©veloppement des sous-branches « publicitĂ© financière » et « publicitĂ© commerciale », a soulignĂ© que, dès les annĂ©es 1840, la presse quotidienne rĂ©gionale est traitĂ©e en rĂ©gie : elle rĂ©serve des espaces publicitaires Ă  Havas, qui lui fournit Ă©galement des romans, en paiement partiel des abonnements aux dĂ©pĂŞches d'information.

L'année 1838, décisive pour la formation du monopole

En 1838, « l’agence Delaire-Havas » persuade le ministre de l'IntĂ©rieur Camille de Montalivet de relancer la Correspondance ministĂ©rielle, destinĂ©e Ă  la presse de province. Le , elle supplante la Correspondance des journaux ministĂ©riels des dĂ©partements, appelĂ©e aussi Correspondance Lejollivet[4]. Celle-ci s'appelait auparavant la Correspondance spĂ©ciale pour les feuilles ministĂ©rielles des dĂ©partements. DirigĂ©e par M.Labot, avocat auprès de la Cour d'appel, fondateur de la Sentinelle du Peuple, ses « tartines » d'information bureaucratique apparaissent soudain indigestes et moralisatrices[5].

Ce nouveau marchĂ© apporte un avantage financier considĂ©rable Ă  l'entreprise. Delaire reçoit en effet deux subventions, dont une qui varie de 1100 Ă  1 700 francs, versĂ©e tous les trimestres. Au total, sur la pĂ©riode 1840-1841, l'agence Delaire-Havas aurait reçu 200 000 francs de l'État[3].

Le tandem constitué d'Havas et Delaire devance aussi l'Office correspondance, édité par le duo Lepelletier et Bourgoin[6], à qui s'était associé entre 1830 et 1834 Jacques Bresson, avant de créer son journal boursier[7].


Les pigeons puis le télégraphe

Vers 1840, Havas et Delaire diffusent quatre services : une Correspondance politique destinée aux préfets et aux sous-préfets, une autre pour la presse départementale, et un petit bulletin aux membres du gouvernement, résumant les nouvelles de la veille et de la nuit. Le quatrième, pour les banquiers et hommes d'affaires, est une petite feuille synthétique résumant des extraits de journaux, quelques faits boursiers et la cote des obligations.

La décennie sera marquée par un bouleversement technologique: le télégraphe électrique. Jusque-là, le coût d'entretien des centaines de pigeons voyageurs de Charles-Louis Havas est réparti entre ses clients, qui reçoivent ainsi en quelques heures des nouvelles des grandes capitales européennes. Pigeons et télégraphe électrique se complètent tout d'abord: un des employés de l'entreprise, Paul Julius Reuters utilise cette nouvelle combinaison pour créer sa propre entreprise, à Aix-la-Chapelle en 1849, puis à Londres en 1851.

En 1859, Havas, Reuters et l'Agence Continentale allemande concluent les premiers accords dits du « partage du monde »: ils créent un cartel des agences de presse afin de remédier au prix prohibitifs du télégraphe, qui limitent le volume des informations pouvant être diffusée par chacune des agences. Même si les nouvelles viennent de Reuters ou de l'Agence Continentale, elles sont estampillées « Havas » dans les quotidiens français, où une rubrique « télégraphie privée » a fait son apparition en 1853[8] : l'important est qu'elles arrivent par le télégraphe, c'est-à-dire rapidement.

Ces premiers accords sont le prélude à une alliance élargie en 1875 aux États-Unis, avec le premier Traité quadripartite des agences de presse, qui associe la New York Associated Press, déjà concurrencée par la Western Associated Press depuis les années 1860. La Grande-Bretagne est reliée à Hong Kong depuis juin 1871 et depuis 1878 à l'Australie. Ce traité sera profondément réécrit par l'Alliance entre agences de presse de 1902, puis quasiment aboli lors de l'Accord du 26 août 1927 sur l'information.

L'expansion internationale des années 1870

Havas et Reuters s'investissent plus dans les innovations tĂ©lĂ©graphiques des annĂ©es 1870 que l'Agence Continentale, discrĂ©ditĂ©e en 1870 par l'affaire de la DĂ©pĂŞche d'Ems. De 1876 Ă  1879, malgrĂ© le TraitĂ© quadripartite des agences de presse, Havas s'attaque aux terres de l'Agence Continentale au sud-est de l'Europe, en installant des correspondants Ă  Belgrade, Bucarest, Sofia et Constantinople, tout en Ă©tant reprĂ©sentĂ©e Ă  Athènes. Dès le , lorsque Ă©clate la guerre de la Serbie et du MontĂ©nĂ©gro contre la Turquie, Havas veut en savoir plus sur ce conflit, mĂŞme si Reuters refuse d'envoyer un correspondant commun. En octobre 1876, après l'ultimatum russe Ă  la Turquie, Havas se dit mĂ©contente que l'Agence Continentale ait sous-traitĂ© la couverture des opĂ©rations Ă  une agence officieuse russe, appelĂ©e tantĂ´t « Agence gĂ©nĂ©rale russe », tantĂ´t « Agence internationale », et qui n'assure pas un service satisfaisant.

Les reporters d'Havas débarquent à Saint-Pétersbourg en novembre, à Bucarest et Constantinople en décembre, puis à Roustchouk en avril 1877. Mission: assurer un service régulier pour Havas en pleine zone de l'Agence Continentale. Un contrat est signé à Saint-Pétersbourg avec l'agence russe officielle le . Puis c'est avec la Roumanie en juillet 1877 et avec la Bulgarie en 1879. Cette expansion à l'est suit l'effort d'investissement réalisé deux ans avant par Havas en Amérique du Sud, à partir de 1874, prélude à l'Histoire des agences de presse en Amérique du Sud. Elle s'effectue sur fond de progrès technologique, mouvement qui fait peur aux gouvernements, attachés à contrôler l'information. Graham Bell invente le téléphone dès 1875, même s'il faudra attendre encore douze ans pour la première ligne téléphonique Paris-Bruxelles. Dès octobre 1880, une dépêche télégraphique est transmise en trente-huit minutes de Melbourne à Londres.

Parallèlement, Ă  partir de juillet 1876, Havas exploite seule l’AmĂ©rique du Sud, après avoir dĂ©ployĂ© 9 bureaux en deux ans avec son associĂ©e Reuters. En 1875, le prix d'un mot pour le BrĂ©sil s'Ă©lève Ă  40 francs et le trafic ne dĂ©passe pas 200 mots certains mois[9]. Les recettes s'avèrent insuffisantes pour couvrir ces coĂ»ts. Havas insiste cependant, mĂŞme si Reuters prĂ©fère alors se dĂ©velopper en Asie et dans le Pacifique, Ă  l'exception cependant du Tonkin, oĂą s'installe Ă©galement Havas.

La transformation en société anonyme de 1879

En 1879, juste après le vote des lois sur le télégraphe de 1878, Havas est transformée en société anonyme, période à partir de laquelle, l'agence se serait mise « sous la tutelle de la Banque de Paris et des Pays- Bas », selon Antoine Lefébure[10]. Plusieurs des familles qui sont alors actionnaires le seront toujours trente ans plus tard[11], mais ce n'est pas le cas de celle du banquier Jacques Laffitte.

La société est valorisée 8,5 millions de francs, avec 7,5 % du capital cédé au baron Émile d'Erlanger. La publicité est regroupée alors dans la Société générale des annonces. Les deux entreprises demeurent étroitement liées : mêmes dirigeants et mêmes familles actionnaires (Lebey, Cerf, Lagrange, Fauchey et Laffite). Mais les statuts sont différents : la SGA est une société en commandite, Havas une société anonyme.

Cette claire séparation entre l'information et la publicité ne durera que 41 ans. En 1920, la Société générale des annonces sera entièrement absorbée par l'Agence Havas, les deux entreprises ne font plus qu'une. Une décision obtenue[12] par Léon-Prosper Rénier, qui deviendra, en 1924, directeur et président du conseil d'administration de l'agence, poste conservé jusqu'à la Libération[13]. Jusque-là, il s'agissait essentiellement d'un poste honorifique, occupé par un autre célèbre publicitaire français, Charles Laffite, neveu et héritier de Mathieu Laffite. Charles Laffite avait directement sous ses ordres deux vice-présidents opérationnels, Léon-Prosper Rénier pour la publicité et Charles Houssaye pour l'information.

La branche information profite aussi du développement de la Bourse de Paris. Dix ans plus tard, la Bourse bénéficiera en tout premier lieu à la branche publicité, générant des conflits d'intérêts : le désir de capter la publicité financière lors d'opérations géantes, comme le placement dans le public des emprunts russes se fait au détriment de la neutralité de l'information. Selon l’historien Antoine Lefébure, « Havas a été l'un des principaux instigateurs de la corruption de la presse française par des gouvernements étrangers[14] », même si ce problème était déjà très ancien. Le journaliste Ernest Merson, rédacteur en chef de l'Union bretonne de Nantes, est ainsi bénéficiaire d'une subvention gouvernementale dès 1862[15].

Années 1880 et 1890 : Havas en difficulté

Protégée par le gouvernement français depuis le Second Empire, Havas est moins exposée à la concurrence intérieure que Reuters, qui doit partager son marché international avec la Central Press depuis 1863 et le marché anglais avec la Press Association depuis 1868. Un troisième concurrent britannique à Reuters apparaîtra même en 1890 à Londres : l'agence Dalziel. En France, seul Georges Fournier[16] a créé en 1874 l'agence de presse Fournier, au capital de 1,5 million de francs[17], mais il se cantonne au strict terrain de l'information financière.

Les annĂ©es 1880 sont plus difficiles pour Havas: de nombreux quotidiens français n'hĂ©sitent pas Ă  la concurrencer directement pour profiter des innovations technologiques de Walter P. Phillips et Émile Baudot. Les lois sur le tĂ©lĂ©graphe de 1878 ont abrogĂ© le monopole d’État et instaurĂ© un tarif rĂ©duit pour les dĂ©pĂŞches transmises de 16 heures Ă  10 heures. Les journaux rĂ©clament Ă  l'administration des postes des « fils spĂ©ciaux Â», posĂ©s sur 8 800 kilomètres, qu'ils louent Ă  Havas ou exploitent directement. TĂ©moin du succès de cette Petite presse aux ambitions nouvelles, le Petit Lyonnais qui tire Ă  120 000 exemplaires face Ă  5 concurrents et s'ouvre largement Ă  l'actualitĂ© internationale, ou encore La Petite Gironde, dont le directeur Jules Chapon crĂ©e en 1884 une rĂ©daction parisienne qui devient l'Agence tĂ©lĂ©graphique rĂ©publicaine en 1885, regroupant les déçus d'Havas.

Les lecteurs parisiens rĂ©clament eux aussi des contenus moins institutionnels et s'inspirant du nouveau journalisme amĂ©ricain, plus vivant, plus neutre et plus nourri de reportages, mis Ă  l'honneur Ă  Cleveland et DĂ©troit par l'Empire de presse Scripps-Howard. Pour rĂ©pondre Ă  cette demande, le journaliste Samuel S. Chamberlain, secrĂ©taire de James Gordon Bennett junior, a lancĂ© fin 1882 Ă  Paris, The Morning News quotidien d'informations en langue anglaise. En 1884, il lance aussi Le Matin, Ă©galement pour du « nouveau journalisme Â» Ă  l'amĂ©ricaine mais, cette fois, francophone. Ces deux quotidiens s'abonnent aux nouvelles de la Central News britannique et s'alimentent au câble transatlantique posĂ© par la Commercial Cable Company de John William Mackay et James Gordon Bennett junior, court-circuitant Ă  moindre coĂ»t le rĂ©seau Reuters qui passe par Londres. Au mĂŞme moment aux États-Unis, les diffĂ©rentes versions de l'Associated Press sont concurrencĂ©es par la crĂ©ation en 1882 de l'United Press.

Havas peine aussi Ă  satisfaire la soif de nouvelles du monde manifestĂ©e par le journal Le Temps, modelĂ© en partie sur The Times, le prestigieux quotidien britannique. Le succès de ces diffĂ©rents titres parisiens inquiète Havas, qui lance un concurrent au quotidien Le Matin. Ce sera Le Matin français, qui est lui abonnĂ© aux services de l'agence française et dirigĂ© par Alfred Edwards[18], transfuge du Matin. Le nouveau titre annonce que ses informations « au lieu d'ĂŞtre spĂ©cialement anglaises, seront plus Ă©galement rĂ©parties sur toutes les surfaces du globe »[2]. Les deux Matin ne fusionnent qu'en 1887. Havas dĂ©cide de fournir des informations supplĂ©mentaires de l'Ă©tranger aux quotidiens qui le souhaitent, sous forme d'un « service spĂ©cial », dont le contenu est repris dans le service gĂ©nĂ©ral, mais sous forme plus rĂ©duite. Londres doit y contribuer Ă  hauteur de 200 Ă  1 000 mots par jour, Rome pour 80 Ă  400 mots, Berlin 120 mots et Bruxelles de 50 Ă  200 mots par jour[19].

Peu de temps après c'est la concurrence de l'agence Dalziel, fondée en 1890 à Londres, mais qui ouvre des bureaux à Paris, Berlin et Genève dès [20]. Profitant des contacts au Journal des débats de Jules-Hippolyte Percher, l'ami de Paul Crampel, elle s'implante aussi en Afrique, en Tunisie et en Algérie[21] et s'assure une liaison directe avec New York grâce à la Compagnie française du télégraphe de Paris à New-York d'Augustin Pouyer-Quertier[22]. Ainsi, les journaux de James Gordon Bennett junior ne sont ainsi plus les seuls à bénéficier d'un lien direct avec New York. Accusée de favoriser l'Angleterre, l'agence Dalziel, qui bat souvent Havas sur des faits divers à sensation[23], se heurte cependant rapidement à un tir de barrage nationaliste des principaux quotidiens clients d'Havas et elle doit fermer ses portes en 1893.

Années 1890 : le conflit avec l'agence Continentale se durcit

La couverture des élections allemandes de 1887 par l'agence Continentale (AC) étant jugée trop favorable au gouvernement de Bismarck, les deux quotidiens français les plus tournés vers l'actualité internationale, Le Soleil et Le Temps envoient à Berlin leurs propres correspondants. Deux mois après, nouvelles critiques contre l'AC après l'affaire Schnaebelé, incident diplomatique franco-allemand du .

De 1887 Ă  1889, Bismarck va tenter de « torpiller l'alliance existant entre les grandes agences » pour y substituer une « Triple alliance tĂ©lĂ©graphique », « qui Ă©choue de peu »[24]. L'agence Continentale n'a pas suivi l'expansion mondiale d'Havas et Reuters mais elle entend bien reconquĂ©rir par ce biais l'Europe de l'Est Ă  Havas, grâce au Telegraphen Korrespondantz Bureau de l'Empire austro-hongrois, fondĂ© en 1860 et Ă  l'agence Stefani italienne. Havas avait acquis 50 % du capital de cette dernière en 1865, devenue en 1881 nationaliste sous la direction d'Hector Friedländer. Le prĂ©sident du conseil italien Francesco Crispi se fait le promoteur de la rupture avec Havas, accusĂ©e de propager des informations fausses ou tendancieuses, d'encourager la politique Ă©trangère de la France.

La marque des Lebey et des Houssaye

Lors de l'engouement des particuliers français pour les emprunts russes, le directeur d'Havas est Édouard Lebey, fils du directeur de la Société générale des annonces, Jacques-Édouard Lebey. Il fait savoir à la Russie qu'il est prêt à confondre les deux activités, information et publicité, afin de mieux convaincre les Français de souscrire : « l'agence Havas peut obtenir ce résultat non seulement par la publicité payante mais aussi par ses dépêches qui sont reproduites par tous les journaux, et qui, dans les circonstances actuelles, peuvent favoriser grandement l'entente franco-russe », écrit-il[25]. Avec son bras droit Henri Houssaye (Havas), il fait installer sur le toit de l'agence un mât de TSF dès 1896. Sous l'impulsion d'Édouard Lebey, dans certains pays, Havas déborde de son activité de presse pour se lancer dans le commerce et l'immobilier.

Charles Houssaye, neveu d'Henri, monte à Paris en 1896 à l'âge de 26 ans, puis est envoyé très rapidement à Buenos Aires pour tisser un réseau d’agences et de correspondants à travers toute l’Amérique du Sud, dans le cadre du « partage du monde » entre les grandes agences. Son oncle Henri Houssaye devient directeur en 1900 et doit démissionner en . Charles Houssaye, à 37 ans reprend alors la direction d’Havas, après avoir occupé pendant un an la direction de l'information au sein d'un triumvirat[26]. Assisté par André Meynot, directeur du service étranger d'Havas, il renforce les liens entre Havas et Radio-Paris, accueilli dans les locaux de l'agence, place de la Bourse.

En 1908, l'agence Havas a 400 correspondants en France et 40 bureaux Ă  l'Ă©tranger. En 1912, elle installe un bureau permanent Ă  Rabat puis en 1913 c'est un correspondant permanent Ă  New York et Ă  Saint-PĂ©tersbourg. En 1914, Havas emploie 350 personnes au siège et une centaine Ă  l'Ă©tranger. Le premier contrat entre La Presse Canadienne et l'agence Havas sera signĂ© en 1930, annĂ©e oĂą l'agence produit en moyenne 80 000 mots par jour, 100 000 au maximum sur l'ensemble de ses destinations. En 1918, se crĂ©e une nouvelle concurrente, disposant de liens en Grèce, l'agence Radio.

Années 1920 : opportunités ratées en Europe et en Asie, rideau en Amérique latine

Lors de l'Armistice de 1918, Havas est favorisĂ©e par le dĂ©mantèlement imposĂ© Ă  l'agence Continentale allemande et au Telegraphen Korrespondantz Bureau autrichien. Les agences nationales qui succèdent Ă  ce dernier, la Magyar Távirati Iroda (MTI)[27] en Hongrie, la ÄŚeská tisková kancelář (CTK) en TchĂ©coslovaquie et l'agence Rador en Roumanie doivent s'allier avec Havas, qui n'a pas su empĂŞcher leur Ă©closion au dĂ©but des annĂ©es 1920. En Turquie, elle est mĂŞme Ă©vincĂ©e par l'agence Anadolu dès 1923[28]. Elle perd ensuite l'agence de presse Fabra en Espagne en 1926, sans regagner l'agence Stefani en Italie. Seul succès, la Suisse, vers laquelle Havas diffuse 100 000 mots par jour dès 1923, soit un doublement en dix ans[29].

La rivale Reuters s'est affaiblie dans ses bastions, l'Asie et le Commonwealth, discréditée pour avoir relayé à outrance la propagande de guerre du gouvernement britannique. L'agence française tente d'en profiter en lançant en 1924 l'Agence radiotélégraphique de l'Indochine et du Pacifique, dotée d'un puissant émetteur à Saïgon[30] mais sans percer. D'autres le font mieux qu'elle. En Chine, la Central News Agency, créée en 1924 par les nationalistes du Kuomintang ne réalisera des échanges avec Havas que plus tard. Au Japon, l'agence Kokusaï a cessé en 1923 de constituer une simple filiale de Reuters et devient la coopérative de journaux japonais Shimbum Ringo, indépendante, qui ne traite avec Havas qu'en 1931, pour un échange de services radio. Reuters recule aussi en Australie face au United Service créé en 1911 par Keith Murdoch, qui s'est retourné vers un nouvel allié à l'Australian Press Association. Recul également au Canada, après l'apparition en 1923 du British United Press et la transformation en coopérative de La Presse Canadienne, la même année. Mais au Québec francophone, Havas ne parviendra à signer un contrat avec le quotidien La Presse, fondé depuis 1884, qu'en 1930. Et à partir de 1925, Reuters se transforme à son tour en coopérative de journaux, contrôlée par la Press Association, et remonte la pente dans plusieurs de ses anciennes zones fortes.

En AmĂ©rique latine, oĂą les allemands avaient tissĂ© des liens avant-guerre, c'est au contraire Havas qui est pĂ©nalisĂ©e dès 1918, discrĂ©ditĂ©e par la propagande diffusĂ©e pendant la guerre. Les quotidiens chiliens se passent de ses services[31], ceux d'Argentine prĂ©fèrent les agences amĂ©ricaines, et les mexicains sont alimentĂ©s en informations gratuites par des officines allemandes[32]. Les recettes sont « insignifiantes » au PĂ©rou, en Équateur, au Mexique et en Colombie[33]. MĂŞme au BrĂ©sil, elles ne couvrent pas les dĂ©penses. Le Quai d'Orsay s'alarme de cette situation et propose de subventionner Havas[32], mais sans pouvoir enrayer la chute. L'agence doit fermer son service « AmĂ©rique latine » pendant deux ans en 1922[34]. Le dĂ©ficit dans cette rĂ©gion est ensuite comblĂ© par l'État, via un crĂ©dit mensuel qui atteint 300 000 francs en 1930[33].

En France, tout comme les Messageries Hachette et les 4 grands quotidiens, Le Journal, Le Matin, le Petit Journal et Le Petit Parisien[35], Havas milite pour la défense des situations acquises et profite surtout de la très forte croissance de sa branche publicité, qui déménage du 8 place de la Bourse au 62 rue de Richelieu. À la direction, le commercial Léon-Prosper Rénier table alors sur une multiplication par deux ou par quatre des budgets des grands annonceurs, dans une France d'après-guerre où tout est à reconstruire, y compris la notoriété des marques[36].

Dès 1920, la fusion avec la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale des annonces permet un apport de 10 millions de francs, sous forme de 20 000 actions de 500 francs, sans compter les biens immobiliers et le fonds de commerce, qui prend de la valeur avec le succès de la publicitĂ©. Le capital passe Ă  27,7 millions de francs en 1921, pour le rĂ©Ă©valuer car il n'avait pas bougĂ© depuis l'entrĂ©e en Bourse de 1879. En 1922, c'est 37 millions de francs, puis 50 millions de francs en 1924, 80 millions de francs en 1927 et 105 millions en 1930[37]. « Compte tenu de la dĂ©prĂ©ciation du franc », les moyens de la sociĂ©tĂ© sont supĂ©rieurs, Ă  partir de 1927, Ă  ce qu'ils Ă©taient en 1921[37]. Mais l'Ă©norme manne publicitaire dĂ©coulant de la forte croissance Ă©conomique des annĂ©es 1920 n'a pas permis Ă  la branche information de gagner de parts de marchĂ©.

Les projets avortés du Front populaire

Après le Krach de 1929, Havas est perçue comme un pilier de « l'oligarchie financière Â», censĂ©ment aux ordres des « deux cents familles Â». La branche information, exsangue, couvre Ă  peine ses frais sur l'annĂ©e 1929[38] alors que la branche publicitĂ© a elle progressĂ© de 80 % en quatre ans, dopĂ©e par la publicitĂ© financière des annĂ©es 1920 et affichant un bĂ©nĂ©fice de 23,5 millions de francs[38]. Elle perdra ensuite des parts de marchĂ© pendant la Grande DĂ©pression, pour ne plus dĂ©tenir en 1936 que le tiers de la publicitĂ© française[39].

En 1936, le gouvernement de Front Populaire de Léon Blum combat Havas, lui reprochant d'avoir pris le contrôle en 1934 du quotidien Le Journal, jugé responsables de la campagne de presse qui a poussé au suicide le ministre de l'Intérieur Roger Salengro. Le directeur de ce quotidien, Pierre Guimier, administrateur d'Havas, est le bras droit du président Léon-Prosper Rénier[40]. L'agence avait pourtant pour politique officielle ne pas investir dans une société éditrice d'un titre abonné à ses services, afin de ne pas donner l'impression de favoriser certains clients. Mais ce principe, proclamé jusqu'en 1877, avait déjà subi de nombreuses entorses. La dernière est d'autant plus mal vécue que la branche information d'Havas est devenue un gouffre financier : le déficit atteint 1,25 million de francs sur l'année 1935, après 0,8 million de francs en 1934[41].

Léon Blum propose alors de séparer Havas en deux entreprises bien distinctes: publicité d'un côté, information de l'autre. Mais Léon-Prosper Rénier lui répond que ce serait condamner la branche information, en déficit depuis six années consécutives[39]. Pour lui, Havas-Information est « un panache, un magnifique panache » et les historiens lui attribuent le souhait d'effectuer « au besoin des sacrifices, ainsi qu'on le fait pour une maitresse flatteuse ou pour une écurie de course qui parfois rapporte un grand prix »[37]. C'est aussi sous Léon Blum, soucieux de rester à l'écart de la Guerre d'Espagne, qu'est diffusée la très controversée Dépêche Havas de Guernica, réécrite par Saint-John Perse.

L'Agence Havas de cette période a aussi été critiquée pour avoir été tentée de transformer son réseau en service d'information pour l'administration, préfets et diplomates, agents consulaires mais aussi agents « de renseignement ». Ainsi, le bureau Havas à Tokyo, qui a réussi en 1932 à signer un contrat avec la coopérative de presse japonaise Shimbum Ringo[42], l'ex-agence Kokusaï, est accusé en 1939 de s'être transformé en maillon de la toile tissée par l'espion soviétique Richard Sorge[43]. Ce dernier avait édifié un réseau pour collecter, via des contacts avec des politiciens influents, des informations sur la politique étrangère du Japon.

Ensuite, les dirigeants d’Havas se compromettent pendant l'occupation allemande. Ses propriétaires et dirigeants seront sanctionnés à la Libération, qui voit démarrer l'histoire de l'Agence France-Presse, appelée à lui succéder.

Chronologie résumée des relations entre agences

Notes et références

  1. Lefébure, p. 65.
  2. Palmer, p. 41.
  3. Gilles Feyel (dir.), « Les origines de l’Agence Havas : correspondances de presse parisienne des journaux de province de 1828 à 1856 », dans Documents pour l’histoire de la presse nationale aux XIXe et XXe siècles, Paris, Éditions du CNRS, , 339 p. (ISBN 978-2-22202-094-3, lire en ligne), p. 180-181.
  4. « Actes du Congrès national des sociĂ©tĂ©s savantes : Section d'histoire moderne et contemporaine », vol. 93, no 2. ComitĂ© des travaux historiques et scientifiques. Section d'histoire moderne et contemporaine, 1968
  5. « Correspondance Delaire », Revue provinciale, Paris, Bureau de la Revue provinciale, vol. 1-2,‎ , p. 100 (lire en ligne)
  6. Adriano Balbi, Abrégé de géographie rédigé sur un nouveau plan, Bruxelles, A. Florkin Et Ph. Hen, , 650 p. (lire en ligne), p. 144.
  7. Germain Sarrut, Biographie des hommes du jour, industriels, conseillers d'État, t. 4, Paris (lire en ligne), p. 36.
  8. Palmer, p. 42.
  9. Jacques Wolff, « Structure, fonctionnement et évolution du marché international des nouvelles : les agences de presse de 1835 à 1934 », Revue économique, Paris, vol. 42, no 3,‎ , p. 575-601 (DOI https://doi.org/10.3406/reco.1991.409294, lire en ligne, consulté le ).
  10. Lefébure, p. 153.
  11. Marc Martin, « MĂ©dias et Journalistes de la RĂ©publique Â», p. 110.
  12. Jean-Noël Jeanneney, « Sur la vénalité du journalisme financier entre les deux guerres », Revue française de science politique, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, vol. 25, no 4,‎ , p. 717–739 (DOI 10.3406/rfsp.1975.393627, lire en ligne Accès libre, consulté le ).
  13. Michael Palmer, « Havas, les arcanes du pouvoir (Antoine Lefebure) », Réseaux. Communication - Technologie - Société, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, vol. 11, no 57,‎ , p. 159-163 (lire en ligne Accès libre, consulté le ).
  14. Lefébure, p. 172.
  15. Lefébure, p. 107.
  16. (en) The Literary Year-book, , 816 p. (lire en ligne).
  17. Frédérix, p. 155.
  18. Palmer, p. 116.
  19. Palmer, p. 117.
  20. Palmer, p. 143.
  21. Palmer, p. 48.
  22. Palmer, p. 155.
  23. Palmer, p. 145.
  24. « L'agence Havas et Bismarck : l'échec de la triple alliance télégraphique (1887-1889)», Revue d'Histoire Diplomatique, juillet-décembre 1976, par Michaël Palmer
  25. Palmer, p. 132.
  26. Boyd-Barrett Palmer, p. À préciser.
  27. Frédérix, p. 333.
  28. Frédérix, p. 342.
  29. Frédérix, p. 356.
  30. Frédérix, p. 360.
  31. Le Négoce français au Chili 1880-1929, par Enrique Fernández-Domingo
  32. Documents diplomatiques français 1922, Volume 2, par France. Commission des archives diplomatiques, page 325
  33. Frédérix, p. 362.
  34. Boyd-Barrett Palmer, p. 286.
  35. Lefébure, p. 132.
  36. Frédérix, p. 337.
  37. Frédérix, p. 338.
  38. Frédérix, p. 370.
  39. Frédérix, p. 400.
  40. Lefébure, p. 277.
  41. Frédérix, p. 399.
  42. Frédérix, p. 378.
  43. Lefébure, p. 247-249.

Bibliographie

  • Oliver Boyd-Barrett et Michael Palmer, Trafic de nouvelles : les agences mondiales d'information, Paris, Moreau, , 712 p., 24 cm (OCLC 832661158, lire en ligne).
  • Pierre FrĂ©dĂ©rix, Un siècle de chasse aux nouvelles : de l’Agence d’information Havas Ă  l’Agence France-presse (1835-1957), Paris, Flammarion, , 445 p., 21 cm (OCLC 868392404, lire en ligne).
  • Antoine LefĂ©bure, Havas : les arcanes du pouvoir, Paris, Bernard Grasset, , 406 p. (ISBN 978-2-24641-991-4, OCLC 263291951, lire en ligne).
  • Michael Beaussenat Palmer, Naissance du journalisme moderne, 1863-1914 : des petits journaux aux grandes agences, Paris, Aubier, , 350 p. (ISBN 978-2-70070-346-7, OCLC 299383295, lire en ligne).

Articles connexes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.