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Dynastie des Anges

AprĂšs le renversement de la dynastie des ComnĂšnes, l’Empire byzantin fut gouvernĂ© pendant dix-neuf ans par la dynastie des Anges. Le rĂšgne de son premier reprĂ©sentant, Isaac II Ange, fut marquĂ© par la poursuite du dĂ©clin amorcĂ© sous les deux derniers ComnĂšnes : l’administration de l’État continua Ă  s’effriter pendant que s’accroissait la puissance des grands propriĂ©taires terriens et que se multipliaient les tentatives de sĂ©paratisme rĂ©gional. La Bulgarie et la Serbie amorcĂšrent leur sĂ©paration de l’empire Ă  la faveur de la troisiĂšme croisade.

RenversĂ© par un coup d’État, Isaac II fut remplacĂ© par Alexis III qui se rĂ©vĂ©la encore plus inapte Ă  diriger l’empire, laissant la direction des affaires de l’État Ă  son Ă©pouse pendant qu’à l’extĂ©rieur, les Turcs continuaient leur progression en Asie Mineure, la Bulgarie et la Serbie voyaient leur indĂ©pendance reconnue et l'Europe occidentale prĂ©parait la quatriĂšme croisade. DirigĂ©e en thĂ©orie par Boniface de Montferrat, mais en rĂ©alitĂ© par le doge de Venise, Enrico Dandolo, la croisade s’empara de Zara (actuellement Zadar, en Croatie) avant de se diriger vers Constantinople pour rĂ©tablir le souverain lĂ©gitime, Isaac II, sur le trĂŽne en compagnie de son fils, Alexis IV. Incapables de rembourser les dettes contractĂ©es envers les croisĂ©s, les deux empereurs furent renversĂ©s par Alexis V Doukas. Anxieux de poursuivre leur route vers JĂ©rusalem, les croisĂ©s livrĂšrent l’assaut final contre Constantinople le 12 avril 1204.

Toile de fond : la tentative de relĂšvement des ComnĂšnes

Les derniĂšres dĂ©cennies de la dynastie macĂ©donienne avaient vu l’État mĂ©so-byzantin se dĂ©sintĂ©grer Ă  la suite des luttes internes entre les aristocraties civile et militaire pendant que le territoire de l’empire se morcelait sous les ruĂ©es des Turcs, PetchenĂšgues et Normands[1]. Les ComnĂšnes mirent fin Ă  ce dĂ©clin et, sous leur dynastie, l’Empire byzantin connut une pĂ©riode de redressement qui demeura cependant incomplet[2].

Empire byzantin tel qu'il apparait aux environs de 1180
L'empire byzantin tel qu'il apparait en 1180.

Cinq empereurs (Alexis Ier, Jean II, Manuel Ier, Alexis II et Andronic Ier) tentĂšrent pendant 104 ans de rĂ©tablir le pouvoir impĂ©rial face Ă  une noblesse terrienne qui se substituait progressivement Ă  l’appareil Ă©tatique et aux monastĂšres dont les domaines ne cessaient de s’agrandir[3]. Les trois premiers ComnĂšnes, empereurs Ă©nergiques et entreprenants, parvinrent Ă  mener Ă  bien ce rĂ©tablissement ; toutefois, leurs succĂšs, qui se traduisirent par un affaiblissement de la noblesse, priva l’État de serviteurs de valeur dont le manque se fit de plus en plus sentir sous les deux derniers ComnĂšnes qui ne possĂ©daient pas les qualitĂ©s de leurs prĂ©dĂ©cesseurs[4]. La rĂ©forme du systĂšme monĂ©taire conduite par Alexis Ier permit de relancer la vie Ă©conomique et commerciale, mais cette derniĂšre fut contrariĂ©e par l’ascendant de plus en plus considĂ©rable que prenaient les marchands italiens Ă©tablis Ă  Constantinople, vĂ©nitiens dans un premier temps, puis gĂ©nois et pisans dans un second temps[5].

À l’extĂ©rieur, les ComnĂšnes s’efforcĂšrent de nouer des relations mutuellement profitables avec les puissances occidentales, en particulier avec les puissances maritimes italiennes tout en contrant les projets de conquĂȘtes des Normands. En Asie mineure, ils tentĂšrent d’empĂȘcher la progression des forces turques et d’établir leur suzerainetĂ© morale sur les dynastes armĂ©niens de Cilicie et les principautĂ©s franques de Syrie[6]. Mais il devint Ă©vident au cours de la deuxiĂšme partie du rĂšgne de Manuel Ier que Byzance avait surestimĂ© ses forces dans un monde oĂč la crĂ©ation de royaumes fĂ©odaux Ă  l’Ouest, d’un État turc puissant Ă  l’Est rendait impossible la renaissance de l’empire universel auquel il rĂȘvait. DĂ©butĂ© durant son rĂšgne, le dĂ©clin ne fit que s’accentuer pendant le rĂšgne d’Alexis II et d’Andronic Ier[7].

Ce processus de déclin fut accéléré par les successeurs de Manuel, son fils et son cousin dans un premier temps, puis par leurs successeurs de la dynastie des Ange.

Isaac II (1185-1195 / 1203-1204)

À l’intĂ©rieur, montĂ©e de l’aristocratie terrienne et sĂ©paratisme rĂ©gional

Monnaie d'Isaac II, le premier empereur de la dynastie des Anges dont le rÚgne fut marqué par le début du processus de dislocation de l'Empire byzantin.

Le rĂšgne d’Isaac II Ange (nĂ© ca 1155 – empereur en 1185, dĂ©posĂ© en 1195 ; deuxiĂšme rĂšgne 1203-1204) amorça un processus de dissolution interne qui alla en s’accĂ©lĂ©rant. Les Anges, famille relativement obscure de Philadelphie en Lydie, Ă©taient entrĂ©s dans l’aristocratie impĂ©riale Ă  la faveur du mariage de la plus jeune fille d’Alexis I, la porphyrogĂ©nĂšte ThĂ©odora, avec Constantin Ange, grand-pĂšre d’Alexis. Admise dans le cercle impĂ©rial, la famille vit son prestige et sa fortune s’accroitre rapidement. Plusieurs de ses membres se virent confier des postes importants dans l’armĂ©e, si bien que lors de l’avĂšnement de Manuel, elle comptait dĂ©jĂ  parmi les familles les plus en vue de Constantinople. L’opposition de la famille aux politiques d’Andronic, rendait lĂ©gitime qu’on se tournĂąt vers l’un de ses reprĂ©sentants pour remplacer l’empereur dĂ©chu[8].

Toutefois, son arrivĂ©e au pouvoir fut plutĂŽt le fruit d'un concours de circonstances qu’à un complot bien planifiĂ©. La prise par les Normands de Dyrrachium (aujourd’hui DurrĂ«s en Albanie), puis de Thessalonique (oĂč les Normands infligĂšrent aux habitants le sort qui avait Ă©tĂ© rĂ©servĂ© par les Grecs aux Latins trois ans plus tĂŽt) avait crĂ©Ă© dans la population de Constantinople une indignation qui se transforma rapidement en panique. OutrĂ©e par l’inertie d’Andronic, elle voyait avec la plus grande apprĂ©hension l’armĂ©e normande progresser vers Constantinople. Pour des motifs assez obscurs, Andronic tenta alors de faire arrĂȘter Isaac l’Ange qui avait soutenu la rĂ©volte de NicĂ©e et Ă©tait maintenant assignĂ© Ă  rĂ©sidence. Isaac tua l’officier venu l’arrĂȘter et courut se rĂ©fugier Ă  Sainte-Sophie oĂč il fut rejoint par d’autres membres de sa famille. La foule prit alors fait et cause en faveur d’Isaac et, sous l’impulsion du moment, proclama celui-ci empereur en remplacement d’Andronic qui sĂ©journait alors dans un de ses palais en dehors de Constantinople[9].

possessions normandes au XIIe siĂšcle
L'extension de la puissance normande en 1130

ÂgĂ© de trente ans Ă  son avĂšnement, Isaac n’était guĂšre prĂ©parĂ© Ă  cette tĂąche. De maniĂšres plaisantes mais de caractĂšre brouillon, d’intelligence moyenne, paresseux par nature, seuls ses goĂ»ts pour la chose militaire lui donnaient l’apparence d’un homme d’État : contrairement Ă  Andronic, il rĂ©ussit dĂšs son avĂšnement Ă  lever une armĂ©e et Ă  mettre fin Ă  la progression des Normands[10].

Toutefois, son administration intĂ©rieure s’avĂ©ra dĂ©sastreuse. D’autres familles plus anciennes et plus importantes auraient pu aspirer au trĂŽne ; pour les contrer, il ne trouva rien de mieux que de s’appuyer sur la bureaucratie. DĂšs lors, toutes les pratiques qu’Andronic avaient tentĂ© de rĂ©frĂ©ner rĂ©apparurent[11]. La monnaie fut dĂ©valuĂ©e pour payer les fonctionnaires, les impĂŽts furent augmentĂ©s et les grands propriĂ©taires terriens prirent la place de l’administration civile alors que les magistratures Ă©taient « vendues comme des lĂ©gumes au marchĂ© »[12].

Tout absorbĂ© Ă  maintenir l’équilibre entre factions et familles de la capitale, le gouvernement laissa pĂ©ricliter l’administration des provinces. Au cours du XIIe siĂšcle, les thĂšmes qui constituaient depuis des siĂšcles l’épine dorsale de l’administration civile et militaire de l’État avaient dĂ©pĂ©ri en mĂȘme temps qu’ils se multipliaient. À la fin du siĂšcle, ils Ă©taient deux fois plus nombreux que sous la dynastie macĂ©donienne mĂȘme si le territoire de l’empire s’était considĂ©rablement rĂ©trĂ©ci. En raison de la faiblesse du pouvoir central, leurs fonctions avaient progressivement Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©es par les grands propriĂ©taires terriens dont l’autoritĂ© remplaçait celle des anciens gouverneurs[13]. Michel ChoniatĂšs, frĂšre ainĂ© de NicĂ©tas ChoniatĂšs et mĂ©tropolite d’AthĂšnes, devait ainsi dĂ©crire la situation :

« Les citoyens de Constantinople, tout Ă  leurs soucis de jouir au maximum de leur bonne fortune, n’avaient aucun dĂ©sir de quitter la sĂ©curitĂ© de leurs grilles et de leurs murs, pour jeter un regard vers les villes avoisinantes. Tout ce qu’ils savaient faire Ă©tait d’envoyer les collecteurs de taxes
 des vagues et des vagues qui se succĂ©daient et dont la mission Ă©tait de dĂ©pouiller les villes de ce qui leur restait de richesse[14]. »

Se sentant abandonnés par Constantinople, les pouvoirs locaux et les grands pronoïaires[15]. commencÚrent à se rebeller, voire pour les plus éloignés, à faire sécession.

Certaines de ces rĂ©voltes sont Ă  porter au compte des luttes des grandes familles pour le pouvoir et n’eurent que peu de consĂ©quences pour l’empire. Ce fut le cas par exemple de celle d’Alexis Branas, valeureux gĂ©nĂ©ral qu’Isaac avait chargĂ© dĂšs le dĂ©but de son rĂšgne de repousser les Normands. Lorsque se dĂ©clenchĂšrent les rĂ©voltes de 1185 en Bulgarie, ce fut Ă  nouveau vers Branas qu’Alexis se tourna. La famille Branas faisait partie de l’aristocratie d’Andrinople et s’était abstenue de paraitre Ă  la cour des ComnĂšnes. Branas jugea alors le moment venu de revendiquer le trĂŽne. Une premiĂšre tentative Ă©choua et, aprĂšs s’ĂȘtre vainement rĂ©fugiĂ© Ă  Sainte-Sophie dans l’attente d’un soulĂšvement populaire en sa faveur, il n’eut d’autre choix que de se rendre et d’implorer le pardon impĂ©rial. Ses talents militaires Ă©tant essentiels, l’empereur lui rendit rapidement le commandement des troupes. Une deuxiĂšme tentative vint prĂšs de rĂ©ussir en 1187. AprĂšs s’ĂȘtre fait proclamer empereur dans son fief d’Andrinople, Branas marcha contre Constantinople qu’il soumit Ă  un sĂ©vĂšre blocus. Heureusement pour Isaac, Conrad de Montferrat qui venait d’épouser la sƓur de l’empereur Ă©tait encore Ă  Constantinople et, grĂące Ă  une charge de ses cavaliers francs, parvint Ă  vaincre l’armĂ©e de Branas. Ce dernier fut lui-mĂȘme tuĂ© au cours d’un combat singulier avec Montferrat[16].

D’autres tentatives illustrent plutĂŽt les tendances autonomistes, voire sĂ©paratistes des grands pronoĂŻaires. En Asie mineure, ThĂ©odore Mangaphas gouvernait la ville de Philadelphie, capitale du thĂšme des ThracĂ©siens. Avec l’aide de l’aristocratie locale et de celle des villes avoisinantes de Lydie, ThĂ©odore fit sĂ©cession, se proclama empereur et commença Ă  battre monnaie. Il s’agissait dans ce cas d’une tentative de sĂ©cession limitĂ©e Ă  la rĂ©gion et, contrairement Ă  Branas, ThĂ©odore ne chercha pas Ă  marcher sur Constantinople. AlarmĂ©, Isaac vint l’assiĂ©ger Ă  Philadelphie en 1189, mais l’avancĂ©e de FrĂ©dĂ©ric Barberousse et de la troisiĂšme croisade força Isaac Ă  traiter avec ThĂ©odore qui reçut le pardon impĂ©rial et put continuer Ă  gouverner Philadelphie Ă  condition d’abandonner toute vellĂ©itĂ© de sĂ©cession. Peu aprĂšs cependant, le commandant du thĂšme des ThracĂ©siens, Basile VatatzĂšs, le força Ă  abandonner la ville pour se rĂ©fugier chez les Turcs seldjoukides Ă  Iconium d’oĂč il leva des troupes et ravagea les territoires frontaliers de l’empire jusqu’à sa capture en 1196. Fait prisonnier par Alexis III, il resta en prison pratiquement jusqu’à la conquĂȘte des croisĂ©s. AprĂšs la chute de Constantinople, la rĂ©gion de Philadelphie formera le cƓur de l’empire de NicĂ©e[17].

Certaines de ces tentatives rĂ©ussirent. À la fin du XIe siĂšcle, les habitants de CrĂšte et de Chypre, croulant sous le poids de la fiscalitĂ©, avaient proclamĂ© leur indĂ©pendance, laquelle fut vite rĂ©primĂ©e. En mai 1123, le gouverneur impĂ©rial fut assassinĂ© au cours d’une rĂ©volte, mais il fallut attendre 1184 pour qu’Isaac ComnĂšne, un neveu de l’empereur Manuel ComnĂšne, ne s’empare de l’ile de Chypre et se proclame empereur. Soutenu par la population locale il rĂ©ussit, grĂące Ă  la flotte sicilienne envoyĂ©e par Guillaume II de Sicile, Ă  tenir en Ă©chec l’expĂ©dition navale envoyĂ©e par Isaac II. Toutefois son mĂ©pris pour la population locale et ses institutions le firent dĂ©tester de la population qui accueillit en sauveur Richard CƓur de Lion, au cours de la troisiĂšme croisade[18].

Plus lourde de consĂ©quence pour l’empire fut la sĂ©cession de la Bulgarie et de la Serbie puisqu'elle devait mettre un terme Ă  l’emprise de Byzance sur les Balkans.

La Serbie d'Étienne Nemanja
La Serbie d'Étienne NĂ©manja en 1189

Au dĂ©but du rĂšgne d’Isaac, la paix avec la Hongrie avait Ă©tĂ© scellĂ©e par le mariage de l’empereur avec la fille de BĂ©la III, Marguerite, qui apportait en dot les provinces des Balkans conquises prĂ©cĂ©demment par les Hongrois. L’empereur dĂ©cida de lever une taxe spĂ©ciale sur ces provinces pour payer les frais de la noce, taxe que les Valaques des montagnes (Stara Planina) refusĂšrent de payer. Sur ces entrefaites, deux nobles valaques ou bulgares, les frĂšres Petar et Assen exigĂšrent de l’empereur des terres en pronoĂŻa, demande qui fut cavaliĂšrement rejetĂ©e. Les deux frĂšres retournĂšrent chez eux bien dĂ©cidĂ©s Ă  se venger. Valaques des montagnes et Bulgares des plaines unirent leurs efforts pour faire front commun contre les Coumans, nomades turcs qui, en retour de leur intĂ©gration dans l’armĂ©e impĂ©riale, s’étaient fait donner des terres en pronoĂŻa, terres confisquĂ©es prĂ©cĂ©demment Ă  des Ă©leveurs valaques et bulgares. En 1187, Isaac mena une premiĂšre offensive contre les frĂšres Petar et Assen qui durent franchir le Danube et se rĂ©fugier chez les Coumans. AprĂšs avoir vaincu la rĂ©volte d’Alexis Branas, Isaac reprit l’offensive l’annĂ©e suivante et rĂ©ussit Ă  poursuivre ceux-ci dans la plaine de Sofia. Mais tenaillĂ© par l’insurrection de Chypre et celle de ThĂ©odore Mangaphas en Asie mineure, l’empereur prĂ©fĂ©ra nĂ©gocier une paix qui concĂ©dait aux Valaques et aux Bulgares l’ensemble du pays situĂ© entre le Danube et les Balkans. Un deuxiĂšme empire bulgare Ă©tait nĂ© et Assen reçut la couronne impĂ©riale des mains du nouvel archevĂȘque bulgare dans l’église Saint-DĂ©mĂ©trius de Trnovo[19].

Ce fut le moment que choisit le grand joupan de Serbie, Étienne Nemanja, l'ancien alliĂ© de Manuel II, pour se rapprocher des Bulgares et Ă©tendre son propre domaine aux dĂ©pens de l’empire. Il invita FrĂ©dĂ©ric Barberousse Ă  NiĆĄ et, de concert avec les Bulgares, nĂ©gocia un traitĂ© d’alliance contre Byzance. Pendant que Barberousse tenait les Byzantins occupĂ©s, les Bulgares envahirent la Thrace, pendant que les Serbes s’ouvraient un chemin vers l’Adriatique en occupant la DioclĂ©e et le territoire dalmate jusqu’aux bouches de Cattaro. Ce ne fut qu’aprĂšs la fin tragique de FrĂ©dĂ©ric Barberousse qu’Isaac put reprendre l’initiative dans les Balkans. Étienne NĂ©manja fut battu en 1190 sur la Morava et dut rĂ©trocĂ©der ses anciennes conquĂȘtes ; il n’en gardait pas moins toutefois ses anciennes. De plus, la signature d’un traitĂ© de paix constituait une reconnaissance tacite de l’État indĂ©pendant de Serbie, accord scellĂ© par le mariage d’Étienne, deuxiĂšme fils de NĂ©manja, avec la niĂšce de l’empereur, et l’octroi en sa faveur du titre de sĂ©bastocrator. DorĂ©navant, les relations entre Byzance d’une part, la Bulgarie et la Serbie d’autre part, passaient des affaires intĂ©rieures de l’empire aux affaires Ă©trangĂšres[20].

Politique Ă©trangĂšre : succĂšs initiaux en Europe

Pourtant le rĂšgne d’Isaac II avait commencĂ© Ă  ce chapitre sous les meilleurs auspices.

La chute d’Andronic avait Ă©tĂ© causĂ©e par la progression de l’armĂ©e normande qui, aprĂšs s’ĂȘtre emparĂ©e de Thessalonique, s’était dirigĂ©e vers Constantinople. Mais dĂ©cimĂ©e par des Ă©pidĂ©mies, celle-ci se heurta aux forces d’Alexis Branas. Les Normands avaient divisĂ© leur armĂ©e en trois groupes : une garnison Ă  Thessalonique, un contingent plus Ă  l’est sur le fleuve Strymon et le gros des forces Ă  Mosynopolis (prĂšs de Komotini) en Thrace. Branas tomba d’abord Ă  l’improviste sur les forces stationnĂ©es Ă  Mosynopolis puis s’attaqua au contingent sur le Strymon qu’il vainquit Ă©galement Ă  Dimitritsa en novembre 1185. Leurs commandants capturĂ©s, plus de dix mille hommes de troupe ayant Ă©tĂ© tuĂ©s et quatre mille faits prisonniers, les Normands se retirĂšrent et abandonnĂšrent Thessalonique, d’abord, Dyrrachium et Corfou ensuite, ne gardant que les iles de CĂ©phallĂ©nie et de Zacynthe. Le danger normand Ă©tait dĂ©finitivement Ă©cartĂ©[21].

tombeau de BĂ©la III
Tombeau de Béla III dans l'église Saint-Matthias de Budapest. Sous son rÚgne, la Hongrie deviendra l'une des grandes puissances de la région.

Pendant que les Normands se retiraient, Isaac, aprĂšs avoir conclu une trĂȘve avec le sultan Kilij Arslan, nĂ©gocia la paix avec le roi de Hongrie, BĂ©la III, qui avait envahi les Balkans et se trouvait devant Sofia. Au terme des nĂ©gociations, Isaac devenu veuf depuis peu Ă©pousa la fille de BĂ©la, Marguerite, qui prit le nom byzantin de Marie. Les alliances matrimoniales en dehors de la maison impĂ©riales, interdites sauf en cas d’absolue nĂ©cessitĂ© sous Constantin VII au Xe siĂšcle devenaient ainsi au XIIe siĂšcle une composante lĂ©gitime des tractations diplomatiques[22]. Les Hongrois se retirĂšrent vers le Danube. Certes, les Byzantins durent accepter de perdre la Dalmatie, la Bosnie et Sirmium conquis par BĂ©la sous la rĂ©gence de Marie l’ÉtrangĂšre mais, fait sans doute plus important, ils obtenaient l’aide de la Hongrie dans leur lutte contre les Bulgares et les Serbes[23].

Le mariage de Constance, tante de Guillaume de Sicile, avec Henri de Hohenstaufen, fils et hĂ©ritier de FrĂ©dĂ©ric Barberousse alarma au plus haut point les VĂ©nitiens qui voyaient l’empereur germanique prendre pied dans la pĂ©ninsule italienne en prĂ©tendant Ă  la couronne de Sicile, ancienne possession byzantine. En 1187, les VĂ©nitiens signaient avec Constantinople un traitĂ© au terme duquel ils voyaient tous leurs privilĂšges rĂ©tablis et recevaient la promesse du paiement d’une somme de 100 800 hyperpĂšres en dĂ©dommagement des pertes subies en 1171. Byzance pour sa part s’engageait Ă  dĂ©fendre Venise contre toute attaque, quelle qu’en soit la source, allusion Ă  peine voilĂ©e Ă  l’empereur germanique. Pour remplacer la flotte impĂ©riale, les VĂ©nitiens s’engageaient Ă©galement Ă  construire dans les six mois de 40 Ă  100 galĂšres et Ă  en fournir les Ă©quipages. Cinq ans plus tard, Isaac rĂ©ussit Ă©galement Ă  rĂ©gulariser ses relations avec les Pisans et les GĂ©nois. Deux chrysobulles confirmĂšrent leurs anciens privilĂšges, leurs quartiers Ă  Constantinople furent agrandis et les tarifs douaniers demeurĂšrent limitĂ©s Ă  4 %[24].

Le vent devait tourner avec le passage sur les terres d’empire de la troisiùme croisade.

La troisiĂšme croisade

carte de la troisiĂšme croisade
La troisiĂšme croisade

JĂ©rusalem Ă©tait tombĂ© aux mains de Saladin le 2 octobre 1187. Presque immĂ©diatement, l’empereur germanique FrĂ©dĂ©ric Ier Barberousse, Philippe II de France et Richard CƓur-de-Lion d’Angleterre, prirent la croix.

Richard CƓur-de-Lion et Philippe Auguste se rendirent directement Ă  Acre par mer et n’eurent par consĂ©quent pas de relations directes avec Constantinople. Toutefois, en mai 1191, Richard CƓur-de-Lion profita d’un arrĂȘt pour s’emparer de l’ile de Chypre alors gouvernĂ©e par Isaac ComnĂšne (voir plus haut) qu’il remit d’abord aux Templiers, puis, l’annĂ©e suivante, Ă  Guy de Lusignan, le roi dĂ©posĂ© de JĂ©rusalem. Si Isaac ne pouvait voir qu’avec plaisir l’élimination de son ancien rival, la crĂ©ation d’un État latin Ă  Chypre eut comme consĂ©quence la subordination du clergĂ© grec au clergĂ© latin. Dans un pays oĂč les Grecs Ă©taient en majoritĂ©, la dĂ©gradation de l’épiscopat grec ne pouvait qu’ĂȘtre une autre source d’antipathie entre Grecs et Latins[25].

FrĂ©dĂ©ric Ier choisit la voie de terre et entama des nĂ©gociations avec Constantinople pour traverser l’empire. Un traitĂ© fut conclu Ă  Nuremberg en 1188 par lequel Isaac permettait le libre passage sur ses territoires de l’armĂ©e allemande pourvu que celle-ci s’abstĂźnt de toute violence. Mais FrĂ©dĂ©ric avait aussi entamĂ© des nĂ©gociations avec les souverains d’autres territoires qui se trouvaient sur son itinĂ©raire, dont la Serbie et le sultanat d’Iconium. Comme on l’a vu, Étienne NĂ©manja accueillit avec joie l’ouverture de telles nĂ©gociations et, de concert avec les Bulgares, tous deux proposĂšrent de rendre Ă  FrĂ©dĂ©ric un serment d’hommage qui en faisait leur suzerain en contrepartie d’une alliance contre Byzance. AlarmĂ©, le gouvernement de Constantinople chercha de son cĂŽtĂ© alliance avec l’ennemi mortel des croisĂ©s, Saladin, avec qui ils renouvelĂšrent le traitĂ© d’alliance signĂ© sous Andronic Ier en y ajoutant une clause visant Ă  empĂȘcher le passage des armĂ©es allemandes[26].

FrĂ©dĂ©ric Barberousse vĂȘtu en croisĂ©
FrĂ©dĂ©ric Ier Barberousse, vĂȘtu en croisĂ©. D'aprĂšs une miniature de 1188. BibliothĂšque vaticane

Parti de Hongrie, l’empereur atteignit la frontiĂšre de l’empire en juin 1189; il devait trouver les routes bloquĂ©es, les convois de vivres arrĂȘtĂ©s et apprendre que les ambassadeurs envoyĂ©s pour nĂ©gocier les clauses du transport des troupes d’Europe en Asie avaient Ă©tĂ© jetĂ©s en prison par Isaac. En rĂ©ponse, FrĂ©dĂ©ric se mit Ă  ravager la Thrace, s’emparant de Philippopolis et promettant de continuer jusqu’à ce que ses ambassadeurs soit libĂ©rĂ©s. Il s’ensuivit un Ă©change de correspondance acerbe entre les deux souverains. FrĂ©dĂ©ric rĂ©solut alors de marcher sur Constantinople pendant que son fils Henri, restĂ© en Allemagne, devait obtenir l’accord du pape pour une croisade contre Byzance et lever une flotte pour assiĂ©ger Constantinople. Son deuxiĂšme fils, FrĂ©dĂ©ric de Souabe, reçut comme mission de s’emparer de Didymotique. AcculĂ©, Isaac dut se rĂ©signer Ă  libĂ©rer les ambassadeurs allemands et conclut en fĂ©vrier de l’annĂ©e suivante un traitĂ© au terme duquel FrĂ©dĂ©ric obtenait tout ce qu’il voulait : des navires pour transporter ses troupes en Asie, des prix avantageux pour les vivres dont elles avaient besoin, une compensation financiĂšre pour les ambassadeurs malmenĂ©s et des otages de qualitĂ© comme garantie qu’Isaac remplirait fidĂšlement ses engagements. Tout ce qu’obtenait Isaac en Ă©change Ă©tait que FrĂ©dĂ©ric traverserait par les Dardanelles plutĂŽt que par le Bosphore, Ă©vitant ainsi Constantinople[27].

Au printemps 1190, l’armĂ©e allemande passait en Asie et se disposait Ă  avancer vers JĂ©rusalem lorsqu’elle fut attaquĂ©e par les Turcs tenus au courant de ses mouvements par Constantinople. FrĂ©dĂ©ric rĂ©solut alors de s’emparer d’Iconium et conclut un traitĂ© avec Kilidj Arslan. Toutefois, alors qu’il marchait sur Tarse, il se noya le 10 juin 1190 en tentant de traverser la riviĂšre Calycadnus (aujourd’hui Göksu)[28].

Byzance Ă©tait libĂ©rĂ©e de FrĂ©dĂ©ric Barberousse, mais l’épisode devait ancrer encore plus profondĂ©ment en Occident le sentiment que Constantinople, qui avait entretenu d’excellentes relations avec les États latins du temps de Manuel, avait maintenant tournĂ© le dos Ă  la chrĂ©tientĂ© et entendait profiter de la chute de JĂ©rusalem aux mains de Saladin pour avantager le clergĂ© orthodoxe en Palestine, tout en permettant aux musulmans de s’installer Ă  Constantinople[29]. Il s’en fallait de peu que Constantinople ne devĂźnt l’objectif de la prochaine croisade comme le conseillait FrĂ©dĂ©ric Barberousse dans une lettre Ă  son fils[30].

LibĂ©rĂ© du danger que reprĂ©sentait FrĂ©dĂ©ric Barberousse, Isaac put reprendre l’offensive dans les Balkans. Fort de l’appui des Hongrois, Isaac entreprit en 1195 une derniĂšre campagne contre les Bulgares. C’est le moment que choisit son frĂšre ainĂ©, Alexis, pour le renverser et le faire aveugler[31].

Alexis III (1195-1203)

NĂ© vers 1153, Alexis III avait passĂ© la majeure partie du rĂšgne d’Andronic Ier en Syrie et avait Ă©tĂ© emprisonnĂ© Ă  Tripoli vers 1185-1187[32]. Ne trouvant pas assez prestigieux le nom d’Ange, il affectait de se faire appeler ComnĂšne[33]. Malheureusement il n’avait aucune des qualitĂ©s des premiers empereurs de la dynastie prĂ©cĂ©dente. Si les officiers de l’armĂ©e et la noblesse du palais le portĂšrent au pouvoir en espĂ©rant un personnage plus actif que le malheureux Isaac, ils se trompaient lourdement[34]. À l’intĂ©rieur, l’empereur fut heureux de laisser son Ă©pouse diriger les affaires de l’État, pendant qu’à l’extĂ©rieur, Serbes et Bulgares consolidaient leur empire et que se prĂ©parait la quatriĂšme croisade[35].

Politique intérieure

ExĂ©cutĂ© par les officiers de l’armĂ©e, le coup d’État qui le porta au pouvoir fut fomentĂ© par un groupe reprĂ©sentant les grandes familles de Constantinople dirigĂ©es par ThĂ©odore Branas, Georges PalĂ©ologue, Jean PĂ©traliphas, Constantin Raoul et Manuel CantacuzĂšne[36]. RĂ©alisant que son trĂŽne dĂ©pendait du bon vouloir de ces familles, Alexis suivit la route de la moindre rĂ©sistance, s’efforçant de plaire aux uns et aux autres. Faible de caractĂšre, paresseux et ne faisant rien sans consulter les astres, il laissa sa famille immĂ©diate et en particulier son Ă©pouse, Euphrosyne, de la famille des Doukas, diriger les affaires. TrĂšs ambitieuse, celle-ci, aidĂ©e par son favori, Constantin MĂ©sopotamitĂšs, archevĂȘque de Thessalonique, entreprit quelques rĂ©formes comme la suppression de la vĂ©nalitĂ© des charges ce qui suscita la haine de cette mĂȘme aristocratie qui avait portĂ© Alexis au pouvoir et lui valut d’ĂȘtre provisoirement Ă©cartĂ©e de la cour alors que son favori Ă©tait exilĂ©[37].

les thĂšmes tels qu'ils existaient en 1025
Les thĂšmes tels qu'ils existaient en 1025. Pendant longtemps, les thĂšmes serviront de base Ă  l'organisation administrative de l'empire.

Pourtant, l’administration publique comportait des hommes compĂ©tents comme le chroniqueur NicĂ©tas ChoniatĂšs qui deviendra premier ministre. Mais la vĂ©nalitĂ© des charges sous Isaac II avait conduit Ă  une croissance rapide de la bureaucratie que l’oisivetĂ© de l’empereur laissait diriger Ă  sa guise les affaires de l’État pourvu qu’elle lui permĂźt de satisfaire les gĂ©nĂ©reuses donations de terres et de revenus qu’il ne cessait de faire Ă  ses favoris et aux membres de sa cour. Cette politique eut de lourdes rĂ©percussions sur l’économie des provinces. À Constantinople mĂȘme, lorsqu’Henri VI exigea Ă  NoĂ«l 1196 une somme de 360 000 hyperpĂšres pour monter une nouvelle croisade sous menace de reprendre les anciennes conquĂȘtes normandes en GrĂšce, le peuple refusa de payer. Si bien que l’empereur dut convoquer un « parlement » pour savoir comment rĂ©unir la somme nĂ©cessaire Ă  cette « taxe allemande » (Alamanikon). On en fut rĂ©duit finalement Ă  ouvrir les tombeaux impĂ©riaux pour s’emparer des trĂ©sors qu’ils contenaient. Mais la somme exigĂ©e ne fut pas rĂ©unie; seule la mort d’Henri VI en septembre 1197 apporta un sursis[38].

Quant Ă  l’armĂ©e, elle n’était plus composĂ©e que de mercenaires Ă©trangers, Allemands, Hongrois, Turcs, Varanges et Bulgares. Mal payĂ©s, ses minces effectifs menaçaient en permanence de faire dĂ©fection. Et comme il n’y avait plus de flotte de guerre, la piraterie faisait des ravages. Les corsaires de Venise, GĂȘnes et Raguse profitaient de la situation de faiblesse de l’empire pour en dĂ©vaster les cĂŽtes. Alexis en fut rĂ©duit Ă  nĂ©gocier avec certains d’entre eux comme le GĂ©nois Gafforio, pour qu’ils laissent en paix les navires grecs ou alliĂ©s et viennent vendre Ă  Constantinople le fruit de leurs rapines en en partageant les bĂ©nĂ©fices. Mais les faveurs accordĂ©es Ă  GĂȘnes lui valurent bientĂŽt l’inimitiĂ© de Venise. L’ambassade envoyĂ©e par le doge Enrico Dandolo dut nĂ©gocier pendant trois ans un accord qui, sitĂŽt conclu en 1198, fut violĂ© immĂ©diatement, Alexis III encourageant les Pisans Ă  attaquer Venise pendant que la colonie vĂ©nitienne de Constantinople Ă©tait chargĂ©e d’impĂŽts[39].

Politique Ă©trangĂšre

Affligeante au plan intĂ©rieur, la politique d’Alexis III devait s’avĂ©rer dĂ©sastreuse au plan extĂ©rieur.

En Asie mineure, la population grecque continuait Ă  rĂ©gresser devant la progression des Turcs. En 1197, l’émir d’Angora, MaçoĂ»d s’emparait de Dadibra en Paphlagonie et remplaçait sa population par des Turcs. À la suite d'un incident, le sultan d’Iconium, KaĂŻ-Khosrou, ravagea la vallĂ©e du MĂ©andre l’annĂ©e suivante sans ĂȘtre inquiĂ©tĂ©[40].

Mais la véritable menace se situait en Europe.

La Bulgarie sous Jean Calojean
La Bulgarie sous Jean Colojean qui succéda à ses frÚres Petar et Assen.

Isaac II avait Ă©tĂ© dĂ©posĂ© alors qu’il menait campagne contre les Bulgares et les Valaques dans les Balkans. AussitĂŽt acclamĂ© par les troupes, Alexis, qui accompagnait son frĂšre, se hĂąta de mettre un terme Ă  la campagne et de rentrer Ă  Constantinople, se contentant d’exploiter les divisions qui se faisaient jour entre les chefs valaques. En 1195 et 1196, les Bulgares saccagĂšrent la rĂ©gion de SerrĂšs et dĂ©firent l’armĂ©e byzantine, capturant son chef, le sĂ©bastocrator Isaac ComnĂšne. Heureusement pour les Byzantins, les frĂšres Assen et Petar qui s’étaient sĂ©parĂ©s en 1193, furent assassinĂ©s par leurs boyards en 1196 et 1197 respectivement. Le pouvoir Ă©chu Ă  leur plus jeune frĂšre, Jean, surnommĂ© Kalojean (Jean le Bon) qui, pour avoir Ă©tĂ© envoyĂ© comme otage Ă  Constantinople, portait une haine profonde aux Grecs. AprĂšs qu’il se fut emparĂ© de Varna, Alexis dut nĂ©gocier une entente avec lui en fonction de laquelle les Byzantins conservaient le contrĂŽle de la Thrace mais reconnaissaient officiellement l’indĂ©pendance de l’État bulgare. Pour mettre un terme Ă  l’influence byzantine, Jean entra en nĂ©gociation avec le pape Innocent III, lequel Ă©tait anxieux de ramener les Balkans dans l’influence de Rome. En novembre 1204, soit peu aprĂšs la chute de Constantinople, un lĂ©gat pontifical devait sacrer un patriarche de Bulgarie lequel couronna le lendemain le nouveau tsar dans la cathĂ©drale de Trnovo avec une couronne envoyĂ©e par le pape[41].

Henri VI
Comme son pĂšre, Henri VI voudra se servir de la croisade pour se rendre maĂźtre de Byzance.

Le plus grave danger vint toutefois moins de l’apathie d’Alexis III que de l’esprit de croisade d’Henri VI. Fils de FrĂ©dĂ©ric Barberousse, celui-ci Ă©tait bien dĂ©cidĂ© non seulement Ă  venger la dĂ©bĂącle qui avait suivi la mort de son pĂšre en Orient, mais aussi Ă  reprendre Ă  son compte le rĂȘve d’un empire universel. Son mariage avec Constance de Sicile, hĂ©ritiĂšre lĂ©gitime de Guillaume II lui donnait l’occasion de prendre pied en Italie normande. AprĂšs s’ĂȘtre emparĂ© du royaume Ă  la mort de TancrĂšde de Lecce, fils bĂątard de Guillaume, en 1194 il avait sommĂ© Isaac II de lui restituer les territoires conquis par Guillaume en MacĂ©doine. Il exigeait en outre un Ă©norme tribut (celui qui donna naissance Ă  l’Alamanikon) pour compenser les pertes subies par son pĂšre lors de la troisiĂšme croisade et l’aider Ă  monter une nouvelle croisade. De plus, le mariage en mai 1197 de son frĂšre Philippe de Souabe avec IrĂšne l’Ange, fille d’Isaac II et veuve Ă  seize ans du fils ainĂ© de TancrĂšde, lui permettait de se poser en justicier et dĂ©fenseur de l’empereur dĂ©trĂŽnĂ©[42].

À PĂąques 1195, reprenant l’Ɠuvre de son pĂšre, Henri VI prit la croix et appela Ă  la croisade. Il envoya deux armĂ©es vers la Palestine, l’une par mer, l’autre par voie de terre sous le commandement de l’archevĂȘque de Mayence Conrad Ier de Wittelsbach, sommant l’empereur de fournir Ă  celle-ci les bateaux lui permettant de traverser en Asie. Ses prĂ©tentions orientales furent encouragĂ©es par l’arrivĂ©e en octobre d’une ambassade d’Amaury de Lusignan, devenu roi de Chypre, lui demandant une couronne royale. Cette dĂ©lĂ©gation fut suivie peu aprĂšs par une deuxiĂšme venant de LĂ©on II, seigneur de la Petite ArmĂ©nie. Henri se hĂąta de satisfaire l’une et l’autre demande. Alexis III qui venait de renverser son frĂšre se voyait ainsi pris en tenailles et n’eut d’autre choix que d’agrĂ©er Ă  toutes les conditions. Fort heureusement pour lui, l’annonce de la mort d’Henri VI Ă  Messine, le 28 septembre 1197, sauva Constantinople et permit d’arrĂȘter le dĂ©pouillement des caveaux impĂ©riaux commencĂ© pour rĂ©unir la somme exigĂ©e par Henri[43].

La croisade amorcĂ©e par Henri VI devait faire long feu. Son appel ne fut guĂšre entendu que par les grands de l’empire parmi lesquels les archevĂȘques de Mayence et de BrĂȘme, neuf Ă©vĂȘques, le duc Henri de Brabant, Henri de Brunswick, FrĂ©dĂ©ric d’Autriche et Ulrich de Carinthie. Leur petite armĂ©e partit de Messine Ă  l’étĂ© 1197 et se jeta dĂšs son arrivĂ©e sur les Sarrasins. AprĂšs quelques succĂšs qui leur permirent de s’emparer de Sidon et de Beyrouth, ils apprirent la mort d’Henri VI. La plupart des nobles dĂ©cidĂšrent alors de rentrer laissant leurs soldats affronter seuls une armĂ©e Ă©gyptienne qui venait Ă  leur rencontre Ă  travers le SinaĂŻ. Pris de panique, les armĂ©es remontĂšrent vers le nord oĂč leurs bateaux les attendaient Ă  Tyr d’oĂč ils reprirent la mer[44].

La quatriĂšme croisade

Carte de la quatriĂšme croisade.
La quatriĂšme croisade.

La quatriĂšme croisade devait ĂȘtre lancĂ©e non par le successeur d’Henri VI, mais par le nouveau pape, Lothaire de Segni, Ă©lu en 1198 sous le nom d’Innocent III. TrĂšs imbu des pouvoirs temporels et spirituels de la papautĂ©, celui-ci ne pouvait voir sans crainte l’empereur germanique Ă©tendre son pouvoir en Italie. Aussi appuya-t-il d’abord les prĂ©tentions d’Otton IV face Ă  celles de Philippe de Souabe. De plus, il Ă©tait fort dĂ©sireux de voir l’Église de Rome se substituer Ă  celle de Constantinople dans les Balkans et accĂ©da rapidement aux dĂ©sirs des Bulgares de reconnaĂźtre sa suzerainetĂ© plutĂŽt que celle de Constantinople[45].

L’un de ses premiers gestes fut de prĂȘcher une nouvelle croisade. Reconnaissant que confier la conduite de la croisade Ă  des monarques rĂ©gnants avait donnĂ© lieu auparavant Ă  des problĂšmes sans fin de rivalitĂ©s nationales et de protocole et que d’autre part la lutte entre Otton IV et Philippe de Souabe, celle entre les rois de France et d’Angleterre pour la succession de Richard CƓur-de-Lion rendaient la participation de ces souverains peu probable, le pape fit appel Ă  la chevalerie. Au cours d’un tournoi organisĂ© Ă  son chĂąteau d'Ecly-sur-Aisne, le jeune comte Thibault de Champagne, enflammĂ© par la prĂ©dication de Foulque de Neuilly, se proposa pour conduire l’expĂ©dition[46].

Comme lors de la troisiĂšme croisade, le problĂšme se posa de dĂ©cider si l’on devait se rendre en Terre sainte par terre ou par mer. Peu avant de quitter la Palestine, Richard CƓur-de-Lion avait clairement indiquĂ© que le point le plus faible chez les Turcs Ă©tait l’Égypte et que toute expĂ©dition devrait avoir ce pays comme premiĂšre cible. Ceci favorisait la voie maritime. Comme on s’attendait Ă  une force d’environ 33 500 soldats, 200 bateaux s’avĂ©raient nĂ©cessaires. La seule puissance capable de construire rapidement un tel nombre de navires Ă©tait la rĂ©publique de Venise oĂč une dĂ©lĂ©gation fut dĂ©pĂȘchĂ©e en 1201[47].

Dandolo prĂȘchant la croisade.
Enrico Dandolo exhortant les Vénitiens à la croisade d'aprÚs Gustave Doré. En dépit de son ùge, le doge devint rapidement le véritable chef de la quatriÚme croisade.

Venise accepta de transporter 4 500 chevaliers et leurs chevaux, 9 000 servants et 20 000 fantassins moyennant une somme de 85 000 marks. De plus elle s’engageait Ă  fournir elle-mĂȘme 50 galĂšres pourvu que le butin de guerre soit partagĂ© Ă  parts Ă©gales[48]. Cette estimation Ă©tait terriblement exagĂ©rĂ©e : les Français furent incapables de rĂ©unir plus de 650 chevaliers et 1 300 hommes de troupes. Le moment venu, ils se trouvĂšrent dans l’incapacitĂ© de payer la somme prĂ©vue alors que les VĂ©nitiens avaient scrupuleusement respectĂ© leur part du contrat[49]. En Ă©change d'un dĂ©lai de paiement, les VĂ©nitiens proposĂšrent alors aux CroisĂ©s de les aider Ă  capturer Zara (maintenant Zadar), ancienne ville indĂ©pendante de l’empire byzantin dont Venise rĂ©clamait la possession, mais qui s’était mise sous la protection de la Hongrie dont le roi s'Ă©tait lui-mĂȘme croisĂ© depuis plusieurs annĂ©es[50].

SitĂŽt informĂ© de ce plan qui visait une ville chrĂ©tienne, le pape interdit aux croisĂ©s d'attaquer Zara. Mais les jeux Ă©taient faits et le 8 novembre 1202, 480 bateaux, dirigĂ©s par le doge lui-mĂȘme malgrĂ© ses quatre-vingts ans passĂ©s, firent voile vers Zara qui fut mise Ă  sac. OutrĂ©, le pape excommunia d’abord l’ensemble de l’expĂ©dition, puis limita cette excommunication aux seuls VĂ©nitiens tout en recommandant aux autres croisĂ©s de continuer leur collaboration avec eux, les VĂ©nitiens dĂ©tenant les ressources essentielles au succĂšs de l’expĂ©dition[51].

Au dĂ©but de 1203, un deuxiĂšme imprĂ©vu vint Ă  nouveau modifier les plans. Boniface de Montferrat (qui avait succĂ©dĂ© comme chef d’expĂ©dition Ă  Thibaud de Champagne dĂ©cĂ©dĂ© entretemps) reçut une lettre de Philippe de Souabe, beau-fils d’Isaac II. Philippe y expliquait qu’un autre Alexis, appelĂ© « le jeune Alexis », fils d’Isaac II et frĂšre de son Ă©pouse, s’était Ă©chappĂ© de la prison oĂč il Ă©tait enfermĂ© avec son pĂšre et avait trouvĂ© refuge Ă  sa cour. Philippe proposait que la croisade fasse une nouvelle Ă©tape Ă  Constantinople pour renverser Alexis III et redonner le trĂŽne au souverain lĂ©gitime, moyennant quoi Alexis financerait la conquĂȘte ultĂ©rieure de l’Égypte, fournirait dix mille soldats supplĂ©mentaires Ă  cette fin et maintiendrait par la suite cinq cents chevaliers Ă  ses frais en Terre Sainte. Et pour obtenir l’appui du pape il ajoutait que l’Église de Constantinople se soumettrait Ă  Rome[52].

Ni les croisĂ©s, qui ne connaissaient pas Constantinople, ni sans doute le jeune Alexis lui-mĂȘme ne rĂ©alisaient Ă  quel point ce plan Ă©tait irrĂ©aliste; toutefois, il emporta l’adhĂ©sion de la majoritĂ©. Seuls quelques croisĂ©s prĂ©fĂ©rĂšrent s’embarquer directement pour la Palestine. Le jeune Alexis arriva Ă  Zara en avril 1203 et quelques jours plus tard, la flotte faisait voile, s’arrĂȘtant Ă  DurrĂ«s et Corfou oĂč Alexis fut reconnu comme empereur lĂ©gitime. MalgrĂ© une nouvelle interdiction formelle du pape, elle arrivait en juin devant Constantinople oĂč Alexis III, fidĂšle Ă  son caractĂšre, n’avait pris aucune mesure pour assurer la dĂ©fense de la ville. L’assaut eut lieu en juillet 1203. DĂšs la premiĂšre charge l’armĂ©e impĂ©riale se dĂ©banda et l’empereur prit la fuite, laissant sa femme et ses enfants Ă  Constantinople, mais emmenant avec lui sa fille prĂ©fĂ©rĂ©e et apportant 10 000 livres d’or ainsi qu’un sac de bijoux[53].

Alexis erra quelques mois, mais tomba aux mains de Boniface de Montferrat vers la fin de 1204. Il demeura prisonnier jusqu’à ce que sa rançon ait Ă©tĂ© payĂ©e en 1209 ou 1210 par Michel Ier ComnĂšne Doukas d’Épire qui le fit envoyer au sultan seldjoukide Kay Khusraw Ier, fils de Kilidj Arslan. Lorsque ThĂ©odore Ier Laskaris dĂ©fit le sultan, Alexis fut Ă  nouveau fait prisonnier et envoyĂ© dans un monastĂšre oĂč il mourut en 1211 ou 1212[54].

Retour d’Isaac II (1203-1204) ; Alexis IV (1204)

Alexis IV l'Ange
Portrait d'Alexis IV l'Ange, tiré de l'Histoire, par Jean Zonaras, Bibliotheca Universitaria, ModÚne

Croyant, aprĂšs la fuite de l’empereur, que le retour d’Isaac II suffirait Ă  arrĂȘter l’assaut des croisĂ©s, les Ă©diles de Constantinople s’étaient hĂątĂ©s de libĂ©rer celui-ci et de le rĂ©tablir dans ses fonctions d’empereur lĂ©gitime. Effectivement, l’attaque cessa et une dĂ©lĂ©gation croisĂ©e et vĂ©nitienne vint informer les notables constantinopolitains des promesses faites par Alexis, exigeant que celui-ci soit couronnĂ© coempereur avec Isaac. AprĂšs quoi, elle se retira Ă  Galata oĂč les croisĂ©s avaient Ă©tabli leur quartier gĂ©nĂ©ral. Alexis IV, qui avait Ă  peu prĂšs vingt-et-un ans Ă  l’époque, fut effectivement couronnĂ© le 1er aout 1203. Restait cependant aux deux empereurs Ă  remplir leurs engagements Ă  l’égard des croisĂ©s. Alexis IV se rendit rapidement compte que le trĂ©sor Ă©tait vide. Il fut obligĂ© de lever de nouveaux impĂŽts qui ne frappĂšrent que les habitants de Constantinople, ceux des provinces se refusant Ă  le reconnaĂźtre comme empereur. Ces nouvelles taxes permirent de rĂ©unir une somme de 100 000 marks, ce qui s’avĂ©ra suffisant pour convaincre les croisĂ©s de patienter et de retarder leur dĂ©part jusqu’à la Saint-Michel. Mais elles rendirent les deux empereurs impopulaires auprĂšs des habitants de la capitale, qui se rendaient compte que leur argent enrichissait directement aux adversaires de l'empire. Les souverains s’aliĂ©nĂšrent Ă©galement le clergĂ© en forçant celui-ci Ă  faire fondre les vases sacrĂ©s pour se procurer des fonds et en annonçant que l’Église grecque devrait se soumettre Ă  celle de Rome[55].

Et pour comble de malheur, alors qu’Alexis IV Ă©tait parti en Thrace avec le gros de l’armĂ©e pour reprendre le contrĂŽle de la situation, un groupe de croisĂ©s mit le feu Ă  une petite mosquĂ©e du quartier musulman lors d’une rixe. Les flammes se propagĂšrent rapidement, s’étendirent au port qui, en quarante-huit heures, fut complĂštement rasĂ©. Et lorsque, quelques jours plus tard, une dĂ©lĂ©gation de croisĂ©s vint en ville rĂ©clamer les montants qui leur Ă©taient dus, la colĂšre des habitants de la capitale ne connut plus de borne. Pour leur part les croisĂ©s Ă©taient Ă©galement dĂ©sireux de quitter le pays pour se diriger enfin vers la Terre Sainte[56].

Le doge Enrico Dandolo voyait ainsi se rĂ©aliser son but : la destruction de l’empire byzantin et le remplacement de l’empereur par une marionnette dĂ©vouĂ©e aux intĂ©rĂȘts de Venise. Il recommanda donc aux dirigeants de la croisade de prendre leur dĂ» de force et de remplacer les deux empereurs qui avaient failli Ă  leurs engagements par l’un des leurs. À l’intĂ©rieur de la ville, les habitants en venaient Ă©galement Ă  la conclusion qu’un changement d’empereur s’imposait. Le 24 janvier 1204, une rĂ©union regroupant le sĂ©nat, le clergĂ© et des reprĂ©sentants du peuple vota la dĂ©chĂ©ance d’Alexis IV. AprĂšs trois jours de discussions, on se mit d’accord pour le remplacer par un inconnu du nom de Nicolas Canabus[57].

Alexis V (1204) et la chute de Constantinople

C’est le moment qu’attendait Alexis Doukas, surnommĂ© Mourtzouphlos en raison de ses sourcils en bataille qui se rejoignaient au milieu du nez, pour s'emparer du pouvoir. ÂgĂ© d’environ soixante-cinq ans, celui-ci se trouvait en prison lors de l'arrivĂ©e des croisĂ©s, vraisemblablement pour avoir participĂ© Ă  la tentative d’usurpation de Jean ComnĂšne en 1200. RelĂąchĂ©, il se vit confier la fonction de protovestiaros, ce qui lui donnait accĂšs en tout temps aux appartements impĂ©riaux[58].

RĂ©solu Ă  s’emparer du pouvoir, il chercha Ă  se gagner l’appui de la population en dirigeant quelques raids contre les croisĂ©s Ă  l’extĂ©rieur de la ville. Lors des discussions du 24 au 27 janvier il conseilla Ă  Alexis IV de demander l’aide des croisĂ©s, mais lorsque Canabus fut Ă©lu, il n’hĂ©sita pas Ă  se rendre en pleine nuit dans les appartements de l’empereur et, avec l’aide de la garde varangienne, de s’emparer de celui-ci et de le faire enfermer dans un donjon oĂč il mourut Ă©tranglĂ©. Ayant appris la nouvelle, Isaac II mourut Ă©galement, selon Villehardouin, de cause naturelle[59].

l'empire latin aprĂšs 1204
L'empire latin et ses vassaux aprÚs le partage de l'empire byzantin entre croisés, en 1204.

CouronnĂ© Ă  Sainte-Sophie sous le nom d’Alexis V, le nouvel empereur se mit immĂ©diatement Ă  rĂ©parer les murs de la citĂ© et Ă  conduire des embuscades contre les croisĂ©s. Constatant que le nouvel empereur menait une politique diffĂ©rente de celle de ses prĂ©dĂ©cesseurs, s’appuyant sur le fait qu’il s’agissait Ă  nouveau d’un usurpateur, le doge Dandolo, qui Ă©tait devenu le vĂ©ritable leader de la croisade, tint une sĂ©rie de rĂ©unions avec les chefs croisĂ©s pour discuter de l’administration future de l’empire. On s’entendit pour former un comitĂ© de douze personnes comprenant six VĂ©nitiens et six croisĂ©s qui devaient Ă©lire un nouvel empereur issu de leurs rangs. Si ce dernier devait ĂȘtre choisi parmi les croisĂ©s, le patriarche serait vĂ©nitien et vice-versa. L’empereur rĂšgnerait sur le quart de la citĂ© et de l’empire pendant que les trois autres quarts seraient divisĂ©s Ă  Ă©galitĂ© entre les croisĂ©s et Venise, le doge se voyant exemptĂ© de prĂȘter hommage Ă  l’empereur. Le butin rĂ©coltĂ© lors de la conquĂȘte finale serait rĂ©parti de la mĂȘme maniĂšre[60].

L'entrée des croisés à Constantinople
L'entrée des croisés à Constantinople. Toile d'EugÚne Delacroix, 1840, Musée du Louvre, Paris.

L’assaut final devait ĂȘtre donnĂ© le 9 avril Ă  l’endroit mĂȘme oĂč les croisĂ©s avaient lancĂ© le premier assaut neuf mois plus tĂŽt. Il devait durer trois jours, les murs et les tours renforcĂ©s par Alexis V se rĂ©vĂ©lant plus difficiles Ă  prendre que prĂ©vu. Finalement, aidĂ©s par un fort vent, les navires vĂ©nitiens parvinrent Ă  Ă©tablir un pont entre les mats des navires et le sommet des tours. Alexis V fit preuve d’un grand courage essayant de rallier ses hommes, mais rĂ©alisant que tout Ă©tait perdu, il s’enfuit en compagnie de la femme d’Alexis III et de la fille de celle-ci, Eudoxie, restĂ©es Ă  Constantinople. Il alla se rĂ©fugier auprĂšs de son prĂ©dĂ©cesseur Ă  Mosynopolis oĂč il reçut d’Alexis la permission d’épouser Eudoxie, son grand amour. Par la suite cependant Alexis III devait le faire prisonnier et l’aveugler. Remis entre les mains de Thierry de Loos, Alexis V fut jugĂ© pour trahison envers Alexis IV et jetĂ© en bas de la colonne de ThĂ©odose[61].

À Constantinople, les croisĂ©s se livrĂšrent Ă  trois jours de pillage, de meurtres et de sacrilĂšges. Pour une fois, chroniqueurs latins et grecs Ă©taient d’accord. « Depuis la crĂ©ation du monde, jamais pareil butin n’avait Ă©tĂ© fait dans une ville » Ă©crit Villehardouin, pendant que de son cĂŽtĂ© NicĂ©tas ChoniatĂšs constatait : « Les Sarrasins eux-mĂȘmes sont bons et compatissants » en comparaison de ces gens « qui portent la croix du Christ sur leur Ă©paule »[62]. Une fois l’ordre rĂ©tabli, le butin fut ramassĂ© et partagĂ© tel qu’entendu ; sa valeur totale s’élevait Ă  environ 3,6 millions d’hyperpĂšres. Les croisĂ©s payĂšrent au doge la somme qui Ă©tait encore due Ă  Venise. Sous la pression des VĂ©nitiens, on Ă©lit comme empereur le comte Baudouin de Flandres et de Hainaut couronnĂ© Ă  Sainte-Sophie le , devenant ainsi le troisiĂšme empereur Ă  y ĂȘtre couronnĂ© en une seule annĂ©e; le doge de son cĂŽtĂ© choisissait comme patriarche, Tommaso Morosini, lequel reçut tous les ordres et fut sacrĂ© Ă©vĂȘque en moins de deux semaines. En dĂ©pit de son antipathie Ă  l’endroit de celui-ci, Innocent III finit par approuver ce choix. Des dĂ©lĂ©guĂ©s furent envoyĂ©s de Rome pour nĂ©gocier l’union des deux Églises sans succĂšs, le pape, bien qu’acceptant de reconnaĂźtre le statut de patriarcat Ă  Constantinople, insistant toujours pour que les Grecs se conforment Ă  la doctrine et aux rites latins. Par la suite, le pape devait de plus en plus traiter l’Église orthodoxe comme schismatique et hĂ©rĂ©tique[63].

Conclusion

Certes, la dynastie des Anges joua un rĂŽle important dans la chute de Constantinople. Mais les causes de son dĂ©clin Ă©taient dĂ©jĂ  apparentes sous la dynastie des ComnĂšnes et il serait injuste d’en faire porter l’entiĂšre responsabilitĂ© sur les Anges. De profonds changements avaient eu lieu tant en Occident qu’en Orient au cours des XIe et XIIe siĂšcles. Mais une rĂ©sistance au changement plus forte Ă  Constantinople que dans les royaumes qui se constituaient Ă  l’Ouest l’empĂȘcha de s’adapter aux nouvelles rĂ©alitĂ©s. Dans son livre A History of the Byzantine State and Society, Warren Treadgold, mentionne plusieurs causes lointaines qui contribuĂšrent au dĂ©sastre de 1204.

routes commerciales de GĂȘnes et de Venise
Une lutte sans merci opposa GĂȘnes et Venise pour le contrĂŽle des routes commerciales en MĂ©diterranĂ©e.

Le premier facteur de dissolution de l'empire byzantin fut la montrĂ©e croissante du rĂ©gionalisme. La perte de l’Italie du sud aux mains des Normands eut des rĂ©percussions Ă©conomiques sĂ©rieuses pour Byzance, moindres toutefois que la montĂ©e des puissances maritimes que constituaient Venise, GĂȘnes et Pise qui, en Ă©tablissant leurs comptoirs au sein de l’empire, prirent progressivement la place des marchands byzantins incapables de rĂ©sister Ă  leur concurrence. Dans la grande rĂ©gion des Balkans, l’importance que prit le royaume de Hongrie de mĂȘme que la crĂ©ation des empires bulgare et serbe se doublĂšrent d’une lutte d’influence religieuse entre Rome et Constantinople pour le contrĂŽle de la chrĂ©tientĂ©. La GrĂšce sous la conduite d’une aristocratie dont la richesse dĂ©pendait de la stabilitĂ© de l’agriculture et du commerce resta relativement stable, mĂȘme si les rĂ©voltes en CrĂȘte et Ă  Chypre et la perte de celle-ci donnaient aux ennemis de Byzance des bases navales et militaires utiles. La situation Ă©tait plus fluide en Asie mineure oĂč les Turcs, peuple nomade sans autre vĂ©ritable dirigeant que le sultan seldjoukide et les Ă©mirs danishmendites, occupĂšrent progressivement l’intĂ©rieur de l’Anatolie, remplaçant les populations chrĂ©tiennes qui migrĂšrent vers la cĂŽte et les Balkans. En Cilicie, les princes rubĂ©niens (ou rubĂ©nides) deviendront Ă  partir de 1099, « rois d’ArmĂ©nie », pendant que dans la rĂ©gion du Pont, les frĂšres Alexis et David ComnĂšne crĂ©eront, aprĂšs la chute de Constantinople, l’« empire de TrĂ©bizonde »[64].

Le deuxiĂšme fut la montĂ©e d’une nouvelle classe dirigeante formĂ©e de grands propriĂ©taires terriens et de riches marchands qui, surtout dans les provinces, prirent progressivement la place de l'administration byzantine, hĂ©ritiĂšre de l’ancienne administration romaine, qui avait fait pendant des siĂšcles la force de l’empire. Alors que les thĂšmes cessaient de fonctionner, que les fonctionnaires Ă©taient peu ou mal payĂ©s, l’avancement devint l’apanage des riches propriĂ©taires fonciers et des pronoĂŻaires. Lorsque s’éteignit la dynastie macĂ©donienne, ce fut cette aristocratie qui produisit dix-sept des vingt-deux empereurs appartenant aux familles Doukas, ComnĂšne et Ange alors que la classe des grands marchands arrivait au trĂŽne avec les empereurs Michel IV et Michel V. Il en rĂ©sulta Ă  la fois un affaiblissement du pouvoir impĂ©rial, ces grandes familles Ă©tant plus difficiles Ă  maitriser que ne l’avaient Ă©tĂ© les masses populaires, et une multiplication des rĂ©voltes et des sĂ©ditions qui conduisirent au renversement de plusieurs empereurs[65].

Tout comme l’aristocratie, la hiĂ©rarchie de l’Église orthodoxe qui avait vu son influence grandir au cours du XIe siĂšcle puis dĂ©croĂźtre sous les ComnĂšnes, vit dĂ©filer Ă  sa tĂȘte un grand nombre de patriarches. De 1081 Ă  1204, vingt-deux patriarches devaient se succĂ©der qui Ă©vitĂšrent autant que possible de s’immiscer dans la sphĂšre politique. Cela n’empĂȘcha pas huit d’entre eux d’abdiquer ou d’ĂȘtre dĂ©posĂ©s par le basileus. Or, l’impuissance des patriarches survenait Ă  une Ă©poque oĂč, Ă  l’Ouest, la papautĂ© affirmait de plus en plus son pouvoir tant spirituel que temporel. Si le schisme de 1054 ne modifia pas substantiellement les relations entre les Églises d’Orient et d’Occident, il n’en alla pas de mĂȘme de l’appui qu’accorda la papautĂ© aux Normands, lesquels aprĂšs s’ĂȘtre emparĂ©s des possessions byzantines du sud de l’Italie s’en prirent aux Balkans. Les contacts de plus en plus frĂ©quents entre croisĂ©s et autoritĂ©s byzantines montrĂšrent Ă  quel point les mentalitĂ©s s’étaient Ă©loignĂ©es l’une de l’autre. Ce fossĂ© devait s’accroitre lorsque les croisĂ©s Ă©tablirent des Ă©glises latines en Syrie et en Palestine et remplacĂšrent les patriarches grecs d’Antioche et de JĂ©rusalem par des archevĂȘques latins. De plus, les discussions entreprises pour restaurer l’unitĂ© des Églises d’Orient et d’Occident continuĂšrent Ă  achopper sur la question fondamentale de la primautĂ© papale rĂ©clamĂ©e par Rome aux dĂ©pens de la pentarchie[66] que rĂ©clamait l’Église d’Orient[67].

Michel Psellos avec l'empereur Michel VII Doukas
L'historien Michel Psellos avec son disciple, l'empereur Michel VII Doukas.

Depuis les invasions barbares, non seulement les diffĂ©rences culturelles s’amplifiaient-elles entre l’Orient et l’Occident, mais elles finirent par devenir un motif de fiertĂ©. Traditionnellement, la culture byzantine Ă©tait restĂ©e en avance sur celle de l’Occident, rĂ©ussissant Ă  maintenir son hĂ©ritage classique, c’est-Ă -dire grec. Aux XIe et XIIe siĂšcle, les auteurs byzantins commencĂšrent Ă  faire preuve d’une plus grande originalitĂ©. L’acadĂ©mie fondĂ©e par Alexis I produisit des Ă©crivains et historiens originaux comme Michel Psellos, Anne ComnĂšne, NicĂ©tas ChoniatĂšs et Jean Zonaras ou des penseurs remarquables comme Jean l'Italien qui eut maille Ă  partir avec le pouvoir politique. Que ce soit dans le domaine de l’architecture ou des arts dĂ©coratifs qui accompagnaient l’édification d’églises ou d’édifices publics ou de la joaillerie[68], une forme d’art propre Ă  l’empire byzantin se dĂ©veloppa et ses reprĂ©sentants se mirent Ă  voyager Ă  l’extĂ©rieur et Ă  prĂȘter main-forte Ă  leurs collĂšgues occidentaux (cathĂ©drale Saint-Marc de Venise). Mais pendant que les Byzantins continuaient Ă  se vanter de leur supĂ©rioritĂ© intellectuelle, les EuropĂ©ens de l’Ouest commençaient Ă  faire de grands progrĂšs sur le plan technologique que ce soit en agriculture, en matiĂšre d’armement ou mĂȘme d’architecture[69].

C’est cette supĂ©rioritĂ© technique que l’Occident exploita Ă  bon escient au cours de la quatriĂšme croisade, face Ă  un empire affaibli par les problĂšmes de sĂ©paratisme rĂ©gional, de mauvaise administration, de faiblesse militaire et d’erreurs diplomatiques. Alexis Ier, Jean II et Manuel avaient rĂ©ussi grĂące Ă  leur forte personnalitĂ© Ă  contrĂŽler l’aristocratie terrienne, les marchands et fonctionnaires qui cherchaient Ă  affaiblir le pouvoir impĂ©rial. Isaac II et Alexis III n’étaient guĂšre de la mĂȘme trempe; Alexis IV et Alexis V ne furent que des marionnettes entre les mains de leurs bailleurs de fonds latins. De telle sorte que mĂȘme si la quatriĂšme croisade n’était pas venue Ă  bout de Constantinople, un effort substantiel eĂ»t Ă©tĂ© nĂ©cessaire pour donner un nouveau souffle Ă  l’empire et lui permettre de rĂ©sister aux appĂ©tits de ses voisins bulgares, serbes, hongrois ou turcs qui, inĂ©luctablement, s’étendaient Ă  ses dĂ©pens[70].

Généalogie

Constantin Ange (1093 † ap.1166)
x Theodora ComnĂšne Angelina, fille d'Alexis Ier
│
├─> Jean (1125/27 † 1200), sĂ©bastocrate
│   x ZoĂ© Doukaina
│   │
│   ├─> Michel Ier d'Épire (1170 † 1214/15)
│   │   x Inconnue
│   │   │
│   │   └─> Michel II d'Épire († 1266/68) illĂ©gitime
│   │       x ThĂ©odora PĂ©traliphaina (1225 † ap.1270)
│   │       │
│   │       ├─> NicĂ©phore Ier d'Épire († 1297)
│   │       │   x 1) Maria Vatatzaina
│   │       │   x 2) Anne PalĂ©ologue CantacuzĂšne († ap.1313)
│   │       │   │
│   │       │   ├─1> Maria
│   │       │   │    x Jean Ier Orsini, comte palatin de CĂ©phalonie et Zante
│   │       │   │
│   │       │   ├─2> Thamar († 1311)
│   │       │   │    x Philippe Ier, prince de Tarente
│   │       │   │
│   │       │   └─2> Thomas Ier d'Épire (1285 † 1318)
│   │       │        x Anne PalĂ©ologue, fille de Michel IX
│   │       │
│   │       ├─> Jean
│   │       │
│   │       ├─> DĂ©mĂ©trios († 1304)
│   │       │   x 1) Anne ComnĂšne PalĂ©ologue, fille de Michel VIII
│   │       │   x 2) Ana Terter, fille de Georges Ier Terter
│   │       │   │
│   │       │   └─1> Andronic (1282 † 1328), protosĂ©baste
│   │       │        x Fille de Kokala
│   │       │        │
│   │       │        └─> Anne PalĂ©ologue
│   │       │            x 1) Jean II Orsini, despote d'Épire
│   │       │            x 2) Jean Comnùne Asen († 1363)
│   │       │
│   │       ├─> HĂ©lĂšne (1242 † 1271)
│   │       │   x Manfred Ier, roi de Sicile
│   │       │
│   │       ├─> Anne († 1286)
│   │       │   x 1) Guillaume II, prince d'Achaïe
│   │       │   x 2) Nicolas II, seigneur de Thùbes
│   │       │
│   │       └─> Jean Ier de Thessalie († 1289) illĂ©gitime
│   │           x Hypomone
│   │           │
│   │           ├─> Constantin de Thessalie († 1303)
│   │           │   │
│   │           │   └─> Jean II de Thessalie († 1318)
│   │           │
│   │           ├─> ThĂ©odore de Thessalie († 1299)
│   │           │
│   │           ├─> HĂ©lĂšne († 1299)
│   │           │   x Guillaume Ier de La Roche († 1287), duc d'Athùnes
│   │           │
│   │           └─> HĂ©lĂšne
│   │               x Stefan Uroơ II Milutin, roi de Serbie
│   │
│   ├─> Constantin (1172 † 1242), despote
│   │
│   ├─> ThĂ©odore Ier de Thessalonique († 1253)
│   │   x Maria Petraliphaina
│   │   │
│   │   ├─> Anne
│   │   │   x Stefan Radoslav, roi de Serbie
│   │   │
│   │   ├─> Jean de Thessalonique († 1244)
│   │   │
│   │   ├─> Irùne
│   │   │   x Ivan Assen II, roi de Bulgarie
│   │   │
│   │   └─> DĂ©mĂ©trios de Thessalonique (1220 † ap.1246)
│   │
│   └─> Manuel (1187 † 1241), despote
│
└─> Andronic (1133 † 1183/85)
    x Euphrosyne Kastamonitissa
    │
    ├─> Constantin (1151 † ap.1199), sĂ©bastocrate
    │
    ├─> Alexis III (1153 † 1211)
    │   x Euphrosyne Doukaina Kamatera (1155 † 1211)
    │   │
    │   ├─> Irùne
    │   │    x 1) Andronic KontostĂ©phanos
    │   │    x 2) Alexis PalĂ©ologue, despote
    │   │
    │   ├─> Anne (1176 † 1212)
    │   │    x 1) Isaac Comnùne Vatatzùs († 1196)
    │   │    x 2) ThĂ©odore Ier Lascaris, empereur de NicĂ©e
    │   │
    │   └─> Eudoxie († 1211)
    │        x 1) Stefan Ier Nemanjić, grand-duc puis roi de Serbie
    │        x 2) Alexis V († 1204), empereur byzantin
    │        x 3) LĂ©on Sgouros († 1208), seigneur de Nauplie et d’Argolide
    │
    └─> Isaac II (1156 † 1204)
        x 1) IrĂšne
        x 2) Marguerite de Hongrie (1175 † ap.1223)
        │
        ├─1> Anna-Euphrosyne († 1253)
        │    x Roman Mstislavitch, prince de Galicie-Volhynie
        │
        ├─1> Irùne (1181 † 1208)
        │    x 1) Roger III, roi de Sicile
        │    x 2) Philippe de Souabe, roi de Germanie
        │
        ├─1> Alexis IV (1182 † 1204)
        │
        └─2> Jean (1193 † 1253)
             x Mathilde de Vianden, fille d'Henri Ier de Vianden

Bibliographie

On consultera avec profit la bibliographie exhaustive contenue dans chaque volume de la trilogie Le monde byzantin (Coll. Nouvelle Clio, Presses universitaires de France) rĂ©partie pour chacune des pĂ©riodes Ă©tudiĂ©es (vol. 1 – L’Empire romain d’Orient [330-641] ; vol. 2 – L’empire byzantin [641-1204] ; vol. 3 – L’empire grec et ses voisins [XIIIe-XVe siĂšcle] entre Instruments bibliographiques gĂ©nĂ©raux, ÉvĂšnements, Institutions (empereur, religion, etc.) et RĂ©gions (Asie Mineure, Égypte byzantine, etc.). Faisant le point de la recherche jusqu’en 2010, elle comprend de nombreuses rĂ©fĂ©rences Ă  des sites en ligne.

Sources primaires

Pour la pĂ©riode des derniers ComnĂšnes et des Anges, NicĂ©tas ChoniatĂšs demeure la source la plus importante. Originaire de Chonai en Phrygie, il fut d’abord secrĂ©taire impĂ©rial de la cour, puis gravit tous les Ă©chelons de la fonction publique pour devenir grand logothĂšte ou premier ministre sous les Anges. Son Histoire traite de la pĂ©riode allant du rĂšgne d’Alexis jusqu’en 1206. Son style vivant et sa description des caractĂšres l’on fait comparer Ă  Psellos[71]. Il doit la description de la conquĂȘte de Thessalonique par les Normands en 1185 au mĂ©tropolite de cette ville, Eustathe de Thessalonique. ChoniatĂšs a Ă©galement laissĂ© des discours et Ă©crits de circonstance qui remontent Ă  la pĂ©riode 1180-1210. FrĂšre ainĂ© de NicĂ©tas, Michel ChoniatĂšs, mĂ©tropolite d’AthĂšnes a aussi laissĂ© des lettres et autres Ă©crits qui fournissent d’importants Ă©lĂ©ments sur les Ă©vĂšnements de cette pĂ©riode.

Parmi les nombreuses sources occidentales qui dĂ©crivent l’histoire des croisades, on peut mentionner la Gesta Francorum de mĂȘme que les Ă©crits de Villehardouin et Robert de Clari qui Ă©clairent les relations entre Byzance et l’Occident mĂȘme si des textes comme la Gesta Francorum ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©s afin de nourrir le sentiment antibyzantin qui se dĂ©veloppait en Occident. Il faut Ă©galement mentionner un faux cĂ©lĂšbre qui contribua Ă  rĂ©pandre en Occident l’idĂ©e qu’Alexis avait trahi les croisĂ©s. Cette lettre supposĂ©ment d’Alexis Ier au comte de Flandre nous est parvenue sous sa forme latine comme un appel Ă  la croisade. En fait, elle a probablement Ă©tĂ© fabriquĂ©e Ă  partir d’une vĂ©ritable lettre de l’empereur ayant trait au recrutement de mercenaires occidentaux[72].

Pour les pays slaves mĂ©ridionaux, on mentionnera la Chronique du prĂȘtre de DioclĂ©e, Ă©crite vers le milieu ou dans la deuxiĂšme partie du XIIe siĂšcle ainsi que la Vie de Saint-SimĂ©on (c’est-Ă -dire) d’Étienne Nemanja et la Vie de Saint Sava par Domentijan, moine de Khilendar, disciple de Sava.

  • Anonyme, Gesta Francorum et aliorum Hierosolymitanorum, Ă©d. et trad. française L. BrĂ©hier, Paris, C.H.F., 1924
  • Bryennios, Nikephoros, Historiarum libri quattuor, Ă©d. et trad. Paul Gautier, Bruxelles, 1975
  • ChoniatĂšs, Nicetas, Nicetae Choniatae Historia, I. A. Van Dieten, Berlin/New York, 1975
  • Clari, Robert de, La conquĂȘte de Constantinople, trad. P. Charlot, Paris, 1939
  • Comnena, Anna, The Alexiad, trans. E.A. Sewter, Harmondsworth, 1969
  • Thessalonique, Eustathe de . Opuscula, livre Google
  • TornikĂšs, Georges & Demetrios. Lettres et discours, Ă©d. J. DarrouzĂšs, Paris, 1970
  • Tyr, Guillaume de, "Belli Sacri Historia et Historia Rerum in Partibus Transmarinis Gestarum" dans Recueil des Historiens des Croisades, AcadĂ©mie des Inscriptions et Belles Lettres, Paris 1841-1906, vol 1 ; traduit en français dans Collection des MĂ©moires Relatifs Ă  l’Histoire de France de F. Guizot, 29 vols. Paris, 1823-1827. Pour les ComnĂšnes : vols. 16-18
  • Villehardouin, La conquĂȘte de Constantinople, Ă©d. et trad. E.Faral, Paris, C.H.F. 1938-1939, 2 vol.
  • Zonaras, Jean, Epitome historiarum, livre Google

Sources secondaires

  • Michael Angold, The Byzantine Empire 1025-1204, A Political History. Longman, London & New York, 1984 (ISBN 0-582-49060-X)
  • Pierre AubĂ©, Les empires normands d’Orient, Paris, Tallendier, 1983 (ISBN 2-235-01483-6)
  • Malcolm Billing, The Cross & the Crescent, A History of the Crusades, New York, Sterling Publishing co, 1990 (ISBN 0-8069-7364-1) (Paper)
  • Louis BrĂ©hier, Vie et mort de Byzance. Coll. L’évolution de l’humanitĂ©, Albin Michel, Paris, 1946 et 1969
  • Jean-Claude Cheynet (dir), Le Monde byzantin – tome II – L’Empire byzantin (641-1204), Coll. l’histoire et ses problĂšmes, Presses universitaires de France, Paris, 2007 (ISBN 978-2-13-052007-3) Ă©ditĂ© erronĂ©
  • John Haldon. Warfare, State and Society in the Byzantine World, 656-1204, London & New York, Routledge, 1999 (ISBN 1 85728 495 X) (paperback)
  • Jonathan Harris, Byzantium and The Crusades, London, New York, Hambeldom Continuum, 2003 (ISBN 1 85285 501 0) (paperback)
  • Judith Herrin. Byzantium, The Surprising Life of a Medieval Empire, Princeton University Press, Princeton & Oxford, 2007 (ISBN 978-0-691-14369-9) (pbk)
  • (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208)
  • A.P. Kazhdan and Ann Wharton Epstein, Change in Byzantine Culture in the Eleventh and Twelfth Centuries, University of California Press, Berkeley, 1985 (ISBN 0-520-06962-5)
  • Frederic C. Lane, Venice, A Maritime Republic, Johns Hopkins University Press, Baltimore and London, 1973 (ISBN 0-8018-1460-X) (pbk.)
  • Thomas F. Madden, Enrico Dandolo & the Rise of Venice, Johns Hopkins University Press, Baltimore and London, 2003 (ISBN 0-8018-7317-7) (Un des rares livres qui porte un jugement positif sur Enrico Dandolo et qui considĂšre ses actions justifiĂ©es par les circonstances)
  • Cyril Mango (ed.), The Oxford History of Byzantium, London, Oxford University Press, 2002 (ISBN 0-19-814098-3)
  • G. Moravcisk, « Hungary and Byzantium in the Middle Ages Â», dans Cambridge Medieval History, IV, part 1, Cambridge, 1966, p. 567-592
  • John Julius Norwich, A History of Venice. Penguin Books, London, 1977,1981,1982 (ISBN 0-14-006623-3).
  • John Julius Norwich, Byzantium, The Decline and Fall, New York, Alfred A. Knopf, 1996 (ISBN 0-679-41650-1). (L’Ɠuvre se prĂ©sente en trois volumes: Byzantium: the Early Centuries ; Byzantium: The Apogee; Byzantium: The Decline and Fall, dotĂ©s d’une double pagination, successive pour les trois volumes et individuelle pour chacun d’eux ; c’est cette derniĂšre que nous utilisons dans les rĂ©fĂ©rences).
  • Georges Ostrogorsky. Histoire de l’État byzantin, Payot, Paris, 1983 (ISBN 2-228-07061-0)
  • Steven Runciman, A History of the Crusades, 3 vols., Cambridge, Cambridge University Press, 1951-1954.
  • Steven Runciman, The Eastern Schism, A Study of the Papacy and the Eastern Churches during the Eleventh and Twelfth Centuries, Oxford University Press, Oxford, 1955 (ISBN 0-19-826417-8)
  • Warren Treadgold, A History of the Byzantine State and Society, Stanford University Press, Stanford, 1997 (ISBN 0-8047-26302)

Notes et références

  1. Bréhier (1969), p. 222.
  2. Ostrogorsky (1983), p. 343-440.
  3. Bréhier (1969), p. 240-241; Ostrogorsky (1983), p. 377-378
  4. Cheynet (2006), p. 200.
  5. Treadgold (1997), p. 615 et p. 626-627; John Norwich (1996), p. 51-52.
  6. Bréhier (1969), p. 240-242; Ostrogorsky (1983) 378-406.
  7. Bréhier (1969), p. 273-284 : Ostrogorsky (1983) 406-424.
  8. Norwich (1995), p. 156.
  9. Angold (1984), p. 168-169.
  10. Treadgold (1997), p. 656-657; Bréhier (1969), p. 286.
  11. Michael Angold, op.cit., p. 271.
  12. Selon le chroniqueur de l’époque, NicĂ©tas ChoniatĂšs, citĂ© dans Georges Ostrogorsky (1956) p. 425; Norwich (1995), p. 157.
  13. Ostrogorsky (1956), p. 425; Norwich (1995), p. 157.
  14. Michel ChoniatÚs, cité par Angold (1984), p. 280.
  15. À son origine la pronoĂŻa Ă©tait une Ă©tendue de terre concĂ©dĂ©e Ă  un pronoĂŻaire qui devait l’administrer (Î”ÎŻÏ‚ Ï€ÏÏŒÎœÎżÎčαΜ) gĂ©nĂ©ralement jusqu’à sa mort, avec jouissance de tous ses revenus. Sous Alexis ComnĂšne, le systĂšme prit un caractĂšre militaire : le bĂ©nĂ©ficiaire fut tenu au service militaire et, suivant l’étendue de son fief devait fournir un contingent plus ou moins Ă©levĂ© d’hommes de troupe;Ostrogorsky (1956), p. 353 et 392.
  16. Ostrogorsky (1956), p. 427-428; Bréhier (1969), p. 287; Angold (1984), p. 272.
  17. Cheynet (2006), p. 199; Bréhier (1969), p. 287; Treadgold (1997), p. 658.
  18. Cheynet (2006), p. 198; Bréhier (1969), p. 287;Angold (1984), p. 277.
  19. Bréhier (1969), p. 286-287; Angold (1984), p. 273-274; Ostrogorsky (1956), p. 427-428.
  20. Ostrogorsky(1956), p. 429; Angold (1984), p. 274; Bréhier (1969), p. 287; Treadgold (1997), p. 157.
  21. Treadgold (1997), p. 656; Ostrogorsky (1956), p. 426; Norwich (1996), p. 156-157.
  22. Isaac II donna lui-mĂȘme deux de ses filles en mariage Ă  des Ă©trangers : TancrĂšde de Sicile et Roger d’Apulie; Cheynet (2006), p. 73; Kazhdan & Epstein (1985), p. 178.
  23. Treadgold (1997), p. 656 et 659; Bréhier (1969), p. 287.
  24. Norwich (1977), p. 120-121; Angold (1984), p. 287, 289.
  25. Norwich (1996), p. 160; Runciman (1955) p. 137.
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  28. Bréhier (1969), p. 289; Norwich (1995), p. 161.
  29. . À la suite d'un accord entre Saladin et Isaac II, une mosquĂ©e fut construite dans le quartier des commerçants musulmans en 1189; elle fut incendiĂ©e par les Latins en 1203;Cheynet (2006), p. 123.
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  61. Kazhdan (1991) « Alexis V Doukas », tome 1, p. 66; Norwich (1977), p. 138; Angold (1984), p. 295; Norwich (1995), p. 178.
  62. Propos rapportés par Ostrogorsky (1956), p. 440.
  63. Norwich (1977), p. 140-141; Treadgold (1997), p. 666; Kazhdan (1991) « Innocent III », tome 2, p. 996.
  64. Treadgold (1997), p. 167-177.
  65. Treadgold (1997), p. 677-684.
  66. on nomme ainsi le collĂšge qui aurait eu mission de diriger l’Église unifiĂ©e, formĂ© par les Ă©vĂȘques de Rome, Constantinople, Antioche, JĂ©rusalem, Alexandrie, Églises fondĂ©es selon la tradition par des apĂŽtres et oĂč l’évĂȘque de Rome aurait joui d’une primautĂ© d’honneur mais non de puissance.
  67. Treadgold (1997), p. 684-691.
  68. un des exemples les mieux connus est sans doute la couronne de Hongrie.
  69. Treadgold (1997), p. 691-699.
  70. Treadgold (1997), p. 699-706.
  71. Ostrogorsky (1983), p. 374.
  72. Voir à ce sujet, E. Joranson, « The Problem of the Spurious Letter of Emperor Alexis to the count of Flanders », Amer. Hist. Rev., 55 (1950), p. 811 et sq.
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