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Garde varangienne

La garde varangienne ou garde varĂšgue (du grec Î€ÎŹÎłÎŒÎ± τωΜ Î’Î±ÏÎŹÎłÎłÏ‰Îœ, TĂĄgma tƍn VarĂĄngƍn) Ă©tait un corps d’élite de l’armĂ©e byzantine formĂ© de mercenaires d’abord scandinaves, puis de plus en plus anglo-saxons, dont le rĂŽle principal Ă©tait la protection rapprochĂ©e de l’empereur ; elle exista du Xe siĂšcle au XIVe siĂšcle.

La garde varÚgue, trÚs certainement représentée sur cette planche du manuscrit SkylitzÚs (XIIe siÚcle) est reconnaissable aux haches portées par les guerriers (Merrony 2004, p. 57).

Les Rus’ [N 1] entrĂšrent au service de l’Empire byzantin dĂšs 874. La garde varĂšgue fut fondĂ©e en 988 sous l’empereur Basile II aprĂšs la conclusion d’un traitĂ© avec la Russie kiĂ©vienne de Vladimir Ier qui prĂ©voyait l’envoi d’un contingent de 6 000 hommes. L’empereur, qui devait faire face aux rĂ©bellions de Bardas Phokas et de Bardas SklĂšros, se mĂ©fiait de sa garde byzantine et prĂ©fĂ©ra employer ces guerriers comme gardes du corps.

Jusqu’au XIe siĂšcle, la garde fut principalement composĂ©e de Scandinaves venus de SuĂšde, du Danemark, de NorvĂšge et d’Islande. AprĂšs la conquĂȘte de l'Angleterre par les Normands, s’y ajoutĂšrent un nombre de plus en plus considĂ©rable d’Anglo-Saxons fuyant la domination normande. Sous Alexis ComnĂšne, ceux-ci formaient dĂ©jĂ  la majoritĂ© de la garde.

Outre d’assurer la protection de l’Empereur, la garde varĂšgue fut utilisĂ©e dans nombre de guerres, notamment en Italie au XIe siĂšcle alors que Normands et Lombards tentaient de s’emparer du sud de la pĂ©ninsule. La garde en tant que telle disparaĂźt lors de la prise de Constantinople par les Latins le .

Vers la fin du XIIIe siĂšcle, les VarĂšgues s’étaient pratiquement assimilĂ©s aux Grecs byzantins quoique dans les annĂ©es 1400, on pouvait encore trouver des personnes s’identifiant comme « VarĂšgues » Ă  Constantinople.

Contexte et origine

L’armĂ©e byzantine[1]

À la mort de Basile II (r. 960-1025), l’armĂ©e byzantine Ă©tait la plus puissante de la rĂ©gion. Depuis les rĂ©formes de ThĂ©ophile Ier (r. 829-842), l’armĂ©e avait presque doublĂ© la superficie de l’Empire et, depuis la deuxiĂšme AnnĂ©e des quatre empereurs en 193, n’intervenait plus directement dans le choix du basileus[2].

Comme l’empire politique, l’empire militaire Ă©tait divisĂ© en thĂšmes. Sous ThĂ©ophile, il y avait 11 thĂšmes en Asie et 12 en Europe, chaque thĂšme ayant son corps de soldats appelĂ©s stratiotai. Trois thĂšmes, celui de Cibirriote en Asie mineure, le thĂšme de l’ÉgĂ©e (sĂ©parĂ© du premier vers 843) et celui de Samos (sĂ©parĂ© de ce dernier vers 882) avaient la responsabilitĂ© de la flotte maritime. Enfin, surtout dans les cols de montagnes, des forts sous contrĂŽle militaire assuraient la protection des frontiĂšres.

Chaque thĂšme devait fournir trois ou quatre « brigades », chacune divisĂ©e en un certain nombre de droungoi (bataillons), Ă  leurs tours divisĂ©s en cinq banda (compagnies). Le nombre de soldats dans ces compagnies varia considĂ©rablement dans le temps allant de 200 Ă  400. Il est difficile d’estimer le nombre total de soldats que comptait l’armĂ©e, le chiffre le plus souvent mentionnĂ© Ă©tant de 80 000.

À cĂŽtĂ© de cette armĂ©e des thĂšmes existait une autre force appelĂ©e tagmata devant servir Ă  la fois de garnison pour la capitale et d’armĂ©e de rĂ©serve lorsque le besoin s’en faisait sentir. Celle-ci consistait en quatre rĂ©giments de cavalerie : les Scholae, les Excubites, les Arithmos (ou Vigla) et les Hikanatoi.

Outre l’armĂ©e impĂ©riale, l’Empereur disposait d’un certain nombre d’unitĂ©s formĂ©es d’habitants de territoires conquis ou avec lesquels l’Empire avait Ă©tĂ© en guerre : Normands, Turcs, Italiens, Français, Germains, Hongrois, peuples slaves incluant les Russes ainsi que des Scandinaves, ces deux derniers peuples Ă©tant Ă  l’origine de la garde varĂšgue. L’ensemble de ces unitĂ©s Ă©tait appelĂ©e Hetairia et Ă©tait commandĂ©e par le Megas Hetairarchos qui avait rang de stratarchos et Ă©tait l’un des plus hauts dignitaires de l’empire.

Premiers contacts entre Rus’ et Byzantins

ScÚne tirée de la Chronique de SkylitzÚs montrant, à gauche, une femme tuant un guerrier varÚgue qui tentait de la violer et, à droite, recevant les félicitations de son entourage et les dépouilles du guerrier (Wortley (2010) p. 372.)

Les premiers contacts entre VarĂšgues et Byzantins furent le fait de Scandinaves (SuĂšde, Danemark, NorvĂšge, Islande) installĂ©s dans la Russie kiĂ©vienne et remontaient, croit-on, aux annĂ©es 836-839 alors qu’une ambassade, rapportĂ©e dans les Annales de Saint-Bertin, se rendit Ă  Constantinople probablement pour nĂ©gocier un traitĂ©. Craignant de rentrer chez eux par la mĂȘme route qu’à l’aller en raison des tribus hostiles de cette rĂ©gion, ils vinrent, accompagnĂ©s de reprĂ©sentants de l’empereur byzantin ThĂ©ophile (813-842), Ă  la cour de Louis le Pieux Ă  Ingelheim, le demander libre-passage par les terres d’empire. Parmi les membres de la dĂ©lĂ©gation se trouvaient des gens d’une nation appelĂ©e Rhos dont le roi portait le titre de Chacanos[3]. Rendu mĂ©fiant par les mĂ©faits de Scandinaves Ă  ses frontiĂšres, Louis fit faire des vĂ©rifications qui dĂ©montrĂšrent que ceux-ci Ă©taient gentis Sueonum (SuĂ©dois). Vers la mĂȘme Ă©poque eut lieu une expĂ©dition des Rus’ en Propontide alors qu’ils Ă©taient en route vers la Paphlagonie. On ne peut savoir si cette ambassade eut lieu aprĂšs le raid, Ă  la suite d'une dĂ©route de la flotte russe et si elle avait constituĂ© une tentative de nĂ©gociation d'un traitĂ© de paix, ou si au contraire le raid fut le rĂ©sultat d'un Ă©chec de nĂ©gociations commerciales antĂ©rieures[4].

Il y a tout lieu de croire qu’au cours des rencontres avec ces Ă©missaires, l’empereur ThĂ©ophile dont le rĂšgne connut nombre de dĂ©faites aux mains du califat de Bagdad tenta d’obtenir des mercenaires de la Rus’ kiĂ©vienne pour consolider son armĂ©e. En fait, dĂšs le rĂšgne de son fils, Michel III (r. 842-867), des Rus’ faisaient partie de la garde impĂ©riale puisqu’en novembre 855, le logothĂšte du drome ThĂ©octiste fut assassinĂ© sur ordre de l’oncle de l’empereur par un « Tauroskuthai », Ă  l’époque synonyme de « Rus’ » [5].

Quatre ans plus tard, alors que Michel III Ă©tait parti combattre les Arabes, Constantinople fut attaquĂ©e par une flotte rus’ commandĂ©e par deux chefs qui gouvernaient alors Kiev, Askold et Dir qui pillĂšrent les abords de la capitale, mais furent toutefois repoussĂ©s par ses habitants ralliĂ©s autour de leur patriarche, Photius. La flotte rus’ devait ĂȘtre en partie dĂ©truite par une tempĂȘte, en partie par les forces impĂ©riales aprĂšs quoi des nĂ©gociations furent entreprises et un traitĂ© fut conclu avant 866 qui stipulait que les Rus’ devaient envoyer des mercenaires se mettre au service de l’Empereur[6].

Ces mercenaires furent sans doute d’abord utilisĂ©s par Basile Ier (r. 867 Ă  886) pendant la pĂ©riode de « reconquĂȘte » qui suivit la fin de la pĂ©riode iconoclaste alors que la lutte reprenait contre les Arabes pour reprendre les territoires perdus de Cilicie et de Syrie, de MĂ©sopotamie et d’ArmĂ©nie[7]. La premiĂšre mention dans les sources date du rĂšgne de son fils, LĂ©on VI (r. 886 – 912) ; on lit dans le De Ceremoniis que pour une expĂ©dition navale contre la CrĂšte, 700 Rus’ ayant participĂ© Ă  celle-ci furent payĂ©s 7 200 nomismata[8]. Les hostilitĂ©s reprirent entre 907 et 911 alors que le prince Oleg de Kiev conduisit une expĂ©dition contre Byzance. Aux termes du traitĂ© qui suivit, les Rus’ obtinrent le droit d’entrer dans l’armĂ©e « au moment oĂč ils choisiront de venir, et en nombre qu’il leur plaira[9]. ». Ce traitĂ© devait ĂȘtre renouvelĂ© en 945 aprĂšs une nouvelle attaque des Rus’ contre Constantinople sous la direction d’Igor ; dans ce nouveau traitĂ© l’Empire et la PrincipautĂ© de Kiev Ă©taient dĂ©clarĂ©s alliĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ© et promettaient de se prĂȘter main-forte contre d’éventuelles puissances ennemies[10].

En 949, Constantin VII (r. 913-959) devait diriger une expĂ©dition pour reprendre la CrĂšte aux Arabes ; son armĂ©e comptait alors 629 Rus’[11]. Par ailleurs, des bateaux (ousiai) rus’ furent utilisĂ©s comme garde-cĂŽte la mĂȘme annĂ©e Ă  Dyrrachium et le long de la cĂŽte dalmate. Des Rus’ figuraient Ă©galement au nombre des troupes de Bardas Phocas lors de la campagne de Syrie de 954-955 oĂč ils participĂšrent Ă  la bataille de Hadath au cours de laquelle Bardas fut dĂ©fait par Saif-ed-Dauleh (12 nov. 955) [12].

Sous le rĂšgne de NicĂ©phore II Phocas (r. 963 Ă  969), on trouve mention de Rhosi comme faisant partie des forces envoyĂ©es en Sicile en 964-965 sous le commandement de Manuel et Nicetas Phocas, neveux de l’Empereur, lesquels devaient ĂȘtre dĂ©faits Ă  Rametta. Parmi les prisonniers capturĂ©s par les Arabes 300 mercenaires grecs furent envoyĂ©s avec le butin au calife Muizz de Tunis au nombre desquels, selon Schlumberger, devaient se trouver des Russes et des ArmĂ©niens[13].

NicĂ©phore II devait mourir assassinĂ© en dĂ©cembre 969. L’annĂ©e suivante, le prince de Kiev, Svyatoslav, se croyant lĂ©sĂ© par ses partenaires byzantins aprĂšs ĂȘtre intervenu en Bulgarie pour obliger le tsar SimĂ©on Ier Ă  s’acquitter du tribut promis Ă  Romain Ier, envahit l’Empire, s’emparant de Philippopolis en 970. ForcĂ© d’intervenir, Jean Ier TzimiskĂšs (r. 969 - 976) obligea les Rus’ Ă  demander la paix. Un nouveau traitĂ© fut conclu dont le contenu n'est pas connu, mais qui devait comme les prĂ©cĂ©dents inclure un article sur l’envoi de mercenaires russes/scandinaves pour servir dans l’armĂ©e byzantine[14].

PĂ©riode scandinave (980-1081)

Fondation de la garde varangienne

Carte de l'Empire bulgare et de l'Empire byzantin vers l'an 1000.

Le successeur de Jean Ier TzimiskĂšs, Basile II (coempereur 960 ; empereur 976 ; dĂ©cĂšs 1025) fut celui Ă  qui l’on doit vĂ©ritablement la crĂ©ation de la garde varĂšgue.

Les dĂ©cennies 970 et 980 avaient Ă©tĂ© l’occasion d’une imposante immigration varĂšgue vers Kiev alors que le prince Vladimir Ă©tait en conflit avec son frĂšre, Iaropolk, lequel avait Ă©pousĂ© une Grecque. Vladimir utilisa ces nouveaux venus pour assurer son trĂŽne, mais ces mercenaires s’avĂ©rĂšrent rapidement des partenaires turbulents, rĂ©clamant pour eux la ville de Kiev qu’ils venaient de conquĂ©rir. Vladimir les fit patienter un mois mais rien ne venant, les VarĂšgues rĂ©clamĂšrent bientĂŽt la permission de partir pour la GrĂšce.

« "Cette ville est Ă  nous ; nous l’avons conquise : nous voulons deux grivnas comme rançon de chaque individu"

"Attendez encore un mois, rĂ©pondit Vladimir, jusqu’à ce que les martres soient revenues."

Mais les martres ne vinrent pas cette année-là.

"Tu nous as trompés, dirent les VarÚgues. Mais nous savons le chemin de la GrÚce."

"Eh bien ! Partez", répondit Vladimir.

Cependant, il garda les meilleurs et les plus intrĂ©pides d’entre eux et les distribua dans divers quartiers de la ville; quant aux autres, ils prirent le chemin de Tzarigrad (nom slave de Constantinople). »

— Chronique de Nestor, chap. VII, « Iaropolk ».

À la mĂȘme Ă©poque, Basile II qui avait envahi la Bulgarie dut lever le siĂšge entrepris devant Serdica pour retourner Ă  Constantinople faire face Ă  deux rĂ©bellions simultanĂ©es, l’une conduite par Bardas Skleros, l’autre par Bardas Phocas. Il se tourna alors vers Vladimir pour lui demander de l’aide. Celui-ci ne fut que trop heureux de lui envoyer ce turbulent contingent de VarĂšgues, fort d’environ 6 000 hommes, qui arriva Ă  Constantinople Ă  l’hiver 987-988[15]. En Ă©change, Vladimir dut promettre de se convertir au christianisme avec tout son peuple, condition essentielle Ă  son mariage avec la sƓur de Basile, Anne[16] - [17].

Psellos dans sa Chronographie dit alors que « l’empereur Basile qui connaissait bien la folie des Romains et, puisqu’une force choisie de Tauro-Scythes (terme employĂ© par Psellos pour dĂ©crire les Rus’) lui avait Ă©tĂ© envoyĂ©e rĂ©cemment, il les entraina, les intĂ©gra dans une division comprenant d’autres troupes Ă©trangĂšres et les envoya contre les ennemis[18] ». Il n’est pas impossible que ces « autres troupes Ă©trangĂšres » aient Ă©tĂ© des troupes de Rus’ slaves et scandinaves dĂ©jĂ  au service de l’Empereur[19].

L’annĂ©e suivante, ces VarĂšgues, conduits par l’Empereur en personne, dĂ©barquĂšrent Ă  Chrysopolis et se portĂšrent au-devant de Bardas Phocas. Lors de la bataille d’Abydos, le 13 avril 989, Phocas dĂ©cĂ©da d’un arrĂȘt cardiaque en pleine bataille et ses troupes s’enfuirent. La brutalitĂ© des VarĂšgues fut notĂ©e dans la poursuite qui s’ensuivit au cours de laquelle ceux-ci « mirent joyeusement [les fugitifs] en piĂšces ». À partir de ce moment, les VarĂšgues remplacĂšrent le rĂ©giment des Excubites comme garde personnelle de l’Empereur et accompagnĂšrent celui-ci dans toutes ses campagnes[20]. Cette garde d’élite devait ĂȘtre connue comme les « VarĂšgues de la CitĂ© » (οί ΔΜ τη πόλΔÎč Î’ÎŹÏÎ±ÎłÎłÎżÎč) pour les distinguer des autres unitĂ©s varĂšgues dites « VarĂšgues hors de la CitĂ© » (οί έΟω της πόλΔως Î’ÎŹÏÎ±ÎłÎłÎżÎč). Ces derniĂšres Ă©taient utilisĂ©es lĂ  oĂč le besoin s’en faisait sentir (souvent comme garnison ou comme marins) Ă  travers l’Empire, alors que la garde impĂ©riale ne quittait la capitale que lorsque l’Empereur se dĂ©plaçait[20].

Ils Ă©taient certainement aux cĂŽtĂ©s de l’Empereur lors de sa campagne de Syrie en 999 lorsqu’il s’empara d’ÉmĂšse. Yahyā d'Antioche rapporte que les habitants se rĂ©fugiĂšrent dans le monastĂšre fortifiĂ© de Saint-Constantin, mais que les Rus’ (i.e. les VarĂšgues) y mirent le feu et obligĂšrent ainsi les assiĂ©gĂ©s Ă  se rendre, aprĂšs quoi le monastĂšre fut pillĂ©[21].

L’annĂ©e suivante, l’Empereur fit campagne en ArmĂ©nie. Les VarĂšgues se signalĂšrent lorsqu’un fantassin russe fut attaquĂ© par un noble armĂ©nien dont le campement Ă©tait prĂšs, lequel voulait lui prendre le foin destinĂ© Ă  son cheval. Les Russes vinrent Ă  l’aide de leur camarade et il s’ensuivit une mĂȘlĂ©e gĂ©nĂ©rale au cours de laquelle un prince et au moins trente soldats furent tuĂ©s[22].

En 1021, Basile entreprit une expĂ©dition contre le roi George de GĂ©orgie au cours de laquelle les VarĂšgues se signalĂšrent Ă  nouveau par leur fĂ©rocitĂ© : « [
] la bataille fit rage pendant longtemps. Les hommes du roi George et l’armĂ©e qu’il avait amenĂ©e de GĂ©orgie furent dĂ©faits et s’enfuirent. Les unitĂ©s russes de l’armĂ©e impĂ©riale commencĂšrent Ă  attaquer et seul un trĂšs petit nombre des premiers attaquants rĂ©ussirent Ă  s’enfuir, car ni le roi ni le gros des troupes n’étaient arrivĂ©s. Et ce jour-lĂ  tombĂšrent ceux qui Ă©taient le plus opposĂ©s Ă  la paix[23]».

Le noyau de la garde varĂšgue servit aussi en Italie du sud alors que Normands et Lombards tentaient de mettre un terme Ă  la suzerainetĂ© byzantine dans cette rĂ©gion. En 1018, Basile reçut une requĂȘte du catĂ©pan (gouverneur d’un territoire byzantin d’Italie), Basile Boioannes, pour que des renforts soient envoyĂ©s Ă  Bari oĂč les Lombards avaient fomentĂ© une rĂ©volte. Un dĂ©tachement de la garde varĂšgue fut envoyĂ© et remporta la victoire lors de la bataille de Cannes sur les forces de Melus de Bari[24].

Contrairement Ă  Basile II, ses successeurs Constantin VIII (r. 1025-1028) et Romain III Argyre (r. 1028-1034) n’entreprirent aucune campagne d’envergure, de telle sorte que les sources byzantines n’offrent guĂšre de renseignements sur l’activitĂ© de la garde jusqu’à l’arrivĂ©e d’Harald Sigurđarson en 1034, alors que les sagas nordiques prennent la relĂšve.

Harald Sigurðarson, « la foudre du Nord »

Harald Hardrada meurt Ă  la bataille du pont de Stamford.

Harald, qui devait devenir le roi Harald III (Hardrada – l’impitoyable) de NorvĂšge, est probablement le plus connu des hĂ©ros de la garde varĂšgue. Il Ă©tait le fils d’un gouverneur du royaume et le demi-frĂšre du roi Olaf chassĂ© par ses sujets qu’il voulait Ă  tout prix convertir au christianisme. À l’ñge de quinze ans, il combattit aux cĂŽtĂ©s de son frĂšre qui tentait de reconquĂ©rir son trĂŽne, mais ce dernier fut tuĂ© en 1030 Ă  la bataille de Stiklestad et Harald dut s’exiler.

Avec une escorte de 500 hommes, il partit alors pour la Rous’ kiĂ©vienne oĂč il s’enrĂŽla dans l’armĂ©e du prince Iaroslav avant de se rendre Ă  Constantinople rejoindre la garde varĂšgue de l’impĂ©ratrice ZoĂ©.

C’était l’époque oĂč le gĂ©nĂ©ral Georges ManiakĂšs, aussi identifiĂ© sous le nom de Gyrgir dans les sagas scandinaves, fut chargĂ© par l’empereur Michael IV de reprendre la Sicile alors aux mains des Arabes de Carthage. Petit Ă  petit, ManiakĂšs entreprit de conquĂ©rir de petites villes siciliennes jusqu’à dominer presque toute l’üle, incluant Syracuse, oĂč vivaient un grand nombre de Grecs. Les VarĂšgues combattirent aux cĂŽtĂ©s des Normands rĂ©cemment arrivĂ©s et des Lombards venant de l’Apulie byzantine. Toutefois, lorsque ManiakĂšs s’aliĂ©na les Lombards en humiliant publiquement leur chef, Arduin, ces derniers l’abandonnĂšrent, suivis des Normands et des VarĂšgues.

Les possessions byzantines en Italie (jaune) vers l’an 1000.

Peu aprĂšs, Michel Doukeianos fut nommĂ© commandement du catĂ©panat d'Italie regroupant l'ensemble des provinces byzantines italiennes. Celui-ci, qui avait soin d’installer une garnison dans chaque ville reconquise, installa un contingent varĂšgue Ă  Bari. Le 16 mars 1041, les VarĂšgues affrontĂšrent les Normands prĂšs de Venosa (province de Potenza) mais durent battre en retraite. Doukeinos fut remplacĂ© par Exaugustus Boioannes avec un petit contingent de VarĂšgues. Mais celui-ci fut Ă©galement battu par les Normands le 3 septembre 1041 et les garnisons de Sicile furent transfĂ©rĂ©es en Italie continentale pour continuer le combat contre les rebelles[25].

Harald combattit neuf ans pour l’Empire aussi bien en Occident (Italie, Sicile et Afrique du Nord) qu’en Orient (Asie et Syrie) et se mĂ©rita le rang de spatharocandidatos[26], rang relativement peu Ă©levĂ© dans l’armĂ©e byzantine soulignant qu’il ne cherchait pas Ă  se prĂ©valoir de sa dignitĂ© royale. Il se gagna une rĂ©putation de grande bravoure et une fortune considĂ©rable. Les choses se gĂątĂšrent toutefois lorsque Michel V prit le pouvoir. Harald fut accusĂ©, probablement par l’impĂ©ratrice ZoĂ©, de s’ĂȘtre appropriĂ© des fonds du trĂ©sor impĂ©rial et fut jetĂ© en prison par Constantin IX (r. 1042-1055), le dernier mari de ZoĂ©. RelĂąchĂ©, il demanda son congĂ© qui fut refusĂ© par l’Empereur. Vers 1044, il partit en secret et retourna Ă  Kiev oĂč il Ă©pousa Élisabeth, la fille du roi Iaroslav.

La mort d’Édouard le Confesseur en 1066, laissait trois prĂ©tendants au trĂŽne d’Angleterre : Harald Hardrada, roi de NorvĂšge, Guillaume duc de Normandie et Harold Godwinson, comte de Wessex. Les Anglais ayant choisi Godwinson, Harald et Guillaume firent des plans pour envahir l’Angleterre, AprĂšs avoir fait nommer son fils Magnus roi de NorvĂšge, Harald fit voile vers l'Angleterre avec environ 300 navires et 9 000 hommes : ce fut la derniĂšre grande expĂ©dition viking. AprĂšs des succĂšs initiaux Ă  Fulford et York, Harald fut surpris par Harold Godwinson au pont de Stamford le 25 septembre. Harald fut tuĂ© pendant la bataille et le carnage fut tel que 24 des 300 navires suffirent Ă  ramener les survivants. Harold Godwinson pour sa part devait mourir Ă  Hastings dix-neuf jours plus tard[27].

Pendant ce temps, en Italie, plusieurs catĂ©pans furent envoyĂ©s de Constantinople avec des unitĂ©s varĂšgues, mais tous ne furent pas bien reçus, ces unitĂ©s s’étant taillĂ© une rĂ©putation de grande brutalitĂ©. Ainsi, en 1047, Jean RaphaĂ«l Ă  son arrivĂ©e avec une unitĂ© varĂšgue se vit refuser l’entrĂ©e de Bari et dut exercer son mandat Ă  partir d’Otrante. Vingt ans plus tard, le dernier catĂ©pan byzantin, Mabricias, arriva en 1067 dans le sud de l’Italie et rĂ©ussit Ă  reprendre Brindisi, Tarente et Castellaneta. Pendant cette pĂ©riode, les VarĂšgues furent impliquĂ©s dans un combat naval au cours duquel la flotte byzantine parvint Ă  dĂ©faire Robert Guiscard au large de Brindisi[28] ainsi que dans la tentative de reconquĂȘte des Pouilles Ă  partir de 1067, oĂč c'est notamment grĂące Ă  eux que NicĂ©phore Carantinos parvient Ă  dĂ©fendre Brindisi en 1070. Toutefois, les Normands devaient venir Ă  bout des forces byzantines trĂšs infĂ©rieures en nombre jusqu’à ce que le dernier catĂ©pan, Étienne Pateranos, soit obligĂ© de capituler et de livrer Brindisi et Bari en 1071, mettant ainsi fin Ă  la prĂ©sence byzantine dans le sud de l’Italie[29].

Romain IV et Alp Arslan lors de la Bataille de Manzikert (1071). Illustration tirée de Des Cas des nobles hommes et femmes de Jehan Boccace et traduit par Laurent de Premierfait (XVe siÚcle).

La mĂȘme annĂ©e 1071 devait avoir lieu le dĂ©sastre de Manzikert. Romain IV (r. 1068-1071) qui avait succĂ©dĂ© Ă  Constantin X, dĂ©sireux de porter un grand coup contre les Turcs seldjoukides du sultan Alp Arslan, s’était dirigĂ© vers l’Asie en 1068 avec toutes les troupes dont il pouvait disposer parmi lesquelles, disent les chroniques franques, se trouvaient « des Francs et des VarĂšgues ». La campagne s’annonçait bien, l’Empereur parvenant Ă  capturer HiĂ©rapolis grĂące aux troupes varĂšgues qui, sous le commandement de Pierre Libellius d’Antioche, s’emparĂšrent des portes de la citadelle. Toutefois, la fortune tourna rapidement et, dĂšs 1070, Romain IV dut envoyer une partie de ses troupes en Italie dont des unitĂ©s varĂšgues pour dĂ©fendre Brindisi en 1070 et Bari en 1071. Celles qui restĂšrent et qui constituaient la garde rapprochĂ©e de l’Empereur pĂ©rirent lors de la bataille de Manzikert, le 19 aoĂ»t 1071[29].

PĂ©riode anglo-saxonne (1081-1204)

Arrivée des Saxons

En Grande-Bretagne, la victoire du duc Guillaume de Normandie sur Harold Godwinson lors de la bataille d'Hastings le avait conduit Ă  de trĂšs profonds changements dans la sociĂ©tĂ© anglaise, dont l'Ă©lite anglo-saxonne avait Ă©tĂ© remplacĂ©e par des seigneurs normands. En 1088, prĂšs de 5 000 hommes d’arme anglo-saxons Ă©migrĂšrent sur 235 vaisseaux vers l’Empire byzantin. La conquĂȘte de l’Asie mineure par les Seldjoukides ayant considĂ©rablement rĂ©duit le bassin de recrutement pour l’armĂ©e, aussi Alexis Ier, arrivĂ© au pouvoir en 1081, accueillit favorablement ces nouveaux arrivants. Un document de l’époque, le Chrysobule du monastĂšre Saint-Jean de Patmos, indique que l’empereur avait alors Ă  son service, outre les troupes impĂ©riales, des unitĂ©s de Rus’, VarĂšgues, Anglais, Kylfinds, Francs, Germains, Bulgares, Arabes, Alains et IbĂšres[30].

Anne ComnĂšne, auteure de l’Alexiade, se rĂ©fĂ©rant Ă  l’armĂ©e telle qu’elle existait en 1080 parle de ces « barbares porteurs de haches (ÎČÎŹÏÎČÎ±ÏÎżÎč πΔλÎșÎżÏ•ÏŒÏÎżÎč) venant de ThulĂ© »[31], une rĂ©fĂ©rence aux Îles britanniques ou Ă  la Scandinavie. À partir de ce rĂšgne, la garde personnelle de l’Empereur fut rĂ©guliĂšrement qualifiĂ©e d’Englinbarrangoi (Anglo-VarĂšgues). Jean Kinnamos qui fut Ă  la fois soldat et secrĂ©taire de l’empereur Manuel Ier (r. 1143-1180) et dont les rĂ©cits continuent l’Alexiade se rĂ©fĂšre Ă  ces « porteurs de haches » qui gardaient l’Empereur comme appartenant « Ă  cette nation britannique qui avait Ă©tĂ© au service des empereurs romains depuis un long temps ». Certains de ces nouveaux-venus furent incorporĂ©s dans la garde varĂšgue, les autres furent utilisĂ©s soit en Italie, soit en Asie mineure pour y renforcer les fortifications de la ville de Cibotos pour la dĂ©fendre contre les Turcs qui s’étaient installĂ©s Ă  NicĂ©e[32] - [33].

Alexis Ier s’éteignit dans la nuit du 15 au 16 aoĂ»t 1118 aprĂšs avoir remis son anneau Ă  son fils Jean (Jean II, r. 1118-1143), le dĂ©signant ainsi comme son successeur. Il dĂ©joua ainsi les plans de l’impĂ©ratrice IrĂšne et de sa fille Anne ComnĂšne qui faisaient pression depuis longtemps dĂ©jĂ  pour qu’il dĂ©signe plutĂŽt comme successeur le mari d’Anne ComnĂšne, NicĂ©phore Bryenne, mĂȘme si celui-ci refusait le rĂŽle qu’on voulait lui faire jouer. Jean rĂ©ussit Ă  se faufiler hors du palais de la Mangane et se rendit Ă  la cathĂ©drale Sainte-Sophie oĂč il fut immĂ©diatement couronnĂ©. De retour au palais, il se vit refuser l’entrĂ©e par la garde varĂšgue. Ce n’est qu’aprĂšs avoir confirmĂ© la mort de son pĂšre et avoir montrĂ© l’anneau impĂ©rial aux gardes qu’il put entrer, prendre le contrĂŽle de l’armĂ©e et de la marine et mettre ainsi un terme au complot de sa sƓur[34].

Le nouvel Empereur dut utiliser la garde Ă  de nombreuses reprises. Toutefois, la seule participation mentionnĂ©e dans les sources est la bataille de BĂ©roĂŻa en 1122, au cours de laquelle les VarĂšgues se distinguĂšrent dans l’assaut donnĂ© contre les forces PetchenĂšgues sur la frontiĂšre bulgare[35].

RĂšgne de Manuel Ier

Manuel Ier (r. 1143-1180) qui succĂ©da Ă  Jean II fut Ă©galement un chef militaire actif tant en Occident qu’en Orient et utilisa probablement les VarĂšgues Ă  la fois comme garde personnelle et comme garnison dans les postes frontiĂšres. La premiĂšre mention dans les sources durant ce rĂšgne est l’expĂ©dition menĂ©e par Roger II de Sicile en GrĂšce alors que Manuel Ă©tait occupĂ© Ă  surveiller les troupes de la deuxiĂšme croisade qui traversaient l’Empire en 1147. AprĂšs avoir attaquĂ© Corfou, celui-ci se dirigea vers ThĂšbes qu’il pilla et occupa. Manuel envoya alors quelques unitĂ©s varĂšgues sous le commandement d’Étienne Contostephanos son beau-frĂšre et de Jean Axuchos. Cinnamos rapporte que Contostephanos fut mortellement touchĂ©, mais qu’il donna ordre Ă  son fils et au « commandant des porteurs de haches » de poursuivre le combat[36]. Sur le coup, les Byzantins durent battre en retraite, mais lorsque Manuel (accompagnĂ© sans doute de sa propre garde varĂšgue) arriva, ils rĂ©ussirent Ă  forcer les Normands Ă  cĂ©der la ville[37].

Un autre incident impliquant les VarĂšgues durant le rĂšgne de Manuel fut la tentative de coup menĂ©e par son cousin Andronic en 1154. Lorsque ce dernier tenta de s’introduire dans la tente oĂč dormait l’Empereur, les gardes le dĂ©couvrirent et l’empĂȘchĂšrent d’entrer. Revenant Ă  la charge, Andronic envoya une troupe d’Isauriens pour assassiner l’Empereur. Mais l’impĂ©ratrice IrĂšne eut vent de la chose et envoya un certain « Isaac, homme d’origine Ă©trangĂšre, mais grand ami du basileus avec 300 hommes » Ă  sa poursuite[38]. Commandant de la garde varĂšgue, cet Isaac, devint par la suite moine sous le nom de Michel et prit part au synode des Blachernes en 1166[39].

En 1155-56, lorsque Renaud de ChĂątillon, prince d’Antioche, attaqua Chypre oĂč une unitĂ© varĂšgue Ă©tait en garnison Ă  Paphos, ce furent ces mĂȘmes VarĂšgues qui, aprĂšs la capture de Renaud, l’amenĂšrent pieds et poings liĂ©s devant l’Empereur[40]. De mĂȘme, ils furent placĂ©s en Ă©vidence lorsque Manuel reçut Baudouin III de JĂ©rusalem[41] ainsi que lorsqu’il fit son entrĂ©e solennelle Ă  Antioche aprĂšs que Renaud de ChĂątillon eut dĂ» se dĂ©clarer son vassal[42].

Vingt ans plus tard, en 1176, Manuel Ier conduisit une expĂ©dition contre les Turcs en Asie mineure. À la tĂȘte de l’armĂ©e et accompagnĂ© de sa garde varĂšgue, Manuel fut dĂ©fait Ă  la bataille de Myriokephalon ; si l’Empereur blessĂ© s’échappa de justesse, une bonne partie de sa garde varĂšgue fut massacrĂ©e[43].

Succession de Manuel Ier et fin de la garde

La fidĂ©litĂ© Ă  toute Ă©preuve de cette garde Ă  la personne de l’Empereur Ă©tait devenue lĂ©gendaire. Aussi fut-il surprenant de voir qu’aprĂšs la mort de Manuel Ier et l’avĂšnement de son fils, Alexis II, alors ĂągĂ© de douze ans, celle-ci se dĂ©clara en faveur d’Andronic ComnĂšne (r. 1183-1185) qui, avec leur appui, chassa la rĂ©gente, Marie d'Antioche, et le corĂ©gent Alexis. Ce changement d’attitude s’explique sans doute par le fait que les VarĂšgues crurent que Marie d'Antioche et Alexis s’apprĂȘtaient Ă  Ă©liminer le jeune Empereur et qu’Andronic constituait la meilleure dĂ©fense contre cette traitrise ; c’était se tromper sur les intentions d’Andronic qui fit assassiner le jeune Alexis peu aprĂšs sa prise de pouvoir. Quoique l’attitude de la garde varĂšgue ne soit pas connue durant ce rĂšgne, il est certain qu’elle ne fit rien pour protĂ©ger l’Empereur lorsque la foule le mit en piĂšces aprĂšs quelques mois de rĂšgne et le remplaça par Isaac II Ange (r. 1185 – 1195 et 1203 – 1204)[44].

Lorsqu’Alexis III (r. 1195-1203) monta sur le trĂŽne, il Ă©crivit aux trois rois de Scandinavie (Sverre de NorvĂšge, Knut Ier de SuĂšde et Knud VI de Danemark) les priant de lui fournir de nouveaux soldats pour renforcer la garde varĂšgue. Seule la NorvĂšge semble avoir rĂ©pondu Ă  cet appel, envoyant, non des soldats de carriĂšre, mais des fils de paysans et de commerçants dĂ©sireux de quitter le pays. Toutefois, la garde fut assez forte pour opposer une rĂ©sistance efficace aux forces des croisĂ©s jusqu’à ce que les VĂ©nitiens du doge Dandolo rĂ©ussissent Ă  pĂ©nĂ©trer dans la ville. Le trĂ©sorier de la ville, Constantin, se tourna alors vers les VarĂšgues leur promettant une importante rĂ©compense s’ils sortaient l’ancien empereur Isaac II de prison et le remettaient sur le trĂŽne en compagnie de son fils, Alexis IV[45]. Les coempereurs Ă©tant dans l’incapacitĂ© de respecter leurs engagements envers les Latins, Alexis Murzuphle (Alexis V, r. avril 1204), s’assura l’allĂ©geance des VarĂšgues en leur faisant croire que les coempereurs s’apprĂȘtaient Ă  les remplacer par des Latins. Murzuphle s’empara ainsi du pouvoir avec l’aide des VarĂšgues[46]. Pas plus que ses prĂ©dĂ©cesseurs, il ne put reprendre le contrĂŽle de la situation et dut s’enfuir alors que Francs et VĂ©nitiens lançaient l’assaut final sur la ville, le 12 avril 1204. PrivĂ©s de leur Empereur, les VarĂšgues n’eurent alors d’autre choix que de capituler, mettant ainsi fin Ă  un rĂ©giment impĂ©rial qui avait servi les empereurs de diverses dynasties pendant plus de deux siĂšcles[47].

Période de l'Empire de Nicée

L'Empire de Nicée et ses voisins aprÚs la chute de Constantinople

AprĂšs la prise de Constantinople en 1204, ThĂ©odore Ier Lascaris (r. 1205-1221), issu d’une famille aristocratique, se replia avec son frĂšre Constantin Lascaris Ă  NicĂ©e ; il y fonda l’Empire de NicĂ©e qui se voulait le continuateur de l’Empire byzantin dont il reprit les us et coutumes. La garde impĂ©riale Ă©tait divisĂ©e en cinq rĂ©giments : les Scholes, les Keltai Pelekophroi (i.e. les « porteurs de haches » ou VarĂšgues), les Vardariotes, les Tzusi et les Korynophoroi (i.e. les « porteurs de batons »). L’unitĂ© dĂ©crite comme « Celtes porteurs de haches » Ă©tait sans doute des VarĂšgues ayant suivi Constantin Lascaris et qui s’étaient joints aux forces de ThĂ©odore aprĂšs la mort de celui-ci Ă  la bataille d’Adramyttium le 18 mars 1205[48].

Son successeur, Jean III Doukas VatatzĂšs (r. 1221-1254), porta un intĂ©rĂȘt particulier au dĂ©veloppement social, en particulier aux questions Ă©conomiques. Son style frugal de gouvernement lui permit d’amasser une fortune considĂ©rable Ă  Magnesie et les VarĂšgues furent chargĂ©s de veiller sur le TrĂ©sor impĂ©rial[49]. Son fils, ThĂ©odore II (r. 1254-1258) devait faire de mĂȘme pour le TrĂ©sor d’Astyza[50]. PachymĂšre mentionne Ă©galement que lorsque Michel VIII PalĂ©ologue (coempereur 1259-1261 ; empereur 1261-1282) tenta de s’emparer d’une partie du trĂ©sor impĂ©rial pour devenir coempereur en 1259, les VarĂšgues s’interposĂšrent[51]. Et lorsque l’archevĂȘque Manuel de Thessalonique tenta de s’objecter au couronnement de Michel, il dut se rĂ©signer Ă  prĂ©sider la cĂ©rĂ©monie sous la menace de la garde varĂšgue qui se tenait Ă  la disposition de Michel VIII et Jean IV[52]. FidĂšles Ă  leur tradition de loyautĂ© Ă  l’endroit du dĂ©tenteur du pouvoir, les VarĂšgues continuĂšrent Ă  remplir des tĂąches qui auraient rĂ©pugnĂ© Ă  des Grecs : ainsi, ce furent eux qui furent chargĂ©s de surveiller le futur patriarche Jean Bekkos que Michel VIII fit emprisonner Ă  la Tour d’Anemas[53].

Par la suite, les VarĂšgues ne sont guĂšre mentionnĂ©s que lors de cĂ©rĂ©monies oĂč ils participaient au faste en se tenant avec leur hache traditionnelle autour de l’Empereur[54]. À partir de Jean CantacuzĂšne, on ne trouve plus guĂšre de rĂ©fĂ©rence dans les documents qui indiquerait une prĂ©sence scandinave ou anglaise dans l’armĂ©e byzantine[55]. Toutefois, et jusque dans les annĂ©es 1400, on pouvait encore trouver des personnes s’identifiant comme « VarĂšgues » Ă  Constantinople.

Fonctions

Les fonctions de la Garde varĂšgue Ă©taient essentiellement les mĂȘmes que celles de la druzhina Ă  Kiev, la hird en NorvĂšge et les housecarls scandinaves et anglo-saxons. Les VarĂšgues constituaient la garde personnelle de l’Empereur Ă  qui ils prĂȘtaient serment de loyautĂ©. Ils Ă©taient Ă©galement utilisĂ©s lors de cĂ©rĂ©monies officielles pour participer aux acclamations et remplissaient certaines fonctions de police que l’on aurait hĂ©sitĂ© Ă  confier Ă  des Grecs surtout dans les cas de trahisons et de complots. Leur officier, ayant titre d’akolouthos, Ă©tait normalement un Byzantin.

Au cours de batailles, les VarĂšgues Ă©taient seulement utilisĂ©s dans les moments critiques ou lorsque la bataille atteignait son paroxysme[56]. Des chroniqueurs byzantins de l’époque notent avec frayeur et fascination que « les Scandinaves Ă©taient effrayants, tant par leur apparence que par leur Ă©quipement ; ils attaquaient avec rage et ne se souciaient ni de leur sang, ni de leurs blessures[56]. Lorsqu’un Empereur mourait, ils avaient le privilĂšge unique de pouvoir se rendre au TrĂ©sor impĂ©rial et de s’emparer d’autant d’or et de joyaux qu’ils pouvaient transporter, une coutume nordique connue sous le nom de poltasvarf (« pillage du palais ») en vieux norvĂ©gien. Ce privilĂšge permit Ă  nombre d’entre eux de retourner chez eux avec de grandes richesses, ce qui encouragea d’autres Scandinaves Ă  rejoindre les rangs de la garde[56].

La loyautĂ© des VarĂšgues devint lĂ©gendaire chez les auteurs byzantins. TĂ©moins ces mots, peut-ĂȘtre apocryphes, qu’un chef varĂšgue adressait Ă  l’Empereur dans la Saga de Saint Olaf : « MĂȘme s’il y avait du feu devant moi, moi et mes hommes nous y jetterions volontiers si j’avais l’impression, ĂŽ roi, que je pouvais ainsi gagner votre bon plaisir[57]». Se rĂ©fĂ©rant Ă  la prise du pouvoir par son pĂšre, Alexis Ier, Anne ComnĂšne note qu’on lui recommanda de ne pas s’attaquer aux VarĂšgues qui gardaient l’empereur NicĂ©phore, car les VarĂšgues « considĂšrent la loyautĂ© Ă  l’endroit des empereurs et de leur famille comme une tradition familiale, une sorte de confiance sacrĂ©e ». Elle continue en Ă©crivant qu’ils « prĂ©servent cette allĂ©geance de façon inviolable et qu’ils ne se permettront de la violer en aucune façon[58]».

AttachĂ©s Ă  l’Empereur, les VarĂšgues ne jouĂšrent aucun rĂŽle dans les multiples rĂ©volutions de palais et restĂšrent pratiquement toujours fidĂšles au monarque lĂ©gitime. Toutefois, la loyautĂ© des VarĂšgues s’adressait Ă  la fonction impĂ©riale et non Ă  celui qui Ă©tait sur le trĂŽne. On en vit la preuve lorsqu’en 969 la Garde, arrivĂ©e trop tard sur les lieux de l’assassinat de l’empereur NicĂ©phore II, se hĂąta de prĂȘter allĂ©geance Ă  son meurtrier Jean TzimiskĂšs. « Vivant, ils l’auraient dĂ©fendu jusqu’à leur dernier soupir. Mort, ils ne voyaient aucune raison de le venger ; ils avaient maintenant un nouveau maĂźtre[59] ».

Tel que mentionnĂ© plus haut, cette attitude devait se confirmer Ă  deux autres occasions. En 1071, aprĂšs que l’empereur Romain IV DiogĂšne eut Ă©tĂ© capturĂ© par le sultan Alp Arslan, un coup d’État eut lieu Ă  Constantinople, renversant l’Empereur pour le remplacer par le cĂ©sar Jean Doukas. Celui-ci utilisa la garde pour l’exĂ©cution de son coup, l’arrestation de l’impĂ©ratrice Eudoxie et la proclamation du neveu de Romain, Michel VII (r. 1071-1078), comme Empereur. Dans un autre Ă©pisode, Jean Zonaras rapporte que la garde se rĂ©volta contre NicĂ©phore III Botaniates aprĂšs l’aveuglement du gĂ©nĂ©ral NicĂ©phore Bryennos en 1078, voulant assassiner l’Empereur, mais qu’elle fut dĂ©faite par les troupes loyales[60].

Notes et références

Notes

  1. Les Rus’ Ă©taient un amalgame de colons scandinaves (principalement suĂ©dois) et de nomades slaves et finno-ougriens ; le terme est utilisĂ© ici dans un sens gĂ©ographique et inclut aussi bien des groupes d’origine slave que scandinave.

Références

  1. Cette section constitue un résumé de Blöndal (1978) pp. 2-24.
  2. Treadgold (1995) p. 39.
  3. Traduction du titre khagan ; voir article « Khaganat de la Rus’ ».
  4. Benedikz (1978), pp. 32 et 33
  5. Gineius, Basileion, 89.
  6. Chronique de Nestor, I col. 21.
  7. Théotokis (2012) p. 132.
  8. De Ceremoniis, I, 654.
  9. Chronique de Nestor, I, col. 33.
  10. Chronique de Nestor, I, col. 46-54.
  11. Chronique de Nestor, I, col. 44.
  12. Mutanabbi (1950) p. 331.
  13. Léon le Diacre et Ibn-el-Athir, rapportés par Blöndal (1978) p. 39.
  14. Blöndal (1978) p. 41.
  15. Cedrenus, Cedrenus Scylitzae Ope II, 444; Psellos, Chronographie, I, 9; Zonaras, Annales, III, 533.
  16. D’Amato (2010) p. 4
  17. Blöndal (1978) pp. 43-44.
  18. Psellos, Chronographie, I, 9.
  19. Blöndal (1978) p. 44.
  20. Blöndal (1978) p. 45
  21. Yahia, Histoire, II, 458.
  22. Asoschik, Histoire universelle, II, 165.
  23. Rapporté par Blöndal (1978) p. 49 .
  24. Rapporté par Blöndal (1978) p. 51.
  25. Loud (2013) p. 93.
  26. Obolensky (1971), p. 235
  27. Cette section est un résumé de Haywood (1995), p. 124-125) et de Blöndal(1978) p. 54-102.
  28. Kekaumenos, Strategicon, 66-67.
  29. Blöndal (1978) pp. 110-111
  30. Chrysobule du monastÚre Saint-Jean de Patmos, cité par Blöndal (1978) p. 123
  31. Alexiade, II, 73.
  32. Kinnamos, « Faits et gestes de Jean et Manuel ComnÚne », p. 16.
  33. Blöndal (1978) p. 147.
  34. Zonaras, Annales, III, 763-764.
  35. Blöndal(1978)p. 148.
  36. Kinamos, Faits et gestes..., 97-98.
  37. Blöndal(1978) p. 154.
  38. Kinnamos, Faits et gestes... 129-130.
  39. Kinnamos, Faits et gestes... 298.
  40. Kinnamos, Faits et gestes... 182-183.
  41. Kinnamos, Faits et gestes
. 185.
  42. Kinnamos, Faits et gestes.... 186.
  43. Kinnamos, Faits et gestes... 299 et sq.
  44. Blöndal (1978) p. 160.
  45. Nicetas, Historiae, 727.
  46. Nicetas, Historiae, 744-747.
  47. Blöndal(1978) pp. 165-166.
  48. Blöndal (1978) pp. 170-171.
  49. PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, libri XIII, I,71)
  50. PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, I, 68.
  51. PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, I, 71 et sq.
  52. PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, I, 103.
  53. PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, I, 378 ; on retrouve ici le nom de ÎšÎ”Î»Ï„Î±ÎŻ donnĂ© aux VarĂšgues.
  54. PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, II, 73 et sq.
  55. Blöndal(1978) p. 175.
  56. Enoksen (1998)p. 135)
  57. Saga of St Olaf : Flateyjarbok, ii Christina, 1862), p. 380 ; cité dans Obolensky (1971), p. 235.
  58. Anne ComnĂšne, Alexiade, p. 97 de l’édition Penguin, 2003.
  59. Norwich (1991) p. 209.
  60. Buckler (1929) p. 367.

Bibliographie

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Voir aussi

Liens internes

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