Garde varangienne
La garde varangienne ou garde varĂšgue (du grec Î€ÎŹÎłÎŒÎ± ÏÏÎœ ÎαÏΏγγÏÎœ, TĂĄgma tĆn VarĂĄngĆn) Ă©tait un corps dâĂ©lite de lâarmĂ©e byzantine formĂ© de mercenaires dâabord scandinaves, puis de plus en plus anglo-saxons, dont le rĂŽle principal Ă©tait la protection rapprochĂ©e de lâempereur ; elle exista du Xe siĂšcle au XIVe siĂšcle.
Les Rusâ [N 1] entrĂšrent au service de lâEmpire byzantin dĂšs 874. La garde varĂšgue fut fondĂ©e en 988 sous lâempereur Basile II aprĂšs la conclusion dâun traitĂ© avec la Russie kiĂ©vienne de Vladimir Ier qui prĂ©voyait lâenvoi dâun contingent de 6 000 hommes. Lâempereur, qui devait faire face aux rĂ©bellions de Bardas Phokas et de Bardas SklĂšros, se mĂ©fiait de sa garde byzantine et prĂ©fĂ©ra employer ces guerriers comme gardes du corps.
Jusquâau XIe siĂšcle, la garde fut principalement composĂ©e de Scandinaves venus de SuĂšde, du Danemark, de NorvĂšge et dâIslande. AprĂšs la conquĂȘte de l'Angleterre par les Normands, sây ajoutĂšrent un nombre de plus en plus considĂ©rable dâAnglo-Saxons fuyant la domination normande. Sous Alexis ComnĂšne, ceux-ci formaient dĂ©jĂ la majoritĂ© de la garde.
Outre dâassurer la protection de lâEmpereur, la garde varĂšgue fut utilisĂ©e dans nombre de guerres, notamment en Italie au XIe siĂšcle alors que Normands et Lombards tentaient de sâemparer du sud de la pĂ©ninsule. La garde en tant que telle disparaĂźt lors de la prise de Constantinople par les Latins le .
Vers la fin du XIIIe siĂšcle, les VarĂšgues sâĂ©taient pratiquement assimilĂ©s aux Grecs byzantins quoique dans les annĂ©es 1400, on pouvait encore trouver des personnes sâidentifiant comme « VarĂšgues » Ă Constantinople.
Contexte et origine
LâarmĂ©e byzantine[1]
Ă la mort de Basile II (r. 960-1025), lâarmĂ©e byzantine Ă©tait la plus puissante de la rĂ©gion. Depuis les rĂ©formes de ThĂ©ophile Ier (r. 829-842), lâarmĂ©e avait presque doublĂ© la superficie de lâEmpire et, depuis la deuxiĂšme AnnĂ©e des quatre empereurs en 193, nâintervenait plus directement dans le choix du basileus[2].
Comme lâempire politique, lâempire militaire Ă©tait divisĂ© en thĂšmes. Sous ThĂ©ophile, il y avait 11 thĂšmes en Asie et 12 en Europe, chaque thĂšme ayant son corps de soldats appelĂ©s stratiotai. Trois thĂšmes, celui de Cibirriote en Asie mineure, le thĂšme de lâĂgĂ©e (sĂ©parĂ© du premier vers 843) et celui de Samos (sĂ©parĂ© de ce dernier vers 882) avaient la responsabilitĂ© de la flotte maritime. Enfin, surtout dans les cols de montagnes, des forts sous contrĂŽle militaire assuraient la protection des frontiĂšres.
Chaque thĂšme devait fournir trois ou quatre « brigades », chacune divisĂ©e en un certain nombre de droungoi (bataillons), Ă leurs tours divisĂ©s en cinq banda (compagnies). Le nombre de soldats dans ces compagnies varia considĂ©rablement dans le temps allant de 200 Ă 400. Il est difficile dâestimer le nombre total de soldats que comptait lâarmĂ©e, le chiffre le plus souvent mentionnĂ© Ă©tant de 80 000.
Ă cĂŽtĂ© de cette armĂ©e des thĂšmes existait une autre force appelĂ©e tagmata devant servir Ă la fois de garnison pour la capitale et dâarmĂ©e de rĂ©serve lorsque le besoin sâen faisait sentir. Celle-ci consistait en quatre rĂ©giments de cavalerie : les Scholae, les Excubites, les Arithmos (ou Vigla) et les Hikanatoi.
Outre lâarmĂ©e impĂ©riale, lâEmpereur disposait dâun certain nombre dâunitĂ©s formĂ©es dâhabitants de territoires conquis ou avec lesquels lâEmpire avait Ă©tĂ© en guerre : Normands, Turcs, Italiens, Français, Germains, Hongrois, peuples slaves incluant les Russes ainsi que des Scandinaves, ces deux derniers peuples Ă©tant Ă lâorigine de la garde varĂšgue. Lâensemble de ces unitĂ©s Ă©tait appelĂ©e Hetairia et Ă©tait commandĂ©e par le Megas Hetairarchos qui avait rang de stratarchos et Ă©tait lâun des plus hauts dignitaires de lâempire.
Premiers contacts entre Rusâ et Byzantins
Les premiers contacts entre VarĂšgues et Byzantins furent le fait de Scandinaves (SuĂšde, Danemark, NorvĂšge, Islande) installĂ©s dans la Russie kiĂ©vienne et remontaient, croit-on, aux annĂ©es 836-839 alors quâune ambassade, rapportĂ©e dans les Annales de Saint-Bertin, se rendit Ă Constantinople probablement pour nĂ©gocier un traitĂ©. Craignant de rentrer chez eux par la mĂȘme route quâĂ lâaller en raison des tribus hostiles de cette rĂ©gion, ils vinrent, accompagnĂ©s de reprĂ©sentants de lâempereur byzantin ThĂ©ophile (813-842), Ă la cour de Louis le Pieux Ă Ingelheim, le demander libre-passage par les terres dâempire. Parmi les membres de la dĂ©lĂ©gation se trouvaient des gens dâune nation appelĂ©e Rhos dont le roi portait le titre de Chacanos[3]. Rendu mĂ©fiant par les mĂ©faits de Scandinaves Ă ses frontiĂšres, Louis fit faire des vĂ©rifications qui dĂ©montrĂšrent que ceux-ci Ă©taient gentis Sueonum (SuĂ©dois). Vers la mĂȘme Ă©poque eut lieu une expĂ©dition des Rusâ en Propontide alors quâils Ă©taient en route vers la Paphlagonie. On ne peut savoir si cette ambassade eut lieu aprĂšs le raid, Ă la suite d'une dĂ©route de la flotte russe et si elle avait constituĂ© une tentative de nĂ©gociation d'un traitĂ© de paix, ou si au contraire le raid fut le rĂ©sultat d'un Ă©chec de nĂ©gociations commerciales antĂ©rieures[4].
Il y a tout lieu de croire quâau cours des rencontres avec ces Ă©missaires, lâempereur ThĂ©ophile dont le rĂšgne connut nombre de dĂ©faites aux mains du califat de Bagdad tenta dâobtenir des mercenaires de la Rusâ kiĂ©vienne pour consolider son armĂ©e. En fait, dĂšs le rĂšgne de son fils, Michel III (r. 842-867), des Rusâ faisaient partie de la garde impĂ©riale puisquâen novembre 855, le logothĂšte du drome ThĂ©octiste fut assassinĂ© sur ordre de lâoncle de lâempereur par un « Tauroskuthai », Ă lâĂ©poque synonyme de « Rusâ » [5].
Quatre ans plus tard, alors que Michel III Ă©tait parti combattre les Arabes, Constantinople fut attaquĂ©e par une flotte rusâ commandĂ©e par deux chefs qui gouvernaient alors Kiev, Askold et Dir qui pillĂšrent les abords de la capitale, mais furent toutefois repoussĂ©s par ses habitants ralliĂ©s autour de leur patriarche, Photius. La flotte rusâ devait ĂȘtre en partie dĂ©truite par une tempĂȘte, en partie par les forces impĂ©riales aprĂšs quoi des nĂ©gociations furent entreprises et un traitĂ© fut conclu avant 866 qui stipulait que les Rusâ devaient envoyer des mercenaires se mettre au service de lâEmpereur[6].
Ces mercenaires furent sans doute dâabord utilisĂ©s par Basile Ier (r. 867 Ă 886) pendant la pĂ©riode de « reconquĂȘte » qui suivit la fin de la pĂ©riode iconoclaste alors que la lutte reprenait contre les Arabes pour reprendre les territoires perdus de Cilicie et de Syrie, de MĂ©sopotamie et dâArmĂ©nie[7]. La premiĂšre mention dans les sources date du rĂšgne de son fils, LĂ©on VI (r. 886 â 912) ; on lit dans le De Ceremoniis que pour une expĂ©dition navale contre la CrĂšte, 700 Rusâ ayant participĂ© Ă celle-ci furent payĂ©s 7 200 nomismata[8]. Les hostilitĂ©s reprirent entre 907 et 911 alors que le prince Oleg de Kiev conduisit une expĂ©dition contre Byzance. Aux termes du traitĂ© qui suivit, les Rusâ obtinrent le droit dâentrer dans lâarmĂ©e « au moment oĂč ils choisiront de venir, et en nombre quâil leur plaira[9]. ». Ce traitĂ© devait ĂȘtre renouvelĂ© en 945 aprĂšs une nouvelle attaque des Rusâ contre Constantinople sous la direction dâIgor ; dans ce nouveau traitĂ© lâEmpire et la PrincipautĂ© de Kiev Ă©taient dĂ©clarĂ©s alliĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ© et promettaient de se prĂȘter main-forte contre dâĂ©ventuelles puissances ennemies[10].
En 949, Constantin VII (r. 913-959) devait diriger une expĂ©dition pour reprendre la CrĂšte aux Arabes ; son armĂ©e comptait alors 629 Rusâ[11]. Par ailleurs, des bateaux (ousiai) rusâ furent utilisĂ©s comme garde-cĂŽte la mĂȘme annĂ©e Ă Dyrrachium et le long de la cĂŽte dalmate. Des Rusâ figuraient Ă©galement au nombre des troupes de Bardas Phocas lors de la campagne de Syrie de 954-955 oĂč ils participĂšrent Ă la bataille de Hadath au cours de laquelle Bardas fut dĂ©fait par Saif-ed-Dauleh (12 nov. 955) [12].
Sous le rĂšgne de NicĂ©phore II Phocas (r. 963 Ă 969), on trouve mention de Rhosi comme faisant partie des forces envoyĂ©es en Sicile en 964-965 sous le commandement de Manuel et Nicetas Phocas, neveux de lâEmpereur, lesquels devaient ĂȘtre dĂ©faits Ă Rametta. Parmi les prisonniers capturĂ©s par les Arabes 300 mercenaires grecs furent envoyĂ©s avec le butin au calife Muizz de Tunis au nombre desquels, selon Schlumberger, devaient se trouver des Russes et des ArmĂ©niens[13].
NicĂ©phore II devait mourir assassinĂ© en dĂ©cembre 969. LâannĂ©e suivante, le prince de Kiev, Svyatoslav, se croyant lĂ©sĂ© par ses partenaires byzantins aprĂšs ĂȘtre intervenu en Bulgarie pour obliger le tsar SimĂ©on Ier Ă sâacquitter du tribut promis Ă Romain Ier, envahit lâEmpire, sâemparant de Philippopolis en 970. ForcĂ© dâintervenir, Jean Ier TzimiskĂšs (r. 969 - 976) obligea les Rusâ Ă demander la paix. Un nouveau traitĂ© fut conclu dont le contenu n'est pas connu, mais qui devait comme les prĂ©cĂ©dents inclure un article sur lâenvoi de mercenaires russes/scandinaves pour servir dans lâarmĂ©e byzantine[14].
PĂ©riode scandinave (980-1081)
Fondation de la garde varangienne
Le successeur de Jean Ier TzimiskĂšs, Basile II (coempereur 960 ; empereur 976 ; dĂ©cĂšs 1025) fut celui Ă qui lâon doit vĂ©ritablement la crĂ©ation de la garde varĂšgue.
Les dĂ©cennies 970 et 980 avaient Ă©tĂ© lâoccasion dâune imposante immigration varĂšgue vers Kiev alors que le prince Vladimir Ă©tait en conflit avec son frĂšre, Iaropolk, lequel avait Ă©pousĂ© une Grecque. Vladimir utilisa ces nouveaux venus pour assurer son trĂŽne, mais ces mercenaires sâavĂ©rĂšrent rapidement des partenaires turbulents, rĂ©clamant pour eux la ville de Kiev quâils venaient de conquĂ©rir. Vladimir les fit patienter un mois mais rien ne venant, les VarĂšgues rĂ©clamĂšrent bientĂŽt la permission de partir pour la GrĂšce.
« "Cette ville est Ă nous ; nous lâavons conquise : nous voulons deux grivnas comme rançon de chaque individu"
"Attendez encore un mois, rĂ©pondit Vladimir, jusquâĂ ce que les martres soient revenues."
Mais les martres ne vinrent pas cette année-là .
"Tu nous as trompés, dirent les VarÚgues. Mais nous savons le chemin de la GrÚce."
"Eh bien ! Partez", répondit Vladimir.
Cependant, il garda les meilleurs et les plus intrĂ©pides dâentre eux et les distribua dans divers quartiers de la ville; quant aux autres, ils prirent le chemin de Tzarigrad (nom slave de Constantinople). »
â Chronique de Nestor, chap. VII, « Iaropolk ».
Ă la mĂȘme Ă©poque, Basile II qui avait envahi la Bulgarie dut lever le siĂšge entrepris devant Serdica pour retourner Ă Constantinople faire face Ă deux rĂ©bellions simultanĂ©es, lâune conduite par Bardas Skleros, lâautre par Bardas Phocas. Il se tourna alors vers Vladimir pour lui demander de lâaide. Celui-ci ne fut que trop heureux de lui envoyer ce turbulent contingent de VarĂšgues, fort dâenviron 6 000 hommes, qui arriva Ă Constantinople Ă lâhiver 987-988[15]. En Ă©change, Vladimir dut promettre de se convertir au christianisme avec tout son peuple, condition essentielle Ă son mariage avec la sĆur de Basile, Anne[16] - [17].
Psellos dans sa Chronographie dit alors que « lâempereur Basile qui connaissait bien la folie des Romains et, puisquâune force choisie de Tauro-Scythes (terme employĂ© par Psellos pour dĂ©crire les Rusâ) lui avait Ă©tĂ© envoyĂ©e rĂ©cemment, il les entraina, les intĂ©gra dans une division comprenant dâautres troupes Ă©trangĂšres et les envoya contre les ennemis[18] ». Il nâest pas impossible que ces « autres troupes Ă©trangĂšres » aient Ă©tĂ© des troupes de Rusâ slaves et scandinaves dĂ©jĂ au service de lâEmpereur[19].
LâannĂ©e suivante, ces VarĂšgues, conduits par lâEmpereur en personne, dĂ©barquĂšrent Ă Chrysopolis et se portĂšrent au-devant de Bardas Phocas. Lors de la bataille dâAbydos, le 13 avril 989, Phocas dĂ©cĂ©da dâun arrĂȘt cardiaque en pleine bataille et ses troupes sâenfuirent. La brutalitĂ© des VarĂšgues fut notĂ©e dans la poursuite qui sâensuivit au cours de laquelle ceux-ci « mirent joyeusement [les fugitifs] en piĂšces ». Ă partir de ce moment, les VarĂšgues remplacĂšrent le rĂ©giment des Excubites comme garde personnelle de lâEmpereur et accompagnĂšrent celui-ci dans toutes ses campagnes[20]. Cette garde dâĂ©lite devait ĂȘtre connue comme les « VarĂšgues de la CitĂ© » (οί ΔΜ Ïη ÏÏλΔÎč ÎÎŹÏαγγοÎč) pour les distinguer des autres unitĂ©s varĂšgues dites « VarĂšgues hors de la CitĂ© » (οί ÎÎŸÏ ÏÎ·Ï ÏÏλΔÏÏ ÎÎŹÏαγγοÎč). Ces derniĂšres Ă©taient utilisĂ©es lĂ oĂč le besoin sâen faisait sentir (souvent comme garnison ou comme marins) Ă travers lâEmpire, alors que la garde impĂ©riale ne quittait la capitale que lorsque lâEmpereur se dĂ©plaçait[20].
Ils Ă©taient certainement aux cĂŽtĂ©s de lâEmpereur lors de sa campagne de Syrie en 999 lorsquâil sâempara dâĂmĂšse. YahyÄ d'Antioche rapporte que les habitants se rĂ©fugiĂšrent dans le monastĂšre fortifiĂ© de Saint-Constantin, mais que les Rusâ (i.e. les VarĂšgues) y mirent le feu et obligĂšrent ainsi les assiĂ©gĂ©s Ă se rendre, aprĂšs quoi le monastĂšre fut pillĂ©[21].
LâannĂ©e suivante, lâEmpereur fit campagne en ArmĂ©nie. Les VarĂšgues se signalĂšrent lorsquâun fantassin russe fut attaquĂ© par un noble armĂ©nien dont le campement Ă©tait prĂšs, lequel voulait lui prendre le foin destinĂ© Ă son cheval. Les Russes vinrent Ă lâaide de leur camarade et il sâensuivit une mĂȘlĂ©e gĂ©nĂ©rale au cours de laquelle un prince et au moins trente soldats furent tuĂ©s[22].
En 1021, Basile entreprit une expĂ©dition contre le roi George de GĂ©orgie au cours de laquelle les VarĂšgues se signalĂšrent Ă nouveau par leur fĂ©rocitĂ© : « [âŠ] la bataille fit rage pendant longtemps. Les hommes du roi George et lâarmĂ©e quâil avait amenĂ©e de GĂ©orgie furent dĂ©faits et sâenfuirent. Les unitĂ©s russes de lâarmĂ©e impĂ©riale commencĂšrent Ă attaquer et seul un trĂšs petit nombre des premiers attaquants rĂ©ussirent Ă sâenfuir, car ni le roi ni le gros des troupes nâĂ©taient arrivĂ©s. Et ce jour-lĂ tombĂšrent ceux qui Ă©taient le plus opposĂ©s Ă la paix[23]».
Le noyau de la garde varĂšgue servit aussi en Italie du sud alors que Normands et Lombards tentaient de mettre un terme Ă la suzerainetĂ© byzantine dans cette rĂ©gion. En 1018, Basile reçut une requĂȘte du catĂ©pan (gouverneur dâun territoire byzantin dâItalie), Basile Boioannes, pour que des renforts soient envoyĂ©s Ă Bari oĂč les Lombards avaient fomentĂ© une rĂ©volte. Un dĂ©tachement de la garde varĂšgue fut envoyĂ© et remporta la victoire lors de la bataille de Cannes sur les forces de Melus de Bari[24].
Contrairement Ă Basile II, ses successeurs Constantin VIII (r. 1025-1028) et Romain III Argyre (r. 1028-1034) nâentreprirent aucune campagne dâenvergure, de telle sorte que les sources byzantines nâoffrent guĂšre de renseignements sur lâactivitĂ© de la garde jusquâĂ lâarrivĂ©e dâHarald SigurÄarson en 1034, alors que les sagas nordiques prennent la relĂšve.
Harald Sigurðarson, « la foudre du Nord »
Harald, qui devait devenir le roi Harald III (Hardrada â lâimpitoyable) de NorvĂšge, est probablement le plus connu des hĂ©ros de la garde varĂšgue. Il Ă©tait le fils dâun gouverneur du royaume et le demi-frĂšre du roi Olaf chassĂ© par ses sujets quâil voulait Ă tout prix convertir au christianisme. Ă lâĂąge de quinze ans, il combattit aux cĂŽtĂ©s de son frĂšre qui tentait de reconquĂ©rir son trĂŽne, mais ce dernier fut tuĂ© en 1030 Ă la bataille de Stiklestad et Harald dut sâexiler.
Avec une escorte de 500 hommes, il partit alors pour la Rousâ kiĂ©vienne oĂč il sâenrĂŽla dans lâarmĂ©e du prince Iaroslav avant de se rendre Ă Constantinople rejoindre la garde varĂšgue de lâimpĂ©ratrice ZoĂ©.
CâĂ©tait lâĂ©poque oĂč le gĂ©nĂ©ral Georges ManiakĂšs, aussi identifiĂ© sous le nom de Gyrgir dans les sagas scandinaves, fut chargĂ© par lâempereur Michael IV de reprendre la Sicile alors aux mains des Arabes de Carthage. Petit Ă petit, ManiakĂšs entreprit de conquĂ©rir de petites villes siciliennes jusquâĂ dominer presque toute lâĂźle, incluant Syracuse, oĂč vivaient un grand nombre de Grecs. Les VarĂšgues combattirent aux cĂŽtĂ©s des Normands rĂ©cemment arrivĂ©s et des Lombards venant de lâApulie byzantine. Toutefois, lorsque ManiakĂšs sâaliĂ©na les Lombards en humiliant publiquement leur chef, Arduin, ces derniers lâabandonnĂšrent, suivis des Normands et des VarĂšgues.
Peu aprĂšs, Michel Doukeianos fut nommĂ© commandement du catĂ©panat d'Italie regroupant l'ensemble des provinces byzantines italiennes. Celui-ci, qui avait soin dâinstaller une garnison dans chaque ville reconquise, installa un contingent varĂšgue Ă Bari. Le 16 mars 1041, les VarĂšgues affrontĂšrent les Normands prĂšs de Venosa (province de Potenza) mais durent battre en retraite. Doukeinos fut remplacĂ© par Exaugustus Boioannes avec un petit contingent de VarĂšgues. Mais celui-ci fut Ă©galement battu par les Normands le 3 septembre 1041 et les garnisons de Sicile furent transfĂ©rĂ©es en Italie continentale pour continuer le combat contre les rebelles[25].
Harald combattit neuf ans pour lâEmpire aussi bien en Occident (Italie, Sicile et Afrique du Nord) quâen Orient (Asie et Syrie) et se mĂ©rita le rang de spatharocandidatos[26], rang relativement peu Ă©levĂ© dans lâarmĂ©e byzantine soulignant quâil ne cherchait pas Ă se prĂ©valoir de sa dignitĂ© royale. Il se gagna une rĂ©putation de grande bravoure et une fortune considĂ©rable. Les choses se gĂątĂšrent toutefois lorsque Michel V prit le pouvoir. Harald fut accusĂ©, probablement par lâimpĂ©ratrice ZoĂ©, de sâĂȘtre appropriĂ© des fonds du trĂ©sor impĂ©rial et fut jetĂ© en prison par Constantin IX (r. 1042-1055), le dernier mari de ZoĂ©. RelĂąchĂ©, il demanda son congĂ© qui fut refusĂ© par lâEmpereur. Vers 1044, il partit en secret et retourna Ă Kiev oĂč il Ă©pousa Ălisabeth, la fille du roi Iaroslav.
La mort dâĂdouard le Confesseur en 1066, laissait trois prĂ©tendants au trĂŽne dâAngleterre : Harald Hardrada, roi de NorvĂšge, Guillaume duc de Normandie et Harold Godwinson, comte de Wessex. Les Anglais ayant choisi Godwinson, Harald et Guillaume firent des plans pour envahir lâAngleterre, AprĂšs avoir fait nommer son fils Magnus roi de NorvĂšge, Harald fit voile vers l'Angleterre avec environ 300 navires et 9 000 hommes : ce fut la derniĂšre grande expĂ©dition viking. AprĂšs des succĂšs initiaux Ă Fulford et York, Harald fut surpris par Harold Godwinson au pont de Stamford le 25 septembre. Harald fut tuĂ© pendant la bataille et le carnage fut tel que 24 des 300 navires suffirent Ă ramener les survivants. Harold Godwinson pour sa part devait mourir Ă Hastings dix-neuf jours plus tard[27].
Pendant ce temps, en Italie, plusieurs catĂ©pans furent envoyĂ©s de Constantinople avec des unitĂ©s varĂšgues, mais tous ne furent pas bien reçus, ces unitĂ©s sâĂ©tant taillĂ© une rĂ©putation de grande brutalitĂ©. Ainsi, en 1047, Jean RaphaĂ«l Ă son arrivĂ©e avec une unitĂ© varĂšgue se vit refuser lâentrĂ©e de Bari et dut exercer son mandat Ă partir dâOtrante. Vingt ans plus tard, le dernier catĂ©pan byzantin, Mabricias, arriva en 1067 dans le sud de lâItalie et rĂ©ussit Ă reprendre Brindisi, Tarente et Castellaneta. Pendant cette pĂ©riode, les VarĂšgues furent impliquĂ©s dans un combat naval au cours duquel la flotte byzantine parvint Ă dĂ©faire Robert Guiscard au large de Brindisi[28] ainsi que dans la tentative de reconquĂȘte des Pouilles Ă partir de 1067, oĂč c'est notamment grĂące Ă eux que NicĂ©phore Carantinos parvient Ă dĂ©fendre Brindisi en 1070. Toutefois, les Normands devaient venir Ă bout des forces byzantines trĂšs infĂ©rieures en nombre jusquâĂ ce que le dernier catĂ©pan, Ătienne Pateranos, soit obligĂ© de capituler et de livrer Brindisi et Bari en 1071, mettant ainsi fin Ă la prĂ©sence byzantine dans le sud de lâItalie[29].
La mĂȘme annĂ©e 1071 devait avoir lieu le dĂ©sastre de Manzikert. Romain IV (r. 1068-1071) qui avait succĂ©dĂ© Ă Constantin X, dĂ©sireux de porter un grand coup contre les Turcs seldjoukides du sultan Alp Arslan, sâĂ©tait dirigĂ© vers lâAsie en 1068 avec toutes les troupes dont il pouvait disposer parmi lesquelles, disent les chroniques franques, se trouvaient « des Francs et des VarĂšgues ». La campagne sâannonçait bien, lâEmpereur parvenant Ă capturer HiĂ©rapolis grĂące aux troupes varĂšgues qui, sous le commandement de Pierre Libellius dâAntioche, sâemparĂšrent des portes de la citadelle. Toutefois, la fortune tourna rapidement et, dĂšs 1070, Romain IV dut envoyer une partie de ses troupes en Italie dont des unitĂ©s varĂšgues pour dĂ©fendre Brindisi en 1070 et Bari en 1071. Celles qui restĂšrent et qui constituaient la garde rapprochĂ©e de lâEmpereur pĂ©rirent lors de la bataille de Manzikert, le 19 aoĂ»t 1071[29].
PĂ©riode anglo-saxonne (1081-1204)
Arrivée des Saxons
En Grande-Bretagne, la victoire du duc Guillaume de Normandie sur Harold Godwinson lors de la bataille d'Hastings le avait conduit Ă de trĂšs profonds changements dans la sociĂ©tĂ© anglaise, dont l'Ă©lite anglo-saxonne avait Ă©tĂ© remplacĂ©e par des seigneurs normands. En 1088, prĂšs de 5 000 hommes dâarme anglo-saxons Ă©migrĂšrent sur 235 vaisseaux vers lâEmpire byzantin. La conquĂȘte de lâAsie mineure par les Seldjoukides ayant considĂ©rablement rĂ©duit le bassin de recrutement pour lâarmĂ©e, aussi Alexis Ier, arrivĂ© au pouvoir en 1081, accueillit favorablement ces nouveaux arrivants. Un document de lâĂ©poque, le Chrysobule du monastĂšre Saint-Jean de Patmos, indique que lâempereur avait alors Ă son service, outre les troupes impĂ©riales, des unitĂ©s de Rusâ, VarĂšgues, Anglais, Kylfinds, Francs, Germains, Bulgares, Arabes, Alains et IbĂšres[30].
Anne ComnĂšne, auteure de lâAlexiade, se rĂ©fĂ©rant Ă lâarmĂ©e telle quâelle existait en 1080 parle de ces « barbares porteurs de haches (ÎČÎŹÏÎČαÏÎżÎč ÏΔλÎșÎżÏÏÏÎżÎč) venant de ThulĂ© »[31], une rĂ©fĂ©rence aux Ăles britanniques ou Ă la Scandinavie. Ă partir de ce rĂšgne, la garde personnelle de lâEmpereur fut rĂ©guliĂšrement qualifiĂ©e dâEnglinbarrangoi (Anglo-VarĂšgues). Jean Kinnamos qui fut Ă la fois soldat et secrĂ©taire de lâempereur Manuel Ier (r. 1143-1180) et dont les rĂ©cits continuent lâAlexiade se rĂ©fĂšre Ă ces « porteurs de haches » qui gardaient lâEmpereur comme appartenant « Ă cette nation britannique qui avait Ă©tĂ© au service des empereurs romains depuis un long temps ». Certains de ces nouveaux-venus furent incorporĂ©s dans la garde varĂšgue, les autres furent utilisĂ©s soit en Italie, soit en Asie mineure pour y renforcer les fortifications de la ville de Cibotos pour la dĂ©fendre contre les Turcs qui sâĂ©taient installĂ©s Ă NicĂ©e[32] - [33].
Alexis Ier sâĂ©teignit dans la nuit du 15 au 16 aoĂ»t 1118 aprĂšs avoir remis son anneau Ă son fils Jean (Jean II, r. 1118-1143), le dĂ©signant ainsi comme son successeur. Il dĂ©joua ainsi les plans de lâimpĂ©ratrice IrĂšne et de sa fille Anne ComnĂšne qui faisaient pression depuis longtemps dĂ©jĂ pour quâil dĂ©signe plutĂŽt comme successeur le mari dâAnne ComnĂšne, NicĂ©phore Bryenne, mĂȘme si celui-ci refusait le rĂŽle quâon voulait lui faire jouer. Jean rĂ©ussit Ă se faufiler hors du palais de la Mangane et se rendit Ă la cathĂ©drale Sainte-Sophie oĂč il fut immĂ©diatement couronnĂ©. De retour au palais, il se vit refuser lâentrĂ©e par la garde varĂšgue. Ce nâest quâaprĂšs avoir confirmĂ© la mort de son pĂšre et avoir montrĂ© lâanneau impĂ©rial aux gardes quâil put entrer, prendre le contrĂŽle de lâarmĂ©e et de la marine et mettre ainsi un terme au complot de sa sĆur[34].
Le nouvel Empereur dut utiliser la garde Ă de nombreuses reprises. Toutefois, la seule participation mentionnĂ©e dans les sources est la bataille de BĂ©roĂŻa en 1122, au cours de laquelle les VarĂšgues se distinguĂšrent dans lâassaut donnĂ© contre les forces PetchenĂšgues sur la frontiĂšre bulgare[35].
RĂšgne de Manuel Ier
Manuel Ier (r. 1143-1180) qui succĂ©da Ă Jean II fut Ă©galement un chef militaire actif tant en Occident quâen Orient et utilisa probablement les VarĂšgues Ă la fois comme garde personnelle et comme garnison dans les postes frontiĂšres. La premiĂšre mention dans les sources durant ce rĂšgne est lâexpĂ©dition menĂ©e par Roger II de Sicile en GrĂšce alors que Manuel Ă©tait occupĂ© Ă surveiller les troupes de la deuxiĂšme croisade qui traversaient lâEmpire en 1147. AprĂšs avoir attaquĂ© Corfou, celui-ci se dirigea vers ThĂšbes quâil pilla et occupa. Manuel envoya alors quelques unitĂ©s varĂšgues sous le commandement dâĂtienne Contostephanos son beau-frĂšre et de Jean Axuchos. Cinnamos rapporte que Contostephanos fut mortellement touchĂ©, mais quâil donna ordre Ă son fils et au « commandant des porteurs de haches » de poursuivre le combat[36]. Sur le coup, les Byzantins durent battre en retraite, mais lorsque Manuel (accompagnĂ© sans doute de sa propre garde varĂšgue) arriva, ils rĂ©ussirent Ă forcer les Normands Ă cĂ©der la ville[37].
Un autre incident impliquant les VarĂšgues durant le rĂšgne de Manuel fut la tentative de coup menĂ©e par son cousin Andronic en 1154. Lorsque ce dernier tenta de sâintroduire dans la tente oĂč dormait lâEmpereur, les gardes le dĂ©couvrirent et lâempĂȘchĂšrent dâentrer. Revenant Ă la charge, Andronic envoya une troupe dâIsauriens pour assassiner lâEmpereur. Mais lâimpĂ©ratrice IrĂšne eut vent de la chose et envoya un certain « Isaac, homme dâorigine Ă©trangĂšre, mais grand ami du basileus avec 300 hommes » Ă sa poursuite[38]. Commandant de la garde varĂšgue, cet Isaac, devint par la suite moine sous le nom de Michel et prit part au synode des Blachernes en 1166[39].
En 1155-56, lorsque Renaud de ChĂątillon, prince dâAntioche, attaqua Chypre oĂč une unitĂ© varĂšgue Ă©tait en garnison Ă Paphos, ce furent ces mĂȘmes VarĂšgues qui, aprĂšs la capture de Renaud, lâamenĂšrent pieds et poings liĂ©s devant lâEmpereur[40]. De mĂȘme, ils furent placĂ©s en Ă©vidence lorsque Manuel reçut Baudouin III de JĂ©rusalem[41] ainsi que lorsquâil fit son entrĂ©e solennelle Ă Antioche aprĂšs que Renaud de ChĂątillon eut dĂ» se dĂ©clarer son vassal[42].
Vingt ans plus tard, en 1176, Manuel Ier conduisit une expĂ©dition contre les Turcs en Asie mineure. Ă la tĂȘte de lâarmĂ©e et accompagnĂ© de sa garde varĂšgue, Manuel fut dĂ©fait Ă la bataille de Myriokephalon ; si lâEmpereur blessĂ© sâĂ©chappa de justesse, une bonne partie de sa garde varĂšgue fut massacrĂ©e[43].
Succession de Manuel Ier et fin de la garde
La fidĂ©litĂ© Ă toute Ă©preuve de cette garde Ă la personne de lâEmpereur Ă©tait devenue lĂ©gendaire. Aussi fut-il surprenant de voir quâaprĂšs la mort de Manuel Ier et lâavĂšnement de son fils, Alexis II, alors ĂągĂ© de douze ans, celle-ci se dĂ©clara en faveur dâAndronic ComnĂšne (r. 1183-1185) qui, avec leur appui, chassa la rĂ©gente, Marie d'Antioche, et le corĂ©gent Alexis. Ce changement dâattitude sâexplique sans doute par le fait que les VarĂšgues crurent que Marie d'Antioche et Alexis sâapprĂȘtaient Ă Ă©liminer le jeune Empereur et quâAndronic constituait la meilleure dĂ©fense contre cette traitrise ; câĂ©tait se tromper sur les intentions dâAndronic qui fit assassiner le jeune Alexis peu aprĂšs sa prise de pouvoir. Quoique lâattitude de la garde varĂšgue ne soit pas connue durant ce rĂšgne, il est certain quâelle ne fit rien pour protĂ©ger lâEmpereur lorsque la foule le mit en piĂšces aprĂšs quelques mois de rĂšgne et le remplaça par Isaac II Ange (r. 1185 â 1195 et 1203 â 1204)[44].
LorsquâAlexis III (r. 1195-1203) monta sur le trĂŽne, il Ă©crivit aux trois rois de Scandinavie (Sverre de NorvĂšge, Knut Ier de SuĂšde et Knud VI de Danemark) les priant de lui fournir de nouveaux soldats pour renforcer la garde varĂšgue. Seule la NorvĂšge semble avoir rĂ©pondu Ă cet appel, envoyant, non des soldats de carriĂšre, mais des fils de paysans et de commerçants dĂ©sireux de quitter le pays. Toutefois, la garde fut assez forte pour opposer une rĂ©sistance efficace aux forces des croisĂ©s jusquâĂ ce que les VĂ©nitiens du doge Dandolo rĂ©ussissent Ă pĂ©nĂ©trer dans la ville. Le trĂ©sorier de la ville, Constantin, se tourna alors vers les VarĂšgues leur promettant une importante rĂ©compense sâils sortaient lâancien empereur Isaac II de prison et le remettaient sur le trĂŽne en compagnie de son fils, Alexis IV[45]. Les coempereurs Ă©tant dans lâincapacitĂ© de respecter leurs engagements envers les Latins, Alexis Murzuphle (Alexis V, r. avril 1204), sâassura lâallĂ©geance des VarĂšgues en leur faisant croire que les coempereurs sâapprĂȘtaient Ă les remplacer par des Latins. Murzuphle sâempara ainsi du pouvoir avec lâaide des VarĂšgues[46]. Pas plus que ses prĂ©dĂ©cesseurs, il ne put reprendre le contrĂŽle de la situation et dut sâenfuir alors que Francs et VĂ©nitiens lançaient lâassaut final sur la ville, le 12 avril 1204. PrivĂ©s de leur Empereur, les VarĂšgues nâeurent alors dâautre choix que de capituler, mettant ainsi fin Ă un rĂ©giment impĂ©rial qui avait servi les empereurs de diverses dynasties pendant plus de deux siĂšcles[47].
Période de l'Empire de Nicée
AprĂšs la prise de Constantinople en 1204, ThĂ©odore Ier Lascaris (r. 1205-1221), issu dâune famille aristocratique, se replia avec son frĂšre Constantin Lascaris Ă NicĂ©e ; il y fonda lâEmpire de NicĂ©e qui se voulait le continuateur de lâEmpire byzantin dont il reprit les us et coutumes. La garde impĂ©riale Ă©tait divisĂ©e en cinq rĂ©giments : les Scholes, les Keltai Pelekophroi (i.e. les « porteurs de haches » ou VarĂšgues), les Vardariotes, les Tzusi et les Korynophoroi (i.e. les « porteurs de batons »). LâunitĂ© dĂ©crite comme « Celtes porteurs de haches » Ă©tait sans doute des VarĂšgues ayant suivi Constantin Lascaris et qui sâĂ©taient joints aux forces de ThĂ©odore aprĂšs la mort de celui-ci Ă la bataille dâAdramyttium le 18 mars 1205[48].
Son successeur, Jean III Doukas VatatzĂšs (r. 1221-1254), porta un intĂ©rĂȘt particulier au dĂ©veloppement social, en particulier aux questions Ă©conomiques. Son style frugal de gouvernement lui permit dâamasser une fortune considĂ©rable Ă Magnesie et les VarĂšgues furent chargĂ©s de veiller sur le TrĂ©sor impĂ©rial[49]. Son fils, ThĂ©odore II (r. 1254-1258) devait faire de mĂȘme pour le TrĂ©sor dâAstyza[50]. PachymĂšre mentionne Ă©galement que lorsque Michel VIII PalĂ©ologue (coempereur 1259-1261 ; empereur 1261-1282) tenta de sâemparer dâune partie du trĂ©sor impĂ©rial pour devenir coempereur en 1259, les VarĂšgues sâinterposĂšrent[51]. Et lorsque lâarchevĂȘque Manuel de Thessalonique tenta de sâobjecter au couronnement de Michel, il dut se rĂ©signer Ă prĂ©sider la cĂ©rĂ©monie sous la menace de la garde varĂšgue qui se tenait Ă la disposition de Michel VIII et Jean IV[52]. FidĂšles Ă leur tradition de loyautĂ© Ă lâendroit du dĂ©tenteur du pouvoir, les VarĂšgues continuĂšrent Ă remplir des tĂąches qui auraient rĂ©pugnĂ© Ă des Grecs : ainsi, ce furent eux qui furent chargĂ©s de surveiller le futur patriarche Jean Bekkos que Michel VIII fit emprisonner Ă la Tour dâAnemas[53].
Par la suite, les VarĂšgues ne sont guĂšre mentionnĂ©s que lors de cĂ©rĂ©monies oĂč ils participaient au faste en se tenant avec leur hache traditionnelle autour de lâEmpereur[54]. Ă partir de Jean CantacuzĂšne, on ne trouve plus guĂšre de rĂ©fĂ©rence dans les documents qui indiquerait une prĂ©sence scandinave ou anglaise dans lâarmĂ©e byzantine[55]. Toutefois, et jusque dans les annĂ©es 1400, on pouvait encore trouver des personnes sâidentifiant comme « VarĂšgues » Ă Constantinople.
Fonctions
Les fonctions de la Garde varĂšgue Ă©taient essentiellement les mĂȘmes que celles de la druzhina Ă Kiev, la hird en NorvĂšge et les housecarls scandinaves et anglo-saxons. Les VarĂšgues constituaient la garde personnelle de lâEmpereur Ă qui ils prĂȘtaient serment de loyautĂ©. Ils Ă©taient Ă©galement utilisĂ©s lors de cĂ©rĂ©monies officielles pour participer aux acclamations et remplissaient certaines fonctions de police que lâon aurait hĂ©sitĂ© Ă confier Ă des Grecs surtout dans les cas de trahisons et de complots. Leur officier, ayant titre dâakolouthos, Ă©tait normalement un Byzantin.
Au cours de batailles, les VarĂšgues Ă©taient seulement utilisĂ©s dans les moments critiques ou lorsque la bataille atteignait son paroxysme[56]. Des chroniqueurs byzantins de lâĂ©poque notent avec frayeur et fascination que « les Scandinaves Ă©taient effrayants, tant par leur apparence que par leur Ă©quipement ; ils attaquaient avec rage et ne se souciaient ni de leur sang, ni de leurs blessures[56]. Lorsquâun Empereur mourait, ils avaient le privilĂšge unique de pouvoir se rendre au TrĂ©sor impĂ©rial et de sâemparer dâautant dâor et de joyaux quâils pouvaient transporter, une coutume nordique connue sous le nom de poltasvarf (« pillage du palais ») en vieux norvĂ©gien. Ce privilĂšge permit Ă nombre dâentre eux de retourner chez eux avec de grandes richesses, ce qui encouragea dâautres Scandinaves Ă rejoindre les rangs de la garde[56].
La loyautĂ© des VarĂšgues devint lĂ©gendaire chez les auteurs byzantins. TĂ©moins ces mots, peut-ĂȘtre apocryphes, quâun chef varĂšgue adressait Ă lâEmpereur dans la Saga de Saint Olaf : « MĂȘme sâil y avait du feu devant moi, moi et mes hommes nous y jetterions volontiers si jâavais lâimpression, ĂŽ roi, que je pouvais ainsi gagner votre bon plaisir[57]». Se rĂ©fĂ©rant Ă la prise du pouvoir par son pĂšre, Alexis Ier, Anne ComnĂšne note quâon lui recommanda de ne pas sâattaquer aux VarĂšgues qui gardaient lâempereur NicĂ©phore, car les VarĂšgues « considĂšrent la loyautĂ© Ă lâendroit des empereurs et de leur famille comme une tradition familiale, une sorte de confiance sacrĂ©e ». Elle continue en Ă©crivant quâils « prĂ©servent cette allĂ©geance de façon inviolable et quâils ne se permettront de la violer en aucune façon[58]».
AttachĂ©s Ă lâEmpereur, les VarĂšgues ne jouĂšrent aucun rĂŽle dans les multiples rĂ©volutions de palais et restĂšrent pratiquement toujours fidĂšles au monarque lĂ©gitime. Toutefois, la loyautĂ© des VarĂšgues sâadressait Ă la fonction impĂ©riale et non Ă celui qui Ă©tait sur le trĂŽne. On en vit la preuve lorsquâen 969 la Garde, arrivĂ©e trop tard sur les lieux de lâassassinat de lâempereur NicĂ©phore II, se hĂąta de prĂȘter allĂ©geance Ă son meurtrier Jean TzimiskĂšs. « Vivant, ils lâauraient dĂ©fendu jusquâĂ leur dernier soupir. Mort, ils ne voyaient aucune raison de le venger ; ils avaient maintenant un nouveau maĂźtre[59] ».
Tel que mentionnĂ© plus haut, cette attitude devait se confirmer Ă deux autres occasions. En 1071, aprĂšs que lâempereur Romain IV DiogĂšne eut Ă©tĂ© capturĂ© par le sultan Alp Arslan, un coup dâĂtat eut lieu Ă Constantinople, renversant lâEmpereur pour le remplacer par le cĂ©sar Jean Doukas. Celui-ci utilisa la garde pour lâexĂ©cution de son coup, lâarrestation de lâimpĂ©ratrice Eudoxie et la proclamation du neveu de Romain, Michel VII (r. 1071-1078), comme Empereur. Dans un autre Ă©pisode, Jean Zonaras rapporte que la garde se rĂ©volta contre NicĂ©phore III Botaniates aprĂšs lâaveuglement du gĂ©nĂ©ral NicĂ©phore Bryennos en 1078, voulant assassiner lâEmpereur, mais quâelle fut dĂ©faite par les troupes loyales[60].
Notes et références
Notes
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Varangian Guard » (voir la liste des auteurs).
- Les Rusâ Ă©taient un amalgame de colons scandinaves (principalement suĂ©dois) et de nomades slaves et finno-ougriens ; le terme est utilisĂ© ici dans un sens gĂ©ographique et inclut aussi bien des groupes dâorigine slave que scandinave.
Références
- Cette section constitue un résumé de Blöndal (1978) pp. 2-24.
- Treadgold (1995) p. 39.
- Traduction du titre khagan ; voir article « Khaganat de la Rusâ ».
- Benedikz (1978), pp. 32 et 33
- Gineius, Basileion, 89.
- Chronique de Nestor, I col. 21.
- Théotokis (2012) p. 132.
- De Ceremoniis, I, 654.
- Chronique de Nestor, I, col. 33.
- Chronique de Nestor, I, col. 46-54.
- Chronique de Nestor, I, col. 44.
- Mutanabbi (1950) p. 331.
- Léon le Diacre et Ibn-el-Athir, rapportés par Blöndal (1978) p. 39.
- Blöndal (1978) p. 41.
- Cedrenus, Cedrenus Scylitzae Ope II, 444; Psellos, Chronographie, I, 9; Zonaras, Annales, III, 533.
- DâAmato (2010) p. 4
- Blöndal (1978) pp. 43-44.
- Psellos, Chronographie, I, 9.
- Blöndal (1978) p. 44.
- Blöndal (1978) p. 45
- Yahia, Histoire, II, 458.
- Asoschik, Histoire universelle, II, 165.
- Rapporté par Blöndal (1978) p. 49 .
- Rapporté par Blöndal (1978) p. 51.
- Loud (2013) p. 93.
- Obolensky (1971), p. 235
- Cette section est un résumé de Haywood (1995), p. 124-125) et de Blöndal(1978) p. 54-102.
- Kekaumenos, Strategicon, 66-67.
- Blöndal (1978) pp. 110-111
- Chrysobule du monastÚre Saint-Jean de Patmos, cité par Blöndal (1978) p. 123
- Alexiade, II, 73.
- Kinnamos, « Faits et gestes de Jean et Manuel ComnÚne », p. 16.
- Blöndal (1978) p. 147.
- Zonaras, Annales, III, 763-764.
- Blöndal(1978)p. 148.
- Kinamos, Faits et gestes..., 97-98.
- Blöndal(1978) p. 154.
- Kinnamos, Faits et gestes... 129-130.
- Kinnamos, Faits et gestes... 298.
- Kinnamos, Faits et gestes... 182-183.
- Kinnamos, Faits et gestesâŠ. 185.
- Kinnamos, Faits et gestes.... 186.
- Kinnamos, Faits et gestes... 299 et sq.
- Blöndal (1978) p. 160.
- Nicetas, Historiae, 727.
- Nicetas, Historiae, 744-747.
- Blöndal(1978) pp. 165-166.
- Blöndal (1978) pp. 170-171.
- PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, libri XIII, I,71)
- PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, I, 68.
- PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, I, 71 et sq.
- PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, I, 103.
- PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, I, 378 ; on retrouve ici le nom de ÎΔλÏαί donnĂ© aux VarĂšgues.
- PachymĂšre, De Michaele et Andronico Paleologis, II, 73 et sq.
- Blöndal(1978) p. 175.
- Enoksen (1998)p. 135)
- Saga of St Olaf : Flateyjarbok, ii Christina, 1862), p. 380 ; cité dans Obolensky (1971), p. 235.
- Anne ComnĂšne, Alexiade, p. 97 de lâĂ©dition Penguin, 2003.
- Norwich (1991) p. 209.
- Buckler (1929) p. 367.
Bibliographie
Sources primaires
- Asoghik (Stepanos de Taron). L'histoire universelle, Paris, 1859.
- Georgius Cedrenus, Ioannis Scylitzae ope. Original Weber, 1838. [en ligne] https://archive.org/details/georgiuscedrenu00scylgoog.
- Constantin VII PorphyrogénÚte. De Ceremoniis. Ann Moffatt tr., eds. Konstantinos Porphyrogennetos: The book of ceremonies in 2 volumes. Byzantina Australiensia (Reiske ed.). Canberra: Australian Association for Byzantine Studies, 2012. (ISBN 1876503424).
- Kékauménos. Stratégicon [en ligne] http://library.princeton.edu/byzantine/authors/kekaumenos.
- John Kinnamos, « The Deeds of John and Manuel Comnenos », New York, Columbia University Press, 1976.
- Anne ComnĂšne. LâAlexiade. [en ligne] http://remacle.org/bloodwolf/historiens/comnene/alexis10.htm.
- Chronique de Nestor (Récit des temps passés), [en ligne]http://remacle.org/bloodwolf/historiens/nestor/chronique.htm.
- Genesius. Basileion. ed. C. Lachmann, Corpus Scriptorium Historiae Byzantinae, Bonn, 1834.
- Ibn-el-Athir. Kamil fit-ta taârib. tr. M. Canard (dans) Vasilev, Byzance et les Arabes. pp. 160-161.
- John Kinnamos. Deeds of John and Manuel Comnenus. Columbia University Press, 1976. (ISBN 978-0-231-04080-8).
- Mutanabbi. Poem on Hadath, tr. M. Canard (dans) A.A. Vasilev, Byzance et les Arabes (867-959), Bruxelles, 1950.
- Nicetas. Historiae. [en ligne] https://openlibrary.org/books/OL19360622M/Nicetae_Choniatae_Historia.
- Ordericus Vitalis. Historia ecclesiastica, Clarendon Press, 1990. (ISBN 978-0-198-20220-2)
- Georgius Pachymeres (trad. Immanuel Bekker), De Michaele et Andronico Palaeologis libri tredecim, vol. 1 et 2, E. Weber, 1835.
- Chronicon universale anonymi Laudunensis. ebooks download. [en ligne] http://www.ebooksdownloads.xyz/search/chronicon-universale-anonymi-laudunensis.
- Jåtvarðar Saga. Kjöbenhavn, Trykt hos J.D. Qvist, 1852.
- Heimskringla. [en ligne] http://omacl.org/Heimskringla/.
- LaxdĆla saga. [en ligne] http://omacl.org/Laxdaela/.
- Michel Psellos. Chronographie ou histoire d'un siĂšcle de Byzance (976-1077). Paris, Les Belles Lettres, 1927 (ISBN 978-2-251-32214-8).
- Yahia dâAntioche. Histoire. texte arabe et traduction française PremiĂšre partie, Patrologia Orientalis N° 18, 1924 ; DeuxiĂšme partie, Patrologia Orientalis N° 23, 1932.
- Jean Zonaras. Annales. [en ligne] https://archive.org/details/ioanniszonaraea00btgoog.
Sources secondaires
- (en) Blöndal, Sigfus. Varangians of Byzantium: An Aspect of Byzantine Military History. Trans. by Benedikt S. Benedikz. Cambridge, 1978. (ISBN 0-521-21745-8).
- (en) Buckler, Georgina. Anna Komnena: A Study. Oxford, Oxford University Press, 1929.
- (en) D'Amato, Raffaele. The Varangian Guard 988-1453. Osprey Publishing, 2010. (ISBN 1849081794).
- (en) Davidson, H.R. Ellis. The Viking Road to Byzantium. London, Rowman & Littlefield (Non NBN), 1976. (ISBN 0-04-940049-5).
- (en) Enoksen, Lars Magnar. Runor : historia, tydning, tolkning. Historiska Media, Falun, 1998. (ISBN 91-88930-32-7).
- (en) Gouma-Peterson, Thalia. Anna Komnene and Her Times. New York & London, Garland Publishing, 2000. (ISBN 978-0-815-33851-2).
- (sv) Jansson, Sven B. (1980). Runstenar. STF, Stockholm. (ISBN 91-7156-015-7).
- (en) Jakobsson, Sverrir (2008). "The Schism that never was: Old Norse views on Byzantium and Russia". Byzantinoslavica. SlovanskĂœ Ășstav Akademie vÄd ÄR, v. v. i. and Euroslavica. pp. 173â88.
- (en) Loud, Graham. The Age of Robert Guiscard: Southern Italy and the Northern Conquest, New-York, Routledge, 2013 (ISBN 978-0-582-04529-3).
- (en) Merrony, Mark W. The Vikings, Conquerors, Traders and Pirates. London, 2004. (ISBN 978-1-902-69954-7).
- (en) Norwich, John. Byzantium: The Apogee, New York, Alfred A. Knopf, 1991 (ISBN 978-0-394-53779-5).
- (en) Obolensky, Dimitri. The Byzantine Commonwealth, Eastern Europe 500-1453. London, Phoenix Press, 1971. (ISBN 1-84212-019-0)).
- (fr) Schlumberger, Gustave. Un empereur byzantin au dixiÚme siÚcle : Nicéphore Phocas, Paris, Firmin-Didot, 1923.
- (en) Theotokis, Georgios (2012). "Rus, Varangian and Frankish Mercenaries in the Service of the Byzantine Emperors (9th â 11th c.). Numbers, Organisation and Battle Tactics in the operational theatres of Asia Minor and the Balkans". Byzantine Symmeikta. Athens: Institute for Byzantine Research (22):, pp. 125â156. (ISSN 1105-1639).
- (en) Treadgold, Warren. Byzantium and its Army, 284-1081. Stanford (California), Stanford University Press, 1995, (ISBN 978-0-804-73163-8).
- (fr) VasilÊčev, Aleksandr Aleksandrovich. Byzance et les Arabes. Paris, Institut de philologie et d'histoire orientales, 1935.
- (en) Wortley, John, ed. John Skylitzes: A Synopsis of Byzantine History, 811-1057, Cambridge, United Kingdom: Cambridge University Press, (ISBN 978-0-521-76705-7).
Voir aussi
Liens internes
Lien externe
- (en) Pappas, Nicholas C. J. English Refugees in the Byzantine Armed Forces: The Varangian Guard and Anglo-Saxon Ethnic Consciousness [en ligne ] De Re Militari.org URL: https://web.archive.org/web/20110605024922/http://www.deremilitari.org/resources/articles/pappas1.htm.