Jean Zonaras
Jean Zonaras (nĂ© vers 1074, mort aprĂšs 1159) est un haut fonctionnaire, thĂ©ologien et historien byzantin du XIIe siĂšcle. AprĂšs une brillante carriĂšre dans la fonction publique et Ă la suite semble-t-il dâune tragĂ©die familiale, il se retira au monastĂšre de Sainte GlycĂšre oĂč il rĂ©digea son ĂpitomĂ© historion, un abrĂ©gĂ© de lâhistoire du monde dâAdam Ă Alexis Ier. Fervent chrĂ©tien, partageant les valeurs de lâaristocratie civile, il fut lâun des principaux historiens qui, avec Anne ComnĂšne, NicĂ©phore Bryenne et Jean Cinnamus, devaient redonner un nouveau souffle Ă ce genre littĂ©raire au XIIe siĂšcle.
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Biographie
On sait peu de choses sur la vie de Jean Zonaras et les indices quâil donne dans son Ćuvre sont dâinterprĂ©tation hasardeuse.
Issu dâune bonne famille (les Zonarai faisaient partie de lâaristocratie civile[1]), Jean Zonaras naquit vers 1074. Son pĂšre, Basile, aurait Ă©tĂ© fonctionnaire avant de se retirer comme abbĂ© du monastĂšre nouvellement fondĂ© de Sainte-GlykĂ©ria et de contribuer financiĂšrement Ă la construction de son Ă©glise. Ayant reçu une bonne Ă©ducation, Jean suivit les traces de son pĂšre et devint fonctionnaire. TrĂšs tĂŽt, il rĂ©digea poĂšmes et discours. ChargĂ© de rĂ©diger un commentaire sur le droit canon, probablement par Alexis Ier, il fut promu chef de la chancellerie impĂ©riale (protoasecretis) puis chef du dĂ©partement juridique (megas droungarios tes viglas). Dans les annĂ©es 1130, son Ă©pouse et au moins un de ses enfants seraient morts. ProfondĂ©ment Ă©branlĂ© par ce deuil et dĂ©sappointĂ© par la politique de Jean II, il se retira au monastĂšre de Sainte-GlykĂ©ria. AprĂšs une pĂ©riode dâabattement et sous la pression de ses amis, il se serait mis Ă Ă©crire son ĂpitomĂ© historion (áŒÏÎčÏÎżÎŒÎź ÎŻÏÏÎżÏÎčÏÎœ)[N 1] vers 1135 et lâaurait terminĂ© vers 1145. On ignore la date de sa mort[2].
Ćuvre
Son Ćuvre la plus connue est lâĂpitomĂ© historion, abrĂ©gĂ© de lâhistoire du monde de la CrĂ©ation Ă 1118. Il a Ă©galement Ă©crit des Commentaires sur les Constitutions apostoliques et les canons des conciles, de mĂȘme que des ouvrages hagiographiques et des homĂ©lies. Toutefois, le Lexicon conservĂ© sous son nom nâest pas de lui mais plutĂŽt dâun auteur inconnu appelĂ© le « Pseudo Zonaras »[3].
LâĂpitomĂ© historion
LâĂpitomĂ© historion[4] (« ĂpitomĂ© des Histoires »)[N 2] est la plus longue histoire Ă©crite en grec jusquâalors Ă nous parvenir intacte. Le terme dâ« Ă©pitomĂ© » ou abrĂ©gĂ© se rĂ©fĂšre ici non Ă lâĆuvre dâun auteur en particulier, mais Ă chacune des sources quâil condense[5], ce qui en fait un travail de recherche et de synthĂšse considĂ©rable[N 3]. Les versions manuscrites se composent de deux tomes extrĂȘmement volumineux, alors que les Ă©ditions imprimĂ©es subsĂ©quentes correspondent aux dix-huit livres de lâĆuvre.
Dans la prĂ©face, Zonaras explique comment, « aprĂšs que Dieu eut brisĂ© mes liens en me privant de ceux qui mâĂ©taient les plus chers », il sâest retirĂ© dans un monastĂšre oĂč, aprĂšs une pĂ©riode dâinactivitĂ©, il en est venu sous les instances de ses amis Ă entreprendre un travail qui lui inspirait une grande crainte en raison des recherches considĂ©rables exigĂ©es, mais auquel il se mit rĂ©alisant que lâinactivitĂ© Ă laquelle il Ă©tait rĂ©duit depuis son arrivĂ©e au monastĂšre nuisait Ă sa vie spirituelle[6].
Le livre I rapporte lâhistoire des Juifs de la CrĂ©ation Ă la dĂ©portation Ă Babylone. Zonaras y rĂ©sume Ă la fois la Bible des Septante et les AntiquitĂ©s judaĂŻques de Flavius JosĂšphe. Viennent ensuite lâhistoire des Babyloniens, des Perses, des Grecs et des Romains jusquâĂ la conquĂȘte de JĂ©rusalem. Outre les deux premiĂšres sources, Zonaras y abrĂšge des Ćuvres dâĂpiphane de Salamine, de ThĂ©odoret de Cyr (Commentaires sur Daniel), de Plutarque (AtaxersĂšs et Alexandre), de XĂ©nophon (CyropĂ©die), dâHĂ©rodote et possiblement de la Chronicon Paschale. Il poursuit avec lâhistoire des dĂ©buts de Rome dâĂnĂ©e Ă la destruction de Carthage, basĂ©e principalement sur lâHistoire de Dion Cassius. Le livre se termine en lâan 146 av. J.-C. parce que, nous dit lâauteur[7], il a Ă©tĂ© incapable de trouver des sources pour lâhistoire romaine entre cette date et lâan 106 av. J.-C.[N 4].
Le livre II sâouvre sur la naissance de PompĂ©e en 106 av. J.-C. et suit Ă nouveau lâHistoire romaine de Dion Cassius du livre XLIV Ă sa conclusion au livre LXXX (second consulat de Dion en 229 ap. J.-C). Pour la pĂ©riode allant du IIe au VIe siĂšcle, Zonaras reprend, pour les premiers siĂšcles, la Res Gestae dâAmmien Marcellin puis lâ Histoire chronologique de Jean dâAntioche et la Chronographie de Jean Malalas, lesquels copiaient lâĂpitomĂ© chronologique dâEustathe dâĂpiphanie. Pour les rĂšgnes de Justin Ier et de Justinien, la source principale est manifestement la derniĂšre Ă©dition de la Chronographie de Jean Malalas, alors que pour la pĂ©riode allant de 565 (mort de Justinien) Ă 813, la source principale est la Chronographie de ThĂ©ophane. La pĂ©riode suivante allant jusquâĂ lâavĂšnement dâAlexis Ier sâappuie sur lâHistoire de Jean SkylitzĂšs et la Chronographie de Michel Psellos. En revanche, sa description du rĂšgne dâAlexis Ier est une Ćuvre personnelle. Si les faits rapportĂ©s ne diffĂšrent pas substantiellement de ce quâen dit lâAlexiade dâAnne ComnĂšne, Zonaras insiste beaucoup sur les aspects nĂ©gatifs du rĂšgne (le sac de Constantinople par les troupes dâAlexis en 1081, les confiscations de propriĂ©tĂ©s, les conspirations contre lâempereur, les invasions des Normands, PetchĂ©nĂšgues et Coumans), donnant lâimpression que le rĂšgne ne fut quâune succession de catastrophes (ce pourquoi Alexis avait interdit de son vivant que lâon Ă©crive lâhistoire de son rĂšgne). Tout en reconnaissant quâaucun empereur ne pouvait ĂȘtre parfait[8], le portrait quâil trace dâAlexis est celui dâun dictateur : « Il remplissait ses fonctions non comme sâil sâagissait dâune charge publique et lui-mĂȘme ne se considĂ©rait pas comme un dirigeant, mais plutĂŽt comme un maitre, dĂ©signant lâempire comme son propre bien et sây rĂ©fĂ©rant comme tel[9]. »
Autres Ćuvres
- Commentaires estimĂ©s sur les Canons des apĂŽtres, des conciles, et sur les Ăpures canoniques des papes (permettent de connaitre la discipline de lâĂglise grecque de lâĂ©poque) ;
- Divers traités ou Discours dans le Jus graeco-romanum, dans les Monumenta ecclesiae graecae, publié par Jean-Baptiste Cotelier en 1677 ;
- Hymne en lâhonneur de la Vierge mĂšre de Dieu, dans les Monumenta ecclesiae graecae, publiĂ© par Jean-Baptiste Cotelier en 1677.
Style
Zonaras Ă©crit dans un style clair et non ampoulĂ©. ConformĂ©ment Ă lâusage de lâĂ©poque, toutefois, il demeure formel et atticisant comme lâatteste son utilisation du duel, forme grammaticale qui peut sâemployer Ă la place du pluriel pour des noms, verbes ou adjectifs lorsque lâon se rĂ©fĂšre Ă une paire de personnes ou de choses. AbandonnĂ© depuis des siĂšcles, cette forme grammaticale nâajoutait rien au sens de la phrase mais indiquait que celui qui lâemployait Ă©tait versĂ© dans les lettres anciennes. De plus, son ĂpitomĂ© se distingue par le soin mis Ă rechercher les sources les plus sĂ»res pour chaque pĂ©riode de lâhistoire et par ses commentaires qui, tout en Ă©pousant gĂ©nĂ©ralement le point de vue de sa source, sont sensĂ©s[10].
TrĂšs attachĂ© Ă la foi orthodoxe comme en tĂ©moignent ses propos sur la procession du Saint-Esprit dans lâHymne en lâhonneur de la Vierge mĂšre de Dieu, Zonaras partage les valeurs de lâaristocratie civile Ă laquelle le rattachait son passĂ© de haut fonctionnaire. Ses critiques ouvertes dâAlexis Ier ou voilĂ©es de son fils Jean II sont probablement Ă mettre au compte du peu de respect que ces empereurs montrĂšrent Ă lâendroit de cette classe sociale, rĂ©servant honneurs et privilĂšges aux officiers militaires et membres de leur propre famille[11] - [12]. On sent Ă©galement percer ce sentiment aristocratique dans le mĂ©pris et lâindignation affichĂ©s Ă lâendroit de la transformation des fĂȘtes de saints martyrs en bacchanales populaires[13].
Jean Zonaras et son Ă©poque
Le milieu du XIIe siĂšcle vit un renouveau dâintĂ©rĂȘt pour le genre historique. Ă cĂŽtĂ© de NicĂ©phore Bryenne (MatĂ©riaux pour servir lâHistoire [Îλη ÎŻÏÏÎżÏίαÏ]), dâAnne ComnĂšne (Alexiade), de Jean Cinnamus (Histoire des exploits de Jean ComnĂšne et de son fils Manuel) et dâEustathe de Thessalonique (Rapport sur la capture de Thessalonique) qui dĂ©crivirent surtout les Ă©vĂšnements de leur temps, Jean Zonaras, Constantin ManassĂšs (Chronique universelle [ΧÏÎżÎœÎčÎșÎź ÏÏÎœÎżÏÎčÏ], racontant l'histoire du monde depuis la CrĂ©ation jusqu'en 1081) et Michel Glycas (Chronique universelle [ÎÎŻÎČÎ»ÎżÏ ÏÏÎżÎœÎčÎșÎź], racontant l'histoire du monde depuis la CrĂ©ation jusqu'en 1118) ont Ă©crit des histoires universelles.
LâĂpitomĂ© de Jean Zonaras devint rapidement trĂšs populaire, comme lâatteste le nombre de manuscrits qui le contiennent, le fait quâil servit de source Ă Constantin ManassĂšs quelques annĂ©es plus tard et la traduction qui en fut faite en slavon[11]. Toutefois, ces histoires universelles perdirent leur attrait aprĂšs Zonaras et cessĂšrent dâĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des travaux que lâon qualifierait aujourdâhui de « scientifiques » pour devenir plutĂŽt un passe-temps littĂ©raire[14].
Notes et références
Notes
- Un Ă©pitomĂ© est une version allĂ©gĂ©e dâune Ćuvre plus considĂ©rable impliquant un travail inĂ©dit ; il forme un document entier contrairement aux fragments, restes incomplets dâune Ćuvre, ou aux rĂ©sumĂ©s qui nâen retiennent que les points principaux.
- Apparus sous l'Empire romain, les Ă©pitomĂ©s mettaient Ă la disposition des lecteurs des versions plus accessibles de textes historiques volumineux. Similaires Ă nos « abrĂ©gĂ©s », ils condensaient en un volume rĂ©duit un corpus difficile dâaccĂšs soit en raison de son ariditĂ©, soit en raison de son volume. Exemple : lâĂ©pitomĂ© De l'histoire romaine depuis Romulus jusqu'Ă Auguste de Florus en 4 livres, est un abrĂ©gĂ© de lâHistoire romaine de Tite-Live en 142 livres.
- Krumbacher, lâun des premiers historiens Ă avoir traitĂ© exhaustivement de la littĂ©rature byzantine, le dĂ©crivait comme « un manuel dâhistoire du monde manifestement destinĂ© Ă des fins plus Ă©levĂ©es » ; Krumbacher 1891, p. 317
- Manifestement, le texte de lâHistoire romaine de Dion Cassius en sa possession ne comprenait pas les tomes XXII Ă XLIII.
Références
- Kazhdan et Wharton Epstein 1985, p. 65.
- Treadgold 2013, p. 391-393.
- Kazhdan 1991, vol. 3, « Zonaras, John », p. 2229.
- RĂ©sumĂ© de lâĆuvre Ă©tabli Ă partir de Treadgold 2013, p. 393-397.
- Treadgold 2013, p. 388.
- Zonaras, ĂpitomĂ©, prĂ©face, 1-2.
- Zonaras, ĂpitomĂ©, IX, 31.
- Zonaras, ĂpitomĂ©, XVIII, 29, 26-28.
- Zonaras, ĂpitomĂ©, III, 766. 11-16.
- Treadgold 2013, p. 392 et 398.
- Treadgold 2013, p. 398.
- Kazhdan et Wharton Epstein 1985, p. 108.
- Kazhdan et Wharton Epstein 1985, p. 83 et 95.
- Kazhdan et Wharton Epstein 1985, p. 205.
Bibliographie
Sources primaires
- (la) J. A. H. Tittmann (dir.), Johannis Zonarae Et Photii Lexica Ex Codicibus Manuscriptis Nunc Primum Edita, Observationibus Illustrata, Indicibus Instructa, Nabu Press, (ISBN 978-1-279-98174-0).
- Jean Zonaras, Histoire des Romains, Create Space, , 128 p. (ISBN 978-1-5116-9256-4).
- (en) John Zonaras (trad. M. Pinder (vol. 1 et 2), Theodor BĂŒttner-Wolbst (vol. 3)), Epitome of Histories, Bonn, 1841-1897.
- Zonaras, « Ioannes Zonaras », Patrologia Graeca, Brepol Verlag, vol. 134,â (ISBN 978-2-503-14342-2).
Sources secondaires
- (en) Thomas Banchich et Eugene Lane (trad. du grec ancien), The "History" of Zonaras : from Alexander Severus to the death of Theodosius the Great, Londres, Routledge Classical Translations, , 317 p. (ISBN 978-0-415-29909-1).
- (de) Hans-Georg Beck, Kirche und theologische Literatur im byzantinische Reich. Handbuch der Albertumswissenschaft, vol. 12.2.1., Munich, (1re Ă©d. 1959). LâĂ©dition de 1959 peut ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©e en PDF [lire en ligne (page consultĂ©e le 4 juillet 2015)].
- (en) Michael DiMaio, Zonaras' Account of the Neo-Flavian Emperors : A Commentary, University of Missouri-Columbia, (lire en ligne).
- (en) Michael DiMaio, « Smoke in the Wind: Zonarasâ Use of Philostorgius, Zosimus, John of Antioch and John of Rhodes », Byzantion, vol. 58,â , p. 230-255.
- (en) Iordanis Grigoriadis, « Linguistic and Literary Studies in the Epitome Historion of John Zonaras », Byzantine Texts and Studies, Thessalonique, Kentron VyzantinĆn EreunĆn, vol. 26,â (OCLC 606560169).
- (en) Iordanis Grigoriadis, « A Study of the Prooimion of Zonarasâ Chronicle in Relation to Other 12-Century Historical Prooimia », Byzantinische Zeitschrift, vol. 91,â , p. 327-344.
- (la) Max Heinemann, Quaestiones Zonareae : Dissertatio Inauguralis QuamâŠ, Nabu Press, (ISBN 978-1-278-41963-3).
- (de) Herbert Hunger, « Die hochsprachliche profane Literatur der Byzantiner », Handbuch der Albertumswissenschaft, Munich, vol. 12, no 5,â (ISBN 978-3406014277).
- (de) Angelica Jacobs, Zonaras-Zonara : Die byzantinische Geschichte bei Joannes Zonaras in slavischer Ăbersetzung, Munich, Fink, .
- (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208).
- (en) A. P. Kazhdan et Ann Wharton Epstein, Change in Byzantine Culture in the Eleventh and Twelfth Centuries, Berkeley, The University of California Press, , 287 p. (ISBN 0-520-06962-5, lire en ligne).
- (en) Karl Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur von Justinian bis zum Ende des oströmischen Reiches (527-1453), Munich, éd. Bed, .
- (en) Warren Treadgold, The Middle Byzantine Historians, Londres, Palgrave Macmillan, , 546 p. (ISBN 978-1-137-28085-5).
Articles connexes
- Littérature byzantine
- Eustathe dâĂpiphanie
- Jean dâAntioche
- Alexiade
- Traduction partialle en Wikisource
- Codex Mutinensis graecus 122 (reproduction partielle de lâEpitomĂš historion de Zonaras datant du XVe siĂšcle).