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Cinabre

Le cinabre est une espĂšce minĂ©rale composĂ©e de sulfure de mercure(II) de formule HgS. Il a Ă©tĂ© dĂ©crit pour la premiĂšre fois par le philosophe de la GrĂšce antique ThĂ©ophraste (c. -371, -288), dans son ouvrage de minĂ©ralogie Sur les pierres[4] (ΠΔρ᜶ Î»ÎŻÎžÏ‰Îœ, Peri lithon).

Cinabre
Catégorie II : sulfures et sulfosels[1]
Image illustrative de l’article Cinabre
Cinabre sur dolomite - Hunan, Chine.
Général
Nom IUPAC Sulfure de mercure(II)
Numéro CAS 19122-79-3
Classe de Strunz
Classe de Dana
Formule chimique HgS [Polymorphes]
Identification
Masse formulaire[2] 232,66 ± 0,03 uma
Hg 86,22 %, S 13,78 %,
Couleur rouge carmin
Ă  rouge brique
Classe cristalline et groupe d'espace trapézoÚdre
SystĂšme cristallin trigonal
RĂ©seau de Bravais hexagonal primitif (hP)
Clivage parfait Ă  {1010}
Échelle de Mohs 2,5
Trait rouge vif
Éclat submĂ©tallique[3]
Propriétés optiques
Indice de rĂ©fraction ω=2,905 Δ=3,256
BirĂ©fringence Δ=0,351 ; biaxe positif
Transparence opaque
Propriétés chimiques
Densité 8,0 - 8,2

Unités du SI & CNTP, sauf indication contraire.

Le cinabre (α-HgS) est le minerai de mercure le plus rĂ©pandu et le plus exploitĂ©. Lors des derniers millĂ©naires, le cinabre prĂ©sent dans les gisements a Ă©tĂ© utilisĂ© soit comme pigment, aprĂšs extraction dans une veine pure, soit pour en extraire le mercure par dĂ©composition thermique. Parfois mĂȘme le mercure coule des zones de rĂ©duction superficielle des gisements de cinabre.

Le vermillon, de mĂȘme formule chimique que le cinabre, est un pigment minĂ©ral artificiel produit par synthĂšse, favorisĂ© par un milieu alcalin.

Historique et appellations

Le cinabre est attestĂ© depuis le NĂ©olithique pour son usage comme pigment dans les fresques murales et les cĂ©rĂ©monies religieuses. Ce minĂ©ral porte le nom grec de ÎșÎčÎœÎœÎŹÎČαρÎč (kinnabari) et latin de cinnabaris.

Son usage ancien est également attesté en Chine, la dynastie Shang (1570-1045 av. J.-C.) l'utilisant lors des divinations pour faire apparaßtre les craquelures sur les carapaces de tortue (scapulomancie) , afin de les interpréter.

Le philosophe et botaniste grec ThĂ©ophraste (c. -371, -288) mentionne des mines de cinabre en Espagne, en Colchide et une prĂšs d’ÉphĂšse (Le Livre des pierres[4]) oĂč le cinabre est extrait d'un minerai sableux.

Appellations anciennes

Dans l'Antiquité, les termes grecs et latins désignant le minerai α-HgS ont changé de sens :

  • en grec ancien[5], trois phases :
  • ÎșÎčÎœÎœÎŹÎČαρÎč (kinnabari) est utilisĂ© par ThĂ©ophraste (-371 ; -288),
  • ÎŒÎčÎœÎčÎżÎœ (minion) par Dioscoride (25-90),
  • ÎșÎčÎœÎœÎŹÎČαρÎč (kinnabari) de nouveau par Galien (129-216) et les alchimistes grecs ;
  • en latin, minium est adoptĂ© par Pline (23-79), car les Romains n'ont pas repris l'ancien nom grec du cinabre (ÎșÎčÎœÎœÎŹÎČαρÎč), prĂ©fĂ©rant minium[5]. Dans les langues modernes, le minium ne dĂ©signe plus le cinabre (HgS), mais un tĂ©traoxyde de plomb (Pb3O4), connu de Pline sous le nom de secundarium minium, « cinabre de seconde qualitĂ© ». Du temps de Dioscoride et de Pline, cinnabaris, dĂ©rivĂ© de ÎșÎčÎœÎœÎŹÎČαρÎč, dĂ©signe une substance qui n'est pas le cinabre, mais une rĂ©sine rouge d'arbre, comme celle du dragonnier de Socotra ou du dragonnier des Canaries (Dracaena draco) ou du rotang (Daemonorops draco) nommĂ©e « sang-dragon » ;
  • en chinois : 朱砂 (zh) (dānshā äžč砂), 朱砂 (zhĆ«shā) ;
  • en persan : ŰŽÙ†ÚŻŰ±Ù (shangarf), arabisĂ© en ŰČÙ†ŰŹÙŰ±Ű© zinjifrah ;
  • en sanskrit : à€°à€žà€—à€°à„à€­ rasagarbha.

Caractéristiques physico-chimiques

CritĂšres d'identification

La couleur de la trace des minĂ©raux peut aussi servir Ă  l’identification sommaire des pigments. Il s’agit de rĂ©aliser sur une tablette de porcelaine dure une trace du minĂ©ral par friction et d’en observer la couleur. Beaucoup de minĂ©raux ont une trace incolore, certains ont des traces de couleurs caractĂ©ristiques. Les traces roses Ă  rouge-brun peuvent indiquer la prĂ©sence de cinabre, de cuprite ou encore d’hĂ©matite.

Le mercure en petites quantitĂ©s peut ĂȘtre dĂ©tectĂ© par la spectromĂ©trie ou grĂące aux prĂ©cipitĂ©s de Hg₂Cl₂ et HgS. On considĂšre que si des composĂ©s du mercure sont chauffĂ©s dans un tube avec de la soude, il y a formation d’un miroir gris de mercure qui se condense sur les parois froides.

Les mĂ©thodes spectromĂ©triques permettent l’identification du cinabre. La spectroscopie Raman est une mĂ©thode optique qui analyse sans contact les pierres (semi) prĂ©cieuses, les pigments, les verres et les cĂ©ramiques. Elle ne nĂ©cessite pas de prĂ©lĂšvement d’échantillon. Et grĂące Ă  leur source laser incorporĂ©e, les derniĂšres gĂ©nĂ©rations de spectromĂštres sont transportables au cƓur des musĂ©es. L’identification des objets peut se faire in situ. De plus, cette identification molĂ©culaire permet de diffĂ©rencier sans ambiguĂŻtĂ© des composĂ©s proches, de mĂȘme composition Ă©lĂ©mentaire.

Pour identifier la structure cristalline, la sonde nucléaire PIXE (Particle Induced X-ray Emission) distingue les formes hexagonale et cubique.

Polymorphisme de HgS

HgS présente un polymorphisme :

  • α-HgS, cinabre/vermillon
  • α'-HgS, sulfure de mercure amorphe
  • ÎČ-HgS, mĂ©tacinabre (noir)
  • Îł-HgS, hypercinabre

Les propriĂ©tĂ©s chimiques du sulfure noir et du sulfure rouge de mercure sont sensiblement les mĂȘmes, cependant, le sulfure noir rĂ©agit plus que le rouge. Cinabre, vermillon ou mĂ©tacinabre sont considĂ©rĂ©s gĂ©nĂ©ralement comme presque insolubles dans l’eau, les solvants organiques et les acides minĂ©raux diluĂ©s.

Altération chromatique

L’assombrissement, jusqu’à devenir gris-noir, de la couleur Ă©carlate du cinabre (α-HgS) sous l'influence de l’irradiation solaire, constitue une importante problĂ©matique de conservation des peintures murales depuis l’antiquitĂ© et reprĂ©sente toujours un casse-tĂȘte gĂ©nĂ©rateur de polĂ©miques. Vitruve explique dans son traitĂ© d'architecture que : « Lorsqu’il est employĂ© dans les appartements dont les enduits sont Ă  couvert, le cinabre conserve sa couleur sans altĂ©ration ; mais dans les lieux exposĂ©s Ă  l’air, comme les pĂ©ristyles, les exĂšdres, et quelques autres endroits semblables oĂč peuvent pĂ©nĂ©trer les rayons du soleil et l’éclat de la lune, il s’altĂšre, il perd la vivacitĂ© de sa couleur, il se noircit aussitĂŽt qu’il en est frappĂ©[6]». Il indique que de la cire punique[7] aurait Ă©tĂ© appliquĂ©e sur les peintures murales pour empĂȘcher que la lumiĂšre de la lune et les rayons du soleil n’en enlĂšvent la couleur ; mais certains facteurs associĂ©s accĂ©lĂšrent ce changement chromatique, comme une grande humiditĂ© associĂ©e Ă  une atmosphĂšre fortement polluĂ©e. Seule la surface est dĂ©gradĂ©e ; si on la gratte, on aperçoit Ă  nouveau la couleur rouge. Cette dĂ©gradation spĂ©cifique au cinabre rouge permet aussi son identification.

Actuellement, le noircissement des fresques de la villa des MystĂšres Ă  PompĂ©i en est la parfaite illustration. Le nettoyage au laser de peintures murales contenant du cinabre est dĂ©conseillĂ© en raison de l’altĂ©ration chromatique qui en rĂ©sulte.

Toxicologie

La prĂ©sence de mercure libre dans le minerai de cinabre lui confĂšre une toxicitĂ© indĂ©niable. Pline l’Ancien considĂšre cette substance comme un poison et dĂ©clare aventureux tout ce que l’on rapporte sur son emploi en mĂ©decine ; il prĂ©cise que l’on doit Ă©viter qu’il pĂ©nĂštre dans les viscĂšres ou touche une plaie[8]. Pline Ă©crit du cinnabaris (le sang-dragon) : « le cinnabaris est excellent comme contre-poison et comme remĂšde. Qu'arrive-t-il ? Nos mĂ©decins y substituent le minium [HgS] qui est un vĂ©ritable poison, comme nous le dĂ©montrerons plus tard
 »

Les taoĂŻstes chinois l'utilisaient comme drogue d'immortalitĂ©, d'oĂč des empoisonnements mercuriels. Le plus fameux est celui du premier empereur Qin Shi Huang en 210 av. J.-C. [9].

Dans la mesure oĂč le cinabre est pulvĂ©rulent ou se prĂ©sente sous forme de poudre, des mesures strictes de protection sont vivement recommandĂ©es.

Propriétés physiques

Structure du cinabre, α-HgS (mercure Hg en gris, soufre S en jaune)

La formule suivante donne une approximation de la pression de vapeur saturante du cinabre :

ln P* = 8,765 - 3533/T

P* étant exprimée en kilopascals et la température T en kelvins.

Le sulfure de mercure HgS est le minerai de mercure le plus important. Il est utilisĂ© pour la fabrication du mercure et comme pigment. Le cinabre contient environ 86,2 % de mercure. On obtient le mercure par grillage du cinabre. Pour l’extraction du mĂ©tal, le minerai pulvĂ©rulent descend dans un four Ă  700 °C oĂč l’on envoie de l’air. La rĂ©action suivante se produit :

HgS + O2 → Hg + SO2,

au-delà de 737 °C, le cinabre se décompose en

HgS → Hg + S.

Le mercure s'obtient par pyrométallurgie : à pression atmosphérique, le cinabre se sublime à 583 °C (856 K) et se décompose en mercure liquide et en vapeur de soufre.

On distingue trois formes cristallines :

  • le cinabre trigonal rouge, groupe d'espace P3121 ou P3221 (no 154), structure B9 en notation Strukturbericht, plus stable Ă  des tempĂ©ratures de moins de 350 °C (Barnett et al., 2001, p. 1499.) ;
  • le mĂ©tacinabre cubique, groupe d'espace F43m, de couleur noire ;
  • l’hypercinabre (Îł-HgS), mis en Ă©vidence par Potter et Barnes en 1978. Son nom est liĂ© au fait que sa zone de stabilitĂ© s’étend Ă  des tempĂ©ratures plus hautes que celles du cinabre et du mĂ©tacinabre.

GĂźtes et gisements

Cheminée de la mine de cinabre de Mariscal (Texas), inscrite au Registre national des lieux historiques.

Le cinabre, sous sa forme native, est la variĂ©tĂ© la plus abondante de sulfure de mercure et se trouve dans des terrains divers : primaires, secondaires, tertiaires. Il peut ĂȘtre concentrĂ© en filons plus ou moins Ă©pais, comme dans les flancs de l’ancien volcan du mont Amiata en Toscane, Ă  Almaden en Espagne ou dispersĂ© dans des couches dites « mĂ©talliques » comme Ă  Idrija (SlovĂ©nie), Ă  Luby (district de Cheb), de mĂȘme qu'en AmĂ©rique du Sud (Santa BĂĄrbara, PĂ©rou ; site fermĂ©). Il est plus abondant dans les roches sĂ©dimentaires que dans les roches ignĂ©es. Les dĂ©pĂŽts se trouvent habituellement Ă  moins de 300 mĂštres de profondeur. Il contient souvent, dans sa forme native, des inclusions d’antimoine, d’arsenic, de bitume, de sĂ©lĂ©nium, de sulfure de fer, de sulfate de calcium ou de baryum, de plomb ou de zinc, et il renferme du mercure libre (Biester et al., 1999, p. 195-197.).

Utilisations

Utilisation comme pigment

La couleur du cinabre est intense, mĂȘme rĂ©duit en poudre ; on l’a donc utilisĂ© comme colorant rouge vermillon.

La couleur du cinabre varie de cannelle au rouge Ă©carlate en passant par le rouge brique, ce qui explique que le cinabre ait Ă©tĂ© utilisĂ© comme pigment, principalement dans la peinture et les encres d’imprimerie[10], mais Ă©galement comme colorant alimentaire traditionnel. Comme il permettait d’obtenir la couleur pourpre, couleur impĂ©riale par excellence, le cinabre Ă©tait trĂšs important dans l’Empire byzantin, oĂč il permettait d’authentifier les actes de la chancellerie impĂ©riale Ă  l’encre pourpre. Dans les civilisations antiques, le cinabre Ă©tait fondu dans un creuset et servait Ă  obtenir une couleur rouge utilisĂ©e sur des tissus par exemple.

L'emploi de cinabre comme pigment de prestige est également attestée dans les civilisation inca[11] et Maya.

Utilisation thérapeutique

Bocal de pharmacie contenant de la poudre de cinabre (Zinnober en allemand)

Le cinabre est connu et utilisé depuis l'antiquité en médecine (Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXIII, qui considérait cette substance comme un poison).

Il a Ă©tĂ© utilisĂ© pour le traitement de la syphilis, ou on le prescrivait, dans les annĂ©es 1820, aux femmes enceintes, par fumigation (Archives gĂ©nĂ©rales de mĂ©decine, Imp. De Vaugirard, 1914, p. 436.). Il Ă©tait prescrit en pommade pour les maladies cutanĂ©es (Louis Mialhe, TraitĂ© de l’art de formuler, Ă©d. Fortin, Masson, 1845, p. 150.).

On trouve aussi le cinabre dans la composition de remĂšdes pour le traitement externe du cancer, comme la pĂąte inventĂ©e par le chirurgien Jean Baseilhac, dite « poudre du frĂšre CĂŽme », composĂ©e d’arsenic blanc, de cendres brĂ»lĂ©es de semelles de souliers, de sang-dragon, de cinabre et d’eau (Hermann Lebert, TraitĂ© pratique des maladies cancĂ©reuses et des affections curables confondues avec le cancer, Ă©d. BailliĂšre, 1851, p. 645.). L'utilisation de cette pĂąte arsenicale est aussi prĂŽnĂ©e par le chirurgien Joseph Souberbielle, (neveu de Jean Baseilhac), dans le traitement des ulcĂšres du visage[12].

Le cinabre est utilisĂ© comme remĂšde depuis des temps anciens en Asie[13]. Les ascĂštes chinois consommaient le quartz et d’autres minĂ©raux, jade, or et cinabre qui, insolubles, Ă©taient censĂ©s rendre leur corps dur comme de la pierre. AprĂšs broyage, elles Ă©taient prises oralement.

Une autre thĂ©orie considĂ©rait le sang comme l’ñme et sa couleur comme le principe actif ou le concentrĂ© de l’ñme. Les substances rouges Ă©taient considĂ©rĂ©es comme riches en concentrĂ© vital et pouvaient fournir Ă  leur consommateur des substances vitales. Consommer l’ocre rouge permettait donc de remplacer des pertes de sang et de favoriser une longue vie. Le cinabre ayant la teinte exacte du sang Ă©tait considĂ©rĂ© comme supĂ©rieur au minium (un « mĂ©dicament » asiatique Ă  base de plomb encore plus toxique que le cinabre). Si l’or, pensait-on, prĂ©servait le corps, le cinabre prolongeait la vie.

En mĂ©decine chinoise, appelĂ© Zhu Sha, le cinabre est utilisĂ© pour calmer l’esprit, apaiser le cƓur, clarifier la chaleur.

Le cinabre est toujours utilisĂ© en mĂ©decine homĂ©opathique (sous l'appellation Cinnabaris), oĂč la dilution permettrait d’éliminer les risques de toxicitĂ© inhĂ©rents Ă  la prĂ©sence de mercure. Cinnabaris est censĂ© ĂȘtre un remĂšde dans les affections dermatologiques, vĂ©nĂ©riennes et de la sphĂšre ORL[14].

Cet usage persistant du cinabre ne repose sur aucune efficacité dans quelque indication que ce soit. La médecine moderne ne l'utilise plus depuis que la preuve de sa toxicité, supérieure à tout éventuel bénéfice, a été clairement établie.

Alchimie

Symboles alchimiques du cinabre

Les TaoĂŻstes utilisaient le cinabre comme une drogue afin d’accĂ©der Ă  un Ă©tat de bien-ĂȘtre. Il Ă©tait rĂ©putĂ© comme la substance naturelle la plus performante pour obtenir l’immortalitĂ© ou, du moins, prolonger la vie et la jeunesse. On savait mĂȘme l’obtenir Ă  partir du soufre, du salpĂȘtre et du mercure. Dans la thĂ©orie mystique chinoise du qi, le « champ de cinabre » (dantian) est un point situĂ© dans le bas-ventre et oĂč se concentre l’énergie vitale.

Certains alchimistes affirmĂšrent qu’il Ă©tait possible de le transformer en or, mais toutes les expĂ©riences t tentĂ©es Ă©chouĂšrent.

Vers 500 av. J.-C., l’or et le cinabre sont chauffĂ©s ensemble pour crĂ©er un amalgame. Le cinabre dĂ©livrait alors le mercure en se dĂ©composant avec la chaleur. On ne connaissait pas d’autre mode opĂ©ratoire pour crĂ©er le « rouge-or ». Les expĂ©rimentations avec le cinabre ont permis de dĂ©couvrir la technique de sublimation. Il fut Ă©tabli que le cinabre Ă©tait constituĂ© de soufre et de mercure. Le soufre, le mercure et l’or sujet Ă  la sublimation donnĂšrent le produit requis. « L’or-cinabre » Ă©tait un produit sublimable. Il Ă©tait censĂ© mener Ă  l’immortalitĂ© pour les Chinois.

Cette substance est toujours fabriquĂ©e en Inde de nos jours et est appelĂ©e Makaradhvaja. MĂȘme Newton prĂ©parait du cinabre et le prenait oralement pour acquĂ©rir plus de virilitĂ©. Spargo et Pounds ont trouvĂ© que les cheveux de Newton prĂ©sentaient des concentrations inhabituellement Ă©levĂ©es de plomb, d’antimoine et de mercure.

Histoire

Le cinabre est employĂ© comme pigment pour teinter des cĂ©ramiques, des fresques murales et lors de cĂ©rĂ©monies religieuses, dĂšs la pĂ©riode NĂ©olithique. Les plus anciens tĂ©moignages archĂ©ologiques[15] se trouvent en Turquie (ÇatalhöyĂŒk, -7000, -8000), en Espagne (mine Casa Montero et tombes de La Pijota et de Montelirio, -5300[16]), puis en Chine (culture de Yangshao -4000, -3500 et dĂ©but de l’Âge du bronze dans la culture d'Erlitou[17])

En Provence, vers 3700 avant J.-C. le cinabre a servi à enduire de petites statues-menhirs néolithiques, probablement funéraires[18].

Les Chinois utilisaient le cinabre il y a 3 600 ans comme pigment pour les poteries ou comme encre. Ils auraient Ă©tĂ© les premiers, Ă  avoir fabriquĂ© le vermillon, au dĂ©but de notre Ăšre. Dans l’Égypte des PtolĂ©mĂ©es (IVe – Ier siĂšcles) apparaĂźt la pratique de la crĂ©mation des morts : sur certains fragments d’os brĂ»lĂ©s se trouve une couleur rouge, du cinabre intentionnellement dĂ©posĂ©.

Vers 300 av. J.-C., ThĂ©ophraste, philosophe et savant grec, Ă©voque dans le Livre des pierres[4] les mines de cinabre d’AlmadĂ©n en Espagne, en Colchide et prĂšs d’ÉphĂšse oĂč le cinabre est extrait d'un minerai sableux.

Les mines du Mont Amiata en Italie sont Ă©galement connues depuis l’AntiquitĂ©.

Au premier siĂšcle, Dioscoride consacre une notice de sa pharmacopĂ©e, Materia medica[19] (V, 94), au cinabre venant de Libye et utilisĂ© en pharmacologie et en peinture, et la notice V, 95 au mercure (‘’hydrargyros’’ áœ‘ÎŽÏÎ±ÏÎłÏ…ÏÎżÏ‚) dont il indique le procĂ©dĂ© d’extraction :

« 
on pose sur une Ă©cuelle d’argile une coquille de fer contenant du cinabre, on y ajoute un ‘’ambix’’ [coupe retournĂ©e], on lute avec de la terre glaise, puis on chauffe par-dessous avec des charbons. La vapeur qui adhĂšre Ă  l’’’ambix’’, une fois raclĂ©e, devient du mercure »

(trad. M. Mertens[20].)

Cette description d'un appareil servant Ă  faire des sublimations est l'ancĂȘtre des alambics. L'emprunt du terme grec ambix en langue arabe donnera al-'anbÄ«q (avec le pronom) qui aprĂšs passage par le latin mĂ©diĂ©val donnera en français « alambic ».

Dans l’AntiquitĂ© le cinabre Ă©tait un pigment gĂ©nĂ©ralement rĂ©servĂ© Ă  l’élite. Rome en fait un monopole d’État et une loi en fixe le prix de vente. Pline le mentionne sous l'appellation de minium dans les livres XXXIII et XXXV de son Histoire Naturelle. Vitruve, au Ier siĂšcle av. J.-C., dĂ©crit l'utilisation du cinabre en peinture (De Architectura, VII). Zosime de Panopolis, savant et alchimiste grec, nĂ© en Égypte, aurait, au IIIe siĂšcle de notre Ăšre, mentionnĂ© que le cinabre Ă©tait composĂ© de mercure et de soufre. L’alchimiste Geber ou Jabir Ibn Hayyan, nĂ© en Iran en 721, explique que le mercure et le soufre, peuvent, avec la chaleur, se combiner en cinabre.

Au Moyen Âge, en Orient, les documents les plus importants Ă©taient signĂ©s avec une encre Ă  base de cinabre (Ă  Byzance, l’empereur seul pouvait l’employer) tandis qu’en Occident (au XIIe ou XIIIe siĂšcle), certaines enluminures Ă©taient rĂ©alisĂ©es Ă  l'aide d’une encre Ă  base de cinabre et de sanguine. Les artistes de l’époque prenaient soin d’isoler cette substance trop rĂ©active aux autres pigments Ă  l’aide de vernis et de la protĂ©ger des rayons solaires en posant par-dessus des glacis (garance). Des recettes mĂ©diĂ©vales Ă©voquent l’adjonction de cĂ©rumen, car cette cire possĂšde des propriĂ©tĂ©s fongicides. Le moine ThĂ©ophile, au XIIe siĂšcle, explique que le mĂ©lange Ă  parts Ă©gales de soufre et de mercure Ă©tait disposĂ© dans un contenant en verre fermĂ© avec de l'argile qui Ă©tait chauffĂ© jusqu’à la formation du pigment. Cennino Cennini, vers 1390, dans son Livre de l’art, mentionne Ă©galement ce pigment.

Le filon d'Idrija, dans l'actuelle Slovénie, est découvert en 1490. Huancavelica, au Pérou, est découvert en 1564. Au début du XVIe siÚcle, la mine d'Idrija se développe sous le contrÎle de la République de Venise qui commercialise le mercure partout en Europe centrale, en Méditerranée orientale et en Flandre. La puissante dynastie commerciale des Fugger, originaire de sud de l'Allemagne, acquiert une position dominante dans les mines de métaux non-ferreux en Europe, grùce à un accord avec la maison régnante des Habsbourg. Almadén faisait partie de cette entité, et l'extraction du mercure y est relancée en 1550 environ. La raison en est l'extraction des métaux précieux, à partir de gisements d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale, une des principales motivations de l'expansion coloniale espagnole. Un test d'amalgamation initial pour l'extraction de l'argent est probablement réalisé à Venise en 1507. Alors que l'exploitation dans les Andes entraßne la découverte des dépÎts de mercure à Huancavelica, la Nouvelle-Espagne a dû importer massivement du mercure des mines européennes[21]. Le Patrimoine du mercure. Almadén et Idrija rend compte de la contribution importante à l'histoire de l'humanité fournie par l'exploitation ces deux sites.

En 1527, Paracelse prescrit le mercure et son oxyde comme médicament dans des onguents pour soigner la syphilis.

En 1797, Constantin Kirchhoff découvre un procédé pour la production du cinabre (sulfure de mercure) par voie humide[22].

Galerie

  • Espagne < 3 cm
    Espagne < 3 cm
  • États-Unis, 1 Ă— 0,7 Ă— 0,7 cm.
    États-Unis, 1 Ă— 0,7 Ă— 0,7 cm.
  • Chine, 3,2 Ă— 2,3 Ă— 1,9 cm, cristal : 1,3 cm.
    Chine, 3,2 Ă— 2,3 Ă— 1,9 cm, cristal : 1,3 cm.
  • Cinabre sur dolomite, Chine, 3,4 Ă— 3 Ă— 1,8 cm.
    Cinabre sur dolomite, Chine, 3,4 Ă— 3 Ă— 1,8 cm.

Notes et références

  1. La classification des minéraux choisie est celle de Strunz, à l'exception des polymorphes de la silice, qui sont classés parmi les silicates.
  2. Masse molaire calculĂ©e d’aprĂšs « Atomic weights of the elements 2007 », sur www.chem.qmul.ac.uk.
  3. Encyclopédie des minéraux, sous la direction d'Allan Woolle.
  4. Theophraste, Le Livre des pierres, 66.
  5. Jean Trinquier, « Cinnabaris et “sang-dragon” : le “cinabre” des Anciens entre minĂ©ral, vĂ©gĂ©tal et animal », Revue archĂ©ologique, vol. 2, no 56,‎ , p. 305-346 (lire en ligne).
  6. Vitruve, De Architectura, VII
  7. La cire punique (ou cire saponifiĂ©e) est une cire d'abeille sans rĂ©sidus, blanchie sans chlore, associĂ©e Ă  de la potasse et de l’eau.
  8. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXIII; 42.
  9. Frédéric Obringer, L'aconit et l'orpiment, Fayard,
  10. La couleur des premiers timbres de France : le Un franc vermillon, puis les timbres de couleur orange sont issus de telles encres.
  11. CNRS, « Les couleurs de l’idole de Pachacamac, dieu Inca, enfin rĂ©vĂ©lĂ©es », sur cnrs.fr, (consultĂ© le ).
  12. Revue médicale française et étrangÚre : journal des progrÚs de la médecine hippocratique, Volume 2 page 203, Gabon et Cie, 1836, sur le site books.google.fr, consulté le 29 mars 2015
  13. RĂ©sumĂ© sommaire traduit de l’anglais, pour l’original consulter S. Mahdhihassan, 1987.
  14. Fiche du cinnabaris sur homéopathie.com
  15. K. Krist Hirst, « Cinnabar - The Ancient Pigment of Mercury » (consulté le )
  16. Consuegra S, Díaz-del-Río P, Hunt Ortiz MA, Hurtado V, and Montero Ruiz I., « Neolithic and Chalcolithic--VI to III millennia BC--use of cinnabar (HgS) in the Iberian Peninsula: analytical identification and lead isotope data for an early mineral exploitation of the Almadén (Ciudad Real, Spain) mining district », dans J. E. Ortiz, O. Puche, I. Råbano and L. F. Mazadiego (eds.), History of Research in Mineral Resources., Madrid, Instituto Geológico y Minero de España,
  17. Li Liu, The Chinese Neolithic: Trajectories to Early States, Cambridge University Press, (lire en ligne)
  18. Masson Mourey, D'Anna, Reggio, Bellot-Gurlet, Van Willigen et Paris, « Les stĂšles anthropomorphes de La Bastidonne (Trets, Bouches-du-RhĂŽne) et leur contexte du NĂ©olithique moyen », Bulletin de la SociĂ©tĂ© prĂ©historique française,‎ , p. 273-302 (lire en ligne)
  19. (en) Pedanius Dioscorides of Anazarbus, De materia medica (translated by Lily Y. Beck), Olms - Weidmann, , 630 p.
  20. MichÚle Mertens, « Introduction historique », dans Zosime de Panopolis, LES ALCHIMISTES GRECS Mémoires authentiques (textes établi et traduit par MichÚle Mertens), Paris, Les Belles Lettres, (ISBN 2-251-00448-3)
  21. (fr + en) ICOMOS, Évaluation des Organisations consultatives : Patrimoine du mercure. AlmadĂ©n et Idrija (SlovĂ©nie, Espagne). no 1313 rev, , 34 p. (lire en ligne) [PDF]
  22. Annales de Crell, 1797, I, 480

Bibliographie

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