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Vermillon

Le vermillon est une couleur rouge vif tirant sur l'orangé, du nom d'un pigment à base de sulfure de mercure(II) HgS α[1].

Le pigment de vermillon

Son nom est tiré du français vermeil, terme utilisé pour désigner un rouge éclatant, légèrement plus foncé que l'incarnat et tirant sur le rouge cerise[2], qui lui-même vient du latin vermiculus, une teinture carmin obtenue à partir de la cochenille Kermes vermilio parasite du chêne Kermès.

Le vermillon est la forme synthétique du pigment de cinabre, tiré d'un mineral assez difficile à trouver dans la croûte terrestre. Il est référencé au Colour Index comme PR106. Sa toxicité l'a fait retirer du commerce.

Le vermillon d'antimoine, apparu au XIXe siècle pour frauder le vermillon véritable (de mercure), est une variante plus terne, fabriquée à partir du sulfure rouge d'antimoine. Il porte le numéro PR107 au Colour Index.

Propriétés

Le vermillon a une structure cristalline trigonale. Le mercure a tendance à former seulement deux liaisons fortes comme dans les halogénures. Le groupe de recouvrement est C312 ou P3121. La maille contient trois molécules de HgS. La cellule élémentaire a pour dimensions : a=4,160 ou 4,15 ou 4,14 Å pour c=9,540 ou 9,51 ou 9,49 Å selon les auteurs. Chaque atome de mercure est entouré de six atomes de soufre.

Le vermillon comme le cinabre est un semi-conducteur.

Le pigment est inodore, insipide, insoluble dans l'eau, l'alcool, l'éther et les huiles[3].

Le vermillon est rarement solide. Il tend à noircir sous l'effet de la lumière[4] La cause de ce noircissement est mal connue ; elle a fait l'objet de plusieurs études[5]. Le noircissement provient d'impuretés chlorées ou de l'action d'halogènes[6].

Toxicité

La toxicité à terme du cinabre et du vermillon est reconnue depuis le XVIIIe siècle. Cela n'a pas empêché qu'il serve en Europe de remède contre les maladies vénériennes et notamment contre la syphilis[7] et entre en Chine comme en Inde dans la composition de médicaments. Une étude suggère que le cinabre est moins toxique que les autres formes du mercure. Quoi qu'il en soit, les malheurs qu'a causé le mercure, dont la maladie de Minamata, ont poussé les gouvernements à adopter en 2009 la Convention de Minamata sur le mercure qui en limite l'usage[8].

Tout contact avec la peau et les muqueuses doit être évité.

Les principes de prévention techniques sont les suivants : il est nécessaire de disposer d’un bon système de ventilation, de nettoyer quotidiennement les plans de travail, de stocker en récipients étanches et d’éliminer le matériel utilisé pour le nettoyage des composées de mercure. Les survêtements de travail ne devraient pas comporter de poches et de revers. Concernant l'hygiène personnelle, il est recommandé de se laver régulièrement les mains et les ongles, le visage, le brossage des dents et le rinçage de la bouche. Une interdiction formelle de fumer, de manger ou de boire sur le lieu de travail.

Dans la mesure où le vermillon est pulvérulent ou se présente sous forme de poudre, des mesures strictes de protection sont vivement recommandées. L'utilisation de gants permet de se protéger lorsque l'on manipule des pigments toxiques, le port d'un masque est singulièrement recommandé lorsque le pigment est pulvérulent, dans l'idéal il devrait comporter un filtre spécial pour le mercure, les lunettes de protection sont aussi fortement conseillées[9].

Fabrication

Garçons bangalais à la sortie d'une fabrique de vermillon.

Le vermillon (alpha HgS) est produit par la synthèse (par voie sèche ou humide) du soufre et du mercure.

Pour la préparation du vermillon, on sublime un mélange de mercure et de soufre. C'est ainsi que Geber a rapporté la synthèse du vermillon au VIIIe siècle en Perse. À partir du XVIe siècle, il serait fabriqué industriellement à Venise puis en Hollande. Durant le processus, se forme d'abord un sulfure noir puis rouge. Le sulfure noir précipité est dit amorphe, il était autrefois appelé éthiops minéral et il est produit par combinaison directe du soufre et du mercure quand on les triture ou qu'on les chauffe.

Actuellement, le sulfure de mercure rouge se prépare par réaction du soufre purifié avec le mercure : le sulfure noir de mercure résultant est chauffé à 580 °C puis traité avec NaOH ou KOH. On peut également le préparer suivant un processus de sulfurisation hydrothermique.

Historique

Les documents manquent et sont souvent imprécis. Les Chinois pourraient être les premiers à avoir découvert comment fabriquer le vermillon par voie sèche au début de notre ère[10]. Une autre tradition veut que ce soit Zosime de Panopolis, savant et alchimiste grec né en Égypte qui au IIIe siècle de notre ère aurait pour la première fois mentionné dans ses écrits, ou découvert que le cinabre était composé de soufre et de mercure. Vers la même époque, le philosophe péripatéticien Théophraste, dans son traité Des Pierres[11] met en avant la qualité du vermillon de l'île de Céos, qu'il dit meilleure que celui de Lemnos et celui de Sinope.

L'alchimiste persan ou arabe Jabir Ibn Hayyan a montré au VIIIe siècle que si le cinabre pouvait se décomposer en ses éléments, on pouvait aussi le fabriquer à chaud avec du soufre et du mercure. Les Arabes seraient donc à l'origine de l'introduction du vermillon en Occident[12].

Vermillon, Collection historique de colorant de l'université technique de Dresde (Allemagne)

La découverte de la synthèse du sulfure de mercure fut une innovation majeure du Moyen Âge dans le domaine de l'art. En rendant le vermillon abondant, la palette des peintres s'accroît et d'autres couleurs vives sont requises pour l'harmoniser. L'art de cette période, principalement religieux est riche en vermillon, en feuilles d'or et en bleu outremer, qui sont les trois couleurs principales de la palette médiévale. Le vermillon, de même composition élémentaire que le cinabre, peut être fabriqué presque partout sur de petits creusets, et il est notamment très répandu, entre autres, comme encre rouge dans les manuscrits.

Le moine bénédictin Théophile décrit la fabrication du vermillon à la fin du XIe siècle dans son Schedula diversarum artium. Il faut du soufre qui peut être de trois sortes : noir, blanc ou jaune. Il est rompu sur une pierre sèche et l'on additionne une part égale de mercure. Quand tout est mélangé et déposé dans un flacon de verre luté d'argile de manière à en sceller l'ouverture pour éviter que la fumée ne puisse s'échapper, on le plonge dans les charbons ardents et quand le pot devient chaud, on entend des craquements, c'est le soufre qui s'unit au mercure. Quand le bruit s'arrête, on peut retirer le pot du feu et y prélever le pigment. La technique décrite par Théophile où le pigment est préparé par synthèse directe à partir du soufre et du mercure, doit résulter en un pigment assez pur, bien que la composition exacte des trois types de soufre ne soit pas connue.

L'alchimiste Albert le Grand est souvent mentionné comme étant le premier à avoir réalisé la synthèse du sulfure de mercure durant le Moyen Âge. Il connaissait les travaux des écoles arabes et, dans ses traités, il accepte et utilise des travaux de Jabir Ibn Hayyan en y joignant ses propres observations. Selon lui, les métaux sont formés grâce aux mélanges de sulfure et de mercure. Le mercure et le sulfure s'unissent et se combinent dans la terre en durcissant comme un minéral duquel le métal peut être extrait. Il décrit donc la synthèse du vermillon par sublimation d'un mélange de soufre et de mercure.

Les recherches concernant la fabrication du vermillon de synthèse se sont beaucoup développées du XVIIIe siècle au XIXe siècle. À cette époque les Hollandais gardaient jalousement secrets leurs processus de fabrication. Le vermillon anglais avait une très mauvaise réputation car sa couleur s'altérait rapidement. Le pigment naturel cesse d'être commercialisé au XIXe siècle. Le procédé de fabrication du vermillon par voie humide commence à être utilisé en Allemagne au XVIIIe siècle. Au début du XXe siècle, le vermillon est remplacé par les rouges de cadmium (PR108) qui en sont une bonne alternative.

Substituts

Le pigment de sulfure de mercure étant interdit du fait de sa toxicité, Vermillon désigne, chez les marchands de couleur, des couleurs fabriquées avec les rouges de toluidine PR3, azoïques PR4, Naphtol AS PR9 ou autres pigments.

Bibliographie

  • Jean Petit, Jacques Roire et Henri Valot, Encyclopédie de la peinture : formuler, fabriquer, appliquer, t. 2, Puteaux, EREC, , p. 95-100 « Cinabre ».
  • Archives des découvertes et des inventions nouvelles, faites dans les Sciences, les Arts et les Manufactures, tant en France que dans les Pays étrangers, pendant l’année 1815. Treuttel et Würtz, Paris, 1816.
  • Benjamin Baillaud, J. de Gramont , D. Hüe, Encyclopédies Médiévales, discours et savoirs. Textes rassemblés et édités par B. Baillaud, J. de Gramont et D. Hüe. Presses universitaires de Rennes et Association Diderot. Cahiers Diderot, 2004, 10, p.67-99.
  • C. P. Brard, Minéralogie appliquée aux Arts, ou Histoire des Minéraux qui sont employés dans l'agriculture, l'économie domestique, la médecine; la fabrication des sels, des combustibles et des métaux; l'architecture et la décoration; la peinture et le dessin; les arts mécaniques; la bijouterie et la joaillerie. Tome second. Chez F. G. Levrault, Strasbourg, 1821, 474p.
  • Hams Breuer, Atlas de la Chimie. Librairie Générale française, Italie, 2000. Chapitre IV, Groupe du zinc, 212p.
  • Cennino Cennini. Le Livre de l’Art, traduction de Victor Mottez, F. de Nobelle, Paris, 1982, p.29. Manuscrit de 1437.
  • J. Gettens Rutherford, L. Feller Robert, W.T. Chase « Vermilion and Cinnabar ». Studies in Conservation, 1972, 17, 2, p.45-69.
  • Edward Grand (ed.). A Source Book in Medieval Science. Harvard University Press Cambridge, Massachusetts, 1974.
  • Jules Itier. Journal d’un voyage en Chine en 1843, 1844, 1845, 1846. Second Volume. Chez Dauvin et Fontaine, Libraires-Éditeurs, Paris, 1848, p.19-20.
  • J. Lamure et H. Brusset « Mercure », in, Pascal Paul (dir.). Nouveau traité de chimie Minérale, Tome V : Zinc-Cadmium-Mercure. Masson et Cie, Éditeurs, Paris, 1962, p. 433, 733-797.

Notes et références

  1. André Béguin, Dictionnaire technique de la peinture, , p. 736 « Vermillon ».
  2. Trésor de la langue française « vermeil ».
  3. Jules Lefort, Chimie des couleurs pour la peinture à l'eau et à l'huile : comprenant l'historique, la synonymie, les propriétés physiques et chimiques, la préparation, les variétés, les falsifications, l'action toxique et l'emploi des couleurs anciennes et nouvelles, Paris, Masson, (lire en ligne), p. 148-158 « Cinabre ». Cet auteur désigne le cinabre comme la forme cristaline et le vermillon comme la poudre pigmentaire du même produit.
  4. Béguin 1990 ; Jacques Blockx, Compendium à l'usage des artistes peintres : Peinture à l'huile -- Matériaux -- Définition des couleurs fixes et conseils pratiques suivis d'une notice sur l'ambre dissous, Gand, L'auteur, (lire en ligne), p. 57-58.
  5. Vincent Daniels. « The Blackening of Vermilion by Light », Recent Advances in the Conservation and Analysis of Artifacts, Summer Schools Press, London, 1987, p.280-282 ; R. L. Feller. « Studies in the darkening of vermillon by light ». Report and studies in the history of Arts. National Gallery of Art, Washington D.C., 1967, p.99-111 ; Katrien Keune et J. Boon Jaap « Analycal Imaging Studies Clarifying the Process of the Darkening of Vermilion in Paintings ». Molecular Painting Research Group, FOM Institute for Atomic and Molecular Physics, Kruislaan 407, 1098 SJ Amsterdam, The Netherlands. Anal. Chem., 2005, 77, p.4742.
  6. (en) « Red », sur artiscreation.com ; PRV.
  7. Gérard Tilles et Daniel Wallach, « Histoire du traitement de la syphilis par le mercure : 5 siècles d'incertitudes et de toxicité », Revue d'Histoire de la Pharmacie, no 312, , p. 347-351 (lire en ligne).
  8. « Manuel d'introduction pour ONG à la pollution par le mercure et la convention de Minamata sur le mercure » (consulté le ).
  9. Lothar Hofer et Johannes Rudolf Meier, Risques professionnels dus au mercure et à ses composés, Division Médecine du travail, Suva, Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents, Lucerne, 2e édition – mai 1999, Lucerne, 1999, p. 1-32.
  10. (en) Joseph Needham, Ping-Yü Ho et Gwei-Djen Lu, Science and Civilisation in China: Historical Survey : Chemistry and Chemical technology, vol. 3, t. 5, Cambridge U.P., , p. 74sq discute en détail les documents chinois.
  11. en grec ancien περί λίθων (fr. 52)
  12. PRV2, p. 96.
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