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Bataille du Garigliano (1944)

La bataille du Garigliano (nom de code Diadem), connue aussi comme la percée des Monts Aurunci, ou quatrième bataille de Monte Cassino, est une bataille de la campagne d'Italie livrée en mai 1944, près du mont Cassin, dans la province de Frosinone, par les Alliés contre les forces allemandes pour percer la ligne Gustave afin de faire la jonction avec les forces débarquées à Anzio et d'occuper Rome.

Goumier appartenant au 3e groupe de Tabors marocains lors de la bataille du Garigliano.

Cette bataille permit aux troupes du Corps expéditionnaire français de déborder puis d'enfoncer la ligne Gustave sur le fleuve Garigliano, permettant ainsi aux Alliés de reprendre leur progression vers Rome, interrompue depuis janvier 1944.

Phases de la bataille

Contexte

Les attaques directes contre Cassino ont échoué et les alliés attendent les beaux jours pour la reprise de l'offensive.

Au printemps 1944, les Alliés opèrent un repositionnement de leurs unités en vue de leur nouvelle offensive. La VIIIe armée britannique et le Corps expéditionnaire français sont ainsi redéployés en secret. L'offensive alliée qui se prépare s'appuie sur les plans audacieux du général Juin, qui a réussi à imposer ses vues à l'état-major anglo-américain. Juin veut éviter toute nouvelle attaque frontale contre Monte Cassino, dont les défenses ont été encore renforcées et d'où les troupes allemandes d'élite paraissent impossibles à déloger. C'est au contraire par la montagne, là où l'ennemi ne s'y attend pas, qu'il faut porter l'effort principal : à travers les monts Aurunci, à 25 kilomètres au sud-ouest de Cassino, considérés par les Allemands comme « impénétrables aux armées ».

Dans le plan d’attaque[1], le plus gros effort incombait à la 8e armée qui devait tâcher de « briser les lignes de défenses ennemies dans la vallée du Liri et avancer en direction de Rome ». La 5e armée américaine avait reçu l’ordre d’attaquer et de pénétrer dans la vallée du Liri, par les monts Aurunci, ainsi que d’opérer le long de la route côtière no 7, pour se diriger vers Minturno.

Dans le cadre de ce plan les rôles furent distribués ainsi :

  • pour la 8e armĂ©e britannique :
    • le 2e corps polonais doit « conquĂ©rir le mont Cassin et opĂ©rer contre Piedimonte »,
    • le 13e corps britannique doit traverser le Gari et attaquer dans la vallĂ©e du Liri,
    • le 1er corps canadien doit avancer par la vallĂ©e du Liri Ă  la suite du 13e corps,
    • le 10e corps britannique, ayant une tâche dĂ©fensive, dans le secteur nord-est du Monte Cairo, c’est-Ă -dire Ă  droite du 2e corps polonais, doit simuler sur son aile gauche une attaque en direction d’Atina ;
  • pour la 5e armĂ©e amĂ©ricaine :
    • le corps français doit opĂ©rer contre les monts Aurunci et ensuite sur le cours supĂ©rieur du Liri,
    • le 2e corps amĂ©ricain doit opĂ©rer le long de la route cĂ´tière no 7.

Ce plan doit permettre de couper les positions arrière de l'ennemi, enveloppant ainsi toute la ligne Gustav. Pour Juin, seul le CEF est capable de mener à bien cette opération, grâce à l'aptitude au combat en montagne des tirailleurs et des goumiers du général Guillaume, ainsi que leurs trains muletiers.

Le plan prévoit une attaque du 2e corps polonais contre le monastère par le nord, tandis que le 13e corps britannique doit franchir le fleuve Rapido pour couper la route nationale et isoler la ville.

Tout en acceptant ce plan, Anglais et Américains doutent néanmoins que les Français puissent réussir à accomplir la manœuvre de débordement qui permettrait d'ouvrir enfin les portes de Rome. La date et les objectifs de cette offensive restent inconnus des Allemands, comme en témoigne l'envoi de leurs réserves vers Anzio, où ils prévoient une tentative de percée des Alliés. Une autre inconnue inquiète Kesselring : « savoir où et comment le CEF, avec ses divisions entraînées pour la montagne et ses solides combattants marocains, allait être engagé. »[2].

Rupture de la ligne Gustave (11-13 mai)

L'opĂ©ration de rupture de la Ligne Gustave est initialement confiĂ©e Ă  la 2e division d'infanterie marocaine (2e DIM) du gĂ©nĂ©ral Dody, « le bĂ©lier du CEF » selon l'expression de Juin, qui doit s'emparer pour cette mission des monts Faito et Majo. L'offensive gĂ©nĂ©rale des AlliĂ©s (opĂ©ration diadème) se dĂ©clenche le soir du , Ă  23 heures, sur l'ensemble du front italien. Une intense prĂ©paration d'artillerie de 2 000 canons prĂ©cède l'attaque. Mais dans le secteur de la 2e DIM, ce bombardement n'arrose que les crĂŞtes, sans dĂ©truire le dispositif de dĂ©fense allemand (blockhaus, barbelĂ©s, mines…), qui sillonne les pentes que doivent gravir les tirailleurs marocains avant de pouvoir s'emparer des sommets. Dans les autres secteurs d'attaque du CEF, comme celui de la 4e division marocaine de montagne (4e DMM) du gĂ©nĂ©ral Sevez, aucune prĂ©paration d'artillerie n'a lieu. Cet assaut va s'avĂ©rer redoutable. Les rĂ©giments de la 2e DIM se lancent ainsi dans une attaque de nuit aux combats souvent confus et très meurtriers, mais la ligne Gustav tient toujours. Juin dĂ©cide la reprise de l'offensive pour la nuit suivante, après une prĂ©paration d'artillerie plus importante et mieux ciblĂ©e. Très tĂ´t dans la matinĂ©e du 13 mai, c'est la ruĂ©e des tirailleurs marocains sur les positions allemandes, ravagĂ©es par le « rouleau de feu » des canons français, qui finissent par cĂ©der. La prise du mont Majo par les troupes marocaines de la 2e DIM est saluĂ©e par un drapeau français de 30 m2 hissĂ© Ă  son sommet (940 mètres) et visible Ă  des kilomètres Ă  la ronde, par les troupes du CEF comme par les Allemands.

Exploitation Ă  travers les monts Aurunci (14-21 mai)

L'exploitation est maintenant possible vers les monts Aurunci puis, plus Ă  l'ouest, les monts LĂ©pins. C'est la 4e DMM et les trois Groupes de Tabors marocains (GTM) du gĂ©nĂ©ral Guillaume, commandĂ©s respectivement par les colonels Georges Leblanc, Jacques Massiet du Biest et le lieutenant-colonel Georges Gautier, formant le corps de montagne du CEF, qui s'en chargent dès le 14 mai, Ă  « un train d'enfer ». « Les Français avancent si rapidement, que les communiquĂ©s ne peuvent suivre leur rythme », rapporte un journaliste amĂ©ricain[3]. Ă€ la suite de cet assaut des goumiers marocains dans les monts Aurunci, les Britanniques prirent l'habitude de qualifier toute attaque audacieuse de « goumisation »[4]. Les combattants marocains prennent par la suite le mont Fammera (1 175 mètres) et le mont Revole (1 307 mètres).

Parallèlement, le 4e rĂ©giment de spahis marocains (4e RSM) incorporĂ© temporairement Ă  la 3e DIA Ĺ“uvre Ă  la prise de Castelforte, sur le Garigliano, qui ouvre la route d'Ausonia dans la vallĂ©e de l'Ausente ; ce qui permet de dĂ©boucher sur la vallĂ©e du Liri, au sud-ouest de Cassino, derrière les lignes allemandes. De son cĂ´tĂ©, le 3e rĂ©giment de spahis marocains (3e RSM), mis provisoirement Ă  la disposition de la 1re division de la France libre (1re DFL), participe au mouvement gĂ©nĂ©ral de cette division qui s'engage dans la haute vallĂ©e du Liri via San Apollinare (6 kilomètres au sud de Cassino), en dĂ©bordant Ă©galement Cassino par le sud.

Tandis qu'une attaque aérienne détruit le quartier général de la Xe armée allemande, l'avancée du CEF, tant en montagne que dans les vallées, entame le dispositif défensif allemand de la ligne Gustav et facilite la progression des Britanniques et des Américains. Ces derniers atteignent ainsi rapidement Spigno, sur l’axe Minturno - Cassino.

Le 17 mai 1944, Kesselring ordonne à ses troupes de laisser Cassino de côté, de crainte de se voir envelopper par la manœuvre française. Le même jour, la route nationale est coupée par le 13e corps britannique et les Polonais parviennent à s’emparer du mont Cassin qui leur avait coûté de lourdes pertes.

Sur la gauche du CEF, le 2e corps américain réussit à faire sauter les verrous et avance le long de la côte. Il rencontre une résistance plus forte en approchant d’Anzio.

Le 21 mai, le corps de montagne du CEF atteint la rocade Itri-Pico à l’extrémité nord du massif Petrella et le 23, la VIIIe Armée, qui était arrêtée face à la ligne Hitler, reprend l’offensive et le 1er Corps canadien s’empare de Pontecorvo, arrivant à la hauteur de la 1re DFL.

Ordre de bataille du CEF

Pertes

Au cours de l'opĂ©ration Diadème, les AlliĂ©s ont perdu en trois semaines 43 387 hommes tuĂ©s, blessĂ©s et disparus dont 18 000 AmĂ©ricains, 10 500 Anglais, 3 885 Polonais et 3 742 Canadiens. Quant aux pertes du CEF, elles sont de 9 324 hommes (1 704 tuĂ©s, 396 disparus et 7 224 blessĂ©s) rĂ©parties comme suit[5]:

Unité Tués Disparus Blessés Total
ERG et services879227323
1re DMI300811 3381 719
2e DIM258781 6431 979
3e DIA4731151 6862 274
4e DMM4091001 5582 067
Goums marocains17713772962
Total1 7043967 2249 324

Hommages

L'action déterminante de l'Armée française et de son commandement vaudra à Alphonse Juin, d'être décoré de l'ordre du Bain par le roi d'Angleterre et la reconnaissance des généraux alliés.

Hommages des généraux alliés

« Présentez mes félicitations au général Juin et à ses commandants de divisions du C.A français pour le grand succès qu'ils ont remporté. Dites leur qu'ils ont fait revivre l'armée française que je connaissais, celle de la Marne et de Verdun. »

— Télégramme du général Marshall, chef d'état-major général des armées américaines, au Pentagone, au général Clark, commandant la Ve Armée anglo-américaine en Italie, le après la bataille du Garigliano[6]

« Je considérerai toujours comme un grand honneur, d'avoir eu votre remarquable Division sous mes ordres et comme une grande chance de vous avoir eu avec nous pour la campagne historique qui a commencé le 11 mai. […] L'audace et le mordant des troupes, en même temps que les qualités militaires exceptionnelles du Commandement français, ont soulevé l'admiration de nos Alliés et la crainte de l'ennemi. Du Garigliano à Rome et pendant la poursuite de l'ennemi qui a suivi, après avoir refoulé l'ennemi jusqu'à Sienne, la 3e DIA a vécu conformément aux plus hautes traditions de l'Armée française… »

— Extrait de la lettre du du général Clarke, commandant la Ve Armée américaine en Italie, au général de Montsabert commandant la 3e DIA.

Inscriptions de bataille

L'inscription de bataille Garigliano 1944 est attribuée aux drapeaux des :

  • 4e rĂ©giment de tirailleurs tunisiens
  • 2e, 4e, 5e, 6e et 8e rĂ©giment de tirailleurs marocains
  • 7e et 8e rĂ©giment de chasseurs d'Afrique
  • 3e et 4e rĂ©giment de spahis marocains
  • 63e et 64e rĂ©giment d'artillerie d'Afrique
  • 1er rĂ©giment d'infanterie coloniale (au titre de la 4e brigade de la 1re DFL)
  • 1er rĂ©giment d'artillerie coloniale

Quant à Italie 1944, elle sera accordée au Goumiers marocains.

Citations militaires

De nombreuses unités sont citées à l'ordre de l'armée (croix de guerre avec palme) pour ces faits d'armes. Parmi elles, les groupements de tabors marocains (GTM), les tirailleurs, les spahis, les chasseurs d'Afrique et les régiments d'artillerie[7].

Mémoriaux, monuments et plaques commémoratives

Il existe un pont du Garigliano Ă  Paris.

La bataille du Garigliano est célébrée annuellement par le Premier régiment de tirailleurs (1er RTIR), héritier des traditions des troupes qui s'y sont illustrées[8].

Chaque année, une messe est célébrée en mémoire du maréchal Juin le dernier dimanche de janvier, à la cathédrale Saint-Louis des Invalides, où il est inhumé dans le caveau des gouverneurs. Sur un pilier de la nef, une plaque en son souvenir lui donne le titre de « Vainqueur du Garigliano ».

Personnalités ayant participé à la bataille du Garigliano

  • Mohamed Oufkir, gĂ©nĂ©ral et homme politique marocain, a servi comme sous-lieutenant au 4e RTM de la 2e DIM pendant la bataille du Garigliano. Il est citĂ© Ă  l'ordre du Corps d'ArmĂ©e, dĂ©corĂ© de la croix de guerre avec Ă©toile de vermeil après la bataille, puis de la Silver Star et de la lĂ©gion d'honneur[9].
  • FrĂ©dĂ©ric Rossif, cinĂ©aste
  • SaĂŻd Boualam, futur vice-prĂ©sident de l'AssemblĂ©e Nationale
  • Alain Mimoun, futur champion olympique de marathon
  • Mohamed Boudiaf, futur prĂ©sident de la RĂ©publique algĂ©rienne
  • Ahmed Ben Bella, futur prĂ©sident de la RĂ©publique algĂ©rienne
  • AbbĂ© Joseph Porta, chanoine des ArmĂ©es.
  • Père Roger Henry[10], commandait le 1er GTM (Tabors Marocains); se voit attribuer la cravate de Commandeur de la LĂ©gion d'honneur, Lt.colonel puis colonel Ă  la fin de la guerre. OrdonnĂ© prĂŞtre en 1947 et installĂ© dans la communautĂ© religieuse de Sidi Saad (Tunisie).
  • StĂ©phane Piobetta, philosophe français, ayant servi dans la 1re division française libre et mort lors de la bataille.
  • Pierre Le Goffic s'y distingue, il est promu officier après la bataille ; compagnon de la LibĂ©ration.
  • Claude Le HĂ©naff, compagnon de la LibĂ©ration, plus tard conseiller du gouvernement et gĂ©nĂ©ral.

Notes et références

  1. Mémoires du général Anders, op. cit. p. 252
  2. "Kesselring's answers to questionnaire events in the Italian campaign" cité dans Jean-Christophe Notin, La campagne d'Italie. Les victoires oubliées de la France (1943-1945), éd. Perrin, 2002, p. 378
  3. Un correspondant de guerre américain remarque : « Les Français ont une haine froide, implacable de l'ennemi qui est presque effrayante ; ils sont guidés par un tel désir féroce [...] de regagner leur honneur qu'on sait qu'ils ne seront arrêtés que par la mort, et que, dans la victoire, ils ne montreront aucune merci. [...] Ils avancent si rapidement que les communiqués ne peuvent suivre leur rythme. » Voir François Broche, Georges Caïtucoli et Jean-François Muracciole (dir.), La France au combat, Paris, Perrin, SCÉRÉN-CNDP, 2007, seconde époque, première partie, p. 197 : « Vers la Libération (juin 1943-mai 1944) », chapitre 3 : « Le corps expéditionnaire français en Italie »
  4. "In the widely seen British television documentary The "World at War", the work of the Tabors was also lauded. A british officer commented that after Diadem the Goums were held in awe, and British troops would often refer to any particulat audacious attack as "gouming it" ", Edward L. Bimberg, The morocaan goums, Greenwood press, 1999, p. 68
  5. Paul Gaujac, Le Corps expéditionnaire français en Italie, Histoire et collections, 2003, p. 37
  6. Bernard Pujo, Le general George C. Marshall (1880-1959), Economica, 2003, p.154
  7. Paul Gaujac, L'armée de la victoire, Lavauzelle, 2004,
  8. https://www.defense.gouv.fr/terre/actu-terre/en-afghanistan-les-tirailleurs-d-epinal-celebrent-la-bataille-du-garigliano
  9. Stephen Smith, Oufkir, un destin marocain, Hachette Littératures, 2002.
  10. Archives du Ministère des armées, SHD Vincennes, Henry Roger-Jean-Victor, côte GR 2000 Z 200 403

Sources

  • Paul Gaujac, Le corps expĂ©ditionnaire français en Italie, Histoire et collections, 2003
  • Jean-Christophe Notin, La Campagne d'Italie ; Les victoires oubliĂ©es des Français 1943-1945, Perrin, 2002
  • RenĂ© Chambe, La bataille du Garigliano: de Cassino Ă  Rome, Flammarion, 1965

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