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Égypte romaine et byzantine

La pĂ©riode de l’Égypte romaine et byzantine (en latin : Aegyptus; en grec koinĂš Î‘áŒŽÎłÏ…Ï€Ï„ÎżÏ‚ / AĂ­gyptos) s’étend de l’annexion par Rome de l’ancien royaume lagide en 30 av. J.-C. jusqu’à sa conquĂȘte par les Arabes en 641. La province romaine comprenait alors la plus grande partie de l’Égypte moderne moins le SinaĂŻ et Ă©tait voisine des provinces de CrĂšte et CyrĂ©naĂŻque Ă  l’ouest, de la JudĂ©e et de l’Arabie pĂ©trĂ©e Ă  l’est. L’Égypte Ă©tait de loin la plus riche des provinces romaines hors de l’Italie, avait une Ă©conomie monĂ©taire trĂšs dĂ©veloppĂ©e et une population que l’on estime entre quatre et huit millions d’habitants[1]. Grenier Ă  blĂ© de Rome Ă  l’origine, de Constantinople par la suite, elle possĂ©dait un port important Ă  Alexandrie, deuxiĂšme ville en importance de l‘Empire romain.

Province romaine d'Égypte
Provincia Aegypti (Latin)
EÏ€Î±ÏÏ‡ÎŻÎ± Î‘áŒ°ÎłÏÏ€Ï„ÎżÏ…
EparchĂ­a AigĂœptou (Grec ancien)

Province de l'Empire romain

30 avant notre ùre – 641

Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Province de l'Égypte en l'an 125.
Informations générales
Capitale Alexandrie
Ère historique Antiquité classique
Histoire et événements
30 avant notre Ăšre ConquĂȘte du Royaume ptolĂ©maĂŻque
390 Formation du DiocĂšse
641 ConquĂȘte musulmane
Praefectus Augustalis

Entités précédentes :

Entités suivantes :

Aujourd'hui, une partie de l’Égypte

La dynastie lagide (305 Ă  30 av. J.-C.) qui avait rĂ©gnĂ© sur l’Égypte depuis les guerres d’Alexandre le Grand fut annexĂ© Ă  Rome aprĂšs la dĂ©faite de Marc Antoine et de ClĂ©opĂątre VII aux mains d’Octave (Auguste) qui devient le premier empereur romain et gouverne l’Égypte comme le successeur des pharaons[2]. Bien que diverses institutions bureaucratiques lagides soient maintenues, l’ensemble du gouvernement est alignĂ© sur la structure administrative romaine. Le systĂšme juridique hellĂ©no-Ă©gyptien de la pĂ©riode hellĂ©nique est maintenu, mais dans le cadre du droit romain[2]. La tĂ©tradrachme frappĂ©e Ă  Alexandrie continue Ă  ĂȘtre utilisĂ©e dans une Ă©conomie de plus en plus monĂ©tarisĂ©e mais sa valeur est progressivement alignĂ©e sur celle du denarius romain. Le sacerdoce desservant les anciennes religions Ă©gyptiennes ainsi que les dĂ©itĂ©s importĂ©es de GrĂšce conservent Ă  la fois temples et privilĂšges, mais en contrepartie doivent Ă©galement desservir le culte impĂ©rial romain dĂ©ifiant les empereurs et leur famille Ă  leur dĂ©cĂšs[2].

Avec l’arrivĂ©e du christianisme, l’Égypte continue sa tradition de centre intellectuel important, notamment grĂące Ă  Alexandrie. Foyer intellectuel grec et juif, notamment aprĂšs la destruction de JĂ©rusalem, elle devient aprĂšs l’adoption du christianisme le foyer des premiĂšres hĂ©rĂ©sies chrĂ©tiennes, lesquelles bouleversent l’Empire byzantin non seulement sur le plan religieux, mais Ă©galement sur le plan politique Ă©loignant progressivement ses parties occidentale et orientale.

Histoire

PĂ©riode romaine (30 av. J.-C. / 330)

Égypte romaine, d'Auguste aux SĂ©vĂšres.

L’Égypte tombe sous la domination de Rome en 30 av. J.-C. lorsqu’Octave (le futur empereur Auguste) dĂ©fait son rival, Marc Antoine, dĂ©pose ClĂ©opĂątre, alors pharaonne, et annexe le royaume ptolĂ©maĂŻque[N 1] Ă  la RĂ©publique romaine[3]. Ne voulant pas que les sĂ©nateurs puissent contrĂŽler l’Égypte, rĂ©gion importante tant sur le plan de l’approvisionnement en grain que comme rĂ©servoir de soldats, Auguste gouverne l’Égypte comme sa propriĂ©tĂ© personnelle et nomme l’un de ses amis, Caius Cornelius Gallus, premier prĂ©fet d’Égypte. Fait sans prĂ©cĂ©dent dans l’administration des provinces, ce dignitaire Ă©tait non pas un sĂ©nateur mais un chevalier romain muni de l'imperium (pouvoir de commandement suprĂȘme) et du statut proconsulaire. Trois lĂ©gions sont initialement stationnĂ©es en Égypte qui sont par la suite rĂ©duites Ă  deux, sous le rĂšgne de TibĂšre[4] - [2]. Gallus doit rĂ©primer une rĂ©bellion en ThĂ©baĂŻde, Ă  la suite de quoi il s’aventure plus au sud et rĂ©ussit Ă  dĂ©faire le roi d’Éthiopie[5].

RappelĂ© Ă  Rome entre 29 et 27 av. J.-C., Cornelius Gallus a comme successeur Caius Aelius Gallus qui dirige une expĂ©dition vers l'Arabie Heureuse (Arabia felix, le YĂ©men actuel), rĂ©gion riche en Ă©pices et dotĂ©e d’une position stratĂ©gique sur la mer Rouge. Les Romains savent alors peu de choses sur les peuples situĂ©s au sud-est de l’Égypte : Blemmyes, Nubiens, Éthiopiens et Axoumites. Ils comptent sur l'aide des NabatĂ©ens, leurs alliĂ©s, pour les guider et espĂ©rent une victoire facile. L’expĂ©dition de Gallus tourna toutefois au dĂ©sastre : son armĂ©e erre dans le dĂ©sert, dĂ©vastĂ©e par le climat et la maladie[6] - [7] - [8].

Gallus ne reste que deux ans en Égypte et est remplacĂ© par Gaius Petronius qui mĂšne une campagne contre le royaume de Koush au sud (Soudan actuel) dont la capitale est MĂ©roĂ© et dont la reine[N 2], Amanirenas, avait attaquĂ© l’Égypte romaine. Bien que faisant face Ă  un adversaire supĂ©rieur en nombre, Petronius parvient Ă  conquĂ©rir la capitale Napata, mais doit par la suite repousser de nouvelles attaques ; finalement, la reine envoie des Ă©missaires auprĂšs de l’empereur et un accord est conclu aux termes duquel le royaume devenait de fait un « client » de Rome[9].

Peuples entourant la province d’Égypte.

Ces expĂ©ditions devaient marquer la fin de l’extension de l’Empire romain dans la rĂ©gion. Par la suite l’Égypte connait une pĂ©riode de tranquillitĂ© sous les rĂšgnes de TibĂšre, Caligula, Claude, interrompue seulement par quelques raids de pillards sur les frontiĂšres ainsi que des conflits internes entre les communautĂ©s grecque et juive d’Alexandrie[9].

Alexandrie est alors le port le plus important d’Égypte d’oĂč partent les chargements de grain venant de l’intĂ©rieur vers le reste de l’empire et sert ainsi de centre de communications entre l’Égypte et la MĂ©diterranĂ©e. FondĂ©e par Alexandre le Grand pour remplacer Memphis, jusque-lĂ  capitale de la Basse-Égypte, la citĂ© est le centre culturel du monde hellĂ©nistique[10]. La communautĂ© juive y forme prĂšs de 35 % de la population et joue un rĂŽle important dans la vie de la citĂ©[11]. De nombreux Ă©crivains et personnalitĂ©s juives Ă©tudient ou vivent Ă  Alexandrie et c’est lĂ  qu’est Ă©tablie la traduction grecque de la Torah hĂ©braĂŻque appelĂ©e la Septante. Les conflits entre les communautĂ©s culturelles y sont frĂ©quents. Des Ă©meutes Ă©clatent dans cette ville en 40, les Juifs Ă©tant accusĂ©s de ne pas rendre Ă  l’empereur les honneurs qui lui Ă©taient dus. En rĂ©ponse, Caligula ordonne l’érection d’une statue de lui-mĂȘme dans le Temple de JĂ©rusalem. Par la suite, les Juifs envoient une dĂ©lĂ©gation conduite par Philon d'Alexandrie pour rĂ©clamer que leur soit donnĂ©e ou redonnĂ©e la permission lĂ©gale de rĂ©sider dans cette ville[12]. L’empereur Claude, qui doit Ă  nouveau tenter de calmer les tensions entre Grecs et Juifs, refuse par la suite la demande renouvelĂ©e de la population d’Alexandrie pour une plus grande autonomie et la crĂ©ation de son propre SĂ©nat[13].

Sous NĂ©ron, une expĂ©dition visant MĂ©roĂ© est planifiĂ©e mais doit ĂȘtre abandonnĂ©e en raison d’une nouvelle rĂ©volte en JudĂ©e qui marque le dĂ©but de la PremiĂšre guerre judĂ©o-romaine[14] - [15].

À partir du rĂšgne de NĂ©ron (r. 54 – 68), l’Égypte connait une pĂ©riode de prospĂ©ritĂ© Ă©conomique qui dure plus d’un siĂšcle et qui n'est troublĂ©e que par les conflits religieux entre Grecs et Juifs. AprĂšs la destruction du Temple de JĂ©rusalem[16] en 70, Alexandrie devient le centre culturel et religieux de la nation juive.

Le premier praefectus Aegypti originaire du pays est Tiberius Julius Alexander (66-69). HellĂ©nisĂ© mais issu d’une riche famille juive d’Alexandrie[17], il est prĂ©fet pendant l’AnnĂ©e des quatre empereurs et il lui revient de proclamer empereur le gĂ©nĂ©ral Vespasien (r. 69 – 79) qui avait remportĂ© la guerre judĂ©o-romaine en 69. C’est du reste grĂące Ă  la claustra anonae (litt : clĂ© de l’approvisionnement en grain) d’Égypte que Vespasien doit Ă©tablir son contrĂŽle sur l’ensemble de l’empire[14]. Cet empereur est aussi le premier depuis Auguste Ă  se rendre en Égypte oĂč il est reçu avec le cĂ©rĂ©monial traditionnel des anciens pharaons. Le rite de bienvenue dĂ©jĂ  utilisĂ© pour Alexandre le Grand est repris en son honneur et il est proclamĂ© fils de la divinitĂ© crĂ©atrice Amon-RĂȘ, identifiĂ©e avec le dieu grec Zeus[18].

L’empereur Trajan, vĂȘtu Ă  l’égyptienne faisant des offrandes aux dieux (Temple de DendĂ©rah).

La communautĂ© juive est Ă  nouveau secouĂ©e en 114 sous le rĂšgne de Trajan (r. 98 – 117) alors qu’un nouveau Messie apparait Ă  CyrĂšne[19]. Les dĂ©sordres sont Ă©crasĂ©s presqu’aussitĂŽt, mais entre 115 et 117 la rĂ©volte se perpĂ©tue dans la campagne environnante d’oĂč les lĂ©gions avaient Ă©tĂ© retirĂ©es pour participer Ă  la guerre parthique de Trajan. Cette « guerre de Kitos ou rĂ©volte des exilĂ©s », qui avait pris naissance dans l’Empire parthe, s’étend rapidement Ă  toutes les grandes citĂ©s du pourtour mĂ©diterranĂ©en oĂč rĂ©sident d’importantes colonies juives. Paysans grecs et Ă©gyptiens prennent alors les armes contre les Juifs dont la communautĂ© d’Alexandrie est presque complĂštement anĂ©antie, ne retrouvant vie qu’au IIIe siĂšcle[20]. Beaucoup plus au sud cependant, dans la ville d’Oxyrhynque, on cĂ©lĂ©bre cette rĂ©bellion et la survivance de la communautĂ© juive pendant au moins quatre-vingts ans[21].

Le successeur de Trajan, Hadrien (r. 117 – 138), doit Ă  son tour faire face Ă  une rĂ©volte promptement supprimĂ©e en 122[22]. Peu dĂ©sireux d’étendre les frontiĂšres, Hadrien s'attache Ă  les consolider pour pacifier et organiser l'empire, parcourant celui-ci en tous sens pendant des annĂ©es et favorisant l’intĂ©gration des provinces en donnant le statut de municipe aux grandes villes dont les habitants peuvent ainsi accĂ©der Ă  la citoyennetĂ© romaine[23]. En 119, il fait reconstruire les Ă©difices publics de CyrĂšne dĂ©truits pendant la rĂ©volte des Juifs[24]. Il sĂ©journe en Égypte avec sa cour pendant une dizaine de mois en 130 – 131 et fonde la ville d’Antinoupolis en souvenir de son jeune protĂ©gĂ© AntinoĂŒs qui se noya dans le Nil dans des conditions mystĂ©rieuses[23] ; il relie cette ville au port de BĂ©rĂ©nice Troglodytica sur la mer Rouge par une nouvelle route, la via nova Hadriana[21].

À son tour, Antonin le Pieux (r. 138 – 161) visite Alexandrie pour laquelle il fait construire de nouvelles portes et un nouvel hippodrome, mais en 153 une rĂ©bellion conduit au meurtre du praefectus Aegypti[25]. Pendant que la peste antonine ravage le pays (165 Ă  180), une rĂ©volte de la population Ă©gyptienne qui avait dĂ©butĂ© en 171 n'est Ă©crasĂ©e qu’en 175 par le gouverneur de la Syrie romaine voisine, Avidius Cassius, lui-mĂȘme fils d’un ancien prĂ©fet d’Égypte, lequel se hĂąte de se faire proclamer empereur par ses troupes alors que se rĂ©pand la rumeur de la mort de l’empereur Marc AurĂšle (r. 161 – 180). DĂ©clarĂ© « ennemi public » par le SĂ©nat de Rome, Avidius Cassius s’apprĂȘte Ă  faire face aux forces rassemblĂ©s par l’empereur lorsqu’il est tuĂ© par l’un de ses propres soldats[26] - [27].

Les Colosses de Memnon en 2015.

Sur les traces d’Hadrien, Septime SĂ©vĂšre visite l’Égypte en 199 – 200, rend visite aux Colosses de Memnon, deux sculptures de pierre monumentales situĂ©es sur la rive occidentale de ThĂšbes et derniers vestiges du gigantesque temple des millions d'annĂ©es d'Amenhotep III, lesquels d’aprĂšs une lĂ©gende locale se mettaient Ă  chanter au lever du soleil[28]. Les statues ayant Ă©tĂ© fissurĂ©es par un tremblement de terre, Septime ordonne qu’on les rĂ©pare, Ă  la suite de quoi elles cessent de « chanter »[29].

AprĂšs lui, Caracalla (r. 211 – 217) doit accorder la citoyennetĂ© romaine (Constitutio Antoniniana de 212) aux habitants des provinces, dont les Égyptiens. Mais si nombre d’entre eux adoptent en reconnaissance le nomen gentilicum d’ « Aurelius » en l’honneur de son prĂ©dĂ©cesseur, la plupart des gens ne manifestent qu’indiffĂ©rence Ă  l’endroit de ce qui avait Ă©tĂ© autrefois un privilĂšge dotĂ© d’avantages mais qui Ă©tait maintenant assorti d’une taxe. Les Alexandrins se servent de cette imposition pour se moquer des vices de l’empereur alors que celui-ci approche de leur ville en 215, provoquant ainsi son courroux. L’empereur se venge en faisant exĂ©cuter les membres du comitĂ© d’accueil et permet Ă  son armĂ©e de faire le sac de la ville, aprĂšs quoi les Égyptiens se voient interdire d’y pĂ©nĂ©trer sauf lors de festivitĂ©s commerciales et religieuses[30]. Avec l’assassinat de Caracalla, c'est un BerbĂšre venant de MaurĂ©tanie cĂ©sarienne (aujourd’hui l’AlgĂ©rie), Macrin (r. 217 - 218), qui monte sur le trĂŽne. Premier empereur Ă  ĂȘtre issu de la classe Ă©questre, il rompt avec la tradition, et probablement pour se concilier le SĂ©nat, nomme Ă  la fois un nouveau praefectus Aegypti ainsi qu’un sĂ©nateur pour gouverner l’Égypte. SitĂŽt Macrin et son fils Diadumenien renversĂ©s, la population d’Alexandrie se rĂ©volte, tue le sĂ©nateur et Ă©vince le prĂ©fet[31].

Portrait funĂ©raire d'une femme avec une Ăąnkh, c. 200 – c. 230. (MusĂ©e Benaki)

Pendant la « Crise du troisiĂšme siĂšcle », seize empereurs et une quarantaine d’usurpateurs se succĂšdent entre 235 et 268. L’empire doit alors faire face sur le plan intĂ©rieur Ă  une sĂ©rie de crises politiques, Ă©conomiques, sociales, religieuses et morales alors que sur le plan extĂ©rieur, de nombreuses tribus germaniques menacent les provinces d’Europe, que le nouvel empire perse des Sassanides cherche Ă  s’étendre en Asie mineure et qu’en Afrique certains territoires comme l’Empire de Palmyre font sĂ©cession.

AprĂšs la capture de ValĂ©rien (r. 253-260) lors de la bataille d'Édesse en 260, l’armĂ©e d’Orient rĂ©clame un nouvel empereur. Macrien pĂšre s’étant rĂ©cusĂ©, ses deux fils Macrien fils et QuiĂ©tus (260-261) sont reconnus Augusti en Égypte[32] - [33]. Lorsqu’ils sont renversĂ©s, les Alexandrins reconnaissent le praefectus Aegypti Lucius Mussius Aemilianus (r. 261-262) comme empereur pendant que Gallien, fils de ValĂ©rien et coempereur, affermit son pouvoir Ă  Rome (coempereur 253-260)[34] - [35]. Gallien envoie contre lui le gĂ©nĂ©ral Aurelius Theodotus. En , Alexandrie est la proie de combats entre les partisans d’Aemilianus et de Gallien, combats qui voient la disparition des deux-tiers de la population de la ville[35] - [36].

S’il ne pouvait accepter que l’on tente de lui ravir la fonction impĂ©riale, Gallien, incapable de lutter contre tous les ennemis Ă  la fois, prend la dĂ©cision stratĂ©gique d’accepter qu’un certain nombre de gĂ©nĂ©raux en Orient se dotent d’une certaine autonomie pourvu qu’ils tiennent les provinces sous l’autoritĂ© de Rome face aux Perses[37]. Parmi ceux-ci se trouvent OdĂ©nat, membre d’une noble famille arabe de Palmyre ayant acquis la citoyennetĂ© romaine ; il est nommĂ© vice-roi d’Orient et, avec son Ă©pouse ZĂ©nobie, fonde le royaume de Palmyre[38].

L’Empire de Palmyre en 271.

AprĂšs son assassinat vers 267, ZĂ©nobie fait transfĂ©rer Ă  son fils Wahballat les titres de son pĂšre, notamment celui de « roi des rois ». Devant l'incapacitĂ© des empereurs Ă  dĂ©fendre la Syrie, elle parvient Ă  rĂ©unir sous son autoritĂ© les provinces de Syrie, d'Arabie et d'Égypte, et commence la conquĂȘte des provinces d'Asie mineure[39]. Elle proclame Wahballat empereur de Rome et prend le titre d'Augusta comme « mĂšre » de cet empereur. Mais AurĂ©lien, empereur depuis l'automne 270, entreprend Ă  la fin de 271 de mettre un terme aux tentatives sĂ©cessionnistes. AprĂšs des victoires prĂšs d'Antioche puis prĂšs d'ÉmĂšse, il s'empare de ZĂ©nobie qui est amenĂ©e Ă  Rome, mettant fin Ă  l’existence du royaume[40].

La « Colonne de Pompée », monument en fait érigé par Dioclétien et placé dans le Sérapéum d'Alexandrie, tel que représenté dans une mosaïque de Sepphoris en Palestine romaine.

En 296, une invasion perse conduit le prĂ©fet d’Égypte, Domitius Domitianus, Ă  croire que la chute de DioclĂ©tien Ă©tait proche ; il en profite pour se proclamer empereur l’annĂ©e suivante ; toutefois le CĂ©sar GalĂšre rĂ©ussit Ă  arrĂȘter l’avance perse pendant que DioclĂ©tien lui-mĂȘme s’apprĂȘte Ă  marcher contre l’usurpateur. Domitianus meurt Ă  ce moment et son adjoint, Achilleus prend la relĂšve. DioclĂ©tien capture Alexandrie aprĂšs un siĂšge de huit mois et fait Ă©riger en l’honneur de cette occasion la « Colonne de PompĂ©e »[N 3] qui est placĂ©e dans le SĂ©rapĂ©um d'Alexandrie[N 4]. DioclĂ©tien en profite pour cĂ©der le DodĂ©caschĂšne, partie de la Nubie qui s'Ă©tend immĂ©diatement au sud de PhilĂŠ, aux Noba[N 5] avec comme mission de dĂ©fendre la frontiĂšre situĂ©e Ă  Assouan des attaques des Blemmyes[N 6].

Les grandes rĂ©formes administratives de DioclĂ©tien (r. 284-305) doivent voir l’Égypte divisĂ©e en deux, la ThĂ©baĂŻde devenant une province Ă  part entiĂšre[41]. En 297, des rĂ©formes en matiĂšre de taxes et de finances voient la monnaie Ă©gyptienne alignĂ©e sur celle de l’ensemble de l’empire[42]. La fonction de praefectus Aegypti est scindĂ©e entre un pareses pour les affaires civiles et un dux pour les affaires militaires, les lĂ©gions I Maximiana Thebanorum et II Flavia Constantia assurant la protection du pays[43].

DioclĂ©tien visite une seconde fois l’Égypte en 302 apportant du ravitaillement Ă  la population d’Alexandrie et s’en prenant aux partisans du manichĂ©isme. L’annĂ©e suivante DioclĂ©tien lance une persĂ©cution contre les chrĂ©tiens[43]. Cette persĂ©cution est particuliĂšrement intense en Égypte oĂč les prĂ©fets Satrius Arrianus (304-307) et Sossianos HiĂ©roclĂšs (310) se montrent impitoyables[43]. L’édit de Sardique, dernier geste politique de l’empereur GalĂšre met fin Ă  cette persĂ©cution[44].

PĂ©riode byzantine (330 - 619)

Carte du « DiocĂšse d’Égypte » vers 400.

Le rĂšgne de Constantin le Grand (r. 310-337) voit la fondation de Constantinople et l’Égypte continue Ă  approvisionner en blĂ© la nouvelle capitale, Constantinople. Il doit Ă©galement voir la reconnaissance officielle du christianisme au mĂȘme titre que les autres religions romaines par l’Édit de Milan en 313.

Les nombreux conflits religieux qui avaient marquĂ© la pĂ©riode romaine se poursuivent Ă  l’époque byzantine, impliquant dorĂ©navant divers schismes au sein de la chrĂ©tientĂ© elle-mĂȘme. Il semble que Constantin ait eu comme projet de visiter l’Égypte, car des prĂ©paratifs pour une rĂ©ception impĂ©riale avaient Ă©tĂ© entrepris Ă  Oxyrhynque. Ceux-ci sont cependant abandonnĂ©s en raison de la convocation du Concile de NicĂ©e en 325, provoquĂ© par l’apparition de l’arianisme, attribuĂ© Ă  l’évĂȘque d’Alexandrie Arius (vers 250 – 336), lequel enseignait que le Fils de Dieu n'avait pas toujours existĂ© mais avait Ă©tĂ© engendrĂ© dans le temps par Dieu le PĂšre, et les chrĂ©tiens trinitaires dĂ©fendus par un autre thĂ©ologien d’Alexandrie, Athanase (296/298 – 373). La controverse est rĂ©solue au profit des chrĂ©tiens trinitaires, mais se poursuivit pendant plusieurs dĂ©cennies[45].

En 391 toutefois, les tensions se ravivent entre chrĂ©tiens et paĂŻens cette fois lorsque le , l’empereur ThĂ©odose le Grand (r. 379-395) en son nom et au nom de son coempereur et beau-frĂšre Valentinien II (r. 379-392) interdit non seulement les sacrifices paĂŻens mais aussi la frĂ©quentation des temples, interdiction qu’il renouvelle spĂ©cifiquement pour l’Égypte et pour Alexandrie[46].

La rĂ©volte Ă©clate lorsque l’évĂȘque ThĂ©ophile d'Alexandrie, connu pour ses mĂ©thodes violentes, tente de transformer un temple paĂŻen en Ă©glise et organise une procession pour exposer des reliques chrĂ©tiennes[46]. Devant la vindicte des chrĂ©tiens, les paĂŻens ayant Ă  leur tĂȘte le philosophe Olympe doivent se rĂ©fugier dans le SĂ©rapĂ©um qui est ultimement transformĂ© en Ă©glise dĂ©diĂ©e Ă  Jean le Baptiste. Le SĂ©rapĂ©um de Canope (Abu Qir) est Ă©galement pillĂ© et transformĂ© en monastĂšre dont l’église est consacrĂ©e aux saints Cyrus et Jean, deux martyrs du IVe siĂšcle particuliĂšrement vĂ©nĂ©rĂ©s par l’Église copte[31].

La controverse religieuse se perpĂ©tue sous ThĂ©odose II (r. 402-450) entre chrĂ©tiens cette fois concernant le titre de Theotokos (litt. « qui a enfantĂ© Dieu », improprement traduit par « mĂšre de Dieu ») donnĂ© Ă  Marie. Neveu et successeur de ThĂ©ophile, le patriarche Cyrille d'Alexandrie s’attache Ă  Ă©radiquer aussi bien le paganisme que le judaĂŻsme et le nestorianisme, doctrine mise de l’avant par le patriarche de Constantinople, Nestorius. La faction conduite par Cyrille l’emporte et Nestorius est condamnĂ© au Concile d'ÉphĂšse et envoyĂ© en exil[47]. La rĂ©putation de l’évĂȘque et par consĂ©quent d’Alexandrie elle-mĂȘme parvient au zĂ©nith lorsqu’en 449, le successeur de Cyrille, le patriarche Dioscore Ier d’Alexandrie dĂ©fend les doctrines d’EutychĂšs, archimandrite d'un monastĂšre prĂšs de Constantinople, lors du DeuxiĂšme concile d'ÉphĂšse contre l’avis du pape LĂ©on Ier qui ne reconnut pas le concile, en excommunie les participants et tente sans succĂšs de faire pression sur l’empereur ThĂ©odose pour qu’il convoque un nouveau concile[31].

Entretemps les Blemmyes continuent leurs attaques contre l’Égypte maintenant byzantine, soutenus cette fois par les paĂŻens rĂ©sistant aux chrĂ©tiens. Mais en 451, l’annĂ©e du Concile de ChalcĂ©doine, l’empereur Marcien (r. 450-457) parvient Ă  une entente avec eux qui leur permettait l’utilisation du temple de PhilĂŠ et leur rendait les statues du temple Ă  des fins divinatoires[48]. Le Concile de ChalcĂ©doine (451) doit de son cĂŽtĂ© renverser les dĂ©cisions du Second Concile d’ÉphĂšse et condamner EutychĂšs et Dioscore. Il en rĂ©sulte un schisme permanent entre les Églises copte et orthodoxe grecque, alors que l’élĂ©vation du patriarcat de Constantinople Ă  un rang qui ne le cĂ©dait Ă  Rome que de façon honorifique doit envenimer les relations entre Constantinople et Rome[49] - [50].

Le successeur de Marcien est LĂ©on Ier (r. 454 – 474) qui s’avĂ©re un fervent dĂ©fenseur des dĂ©cisions de ChalcĂ©doine et le premier empereur Ă  ĂȘtre couronnĂ© par le patriarche de Constantinople[51]. Mais LĂ©on, pour se dĂ©barrasser de l’influence germanique, se rapproche des Isauriens dont le chef, ZĂ©non, lui succĂšde (coempereur 474-475 ; empereur 476-491)[52]. Rapidement les Isauriens deviennent aussi impopulaires que les Germains l’avaient Ă©tĂ© et ZĂ©non est remplacĂ© par le monophysite Basiliscus favorisant un dĂ©gel des relations avec Alexandrie. Mais le retour de ZĂ©non au pouvoir quelques mois plus tard ravive les hostilitĂ©s[53]. Instruit par l’expĂ©rience, ZĂ©non tente de rĂ©concilier le monophysisme, qui ralliait les rĂ©gions orientales de l'Empire, et le chalcĂ©donisme en faveur dans la partie occidentale. Il propose en 482 un compromis en accord avec le patriarche de Constantinople Acace, l'HĂ©notique, Ă©dit d'union religieuse qui rĂ©sulte en un schisme avec Rome qui dure jusqu’à l’arrivĂ©e au pouvoir de Justin Ier (r. 518-527)[54].

PĂ©riode sassanide et arabe (619 – 646)

Expansion de l'Empire sassanide de 602 à 629 (plus pùles : territoires vassaux ; plus foncés : conquis en 620 sur l'Empire byzantin).

DĂ©jĂ  au cours du rĂšgne d’Anastase Ier (r. 491-518), l’Empire sassanide avait envahi le Delta du Nil, mais avait dĂ» se retirer aprĂšs avoir Ă©chouĂ© Ă  conquĂ©rir Alexandrie. Au dĂ©but du VIe siĂšcle, sous le rĂšgne de Justin Ier ce sont les Blemmyes qui multiplient les attaques sur la Haute-Égypte[55]. Son successeur, Justinien Ier (r. 527-565) et son Ă©pouse ThĂ©odora tentent tous deux de convertir les Noba, mais pendant que Justinien espĂ©rait les voir adopter l’orthodoxie, son Ă©pouse les persuade plutĂŽt d’adopter le monophysisme et les rallie Ă  l’Église copte[55]. Une fois convertis, ils viennent en aide aux Romains dans la conquĂȘte des Blemmyes ; le gĂ©nĂ©ral NarsĂšs est envoyĂ© en 543 pour confisquer les statues de PhilĂŠ et fermer le temple qui est converti en Ă©glise chrĂ©tienne[55]. Les Blemmyes n’en reviennent pas moins Ă  la charge sous le successeur de Justinien, Justin II (r. 565-574) et le dĂ©but du rĂšgne de TibĂšre II (r. 574-582)[56].

Le long conflit qui avait opposĂ© les Empires byzantin et sassanide se termine en 591 lorsque l’empereur Maurice (r. 582 – 602) aide le roi Khosro II (r. 590-628) Ă  regagner son trĂŽne. En 602, Maurice est assassinĂ© par son rival, Phocas. PrĂ©tendant venger Maurice, Khosro dĂ©clare la guerre Ă  l’Empire byzantin, guerre qui enflamme l’Égypte, le Levant et la MĂ©sopotamie, culminant avec la conquĂȘte de JĂ©rusalem en 614 et d’Alexandrie en 619. Ces succĂšs initiaux sont de courte durĂ©e et l’arrivĂ©e au pouvoir de l’empereur HĂ©raclius (r. 610 – 641) renverse la situation, Khosro lui-mĂȘme est renversĂ© en 628[57]. Son fils, Kavadh II, qui ne rĂ©gna que quelques mois en 628, a tout de mĂȘme le temps de conclure un accord avec l’Empire byzantin qui retournait Ă  celui-ci les territoires conquis par son pĂšre.

La courte conquĂȘte sassanide a toutefois pour consĂ©quence de permettre au monophysisme de refaire surface en Égypte et consolider le mur de haine qui existait entre Égyptiens et Byzantins. La restauration du pouvoir de Constantinople en 629 aboutit Ă  la persĂ©cution des monophysites par l’empereur HĂ©raclius et consolide les aspirations sĂ©paratistes de la population qui ne fait rien pour se dĂ©fendre lorsqu’arrive de nouveaux envahisseurs : les Arabes[58]. La couteuse guerre de l’empereur HĂ©raclius fait de la lutte contre les Perses et du retour de la Vraie Croix dans JĂ©rusalem reconquise (630) le principal but de sa politique[59] en fait affaibli les forces des deux empires qui se trouvent dĂ©munis face Ă  ce nouvel ennemi.

Non seulement le calife Omar (r. 634-644), compagnon de Mahomet et successeur d’Abu Bakr, rĂ©ussit Ă  soumettre l’Empire perse, mais aprĂšs s’ĂȘtre emparĂ© de l’ArmĂ©nie, son armĂ©e de quelque 4 000 Arabes sous le commandement d’Amr ibn al-As se dirige vers JĂ©rusalem (637/638) avant de pĂ©nĂ©trer en Égypte en 639, avançant rapidement vers le delta du Nil[60] - [61]. Les garnisons byzantines se replient alors dans les villes fortifiĂ©es oĂč elles tiennent pendant plus d’une annĂ©e[62].

Les Arabes demandent alors des renforts et en avril 641 assiĂ©gent et prennent Alexandrie. Les Byzantins assemblent une flotte dont le but Ă©tait de reprendre l’Égypte et Alexandrie en 645[63]. Ayant reçu leurs renforts, les Arabes reconquiĂšrent la ville l’annĂ©e suivante. La plupart des Byzantins, y compris le commandant de la flotte impĂ©riale, sont tuĂ©s, de mĂȘme que bon nombre des habitants de la ville qui est rasĂ©e[64]. Ainsi se terminent quelque 675 annĂ©es de souverainetĂ© romano-byzantine sur l’Égypte. À la mort d’Omar en 644, l’Empire arabe s’étend dĂ©jĂ  de ce qui est la Libye aujourd’hui Ă  l’ouest jusqu’à l’Indus Ă  l’est et Ă  l’Oxus au nord.

Gouvernement romain de l’Égypte

TĂȘte d’un empereur romain du Ier siĂšcle portant le nĂ©mĂšs[N 7] avec un UrĂŠus[N 8] reprĂ©sentĂ© comme pharaon (MusĂ©e du Louvre).

Les principales rĂ©formes apportĂ©es par les Romains au systĂšme ptolĂ©maĂŻque ont pour but d’accroitre l’efficacitĂ© de l’administration et partant d’assurer de meilleurs revenus. Certaines fonctions sont conservĂ©es, d’autres disparaissent et certaines conservent leur nom, mais voient leurs tĂąches modifiĂ©es.

Les provinces de l’ancien royaume sont conservĂ©es, du moins jusqu’aux rĂ©formes de DioclĂ©tien, ces derniĂšres touchant non seulement l’Égypte, mais l’ensemble de l’empire[41]. Pendant les trois premiers siĂšcles de la domination romaine, l’ensemble du pays est confiĂ© Ă  un gouverneur unique appelĂ© praefectus Alexandrae et Aegypti (litt : prĂ©fet d’Alexandrie et de l’Égypte), titre reflĂ©tant le fait qu’Alexandrie, situĂ©e hors du delta du Nil, n’était pas incluse dans les frontiĂšres gĂ©ographiques traditionnelles de l’Égypte[65]. Non seulement celui-ci et ses principaux collaborateurs appartiennent Ă  la classe Ă©questre, mais le premier dispose Ă  la fois de pouvoirs civils et militaires puisque, par la loi, il dispose d’un pouvoir d'« imperium »[65]. De plus, et contrairement aux autres provinces sĂ©natoriales, il est responsable de la collecte de certaines taxes et de l’organisation des envois de grains, y compris l’anona, venant d’Égypte[66]. Aussi, la fonction de prĂ©fet d'Égypte est considĂ©rĂ©e comme la seconde en importance pour un membre de l’ordre Ă©questre aprĂšs celle de prĂ©fet du prĂ©toire et est l’une des mieux payĂ©es avec un salaire annuel de 200 000 sesterces. Ses pouvoirs dĂ©passent Ă©galement ceux en vigueur dans les autres provinces sĂ©natoriales puisque non seulement le gouverneur peut Ă©mettre des dĂ©crets (ius edicendi) mais aussi, Ă  titre d’ultime instance judiciaire, ordonner des exĂ©cutions capitales (ius gladii). Chaque annĂ©e en Basse-Égypte et Ă  tous les deux ans en Haute-Égypte, le prĂ©fet tient un conventus au cours duquel se tiennent les procĂšs judiciaires et oĂč sont examinĂ©es les pratiques administratives des fonctionnaires[66].

Le prĂ©fet est assistĂ© dans ses tĂąches par divers procurateurs dont deux sont nommĂ©s par l’empereur : l’administrateur du Idios Logos, responsable de certains revenus spĂ©ciaux et le Juridicus ou officier chargĂ© du domaine judiciaire. On dĂ©nombre Ă©galement des procurateurs pour les monopoles d’État, pour les fermes de l’État, pour l’administration des entrepĂŽts d’Alexandrie, etc[66].

Les nomes et grandes villes d’Égypte avec leur nom en caractĂšres hiĂ©roglypiques.

Au dĂ©but de la conquĂȘte, l’Égypte est divisĂ©e en deux « Ă©pistratĂ©gies », celle de Haute-Égypte et celle de Basse-Égypte auxquelles s’ajoute peu aprĂšs une troisiĂšme comprenant la rĂ©gion situĂ©e au sud de Memphis et le Fayoum portant le nom de « nome de Meptanomia et Arsinoite ». Les gouvernements locaux de l’arriĂšre-pays demeurent ceux des divisions administratives traditionnelles ou nomes. Dans chaque nome, le prĂ©fet nomme un strategos, administrateur civil sans fonction militaire, qui sert d’agent intermĂ©diaire entre le prĂ©fet et les villages avec l’aide d’un « scribe royal » chargĂ© des affaires financiĂšres. Tout en servant d’adjoint au strategos, celui-ci rapporte directement Ă  Alexandrie pour l’administration des comptes publics[66].

Comme ailleurs dans l’empire, le statut des grandes villes est rehaussĂ©. Dans chaque nome, les principales villes recoivent le titre de metropoleis. Celles-ci sont dirigĂ©es par des magistrats choisis selon le systĂšme des « liturgies »[N 9] qui sont aussi responsables de la construction des Ă©difices publics. En 200/201, Septime SĂ©vĂšre (r. 193-211) accorde Ă  chaque mĂ©tropole et Ă  Alexandrie le droit Ă  une assemblĂ©e, la boulĂš[2]. Au sein des nomes, chaque village ou kome possĂ©de un scribe ou secrĂ©taire de village dont le terme d’office, quelquefois payĂ©, est de trois ans. Pour Ă©viter les conflits d’intĂ©rĂȘts, ces scribes ne peuvent venir du village oĂč ils servent puisqu’une de leurs tĂąches est d’informer les stratĂ©goi et epistrategoi du nom des personnes pouvant exercer des charges publiques non rĂ©tribuĂ©es[67].

Les rĂ©formes de DioclĂ©tien rĂ©sultent dans la subdivision de l’Égypte, avec comme principales divisions Iovia, Herculea et la ThĂ©baĂŻde. Au IVe siĂšcle cette division administrative reflĂšte la division militaire entre le dux Thebaidos en Haute-Égypte et le Comes limitis Aegypti en Basse-Égypte[68]. L’empereur Justinien doit pour sa part abolir le DiocĂšse d’Égypte en 538 et regrouper pouvoirs civil et militaire entre les mains d’un dux (militaire) aidĂ© d’un praeses (civil), pouvoir Ă©tatique devant faire contrepoids aprĂšs une pĂ©riode de bouleversements politiques Ă  celui de l’Église. Toute autonomie locale est alors disparue.

L’armĂ©e

Vu que le prĂ©fet d’Égypte appartient Ă  l’ordre Ă©questre et qu’il est impensable qu’un chevalier puisse commander un sĂ©nateur, les commandants des lĂ©gions appartiennent au mĂȘme ordre et sont des militaires de carriĂšre, anciens centurions ayant le grade senior de primus pilus. Ils portent le titre de praefectus stratopedarches (du grec « stratopedarque » signifiant commandant de camp). Collectivement, ces forces forment l’exercitus Aegyptiacus ou « armĂ©e d’Égypte »[69].

Alexandrie Ă©tant une ville turbulente, la garnison est concentrĂ©e Ă  Nicopolis, faubourg de la ville, plutĂŽt que dans le centre stratĂ©gique du pays, Memphis, l’ancienne capitale des pharaons[70]. Au moins une lĂ©gion y est stationnĂ©e en permanence Ă  laquelle s’ajoute un important dĂ©tachement de cavalerie formĂ© d’« auxilia »[N 10]. Ces troupes ont comme mission d’assurer la protection du praefectus Aegypti en cas d’insurrection et peuvent ĂȘtre dĂ©ployĂ©es lĂ  oĂč le besoin s’en fait sentir. Se trouve Ă©galement Ă  Alexandrie la Classis Alexandrina, flotte provinciale d’Égypte. Au total, au cours des IIe et IIIe siĂšcles quelque 8 000 soldats sont stationnĂ©s Ă  Alexandrie[71]. De plus, au moins trois dĂ©tachements d’auxilia sont stationnĂ©s Ă  la frontiĂšre sud, prĂšs de PhilĂŠ et de SyĂšne (Assouan) Ă  la premiĂšre cataracte, protĂ©geant l’Égypte contre les ennemis du sud et empĂȘchant toute rĂ©bellion en ThĂ©baĂŻde[72].

Deux des trois lĂ©gions stationnĂ©es en permanence en Égypte nous sont connues : la Legio III Cyrenaica et la Legio XXII Deiotariana. La III Cyrenaica quitte l’Égypte aprĂšs et la XXII Deiotariana est transfĂ©rĂ©e quelque peu aprĂšs, la Legio II Traiana arrive avant 127/128 pour la remplacer et devenir la principale composante de l’ArmĂ©e d’Égypte pendant les deux siĂšcles suivants[73].

À cĂŽtĂ© des lĂ©gions se trouvent entre sept et dix cohortes d’auxilia d’infanterie, chaque cohorte comprenant environ 500 hommes et trois ou quatre « ala » de cavalerie composĂ©es chacune de quelque 500 hommes Ă  cheval. Trois de ces dĂ©tachements sont stationnĂ©s Ă  la frontiĂšre sud, les autres demeurant Ă  Alexandrie[74]. Les militaires appartenant Ă  ces unitĂ©s, sont pour beaucoup d’origine Ă©gyptienne, mais s’y ajoutent d’autres soldats venant des provinces d’Afrique, de Syrie, voire des Balkans et d’Asie mineure[75]. Une chose est certaine toutefois : l’armĂ©e d’Égypte est la plus hellĂ©nisĂ©e des armĂ©es de province[76]. AprĂšs quelque 25–26 ans de service militaire, ces soldats reçoivent la citoyennetĂ© romaine et le droit de connubium (mariage). Sous la dynastie flavienne, une portion de plus en plus importante de l’armĂ©e est constituĂ©e de soldats locaux dont les enfants Ă©levĂ©s dans les camps prĂšs des bases (canabae) deviennent eux-mĂȘmes soldats (castrenses ; litt : « enfants des camps »). Les Égyptiens reçoivent des noms Ă  consonance latine Ă  leur enrĂŽlement et, Ă  l’encontre de ce qui se passait dans d’autres provinces, on ne trouve Ă  peu prĂšs aucun nom d’origine locale parmi les auxiliaires de l’armĂ©e d’Égypte[77].

L’armĂ©e romaine joue trois rĂŽles principaux en Égypte. Elle doit d’abord assurer la protection du territoire contre les ennemis extĂ©rieurs comme on l’a vu prĂ©cĂ©demment. De plus, comme Alexandrie et Antioche contrĂŽlent l’Est mĂ©diterranĂ©en, on fait rĂ©guliĂšrement appel Ă  des unitĂ©s cantonnĂ©es en Égypte pour prendre part Ă  des expĂ©ditions dans la rĂ©gion. À cela s’ajoute un rĂŽle plus politique de police dans la rĂ©pression des nombreux soulĂšvements qui agitent la province, principalement lors des rĂ©voltes juives. Enfin, elle a un rĂŽle Ă©conomique en surveillant les chargements de blĂ© qui, venant de l’intĂ©rieur du pays, se dirigent vers Alexandrie avant d’ĂȘtre envoyĂ©s en Europe, ainsi qu’en assurant la surveillance des travaux de construction et d’entretien des canaux permettant l’irrigation des terres[78].

Économie

Le Nil, riviĂšre et dieu de l’Égypte, reprĂ©sentĂ© avec la corne d’abondance, des gerbes de blĂ©, un sphinx et un crocodile. Sculpture provenant du temple d’Isis et SĂ©rapis Ă  Rome.

L’Égypte est de loin la plus riche province romaine en dehors de l’Italie[79]. GrĂące au port d’Alexandrie, elle permet d’alimenter en grain Rome au dĂ©but, Constantinople par la suite. On ignore le chiffre exact de sa population et on l’a longtemps estimĂ©e Ă  huit et dix millions, mais ces chiffres ont Ă©tĂ© ramenĂ©s Ă  environ cinq millions[80] - [81]. Son Ă©conomie, hautement monĂ©tarisĂ©e pour l’époque y compris dans les campagnes, repose sur la tetradrachme qui est alignĂ©e sur le denarius romain jusqu’à l’introduction par Constantin du solidus d’or[82].

Non seulement les autoritĂ©s romaines continuent le rĂ©gime de taxation de l’époque ptolĂ©maĂŻque basĂ© sur la terre, mais encore y ajoutent un grand nombre de taxes diverses qui conduisent Ă  de nombreuses protestations d’exaction de la part de la population. Le systĂšme dĂ©veloppĂ© sous les pharaons Ă©tait complexe et comportait une grande variĂ©tĂ© de tenure dont le statut Ă©tait dĂ©terminĂ© Ă  la fois par les trois catĂ©gories du systĂšme ptolĂ©maĂŻque : propriĂ©tĂ©s sacrĂ©es appartenant aux temples, terres royales appartenant au pharaon et « terres donnĂ©es » basĂ©es sur le systĂšme des « clĂ©rouquies » de l’époque lagide[N 11], ainsi qu’en fonction de divers critĂšres locaux tels le rĂ©gime hydrologique, le statut juridique ou la fonction de la propriĂ©tĂ©[83].

Le gouvernement romain encourage la privatisation des terres et l’accroissement de l’entreprise privĂ©e dans la production et les Ă©changes, les taxes frappant moins lourdement propriĂ©taires privĂ©s et entrepreneurs. Le volume du commerce intĂ©rieur et extĂ©rieur se dĂ©veloppe pour atteindre un sommet au IIe siĂšcle, mais une sĂ©rie de problĂšmes se posent au IIIe siĂšcle causĂ©s en grande partie par une sĂ©rie de dĂ©prĂ©ciations monĂ©taires qui diminuent la confiance dans la monnaie et causent une inflation galopante[84].

La tendance Ă  la privatisation de la terre s’accĂ©lĂšre au Ve siĂšcle et culmina au VIe siĂšcle alors que, comme ailleurs dans l’empire se constituent d’immenses domaines latifundaires dont un certain nombre appartiennent Ă  l’Église chrĂ©tienne[82] - [85].

Société

Plan d’Alexandrie Ă  l’époque hellĂ©nistique.

La structure sociale de l’Égypte romaine et byzantine est complexe et se base Ă  la fois sur l’ethnicitĂ© et le lieu de rĂ©sidence.

Les Romains hĂ©ritent de la structure sociale en vigueur dans l’Égypte ptolĂ©maĂŻque fondĂ©e en -305 par PtolĂ©mĂ©e Soter, compagnon d’Alexandre le Grand, laquelle faisait une nette distinction entre l’élite grecque et la population Ă©gyptienne. Alexandrie Ă©tait alors devenue non seulement la capitale politique du pays, mais aussi centre de rayonnement de la culture grecque[86]. Les Romains, ne faisant guĂšre de distinction entre les deux peuples, considĂšrent les uns et les autres comme « Égyptiens ». De plus, les Juifs qui formaient des communautĂ©s autonomes sont Ă©galement largement hellĂ©nisĂ©s[87].

Outre le critĂšre ethnique, joue aussi le lieu de rĂ©sidence. Les citoyens romains et les citoyens d’Alexandrie payent un « impĂŽt par tĂȘte »[N 12] moindre que les « Égyptiens ». Par ailleurs les Égyptiens habitant juridiquement les mĂ©tropoles des nomoi payent un impĂŽt par tĂȘte moins Ă©levĂ© et ont plus de privilĂšges que les autres. De mĂȘme au sein des mĂ©tropoles, l’élite hellĂ©nisĂ©e, propriĂ©taire d’immenses domaines, paye moins d’impĂŽts que les simples paysans, la plupart Ă©tant des fermiers-locataires travaillant des terres appartenant soit Ă  des temples, soit aux successeurs de l’ancienne monarchie[2]. Cette distinction entre la vie rurale des villages oĂč on parlait Ă©gyptien et les mĂ©tropoles oĂč se parlait la koinĂš grecque et oĂč l’élite frĂ©quentait les gymnasia grecs est probablement la plus importante distinction sociale de l’Égypte romaine. Outre les Ă©tablissements d’enseignement, les mĂ©tropoles possĂšdent d’autres institutions Ă  caractĂšre grec comme le conseil des anciens (gerousia) et c’est parmi ces Ă©lites que les Romains choisissent les Ă©diles municipaux et les grands administrateurs[88]. Et mĂȘme si la Constitutio Antoniniana de 212 fait de tous les Égyptiens libres des citoyens romains, elle n’abolit pas ces distinctions sociales basĂ©es sur la tradition[2].

L’ascension sociale est possible mais difficile[89].Une façon d’y parvenir est de s’enrĂŽler dans l’armĂ©e, du moins jusqu’à la concession du statut de citoyens Ă  tous les peuples de l’empire par Caracalla. Bien qu’en thĂ©orie l’enrĂŽlement soit encore rĂ©servĂ© aux seuls citoyens romains, nombre de Grecs trouvent le moyen de rejoindre la lĂ©gion. Les Égyptiens pour leur part peuvent se joindre aux forces auxiliaires et obtenir la citoyennetĂ© lors de leur dĂ©mobilisation[90].

Religion

Le dieu Sérapis accompagné du CerbÚre (Musée archéologique national, Naples).

Culte de SĂ©rapis et d’Isis

Au dĂ©but de la pĂ©riode ptolĂ©maĂŻque, PtolĂ©mĂ©e Soter avait introduit le culte de SĂ©rapis, dieu syncrĂ©tique aux caractĂ©ristiques hellĂ©niques et Ă©gyptiennes, possiblement reliĂ© au culte d’Osiris-Apis. SĂ©rapis reprend dans le panthĂ©on Ă©gyptien le rĂŽle d’Osiris, dieu de la vie future et de la rĂ©gĂ©nĂ©ration, Ă©poux d’Isis, dĂ©esse de la fertilitĂ©, et pĂšre d’Horus connu dans le monde hellĂ©nique comme Harpocrate. Les empereurs sont quelquefois reprĂ©sentĂ©s sous les traits de SĂ©rapis avec ses attributs caractĂ©ristiques, celui-ci comme Osiris, et contrairement aux autres dieux Ă©gyptiens n’étant jamais reprĂ©sentĂ© avec des parties animales. Ses traits caractĂ©ristiques sont ses vĂȘtements Ă  la mode grecque, ses longs cheveux et sa barbe de mĂȘme que sa couronne Ă  dessus plat appelĂ©e calathus[91].

Le culte Ă  mystĂšres d’Isis, qui se dĂ©veloppe quelque part dans l’Empire romain et est par la suite importĂ© en Égypte, devient populaire, Isis Ă©tant la dĂ©itĂ© fĂ©minine par excellence, dĂ©esse-crĂ©atrice du panthĂ©on Ă©gyptien et mĂšre de l’enfant Harpocrate ; en tant que « myrionymos », elle est la dĂ©esse de la magie et des mystĂšres[91].

Culte impérial

Le culte des souverains Ă©gyptiens se termina avec la chute de la dynastie ptolĂ©maĂŻque, laquelle avec Alexandre le Grand avait fait l’objet d’un culte des hĂ©ros Ă  la fois Ă©gyptien et hellĂ©nique[92]. Auguste devait instituer un nouveau culte impĂ©rial pour l’Égypte. En thĂ©orie, c’est le « peuple romain » (populus romanus) qui gouverne collectivement l’Égypte. Les empereurs ne sont jamais couronnĂ©s pharaons et il n’existe pas d’exemple qui montre qu’un empereur vivant soit incorporĂ© dans les panthĂ©ons traditionnels vĂ©nĂ©rĂ©s par le sacerdoce Ă©gyptien[93]. Les images de l’empereur sont identifiĂ©es Ă  Zeus Éleutherios (litt : le libĂ©rateur) et modelĂ©es sur l’exemple d’Alexandre le Grand, censĂ© avoir « libĂ©rĂ© » l’Égypte de la tyrannie des pharaons[93]. Toutefois, on sait qu’à Memphis se trouvait en -27 un grand prĂȘtre de Ptah, nommĂ© sous l’autoritĂ© d’Auguste comme cĂ©lĂ©brant en chef du culte du souverain d’Égypte auquel on se rĂ©fĂ©rait comme « prĂȘtre de CĂ©sar ». Il est aussi dĂ©montrĂ© que NĂ©ron est adorĂ© de son vivant de mĂȘme qu’Hadrien[94]. Le culte officiel est dirigĂ© par un « archiereus pour Alexandrie et toute l’Égypte », lequel est responsable de tous les temples d’Égypte et du culte des dĂ©itĂ©s impĂ©riales et de SĂ©rapis dans tout le pays[95]. Tout comme le prĂ©fet, le grand-prĂȘtre doit ĂȘtre citoyen romain, appartient probablement Ă  l’ordre Ă©questre et est nommĂ© par l’empereur[96].

Le culte en Égypte diffĂšre de celui des autres provinces romaines en ceci que la dĂ©esse « Roma » que l’on associait gĂ©nĂ©ralement au SĂ©nat de Rome ne fait pas partie du culte dans cette province impĂ©riale, hors du contrĂŽle du SĂ©nat[97].

Il existe Ă©galement un archiereus dans chaque nome ; choisis dans l’élite locale Ă  partir du systĂšme des liturgies, ces grands prĂȘtres sont responsables de l’entretien des temples et du culte impĂ©rial dans leurs mĂ©tropolis, les cultes des divinitĂ©s traditionnelles ayant leur propre sacerdoce[98].

Christianisme

Cyrille, Ă©vĂȘque d’Alexandrie Ă  partir de 412 et considĂ©rĂ© comme saint par les catholiques et les orthodoxes.

Ce culte impĂ©rial se perpĂ©tue jusqu’au rĂšgne de Constantin le Grand[94]. Mais dĂšs l’an 200, il est Ă©vident qu’Alexandrie est devenu un grand centre du christianisme : ClĂ©ment d'Alexandrie et OrigĂšne y vivent, y enseignent et y Ă©crivent. L’Édit de Milan de 313 met fin Ă  la persĂ©cution des chrĂ©tiens qui adoptent comme langue littĂ©raire et liturgique le copte, ancienne langue Ă©gyptienne Ă©crite avec des caractĂšres grecs auxquels s’ajoutent des caractĂšres permettant de rendre des sons existant en Ă©gyptien mais non en grec[2] - [99]. Si le paganisme est supprimĂ© au Ve siĂšcle, il se perpĂ©tue pendant plusieurs dĂ©cennies comme le montrent des graffiti trouvĂ©s Ă  PhilĂŠ en Haute-Égypte prouvant que le culte d’Isis et ses temples y existent jusqu’au VIe siĂšcle.

L’Égypte a une longue tradition de spĂ©culation religieuse conduisant Ă  la multiplication des controverses thĂ©ologiques. Le christianisme n’échappe pas Ă  cette tradition. Alexandrie devient le centre du premier grand dĂ©chirement du monde chrĂ©tien entre les Ariens, ainsi nommĂ©s d’aprĂšs leur fondateur, le prĂȘtre Arius, et leurs opposants, reprĂ©sentĂ©s par Athanase, archevĂȘque d’Alexandrie qui parvient en 326 Ă  faire rejeter les thĂšses d’Arius au Premier concile de NicĂ©e[100]. MĂȘme aprĂšs sa condamnation, la controverse que suscite l’arianisme se prolonge pendant des dĂ©cennies provoquant rĂ©voltes et rĂ©bellions et conduisant Ă  la destruction du grand temple de SĂ©rapis, un des hauts lieux du paganisme. Outre l’arianisme, on voit fleurir diffĂ©rentes hĂ©rĂ©sies soit originaires d’Égypte, soit importĂ©es, comme le gnosticisme[N 13] et le manichĂ©isme[N 14].

Un autre mouvement religieux, au sein de l’Église celui-lĂ , est le dĂ©veloppement du monachisme des PĂšres du dĂ©sert comme Athanase d'Alexandrie, ThĂ©ophile d'Alexandrie, Cyrille d'Alexandrie, Épiphane de Salamine, GrĂ©goire de Nazianze. Ce mouvement connaĂźt un tel succĂšs que l’empereur Valens (r. 364-378), favorable aux Ariens, restreint le nombre d’hommes qui, quittant le monde voulaient se retirer pour vivre une vie de pauvretĂ© au service de l’Église[101].

Au dĂ©but du IVe siĂšcle, le patriarche Cyrille d’Alexandrie (vers 375 – 444) s’en prend non seulement aux paĂŻens, mais aussi aux Juifs et aux chrĂ©tiens hĂ©rĂ©tiques avec une brutalitĂ© qui l’oppose au gouverneur Oreste, lui-mĂȘme chrĂ©tien, et qui aboutit Ă  des pogroms et autres scĂšnes sanglantes, au cours desquelles pĂ©rit en 415 la philosophe nĂ©oplatonicienne Hypatie, victime d'un lynchage par des moines chrĂ©tiens[102].

La chute de l’Empire romain d’Occident en 476 isole les Romains venus de l’Empire d’Occident Ă©tablis en Égypte et, avec la montĂ©e du christianisme, conduit Ă  l’abandon des traditions pharaoniques.

CathĂ©drale copte orthodoxe de l’archange Michel, Assouan.

Alexandrie revient Ă  l’avant-scĂšne des querelles christologiques du Ve siĂšcle lorsque le monophysisme[N 15] d’EutychĂšs, archimandrite d’un monastĂšre prĂšs de Constantinople, est dĂ©veloppĂ© par Dioscore, patriarche d'Alexandrie de 444 Ă  451 ou 454, puis par SĂ©vĂšre, patriarche d'Antioche de 512 Ă  518, Ă  partir de la formule mise de l’avant par Cyrille d'Alexandrie[103]. CondamnĂ©e au Concile de ChalcĂ©doine en 451, elle conduit les miaphysistes Ă  sĂ©parer l’Église copte orthodoxe d’Alexandrie des Églises catholique et orthodoxe[N 16].

Architecture

Abside nord du monastĂšre rouge de Sohag.

Peu de monuments civils de l’époque romaine ont survĂ©cu ; on en trouve dans les mĂ©tropoleis d’Heracleopolis Magna, d’Oxyrhynchos et d’Hermopolis Magna ainsi que d’Antinoupolis. Ils sont connus en particulier par les recherches archĂ©ologiques conduites lors de la campagne d'Égypte de Bonaparte et publiĂ©es dans la Description de l'Égypte. Depuis, nombre de ces ruines ont elles-mĂȘmes disparu. Il reste toutefois deux thĂ©Ăątres romains Ă  Pelusium, un temple dĂ©diĂ© Ă  SĂ©rapis et un tĂ©trastyle Ă  Diospolis Magna (ThĂšbes) ainsi qu’un arc triomphal et des temples consacrĂ©s Ă  l’empereur Auguste et Ă  la dĂ©esse Roma Ă  PhilĂŠ[104]. La plupart de ces metropoleis Ă©taient probablement construites selon le plan hippodamien utilisĂ© dans les villes hellĂ©nistiques comme Alexandrie et incluaient les deux voies principales romaines du Cardo (direction nord-sud) et Decumanus Maximus (direction est-ouest) se croisant en leur milieu comme on les trouve Ă  Athribis et Antinoupolis[104].

Page titre de l’édition de 1809.

Le plus ancien exemple d’église chrĂ©tienne en Égypte se trouve dans le village romain de Kellis (Haute-Égypte, prĂšs de l’actuelle oasis de Dakhleh). Sur le modĂšle des « maisons-Ă©glises » du dĂ©but du IVe siĂšcle, il s’agit d’une Ă©glise Ă  trois vaisseaux sur plan basilical avec pastaphoria[N 17] et datant de la pĂ©riode de Constantin[105]. Toutes ces Ă©glises sont bĂąties sur un axe est-ouest, les Ă©lĂ©ments liturgiques importants Ă©tant situĂ©s Ă  l’est. Elles durent ĂȘtre construites peu aprĂšs la victoire de Constantin sur Lucinius et, au cours du IVe siĂšcle, mĂȘme de petites villes comme ‘Ain el-Gedida dans l’oasis Dakhleh possĂ©daient leur propre Ă©glise[105]. La premiĂšre Ă©glise de grandes dimensions dont les restes sont parvenus jusqu’à nous est celle d’Antinoupolis. Il s’agit d’une Ă©glise comportant cinq vaisseaux axĂ©e vers l’est mesurant soixante mĂštres en longueur et vingt mĂštres en largeur ; elle est entourĂ©e d’un cimetiĂšre[105].

Vers la fin du IVe siĂšcle les Ă©glises des monastĂšres commencĂšrent Ă  se distinguer des autres par la construction de sanctuaires rectangulaires et non plus semi-circulaires du cĂŽtĂ© est oĂč se trouvait l’autel. Au lieu de l’abside traditionnelle on trouvait une niche ou petite construction ornĂ©e d’un arc avec colonnes[105]. Au Ve siĂšcle Ă©mergent des variations rĂ©gionales dans les Ă©glises-basiliques importantes. Alors que sur la cĂŽte mĂ©diterranĂ©enne et dans le nord du pays on trouve des plans comportant quatre ou cinq vaisseaux, dans la Moyenne-Égypte et en Basse-Égypte les basiliques sont souvent dotĂ©es d’une colonnade qui entoure l’ensemble de la structure formant un dĂ©ambulatoire continu par l’addition d’un vaisseau transversal situĂ© Ă  l’ouest des trois autres[106]. Les plans avec transepts[N 18] ne sont adoptĂ©s que dans des environnements urbains comme Ă  Abu Men et Marea dans l’ouest du delta[107].

Notes et références

Notes

  1. Le royaume ptolĂ©maĂŻque ou royaume lagide est le nom portĂ© par l’Égypte aprĂšs sa conquĂȘte par Alexandre le Grand en 331 av. J.-C. et la nomination de l’un des stratĂšges d’Alexandre, PtolĂ©mĂ©e, comme satrape d’Égypte.
  2. Titre qui se traduisait par « Candace » dans la langue locale lequel est pris improprement comme un nom propre.
  3. Nom qui lui fut attribuĂ© Ă  tort par les croisĂ©s qui croyaient qu’elle avait Ă©tĂ© construite Ă  l'endroit oĂč CĂ©sar aurait enterrĂ© le gĂ©nĂ©ral romain PompĂ©e.
  4. Dans le monde grĂ©co-romain, sanctuaire dĂ©diĂ© Ă  des divinitĂ©s grĂ©co-Ă©gyptiennes, en particulier Ă  Sarapis. Dans le cadre strict de l’Égypte, un sĂ©rapĂ©um est aussi une nĂ©cropole souterraine oĂč Ă©taient ensevelis les taureaux sacrĂ©s du culte d'Apis. Le monde mĂ©diterranĂ©en comportait plusieurs de ces sanctuaires.
  5. Terme incertain qui regroupe probablement deux peuples diffĂ©rents, les Nubiens, peuple du sud-est de la Nubie et les Nobatae, groupe d’origine inconnue qui envahirent la Nubie durant le dĂ©clin de MĂ©roĂ«.
  6. Peuple nubien qui envahit le sud de l’Égypte à de nombreuses reprises.
  7. Coiffe emblématique des pharaons qui la porteront de l'Ancien Empire jusqu'à la période ptolémaïque
  8. Cobra femelle qui a pour fonction de protéger le pharaon contre ses ennemis.
  9. Service public mis en place dans la GrÚce antique par la cité et que les plus riches (citoyens ou métÚques), avec plus ou moins de bonne volonté, finançaient et géraient avec leur fortune personnelle.
  10. Unités de l'armée romaine à l'origine composées de soldats qui ne sont pas des citoyens romains. Leur but principal est de soutenir les légions romaines, composées exclusivement, du moins en principe, de citoyens romains.
  11. Assignation par tirage au sort de lots de terre civique (kleros) Ă  des soldats-citoyens, les « clĂ©rouques », et par extension ce type de colonie militaire elle-mĂȘme. On trouve des clĂ©rouques Ă  AthĂšnes au Ve siĂšcle et au IVe siĂšcle av. J.-C., et dans le royaume lagide en Égypte Ă  partir de la fin du IVe siĂšcle av. J.-C.
  12. ImpĂŽt dont le montant est identique pour toutes les personnes sans Ă©gard aux biens et revenus.
  13. Mouvement de pensĂ©e centrĂ© autour de la notion de « connaissance » en fonction duquel les ĂȘtres humains sont des Ăąmes divines emprisonnĂ©es dans un monde matĂ©riel crĂ©Ă© par un dieu infĂ©rieur mauvais ou imparfait, le DĂ©miurge ou YahvĂ© Ă  l'opposĂ© duquel existe un autre ĂȘtre, transcendant et parfait, plus Ă©loignĂ©, un dieu supĂ©rieur liĂ© Ă  l'homme par la connaissance qu'il lui a donnĂ©e.
  14. Doctrine qui postule la coexistence de deux principes éternels et inengendrés à l'origine de la création du bien (l'ùme, le monde spirituel) et du mal (le corps, le monde matériel).
  15. Doctrine christologique apparue au Ve siÚcle dans l'Empire romain d'Orient en réaction au nestorianisme, affirmant que le Fils n'a qu'une seule nature, qui est divine, et qui a absorbé sa nature humaine.
  16. Il existe encore une Église catholique copte faisant partie des Églises catholiques orientales et une Église copte orthodoxe, autocĂ©phale, faisant partie de l'ensemble des Églises des trois conciles.
  17. Terme utilisé pour décrire les deux annexes liturgiques qu'on trouve en général dans une basilique paléochrétienne de part et d'autre de l'abside
  18. Nef transversale qui coupe Ă  angle droit la nef principale d’une Ă©glise et qui lui donne ainsi la forme symbolique d’une croix latine.

Références

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Annexes

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Articles connexes

Liens externes

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