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L'Archipel français

L’Archipel français : une nation multiple et divisée est un essai de géographie électorale du politologue Jérôme Fourquet paru en 2019. Il y décrit le bouleversement rapide des clivages structurant la vie sociale et politique française depuis cent ans, notamment par la disparition de la matrice traditionnelle catholique / communiste. L'éclatement de ce paysage se fait au profit de millions d'individualités ou de petits groupes sociologiques sans lien entre eux et sans destin commun.

L’Archipel français : une nation multiple et divisée
Auteur Jérôme Fourquet
Genre Essai
Éditeur Seuil
Date de parution 2019
ISBN 978-2268030531

Le livre connaît un succès critique et public et alimente le débat sur le communautarisme et le séparatisme, la France périphérique ou la déconnexion des élites qui agite la France autour de 2020. Pascal Boniface en résume donc ainsi l'impact : « Avec son livre L’archipel français, Jérôme Fourquet n’a pas seulement publié un best-seller et reçu le prix du livre politique. Il a également forgé un concept qui s’impose dans le débat public, celui d’un pays dont les habitants vivent sous le même drapeau national, mais dans des îles différentes et distinctes[1]. »

Méthode

Jérôme Fourquet se base sur ses études antérieures concernant notamment la quasi-disparition et la recomposition du catholicisme dans la société (avec Hervé Le Bras, La Religion dévoilée - Nouvelle géographie du catholicisme, ; À la droite de Dieu, ), l'identité corse, l'immigration ou le vote FN-RN. Il se livre à un travail de synthèse et d'agrégation de données de sondages et d'élections, mises en cartes par S Manternach, pour dresser un tableau socio-politique synthétique au niveau national.

Dans l'introduction, il reconnaît trois approches ayant dirigé son travail :

Résumé

  • Première partie. Le grand basculement : chapitres 1 et 2
  • Deuxième partie. L’« archipelisation » de la société française : chapitres 3, 4 et 5
  • Troisième partie. Recomposition du paysage idéologique et électoral : chapitres 6 et 7

1. Dislocation de la matrice catholique

Carte Boulard qui distingue[2] les « paroisses chrétiennes[3] Â», les « paroisses indifférentes mais de culture chrétienne[4] » et les « pays de mission[5] », montrant une France déchristianisée « en Y inversé »[6].

La moyenne des baptisés en France en 2012 est encore de 80 %, mais en fait le chiffre est trompeur car les baby boomers sont baptisés à 90 % quand les 18-24 ans ne le sont qu'à 65 %. Aux sondages sur les dimanches ouvrés, 46 % des Français y étaient favorables en 2004 contre 72 % en 2013.

Le prénom « Marie » est le plus porté en 1900 : il était donné à 20 % des Françaises.

La disparition est encore plus frappante dans l'étude du prénom « Marie » : il était donné à 20 % des Françaises en 1900, 10 % de 1930 à 1950, 3 % de 1970 à 2000, puis 1 % (INSEE).

Comment notre monde a cessé d’être chrétien ? Pour reprendre le titre et les analyses de Guillaume Cuchet (2018), le décrochage de la population française n'a pas eu lieu avec Mai 68 et l’IVG, mais plutôt dès 1965 avec Vatican II, car des rites structurant les sociétés traditionnelles catholiques ont été alors jugés non obligatoires par l’Eglise : communion solennelle, messe du dimanche, confession, maigre du vendredi.

2. Vers un basculement anthropologique

Hervé Le Bras, Forum France Culture Sciences, 2016.

Hervé Le Bras et Emmanuel Todd dans Le Mystère français (2013) parlent d’un « catholicisme zombie » : la religion de la « fille aînée de l'Église » imprime encore sa marque dans les attitudes sociales, mais a cessé d’exister.

Les conséquences de l'abandon du référent catholique s'observent dans les pratiques récentes des Français :

  • Chute des mariages et hausse des divorces. Les naissances hors mariage après 2007 dépassent 50 % du total des naissances.
  • Adhésion à l’IVG : 48 % en 1974, 75 % en 2014. En fait, l'effet d’acceptation (« effet-cliquet ») a été le même dans les réformes sociétales qui ont suivi : PACS, mariage homosexuel, et bientôt adoption pour les couples de lesbiennes.
  • Incinération. Celle-ci est devenu le souhait majoritaire des Français depuis 2006 alors qu'être enterré est le souhait de seulement 27 % des Français en 2012.
  • Tatouage à la mode au sein des jeunes générations, alors que son interdiction dans l'Ancien Testament en faisait une pratique marginale auparavant.
  • Animalisme. Selon Francis Wolff dans Trois Utopies contemporaines (2017), la hiérarchie homme/animal du christianisme est désormais remise en cause par des revues spécialisées et des associations de type L214, puis par une frange de l'opinion.

3. Fragmentations

D'autres matrices que le catholicisme sont désormais sans effet :

  • Fin du communisme : 100 000 adhérents aux Jeunesses communistes en 1986, 15 000 en 2015.
  • Fin des grandes chaînes de médias unificatrices : TF1 a 45 % de part d’audience en 1988 et n'en a plus que 20 % en 2017.
  • Fin de la culture scientifique (le « cartésianisme Â») et vogue des théories du complot, en particulier chez les jeunes : 34 % des 18-24 ans croient aux chemtrails contre 7 % des 65 ans et plus. Pour le « HAARP » (des catastrophes météo provoquées soi-disant par une arme secrète des Etats-Unis), les pourcentages sont respectivement de 33 % contre 8 %.

Cela aboutit à une fragmentation du corps social. On peut même parler d'un éparpillement extrême représenté par l'individualisme croissant. Cela est visible dans la volonté des parents de donner un prénom original ou même rare (donné moins de 3 fois selon l'INSEE) à leur enfant : le nombre de prénoms stagnait à 2 000 de 1900 à 1950, puis connaît une hausse continue, 4 000 en 1960, 6 000 en 1980, 16 000 aujourd'hui après une loi sur la liberté des prénoms de 1993 entérinant cette tendance sociale individualiste.

4. Une société archipel

En fait, la destruction des matrices traditionnelles laisse place à des petits groupes aux intérêts différents et ne cherchant pas à s'ouvrir aux autres. Deux exemples l’illustrent : la sécession des élites d'une part, et celle des populations immigrées d'autre part.

Revenu médian en Ile de France, 2010.

Il y a tout d'abord une « sécession des élites » pour reprendre le concept développé dans La Révolte des élites et la trahison de la démocratie de Christopher Lasch en 1996 et repris par exemple par Christophe Guilluy dans Fractures françaises (2010). Elle est à la fois psychologique (les classes aisées sont plus libérales, moins choquées par les différences de salaire) et peut prendre des formes géographiques, comme dans le cas de l'expatriation de nombreux entrepreneurs dans les années 2000 et 2010, comme l'a montré David Goodhart dans The Road to Somewhere. The Populist Revolt and the Future of Politics, 2017. Elle se vérifie dans les faits statistiques :

  • Très visible en cartographie des résidences sur Paris et sur Lyon avec un continuum de banlieues chic sur 30 km à l’ouest de Paris (avec 40 % et plus de CSP+). On observe le même phénomène à Lyon avec une couronne sud ouest de CSP+.
  • Dans l'enseignement, les CSP+ investissent les écoles privées.
  • Dans l'armée : depuis 1996-2001, il n’y a plus le brassage social opéré par le service militaire, qui concernait 66 % d’une classe d’âge auparavant, et pas seulement les classes populaires.
  • Dans les loisirs : Il y a de moins en moins de colonies de vacances (2 millions d’enfants en 1980 et 0,8 en 2016), avec une disjonction entre colonies thématiques chères (stage linguistique, d'équitation, etc.) pour les classes aisées, et colonies généralistes.
  • De même dans le sport : le football, sport populaire par excellence, a vu s'imposer les « carrés VIP » dans les stades, qui créent une dissociation des expériences très différentes des supporters « populaires » de celles des privilégiés qui utilisent ces espaces pour l'affichage et l'entregent. Le ski, lui, est typique d'une pratique élitaire - seuls 8 % des Français partent skier une fois tous les deux ans - mais surreprésentée médiatiquement (météo des stations, points sur les embouteillages vers les stations, etc).
  • Dans les réseaux politiques : les partis ont connu une gentrification des adhérents. Le plus emblématique est le Parti socialiste qui compte en 1985 environ 18 % d’instituteurs comme de cadres supérieurs et qui en 2011 en compte respectivement 7 % et 38 % ; cela explique que dans son programme les sujets « sociétaux » (GPA par exemple) plaisant aux CSP+ aient pris le pas sur les sujets sociaux (hausse du SMIC par exemple).
Etoile de Kevin Costner à Hollywood.

Les classes populaires ne sont plus dans l'imitation et l'admiration de leurs élites. Le choix des prénoms anglo-saxons des séries télévisées américaines est une illustration de cette autonomisation. 160 000 Français ont reçu le prénom de Kevin, qui correspondait aux nouvelles stars de la culture populaire (Kevin Kostner ; Kevin de Beverly Hills ; Kevin de Maman, j'ai raté l'avion !), avec un pic en 1991. Ainsi le schéma classique de modes des prénoms qui se transmettent des élites aux classes populaires sur plusieurs décennies (Besnard et Desplanques, 1999) n'est-il plus respecté. La « France des Kevin » correspond à la France du vote FN dont les cadres ont d’ailleurs des prénoms populaires : Steeve Briois, Jordan Bardella, Davy Rodriguez, Kévin Pfeffer.

L'autre exemple majeur est celui de l'immigration arabo-musulmane, étudié à travers les prénoms de garçons à la naissance, puisque les statistiques ethniques sont interdites en France : ils passent de 0 % des prénoms masculins français en 1950 à 8 % en 1980 et 19 % en 2016[7]. Selon Michèle Tribalat (Assimilation : la fin du modèle français : Pourquoi l’Islam change la donne, 2017), cette variation se calque sur les vagues d’immigration. La corrélation avec la proportion de musulmans (de 6 % selon IFOP pour Institut Montaigne à 8 % pour Pew) reste plus difficile à établir.

Cette population a tendance à la sécession. Elle est de plus en plus religieuse (depuis les années 2000 comme le prouve l'étude de 2008 d'Hugues Lagrange) alors que le reste de la population a abandonné la religion. Elle est également de plus en plus conservatrice dans les mœurs : environ 70 % des musulmans français sont opposés à la défloration avant le mariage, alors que la virginité au mariage est une pratique tombée en désuétude dans le reste de la population, catholiques inclus. Enfin se pose la question de son endogamie : d'une part, la proportion de parents de jeunes garçons musulmans acceptant que leur fils épouse une femme non musulmane évolue de 41 % à 56 % de 2011 à 2016 quand la proportion de ceux qui ne l'accepteraient pas ou pour lesquels cela poserait un problème passe de 31 % à 22 % ; d'autre part, la proportion des parents d'une jeune fille musulmane qui accepteraient de la voir épouser un non-musulman baisse de 38 % à 35 % sur la même période de 2011-2016, la proportion de ceux qui refusent ou ont du mal à accepter augmentant de 37 % à 44 %. Selon Hervé Le Bras et Emmanuel Todd (Le Mystère français), le coup d’arrêt des mariages mixtes a aussi signifié que la population arabo-musulmane ne s'est pas diffusée sur tout le territoire français. De fait, les prénoms arabo-musulmans restent concentrés sur quelques poches : la rive méditerranéenne, la vallée du Rhône, l'Alsace et l'Île de France.

D'autres populations sont marquées ou ont été marquées par un repli communautariste, que ce soient les Turcs de France, très peu exogames, les Asiatiques du Chinatown parisien, plus ouverts grâce à l'occidentalisation des prénoms, ou encore les Portugais dont le pic des prénoms à la portugaise (notamment « Joao ») se situe vers 1974. La mode des prénoms régionalistes s'intègre à ce mouvement : prénoms bretons avec deux pics en 1975 puis 2006 ou prénoms corses avec hausse en flèche de 2 % en 1993 à 20 % en 2014.

5. Lignes de fracture

Une des nombreuses barres d'immeubles du Mirail, ici à Bellefontaine, ou dans le langage populaire « Belfont ».

La géographie à grande échelle, celle des villes, est très révélatrice de ces fractures et montre des poches cumulant pauvreté et population immigrée, comme à Toulouse avec le Grand Mirail ou Aulnay-sous-Bois avec, près des ex-usines PSA, les cités des 3 000 et quatre autres cités plus petites (avec plus de 50 % de pauvres et plus de 50 % de prénoms musulmans) contrastant fortement avec le sud de la ville (autour du RER, 10 % de pauvres et moins de 10 % de prénoms musulmans).

Ces cités ont leur sociologie ou leur économie propre. L'« interprofession du chichon » rassemble près de 200 000 « employés », soit autant qu'une très grande entreprise comme la SNCF. L'éducation assurée par l'enseignement public devrait être la même que sur le reste du territoire mais peine à réduire les inégalités dans les apprentissages observées par les enquêtes PISA. 60 % des enseignants estiment en outre que la laïcité est en danger en France, essentiellement parce que les populations d'élèves ne se mélangent pas. Or les stratégies d’évitement des parents de CSP+ pour éviter les établissements dégradés ou louer une chambre sectorisée pour tel lycée sont réelles bien que difficiles à quantifier.

6. 1983-2015 : retour sur trois secousses sismiques majeures

Des étapes marquent cette fragmentation du corps social français :

  • 1983 correspond à la visibilisation des immigrés de 1re génération : les grèves de 1982-1983 (à Aulnay sous Bois) marquent les esprits car elles sont le lieu de prières musulmanes collectives (Jean Auroux, ministre du Travail PS sur France Inter déclare alors : « Lorsque des ouvriers prêtent serment sur le Coran dans un mouvement syndical, il y a des données extra-syndicales »). Et 1983 est également la marche des Beurs pour les immigrés de 2e génération. 1983 est enfin la victoire de Jean-Pierre Stirbois à la municipale de Dreux qui précède de peu la percée du FN aux élections européennes de 1984. La carte de la marche des Beurs (c'est-à-dire des endroits où sont présents les immigrés d'origine arabe en 1983) et du vote FN (Midi, Lyon, Grand Est) correspondent.
Affiches de campagne en faveur du « Non » à Avignon.
  • 2005 : le Référendum sur la constitution pour l'Europe montre la fracture béante au sein des partis entre cadres du parti (pro-européens) et électeurs (euro-sceptique). Le PS achève notamment de divorcer de son électorat populaire, un processus enclenché depuis 1981 et 1983. Ont voté « oui » sur la carte : les régions traditionnellement catholiques (Lyon-Grenoble, Vendée-Bretagne, Ouest parisien) ; le centre-ville des métropoles par rapport aux banlieues et aux territoires ruraux. Ont voté « non » de manière particulièrement intense : le grand Nord et le pourtour méditerranéen (dans les 2 cas, les terres du FN), et la diagonale du vide. Les territoires historiquement de gauche (« campagnes rouges », « banlieues rouges », « Midi rouge »), traditionnellement unis dans leur méfiance face au pouvoir lointain et technocratique, se retournent contre les élites du PS et assimilent désormais les autorités européennes à l'ennemi. Les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises coïncident avec ce vote, et ancrent l’idée d’une possible « partition » du pays tant la « fracture sociale et ethnoculturelle entre les banlieues et le reste de la société » est grand.
  • 2015 : Charlie Hebdo et « Je suis Charlie ». Il est intéressant de constater que l’ampleur des manifestations varie selon les territoires ; en l’occurrence, elles sont très faibles numériquement sur les territoires FN (peu à Lille, peu à Strasbourg et très peu à Marseille) et très importantes dans les métropoles gagnantes (Paris, Lyon, Bordeaux). De plus les immigrés ne se sont pas mobilisés.

7. 2017, le point de bascule

L'Élection présidentielle française de 2017 catalyse ces tendances à la désagrégation.

La victoire de Macron est due certes au ralliement de Bayrou et au recentrage amorcé depuis quelques années dans la vie socio-politique française (en 2016, l’UNEF, très à gauche, perd sa première place de syndicat étudiant au profit de la réformiste Fage ; en 2017, il en est de même pour la CGT au profit de la CFDT) et aidée par les élections primaires PS et LR, qui désignent des candidats considérés comme radicaux (respectivement Benoît Hamon et François Fillon).

Mais elle incarne surtout un nouveau clivage politique, qui prend alors toute son ampleur, entre gagnants-ouverts (à la mondialisation) et perdants-fermés (et plus souverainistes). Celui-ci doit s’ajouter à la grande typologie classique de Stein Rokkan sur les partis politiques européens par clivages 1) Eglises / Etat 2) centre / périphérie 3) bourgeois / ouvrier 4) élites rurales / élites urbaines. Ce nouveau clivage se superpose assez bien à celui de centre / périphérie réactualisé par Christophe Guilluy.

8. Après le big-bang : un nouveau paysage politique

L'opposition monde catholique / communiste a définitivement vécu et laisse place à de nouveaux clivages.

On peut prendre un exemple traditionnel de géographie électorale : André Siegfried dans Le Tableau politique de la France de l’ouest (1913) a montré sur le département de la Sarthe une ligne de fracture structurante : l'ouest vote à droite (poids de noblesse, religion catholique, grande propriété) tandis que l'est vote à gauche. Paul Bois dans Les Paysans de l’ouest (1971) constate la même fracture et y ajoute un caractère géo-historique : terres chouannes à l'ouest et terres républicaines à l'est. Aux élections de 1978, cette ligne perdure toujours entre un vote PCF faible à l'ouest et fort à l'est. Mais depuis les Années 1990, le département connaît un changement de paradigme : à partir de la « métropole » départementale, Le Mans se démarque des anneaux concentriques : de 0 à 10 km, le vote oui à Maastricht s'impose en 1992 quand le vote Marine Le Pen en 2017 est très faible ; de 10 à 20 km c'est une zone de transition ; de 20 à 30 km le vote est inverse du premier cercle ; au-delà de 30km, les tendances sont plutôt similaires au cercle précédent.

Où sont passés les électeurs des partis traditionnels en 2017 ?

  • l'électorat PCF ne correspond pas à celui de Mélenchon : sur les cartes, les territoires anciennement socialistes sont également siphonnés. C'est un électorat équilibré formé d'anciens bastions CGT, de vote écolo (Larzac par exemple), de jeunes diplômés précaires (habitant les arrondissements nord-est de Paris : 75011, 75018, 75019, 75020) et enfin les populations immigrées (Goutte d’or). L'objectif de LFI serait de « pérenniser cette agrégation inédite de groupes sociologiques et culturels hétérogènes » (p.319), notamment avec un mélange de sous-diplômés (comme au RN) et de sur-diplômés (comme à LREM).
  • l'électorat PS s’est évaporé (6,4 % aux présidentielles de 2017 et une réduction de 300 à 30 députés aux législatives). Si on compare à la débâcle de Gaston Defferre en 1969 (5 %), seul le Sud-ouest demeure un bastion mou du PS : ont disparu le Nord (Aubry, désindustrialisation), Marseille et la Côte d’Azur (bastion Defferre, immigration), et le Languedoc (fin de la viticulture traditionnelle, immigration). Parti d’élus assurant à ses membres des mandats locaux, c'est tout un écosystème socio-politique qui s’est effondré.
  • l'électorat LR a élu aux primaires de 2016 François Fillon; or la base des militants est celle de retraités comme l'indique la surreprésentation du vote des communes des côtes méditerranéenne et atlantique aux primaires pour Fillon) ; elle a donc coupé LR de la base des petites gens (gagnée par Sarkozy) avant même le Pénélopegate.
Évolution des intentions de vote au premier tour de l'élection.

9. Les résultats électoraux comme révélateurs de la fragmentation

Certaines particularités sont révélatrices à une échelle plus fine d'étude de terrain.

Ainsi, en Languedoc, plus on est en altitude, plus on vote La France insoumise (populations pauvres dépendantes de la puissance publique), et plus on descend, plus on vote Rassemblement national : toute la côte vote ainsi RN, sauf la métropole de Montpellier, mais aussi Béziers et toutes les zones concernées par l’arrachage des vignes autour de 2010, symbole de déclassement et de déracinement.

L'Alsace est également une terre viticole, mais performante et intégrée : les bureaux de vote des coteaux viticoles votent Fillon de manière très nette, tandis que les villes votent LREM et que le reste vote RN.

10. De quoi le macronisme est-il le nom ?

Le macronisme s’explique par une « convergence progressive des classes supérieures et diplômées de gauche et de droite sur le thème de l’intégration européenne et la nécessaire adaptation du modèle social français pour permettre une pleine immersion de notre pays dans la mondialisation » depuis les années 1990, qui s'est précipitée (au sens chimique) en 2017.

Le macronisme recueille le vote des gagnants de la mondialisation, comme le démontre les scores très élevés des Français de l’étranger (une population en 2002 de 0,4 million qui monte à 1,3 million en 2017. Terra Nova a fait une enquête sur les adhérents LREM : 66 % ont une Licence ou + (16 % en moyenne). Un « bloc libéral-élitaire » (p.363) s’est donc forgé à l'occasion de l'élection de 2017.

Conclusion

L'idée d'un corps social archipélisé a commencé à être porté dans le discours gouvernemental. Dans l'interview de François Hollande par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, le président déclare : « Comment peut-on éviter la partition ? Car c’est quand même ça qui est en train de se produire : la partition » (2016), puis Gérard Collomb, ministre de l'intérieur : « En France, il y a un séparatisme. Il y a des quartiers qui sont sous la loi des narcotrafiquants et des islamistes. Aujourd’hui, les Français vivent côte à côte ; demain, ils pourraient vivre face à face ».

Deux solutions s'offrent donc face à ce constat. La première serait de transposer le clivage social ouvert mondialisé / fermé déclassé dans la compétition politique. Cela a été tenté par Macron dans les Européennes qui s'est présenté comme l'opposant aux populismes nationalistes à la Viktor Orban. La deuxième serait de représenter les petits morceaux de l’archipel en introduisant une dose de proportionnelle dans le scrutin.

Dans dix ou vingt ans, les équilibres démographiques et politiques auront de toute façon changé. Les jeunes issus de l'immigration seront devenus une portion conservatrice et religieuse de la population. Les jeunes d’aujourd'hui tentés par les extrêmes (Mélenchon et Le Pen) ne vont, eux, pas s’assagir avec l'âge car il y a eu une érosion de leur espérance : leurs diplômes, massifiés, ne valent plus grand-chose, et la nouvelle rente de l’immobilier des années 2000-2010 (marché immobilier français) ne leur aura pas profité. Le RN risque de dominer la France future, qui continuera cependant de constituer un corps.

Compte-rendus

  • Françoise Fressoz, « « L’Archipel français » : une nation multiple et divisée », ‘’Le Monde’’, 29 mars 2019 : insiste sur l’aspect non accidentel de l’élection d’Emmanuel Macron, sur la déprise du catholicisme et le subséquent individualisme de masse.
  • Jean-Louis Schlegel, « L’Archipel français de Jérôme Fourquet », ‘’Esprit’’, mai 2019 : insiste sur la partition gagnants / perdants de la mondialisation, et note que si l’effondrement de la matrice du catholicisme est bien expliqué, celle de la République laïque, qu’on aurait pu penser de manière disjointe, est à peine abordée.
  • Pascal Boniface, « « L’archipel français », de Jérôme Fourquet », Institut de relations internationales et stratégiques, édito du 24 octobre 2019 : résume clairement les points saillants de la démonstration de Fourquet.
  • Edward Ousselin, « L’Archipel français: naissance d’une nation multiple et divisée. Par Jérôme Fourquet.| », Oxford Academic, ‘’French Studies’’, Volume 74, 3, Juillet 2020, p497–498.
  • Aymeric Patricot, dans La révolte des Gaulois[8], reconnaît la pertinence du travail de Jérôme Fourquet mais considère qu’il se contente d’étayer par des cartes et des statistiques des constats faits depuis longtemps par de nombreux auteurs qui n’appartiennent pas au sérail. Par ailleurs, Jérôme Fourquet n’est pas exempt d’un paradoxe : il prétend annoncer l’avènement d’un pays multiculturel mais il n’assume pas cette analyse. En effet, il en revient toujours à des explications d’ordre socio-économique. « Quand il s’agit d’analyser le phénomène des Gilets jaunes (…), Jérôme Fourquet établit une corrélation franche entre le mouvement et le taux de chômage, passant sous silence le fait qu’en banlieue les Gilets jaunes aient été absents en dépit de taux de chômage comparables. Une nouvelle fois, la plume de l’auteur fléchit. Par ailleurs, comment n’a-t-il pas fait le lien entre son propre titre et la notion d’archipellisation chère à Edouard Glissant (…) ? Le vénérable auteur antillais n’est jamais cité sans doute parce que, fidèle à l’esprit de son métier et soucieux de maintenir son livre, malgré tout, sous des auspices respectables, l’éminent statisticien tient à rapporter toute considération sur l’état du pays à une grille de lecture économico-sociale, quand bien même il annoncerait de temps en temps l’émergence d’une société multiculturelle de fait. »


Notes et références

  1. Pascal Boniface, « |« L’archipel français », de Jérôme Fourquet », Institut de relations internationales et stratégiques, édito du 24 octobre 2019.
  2. Alain Tallon, Catherine Vincent, Histoire du christianisme en France, Armand Colin, , p. 121.
  3. La pratique des adultes de plus de 21 ans y était supérieure à 45 %.
  4. Les adultes pratiquants y étaient minoritaires mais le « conformisme saisonnier » général.
  5. Une partie notable des paroisses y comptait au moins 20 % d'enfants non baptisés ou non catéchisés.
  6. Guillaume Cuchet, « La carte du chanoine Boulard », L'Histoire, no 443,‎ , p. 75.
  7. Jérôme Fourquet, L'Archipel français, Paris, Seuil, 417 p. (ISBN 978-2-02-140603-0), p. 150 (édition epub).
  8. « Les choix de L'Express : Aymeric Patricot, Arno Camenisch, Philippe Garnier », sur L'Express, (consulté le )

Annexes

Articles connexes

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