Enfance de Francisco Franco
L'enfance de Francisco Franco se dĂ©roula Ă Ferrol, en Galice, ville oĂč il est nĂ© en 1892 jusqu'Ă son entrĂ©e Ă lâAcadĂ©mie de TolĂšde.
Le gĂ©nĂ©ral Francisco Franco est l'hĂ©ritier dâune lignĂ©e de six gĂ©nĂ©rations dâofficiers de marine pour qui aucune autre existence nâĂ©tait envisageable quâau service du drapeau, dans la flotte de guerre de prĂ©fĂ©rence. Sa ville natale (alors la plus importante base navale dâEspagne, oĂč vivait en vase clos une caste de militaires), le milieu familial (avec les figures contradictoires du pĂšre, libre-penseur, impie et bambocheur, et de la mĂšre, pieuse, sobre et charitable), les circonstances historiques (la dĂ©faite espagnole de 1898 face aux Ătats-Unis avec la perte des derniers vestiges de lâEmpire colonial, la RĂ©volution philippine, le TraitĂ© de Paris (1898)) constituent sans doute autant de clefs dâanalyse permettant de mieux cerner la personnalitĂ© du futur dictateur. En particulier, ladite dĂ©faite de 1898 avait fait de Ferrol une ville dĂ©chue, peuplĂ©e de militaires rĂ©duits Ă lâindigence et pĂ©tris de rancĆur Ă lâencontre de la sociĂ©tĂ© civile, jugĂ©e par eux trop peu patriotique â fracture sociale qui ne cessera de nourrir la rĂ©flexion idĂ©ologique ultĂ©rieure de Franco.
Rien ne singularisa le parcours scolaire du futur Caudillo, si ce nâest une trĂšs vive ambition. La parentĂšle, ou le clan, câest-Ă -dire la famille Ă©largie Ă quelques amis dâenfance, gardera une importance notable pour Francisco Franco, notoirement ses deux frĂšres NicolĂĄs et RamĂłn, qui ne lui ressemblaient guĂšre, et son fidĂšle cousin PacĂłn. Par sens du clan, par fidĂ©litĂ© ou indiffĂ©rence aux nouveaux contacts, c'est Ă peine si Francisco Franco renouvellera son environnement social et qu'il Ă©tendra ce milieu initial Ă quelques compagnons dâarmes du Maroc ou Ă un collaborateur occasionnel.
Naissance
Francisco Franco vint au monde le Ă Ferrol, dans la province de La Corogne, au numĂ©ro 108 de la rue Frutos Saavedra (actuelle Rua Maria ou Calle MarĂa), dans le centre historique de la ville[1]. Le , il fut baptisĂ© en lâĂ©glise San Francisco, qui Ă©tait lâĂ©glise de la paroisse de la marine de guerre et de lâarmĂ©e, et reçut le nom de Francisco Paulino Hermenegildo TeĂłdulo â Francisco Ă cause de son grand-pĂšre paternel, Hermenegildo Ă cause de sa grand-mĂšre maternelle et marraine, Paulino Ă cause de son parrain, et TeĂłdulo Ă cause de ThĂ©odule de Constantinople, le saint du jour[2]. Son pĂšre, NicolĂĄs Franco Salgado-AraĂșjo (1855-1942), Ă©tait capitaine dans la marine, et Ă©tait parvenu au grade dâintendant-gĂ©nĂ©ral, fonction Ă©quivalant Ă gĂ©nĂ©ral de brigade[3], et sa mĂšre, MarĂa del Pilar Bahamonde y Pardo de Andrade (1865-1934)[4], Ă©tait issue dâune famille ayant elle aussi une tradition de service dans la marine, et jouissait, en tant que fille du commissaire de lâescadre navale de la place, dâun statut social semblable Ă celui de son mari. LâaĂźnĂ© des enfants du couple, NicolĂĄs, allait Ă son tour se conformer Ă la tradition familiale et devenir officier de marine et diplomate. L'autre frĂšre de Francisco Franco, RamĂłn, saura sâacquĂ©rir par ses prouesses aĂ©ronautiques une grande notoriĂ©tĂ© comme pionnier dâaviation. Il avait enfin deux sĆurs, Pilar et Paz, mais cette derniĂšre mourut Ă lâĂąge de cinq ans[5].
Milieu et contexte historique
Ferrol et sa base navale
La ville de Ferrol et ses environs, oĂč jusquâĂ ses derniers jours Franco consacrait ses moindres loisirs Ă pĂȘcher dans les torrents prĂšs de Pontedeume ou dans les eaux de la mer Cantabrique, sont peut-ĂȘtre une des clefs pour comprendre le personnage de Franco[6]. Petite ville endormie qui ne comptait au dĂ©but du XXe siĂšcle que quelque 20 000 habitants et Ă©tait encore Ă cette Ă©poque-lĂ cernĂ©e de murailles[7], Ferrol sâĂ©tend sur la rive nord dâune magnifique rade naturelle et hĂ©bergeait alors la plus grande base navale du pays, en plus dâimportants chantiers navals. Cependant, ses habitants ordinaires connaissaient encore des conditions de vie fort dures et resteront p. ex. privĂ©s dâeau courante jusquâen 1923[8].
BartolomĂ© Bennassar observe que dans ses mĂ©moires dictĂ©es au Dr Pozuelo, le vieux Caudillo mentionne seulement Ferrol, sans faire aucune rĂ©fĂ©rence Ă la Galice, sa rĂ©gion natale, ce qui vient confirmer le caractĂšre marginal de Ferrol, « ghetto militaire », selon le mot de Bennassar, ville vivant de la mer et de lâargent de lâĂtat, « presque Ă©trangĂšre Ă une rĂ©gion qui, en cette fin du XIXe siĂšcle, est lâune des terres les plus pauvres dâune Espagne pauvre. Le revenu par tĂȘte des quatre provinces de Galice est, avec celui des deux provinces dâEstrĂ©madure, le plus faible dâEspagne »[9]. Le jeune Franco nâavait quittĂ© Ferrol que pour se rendre, par voie de mer, Ă la capitale provinciale La Corogne, toute proche, oĂč il fallait aller passer les examens de fin dâannĂ©e[10].
La paroisse castrense (c'est-Ă -dire de lâarmĂ©e) Ă©tait un modĂšle accompli dâendogamie sociale[11]. Les militaires gradĂ©s y constituaient une caste privilĂ©giĂ©e et isolĂ©e, et leurs enfants, dont les Franco, vivaient dans un milieu clos, presque Ă©tranger au reste du monde, constituĂ© exclusivement dâofficiers, gĂ©nĂ©ralement de la marine, oĂč se faisait la socialisation des jeunes gens[12] - [13]. Sur le plan socio-Ă©conomique, les militaires appartenaient plutĂŽt Ă la classe moyenne, dĂ©pourvus quâils Ă©taient de grands moyens en dehors de ceux quâils pouvaient recevoir par hĂ©ritage. Les Franco avaient quelque peine Ă tenir le rang social auquel ils aspiraient et avaient un train de vie assez austĂšre, un budget serrĂ© pour les vĂȘtements et les loisirs, mais la famille ne souffrait pas de privations et avait un domestique, voire deux, lorsquâils sâinstallĂšrent dans la grande maison du Paseo de Herrera, vaste demeure de deux Ă©tages, acquise sans doute grĂące Ă un hĂ©ritage cubain[14] - [15]. En somme, note BartolomĂ© Bennassar, « une existence ordinaire pour une famille de la classe moyenne, confinĂ©e dans une ville qui ressemblait Ă une petite Ăźle, une ville-ghetto car non encore, au dĂ©but des annĂ©es 1900, reliĂ©e par chemin de fer au reste de lâEspagne »[16].
La défaite espagnole de 1898
Un Ă©vĂ©nement historique survenu en 1898 permet dâexpliquer en partie les rudimentaires idĂ©es politiques de Franco. La perte de Cuba Ă la suite de la guerre hispano-amĂ©ricaine signifia la disparition dĂ©finitive de ce qui avait Ă©tĂ© lâEmpire espagnol, et ce dans une pĂ©riode perturbĂ©e oĂč, sur la base dâun libĂ©ralisme Ă©litiste non encore consolidĂ© et instable, des tentatives avaient lieu dâinstaurer le parlementarisme dĂ©mocratique appuyĂ© sur le suffrage universel. En Espagne, le XIXe siĂšcle avait Ă©tĂ© marquĂ© par une longue pĂ©riode dâinstabilitĂ© politique et de guerres civiles ; les projets des libĂ©raux se heurtaient chaque fois Ă la rĂ©action de lâAncien RĂ©gime et de lâĂglise. Cette situation de conflit politique et social, Ă laquelle sâajoutaient rĂ©voltes et guerres intestines et coloniales, fut propice Ă un systĂšme politique corrompu et inefficace dans une Espagne appauvrie, retardĂ©e et en proie Ă dâimportants dĂ©sĂ©quilibres entre classes et de disparitĂ©s entre rĂ©gions[17]. Pour Franco, de mĂȘme que pour les conservateurs dâune grande partie du XXe siĂšcle, il a dĂ» ĂȘtre tentant dâassimiler aux anciens rĂ©gimes autoritaires la grandeur de lâEmpire dĂ©chu, et aux nouvelles positions libĂ©rales le dĂ©sastre de sa perte.
Ferrol plus particuliĂšrement, dont toute lâactivitĂ© Ă©tait axĂ©e sur lâenvoi de troupes et le commerce avec les colonies dâoutre-Atlantique, fut avec Barcelone lâune des villes les plus durement frappĂ©es par cette dĂ©faite. Ainsi lâenfance de Franco se passa-t-elle dans une ville dĂ©chue, parmi des militaires retraitĂ©s ou invalides, rĂ©duits Ă lâindigence, et dont le gouvernement nâĂ©tait plus en mesure de verser les pensions, oĂč les communautĂ©s professionnelles â militaires et marins dâune part, commerçants de lâautre â sâĂ©taient repliĂ©es sur elles-mĂȘmes, enfermĂ©es dans une rancĆur rĂ©ciproque. El Ferrol, note AndrĂ©e Bachoud, est « lâimage du climat qui rĂšgne partout en Espagne et qui va entraĂźner la plus grande crise politique quâelle ait connue de toute son histoire »[18]. Dans les milieux militaires et dans une partie de la population, la rĂ©sistance dont avait fait preuve une flotte pourtant obsolĂšte et mal Ă©quipĂ©e Ă©tait considĂ©rĂ©e comme le fruit de lâhĂ©roĂŻsme de quelques militaires qui avaient tout sacrifiĂ© Ă la patrie, et la dĂ©faite comme la consĂ©quence de lâattitude irresponsable de quelques politiciens corrompus qui avaient dĂ©laissĂ© les forces armĂ©es. LâarmĂ©e, dĂ©sormais privĂ©e dâempires dâoutremer Ă dĂ©fendre, poussa alors, notamment pour laver lâaffront de la dĂ©faite, aux ultĂ©rieures interventions au Maroc, pendant que se gĂ©nĂ©ralisait en son sein un patriotisme exacerbĂ© et un sentiment de supĂ©rioritĂ© vis-Ă -vis de la population civile, et que lâĂ©mergence des rĂ©gionalismes â principalement catalan, attisĂ© par les Ă©lites catalanes auxquelles Ă©chappait dĂ©sormais le marchĂ© cubain â et le renforcement du pacifisme de gauche, Ă©taient perçus comme des ferments de dissolution de la nation[19] - [20]. La dĂ©faite signa ainsi le divorce entre sociĂ©tĂ© militaire et la sociĂ©tĂ© civile[21].
Le dĂ©sastre de 1898 fut en outre dâautant plus durement ressenti Ă Ferrol que quelque 250 Ferrolans avaient pĂ©ri lors des combats navals[22], que des milliers de marins originaires de Galice sâĂ©taient enrĂŽlĂ©s dans la dĂ©sastreuse aventure et Ă©taient revenus dĂ©moralisĂ©s, blessĂ©s et mutilĂ©s[23], et que les vestiges de lâempire colonial â en particulier Cuba, Porto Rico et les Philippines â qui jusquâalors avaient permis Ă lâArmada dâoffrir une carriĂšre aux enfants de Ferrol, sâĂ©taient Ă©vanouis par cette dĂ©faite[24]. Pourtant, en 1898, Franco nâavait que cinq ans, et la perte de Cuba serait passĂ©e inaperçue pour lui, nâĂ©tait la rĂ©action que lâĂ©vĂ©nement suscita dans la sociĂ©tĂ© espagnole et qui se prolongea durant toute son enfance et sa premiĂšre jeunesse. La grande dĂ©faite navale fut en effet vĂ©cue en Espagne comme une humiliation infligĂ©e par un pays Ă©mergent Ă un grand Ătat impĂ©rial[23].
La dĂ©faite de 1898 fut souvent commentĂ©e dans la famille Franco et plus tard par les garçons de la gĂ©nĂ©ration du Caudillo, ne serait-ce que parce que lâissue fatale de la guerre avait transformĂ© leur destin en leur fermant la carriĂšre dâofficier de marine[21]. La perte des restes de lâempire colonial est le premier drame que Franco reconnaissait comme traumatique pour lui[25]. Dans ses Apuntes (notes autobiographiques, Ă©bauche de mĂ©moires), il revendiquait son appartenance Ă cette « gĂ©nĂ©ration du DĂ©sastre » et, confondant son histoire personnelle et lâhistoire nationale, assignait Ă la perte de Cuba une place primordiale dans sa vie . En imputant les dĂ©sastres de son pays aux « intrigues Ă©trangĂšres et Ă lâinvasion de la franc-maçonnerie »[18], il exprimait Ă son tour les frustrations de lâarmĂ©e qui rejetait sur la classe politique la responsabilitĂ© du dĂ©sastre. Dans Raza, court roman de Franco publiĂ© en 1941, et dans dâautres de ses Ă©crits, il sâindignait des calomnies amĂ©ricaines sur lâexplosion du cuirassĂ© amĂ©ricain Maine, de la trahison des politiques ou du manque de patriotisme des foules[26]. Ses rĂ©flexions postĂ©rieures sur le dĂ©sastre de 1898 le portĂšrent Ă rallier les thĂšses de lâidĂ©ologie rĂ©gĂ©nĂ©rationniste, qui du reste se rĂ©pandit dans toute lâEspagne dans les premiĂšres annĂ©es du XXe siĂšcle et qui, au-delĂ des interprĂ©tations divergentes, postulait invariablement la nĂ©cessitĂ© de rĂ©formes profondes et le rejet du systĂšme hĂ©ritĂ© de la Restauration, et dĂ©notait Ă la fois une filiation positiviste et des tendances utopiques[27]. Les frĂšres Franco Ă©taient par ailleurs de fervents monarchistes, et avaient notamment Ă©tĂ© indignĂ©s par lâattentat anarchiste perpĂ©trĂ© Ă Madrid en 1906 contre le roi Alphonse XIII et sa jeune femme doña Victoria Eugenia[28].
Ascendances et famille
Lorsque lâon mĂ©dite sur ce que fut lâenfance de Franco, sur le cercle familial, la vie quotidienne, les divertissements, les relations de parentĂ© et dâamitiĂ©, les sujets de conversation, les limitations fort Ă©troites des horizons culturels de son clan, lâenfermement gĂ©ographique â puisque Franco, avant de faire le voyage de TolĂšde, nâĂ©tait jamais allĂ© plus loin que la Corogne, capitale de la province â, on demeure confondu, presque admiratif Ă lâendroit dâun personnage dont on doit, par ailleurs, simple constat, observer sans complaisance aucune la duretĂ© rĂ©pressive, lâindiffĂ©rence Ă lâĂ©gard du sang versĂ©, le comportement machiavĂ©lique. Il suffit de lire le livre de sa sĆur Pilar, dont le tempĂ©rament et le « punch » ne peuvent cacher la mĂ©diocritĂ© intellectuelle et les idĂ©es courtes, ou les livres de PacĂłn, qui tĂ©moignent certes dâune culture bien supĂ©rieure et de grands efforts dâobjectivitĂ© [âŠ], mais en mĂȘme temps dâune grande naĂŻvetĂ© et dâune comprĂ©hension limitĂ©e de la vie politique, pour que la conclusion sâimpose : Francisco Franco, quoi quâen ait pensĂ© son pĂšre, sâest Ă©levĂ© bien au-dessus de son milieu familial, social, provincial. |
Bartolomé Bennassar[29] |
Francisco Franco est le descendant dâune lignĂ©e de six gĂ©nĂ©rations de marins, dont quatre nĂ©s Ă Ferrol mĂȘme, au sein dâune communautĂ© qui ne concevait lâexistence des hommes que comme une vie au service du drapeau, dans la flotte de guerre de prĂ©fĂ©rence, ou, Ă dĂ©faut, dans lâarmĂ©e de terre[30]. Aussi, parmi les quelque 50 Franco nĂ©s Ă Ferrol entre 1814 et 1936, trente-cinq, soit les deux tiers, avaient pris du service dans lâArmada, et une vingtaine avaient Ă©tĂ© officiers de marine et une quinzaine avaient travaillĂ© dans lâadministration ou lâintendance de la flotte[31] - [32]. Franco lui-mĂȘme traça, Ă la fin de sa vie, devant le Dr Pozuelo, lâhistorique familial suivant :
« Aux mĂȘmes fins furent envoyĂ©s du reste du pays les moyens administratifs et techniques spĂ©cifiques, indispensables pour doter cette base du personnel adĂ©quat ; parmi eux arriva, comme maĂźtre de voilure des vaisseaux de Sa MajestĂ©, depuis Puerto Real, Manuel Franco de La Madrid, dont descend la famille Franco, laquelle depuis lors se voua au service de la marine ; parmi eux se distinguĂšrent â en tĂ©moignent les postes Ă©levĂ©s auxquels ils accĂ©dĂšrent â don Francisco Franco Vietti et son fils NicolĂĄs, mon pĂšre, tous deux intendants gĂ©nĂ©raux de lâArmada, comme le fut aussi mon autre grand-pĂšre, le pĂšre de ma mĂšre, Don Ladislao Bahamonde y Ortega, lui aussi intendant de la Marine[33] - [34]. »
Tant le pĂšre que la mĂšre de Franco avaient de nombreux parents en Galice[35]. Ces familles prolifiques comportaient des fratries nombreuses qui Ă elles seules formaient des microsociĂ©tĂ©s. Les relations de ces garçons et de ces filles garantissaient leur socialisation, mais dans un espace clos. Car, comme le note BartolomĂ© Bennassar, lâendogamie sociale se doublait dâune forte endogamie gĂ©ographique, Ferrol, gardĂ© par les montagnes et la mer, interdisant en effet presque toute Ă©vasion[13]. Franco avait des cousins orphelins, enfants dâun frĂšre du pĂšre â dont Francisco Franco Salgado-AraĂșjo, dit PacĂłn, nĂ© en juillet 1890 â, et desquels le pĂšre de Franco accepta dâassumer la tutelle[11] - [36].
Une ascendance juive de Franco est tenue par certains pour Ă©vidente, et aprĂšs sa mort, des rumeurs ont circulĂ© Ă propos de supposĂ©es origines juives de la famille Franco, bien quâaucune preuve concrĂšte ne soit jamais venue corroborer une telle hypothĂšse. Sâil est vrai que le nom Franco est couramment portĂ© par des SĂ©farades que lâon retrouve Ă©parpillĂ©s en Hollande, en Italie, en Tunisie, en Turquie, en Asie mineure, en CrĂšte et aux Ătats-Unis, mais quâil est non moins vrai que plusieurs onomasticiens dĂ©montrent que Franco peut aussi ĂȘtre la traduction du mot franc, lâimmigrĂ© du Nord au Moyen Ăge, pendant la ReconquĂȘte notamment, ou dĂ©signer celui qui Ă la mĂȘme Ă©poque Ă©tait exemptĂ© du droit de capitation et de certains tributs. Par contre, le nom de sa mĂšre, Bahamonde y Pardo de Andrade, ne prĂȘtait pas Ă controverse. Une quarantaine dâannĂ©es aprĂšs la naissance de Franco, Hitler chargea Reinhard Heydrich de mener des investigations pour essayer dâĂ©lucider la question, mais sans rĂ©sultat[37]. LâenquĂȘte de puretĂ© de sang menĂ©e en 1794 au bĂ©nĂ©fice de NicolĂĄs Franco SĂĄnchez de Viñas y Freyre de Andrade, ancĂȘtre du Caudillo, est peu pertinente, vu quâĂ cette Ă©poque de telles enquĂȘtes Ă©taient devenues complaisantes. Au demeurant, Franco ne manifesta jamais le moindre souci au sujet de ses origines[38] - [31], et aucun document ne laisse entrevoir de la part de Franco une quelconque prĂ©occupation Ă cet Ă©gard. Pour lui comme pour beaucoup dâEspagnols, la question de la puretĂ© biologique ne se posait plus depuis longtemps[39]. Les historiens Payne et Palacios font observer par ailleurs que la majoritĂ© de la population juive dâEspagne sâest convertie au catholicisme au fil des gĂ©nĂ©rations aux XIVe et XVe siĂšcles, avec pour rĂ©sultat que la sociĂ©tĂ© espagnole a absorbĂ© plus de gĂšnes juifs que tout autre pays europĂ©en. Une Ă©tude gĂ©nĂ©tique publiĂ©e en 2008 a conclu quâapproximativement 20 % de la population espagnole possĂšde une ascendance juive. Cela est si commun, que lors mĂȘme tel eĂ»t Ă©tĂ© le cas de Franco, cela serait une caractĂ©ristique partagĂ©e par plus de huit millions de citoyens de lâEspagne du XXIe siĂšcle et ne reprĂ©senterait nullement un trait exceptionnel[40].
Parents
Durant son enfance, le jeune Franco Ă©tait confrontĂ© Ă deux modĂšles contradictoires, celui de son pĂšre, libre-penseur, dĂ©daigneux des conventions, dĂ©libĂ©rĂ©ment impie et ostensiblement fĂȘtard et coureur, et celui de sa mĂšre, parangon de courage, de gĂ©nĂ©rositĂ© et de piĂ©tĂ©[41].
Le pĂšre
Son pĂšre, ayant Ă©tĂ© naguĂšre affectĂ© Ă Cuba et dans les Philippines, avait adoptĂ© les habitudes de lâofficier des colonies : libertinage, jeux de casino, et ripailles et beuveries nocturnes[31]. Pendant quâil Ă©tait en poste Ă Manille, ĂągĂ© alors de 32 ans, il avait engrossĂ© ConcepciĂłn Puey, ĂągĂ©e de 14 ans, fille dâun officier de lâarmĂ©e de terre, qui donna en le jour Ă un garçon[42] - [43], Eugenio Franco Puey[note 1] - [44] - [45], fils naturel que NicolĂĄs reconnut peu de temps avant son retour Ă Ferrol[46], câest-Ă -dire peu avant son mariage avec Pilar Bahamonde[47]. Il fut Ă la fin de sa carriĂšre intendant gĂ©nĂ©ral de la marine, ce qui Ă©quivaut Ă peu prĂšs au grade de vice-amiral[31] ; cette fonction, qui semble ĂȘtre de tradition dans la famille, car on la retrouve sur six gĂ©nĂ©rations, Ă©tait en lâespĂšce un poste purement administratif. Ă Ferrol, il sâadapta difficilement Ă lâatmosphĂšre bien-pensante de la Restauration[41] - [43], et passait des journĂ©es Ă boire, Ă jouer et Ă palabrer, et avait coutume de rentrer tard, souvent Ă©mĂ©chĂ© et toujours mal lunĂ©[48]. Il se comportait de façon autoritaire, Ă la limitĂ© de la violence, nâadmettant pas la contradiction, et les quatre enfants â Francisco dans une mesure moindre, Ă©tant donnĂ© son caractĂšre introverti et effacĂ© â souffraient de ces rudes maniĂšres[49]. Sa fille Pilar en a tĂ©moignĂ© comme suit :
« Notre pĂšre Ă©tait trĂšs sĂ©vĂšre avec ses enfants pour tout ce qui touchait aux Ă©tudes et Ă lâaccomplissement de notre devoir. Mais pas Ă coups de bĂąton et en nous martyrisant, comme lâassurent par ici certains Ă©crivains sensationnalistes. Jâaimerais savoir oĂč ils sont allĂ©s chercher une telle barbarie. Ils sont allĂ©s jusquâĂ dire que dans un moment dâindignation, mon pĂšre voulut couper une main Ă NicolĂĄs avec un couteau de cuisine... Le plus grave quâil nous ait fait fut de nous donner Ă point nommĂ© une paire de claques. Je puis tĂ©moigner que sur moi il nâa jamais levĂ© la main. Non parce que je ne lâaurais pas mĂ©ritĂ© de temps en temps. Sur mes frĂšres oui, quand ils en avaient fait de trop belles. Aujourdâhui, on dit souvent quâil ne faut pas frapper les enfants, mais Ă cette Ă©poque-lĂ , câĂ©tait tout le contraire ; les coups de bĂąton Ă©taient forts et frĂ©quents et mĂȘme â le croira-t-on â recommandĂ©s par les instituteurs. »
Une des niÚces de Franco (et donc petite-fille de Nicolås), Pilar Jaraiz Franco, a livré le témoignage suivant :
« Ma mĂšre disait que le grand-pĂšre Ă©tait trĂšs sĂ©vĂšre, quâil punissait ses enfants souvent et avec peu de douceur ; quâil sâemportait facilement, que si on le contredisait, que ce fĂ»t sa femme, ses enfants ou toute autre personne, cela provoquait des scĂšnes orageuses et que souvent il ne savait pas garder son sang-froid et le calme qui convenait. Enfin, que câĂ©tait une personne dâun puissant caractĂšre, un peu Ă la maniĂšre de mon oncle RamĂłn, bien quâavec un sens de lâhumour moins marquĂ©... Le grand-pĂšre, tel que je lâai connu par la suite, Ă©tait un homme un peu voĂ»tĂ©, non pas petit de taille, mais pas grand non plus. Mince, avec une barbe blanche et pas trĂšs bien habillĂ©. La plupart des choses qui ont Ă©tĂ© dites sur lui sont des fantaisies â quâil aurait bu, alors quâĂ aucun moment je ne lui ai remarquĂ© de signes dâivresse, et sa conduite dans sa profession a toujours Ă©tĂ© irrĂ©prochable. Pas davantage, je ne crois quâil jouait au jeu, au vrai sens du terme. Câest-Ă -dire quâil nâĂ©tait pas un joueur, il se peut quâil ait jouĂ© une petite partie au casino avec ses amis. Mon grand-pĂšre Ă©tait plutĂŽt attentif Ă lâargent et je doute trĂšs fort quâil ait pu le risquer allĂšgrement au jeu[50]. »
Il ne soumit jamais ses enfants Ă de mauvais traitements. Il exigeait que les Ă©tudes soient suivies avec ponctualitĂ©, notamment celles de son aĂźnĂ©, NicolĂĄs, intelligent mais paresseux, et surveillait donc avec vigilance le travail de ses fils[16]. Quant Ă Francisco, sa maigreur et ses airs dâenfant sage semblaient irriter le pĂšre au plus haut point[51]. Il avait coutume de convier ses fils et quelques-uns de ses neveux Ă des promenades dans la ville, le port, et les environs pendant quâil les entretenait de gĂ©ographie, dâhistoire, de la vie marine et de sujets scientifiques[42] - [52]. Le cousin PacĂłn tĂ©moigna comme suit Ă propos de son tuteur :
« Mon tuteur Ă©tait un homme dâune grande intelligence mais trĂšs excentrique, comme il advient souvent avec des personnes de ce genre. Il avait une trĂšs forte personnalitĂ© qui le poussait Ă faire ce dont il avait envie sans se soucier du quâen-dira-t-on⊠Avec son fils il fut toujours trop exigeant et sĂ©vĂšre⊠Jamais il ne se glorifia des mĂ©rites de ses fils et il nâattachait guĂšre dâimportance Ă leurs succĂšs [âŠ].
Au cours de nos longues promenades pĂ©destres, par les routes et les chemins de la rĂa ferrolane, il dĂ©veloppait notre culture et nos relations fraternelles. Mon tuteur, homme trĂšs intelligent et amĂšne, parlait sans cesse : il nous dĂ©crivait les diverses sortes de sol, dâarbre, dâoiseau, de bĂ©tail etc., tout ce qui lui paraissait intĂ©ressant pour notre formation ; de mĂȘme, tout ce qui concernait les communications tĂ©lĂ©graphiques et tĂ©lĂ©phoniques, lâĂ©lectricitĂ© etc. Si nous suivions une route cĂŽtiĂšre et apercevions de prĂšs un bateau, il se hĂątait de le dĂ©crire, afin de sâassurer que nous apprenions la technique navale et la nomenclature, ce que je nâai jamais oublié⊠Je nâoublie pas non plus les magnifiques leçons dâhistoire ferrolane[53] - [54]. »
Le pĂšre allait cumuler tous les titres Ă lâhostilitĂ© de son fils Francisco : sans jamais aller jusquâĂ un engagement politique ou idĂ©ologique affirmĂ©, il Ă©tait rĂ©solument hostile Ă la guerre du Maroc, avait affirmĂ© Ă Madrid ses convictions libĂ©rales, avait des convictions rĂ©publicaines, laĂŻques, anticlĂ©ricales, puis franchement anti-franquistes, et estimait que lâexpulsion des Juifs par les Rois catholiques Ă©tait une injustice et un malheur pour lâEspagne[54] - [56]. Se classant politiquement Ă gauche, il se dĂ©clara dâemblĂ©e hostile au Mouvement national, et mĂȘme aprĂšs que son fils fut devenu dictateur, demeura trĂšs critique Ă son encontre tant en public quâen privĂ©. Il nâavait pas su reconnaĂźtre le gĂ©nie de son deuxiĂšme fils et ne lui avait jamais exprimĂ© le moindre sentiment dâadmiration, tĂ©moin son absence Ă la fĂȘte de la Victoire en 1939[57] - [58]. Pourtant, il nâapparaĂźt pas comme un homme capable de vĂ©ritables engagements politiques ; ainsi, durant la guerre civile, il sĂ©journa en Galice et ne se manifesta ouvertement par aucune prise de position[25].
LâatmosphĂšre confinĂ©e de Ferrol et le malaise du couple le conduisirent sans doute Ă solliciter, ou Ă accepter, une affectation Ă Cadix en 1907, puis une mutation Ă Madrid, en principe pour deux ans. Cependant NicolĂĄs ne reviendra jamais, sâĂ©tant mis en mĂ©nage avec une jeune femme, Agustina Aldana, institutrice de son Ă©tat, qui Ă©tait lâantithĂšse de son Ă©pouse, et avec qui il vĂ©cut jusquâĂ sa mort en 1942[48]. Agustina apporta un enfant Ă ce mĂ©nage, mais la fillette Ă©tait, semble-t-il, une niĂšce quâelle avait adoptĂ©e et non une fille biologique de NicolĂĄs Franco, qui, avec la pension de vice-amiral quâil touchait aprĂšs sa retraite en 1925, sâĂ©tait transformĂ© en un avare notoire et extravagant[59]. Au dĂ©but, il nây eut pas de rupture officielle, et il continua de soutenir Ă©conomiquement la famille, le pĂšre adressant ponctuellement Ă sa famille lâargent nĂ©cessaire Ă son entretien, et pendant plusieurs annĂ©es revint Ă Ferrol pour les vacances dâĂ©tĂ©, mais lâabandon finira par ĂȘtre total[60] - [59]. Cet abandon du foyer conjugal fut Ă lâorigine du conflit entre NicolĂĄs et son fils Francisco et de la rupture dĂ©finitive du dialogue entre le pĂšre et le fils. Le futur Caudillo ne pardonna jamais Ă son pĂšre lâoffense publique faite Ă sa mĂšre, dâautant moins que par la suite, NicolĂĄs proclamait ne pas sâexpliquer la fortune politique de ce fils quâil tenait pour le plus mĂ©diocre des trois[61]. Les frĂšres de Francisco, devenus adultes, pour qui le pĂšre avait toujours eu une prĂ©dilection, visitaient leur pĂšre de temps Ă autre, mais rien nâindique que Francisco Franco lâait jamais fait. Francisco Ă©tait celui qui Ă©tait le plus fortement attachĂ© Ă leur mĂšre, et les traits de caractĂšre qui se manifesteront ultĂ©rieurement â son dĂ©sintĂ©rĂȘt pour les relations amoureuses, son puritanisme, son moralisme et sa religiositĂ©, sa rĂ©pugnance Ă lâalcool et aux festins â faisaient de lui une antithĂšse de son pĂšre et lâidentifiait pleinement Ă la mĂšre[62]. Il ne reverra son pĂšre quâĂ quelques rares reprises : quand en 1916 son pĂšre le visita en compagnie de la mĂšre sur son lit dâhĂŽpital Ă Ceuta, aprĂšs sa grave blessure, et la seconde et derniĂšre fois, au dĂ©cĂšs de la mĂšre en 1934[63].
Aussi Franco Ă©carta-t-il son pĂšre de sa vie. De son vivant encore, et, quoiquâil nâait jamais dit du mal de lui, il Ă©vitait de le mentionner. Il refusa de reconnaĂźtre la seconde Ă©pouse de son pĂšre, et lorsque NicolĂĄs mourut Ă lâĂąge de 86 ans en 1942, il fit inhumer ses restes aux cĂŽtĂ©s de ceux de doña Pilar dans le panthĂ©on familial des Franco au cimetiĂšre de La Almudena Ă Madrid[63]. Dans son court roman Raza, Franco fait apparaĂźtre comme personnage principal un officier de la marine reprĂ©sentant le pĂšre idĂ©al que Franco eĂ»t aimĂ© avoir : une figure mythique, dâune vaillance martiale inflexible et droiture morale inaltĂ©rĂ©e : un chef au combat, non un bureaucrate, et un homme entiĂšrement dĂ©vouĂ© Ă sa famille[64].
La mĂšre
Au contraire du pĂšre, la mĂšre de Franco Ă©tait conservatrice, extrĂȘmement religieuse et trĂšs respectueuse des us et coutumes de la bourgeoisie dâune petite ville de province. Presque aussitĂŽt aprĂšs les noces, les conjoints ne se faisaient dĂ©jĂ plus dâillusions sur leur affinitĂ© de couple. NicolĂĄs ne tarda pas Ă reprendre ses habitudes dâofficier des colonies[65], et Pilar, rĂ©signĂ©e et dĂ©bonnaire, Ă©pouse digne et admirable, de dix ans plus jeune que son mari, qui vivait et sâhabillait avec une grande austĂ©ritĂ©[66] et nâavait jamais un mot de reproche[59], se rĂ©fugia dans la religion et dans lâĂ©ducation de ses quatre enfants, leur inculquant les vertus de lâeffort et de la tĂ©nacitĂ© pour progresser dans la vie et monter socialement, et les exhortant Ă la priĂšre[51]. Franco, plus quâaucun de ses frĂšres, sâidentifia Ă sa mĂšre, de qui il apprit le stoĂŻcisme, la modĂ©ration, la maĂźtrise de soi, les gestes mesurĂ©s, la solidaritĂ© familiale et le respect pour le catholicisme et pour les valeurs traditionnelles en gĂ©nĂ©ral[64]. Elle aimait Ă se faire accompagner par le jeune Francisco Ă lâĂ©glise de la Virgen del Chamorro, qui surplombe la ville dâEl Ferrol, lorsquâelle allait y faire ses dĂ©votions[51]. BartolomĂ© Bennassar cependant conteste lâidĂ©e selon laquelle la foi religieuse de Pilar marqua le futur Caudillo de façon dĂ©cisive : Pilar Bahamonde certes Ă©tait une femme pieuse, mais plus encore une femme charitable, qui avait le souci des autres, qui pratiquait le pardon des injures et des offenses ; or ce ne sera que sur son lit de mort que Francisco Franco pardonnera Ă ses ennemis. De mĂȘme, aprĂšs la dĂ©fection de son mari, elle recommanda Ă ses enfants dâaller voir leur pĂšre lorsquâils viendraient Ă passer Ă Madrid, ce quâils feront tous, sauf Francisco. Lâinfluence de Pilar concernait surtout la morale et les idĂ©aux quâelle donna Ă son fils, et plus encore la formation de son caractĂšre. Parce quâil avait vu sa mĂšre souffrir des aventures de son pĂšre, puis de son dĂ©part dĂ©finitif pour Madrid, Francisco Franco considĂ©ra toujours lâadultĂšre comme un « horrible pĂ©chĂ© » et, une fois au pouvoir, eut des mots trĂšs durs pour les « hommes Ă femmes »[67] ; significativement, dans ses Apuntes, il fait figurer, parmi les plaies engendrĂ©es par la franc-maçonnerie, lâ« infidĂ©litĂ© conjugale »[25].
Fratrie et clan
La fratrie gardera une importance notable pour Franco, qui conservera toujours le sens du clan, câest-Ă -dire de la famille, Ă©largie Ă quelques amis dâenfance. Les Franco Bahamonde ne se confondaient pas au type courant de Ferrol et de leur milieu social[68] ; en effet, la fratrie comprenait :
- LâaĂźnĂ© des frĂšres, NicolĂĄs, le plus conventionnel, le plus grand de taille aussi (quoique de petite stature encore)[64], Ă©tait le fils prĂ©fĂ©rĂ© de son pĂšre et, selon la plupart des tĂ©moins, le plus intelligent de la famille. Bien que trĂšs liĂ© Ă Francisco Franco, mais trĂšs diffĂ©rent de lui, il ne lĂ©sinait pas p. ex. sur les moyens dâassouvir son goĂ»t du luxe et de la fĂȘte[69], et dĂ©jĂ Ă Ferrol, il menait la vie des jeunes mirliflors de son temps et aimait Ă gagner beaucoup dâargent et Ă le dĂ©penser. Son camarade de lâĂ©cole navale, Juan Antonio Suanzes, futur ministre de lâIndustrie et du Commerce, qui par la suite ne se priva pas de critiquer vivement son comportement professionnel et ses mĆurs, le qualifia mĂȘme de « surdouĂ© ». Mais il rechignait Ă se laisser diriger et mĂ©nageait ses efforts, au grand mĂ©contentement de son pĂšre[70]. Pourtant, il suivit la tradition familiale dâentrer Ă lâAcadĂ©mie navale, et rejoignit ensuite le corps militaire chargĂ© de la construction navale, et, gravissant rapidement les Ă©chelons, atteignit Ă trente ans, en 1921, un grade Ă©quivalent Ă lieutenant-colonel de lâarmĂ©e de terre. Pourtant, Ă lâĂąge de 35 ans, il quitta lâadministration militaire pour devenir directeur dâun chantier naval Ă Valence (oĂč il bĂ©nĂ©ficiait dâun meilleur salaire), puis homme dâaffaires[71] - [69]. Il ne manifesta jamais le moindre intĂ©rĂȘt pour les aventures et les prouesses hĂ©roĂŻques de ses deux frĂšres cadets. En 1933, il reprit du service dans la marine, donnant des cours Ă lâĂcole dâingĂ©nieurs navals de Madrid. Devenu veuf, il se remaria avec la cousine de sa premiĂšre femme et eut dâelle son unique fils. Il possĂ©dait lâart de la conversation et un grand sens de lâhumour[71]. SitĂŽt dĂ©clenchĂ©e la Guerre civile, la solidaritĂ© familiale prenant facilement le dessus dans son esprit, il participa au Mouvement Ă Ăvila, puis joua un rĂŽle important auprĂšs de son frĂšre pendant les journĂ©es de , quand Franco fut fait gĂ©nĂ©ralissime et chef de lâĂtat, puis comme secrĂ©taire politique Ă Salamanque, alors QG des forces nationalistes. BientĂŽt remplacĂ© par Serrano Suñer, beau-frĂšre de Carmen Polo, il devint alors ambassadeur Ă Lisbonne, poste crucial pendant la Guerre civile et les premiĂšres annĂ©es de lâaprĂšs-guerre. Il profita de sa position pour sâembarquer dans des affaires et des combinaisons financiĂšres souvent douteuses (notamment lâaffaire REACE), forçant le Caudillo Ă intervenir pour le tirer dâembarras[72]. Au Portugal, il frĂ©quentait Juan de Bourbon et aimait les jolies femmes, mais, assure sa sĆur Pilar, se contentait le plus souvent de son Ă©pouse lĂ©gitime. Il eut soin dâassurer les jours dâAgustina, la concubine de son pĂšre, en lui faisant obtenir une pension de veuvage. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il intervint plusieurs fois, non sans calcul politique, depuis son ambassade de Lisbonne, pour que lâEspagne accorde lâasile Ă des Juifs en fuite. Il Ă©crivit Ă son frĂšre le Caudillo lors des procĂšs de Burgos pour lui conseiller de ne pas signer les sentences de mort[73].
- RamĂłn, le cadet des frĂšres, Ă©tait plus petit encore que son frĂšre Paco, mais apparaĂźt comme le plus hardi de la fratrie[74]. Lui aussi fort diffĂ©rent de son frĂšre Franco, dans son comportement comme dans ses choix[69], il Ă©tait le prototype de la star, populaire, fantasque, imprĂ©visible, prĂ©fĂ©rant la frĂ©quentation des artistes â Carlos Gardel lui dĂ©dia un tango, Gloria del Ăguila (littĂ©r. la Gloire de lâaigle), aprĂšs son exploit transatlantique â, des marginaux et des rebelles. TentĂ© par les idĂ©aux de la RĂ©publique, devenu franc-maçon, puis sĂ©duit un temps par lâanarchisme (il eut quelques relations avec Durruti), il dĂ©fia volontiers le pouvoir en place. Plus tard, sous le gouvernement de Berenguer, il conspira ouvertement contre la monarchie, fut arrĂȘtĂ© et emprisonnĂ© en par Mola, alors directeur gĂ©nĂ©ral de la sĂ»retĂ©, pour contrebande dâarmes et fabrication de bombes, mais rĂ©ussit Ă sâĂ©vader[75]. En rupture avec son milieu, plein dâidĂ©ologie confuse et contradictoire, RamĂłn, par ses incartades, avait souvent mis en difficultĂ© Francisco auprĂšs des autres officiers. Franco toutefois sâemploya toujours Ă protĂ©ger RamĂłn, comme l'attestent ses lettres moralisantes mais affectueuses. La seule explication est, selon Paul Preston et BartolomĂ© Bennassar, lâattachement viscĂ©ral de Franco au clan, une loyautĂ© inĂ©branlable envers sa famille et mĂȘme (dans les termes de Preston) une « propension [âŠ] Ă adapter les rĂšgles aux intĂ©rĂȘts de la famille, qui contrastait avec la maniĂšre impitoyable dont il traitait ses rivaux »[76] - [77]. Lorsque RamĂłn apprit fin que son frĂšre venait dâĂȘtre Ă©levĂ© au rang de chef dâĂtat, il sâenrĂŽla dans lâaviation nationaliste et fut nommĂ© chef de la base aĂ©rienne de Majorque, au grand scandale du chef de lâarmĂ©e de lâair, le gĂ©nĂ©ral KindelĂĄn, et de plusieurs officiers. Il pĂ©rit en dans des circonstances mal Ă©lucidĂ©es, lors dâune mission aĂ©rienne sur le littoral valencien[78].
- La sĆur de Franco, Pilar, si elle Ă©tait vive, spontanĂ©e, persĂ©vĂ©rante, dotĂ©e de courage personnel et de fermetĂ© de caractĂšre, ne disposait cependant que dâune culture indigente, avait des idĂ©es Ă©triquĂ©es et manquait de sens critique. Pendant la Guerre civile, elle joua un rĂŽle comme dĂ©lĂ©guĂ©e des hĂŽpitaux dans les provinces du Nord-Ouest, mais on ne la vit plus ensuite que fort rarement au Pardo[79]. Elle Ă©pousa un ingĂ©nieur civil aux idĂ©es conservatrices et carlistes, beaucoup plus ĂągĂ© quâelle, avec qui elle eut dix enfants, le dernier aprĂšs la Guerre civile, Ă lâĂąge de 45 ans. Quatre de ses fils maintinrent en honneur la tradition familiale et devinrent officiers de marine, lâun dâeux parvenant au grade de contre-amiral[80] - [74]. Veuve, elle fera montre dâun talent pour les affaires au moins Ă©gal Ă celui de son frĂšre aĂźnĂ©[69].
Dans la parentĂšle est Ă signaler encore le cousin PacĂłn, avec qui Franco partagea les mĂȘmes jeux, les mĂȘmes loisirs, les mĂȘmes Ă©tudes, les mĂȘmes Ă©coles et acadĂ©mies, et qui fut Ă ses cĂŽtĂ©s au Maroc, puis Ă Oviedo. Pendant la Guerre civile, PacĂłn devint le secrĂ©taire, puis le chef de la maison militaire de Franco, mais aussi, selon Bennassar, « son confident, son Ă©cho, son rĂ©pondeur »[81].
En dehors du cercle familial, le clan Franco comprenait :
- Camilo Alonso Vega, orphelin de guerre, entrĂ© Ă lâacadĂ©mie de TolĂšde en mĂȘme temps que Franco, oĂč il obtint un brillant classement. Il retrouva Franco au Maroc, pour y acquĂ©rir, comme Franco, ses promotions pour mĂ©rites de guerre, puis rejoignit en 1917 Franco et PacĂłn Ă Oviedo. Pendant la Guerre civile, oĂč il commanda lâune des unitĂ©s de choc de lâarmĂ©e nationaliste. Il devint par la suite « inamovible dans la garde rapprochĂ©e de Franco » (Bennassar), notamment en tant que directeur de la Garde civile, ministre de lâIntĂ©rieur de 1947 Ă 1959, et capitaine gĂ©nĂ©ral[82].
- Juan Antonio Suanzes, fils du directeur du collĂšge de la marine Ă Ferrol, qui sera fait par Franco ministre de lâIndustrie et du Commerce, puis directeur de lâInstitut national de l'industrie (INI)[83].
- Pedro Nieto AntĂșnez, Ferrolan, plus jeune de six ans, nâappartenait pas au cercle des amis dâenfance et dâadolescence. Officier de marine, il devint le compagnon prĂ©fĂ©rĂ© du Caudillo lors de ses parties de pĂȘche, et lâun de ses partenaires habituels au jeu de cartes. AprĂšs lâassassinat de Carrero Blanco, Franco voulut lui confier le poste de chef de gouvernement, mais le clan du Pardo et le Bunker, redoutant ses tendances libĂ©rales, y firent obstacle[84].
- Ricardo de la Puente Bahamonde, cousin germain du mĂȘme Ăąge, Ă©tait un fils de lâunique sĆur de Pilar Bahamonde. En , ayant refusĂ© de rallier le Mouvement et de livrer lâaĂ©rodrome de TĂ©touan dont il avait la charge, il fut jugĂ© par le conseil de guerre en procĂ©dure dâurgence, et exĂ©cutĂ© sans que Franco ne tente de le sauver. Cette fois, lâune des seules, observe Bennassar, les liens du clan Ă©taient demeurĂ©s sans effet[85].
Par fidĂ©litĂ© ou par indiffĂ©rence aux nouveaux contacts, Franco ne renouvellera guĂšre son environnement social et Ă©largira Ă peine ce milieu initial Ă quelques compagnons dâarmes rencontrĂ©s au Maroc ou Ă un collaborateur occasionnel[48].
Scolarité
On dispose de peu de documents sur la jeunesse de Franco, qui sâest lui-mĂȘme acharnĂ© Ă ne rien laisser transpirer de son intimitĂ© familiale[86]. Le livre de Pilar, Nosotros los Franco â selon BartolomĂ© Bennassar « dâune mĂ©diocritĂ© affligeante, malgrĂ© quelques saillies et un brin de truculence » â, nâapporte sur lâenfance du Caudillo quasiment aucune information nouvelle[36].
Enfant, puis encore Ă lâAcadĂ©mie de TolĂšde, Franco fut la cible des railleries des autres gamins en raison de sa petite taille (1,64 m Ă lâacadĂ©mie de TolĂšde[87], finalement 1,67 m[88]) et de sa voix zĂ©zĂ©yante et haut perchĂ©e, laquelle Ă©tait due Ă une dĂ©viation congĂ©nitale de la cloison nasale et Ă un palais inhabituellement Ă©troit, et de laquelle il ne pourra jamais se dĂ©faire[52]. Constamment, on le dĂ©signait par quelque diminutif : dans son enfance, comme il Ă©tait chĂ©tif et dâaspect malingre, on le surnommait Cerillito (diminutif de cerillo, chandelle)[89], puis, Ă lâAcadĂ©mie, Franquito (± Francillon)[90], lieutenant Franquito, ComandantĂn (Ă Oviedo)[91], etc. En 1936 encore, le gĂ©nĂ©ral Sanjurjo, lui reprochant son manque de dĂ©cision Ă la veille du soulĂšvement, dira : « Franquito es un cuquito que va a lo suyito » (± « Francillon est un coquelet qui va son petit bonhomme de chemin ») ; il reçut des conjurĂ©s, lassĂ©s de ses tergiversations, le sobriquet de Miss Canaries 1936[92]. Dans ses Memorias, Manuel Azaña se laissa aller lui aussi Ă lâappeler Franquito[93].
MalgrĂ© lâinsuffisance des ressources de la famille, les trois frĂšres reçurent la meilleure instruction privĂ©e alors disponible Ă Ferrol[35], celle dispensĂ©e par le collĂšge du SacrĂ©-CĆur[11], oĂč Francisco ne se distingua pas par des qualitĂ©s exceptionnelles, ne faisant montre de quelque talent quâen dessin et en mathĂ©matiques, et manifestant aussi quelque aptitude Ă certaines tĂąches manuelles[35]. Lâenseignement secondaire Ă Ferrol Ă©tait, selon lâaveu de Franco, dâun faible niveau. Les professeurs se bornaient Ă faire des leçons de mĂ©moire, sans explications ni mises au point. Du reste, ses professeurs ne perçurent aucun signe prĂ©monitoire ; le directeur de lâĂ©cole, interrogĂ© vers 1930, brossa le portrait suivant : « un travailleur infatigable, dâun caractĂšre trĂšs Ă©quilibrĂ©, qui dessinait bien », mais au total, « un enfant trĂšs ordinaire ». Il nâĂ©tait ni studieux, ni dissipĂ©. Il ne sâemportait que lorsquâil Ă©tait victime dâune injustice : « le sens du devoir et de la justice fut une obsession tout au long de sa vie », prĂ©cise la sĆur Pilar. Il nâĂ©choua Ă aucun des examens correspondant aux deux premiĂšres annĂ©es du bachillerato[94]. Selon le tĂ©moignage dâun de ses camarades de collĂšge, « il Ă©tait toujours le premier Ă arriver et se plaçait Ă lâavant, seul. Il esquivait les autres ». On percevait chez les trois frĂšres Franco, mais Ă un degrĂ© plus Ă©levĂ© chez Francisco, une ambition dĂ©mesurĂ©e, qui Ă©tait encouragĂ©e par lâentourage familial[95].
Références
Notes
- NĂ© en 1889 et dĂ©cĂ©dĂ© en 1966, il deviendra le beau-pĂšre du bibliothĂ©caire et Ă©crivain HipĂłlito Escolar Sobrino. Cf. : JosĂ© MarĂa Zavala, Franco con franqueza: Anecdotario privado del personaje mĂĄs pĂșblico, Barcelone, Plaza y JanĂ©s, (ISBN 8401015464, lire en ligne), p. 350.
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