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Dynastie des Paléologues

L’Empire byzantin, ainsi appelĂ© depuis le XVIe siĂšcle pour dĂ©crire l’empire romain d'Orient du Moyen Âge, fut gouvernĂ© par la dynastie des PalĂ©ologues de 1261 Ă  1453, c’est-Ă -dire la pĂ©riode comprise entre la reconquĂȘte de Constantinople sur les Latins par Michel VIII PalĂ©ologue et la prise de la Ville par les Ottomans conduits par Mehmed II. Bien que la monarchie byzantine ne soit pas hĂ©rĂ©ditaire, la dynastie des PalĂ©ologues s’est maintenue au pouvoir plus longtemps qu’aucune autre sur le trĂŽne, en s’assurant la loyautĂ© des citoyens de l’empire d'Orient, presque tous de langue grecque depuis que les rĂ©gions ayant d’autres langues Ă©taient passĂ©es sous domination slave en Europe et turque en Asie mineure.

Cependant, la dynastie dut faire face Ă  la dĂ©crĂ©pitude de l’Empire depuis sa division au XIIIe siĂšcle Ă  la suite de la quatriĂšme croisade[1], Ă  son endettement envers les GĂ©nois, aux dĂ©boires d’Andronic II et de Jean V et au ressentiment populaire provoquĂ© par les concessions du patriarcat ƓcumĂ©nique de Constantinople face Ă  l’église de Rome au deuxiĂšme concile de Lyon[2].

À partir de 1263, les Turcs seldjoukides, karamanlides, ottomans et autres, ayant conquis Anatolie, jadis cƓur de l’empire, intensifiĂšrent leurs raids, s’emparant graduellement des territoires byzantins d’Asie mineure, Ă  l’exception de l’empire de TrĂ©bizonde gouvernĂ© par la dynastie des ComnĂšne. Les ghazis (combattants Ă©mĂ©rites turcs) recevaient, Ă  l’issue des raids Ă  caractĂšre religieux inspirĂ©s par l’islam, de vastes domaines agricoles[3]. Les PalĂ©ologue dont les ressources s’amoindrissaient peu Ă  peu durent Ă©galement lutter contre les États chrĂ©tiens europĂ©ens : le second empire bulgare, l’empire serbe, les restes de l’empire latin, les chevaliers hospitaliers de JĂ©rusalem sans parler des VĂ©nitiens et des GĂ©nois dĂ©sireux d’établir des comptoirs commerciaux dans l’empire.

À la perte de leurs possessions sur le plan extĂ©rieur s’ajoutĂšrent deux guerres civiles dĂ©sastreuses, des Ă©pidĂ©mies de peste et le tremblement de terre qui dĂ©truisit Gallipoli en 1354, laquelle, Ă©vacuĂ©e par ses habitants, fut bientĂŽt occupĂ©e par les Turcs ottomans[4], lesquels investirent, Ă  partir de lĂ , l’Europe du Sud-Est, de sorte qu’en 1380, l’empire byzantin se rĂ©duisait Ă  Constantinople, quelques Ăźles Ă©gĂ©ennes et quelques territoires isolĂ©s (Chalcidique, Thessalonique, Mistra
). Toutefois, les puissantes murailles de Constantinople, la diplomatie byzantine, une habile exploitation des querelles domestiques et des menaces extĂ©rieures sur leurs ennemis, ainsi que l’invasion de l’Anatolie par Tamerlan, permirent Ă  l'empire de survivre jusqu’en 1453. Ce qui restait de l’empire byzantin aprĂšs la chute de Constantinople, le despotat de MorĂ©e, l’empire de TrĂ©bizonde et la principautĂ© de ThĂ©odoros en CrimĂ©e, sont alors rapidement conquis par les ottomans et leurs alliĂ©s peu aprĂšs.

La faiblesse politique de l’empire fut toutefois compensĂ©e par un renouveau des arts et des lettres ; certains parlĂšrent mĂȘme de « Renaissance palĂ©ologienne ». ParallĂšlement, l’émigration des intellectuels byzantins vers l’Ouest devait jouer un rĂŽle important dans la Renaissance italienne[5].

Toile de fond

À l’issue de la quatriĂšme croisade, l’Empire byzantin est divisĂ© entre l’Empire latin avec la capitale Constantinople, l’Empire de NicĂ©e des PalĂ©ologue, l’Empire de TrĂ©bizonde des ComnĂšne et le despotat d'Épire des Doukas.

AprĂšs la quatriĂšme Croisade, l’empire byzantin a Ă©tĂ© divisĂ© entre les États successeurs (NicĂ©e, Épire et TrĂ©bizonde), un grand nombre de territoires francs, latins et vĂ©nitiens, en thĂ©orie vassaux de l’Empire latin de Constantinople. De plus, la dĂ©sagrĂ©gation de l’empire byzantin avait permis aux Bulgares, aux Serbes et aux diffĂ©rents Ă©mirats turcomans d’Anatolie d’étendre leurs territoires. Bien que l’Épire ait constituĂ© le plus solide des trois États grecs successeurs, c’est l’empire de NicĂ©e qui reprit Constantinople en 1261[6].

L’empire de NicĂ©e rĂ©ussit d’abord Ă  assurer son indĂ©pendance aussi bien face aux « Latins » Ă  l’Ouest qu’aux Turcs seldjoukides Ă  l’Est. La bataille de la vallĂ©e du MĂ©andre permit de repousser les forces turques, dĂ©jĂ  affaiblies par la mort du sultan seldjoukide devant NicĂ©e[7]. À l’Ouest, un traitĂ© de paix fixa en 1214 les frontiĂšres entre les deux empires : les « Latins » conservaient la cĂŽte nord-ouest de l’Asie Mineure depuis le golfe d’Adramyttion sur la mer ÉgĂ©e jusqu’à l’embouchure du Sangare sur la mer Noire tandis que l’empire de NicĂ©e conservait le reste du pays (soit le Nord-Ouest de l’Anatolie) jusqu’à la frontiĂšre seldjoukide[8].

En 1258, de trĂŽne de l’empire de NicĂ©e Ă©tait occupĂ© par Jean IV Laskaris, un garçon de 10 ans. AprĂšs le meurtre du rĂ©gent dĂ©signĂ©, la rĂ©gence Ă©chut Ă  Michel PalĂ©ologue. D’origine aristocratique, militaire de profession et profondĂ©ment ambitieux, celui-ci fut bientĂŽt promu mega dux (grand amiral commandant la flotte de guerre), puis despote. En ou en , il reçut le titre de Basileus (« souverain ») en qualitĂ© d’associĂ© du petit Jean IV[9].

Michel VIII Paléologue (1261-1282)

L’empire de NicĂ©e Ă©tait parvenu en 1246 Ă  rĂ©cupĂ©rer sur les Bulgares la Thrace, et sur les Serbes la MacĂ©doine et de Thessalonique. En 1261, profitant de l'Ă©loignement de l’armĂ©e latine de Constantinople, le gĂ©nĂ©ral byzantin Alexis StratĂ©gopoulos rĂ©ussit Ă  s’emparer de la ville avec une troupe d’à peine 600 hommes[10].

AprĂšs la reconquĂȘte de la capitale, Michel VIII ordonna de crever les yeux du jeune Jean IV en pour le rendre impropre au trĂŽne : ce geste injustifiĂ© et cruel[11] lui valut d’ĂȘtre excommuniĂ© par le patriarche ArsĂšne ce Ă  quoi Michel rĂ©pondit en faisant dĂ©poser le patriarche et en le remplaçant par Joseph II[12].

La restauration de Constantinople

cathédrale de la Sainte-Sagesse
Sainte-Sophie, ou cathédrale de la Sainte-Sagesse, à Constantinople.

La quatriĂšme croisade et l’administration latine avaient ruinĂ© Constantinople : Michel VIII entreprit d’en restaurer la splendeur, en particulier des monastĂšres, Ă©difices publics et murs d’enceinte. Hagia Sophia, pillĂ©e par les croisĂ©s en 1204, fut rendue au culte orthodoxe et rĂ©novĂ©e. On renforça le port de KontoskĂ lion et les murs de la ville contre toute nouvelle expĂ©dition des Latins. De nombreux hĂŽpitaux, hospices, marchĂ©s, aqueduscs, fontaines, bains publics, rues et Ă©glises furent Ă©rigĂ©s, grĂące entre autres au mĂ©cĂ©nat privĂ©. Pour les marchads musulmans et juifs Ă©tablis en ville, dont la mosquĂ©e et les synagogues avaient Ă©tĂ© dĂ©truites par les Latins, de nouveaux Ă©difices furent Ă©levĂ©s. Toutes ces restaurations coĂ»taient cher et des taxes Ă©levĂ©es furent nĂ©cessaires. En dĂ©pit de cela, la ville progressa et de nouveaux contacts intellectuels et diplomatiques furent Ă©tablis, notamment avec les Mamelouks qui combattaient des ennemis communs, c’est-Ă -dire les Latins auxquels s’ajoutĂšrent plus tard les Turcs ottomans[13].

Politique Ă©trangĂšre

L'Empire byzantin sous Michel VIII vers 1265.

Depuis l’invasion des Turcomans, la situation Ă©tait chaotique dans le sultanat de Roum. Michel VIII tenta de protĂ©ger sa frontiĂšre en faisant remettre en Ă©tat les forteresses le long du fleuve Sangarios (aujourd’hui Sakarya), marquant la frontiĂšres entre les deux empires[14]. La plus importante menace Ă  laquelle Byzance devait faire face ne venait cependant pas des Turcs, mais des « Latins » : Michel VIII n'ignorait pas que VĂ©nitiens et Francs souhaitaient rĂ©tablir leur autoritĂ© sur Constantinople.

La situation s’aggrava lorsque Charles d’Anjou, frĂšre du roi de France, conquit en 1266 la Sicile, jusqu’alors aux mains des Hohenstaufen. L’annĂ©e suivante, le pape conclut un pacte avec Charles, selon duquel ce dernier se verrait concĂ©der de nouveaux territoires en Orient s’il aidait Ă  mettre sur pied une nouvelle croisade contre Constantinople (ville chrĂ©tienne, mais schismatique aux yeux de la papautĂ©). Charles n’ayant pu mettre son projet Ă  exĂ©cution dans les dĂ©lais, Michel en profita pour nĂ©gocier une union entre les Églises de Rome et de Constantinople en 1274, Ă©loignant ainsi la menace d’une nouvelle croisade[15].

VĂȘpres siciliennes
Les VĂȘpres siciliennes, tableau de Francesco Hayez (1791-1882), Galleria Nazionale d'Arte Moderna

Malheureusement pour Michel VIII, le successeur du pape ClĂ©ment, Martin IV, ne crut pas en la bonne foi de l’empereur. L’Église grecque fut excommuniĂ©e et Charles reçut Ă  nouveau l’autorisation du pape d’envahir Constantinople. Michel VIII se tourna alors vers le roi d’Aragon, Pierre III, dont il appuya financiĂšrement les efforts pour s’emparer de la Sicile qui appartenait Ă  Charles. Ces efforts furent rĂ©compensĂ©s par les « VĂȘpres siciliennes » qui renversĂšrent le roi angevin de Sicile et le remplacĂšrent par le roi d’Aragon en 1281[16].

Tout le reste de sa vie, Michel lutta pour chasser les Latins de GrĂšce et assurer ses positions face aux Bulgares dans les Balkans. Il y rĂ©ussit fort bien, regagnant plusieurs iles de la mer ÉgĂ©e et prenant pied dans cette partie du PĂ©loponnĂšse qui deviendra le despotat de MorĂ©e. Toutefois, les campagnes de l’empereur Ă  l’Ouest eurent pour effet d’épuiser les ressources financiĂšres et humaines de l’empire tout en nĂ©gligeant les provinces d’Asie oĂč une nouvelle menace se faisait jour, entre autres par la puisance croissante du beylicat d’Ertuğrul, fondateur de l'empire ottoman, qui prit Thebasion, devenue SĂ¶ÄŸĂŒt[17].

Politique intérieure

La politique Ă©trangĂšre de Michel VIII reposait essentiellement sur la diplomatie ; toutefois, ses projets de construction et ses campagnes militaires contre ce qui restait de l’empire latin s’avĂ©raient onĂ©reux ; d’autant plus que l’armĂ©e comptait dans ses rangs de plus en plus de mercenaires, plus onĂ©reuses que les troupes rĂ©guliĂšres. Sa politique intĂ©rieure favorisa la noblesse dont il se rapprocha par un certain nombre d’alliances matrimoniales. Comme les grands propriĂ©taires Ă©chappaient de plus en plus Ă  l’obligation de l’impĂŽt, c’est sur la paysannerie que retombait le gros du fardeau fiscal, trait que ne manquĂšrent pas d’exploiter les Ottomans par la suite en promettant aux paysans d’allĂ©ger leur fardeau. Par ailleurs, la monnaie d’or byzantine, l’hyperpĂšre, jusque-lĂ  monnaie d’échange autour de la MĂ©diterranĂ©e, continua Ă  se dĂ©valuer, si bien qu’on commença Ă  lui prĂ©fĂ©rer la monnaie plus stable des rĂ©publiques italiennes[18].

hyperpyron de Manuel I
L'hyperpyron était légÚrement plus petit que le solidus. Il resta en circulation, quoique fréquemment déprécié, jusqu'à la chute de l'empire. Ici, celui de Manuel I

Pour Michel VIII, l’union des Églises de Constantinople et de Rome Ă©tait essentielle Ă  la survie de l’empire en empĂȘchant tout projet de croisade contre Byzance. Tel n’était toutefois pas le point de vue de la population. Si les relations entre Michel VIII et le pape GrĂ©goire X demeurĂšrent sur le plan de la politique Ă©trangĂšre, les successeurs de GrĂ©goire X (trois papes entre janvier 1276 et mai 1277) tentĂšrent plutĂŽt d’humilier les Grecs en exigeant notamment que l’empereur, son fils, le patriarche et tous les clercs jurent fidĂ©litĂ© Ă  l’union lors d’une cĂ©rĂ©monie Ă  Hagia Sofia. AprĂšs cette cĂ©rĂ©monie, l’empereur fut considĂ©rĂ© comme apostat tant par le clergĂ© que par la population. Le renvoi par l’empereur du patriarche anti-unioniste Joseph et la nomination de Jean Beccus comme patriarche pro-unioniste provoqua un mini-schisme entre les tenants du patriarche Joseph et ceux qui demeuraient fidĂšles Ă  la mĂ©moire de l'ancien patriarche ArsĂšne. Presque toutes les Églises orthodoxes en dehors de Constantinople devaient Ă©galement rejeter l’acte d’union y compris les dirigeants de TrĂ©bizonde, d’Épire et de Thessalie[19]. La mort de Michel VIII en 1282 fut ressentie avec soulagement par plus d’un et ses politiques favorables Ă  Rome lui valurent de se voir refuser des funĂ©railles orthodoxes[20].

L’hĂ©ritage

Michel VIII se rĂ©vĂ©la un empereur Ă©nergique, ambitieux et de grande valeur. Il rĂ©ussit Ă  Ă©tendre et Ă  prĂ©server l’empire, remettant Byzance au rang de puissance rĂ©gionale. Son armĂ©e manquant toujours d’effectifs, il dut encore plus que ses prĂ©dĂ©cesseurs compter sur la diplomatie. Un systĂšme de taxation exorbitant lui permit de poursuivre son ambitieuse politique Ă©trangĂšre et de soudoyer divers potentats voisins. GrĂące Ă  lui, Byzance commençait Ă  se relever, mais ses succĂšs allaient se rĂ©vĂ©ler fragiles.

Andronic II Paléologue (1282-1328)

Fils de Michel VIII, Andronic II monta sur le trîne en 1282, à l’ñge de 24 ans.

Politique Ă©trangĂšre

Andronic II
Fresque représentant Andronic II présentant une charte au monastÚre Iera Moni Ioaninou Prodromou, prÚs de SerrÚs, GrÚce

Andronic II dut faire face Ă  de grandes difficultĂ©s aussi bien Ă  l’Est qu’à l’Ouest. Les Serbes, sous la conduite du roi Étienne UroĆĄ II Miloutin, commencĂšrent Ă  envahir les Balkans et prirent Skopje en 1282. Leurs raids en MacĂ©doine se poursuivirent tout au cours des annĂ©es 1290. Ne rĂ©ussissant pas Ă  y mettre un terme, Andronic dut user de diplomatie et marier sa fille ĂągĂ©e de 5 ans au roi serbe, lui concĂ©dant Ă  titre de « dot » nombre de forts d’Ohrid Ă  Stip, en passant par Strumica, ce qui n’empĂȘcha pas les Serbes de poursuivre leurs conquĂȘtes[21].

Contrairement Ă  son pĂšre, Andronic, conscient du danger menaçant les possessions byzantines en Asie Mineure, tenta d’en chasser les Turcs par divers moyens. Sa premiĂšre action fut de transporter sa cour en Asie mineure afin de mieux surveiller la construction de fortifications et de remonter le moral des troupes. Le commandant de son armĂ©e, Alexis PhilanthropĂ©nos, Ă©tait un gĂ©nĂ©ral compĂ©tent qui remporta quelques succĂšs contre les Turcs dans la vallĂ©e du MĂ©andre. Cependant, Andronic fut privĂ© de ses services lorsque celui-ci fomenta un complot qui lui valut d’ĂȘtre aveuglĂ©. À la suite de quoi, Andronic envoya son fils, Michel IX, et l’ hĂ©tĂ©riarque (chef de la garde impĂ©riale), Georges Mouzalon, attaquer les Turcs qui avaient mis le siĂšge devant NicomĂ©die; tous deux furent battus Ă  la bataille de Bapheus en 1302[22].

Sans se laisser dĂ©courager, Andronic engagea la Compagnie catalane, forte de 6000 hommes conduits par Roger de Flor. Originaires d’Espagne, ces mercenaires intrĂ©pides avaient l’habitude des escarmouches contre les Maures et, Ă  un prix extravagant, reconduisirent les Turcs en Asie mineure. Toutefois, leurs succĂšs furent rĂ©duits Ă  nĂ©ant lorsque Roger de Flor fut assassinĂ© alors qu’il allait rencontrer Andronic II. Les Catalans se rĂ©voltĂšrent contre l’autoritĂ© impĂ©riale et pillĂšrent de nombreuses villes de Thrace, laissant libre cours aux incursions turques en Asie mineure. Ce que voyant, Andronic voulut Ă  nouveau utiliser la diplomatie pour convaincre les Ilkhanides de Perse d’envoyer des troupes attaquer les Turcs, nĂ©gociations qui, cependant, n’aboutirent pas[23].

Politique intérieure

L'Empire byzantin Ă  la fin du rĂšgne d'Andronic II.

Andronic II dĂ©nonça l’acte d’union entre les Églises orthodoxe et romaine, geste destinĂ© Ă  apaiser la population. Il procĂ©da Ă  des coupures drastiques dans l’armĂ©e, dispersant Ă  toute fin pratique la marine que son pĂšre avait activement travaillĂ© Ă  constituer. Ceci permit d’abaisser les impĂŽts lĂ  oĂč c’était possible dans l’empire. Si elle lui assurait une plus grande popularitĂ©, cette politique rĂ©duisait considĂ©rablement la possibilitĂ© pour Byzance de faire face Ă  ses ennemis. Il altĂ©ra l’hyperpĂšre et taxa lourdement l’élite militaire des pronoiarioi, rĂ©duisant encore davantage les capacitĂ©s militaires de l’armĂ©e. Tout en rĂ©solvant une partie des problĂšmes que Michel VIII lui avait lĂ©guĂ©s, ces gestes rĂ©duisaient Ă  nĂ©ant les efforts entrepris pour restaurer la grandeur de l’empire byzantin. Si Michel VIII s’était attaquĂ© aux problĂšmes extĂ©rieurs de l’empire, Andronic tenta de rĂ©gler les problĂšmes internes qui en rĂ©sultaient, l’une et l’autre politique devant avoir des effets dĂ©sastreux[24].

La guerre civile et l’abdication

Les politiques d’Andronic II ne parvinrent pas Ă  rĂ©soudre les problĂšmes extĂ©rieurs de Byzance ; cependant, ce sont les menaces de l’intĂ©rieur qui conduisirent Ă  son abdication. En 1320, Andronic III, alors ĂągĂ© de 20 ans et petit-fils de l’empereur fut dĂ©shĂ©ritĂ© par son grand-pĂšre. Il se rĂ©volta et, promettant des diminutions d’impĂŽts supĂ©rieures encore Ă  celles mises en place par Andronic II, rĂ©ussit Ă  s’assurer de nombreux appuis. Incapable d’arrĂȘter le jeune usurpateur, Andronic II l’éloigna de Constantinople, lui donnant en 1321 la Thrace en apanage ainsi que le titre de coempereur en 1322. Mais aprĂšs une courte guerre durant laquelle Bulgares et Serbes jouĂšrent les deux camps l’un contre l’autre, Andronic II fut forcĂ© d’abdiquer et de se faire moine dans un monastĂšre oĂč il mourut dix ans plus tard[25].

Andronic III (1328-1341)

Andronic III
Miniature reprĂ©sentant Andronic III PalĂ©ologue. WĂŒrtembergische Landesbibliothek, Stuttgart

Lorsqu’il devint seul empereur, Ă  l’ñge de trente-trois ans, Andronic III s’était dĂ©jĂ  rĂ©vĂ©lĂ© un remarquable chef de guerre. DouĂ© d’une agrĂ©able personnalitĂ©, il pouvait aussi ĂȘtre frivole et quelques fois irresponsable. Ces dĂ©fauts Ă©taient en partie compensĂ©s par sa capacitĂ© Ă  dĂ©lĂ©guer son autoritĂ©, en s’appuyant sur son grand ami, le grand domestique (commandant en chef de l'armĂ©e) Jean CantacuzĂšne. Celui-ci se concentra sur l’administration interne de l’empire pendant que l’empereur s’intĂ©ressait surtout Ă  reconquĂ©rir les territoires perdus[26]. Son rĂšgne fut rĂ©parateur aprĂšs la guerre civile qui l’avait opposĂ© Ă  son grand-pĂšre ; cependant, aprĂšs sa mort, une guerre civile opposant Jean CantacuzĂšne Ă  la rĂ©gence ruine cette restauration[27].

Politique intérieure

Au sortir de la guerre civile, Andronic III eut le souci de rĂ©tablir la confiance de la population dans les institutions de l’État. DĂ©jĂ  les grands propriĂ©taires terriens dans les provinces et la noblesse des villes avaient rĂ©ussi Ă  Ă©chapper au contrĂŽle de l’État si bien que la paysannerie ainsi que les petites gens des villes avaient perdu confiance dans le gouvernement et l’administration[28].

Andronic III tacha d’y remĂ©dier en s’attaquant Ă  une rĂ©forme en profondeur du Droit, rĂ©forme dĂ©jĂ  amorcĂ©e sous Andronic II. La corruption des tribunaux de l’empire Ă©tait lĂ©gendaire. Pour s’y attaquer, Andronic crĂ©a en 1329 un nouveau collĂšge de juges composĂ© de quatre membres, deux clercs et deux laĂŻcs. DotĂ©s de trĂšs larges pouvoirs, ceux-ci avaient comme mission de rĂ©former la justice dans l’ensemble de l’empire. Toutefois, moins de dix ans plus tard, trois de ces juges furent convaincus eux-mĂȘmes de corruption et par consĂ©quent exilĂ©s. L’impulsion Ă©tait cependant donnĂ©e et la rĂ©forme se continua par la suite tout en se dĂ©centralisant progressivement[29].

Politique Ă©trangĂšre

Le rĂšgne d’Andronic III peut ĂȘtre vu comme la derniĂšre vĂ©ritable tentative de restaurer la grandeur de Byzance. Il vint prĂšs d’y rĂ©ussir, mais le nombre et la puissance des voisins en lutte avec l’empire eurent finalement raison de cette bonne volontĂ© que n’appuyaient pas des ressources humaines et matĂ©rielles suffisantes.

Le problĂšme le plus urgent Ă©tait celui de l’Asie mineure. En 1326, Orkhan qui avait succĂ©dĂ© Ă  Osman parvint Ă  conquĂ©rir Brousse, assiĂ©gĂ©e depuis des annĂ©es. L’annĂ©e suivante, ce fut au tour de Lopadion de subir le mĂȘme sort. RĂ©agissant Ă  ces succĂšs, Andronic III tenta une opĂ©ration de secours qui se termina par la dĂ©faite de PĂ©lĂ©kanon, le 10 juin, au cours de laquelle l’empereur blessĂ© dut retourner Ă  Constantinople. NicĂ©e se rendit le 2 mars 1331 et Orkhan mit presque aussitĂŽt le siĂšge devant NicomĂ©die. Andronic III tenta alors d’acheter la paix en versant un tribut de 12 000 hyperpĂšres aux Ottomans pour garantir la sĂ©curitĂ© des forteresses entre NicomĂ©die et la capitale, ce qui n’empĂȘcha pas ceux-ci de s’emparer de NicomĂ©die en 1337[30].

En dĂ©pit de cet Ă©chec, Andronic III remporta quelques succĂšs dans la mer ÉgĂ©e : en 1329, Chios fut reprise et en 1335, Andronic conclut un traitĂ© comportant des indemnitĂ©s financiĂšres avec le bey d’Aydin, l’émir turc Bahud-din Umur, ce qui lui permit de recouvrer Lesbos et PhocĂ©e aux dĂ©pens des Latins[31].

Les rĂ©sultats furent plus mitigĂ©s en Europe. Si la Thessalie fut recouvrĂ©e en 1333, la Serbie recommença son expansion vers le sud. Conduites par SyrgiannĂšs PalĂ©ologue, Byzantin passĂ© au service des Serbes, les forces serbes s’emparĂšrent de cinq forts byzantins en 1334 et obligĂšrent l’empire Ă  reconnaĂźtre les nouvelles frontiĂšres. Andronic rĂ©ussit par la diplomatie Ă  reprendre l’Épire en 1341. L’empire Ă©tait au moins parvenu Ă  reprendre le contrĂŽle de la plus grande partie de la GrĂšce. Malheureusement pour l’empire reconstituĂ©, Étienne DuĆĄan portĂ© au pouvoir en 1331 dĂ©cida de s’approprier ces territoires. La mort d’Andronic III et le chaos qui en rĂ©sulta ne permit pas de rĂ©sister victorieusement Ă  ses assauts[32].

L’hĂ©ritage

MĂȘme s’il devait s’avĂ©rer infructueux, le rĂšgne d’Andronic III constitua l’une des derniĂšres lueurs jetĂ©es par un empire dont la position devenait de plus en plus prĂ©caire. La diplomatie byzantine eut moins de succĂšs lorsque les ennemis de l’empire se furent rendus compte que l’empereur n’avait plus les moyens militaires ou financiers de sa politique. La mort d’Andronic III porta le coup de grĂące : son successeur Ă©tait un enfant de dix ans et la rĂ©gence mise en place fut dĂ©chirĂ©e par des rivalitĂ©s dynastiques qui conduisirent Ă  une guerre civile dont l'empire ne devait jamais se relever[33].

L'ascension et la chute de CantacuzĂšne (1341-1357)

Une nouvelle pĂ©riode de dĂ©clin s’ouvrit pour l’empire en 1341 alors que s’abattirent sur lui des malheurs de tous genres. Non seulement les guerres civiles et extĂ©rieures dĂ©vastĂšrent-elles un pays dĂ©jĂ  ravagĂ©, mais des Ă©pidĂ©mies de peste dĂ©cimĂšrent la population. La premiĂšre frappa en 1347 et, entre 1360 et 1420, on ne compta pas moins de huit autres Ă©pidĂ©mies. Dans les villes, des troubles Ă©clatĂšrent entre la classe aisĂ©e qui exploitait le systĂšme de taxation Ă  son profit et les paysans dĂ©pouillĂ©s de leurs terres et Ă©crasĂ©s par les exigences du gouvernement. S’y ajoutaient les controverses religieuses qui avaient Ă©tĂ© la plaie de Byzance aux VIIe et VIIIe siĂšcles et qui reprirent de plus belle concernant cette fois la doctrine de l’hĂ©sychasme, laquelle devait finalement devenir la doctrine officielle de l’Église orthodoxe. Nombre de tremblements de terre dĂ©truisirent les infrastructures de Byzance. La forteresse de Gallipoli fut dĂ©truite en 1354 par un de ces tremblements de terre et les Turcs ottomans profitĂšrent de l’occasion pour s’emparer de la ville et en faire leur tĂȘte de pont vers l’Europe. Pendant ce temps, les Serbes poursuivaient leur avancĂ©e vers le sud, s’emparant de l’Épire encore thĂ©oriquement sous contrĂŽle impĂ©rial. L’empire se rĂ©trĂ©cissait sans cesse, si bien que lorsque la guerre civile se termina Ă  Constantinople, Byzance n’était plus qu’une Ville-État qui ne survivait que parce que ses ennemis, qui devaient bientĂŽt devenir ses protecteurs, le laissaient survivre[34].

La guerre civile de 1341-1347

Jean V n’avait que neuf ans lorsqu’il accĂ©da au trĂŽne. Un conseil de rĂ©gence fut crĂ©Ă©, composĂ© de sa mĂšre, Anne de Savoie, de Jean VI CantacuzĂšne et du patriarche de Constantinople, Jean XIV KalĂ©kas[35].

Alexis Apokaukios
Portrait du mega-dux Alexis Apokaukios, 1340

Ce fut le patriarche, aidĂ© par l’ambitieux Alexis Apokaukos qui dĂ©clencha la guerre civile en convainquant l’impĂ©ratrice que l’ambition de CantacuzĂšne constituait une menace pour son fils. En septembre 1341, alors que CantacuzĂšne Ă©tait en Thrace, KalĂ©kas se dĂ©clara rĂ©gent et lança une virulente attaque contre CantacuzĂšne, ses partisans et sa famille. En octobre, l’impĂ©ratrice exigea que CantacuzĂšne se dĂ©mette de son commandement. Non seulement ce dernier refusa-t-il, mais il se dĂ©clara empereur Ă  Didymotique, en principe pour protĂ©ger l’autoritĂ© de Jean V face aux ambitions de KalĂ©kas. On ignore quels Ă©taient les sentiments vĂ©ritables de CantacuzĂšne, mais il est certain que l’action du patriarche en forçant celui-ci Ă  se battre pour conserver le pouvoir dĂ©clencha la guerre civile[36].

Les troupes Ă©taient alors trop peu nombreuses pour dĂ©fendre les frontiĂšres de l’empire, encore moins pour assurer le succĂšs de l’une ou l’autre faction. En consĂ©quence les deux camps engagĂšrent des mercenaires Ă©trangers. CantacuzĂšne loua les services de Turcs et de Serbes et le bey d’Aydin, dont les liens avec Andronic faisaient un alliĂ©, fournit le gros des mercenaires turcs. La rĂ©gence pour sa part engagea Ă©galement les services de mercenaires turcs. Toutefois, CantacuzĂšne commença aussi Ă  recevoir l’appui du sultan ottoman Orkhan dont il Ă©pousa la fille en 1345. Deux ans plus tard, CantacuzĂšne triomphait et pouvait retourner Ă  Constantinople oĂč il conclut un accord avec Anne de Savoie en fonction duquel Jean V et lui-mĂȘme rĂ©gneraient en tant que coempereurs, CantacuzĂšne assumant le rĂŽle d’empereur senior pendant une pĂ©riode de dix ans[37].

Le rĂšgne et la chute de Jean VI CantacuzĂšne (1347-1357)

Jean VI CantacuzĂšne
Jean VI CantacuzÚne le synode de 1351. Traités théologiques de Jean VI CantacuzÚne, BNF Gr.1242

L’accord aurait Ă©ventuellement pu durer, n'eĂ»t Ă©tĂ© que CantacuzĂšne avait un fils, Matthieu, qui en grandissant devint en mauvais termes avec Jean V. De surcroit Jean V Ă©pousa une fille de CantacuzĂšne, devenant ainsi son beau-fils, ce qui aurait dĂ» en thĂ©orie rapprocher les deux familles, mais qui en fait Ă©loignait Matthieu du trĂŽne[38].

CantacuzĂšne espĂ©rait pouvoir maintenir la paix, mais en 1353, Jean V attaqua Matthieu et la guerre civile reprit. Jean V eut le dessous et fut exilĂ© dans l’ile de TĂ©nĂ©dos (aujourd’hui Bozcaada), une des rares iles de la mer ÉgĂ©e encore sous contrĂŽle byzantin, pendant que CantacuzĂšne proclamait son fils coempereur. Jean V ne se tint pas pour vaincu et, en 1354, des troupes ottomanes commencĂšrent Ă  envahir la Thrace pour lui venir en aide. Les citoyens de Constantinople prirent peur et, en novembre de la mĂȘme annĂ©e, Jean V, aidĂ© par les VĂ©nitiens, tenta un coup qui rĂ©ussit. CantacuzĂšne dut abdiquer et se retirer dans un monastĂšre oĂč il passa le reste de ses jours Ă  Ă©crire ses mĂ©moires. Il y mourut en 1383[39].

DĂ©sappointĂ© par la dĂ©faite de son pĂšre, Matthieu CantacuzĂšne continua pour sa part la rĂ©sistance. Il parvint Ă  obtenir des troupes de son beau-frĂšre, le sultan Orkhan, mais il avait Ă  peine lancĂ© sa campagne qu’il fut capturĂ© Ă  l’étĂ© 1356. Il dut renoncer Ă  ses prĂ©tentions en 1357 et fut exilĂ© en MorĂ©e de 1361 Ă  1383, bien que certaines sources mentionnent 1391. À l’ñge de vingt-cinq ans, Jean V avait rĂ©ussi Ă  assoir son pouvoir sur l’empire, mais en Ă©puisant tout ce que ce mĂȘme empire avait encore de ressources[40].

La colonisation turque

Les contrĂ©es ravagĂ©es et dĂ©peuplĂ©es par la guerre civile furent repeuplĂ©es par de nouveaux colons turcs qui s’y installĂšrent par conquĂȘte ou arrangements commerciaux. Il en rĂ©sulta que Byzance perdit dĂ©finitivement son emprise sur la rĂ©gion ; deux cents ans plus tĂŽt, Byzance pouvait vivre des produits de ses territoires d’Anatolie, de GrĂšce, de MacĂ©doine et de grandes Ăźles comme Chypre et la CrĂšte. Elle ne pouvait plus compter dĂ©sormais que sur quelques villes encore sous son contrĂŽle comme Thessalonique et Constantinople et sur le despotat de MorĂ©e. La colonisation turque fut un facteur dĂ©terminant dans les annĂ©es qui suivirent, donnant aux plus grands ennemis de l’empire, les Ottomans, non seulement une base en Asie, mais bientĂŽt Ă©galement en Europe[41].

Jean V (1354-1391)

Jean V
les Balkans en 1355
Jean V

Cette menace ottomane Ă©tait le plus important problĂšme qui se posait Ă  Jean V. Depuis la victoire de PĂ©lĂ©kanon, Orkhan n’avait plus rien Ă  craindre des Byzantins. À sa mort en 1362, son fils, Murad Ier, chef des contingents ottomans guerroyant en Europe, lui succĂ©da. AprĂšs la mort d’Étienne DuĆĄan en 1355 et l’éclatement de l’empire serbe, aucune force n’était capable de s’opposer Ă  la progression des Ottomans dans les Balkans[42].

L’appel à l’Ouest

Jean V avait 22 ans lorsqu’il devint seul empereur en 1354. RĂ©alisant le danger, il fit comme ses prĂ©dĂ©cesseurs appel au pape, promettant l’union des deux Églises en Ă©change d’une aide militaire. Comme preuve de sa bonne foi, il offrit de donner son fils, Manuel, en otage. Dans le passĂ©, de tels appels avaient eu divers rĂ©sultats. Certes les croisĂ©s avaient, pendant la premiĂšre croisade, pillĂ© aussi bien les amis que les ennemis, mais au total la croisade s’était avĂ©rĂ©e plutĂŽt bĂ©nĂ©fique. Jean V espĂ©rait Ă  n’en pas douter la mise sur pied d’une nouvelle croisade. Mais cette fois, la papautĂ© ne fut guĂšre Ă©mue par les dangers qui menaçaient les chrĂ©tiens d’Orient.

Heureusement, Jean V pouvait utiliser d’autres filiĂšres en Europe. Sa mĂšre Ă©tait Anne de Savoie et son neveu, AmĂ©dĂ©e de Savoie s’inquiĂ©tait de la sĂ©curitĂ© de sa parentĂ© Ă  Constantinople. En juin 1366, AmĂ©dĂ©e quitta Venise, espĂ©rant ainsi donner le signal d’une nouvelle croisade. Il s’empara d’abord de la forteresse de Gallipoli qu’il remit aux Byzantins afin d’arrĂȘter ainsi l’immigration turque en Thrace. Cependant les Turcs Ă©taient maintenant fermement Ă©tablis dans la rĂ©gion. AmĂ©dĂ©e et Jean tentĂšrent, entre 1367 et 1369, par The-Balkans-in-1355-es.svg divers moyens d’éviter la dĂ©faite. AmĂ©dĂ©e retourna en Europe via Rome oĂč il emmena des Ă©missaires byzantins. Le pape ne montra guĂšre plus d’intĂ©rĂȘt que par le passĂ©, mais invita Jean V Ă  lui rendre visite[43]. De telle sorte que, lorsqu’en 1369 (certaines sources mentionnent 1365) les Ottomans capturĂšrent Adrianople (aujourd’hui Edirne), Jean V n’eut plus qu’à s’embarquer pour Rome oĂč il abjura la doctrine orthodoxe et entra dans le giron de l’Église catholique romaine.

Il devait revenir Ă  Constantinople en 1371, les mains vides, s’étant humiliĂ© en privĂ© et en public, sans aucun rĂ©sultat permettant d’espĂ©rer une amĂ©lioration de la situation dans les Balkans[44].

Jean V, vassal des Turcs

En 1371, les Serbes ralliĂšrent toutes leurs forces pour lancer une attaque contre les Turcs et les forcer Ă  Ă©vacuer la Thrace. Les Turcs anĂ©antirent les forces serbes lors de la bataille de la Maritsa, Ă  la suite de quoi plusieurs seigneurs firent soumission au sultan Murad Ier. Byzance n’était guĂšre en meilleure posture et, aprĂšs avoir repris SĂ©rres jusqu’alors aux mains des Serbes, Jean V jura allĂ©geance Ă  Murad qui se faisait dĂ©sormais appelĂ© « sultan », titre qui sanctionnait la supĂ©rioritĂ© des Ottomans sur les autres Ă©mirs turcs de la rĂ©gion[45].

La guerre civile de 1373-1394

À cette humiliation devait bientĂŽt s’en ajouter une autre, peut-ĂȘtre pire encore. Le fils ainĂ© de Jean V et hĂ©ritier du trĂŽne, Andronic IV PalĂ©ologue se rebella contre son pĂšre en 1373. Cette rĂ©volte coĂŻncida avec une rĂ©bellion similaire du fils de Murad Ier, Savci (ou Saoudji) Çelebi. Tous deux tentĂšrent de soulever leur peuple respectif. L’empereur et le sultan devaient tous deux faire face Ă  leur fils; ils dĂ©cidĂšrent de joindre leurs efforts et rĂ©ussirent Ă  dĂ©faire ceux-ci. Murad exigea de son collĂšgue qu’il fĂźt aveugler son fils, ce Ă  quoi Jean V dut se rĂ©soudre. Mais Andronic IV et son fils Manuel ne furent que partiellement aveuglĂ©s. Murad n’eut pas de tels scrupules et fit exĂ©cuter Savci ÇélĂ©bi. Le deuxiĂšme fils de Jean V, fut proclamĂ© coempereur et hĂ©ritier prĂ©somptif du trĂŽne[46].

Andronic IV et son fils, Jean VII, rĂ©ussirent toutefois Ă  s’enfuir avec l’aide des GĂ©nois et des Turcs; lorsqu’ils revinrent Ă  Constantinople, ils renversĂšrent Jean V emprisonnĂ© avec Manuel. En Ă©change de leur aide, Andronic IV dut remettre aux Ottomans la forteresse de Gallipoli rendant ainsi inutile la seule aide europĂ©enne reçue, celle d’AmĂ©dĂ©e de Savoie. Puis, ce fut au tour de Jean V et de Manuel de s’échapper et d’offrir au sultan de lui verser un tribut encore supĂ©rieur Ă  celui payĂ© prĂ©cĂ©demment en Ă©change de son aide pour reprendre Constantinople. Andronic IV, Ă  nouveau dĂ©fait, Ă©chappa Ă  la capture et se rĂ©fugia dans le district gĂ©nois de Galata avec sa famille. Une nouvelle sorte de guerre civile opposait donc Jean V, soutenu par les VĂ©nitiens et les Ottomans Ă  Constantinople et Andronic IV soutenu par les GĂ©nois Ă  Galata. Jean V, qui n’avait d’autre but que de reconquĂ©rir son trĂŽne et d’en assurer la stabilitĂ©, finit par conclure un pacte avec Andronic IV en 1381, le reconnaissant comme son hĂ©ritier et faisant de Jean VII l’hĂ©ritier prĂ©somptif, excluant de ce fait Manuel de la succession[47].

Ainsi, en 1383, les morceaux Ă©pars de l’empire byzantin Ă©taient thĂ©oriquement rĂ©unis dans les mains des PalĂ©ologues : Jean V rĂ©gnait comme seul empereur Ă  Constantinople. Son fils, Andronic IV et son petit-fils Jean VII qui avaient tous deux le titre d’empereur rĂ©gnaient sur la cĂŽte nord de la mer de Marmara pendant que ses autres fils, Manuel et ThĂ©odore, rĂ©gnaient le premier avec le titre d’empereur Ă  Thessalonique, le deuxiĂšme avec le titre de despote en MorĂ©e[48].

Toutefois, comme Matthieu CantacuzĂšne avant lui, Manuel se sentit trahi par cette rĂ©trogradation. PrivĂ© du titre de coempereur, il retourna Ă  Thessalonique en 1382, se rebella contre l’empereur et affirma son autoritĂ© sur la Thessalie et l’Épire, « Ă©tendant » ainsi thĂ©oriquement les frontiĂšres de l’empire, ce qui suffit Ă  attirer l’attention du sultan. Murad Ier vint assiĂ©ger Thessalonique en 1383. Le siĂšge devait durer quatre ans. Pendant ce temps, Andronic IV mourut et son fils, Jean VII, contesta son grand-pĂšre, Jean V[49].

Thessalonique dut se rendre en 1387. Voyant sa position dĂ©sespĂ©rĂ©e, Manuel se tourna Ă  nouveau vers Jean V et, avec l’accord du sultan, entreprit des pourparlers avec son pĂšre. Jean V rĂ©alisait qu’un accord avec son deuxiĂšme fils causerait une nouvelle rĂ©bellion de la part de son petit-fils et dĂ©cida de laisser Manuel en exil Ă  Lemnos. Ceci n’empĂȘcha pas Jean VII de se rebeller : des rumeurs de retour de Manuel et de rĂ©conciliation entre Jean et Manuel dĂ©cidĂšrent Jean VII Ă  partir pour GĂȘnes et Ă  rejoindre ensuite le nouveau sultan ottoman, Bajazet (aussi connu sous le nom de Bayezid), et pour demander son aide afin de renverser Jean V[50].

Cette nouvelle rĂ©bellion de Jean VII lui permit de reprendre Constantinople, mais Manuel rĂ©ussit Ă  soulever le reste de l’empire et ses quelques colonies restantes contre lui. Manuel reçut Ă©galement l’aide des Chevaliers de Saint-Jean stationnĂ©s Ă  Rhodes Ă  qui il donna de nombreuses reliques de mĂ©tal prĂ©cieux en Ă©change de leur aide. Jean VII se refusa jusqu’à sa mort en 1408 Ă  renoncer Ă  ses droits d’empereur lĂ©gitime. À cette Ă©poque toutefois Bajazet avait dĂ©jĂ  reconnu Manuel II PalĂ©ologue comme coempereur aux cĂŽtĂ©s de son pĂšre Jean V, si bien que lorsque Jean V mourut en 1391, Manuel se trouva seul empereur[51].

Manuel II Paléologue (1391-1420)

Manuel II Paléologue
Manuel II Paléologue

Le rĂšgne de Manuel II devait procurer un rĂ©pit Ă  l’empire. MalgrĂ© les difficultĂ©s auxquelles celui-ci faisait face, l’empereur rĂ©ussit Ă  reprendre certains territoires et Ă  les conserver jusqu’à la fin de son rĂšgne. Cette rĂ©ussite s’explique en bonne partie par le renouveau de la puissance mongole Ă  l’Est et la grande amitiĂ© existant entre Manuel II et Mehmed Ier. Toutefois, Manuel devait vivre suffisamment longtemps pour voir son fils dĂ©truire presque tout ce qu’il avait accompli.

Le vasselage jusqu’en 1394

La premiĂšre prioritĂ© de Manuel II fut de conclure un accord avec Bajazet. S’il put rentrer Ă  Constantinople en 1390 ce fut, sinon grĂące au sultan, Ă  tout le moins grĂące Ă  la neutralitĂ© bienveillante de celui-ci, lequel exigea en Ă©change que Manuel serve dans l’armĂ©e turque oĂč il faisait autant fonction d'otage que de vassal. En faisant pression sur Manuel, il obtint que Jean V dĂ©molisse les fortifications de la Porte d’Or. Et lorsque l’empereur mourut le 16 fĂ©vrier 1391, Manuel dĂ©serta pour rentrer Ă  Constantinople et prendre le pouvoir, provoquant la fureur de Bajazet. CĂ©dant devant le fait accompli, Bajazet n’en exigea pas moins la crĂ©ation d’un quartier rĂ©servĂ© aux marchands turcs dans la ville et l’établissement d’un kadi qui aurait juridiction pour rĂ©gler les conflits entre ceux-ci. Quatre mois plus tard, il exigeait que Manuel quitte Constantinople pour se joindre Ă  sa campagne en Anatolie[52].

La révolte et la survie de Byzance (1394-1402)

L’entente entre Manuel et Bajazet devait ĂȘtre rompue deux ans plus tard, au cours de l’hiver 1393-1394 lorsque Bajazet convoqua sĂ©parĂ©ment tous ses vassaux chrĂ©tiens dans la ville de SĂ©rres dĂ©montrant ainsi qu’à ses yeux, les PalĂ©ologues ne valaient guĂšre mieux que le despote de MorĂ©e ou mĂȘme qu’un seigneur de rang infĂ©rieur. OutrĂ©, Manuel dĂ©cida de se tourner vers l’Ouest. Bajazet rĂ©pondit en mettant le siĂšge devant Constantinople en 1394, siĂšge qui devait durer huit ans[53]. L’empereur rĂ©alisa que si la ville pouvait rĂ©sister Ă  un blocus sans grande vigueur, ses forces Ă©taient insuffisantes pour garder l’ensemble des fortifications. Au dĂ©but, la situation n’était pas dĂ©sastreuse, une contre-offensive se dessinant Ă  l’Ouest sous forme d’une croisade (qui devait ĂȘtre aussi la derniĂšre) conduite par Sigismond de Hongrie qui s’inquiĂ©tait de l’avancĂ©e des Ottomans en Europe. Il avait l’appui des Français qui, eux, dĂ©siraient pousser jusqu’en Terre Sainte. Trop impulsifs les chevaliers français subirent dĂ©faite aprĂšs dĂ©faite. Cette mini-croisade, qui fut l’occasion des premiers contacts entre la France et la Porte, se termina par la bataille de Nicopolis lors de laquelle Bajazet conduisit ses armĂ©es Ă  marche forcĂ©e vers une victoire triomphale mais couteuse oĂč des milliers de soldats perdirent la vie. Elle devait cependant permettre Ă  Bajazet de tourner toute son attention vers Constantinople[54].

Mehmed I Çelebi
Mehemed I Çelebi

Dans la capitale, la situation devenait dramatique si bien que Manuel dut se rĂ©soudre Ă  laisser Jean VII, son ennemi le plus implacable, responsable de Constantinople pendant qu’il entreprenait en 1399 une tournĂ©e des capitales europĂ©ennes qui le conduisit Ă  Venise, Padoue, Milan, Paris et Londres. Partout, il fut reçu avec les plus grands Ă©gards; mais la plupart des EuropĂ©ens Ă©tant occupĂ©s par des problĂšmes internes, nulle part il ne reçut d’aide concrĂšte[55].

Ironie du sort, ce devait ĂȘtre l’Asie islamique qui devait venir au secours de Constantinople. Tamerlan, le khan des Mongols, ambitionnant de reprendre l’Ɠuvre de Gengis Khan, envahit l’Anatolie et dĂ©fit Bajazet et son armĂ©e Ă©puisĂ©e en 1402 prĂšs d’ Ankara. Cette dĂ©faite sema la panique chez les Turcs d’Anatolie qui commencĂšrent Ă  s’exiler en Europe grĂące Ă  des navires byzantins nolisĂ©s Ă  cette fin[56].

Revenant d’Europe en 1403, Manuel arriva devant sa capitale libĂ©rĂ©e du siĂšge ottoman. FidĂšle Ă  la parole donnĂ©e, Jean VII remit la capitale entre les mains de Manuel et alla mĂȘme reprendre Thessalonique des mains des Ottomans[57].

L’interrùgne ottoman (1402-1413)

Cette dĂ©faite des Ottomans permit de faire renaitre Ă  Constantinople un optimisme prudent[58]. Le rĂ©sultat Ă©tait en effet Ă©tonnant si l’on considĂšre que peu de temps auparavant l’empire Ă©tait au bord du gouffre. L’activitĂ© de Jean VII semblait s’avĂ©rer positive sous plusieurs rapports. Le premier fut que les puissances chrĂ©tiennes de la rĂ©gion, Ă  nouveau libres du joug ottoman, conclurent un traitĂ© de non-agression, ce qui signifiait que les dĂ©sastres subis durant la derniĂšre pĂ©riode du rĂšgne d’Andronic III ne se rĂ©pĂ©teraient plus. Vint ensuite un traitĂ© entre Byzance et le successeur de Bajazet, Soliman, alors que celui-ci Ă©tait encore en Asie. Ce traitĂ© confirmait que Byzance n’aurait plus Ă  payer de tribut. L’empire y gagna aussi le Mont Athos et la cĂŽte de la mer Noire, de Constantinople Ă  Varna. Enfin, un certain nombre d’iles de la mer ÉgĂ©e passĂšrent sous domination byzantine. Leur importance ne doit pas ĂȘtre sous-estimĂ©e, car elles serviront de refuge Ă  tous ceux qui tenteront d’échapper dans l’avenir Ă  l’expansion ottomane, ne serait-ce que temporairement[59].

les Balkans et l'Anatolie en 1410
les Balkans et l'Anatolie en 1410

À sa mort, Bajazet laissait quatre fils qui commencĂšrent presque immĂ©diatement Ă  se battre entre eux pour rĂ©colter les bribes de l’État ottoman disloquĂ© par les victoires de Tamerlan. Peu Ă  peu, Mehmed parvint Ă  se dĂ©barrasser de ses frĂšres tout en refaisant l’unitĂ© de l’empire. En 1413, Mehmed Ier, qui avait pris en 1407 le titre de sultan, Ă©tait dĂ©jĂ  assurĂ© de la victoire. L’un de ses frĂšres, MĂ»sĂą. ayant tentĂ© de s’emparer de Salonique, de Selymbria et de Constantinople, les Byzantins se rangĂšrent du cĂŽtĂ© de Mehmed Ier, lequel aprĂšs sa victoire leur montra sa reconnaissance en empĂȘchant ses sujets turcs d’agrandir leurs territoires aux dĂ©pens de l’empire[60].

La reprise des hostilités

Manuel II PalĂ©ologue atteignit ses soixante-dix ans en 1421. Il dĂ©cida alors de se retirer en faveur de son fils ainĂ©, Jean VIII PalĂ©ologue, qui n’avait pas Ă  l’endroit des Turcs la mĂȘme retenue prudente que son pĂšre. En mai de la mĂȘme annĂ©e, Murad II montait sur le trĂŽne ottoman. Mehmed mourant avait souhaitĂ© voir deux de ses fils, YĂ»suf et MahmĂ»d, confiĂ©s aux bons soins de Manuel II. Toutefois le grand vizir qui avait dĂ©jĂ  la garde des deux garçons refusa de les remettre aux Grecs, refus que ceux-ci considĂ©rĂšrent comme un casus belli[61].

Les Byzantins lancĂšrent la premiĂšre salve lorsque Jean VIII et ses conseillers dĂ©cidĂšrent de fomenter une rĂ©volte au sein de l’empire ottoman. En aout 1421, ils prirent le parti d’un certain Mustapha qui prĂ©tendait ĂȘtre le fils de Bajazet. Cette sĂ©dition connut un certain succĂšs en Europe et Mustapha parvint Ă  se gagner quelques partisans. Mais elle fut rĂ©primĂ©e en 1422 et Mustapha exĂ©cutĂ©. Murad II en profita pour se venger des Byzantins en faisant mettre le siĂšge devant Constantinople et Thessalonique, cette derniĂšre devant tomber en 1430. Toutefois, Murad II ne put s’emparer de Constantinople par la force. Cependant la situation Ă©tait suffisamment dĂ©sastreuse pour que Manuel II sorte de sa retraite et fomente une autre rĂ©bellion, cette fois en Asie mineure, conduite par le frĂšre de Murad, KĂŒĂ§ĂŒk Mustafa. Les premiers succĂšs des rebelles et le siĂšge de Brusa (aujourd’hui Bursa) forcĂšrent Murad Ă  lever le siĂšge de Constantinople pour se concentrer sur la rĂ©volte qu’il rĂ©ussit Ă  terrasser au grand dĂ©sespoir des Byzantins[62].

Manuel II Ă©tait Ă  bout de stratagĂšme pour remĂ©dier aux erreurs de son fils. Si Constantinople pouvait jouir d’une paix et d’une sĂ©curitĂ© relatives, le reste de ses possessions en Europe Ă©tait menacĂ© de tous les cĂŽtĂ©s. En septembre 1423, il abandonna Thessalonique aux VĂ©nitiens, espĂ©rant, sinon amener l’Occident Ă  envisager une nouvelle croisade, Ă  tout le moins assurer une meilleure dĂ©fense de la ville grĂące aux subsides vĂ©nitiens. En fĂ©vrier 1424, Manuel II dut se rĂ©soudre Ă  rĂ©tablir le vasselage et Ă  payer un tribut de 300 000 piĂšces d’argent au sultan ottoman. Pour sa part, Murad II, surtout occupĂ© Ă  consolider son propre empire face aux Karamanides et aux Valaques, ne fit aucun effort sĂ©rieux pour prendre Constantinople qui put jouir d’une paix prĂ©caire pendant les deux dĂ©cennies qui suivirent[63].

Jean VIII Paléologue, seul souverain

Jean VIII Paléologue
Jean VII Paléologue, d'aprÚs une médaille de Pisanello (1395-1455)

Les gains de Manuel II furent bientĂŽt perdus et l’empire revint au statu quo ante de 1391. Jean VIII crut comme ses prĂ©dĂ©cesseurs que la papautĂ© viendrait Ă  son secours. Mais le pape EugĂšne IV, qui avait eu la main haute au Concile de BĂąle, n’avait qu’un but, l’assujettissement de l’Église orientale, pendant que les Ottomans cherchaient Ă  s’emparer de ce qui restait du malheureux empire[64].

L’union avec Rome

En fait, Rome possĂ©dait tous les atouts. À titre de chef de facto de l’Église orthodoxe, Jean VIII ordonna Ă  celle-ci d’accepter la suprĂ©matie du pontife romain et proclama que la querelle du Filioque n’en Ă©tait une que de sĂ©mantique. L’Union fut donc proclamĂ©e entre 1438 et 1439 lors du concile de Ferrare qui devint le concile de Florence lorsqu’une Ă©pidĂ©mie de peste força le transfert des travaux d’une ville Ă  l’autre.

L’Église byzantine y fut humiliĂ©e mĂȘme si Jean VIII reçut la promesse qu’une croisade serait organisĂ©e l’annĂ©e suivante. En fait, le principal rĂ©sultat fut d’augmenter le ressentiment de la population face au gouvernement impĂ©rial[65].

La déroute finale : Varna et Koƥovo

Vers la fin des annĂ©es 1440, les Ottomans Ă©prouvĂšrent une certaine difficultĂ© Ă  maintenir la paix chez leurs vassaux des Balkans. La Hongrie lança une sĂ©rie d’attaques victorieuses contre les Turcs en Serbie : le roi de Hongrie Vladislav III, le voĂŻvode de Transylvanie JanoĆĄ Corvinus Hunyadi, le despote serbe Georges Brankovič et le chef de la rĂ©sistance albanaise, George Kastriotes, dit Scanderbeg, unirent leurs forces pour se rĂ©volter contre leurs anciens maĂźtres. Ce devait ĂȘtre pratiquement la derniĂšre « croisade » unifiĂ©e du monde chrĂ©tien occidental. AprĂšs avoir signĂ© un armistice en juin 1444 qui devait durer dix ans, les Hongrois reprirent l’offensive cinq mois plus tard en compagnie des Transylvaniens et des Valaques conduits par Vlad II Drakul. La bataille de Varna en 1444 qui vit la dĂ©route complĂšte de l’armĂ©e chrĂ©tienne et celle, plus grave encore de Kosovo en 1448 laissaient ainsi les Balkans en proie Ă  la vengeance des Ottomans[66].

Jean VIII mourut en 1448 aprĂšs un rĂšgne d’une vingtaine d’annĂ©es. Sa principale rĂ©alisation rĂ©sidait dans la survie de l’empire, survie qui ne tenait toutefois qu’à un fil. Une armĂ©e insuffisante pour assurer la dĂ©fense du territoire, une Ă©conomie en ruines aprĂšs des annĂ©es de guerre, une capitale dĂ©peuplĂ©e et un territoire trop peu Ă©tendu pour permettre un rĂ©tablissement Ă©conomique, tous ces facteurs rendaient la situation intenable. Son seul espoir avait rĂ©sidĂ© dans une aide de l’Occident, mais mĂȘme celui-ci s’évanouit aprĂšs les batailles de Varna et de KoĆĄovo. Dans l’esprit des Occidentaux, la conquĂȘte de l’empire byzantin par les Ottomans Ă©tait un fait accompli et la Hongrie constituerait dĂ©sormais la frontiĂšre de la chrĂ©tientĂ©[67].

Jean VIII n’ayant pas d’enfant, ses frĂšres ThĂ©odore et Andronic Ă©tant morts avant lui, le trĂŽne revient Ă  son autre frĂšre, Constantin XI, le dernier souverain grec de Byzance[68].

Constantin XI Paléologue, dernier empereur


L'entrée de Mehmet II à Constantinople le 29 mai 1453 peinte par Jean-Joseph Benjamin-Constant en 1876.

Constantin XI, surnommĂ© DragaĆĄ du nom de sa mĂšre serbe est appelĂ© Constantin XII par ceux qui affirment que Constantin Laskaris aurait Ă©tĂ© couronnĂ© en avril 1204 lors de la chute de Constantinople aux mains des croisĂ©s[69]. Il ne dut son trĂŽne qu’à la fermetĂ© de sa mĂšre qui, alors que son frĂšre DĂ©mĂ©trios s’était prĂ©cipitĂ© Ă  Constantinople pour rĂ©clamer la couronne impĂ©riale, envoya une dĂ©lĂ©gation auprĂšs du sultan Murad pour le faire reconnaĂźtre comme empereur lĂ©gitime. C’est donc Ă  Mistra et non Ă  Constantinople qu’il fut proclamĂ© empereur en janvier 1449, tout comme le fondateur de la dynastie l’avait Ă©tĂ© Ă  NicĂ©e. Il n’y eut toutefois pas de couronnement. Une telle cĂ©rĂ©monie ne pouvait ĂȘtre prĂ©sidĂ©e que par le patriarche de Constantinople et bien que Constantin se fĂ»t affichĂ© comme catholique romain, le couronnement par un patriarche unioniste n’aurait fait que raviver l’hostilitĂ© de la population[70].

Le défi, la défense, la chute

Mehmed II
Portrait de Mehmed II par l'artiste vénitien Gentile Bellini

Constantin XI continua la politique agressive de son pĂšre et de ses frĂšres contre les Ottomans et leur vassal, le duchĂ© d’AthĂšnes. Lorsque Mehmed II (ou Mahomet II) succĂ©da Ă  son pĂšre, il commença par renouveler le traitĂ© de paix conclu entre son pĂšre et le dĂ©funt Jean VII. Quelques mois plus tard, Constantin, Ă  court de fonds, exigea que le sultan double les subsides annuels de 20 000 hyperpĂšres que les Byzantins recevaient pour garder en otage un prĂ©tendant possible, Ohran, petit-fils de Suleyman. Mehmed y rĂ©pondit en faisant Ă©riger la forteresse de Rumeli HisarĂŻ du cĂŽtĂ© europĂ©en du Bosphore pour mieux contrĂŽler la circulation maritime dans le dĂ©troit[71].

Puis, il mit sur pied une immense armĂ©e pour mettre le siĂšge devant les murailles de Constantinople; certaines sources mentionnent 80 000 soldats alors que d’autres avancent le chiffre de 100 000, voire de 200 000 si l’on inclut l’intendance[72]. Un trait de l’armĂ©e ottomane Ă©tait l’excellence de son artillerie Ă  quoi s'ajoutait un canon gĂ©ant, conçu par un ingĂ©nieur hongrois du nom de Orban et rĂ©alisĂ© spĂ©cialement pour l'occasion[73]. Constantin ayant refusĂ© les termes offerts par le sultan pour la reddition de la ville, le siĂšge dĂ©buta le 2 avril 1453 ; le canon gĂ©ant entra en opĂ©ration le 6 avril. La puissance des fortifications permit de soutenir le siĂšge pendant quelque temps en dĂ©pit du nombre dĂ©risoire de dĂ©fenseurs. Une brĂšche fut finalement percĂ©e le 29 mai par laquelle les Ottomans entrĂšrent dans la ville. Constantin XI tenta de rĂ©sister en faisant une sortie pendant laquelle il perdit la vie. Son corps ne fut jamais retrouvĂ©, probablement enterrĂ© dans une fosse commune[74].

Conclusion sur ce rĂšgne

La briĂšvetĂ© de ce rĂšgne rend difficile de porter un jugement dĂ©finitif. Constantin s’est montrĂ© un despote habile pendant qu’il dirigeait la MorĂ©e; par ailleurs la chute de Constantinople Ă©tait devenue inĂ©vitable quel que soit l’empereur qui ait occupĂ© le trĂŽne Ă  ce moment. On garde de Constantin l’image d’un empereur qui aura dĂ©fendu la ville coĂ»te que coĂ»te et sa mort au combat lui aura permis d’entrer dans la lĂ©gende. Bien qu’unioniste, il est considĂ©rĂ© comme un saint par de nombreux orthodoxes[75].

La renaissance intellectuelle

Esquisses de Jean VIII durant sa visite au concile de Ferrare-Florence.

En dĂ©pit du chaos politique et Ă©conomique qui Ă©branla l’empire sous les PalĂ©ologue, la culture et les arts y connurent un important renouveau. Cette « renaissance » commença dĂšs le XIIe siĂšcle Ă  la cour de NicĂ©e sous l’influence de NicĂ©phore Blemmydes. NĂ© en 1197, cet esprit universel commença par Ă©tudier la philosophie et la mĂ©decine Ă  Smyrne puis se dirigea vers la Bithynie oĂč il Ă©tudia les mathĂ©matiques et l’astronomie, pour se fixer Ă  NicĂ©e oĂč il Ă©tudia la thĂ©ologie. En plus de rassembler une Ă©norme quantitĂ© de manuscrits grecs il Ă©crivit de nombreux traitĂ©s sur la logique, la physique, la gĂ©ographie ainsi qu’un traitĂ© complet sur la sainte TrinitĂ©[76]. Cette poursuite de l’érudition qui mĂȘlait philosophie et science (que l’on appelait prises conjointement « le savoir extĂ©rieur ») devait s’accentuer avec les annĂ©es dans les cercles d’Église ou autour des monastĂšres oĂč l’on Ă©tudiait la thĂ©ologie ou « le savoir intĂ©rieur ».

Lorsqu’aux environs du XIVe siĂšcle l’empire entra dans une phase de dĂ©cadence Ă©conomique et militaire, l’importance des arts et des lettres dĂ©crut. À la faveur des nouveaux courants d’échanges qui s’étaient crĂ©Ă©s grĂące Ă  l’expansion maritime de GĂȘnes et de Venise, des intellectuels insatisfaits des connaissances sclĂ©rosĂ©es du Moyen Âge visitĂšrent Constantinople et les autres grandes villes d’Orient. Si bien qu’à leur tour, enseignants et artistes byzantins commencĂšrent Ă  regarder du cĂŽtĂ© de l’Occident. C’est ainsi que pendant le long concile de Ferrare-Florence, PlĂ©thon donna de nombreux cours sur Platon devant des auditoires fascinĂ©s[77]. Des invitations permirent aux intellectuels byzantins de faire revivre en Occident l’hĂ©ritage grĂ©co-romain, ce qui devait favoriser l’avĂšnement de la Renaissance italienne. En dĂ©pit du fait que l’immigration vers l’Italie Ă©tait rendue moins attrayante par la nĂ©cessitĂ© d’adopter le catholicisme romain, nombreux furent les Byzantins qui se rendirent, au dĂ©but de façon temporaire, dans les colonies italiennes de CrĂšte et de Chypre, oĂč ils s’établirent lorsque le destin de l’empire leur parut inĂ©vitable. La chute de Constantinople provoqua une immigration massive de rĂ©fugiĂ©s grecs qui cherchaient Ă  Ă©chapper Ă  la domination turque vers l’Europe en passant par l’Italie[78].

La redécouverte des classiques

Nombreuses furent les maisons de Constantinople dĂ©truites lors des incendies qui marquĂšrent la chute de la ville aux mains des croisĂ©s. Un grand nombre d’Ɠuvres cĂ©lĂšbres disparurent ainsi et ne nous seraient pas connues sans le travail de personnages comme DĂ©mĂ©trios Triclinios, Manuel Moschopoulos, Thomas Magister et Maxime Planude. De nouvelles Ă©ditions de poĂštes comme HĂ©siode et Pindare firent leur apparition et leur systĂšme mĂ©trique reconstituĂ© de façon compĂ©tente. Ces personnages Ă©crivirent Ă©galement sur Scholia et Pindare, ressuscitĂšrent les tragĂ©dies de Sophocle et d’Euripide, la GĂ©ographie de PtolĂ©mĂ©e, les Dionysiaca de Nonne de Panaopolis, redĂ©couvrirent Plutarque et une anthologie des Ă©pigrammes grecs. Les livres assemblĂ©s par ThĂ©odore MĂ©tochitĂšs au monastĂšre de ChorĂ©e se retrouvent aujourd’hui dans les bibliothĂšques d’Istanbul, d’Oxford, du Vatican et de Paris[79].

En tout, c’est plus de 150 auteurs littĂ©raires que l’on peut recenser entre 1261 et 1453, tant laĂŻcs que clercs, originaires de Constantinople certes, mais aussi d’autres foyers de production comme NicĂ©e, Arta, Thessalonique, TrĂ©bizonde et Mistra. Cette production se rĂ©fĂ©rait non tant Ă  ce que nous considĂ©rons aujourd’hui comme les classiques, mais plutĂŽt Ă  des auteurs de l’AntiquitĂ© tardive comme Lucien, Aelius Aristides, Libanius et aux PĂšres de l’Église comme GrĂ©goire de Naziance et saint Basile[80].

Byzance grecque

L’empire byzantin s’était Ă©tendu au cours des siĂšcles depuis ce qui est aujourd’hui l’Iraq jusqu’à l’Espagne. Au fur et Ă  mesure que l’empire perdait ses anciennes colonies, son caractĂšre multiculturel s’amoindrissait. Si bien que vers la fin du XIIIe siĂšcle, l’empire ne consistait plus qu’en territoires associĂ©s depuis l’antiquitĂ© Ă  la GrĂšce. La culture grecque en vint ainsi Ă  dominer l’empire et les Ɠuvres de l’ùre classique comme celles de Sophocle et de ThĂ©ocrite furent mĂ©ticuleusement reproduites et annotĂ©es.

Prenant conscience de cet hĂ©ritage, les auteurs byzantins commencĂšrent Ă  utiliser Ă  partir du milieu du XIVe siĂšcle le terme d’ « hellĂšne » pour se dĂ©crire et dĂ©crire leur culture, terme qui jusque-lĂ  Ă©tait plus ou moins associĂ© Ă  « paĂŻen ». Peu aprĂšs, DĂ©mĂ©trius CydonĂšs utilisera le terme « Hellas » pour signifier « Byzance ». La renaissance que connut Byzance sous les PalĂ©ologues signifie donc essentiellement un retour aux sources grecques de ses traditions[81].

PlĂ©thon dĂ©veloppa pour sa part le concept d’une filiation entre les Byzantins et les Grecs de l’AntiquitĂ©. Mistra, capitale de la MorĂ©e et situĂ©e prĂšs de l’ancienne Sparte, lui permit d’évoquer une possible rĂ©surrection de l’hellĂ©nisme sur le sol hellĂ©nique. À partir des idĂ©es de Platon, il proposa Ă  l’empereur Manuel et Ă  son fils ThĂ©odore un vaste plan de rĂ©formes administratives, Ă©conomiques, sociales et militaires[82].

1300 : La science perse fait son apparition

Gémiste Pléton
Portrait de Gemiste Pléton par Benozzo Gozzoli. Palazzo Medici Riccardi à Firenze

Jusque-lĂ , les astronomes basaient leurs travaux sur les tables de PtolĂ©mĂ©e. Mais celles-ci s’avĂ©rĂšrent dĂ©ficientes lorsqu’on les compara Ă  l’astronomie arabe. Les tables perses furent donc de plus en plus utilisĂ©es, quelques fois de concert avec celles de PtolĂ©mĂ©e. L’acceptation de l’astronomie arabe fut toutefois rendue difficile dans la mentalitĂ© de l’époque par le fait qu’elle devait ĂȘtre traduite par des personnes de peu d’importance sociale, en l’occurrence les voyageurs qui venaient Ă  Constantinople Ă  partir de TrĂ©bizonde. Vers le milieu du XIVe siĂšcle toutefois, alors que Byzance Ă©tait ravagĂ©e par les troubles sociaux, les professionnels cessĂšrent d’utiliser les tables de PtolĂ©mĂ©e, les jugeant dĂ©passĂ©es, au profit des tables perses[83].

Les traductions se multipliĂšrent. Les travaux perses sur l’astrolabe furent traduits en grec dĂšs 1309. GrĂ©goire ChoniadĂšs fonda une universitĂ© Ă  TrĂ©bizonde pour l’étude de l’astronomie. Ses nombreux travaux sont basĂ©s sur ceux des Perses et des Arabes dont il Ă©tudia la langue. Cela lui permit de superviser la traduction de plusieurs traitĂ©s orientaux par le moine Manuel et son Ă©lĂšve Georges Chrysococces. La synthĂšse de ces travaux fut ensuite rĂ©digĂ©e Ă  Constantinople par ThĂ©odore de MĂ©litĂšne, professeur Ă  l’AcadĂ©mie patriarcale et les Trois Livres d’Astronomie constitueront pendant des siĂšcles la somme de tout ce que l’on connaissait alors dans ce domaine[84].

Tous les penseurs n’étaient pas nĂ©cessairement bienvenus Ă  Byzance, notamment ceux qui embrassaient des convictions contraires Ă  « la seule vraie religion » telle que l’entendaient les Byzantins. Ce fut le cas, par exemple, de Georges Gemistus, surnommĂ© PlĂ©thon, dont les travaux sur l’astronomie quantitative utilisant des tables hĂ©braĂŻques et perses furent Ă©clipsĂ©s par les croyances paĂŻennes auxquelles il adhĂ©ra dans sa vieillesse. Il se proclama partisan des « sept hommes sages », du message de Zoroastre et du Fatalisme. Par consĂ©quent son travail sur le PanthĂ©on grec modifiĂ©, Les Lois, fut brĂ»lĂ© par le patriarche de Constantinople et ses cendres reposent maintenant dans ce que l’on considĂšre comme le plus paĂŻen des temples de la Renaissance, le Tempio Malatestiano, Ă©glise cathĂ©drale de Rimini[85].

Certains allĂšrent jusqu’à suggĂ©rer que Byzance ne serait pas Ă©ternelle, un dogme fondamental pour tout adhĂ©rent de l’Église orthodoxe d’alors. Conscient du dĂ©clin de l’empire, ThĂ©odore MĂ©tochitĂšs qui fut le premier ministre d’Andronic II, ne considĂ©rait pas la civilisation byzantine comme supĂ©rieure aux autres estimant que Byzance Ă©tait une civilisation qui, comme tout organisme vivant, devait naitre, grandir, parvenir Ă  son apogĂ©e et mourir[86]

La peinture

église de la Chorée
Église du monastĂšre de ChorĂ©e Ă  Constantinople, cĂ©lĂšbre par sa bibliothĂšque

L’ùre des PalĂ©ologues vit Ă©galement se dĂ©velopper un style de peinture religieuse qui n’est pas sans rappeler certains primitifs italiens comme Pietro Cavallini, Cimabue et Duccio. ParticuliĂšrement dans les fresques et mosaĂŻques dĂ©corant les Ă©glises, on retrouve une Ă©cole qui semble s’inspirer des manuscrits enluminĂ©s du Xe siĂšcle laquelle, partant de Constantinople, essaimera dans l’ensemble du monde orthodoxe des Balkans[87].

L’architecture

Contrairement Ă  la peinture ou Ă  la littĂ©rature, l’architecture ne connut pas de vĂ©ritable renouveau. Elle continua simplement les traditions architecturales de la pĂ©riode ayant prĂ©cĂ©dĂ© l’empire latin sans emprunter, comme les autres disciplines, Ă  l’histoire antique qu’elle soit grecque ou romaine. Les classes aisĂ©es s’employĂšrent Ă  construire des palais ou des monastĂšres qui appartiendront Ă  leurs familles. Cette architecture se distingue surtout par l’importance donnĂ©e aux tombeaux somptueux figurant dans des chapelles spĂ©cialement amĂ©nagĂ©es dans les Ă©glises pour illustrer la noblesse de ces familles ou leurs liens avec des familles nobles comme les PalĂ©ologue, les Doukai ou les CantacuzĂšne[88]. ThĂ©odore MĂ©tochitĂšs fut l’un des grands mĂ©cĂšnes de l’époque et fit restaurer entre autres le monastĂšre de Kariye Camii, ou Saint-Sauveur-en Chora. Si, en dĂ©pit des sommes dĂ©pensĂ©es, l’architecture demeure conventionnelle, les fresques qui la dĂ©corent comme « Le Christ libĂ©rant les Ăąmes des enfers » sont d’une grande puissance dramatique[89].

Le mécénat

Les philosophes tout comme les peintres ou les Ă©crivains devaient subvenir Ă  leurs besoins. Contrairement aux agriculteurs et aux marchands qui pouvaient vivre du fruit de leurs travaux, les philosophes vivaient du mĂ©cĂ©nat. La source la plus importante Ă©tait la cour impĂ©riale du moins avant les guerres civiles destructrices qui caractĂ©risĂšrent les rĂšgnes d’Andronic III et de son fils Jean. Mais ils pouvaient aussi compter sur de plus petites cours, sur les classes aisĂ©es et sinon sur l’Église, du moins sur certains membres influents du clergĂ©. Évidemment, seuls les Ă©vĂȘques disposaient de fonds suffisants[90]. Mais Ă  mesure que l’empire sombrait dans le chaos, la dĂ©fense des frontiĂšres monopolisa toutes les ressources si bien que l’étude des sciences et des mathĂ©matiques ne fut bientĂŽt plus une prioritĂ© pour ceux dont les terres Ă©taient saisies ou faisaient l’objet de raids. Cette disparition du mĂ©cĂ©nat fut une des causes qui forcĂšrent de nombreux intellectuels Ă  s’exiler. Certains peintres d’églises comme ThĂ©odore le Grec partirent pour Moscou; d’autres se dirigĂšrent vers la CrĂȘte qui demeurera un des grands centres de la peinture byzantine jusqu’à la chute de Constantinople. D’autres enfin s’établirent Ă  Venise oĂč plus d’une centaine de peintres de renom produisirent surtout des icĂŽnes destinĂ©es Ă  satisfaire le gout de leurs clients (les icones de style oriental Ă©tait vendues Ă  Constantinople, celle de tradition mĂ©diĂ©vale en Occident)[91].

Conclusion

murailles de Constantinople
Les murailles de Constantinople qui pendant des siÚcles résistÚrent aux envahisseurs

À quelques exceptions prĂšs, les contemporains croyaient Ă  la nature immuable de l’empire byzantin. Fin 1444, soit neuf ans seulement avant la chute finale, on avait encore bon espoir que les Turcs seraient chassĂ©s d’Europe. Certains Byzantins croyaient encore en la possibilitĂ© d’une nouvelle croisade qui, comme les premiĂšres, dĂ©ferlerait Ă  travers l’Asie mineure et permettrait Ă  Byzance de reconquĂ©rir ce qui avait Ă©tĂ© le cƓur de l’empire. Mais l’empire byzantin ne pouvait suffire par lui-mĂȘme Ă  la tĂąche et toute aide de l’Ouest devant passer par la papautĂ© Ă©tait assujettie d’une exigence de soumission Ă  la volontĂ© de l’évĂȘque de Rome. Certains empereurs comme Michel VIII furent prĂȘts Ă  troquer leur libertĂ© religieuse contre une telle assistance militaire, mais tel n’était pas le sentiment gĂ©nĂ©ral de la population qui resta toujours fidĂšle Ă  la tradition orthodoxe.

La cause immĂ©diate de la chute de Constantinople rĂ©side dans le nombre d’ennemis qui combinĂšrent leurs forces contre Byzance au cours des XIVe et XVe siĂšcles et achevĂšrent de dĂ©pecer l’empire. Chaque dĂ©cennie qui passait voyait disparaitre d’anciens territoires si bien que les ressources en vinrent Ă  manquer pour arrĂȘter leur avance. Certes, l’empire avait dĂ» faire face Ă  de semblables difficultĂ©s dans le passĂ©. Au VIIIe siĂšcle, une grande partie de l’empire avait Ă©tĂ© occupĂ©e par les Avars et les Arabes. Mais Ă  la fin du XIVe siĂšcle, l’empire ne pouvait plus compter sur les territoires d’Asie mineure pour servir de base de redressement. Les nombreuses attaques venant du nord (serbes et bulgares) ou de l’est (les Ottomans) Ă©chouĂšrent, alors que le manque de territoires, de revenus et de ressources humaines affaiblissait chaque jour l’armĂ©e byzantine et la rendait obsolĂšte.

Cependant, les problĂšmes les plus sĂ©rieux venaient de l’intĂ©rieur. Le systĂšme politique Ă©tait basĂ© sur la personne d’un empereur, sorte de demi-dieu, qui exerçait tous les pouvoirs. Cette structure ne rĂ©pondait plus aux rĂ©alitĂ©s du temps, alors que les guerres civiles affaiblissaient l’empire de l’intĂ©rieur et en faisaient une proie facile pour l’étranger. De plus, l’armĂ©e avait perdu sa cohĂ©sion aprĂšs la fin du systĂšme des thĂšmes qui avait garanti la sĂ©curitĂ© de l’empire du XIe au XIIIe siĂšcle. Les frontiĂšres Ă©taient devenues indĂ©fendables.

Cette descente aux enfers devait avoir un aboutissement logique. À la fin du XIVe siĂšcle, la situation Ă©tait si dĂ©sastreuse que Byzance dut renoncer Ă  son indĂ©pendance politique. Au milieu du XVe siĂšcle, la restauration de l’indĂ©pendance politique et religieuse de Byzance n’était simplement plus possible.

Notes et références

Note

Références

  1. Mango (2002), p. 255.
  2. Treadgold, p. 814.
  3. Mantran, pp. 18-19.
  4. Treadgold, p. 814-816.
  5. Treadgold, pp. 827-837.
  6. Mango (2002), p. 254; Treadgold, pp. 710-716.
  7. Treadgold, pp. 723-730.
  8. Ostrogorsky, p. 452.
  9. Ostrogorsky, p. 471.
  10. Treadgold, pp. 733-734.
  11. En thĂ©orie l’aveuglement d’un souverain, presque toujours assorti de la relĂ©gation dans un monasĂšre, sanctionnait une dĂ©faite ou une erreur de jugement majeure, ce qui n’était pas le cas du jeune Jean IV : Alain Ducellier, Le Drame de Byzance : idĂ©al et Ă©chec d'une sociĂ©tĂ© chrĂ©tienne, Hachette LittĂ©rature, collection Pluriel, 1998. (ISBN 978-2012788480) (Critique de la Revue des Ă©tudes byzantines).
  12. Treadgold, pp. 737 et 739.
  13. Mango (2002), pp. 256-257; Bréhier, p. 321.
  14. Mantran, p. 18.
  15. Treadgold, pp. 739-741
  16. Treadgold, pp. 744-745.
  17. Mantran, p. 19 ; Treadgold, p. 745
  18. Bréhier, pp. 321-322; Ostrogorsky, pp. 503-506.
  19. Treadgold, p. 740-741.
  20. Kazhdan, p. 1367.
  21. Mango, p. 260.
  22. Mantran, pp. 19-20.
  23. Treadgold, pp. 750-751.
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  25. Treadgold, pp. 754-759; Mango (2002), p. 262.
  26. Treadgold, p. 760; Nicol, p. 192.
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  61. Mantran, p. 67; Nicol, p. 356.
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  90. Mango (2002), p. 291-293.
  91. Mango (2002), p. 305.

Bibliographie

On consultera avec profit la bibliographie exhaustive contenue dans chaque volume de la trilogie Le monde byzantin (Coll. Nouvelle Clio, Presses universitaires de France) rĂ©partie pour chacune des pĂ©riodes Ă©tudiĂ©es (vol. 1 – L’Empire romain d’Orient [330-641]; vol. 2 – L’empire byzantin [641-1204]; vol. 3 – L’empire grec et ses voisins [XIIIe-XVe siĂšcle] entre Instruments bibliographiques gĂ©nĂ©raux, ÉvĂšnements, Institutions (empereur, religion, etc.) et RĂ©gions (Asie Mineure, Égypte byzantine, etc.). Faisant le point de la recherche jusqu’en 2010, elle comprend de nombreuses rĂ©fĂ©rences Ă  des sites en ligne.

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