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Diplomatie byzantine

La diplomatie byzantine, beaucoup plus que la force de ses armĂ©es, explique, en bonne partie, la survie millĂ©naire de l’empire face aux nombreux ennemis qui l’entouraient ou s’apprĂȘtaient Ă  envahir ses frontiĂšres ; elle se basait sur un judicieux mĂ©lange de pression militaire, d’intelligence politique, de corruption et de propagande religieuse.

Visite d’Olga, mùre du roi Sviatoslav à Constantinople (Chronique de Jean Skylitzùs).

Elle recueillait d’abord soigneusement toutes les informations sur les peuples qui l’entouraient ou se disposaient Ă  envahir ses frontiĂšres provenant de ses Ă©missaires, de ses militaires, de ses marchands et de ses missionnaires. Au sein de la bureaucratie de Constantinople, le « bureau des barbares » recueillait soigneusement les notes et informations sur les peuples Ă©trangers, dĂ©signĂ©s (sauf pour les Perses et les Arabes qui jouissaient d’un statut supĂ©rieur) du terme "Ï„ÎŹ έΞΜη", l’équivalent de l’ancien romain « gentes » ou « ces peuples (avec une nuance de mĂ©pris) »[1] - [2]. C’étaient, aux VIe siĂšcle et VIIe siĂšcle les peuples germaniques (Vandales, Wisigoths, Ostrogoths, Lombards et Francs) et slaves ou ouralo-altaĂŻques (Croates, Serbes, Bulgares, Huns et Avars) ainsi que les Perses et plus tard les Arabes ; au Xe siĂšcle ce furent les Khazars, PetchĂ©nĂšgues, Hongrois (appelĂ©s Turcs par les Byzantins). S’y ajoutĂšrent progressivement des États en voie de se constituer, comme les Royaumes Francs puis l'Empire Carolingien (la Francie), qui deviendra le Saint-Empire romain et le Royaume de France, les autres principautĂ©s europĂ©ennes de MĂ©diterranĂ©e, surtout les États italiens (Venise, Pise, Amalfi, GĂȘnes)[3]. À la fin du XIIIe siĂšcle et au dĂ©but du XIVe siĂšcle, elle inclura Ă©galement une alliance avec l’Empire mongol[4].

Sauf sous quelques empereurs, elle prĂ©fĂ©ra Ă©viter les conflits militaires et, privilĂ©giant la voie diplomatique, dĂ©veloppera divers moyens lĂ©gaux, culturels et commerciaux qui lui permettront de tisser un rĂ©seau d’États alliĂ©s oĂč chaque peuple trouvait sa place dans un monde oĂč, conformĂ©ment Ă  la vision byzantine du monde, ceux-ci gravitaient autour d’un empereur qui avait pour mission de diriger « le monde habitĂ© » ou « oikoumĂšne », reflet de l’ordre que Dieu faisait rĂ©gner dans les cieux, vision du monde que Dimitri Obolensky appellera « Le Commonwealth byzantin ».

Principes et méthodes de la diplomatie byzantine

L’empire byzantin vers 600

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On ne pourrait comprendre les principes directeurs et les mĂ©thodes employĂ©es par la diplomatie byzantine, sans se rappeler d’abord la conception du monde qui Ă©tait la sienne. Pour les Byzantins, l’organisation politique du monde (l’oikoumĂšne) devait reproduire sur terre l’harmonieuse organisation cĂ©leste. Elle Ă©tait par consĂ©quent partie du plan de Dieu et devait aider au salut des hommes en attendant la seconde venue du Christ lorsque le monde matĂ©riel disparaitrait pour faire place au monde spirituel. D’oĂč Ă©galement l’union trĂšs intime existant entre État et Église[5]. C’est ainsi que Constantin VII PorphyrogĂ©nĂšte, prodiguant ses conseils Ă  son fils, Ă©crira dans son livre sur l’administration de l’empire : « De la sorte, puisse le pouvoir impĂ©rial s’exerçant avec ordre et mesure, reproduire le mouvement harmonieux que le CrĂ©ateur donne Ă  tout cet Univers et [l’Empire] apparaitre Ă  nos sujets plus majestueux et, par lĂ  mĂȘme, plus agrĂ©able et plus admirable[6]".

En dĂ©coulaient trois principes fondamentaux sur lesquels s’appuyait la politique Ă©trangĂšre de l’Empire.

Les principes de la diplomatie byzantine

1. L’universalisme et le juridisme. Ces deux principes Ă©taient essentiellement un legs de l’ancienne Rome. Pour les Byzantins, comme l’écrira Agathias au IVe siĂšcle, leur empire embrassait, du moins en thĂ©orie, l’ensemble de l’univers civilisĂ© ou oikoumĂšne dont l’empereur Ă©tait le seul souverain lĂ©gitime, rĂȘve qu’avaient tentĂ© de rĂ©aliser Auguste et ses successeurs immĂ©diats, rĂȘve que reprendra Justinien quelques siĂšcles plus tard[7].

Cet univers constituait un rĂ©seau (Dimitri Obolensky utilisera pour le dĂ©crire le terme de « Commonwealth ») d’États subordonnĂ©s oĂč chaque nation avait sa place dans une hiĂ©rarchie qui tenait compte de l’excellence de sa culture, du degrĂ© d’indĂ©pendance politique dont jouissait son prince, des ressources militaires dont disposait celui-ci et des services que cette nation pouvait rendre Ă  l’empire[8].

Cherchant d’abord Ă  dĂ©fendre ses frontiĂšres, Byzance s’attachera les peuples voisins ou qui menaçaient celles-ci au moyen de traitĂ©s qui prenaient la forme d’un chrysobulle spĂ©cifiant les engagements des deux parties. Ces traitĂ©s rappelaient les alliances semblables conclues par les Romains avec les peuples barbares, lesquels devenaient des foederati ou alliĂ©s de Rome dont ils recevaient protection et qu'ils s’engageaient en contrepartie Ă  dĂ©fendre contre ses ennemis[9].

Ce genre de traitĂ© spĂ©cifiait toujours combien de soldats les nouveaux vassaux s’engageaient Ă  fournir Ă  l’empire : 6000 VarĂšgues en fonction du traitĂ© passĂ© entre Vladimir de Russie et Basile II en 987[10], 2000 Serbes pour les guerres d’Europe et 500 pour les guerres d’Asie au terme du traitĂ© passĂ© entre Manuel ComnĂšne et le joupan de Rascie en 1150[11]. Certains vassaux Ă©taient plus particuliĂšrement chargĂ©s de la garde des frontiĂšres de l’empire comme les chefs armĂ©niens Ă©tablis dans l’empire au XIe siĂšcle[12]. Ces contributions n’allaient toutefois pas sans contrepartie financiĂšre ; ainsi 700 Rus'[N 1] ayant participĂ© Ă  une expĂ©dition contre la CrĂšte furent payĂ©s 7200 nomismata[13]. De plus, l’empereur versait gĂ©nĂ©ralement Ă  son nouveau vassal une pension (roga) et des indemnitĂ©s annuelles.

2. La conviction de leur supĂ©rioritĂ© culturelle qui se traduisait par le terme de "barbares" qu'ils employaient pour dĂ©crire les autres peuples, hĂ©ritage de la culture grecque. Les termes utilisĂ©s dans les traitĂ©s trahissaient la supĂ©rioritĂ© dont se sentaient imbus les Byzantins. L’empereur Ă©tait dĂ©signĂ© comme le « pĂšre » de ces nations, sauf pour les Perses remplacĂ©s plus tard par les Arabes et dont les chefs Ă©taient qualifiĂ©s de « frĂšres », les deux empires se considĂ©rant comme les seuls civilisĂ©s face aux peuples barbares[14]. Son nom prĂ©cĂ©dait toujours celui du chef auquel il s’adressait (sauf dans le cas des Perses) et souvent il exigeait des États vassaux la ÎŽÎżÏ…Î»Î”ÎŻÎ± ou obĂ©issance propre aux esclaves (ÎŽÎżÏ…Î»ÎżÎč). En revanche, les chefs de ces peuples se voyaient confĂ©rer des titres empruntĂ©s Ă  la cour de Byzance, lesquels s’ils flattaient leur vanitĂ©, crĂ©aient un lien de dĂ©pendance en indiquant le rang que tiendrait ce peuple au sein de l’oikoumĂšne dirigĂ©e par l’empereur[15]. On se souviendra de la joie de Clovis de recevoir le titre de consul des mains d’Anastase Ier[16]. MĂȘme le doge de Venise Ă  un moment oĂč l’ancienne colonie s’était manifestement affranchie des liens de dĂ©pendance Ă  l’endroit de l’ancienne mĂ©tropole reçut le titre de protosĂ©baste, l’un des plus Ă©levĂ©s de la nouvelle nomenclature d’Alexis Ier aprĂšs la victoire navale des VĂ©nitiens sur les Normands en 1082[17]. De mĂȘme, Stefan Nemanja reçut le titre de sĂ©bastocrate, la seconde dignitĂ© de l’Empire alors qu’il cherchait Ă  Ă©tablir l’autonomie de la Serbie face Ă  Byzance[18]. Cet appĂąt fut Ă©galement utilisĂ© avec les croisĂ©s par le parallĂšle pouvant ĂȘtre fait avec le systĂšme fĂ©odal qui s’implantait en Europe, impliquant un lien de vassalitĂ© entre le seigneur et son suzerain ; c’est ainsi que BohĂ©mond fut fait sĂ©baste en 1108 aprĂšs la signature du traitĂ© de DĂ©abolis.

3. La conception judĂ©o-chrĂ©tienne d’un peuple choisi ayant pour mission de diffuser la vraie foi (ou orthodoxie) dans tout l’oikoumĂšne[19]. DĂšs lors la mĂ©thode la plus efficace de rattacher ces peuples Ă  l’empire Ă©tait l’envoi de missionnaires, non seulement en Europe de l’Est, mais Ă©galement en Asie et jusqu’en ExtrĂȘme-Orient oĂč cette mĂ©thode eut moins de succĂšs. Le pragmatisme byzantin qui permettait d’évangĂ©liser ces peuples et de cĂ©lĂ©brer la liturgie dans leur propre langue, alors que seul l’usage du grec, du latin et de l’hĂ©breu Ă©tait permis par les missionnaires francs, contribua pour beaucoup au succĂšs de l’entreprise chez les Slaves. L’Ɠuvre des frĂšres Cyrille et MĂ©thode, en dĂ©pit de son Ă©chec initial en Moravie, fut un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant dans la conversion de la Bulgarie, de la Russie et de la Serbie et de leur inclusion dans le Commonwealth byzantin par leur adhĂ©sion Ă  la foi orthodoxe[20]. C’est ainsi qu’alors mĂȘme que Constantinople Ă©tait Ă  toute extrĂ©mitĂ©, le patriarche Antoine rappellera au grand-prince russe Vasili dont les tendances autonomistes devenaient manifestes que de mĂȘme qu’il n’existait dans le monde qu’une seule Église, il n’y avait Ă©galement qu’un seul empereur qui Ă©tait celui de Constantinople et que si d’autres souverains s’étaient appropriĂ©s ce titre, c’était par simple usurpation[21].

Les méthodes de la diplomatie byzantine

Les méthodes pour parvenir à ces fins étaient également de trois ordres :

(1) Financier. Devant toujours faire face aux menaces d’invasions venant du sud et de l’est (Perses, Arabes, Turcs), du nord (Hun, Slaves, Bulgares, PetchenĂšgues) et mĂȘme de l’ouest (Normands, Saint Empire romain), les Byzantins considĂ©reront toujours prĂ©fĂ©rable d’utiliser la diplomatie Ă  la guerre, toujours ruineuse tant en termes financiers qu’en main d’Ɠuvre humaine.

Poursuite des guerriers de Sviatoslav par l'armée petchenÚgue (Chronique de Jean SkylitzÚs).

Les empereurs n’hĂ©siteront jamais Ă  verser des sommes considĂ©rables pour s’assurer de la loyautĂ© des États satellites. Ainsi, Constantin PorphyrogĂ©nĂšte s’adressant Ă  son fils, Ă©crivait au sujet des PetchenĂšgues : « Je pense donc qu’il est toujours prĂ©fĂ©rable pour l’empereur des Romains, d’ĂȘtre conduit Ă  maintenir la paix avec le peuple des PetchenĂšgues et Ă  conclure des conventions et des traitĂ©s d’amitiĂ© avec eux et de leur envoyer chaque annĂ©e un apocrisiaire (ambassadeur) avec des prĂ©sents dignes de ce peuple[22]. De mĂȘme, il lui recommandait de ne pas lĂ©siner sur les cadeaux afin d’utiliser les PetchenĂšgues contre les Russes et les Turcs[23].

Et mĂȘme lorsque des sommes durent ĂȘtre payĂ©es Ă  la suite d'une dĂ©faite militaire, devenant ainsi un tribut payĂ© Ă  l’adversaire par Constantinople, celles-ci seront dĂ©crites par la propagande impĂ©riale comme un dĂ©dommagement pour services rendus ou Ă  rendre Ă  l’Empire[24]. Ainsi Justin II dut payer 80 000 piĂšces d’argent aux Avars, alors que sa femme Sophie versa 45 000 solidi Ă  ChosroĂȘs Ier pour une trĂȘve d’une annĂ©e[25]. Son successeur, TibĂšre II Constantin (r. -) sera forcĂ© de payer 7 200 livres d’or annuellement pour le mĂȘme privilĂšge qu’il trouva moins couteux qu’une longue guerre.

La soie constitua Ă©galement un instrument diplomatique important. Par le traitĂ© de 924 conclu entre SimĂ©on de Bulgarie et Romain Ier LĂ©capĂšne (r. 920 - 944), les Byzantins s'engagaient Ă  donner tous les ans 1 000 tuniques de soie richement brodĂ©es Ă  la cour du roi bulgare, en Ă©change de quoi SimĂ©on acceptait de se retirer du territoire impĂ©rial.

(2) Culturel. Les Byzantins tenteront d’associer les peuples « barbares » Ă  l’Empire en flattant leur vanitĂ© par de riches prĂ©sents et l’offre de titres qui, tout en les associant Ă  la hiĂ©rarchie impĂ©riale, Ă©taient accompagnĂ©s d’un salaire annuel viager appelĂ© « roga », similaire Ă  celui versĂ© aux fonctionnaires byzantins.

Le trésor de la couronne royale exposée sous la coupole du Parlement à Budapest.

ParticuliĂšrement significatif Ă©tait l’envoi de couronnes Ă  divers souverains Ă©trangers lors de leur avĂšnement. Loin d’ĂȘtre simplement un geste de bonne volontĂ©, cet envoi (qui Ă©tait du reste Ă©galement le fait du pape ou d’autres souverains) impliquait la crĂ©ation d’un lien de dĂ©pendance au moins moral entre le donateur et le rĂ©cipiendaire. ParticuliĂšrement illustre est la « Sainte Couronne de Hongrie » envoyĂ©e par Michel VII Doukas au roi GĂ©za de Hongrie, lequel comme son prĂ©dĂ©cesseur AndrĂ© Ier faisait preuve de grandes sympathies byzantines. Sur l’un des panneaux au-dessus du bandeau on peut voir, sur le devant le portrait du Christ avec les archanges Gabriel et RaphaĂ«l. À l’arriĂšre au mĂȘme niveau que le portrait du Christ (au-dessus du bandeau), le buste de l’empereur Michel VII portant la couronne impĂ©riale ; sous lui (sur le bandeau), le coempereur Constantin et un autre personnage dĂ©signĂ© comme « GĂ©za, roi fidĂšle de Hongrie (Krales Tourkias) ». Mais alors que les reprĂ©sentations de l’empereur et du coempereur portent un nimbe de saintetĂ© et que leurs noms et titres sont inscrits en pourpre, couleur rĂ©servĂ©e Ă  l’empereur, celui de GĂ©za montre celui-ci le regard tournĂ© vers le coempereur, portant des vĂȘtements moins luxueux que les deux premiers et son titre est inscrit Ă  l’encre bleue. On ne peut voir meilleure illustration de la thĂ©orie byzantine de la hiĂ©rarchie des États et nations, gravitant en heureuse harmonie autour du monarque et autocrate universel de Constantinople[26].

Longtemps, le mariage de princesses byzantines Ă  des princes Ă©trangers, surtout s’ils Ă©taient paĂŻens, Ă©tait considĂ©rĂ© comme une mĂ©salliance. Constantin VII dans le De Administrando Imperio[27] condamne cette pratique tout en reconnaissant que certains de ses prĂ©dĂ©cesseurs y avaient eu recours « pour le bien de l’État ». MĂȘme en 968, lorsque Liutprand de CrĂ©mone viendra solliciter la main d’une princesse porphyrogĂ©nĂšte pour le fils d’Otton Ier, on lui rĂ©pondra avec hauteur qu’ « il n’est pas dans l’ordre des choses que la fille nĂ©e dans la pourpre d’un empereur nĂ© dans la pourpre devienne l’épouse d’un Ă©tranger[28]".

Toutefois, cette tradition avait dĂ©jĂ  souffert plusieurs exceptions, la raison d’État s’inclinant devant les rĂ©alitĂ©s gĂ©opolitiques : en 732 LĂ©on III avait officialisĂ© son alliance avec les Khazars en mariant son fils Constantin avec Tzitzak, fille du khagan Bihar ; par la suite le mariage de la petite-fille de Romain Ier (r. 920-944) servit Ă  consolider la paix avec ce pays[29].

Par la suite, et surtout avec l’avĂšnement des ComnĂšnes, on assistera Ă  un renversement complet de la situation, et Ă  l’adoption d’une politique matrimoniale visant Ă  relier la cour de Byzance aux principales cours d’Europe. C’est ainsi qu’aprĂšs la restauration de l’empire, Michel VIII (r. 1263-1282) conclura une alliance avec le Khan mongol Ă  qui il donnera deux de ses filles en mariage : Euphrosyne PalĂ©ologue qui maria Nogai Khan de la Horde d’Or et Maria PalĂ©ologue qui maria Abaqa Khan de Perse[30].

Les frĂšres Cyrille et MĂ©thode tenant un texte Ă©crit en glagolitique.

(3) Religieux. La pĂ©riode de grande activitĂ© diplomatique qui commença avec le milieu du IXe siĂšcle coĂŻncida avec une Ă©poque de grande activitĂ© missionnaire. En faisant des leaders de ces peuples baptisĂ©s les « fils spirituels » de l’empereur, Byzance Ă©tablissait son influence culturelle auprĂšs de ces Ă©lites, complĂ©tĂ©e par le travail de ses missionnaires auprĂšs du peuple[31].

DĂ©jĂ  sous Justin Ier (r. 518-527), le roi des Lazi, peuple du Caucase, qui cherchait la protection de l’empire avait adressĂ© Ă  l’empereur une lettre en ces termes : « Nous espĂ©rons que Tu feras de nous des chrĂ©tiens comme Toi-mĂȘme, et nous serons sujets de l’empire des Romains »[32].

En 860, sous Michel III (r. 842-867), les frĂšres Cyrille et MĂ©thode furent envoyĂ©s en mission chez les Khazars, peuple des steppes Ă©tablis au nord de la Mer Noire qui constituaient une sĂ©rieuse menace pour l’empire ; ils auraient fait de nombreuses conversions dans ce peuple converti au judaĂŻsme au IXe siĂšcle. Peu aprĂšs leur retour, en 862, le prince Rastislav de Grande Moravie qui cherchait Ă  Ă©chapper Ă  l’emprise germanique envoya une ambassade Ă  Constantinople pour demander des clercs capables de christianiser ses sujets dans leur propre langue. Pour ce faire, les deux frĂšres originaires de Thessalonique qui parlaient dĂ©jĂ  le slavon dĂ©veloppĂšrent un alphabet, le glagolitique, permettant la mise par Ă©crit de cette langue. MĂȘme si aprĂšs leur mort le christianisme orthodoxe qu'ils y avaient implantĂ© tomba sous les coups du clergĂ© germanique fidĂšle Ă  Rome, les disciples qui les avaient accompagnĂ©s trouvĂšrent refuge en Bulgarie oĂč le tsar Boris Ier (r. 852-889), en guerre avec Byzance, accepta de se convertir au christianisme oriental en 864, obtenant en contrepartie la paix et des concessions territoriales en Thrace. Suivant ce qui devenait une tradition, l’empereur Michel III lui servit de parrain ; Boris prit le prĂ©nom de Michel, alors que sa femme recevait celui de Maria[33].

Vladimir Ă©coutant les prĂȘtres orthodoxes sous les yeux horrifiĂ©s du reprĂ©sentant pontifical. Toile de Ivan Eggink.

La conversion de la Russie devait suivre le mĂȘme schĂ©ma politico-religieux. Les premiers efforts de conversion furent probablement faits sous le patriarche Photius qui vers 867 informait les autres patriarches que les Bulgares avaient accueilli le christianisme avec enthousiasme[34]. En 945 ou 957, selon les sources, la princesse rĂ©gente Olga de Kiev qui s’était convertie et avait pris le prĂ©nom d’HĂ©lĂšne (prĂ©nom de l’épouse de Constantin VII), vint en visite Ă  Constantinople en compagnie d’un prĂȘtre du nom de GrĂ©goire. L’empereur lui fit une brillante rĂ©ception au cours de laquelle elle fut reçue Ă  deux reprises par l’empereur et son Ă©pouse au cours de cĂ©rĂ©monies destinĂ©es Ă  montrer que la princesse elle-mĂȘme, et par consĂ©quent son pays, faisaient maintenant partie des nations importantes de cette grande famille sur laquelle prĂ©sidait l’empereur[35]. Cette premiĂšre conversion fut suivie d’un retour du paganisme et ce ne fut que sous Vladimir Ier qu’eut lieu la conversion officielle du pays[N 2].

En 987, Bardas Phocas se rĂ©volta contre Basile II (r. 960-1025), lequel demanda l’aide des Rus’. Vladimir accepta en Ă©change d’une alliance matrimoniale. Il accepta en mĂȘme temps de se convertir ainsi que son peuple au christianisme. Il n’est pas certain si Vladimir fut baptisĂ© Ă  Cherson ou Ă  Kiev ; chose certaine toutefois, Il prit alors le nom chrĂ©tien de Basile en hommage Ă  son beau-frĂšre. La cĂ©rĂ©monie du baptĂȘme fut immĂ©diatement suivie de celle du mariage Ă  la suite de quoi Vladimir envoya 6 000 VarĂšgues au secours de Basile[36] - [37].

Rapport avec les États importants

Les Byzantins voyaient donc le monde comme un ensemble de cercles concentriques au centre duquel siĂ©geait l’empereur. Sous lui venaient les princes et par consĂ©quent les pays professant la vĂ©ritable orthodoxie ; un peu plus loin, les princes qui pour des raisons historiques ou autres Ă©taient reliĂ©s Ă  la maison impĂ©riale, mĂȘme s’ils n’étaient pas (encore) chrĂ©tiens, et plus tard au cours de l’histoire les princes chrĂ©tiens ne professant pas l’orthodoxie. Il en dĂ©coule que la distinction entre politique intĂ©rieure et politique Ă©trangĂšre Ă©tait assez floue, tout comme du reste la notion de « frontiĂšre », laquelle, contrairement Ă  la notion moderne qui en fait une ligne gĂ©ographique prĂ©cise, correspondait plutĂŽt aux territoires sur lesquels s’exerçait effectivement l’autoritĂ© d’un prince. Et il est remarquable que les Byzantins utilisaient les termes par lesquelles ils dĂ©crivaient leur propre empire – basileia (empire), oikoumĂ©nĂš (univers habitĂ©) et politeuma (gouvernement-communautĂ©) indistinctement pour l’ensemble des nations sur lesquelles ils Ă©tendaient ou prĂ©tendaient Ă©tendre leur autoritĂ©[38].

D’oĂč la nĂ©cessitĂ© de rĂ©concilier la thĂ©orie et la pratique, cette qualitĂ© que les Byzantins qualifiaient d’ « oekonomia », aptitude Ă  adapter la vision du monde Ă  la rĂ©alitĂ© quotidienne et qui contribuera un peu Ă  donner au qualificatif « byzantin » une notion pĂ©jorative, selon leur vision.

MĂȘme alors que l’empire sera rĂ©duit Ă  Constantinople et Ă  ses environs, l’empereur prĂ©tendra ĂȘtre le seul monarque ayant droit au titre de basileus (« ΒασÎčλΔáœșς Ï„áż¶Îœ áżŹÏ‰ÎŒÎ±ÎŻÏ‰Îœ : empereur des Romains »). Michel Ier Rangabe refusera de concĂ©der ce titre Ă  Charlemagne, lui donnant simplement le titre de « roi » dans sa translitĂ©ration grecque. MĂȘme lorsque la nĂ©cessitĂ© obligera Ă  concĂ©der ce titre Ă  un prince Ă©tranger, le titre sera d’abord assorti de qualificatifs qui en restreignaient la portĂ©e. Ainsi les empereurs du Saint-Empire seront appelĂ©s « basileus des Francs » ; mĂȘme aprĂšs la disparition de ces restrictions (NicĂ©tas ChoniatĂšs donne Ă  Roger de Sicile, FrĂ©dĂ©ric Barberousse et Henri VII le titre de basileis), le titre complet d’ « Empereur des Romains » sera rĂ©servĂ© Ă  l’empereur de Constantinople[39], l'Empereur en Occident reprenant la titulature de « Roi des Romains ».

Sous cet empereur, souverain du monde, les différents peuples et leurs princes étaient classés dans une stricte hiérarchie protocolaire allant des plus puissants aux simples vassaux.

Évolution dans le temps de l’empire perse.

Il n’y avait qu’un seul État avec lequel Byzance traita pratiquement d’égal Ă  Ă©gal : la Perse. Depuis la restauration sassanide du IIIe siĂšcle, les deux États se considĂ©raient comme les seuls « civilisĂ©s » face aux peuples barbares, ce qui les conduisit, en dĂ©pit de leurs luttes incessantes pour la possession des territoires Ă  la frontiĂšre des deux empires, Ă  collaborer pour faire face aux invasions des peuples venant d’Asie. Dans leur correspondance, les deux souverains se traitaient de frĂšres et l’empereur sassanide fut le premier Ă  se voir concĂ©der le titre de basileus. Si bien que lorsque ChosroĂȘs II sera dĂ©trĂŽnĂ©, il pourra trouver refuge auprĂšs de l’empereur Maurice en 590 avant d’envahir l’empire en 604 pour venger la mort du mĂȘme empereur assassinĂ© par Phocas en 602[40] - [41].

AprĂšs la conquĂȘte de l’empire sassanide par les Arabes, ceux-ci hĂ©ritĂšrent des mĂȘmes honneurs, mĂȘme si les rapports avec les Arabes ne seront jamais aussi Ă©troits, les deux empires n’ayant pas d’ennemis communs contre lesquels se dĂ©fendre. D’aprĂšs le Livre des CĂ©rĂ©monies de Constantin VII, le nom du calife prĂ©cĂ©dait celui de l’empereur dans la correspondance impĂ©riale, comme auparavant celui des Perses ; il Ă©tait dĂ©signĂ© comme ÎŽÎčÎ±Ï„ÎŹÎșτωρ (diataktƍr – chef, modĂ©rateur), avait droit Ă  trois Ă©pithĂštes d’honneur (ÎŒÎ”ÎłÎ±Î»ÎżÏ€ÏÎ”Ï€Î­ÏƒÏ„Î±Ï„ÎżÏ‚, Î”ÏÎłÎ”ÎœÎ­ÏƒÏ„Î±Ï„ÎżÏ‚, Ï€Î”ÏÎŻÏÎ»Î”Ï€Ï„ÎżÏ‚ ) et la lettre Ă©tait scellĂ©e d’une bulle d’or valant quatre nomismata[42]. Plus tard, les empereurs et les sultans mamlouks se traitĂšrent Ă©galement de « frĂšres » [N 3] et l’empereur recevait le titre de « MajestĂ© impĂ©riale », alors que le sultan recevait celui de « Puissante SouverainetĂ© »[41].

Venaient ensuite les Khazars dont les khans, alliĂ©s de l’empire depuis HĂ©raclius et unis Ă  la famille impĂ©riale par des alliances matrimoniales puisqu’une fille de Justinien II avait Ă©tĂ© fiancĂ©e en 705 Ă  Tervel, le khan des Bulgares, alors que Constantin V avait Ă©pousĂ© en 732 la princesse khazare Tzitzak/IrĂšne. Dans la correspondance, ceux-ci Ă©taient traitĂ©s comme les princes chrĂ©tiens : invocation Ă  la sainte TrinitĂ© en introduction, deux Ă©pithĂštes d’honneur (Î”ÏÎłÎ”ÎœÎ­ÏƒÏ„Î±Ï„ÎżÏ‚ Îșαί πΔρÎčÏ†Î±ÎœÎ­ÏƒÏ„Î±Ï„ÎżÏ‚) et une bulle d’or d’une valeur de trois nomismata[43].

Les princes chrĂ©tiens recevaient des honneurs similaires, mais Ă©taient traitĂ©s de « frĂšres spirituels » de l’empereur ; leur nom suivait celui de l’empereur dans la correspondance officielle et le titre qui leur Ă©tait donnĂ© Ă©tait celui de « roi » et non d’ « empereur »[N 4]. En reprĂ©sailles, les « empereurs » germaniques appelaient le souverain de Constantinople l’ « empereur des Grecs », ce qui constituait une injure laquelle ajoutĂ©e Ă  d’autres mena Ă  l’échec de l’ambassade de Liutprand en 968 lorsqu’il se rendit Ă  Constantinople demander Ă  l'Empereur NicĂ©phore II Phocas la main d'une princesse porphyrogĂ©nĂšte pour le fils d'Otton Ier, le futur Otton II.

L’empire bulgare au temps de SimĂ©on (893-927).

Situation similaire avec les Bulgares aprĂšs leur conversion au christianisme. ÉlevĂ© Ă  Constantinople, SimĂ©on (r. 893-927) qui rĂȘvait de s’emparer du trĂŽne de Constantinople s’intitula « empereur des Bulgares et des Romains ». Ceci conduisit Ă  une longue guerre Ă  partir de 914 ; mais mĂȘme si la Bulgarie sembla prĂšs d’en arriver Ă  ses fins, Constantinople traita toujours SimĂ©on de « Notre cher fils spirituel, par la grĂące de Dieu, archonte du peuple trĂšs chrĂ©tien des Bulgares »[44]. Ce ne fut qu’en 927 que le gouvernement de Constantinople accepta de donner au fils et successeur de SimĂ©on, Pierre, le titre de « basileus des Bulgares », mais en revanche l’empereur ajouta Ă  son propre titre celui d’autocrate (ΒασÎčλΔáœșς Î±áœÏ„ÎżÎșÏÎŹÏ„Ï‰Ï Ï„áż¶Îœ áżŹÏ‰ÎŒÎ±ÎŻÏ‰Îœ)[45].

Les princes serbes adopteront ce titre d’ « autocrate » sous Stefan Ier Nemanjić (grand-duc de Serbie : 1196 – 1217 ; autocrate de Serbie : 1217 – 1228). Toutefois, pour mettre fin Ă  la longue guerre qui l’opposa Ă  Byzance, Stefan II Uros (r. 1282 – 1321) accepta, aprĂšs avoir Ă©pousĂ© la fille d’Andronic II, le titre de sĂ©bastocrate qui en faisait le vassal de l’empereur[46]. Par la suite, Étienne DuĆĄan (roi de Serbie de 1331 Ă  1346 ; « empereur des Serbes et des Romains » de 1346 Ă  1355) reviendra Ă  la politique de confrontation en prenant, Ă  l’instar de SimĂ©on de Bulgarie, le titre d’ « empereur des Serbes et des Romains »[47].

Le cas de la Russie et de la Hongrie

La Russie de Kiev au début du rÚgne de Sviatoslav (en rouge), montrant son aire d'influence en 972 (en orange).

Assez curieusement, et en dĂ©pit du fait que la Russie ait Ă©tĂ©, tout au long de son histoire, l’un des plus fidĂšles dĂ©fenseurs de l’orthodoxie, elle occupait dans la diplomatie byzantine un rang fort modeste.

Il est vrai que les relations entre les deux pays avaient mal commencĂ©, les Rus' ayant attaquĂ© Constantinople dĂšs 860. Les hostilitĂ©s reprirent entre 907 et 911 alors que le prince Oleg conduisit une expĂ©dition contre Byzance. Au terme du traitĂ© qui suivit, les Rus' obtinrent le droit d’entrer dans l’armĂ©e « au moment oĂč ils choisiront de venir, et en nombre qu’il leur plaira[48]. ». Ce traitĂ© devait ĂȘtre renouvelĂ© en 945 aprĂšs une autre attaque des Rus' contre Constantinople sous la direction d’Igor ; dans ce nouveau traitĂ©, l’empire et la principautĂ© de Kiev Ă©taient dĂ©clarĂ©s alliĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ© et promettaient de se prĂȘter main-forte contre d’éventuelles puissances ennemies[49]. En vertu de ce traitĂ©, des VarĂšgues purent intĂ©grer lĂ©galement l’armĂ©e byzantine. Ainsi devenus alliĂ©s et garants du maintien de la paix dans les steppes situĂ©es au nord du Pont-Euxin, les princes de la Russie de Kiev virent leur statut confirmĂ© par la rĂ©ception solennelle que l'empereur Constantin VII PorphyrogĂ©nĂšte offrit en 957, dans le Grand Palais de Constantinople, Ă  la veuve du prince Igor, la princesse-rĂ©gente Olga[50].

Tel que mentionnĂ© plus haut, ce fut sous le rĂšgne de Vladimir Ier (r. 980 - 1015) que s’opĂ©ra la christianisation de la Russie de Kiev et son entrĂ©e dans la communautĂ© des États chrĂ©tiens, donc dans l'oikoumĂšne byzantine. Vladimir fit alors le voyage Ă  Constantinople en 988 conditionnant son intervention contre l'usurpateur Bardas SklĂšros Ă  l'octroi de la main de la princesse Anne, sƓur des empereurs byzantins Basile II et Constantin VIII. AprĂšs quoi, Vladimir Ier retourna sur ses terres oĂč il convertit la principautĂ© de Kiev au christianisme orthodoxe byzantin[51]. Ce mariage entre une princesse impĂ©riale et un prince Ă©tranger Ă©tait Ă  l'Ă©poque rarissime et tĂ©moignait de l’impasse dans laquelle se trouvait Basile. À partir de 989 et de la dĂ©faite de Bardas Phocas, les VarĂšgues remplacĂšrent le rĂ©giment des Excubites comme garde personnelle de l’empereur et accompagnĂšrent celui-ci dans toutes ses campagnes jusqu’à ce que la garde soit annihilĂ©e Ă  la bataille de Manzikert en 1071 et remplacĂ©e par des Anglo-saxons[52].

Mais en dĂ©pit du fait que la Russie de Kiev s’affirmait progressivement comme État indĂ©pendant, transfĂ©rant successivement sa capitale de Kiev Ă  Vladimir, puis Ă  Moscou, Byzance continua Ă  adopter Ă  son Ă©gard un ton paternaliste et le mĂ©tropolite de Russie continua Ă  ĂȘtre nommĂ© par Constantinople. Aussi, les relations entre les deux empires passĂšrent par des hauts et des bas et en 1043 Iaroslav Ier (r. 1016 – 1018 ; 1019 - 1024 et 1024 -1054) enverra son fils unique Vladimir conduire une attaque contre Constantinople qui tourna au dĂ©sastre. Psellos considĂ©ra cette attaque comme une rĂ©bellion (Î­Ï€Î±ÎœÎŹÏƒÏ„Î±ÏƒÎčς)[53], ce qui semble bien montrer que les Byzantins considĂ©raient encore le nouvel État comme lui devant obĂ©issance. Lors du schisme de 1054 la Russie demeura fidĂšle au rite byzantin, reflet de ses liens Ă©troits avec Constantinople, qui dominait encore la mer Noire et donc le commerce empruntant la route commerciale du Dniepr. L’attitude paternaliste de Constantinople alors que la puissance de l’Empire byzantin allait en dĂ©croissant et celle de Moscou en s’affirmant commença Ă  agacer sĂ©rieusement les tsars russes, si bien que lorsque Manuel II demanda l’aide de Moscou en 1398, celui-ci dĂ©jĂ  pleinement occupĂ© par des problĂšmes intĂ©rieurs rĂ©pondit par la nĂ©gative, ce qui lui attira la rĂ©primande du patriarche de Moscou, Antoine, mentionnĂ©e plus haut. Les relations entre Moscou et le patriarcat de Constantinople se dĂ©tĂ©riora Ă©galement lorsque le patriarche Isodore (mĂ©tropolite de Moscou 1437 – 1441 ; mĂ©tropolite de Kiev et toute la Russie 1437 - 1458), qui avait acceptĂ© l’Union des Églises lors du Concile de Ferrare-Florence en 1441, promulgua l'Union devant le Grand Prince de Moscou Basile II et sa cour. Quatre jours plus tard, Basile, craignant de perdre le contrĂŽle de l'Église et dĂ©sireux d'exclure les influences Ă©trangĂšres de son pays, fit arrĂȘter Isidore lequel parvint Ă  s’enfuir et Ă  se rĂ©fugier Ă  Rome. Il sera par la suite lĂ©gat du pape Nicolas V Ă  Constantinople (1452-1453).

Le baptĂȘme du prince Vajk, futur Étienne Ier de Hongrie, par Gyula BenczĂșr.

Le cas de la Hongrie est sensiblement diffĂ©rent, ce pays ayant au dĂ©but de son histoire penchĂ© en faveur du catholicisme romain et Ă©chappant de ce fait au rĂ©seau d’états unis Ă  l’empereur par leur foi orthodoxe.

L’installation des Magyars ou Hongrois dans le bassin des Carpates au cours du IXe siĂšcle marqua la fin des grandes migrations asiatiques vers cette rĂ©gion de l’Europe[54]. En mĂȘme temps toutefois elle coupait la culture byzantine diffusĂ©e par les frĂšres Cyrille et MĂ©thode de leur centre de rayonnement, Constantinople[55].

Entre 934 et 961, les Magyars ravagĂšrent la Thrace et la MacĂ©doine atteignant Ă  deux reprises les murs de Constantinople[56]. Une trĂȘve fut conclue pendant le court rĂšgne de Constantin VII lorsque l’un des chefs de clan, Bulcsu, arriĂšre-petit-fils du roi ÁrpĂĄd (r. 896 - 907) fut invitĂ© Ă  Constantinople, reçut le baptĂȘme, l’empereur lui servant de parrain et repartit, chargĂ© de prĂ©sents avec le titre de patricius[57]. Cette conversion devait toutefois ĂȘtre de courte durĂ©e. SitĂŽt de retour chez lui, il renonça Ă  sa nouvelle foi orthodoxe, partit en guerre contre l’empire et ravagea une partie de l’Allemagne avant d’ĂȘtre capturĂ© et exĂ©cutĂ© Ă  Ratisbonne[58] - [59].

Le mĂȘme scĂ©nario devait se dĂ©rouler en 952 avec plus de succĂšs toutefois lors de la visite du prince Gyula qui reçut Ă©galement le baptĂȘme, le titre de patricius, mais repartit avec un moine, HyĂ©rotheus, qui devint « episkopos Turkias », nom que les Byzantins donnaient alors aux Hongrois. Les premiers efforts de christianisation de la Hongrie furent donc le fait de Byzance. Toutefois les territoires Ă  l’ouest de la riviĂšre Tisza Ă©taient la chasse-gardĂ©e du clergĂ© franc de Passau. En 970, un missionnaire franc baptisa le prince GĂ©za et son fils qui deviendra saint Étienne (r. 1001-1038). Ce dernier fit pencher la balance en faveur de l’Occident et de la papautĂ©, recevant la couronne royale du pape Sylvestre II en 1000[60]. Les Byzantins rĂ©pliquĂšrent en envoyant une premiĂšre couronne, dite couronne de Constantin Monomaque au roi AndrĂ© Ier (r. 1046-1060), puis une deuxiĂšme, dite sainte Couronne de Hongrie, envoyĂ©e par Michel VII Doukas (r. 1071-1078) au roi GĂ©za Ier (r. 1074-1077) Ă  l’occasion de son avĂšnement[61].

MĂȘme si la Hongrie s’était prononcĂ©e en faveur de l’Occident, les relations continuĂšrent Ă  ĂȘtre Ă©troites entre les deux pays et Étienne conclut une entente avec Basile II contre la Bulgarie, aidant les Byzantins en 1004 Ă  s’emparer de Skopje. Plusieurs des Ă©glises construites par ce roi sont nettement d’inspiration byzantine[62] - [63].

Au cours du XIIe siĂšcle les relations devinrent encore plus Ă©troites par le mariage en 1104 de Piroska (qui prit Ă  cette occasion le prĂ©nom d’IrĂšne), fille du roi Ladislas Ier Ă  Jean II ComnĂšne (r. 1118-1143), fils de l’empereur Alexis. De leur union naquirent huit enfants dont le futur empereur Manuel Ier (r. 1143-1180). Mais si Ă©troites qu’elles Ă©taient, ces relations Ă©taient pour le moins chaotiques, le gouvernement byzantin ne cessant d’intervenir dans les affaires de la Hongrie et donnant refuge Ă  des membres dissidents de la famille ÁrpĂĄd[64]. La Hongrie pour sa part, dĂ©sireuse de s’étendre vers l’Adriatique, conquit au dĂ©but du XIIe siĂšcle la Croatie et la Dalmatie[65]. Et si la Hongrie envoya Ă  diverses reprises des troupes auxiliaires seconder celles de Byzance, Manuel n’envahit pas moins de dix fois la Hongrie au cours d’un rĂšgne de trente-sept ans. Manuel rĂȘvait en effet de rĂ©unifier l’empire de Justinien, se heurtant en cela au Saint-Empire de FrĂ©dĂ©ric Barberousse. La Hongrie Ă©tant situĂ©e entre les deux empires pouvait servir de base Ă  ce rĂȘve et Manuel aurait voulu incorporer ce royaume dans son empire. Il vint prĂȘt de rĂ©ussir en 1167 lorsqu’aprĂšs une bataille prĂšs de Belgrade la Hongrie dut cĂ©der des villes importantes Ă  l’empire et reconnaitre la suzerainetĂ© de Byzance, Manuel prenant par la suite le titre de « Oungrikos »[66].

Les armoiries de Hongrie incorporant la croix à double branche de l’empire byzantin.

Cette tension n’avait toutefois pas empĂȘchĂ© le prince hongrois BĂ©la III d’épouser en 1163 Marie, la fille de l’empereur. Il dut alors adopter la foi orthodoxe et prendre le prĂ©nom de l’empereur Alexis en contrepartie de quoi il reçut le titre de « despote » et fut fait hĂ©ritier prĂ©somptif par l’empereur Manuel. Toutefois, lorsque l’empereur eut un fils en 1169, BĂ©la perdit son titre d’hĂ©ritier et dut retourner en Hongrie oĂč il devint roi (r. 1172-1196). Avant de quitter la capitale, il jura fidĂ©litĂ© Ă  l’empereur et lors de la bataille de Myriokephalon oĂč les Byzantins furent mis en dĂ©route par les troupes seldjoukides, des troupes hongroises combattaient aux cĂŽtĂ©s de celles de Constantinople[67].

Les plans d’union entre la Hongrie et l’empire refirent surface lorsqu’en 1182 Andronic ComnĂšne s’empara du trĂŽne et fit pĂ©rir la plupart des membres de la famille de Manuel. AlliĂ© aux Serbes, BĂ©la prit les armes contre l’usurpateur et s’empara de NiĆĄ, Belgrade et Sofia[68]. Parvenu en vue de Constantinople, il revendiqua alors le trĂŽne impĂ©rial conformĂ©ment aux dispositions originelles de l’empereur Manuel et exigeant aprĂšs la mort de sa femme, la main de la sƓur de Manuel, ThĂ©odora. Encore une fois un Ă©vĂšnement imprĂ©vu vint dĂ©jouer ses plans et en 1185 Andronic fut renversĂ© lors d’une rĂ©volte populaire Ă  la suite de laquelle Isaac II Ange fut portĂ© au trĂŽne. Se rĂ©signant Ă  reconnaitre la rĂ©alitĂ©, il maria sa fille Ă  l’empereur Isaac. Sous son rĂšgne, la monnaie byzantine eut cours lĂ©gal dans son royaume et la croix Ă  double branche impĂ©riale fut introduite dans les armoiries de Hongrie. Cependant la Hongrie glissait de plus en plus dans le camp occidental et en 1186, BĂ©la Ă©pousa Marguerite Capet, fille de Louis VII de France. La mort de BĂ©la III en 1196 marque en quelque sorte la fin de la relation entre ce pays et l’empire byzantin, mĂȘme si aprĂšs la restauration de l’empire, Michel VIII fera alliance avec la Hongrie contre Charles d’Anjou par le mariage de son fils et hĂ©ritier Andronic avec la fille du roi de Hongrie, Étienne V[69] - [70].

Rapport avec les autres États

Quant aux autres peuples, regroupĂ©s sous le terme collectif de Ï„ÎŹ ӗΞΜη, Byzance chercha Ă  s’en faire des alliĂ©s, soit pour la dĂ©fense de son territoire, soit pour lui fournir des soldats pour son armĂ©e, ou pour dĂ©velopper son commerce extĂ©rieur[2]. Ainsi, les chrysobulles spĂ©cifiant les obligations de chaque partie pouvaient varier selon les circonstances et les buts recherchĂ©s. Un traitĂ© signĂ© avec Kourgouyah, Ă©mir d’Alep en 969 Ă  la suite de sa capitulation, par exemple, spĂ©cifiait les frontiĂšres de la principautĂ©, la nomination de l’émir par le basileus lorsque le prĂ©sent Ă©mir mourrait, le droit du suzerain de traverser la principautĂ© aux frais des habitants, etc. Avec les rĂ©publiques italiennes, ces traitĂ©s prĂ©voyaient des concessions tarifaires en matiĂšre de commerce sur le territoire de l’empire, l’établissement de quartiers rĂ©servĂ©s pour leurs citoyens et mĂȘme la jouissance de leurs propres tribunaux sur ces territoires. Dans le cas des croisĂ©s, les textes seront Ă©tablis selon le droit fĂ©odal Ă©tabli en Occident : aux termes du traitĂ© passĂ© avec BohĂ©mond, celui-ci se reconnaissait homme-lige de l’empereur, s’engageait Ă  respecter les terres de l’empire, Ă  ne rien entreprendre contre l’empereur et son fils, etc.[71].

Ceci n'impliquait pas toujours la force ou la fin d'une guerre. Nombreux Ă©taient les peuples qui aspiraient Ă  partager la richesse et la prospĂ©ritĂ© de la « Reine des villes » et offraient en retour de devenir « les chiens de garde de l’empire[72] ».

Trois pĂ©riodes furent particuliĂšrement actives dans la crĂ©ation d’une chaine d’États vassaux aux frontiĂšres de l’empire : celle de Justinien et de ses successeurs immĂ©diats, celle des guerres mettant aux prises l’empire et les Arabes d’une part, les Slaves d’autre part et celle des ComnĂšne[73].

L’appareil diplomatique byzantin

L’appareil bureaucratique à Constantinople

ReflĂ©tant cette conception monolithique de l’empire, il n’existait pas Ă  Constantinople d’organisme s’occupant exclusivement des « affaires Ă©trangĂšres » comme ce serait le cas aujourd’hui.

Du Ve siĂšcle au VIIIe siĂšcle, les relations extĂ©rieures Ă©taient dirigĂ©es par le magister officiorum qui coiffait trois bureaux spĂ©cialisĂ©s dont le travail comprenait indiffĂ©remment les affaires internes et Ă©trangĂšres : le scrinium epistularum, responsable des lettres, Ă©dits ou rescrits impĂ©riaux ; l’officium adminisionum qui organisait les audiences impĂ©riales et Ă©tait responsable du service des interprĂštes ; le cursus publicus ou poste impĂ©riale qu’utilisaient les agents envoyĂ©s en mission.

AprĂšs le VIIIe siĂšcle le bureau du magister officorum fut dĂ©membrĂ© et ses responsabilitĂ©s partagĂ©es. Vers 740 fut crĂ©Ă© le logothĂšte du drome, maitre du service des postes dirigeant l’envoi des ambassadeurs Ă  l’étranger et responsable du corps des interprĂštes. La rĂ©ception des ambassadeurs Ă©trangers sera la responsabilitĂ© du maitre des cĂ©rĂ©monies (ό Î­Ï€ÎŻ Ï„ÎźÏ‚ ÎșÎ±Ï„Î±ÏƒÏ„ÎŹÏƒÎ”Ï‰Ï‚), vĂ©ritable chef du protocole, successeur du comes adminisionum.

À partir du IXe siĂšcle, le logothĂšte du drome cumulera les fonctions de ce qui serait aujourd’hui le ministre de l’IntĂ©rieur, le ministre des Postes et le ministre des Affaires Ă©trangĂšres[74].

Dans chacun de ces bureaux, on recueillait soigneusement les renseignements en provenance des ambassadeurs, des voyageurs, des marchands et des missionnaires, permettant de connaitre ces peuples, leurs forces et leurs faiblesses, les moyens Ă  utiliser pour s’en faire des alliĂ©s en temps de guerre et les neutraliser en cas de guerre, quels prĂ©sents Ă©taient les plus susceptibles de les amadouer et quelles relations politiques, militaires et Ă©conomiques il convenait d’établir avec eux[75]. Le De Administrando de Constantin PorphyrogĂ©nĂšte constitue un manuel sur la façon de traiter ces peuples avec des chapitres comme : « Les PetchenĂšgues : comment en paix ils peuvent ĂȘtre utiles Ă  l’empereur des Romains » (chap. 1), « Comment envoyer des dĂ©lĂ©guĂ©s impĂ©riaux de Kherson en pays petchenĂšgue » (chap. 7), « Comment et par qui doit ĂȘtre faite la guerre contre les Khasars » (chap. 10), « Le thĂšme de Lombardie, ses principautĂ©s et les princes » (chap. 27), « La gĂ©nĂ©alogie du peuple turc (Hongrois) et d’oĂč ils viennent » (chap. 38), etc.

Les ambassades byzantines Ă  l’étranger

Les diplomates de carriĂšre n’existant pas encore Ă  l’époque, les personnes envoyĂ©es en ambassade Ă©taient choisies principalement en fonction de la nature et du prestige que l’on voulait donner Ă  cette mission. Ainsi les ambassadeurs envoyĂ©s en Perse au VIe siĂšcle appartenaient presque toujours aux plus hauts degrĂ©s de la hiĂ©rarchie (PrĂ©fet de la Ville, Magister militum, Comes Largitionum, etc.)[76]. Par contre, Constantin V n’envoya au pape et au roi lombard Astolphe qu’un silentiaire, dignitaire palatin subalterne, car sa mission consistait plus Ă  transmettre un ordre qu’à nĂ©gocier[77].

Mais quelle que soit la nature de la mission, le choix Ă©tait fait soigneusement et l’ambassadeur retenu devait ĂȘtre « un homme honnĂȘte, pieux, incorruptible et disposĂ© comme RĂ©gulus Ă  se sacrifier pour la patrie[78]. Ils emmenaient avec eux une suite incluant des interprĂštes, des natifs de la rĂ©gion visitĂ©e lorsque celle-ci Ă©tait peu connue et apportaient dans leurs bagages des cadeaux choisis en fonction des gouts et aspirations des destinataires et destinĂ©s Ă  impressionner ceux-ci par la richesse et la supĂ©rioritĂ© technique de Byzance (Par exemple, l’orgue offert par une ambassade envoyĂ©e par Constantin V auprĂšs de PĂ©pin le Bref en 757)[79].

Ces ambassades pouvaient avoir des objectifs trĂšs variĂ©s : signature d’un traitĂ© Ă  caractĂšre militaire, notification d’un Ă©vĂšnement, nĂ©gociation d’un traitĂ© commercial, et mĂȘme mission de simple information rĂ©pondant Ă  des peuples lointains, mal connus, mais qui avaient sollicitĂ© l’alliance de Byzance (ambassade de Justinien chez le NĂ©gus d’Éthiopie en 529)[80].

Les ambassades Ă©trangĂšres Ă  Constantinople

DĂ©lĂ©gation envoyĂ©e par le roi Omurtag Ă  l’empereur Michel II (Chronique de Jean SkylizĂšs).

De la mĂȘme façon, l’accueil des ambassades Ă©trangĂšres avait pour but d’impressionner les ambassadeurs, de leur faire sentir la puissance et la richesse de Byzance, tout en Ă©vitant de laisser les envoyĂ©s surprendre des secrets d’État ou se livrer Ă  l’espionnage.

Accueillie officiellement dĂšs qu’elle passait la frontiĂšre, l’ambassade Ă©trangĂšre Ă©tait prise en charge immĂ©diatement par l’État byzantin et escortĂ©e jusqu’à Constantinople. Son sĂ©jour dans la capitale, qui dans certains cas pouvait durer plusieurs annĂ©es, Ă©tait organisĂ© par le « bureau des barbares » (Ό ÎČÎŹÏÏÎ±ÏÎżÏ‚) qui existait dĂ©jĂ  au VIe siĂšcle et qui se perpĂ©tua jusqu’au Xe siĂšcle, sorte de service de renseignements sur les mƓurs, habitudes, forces et faiblesses de chaque État[81].

Le moment le plus important de toute ambassade Ă©tait celui de l’audience solennelle auprĂšs de l’empereur. Le rĂ©cit de Liutprand de CrĂ©mone envoyĂ© par BĂ©ranger auprĂšs de Constantin VII en 949 est restĂ© cĂ©lĂšbre. ÉmerveillĂ©, l’ambassadeur dĂ©crit l’arbre de cuivre dorĂ© dans les branches duquel des oiseaux gazouillaient, les lions d’or rugissant de part et d’autre du trĂŽne impĂ©rial, et la machinerie par laquelle le trĂŽne s’élevait dans les airs pour disparaitre aux regards, puis redescendait aprĂšs que l’empereur eĂ»t changĂ© de vĂȘtements[82].

Mais autant Constantinople pouvait rĂ©server un accueil splendide aux ambassadeurs venant en amis, autant elle pouvait se rĂ©vĂ©ler acrimonieuse lorsque les Ă©missaires lui dĂ©plaisaient. Liutprand lui-mĂȘme en fit l’expĂ©rience lorsqu’il retourna Ă  Constantinople en 968 demander Ă  l'empereur NicĂ©phore II Phocas la main d'une princesse porphyrogĂ©nĂšte pour le fils d'Otton Ier. Non seulement cette requĂȘte parut d’une audace insolente (voir plus haut), mais l’ambassadeur se montra tellement discourtois pendant son sĂ©jour[83]qu’on lui fit subir mille avanies sur le chemin du retour[84].

En mĂȘme temps, les escortes qu’on leur donnait Ă  partir de la frontiĂšre n’avaient pas seulement pour but d’honorer les visiteurs; elles les empĂȘchaient d’observer de trop prĂšs ce que les Byzantins ne voulaient pas qu’ils voient en chemin. À Constantinople mĂȘme, ils logeaient dans un palais oĂč ils Ă©taient Ă©troitement surveillĂ©s et ils Ă©taient accompagnĂ©s dans tous leurs dĂ©placements Ă  travers la ville oĂč les endroits qu’on choisissait de leur montrer devaient les impressionner soit par la splendeur des Ă©difices, soit par la puissance des armĂ©es, tout en leur cachant ce qui Ă©tait considĂ©rĂ© comme des secrets militaires, tel le feu grĂ©geois, ce que recommandait Constantin PorphyrogĂ©nĂšte Ă  son fils : « Tu dois par-dessus toutes choses porter tes soins et ton attention sur le feu grĂ©geois [
]; si on ose te le demander, comme on l’a fait souvent nous-mĂȘme, tu dois repousser et rejeter cette priĂšre en rĂ©pondant que ce feu a Ă©tĂ© montrĂ© et rĂ©vĂ©lĂ© par un ange au grand et saint premier empereur, Constantin. »[85] - [86].

SuccĂšs et Ă©checs de la diplomatie byzantine

Si l’on considĂšre le nombre d’ennemis auxquels Byzance dut faire face au cours des siĂšcles sur l’ensemble de ses frontiĂšres, alors qu’elle ne possĂ©dait elle-mĂȘme que des moyens militaires limitĂ©s et dut frĂ©quemment recourir Ă  des mercenaires Ă©trangers, lesquels Ă  une Ă©poque composaient la majeure partie de son armĂ©e, on comprend qu’elle chercha par tous les moyens Ă  Ă©viter les conflits militaires qu’elle n’aurait pu que perdre Ă  long terme. Sur ce plan, elle connut des succĂšs remarquables[87]. En tissant un rĂ©seau d’alliances avec les peuples qui l’entouraient conformĂ©ment Ă  la vision qu’elle se faisait de l’oikoumĂšne, elle assura non seulement sa propre sĂ©curitĂ©, mais elle exerça sur eux une influence civilisatrice qui dans bien des cas, comme chez ses voisins immĂ©diats Serbes et Bulgares, ou plus lointains, Rus’, permit Ă  ceux-ci de dĂ©velopper leur propre civilisation.

Cette politique comportait toutefois un danger inhĂ©rent : en faisant trop ouvertement sentir sa propre supĂ©rioritĂ©, en dĂ©ployant trop ostentatoirement les signes de sa richesse, non seulement elle froissa au cours des siĂšcles bon nombre de susceptibilitĂ©s mais elle attisa l’envie de ces mĂȘmes peuples lesquels, une fois qu’ils auront acquis un degrĂ© de civilisation et de capacitĂ© militaire Ă©gal ou supĂ©rieur au sien, lui feront payer cher son orgueilleuse hauteur[88].

Bibliographie

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Notes et références

Notes

  1. Ce terme désigne les Scandinaves selon certains auteurs, les Slaves selon d'autres utilisant la route fluviale entre la Russie de Kiev et Constantinople soit pour piller, soit pour faire commerce
  2. Son baptĂȘme est reportĂ© diffĂ©remment par deux traditions : dans la premiĂšre, Vladimir, rĂ©gnant Ă  Kiev, fait appeler Ă  lui les reprĂ©sentants des principales religions connues (ou envoie ses Ă©missaires): le christianisme de Rome, le christianisme byzantin, le judaĂŻsme et l'islam. Il opta pour l'orthodoxie et fit baptiser son peuple (rapportĂ©e par la Chronique de Nestor) ; dans la deuxiĂšme, il demanda le baptĂȘme Ă  Cherson en CrimĂ©e en Ă©change de la remise de la ville, de la main d’une princesse byzantine et de la guĂ©rison de ses yeux(InterprĂ©tation, plus politique, issue d’un pamphlet grec du XIe siĂšcle pour empĂȘcher la canonisation de Vladimir)
  3. Andronic II aura mĂȘme des scrupules Ă  accorder cette Ă©pithĂšte Ă  un infidĂšle (PachymĂšre, Histoire, III, 23)
  4. Si Charlemagne reçut exceptionnellement le titre de basileus en 812, Constantinople revint douze ans plus tard aux usages traditionnels en donnant à Louis le Pieux le titre de « Glorieux roi des Francs et des Lombards, et appelé leur empereur »(Cité par Bréhier (1970) p. 232)

Références

  1. Diehl (sans date) p. 54
  2. Bréhier (1970) p. 233
  3. Diehl (1920) pp. 53-54
  4. Sicker (2000) p. 132
  5. Obolensky (1994) p. 13
  6. Constantin VII PorphyrogénÚte, De Administrando Imperio, Préface, para 2
  7. Cité par Obolensky (1994) p. 11
  8. Obolensky (1971) p. 11
  9. Bréhier (1970) p. 238
  10. Cedrenus, Cedrenus Scylitzae Ope II, 444; Psellos, Chronographie, I, 9; Zonaras, Annales, III, 533
  11. Cité par Bréhier (1970) p. 239
  12. Laurent (1919) p. 38
  13. Constantin PorphyrogénÚte, De Ceremoniis, I, 654
  14. Bréhier (1970) p. 230
  15. Obolensky (1994) p. 17
  16. Grégoire de Tours, Histoire des Francs .II, 38
  17. Anne ComnĂšne, Alexiade, VI, 5.
  18. Anne ComnÚne, Alexiade XI, 9, X, 11 ; Constantin PorphyrogénÚte, De Administrando Imperio, 7 sq.
  19. Obolensky (1994) p. 14
  20. Obolensky (1994) p. 18
  21. Miklosich et MĂŒller, II, 191 (a.1393)
  22. Constantin PorphyrogĂ©nĂšte, De Administrando Imperio, chap. I, « Les PetchenĂšgues ; comment en paix, ils peuvent ĂȘtre utiles Ă  l'empereur des Romains »
  23. Constantin PorphyrogénÚte, De Administrando Imperio, chap. IV, « Les PetchenÚgues, les Russes et les Turcs ».
  24. Obolensky (1994) p. 15
  25. Norwich (1989) p. 271
  26. Obolensky (1994) p. 160
  27. Constantin VII, De Administrando Imperio, chap. VIII, « Turcs »
  28. Liutprand, Relatio de Legatione Constantinopolitana, p. 184
  29. Obolensky (1971) p. 196
  30. Canal et Runciman (1998) p. 320
  31. Obolensky (1994) pp. 15-18
  32. Cité par Obolensky (1994) p. 17
  33. Ostrogorsky (1983) pp. 256-258
  34. Photius, lettre.2.293-302
  35. Constantin PorphyrogénÚte, De Ceremoniis, ii, 15
  36. Chronique de Nestor, Chap. VIII, « Vladimir », p. 130 -133
  37. Obolensky (1971) pp. 192-197
  38. Obolensky (1971) p. 2
  39. Kazhdan (1991) « Basileus », vol. 1, p. 264
  40. Kazhdan (1991) « Chosroes II », vol. II, p. 432
  41. Bréhier (1970) p. 231
  42. Constantin VII PorphyrogénÚte, De Ceremoniis, II, 48
  43. Constantin VII PorphyrogénÚte, De Ceremonis, II, 48
  44. Constantin VII, De Ceremoniis, II, 48
  45. Ostrogorsky (1983) pp. 292-293
  46. Ostrogorsky (1983) pp. 511-512
  47. Bréhier (1970) p. 232
  48. Chronique de Nestor, I, col. 33
  49. Chronique de Nestor, I, col. 46-54
  50. Constantin VII PorphyrogénÚte, De Ceremoniis, ii. 15.
  51. Mìrčuk (1957) p. 113
  52. Blöndal (1978) p. 45, 110-111
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  54. Benda (1986) p. 27
  55. Obolensky (1971) p. 153
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  57. ScylitzĂšs, ii. p. 328
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  60. Obolensky (1994) pp. 156-157
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  63. Ostrogorsky (1983) p. 356
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  66. Obolensky (1994) pp. 160-161
  67. Obolensky (1994) p. 162
  68. Ostrogrosky (1983) p. 421-422
  69. Obolensky (1994) p. 163
  70. Ostrogorsky (1983) p. 481
  71. Bréhier (1970) pp. 238-239
  72. Procope de Césarée, Guerre contre les Vandales, IV, 19, Lettre de Sandil roi des Huns à Justinien
  73. Bréhier (1970) p. 234
  74. Bréhier (1970) pp. 244-245
  75. Diehl (1920) p. 54
  76. MĂ©nandre le Protecteur, Histoire, fragments, fr. 43, 244 et sq (Ambassade de Pierre Le Patrice Ă  Bagdad en 562)
  77. Bréhier (1970) p. 247
  78. Excerpta legationum, éd. Dindorf, Patrologia Cursus completus, série graeco-latina, CXIII
  79. Bréhier (1970) p. 248
  80. Bréhier (1970) p. 249
  81. Mentionné par Philothée dans le Cletorologion, 145, 3
  82. Constantin VII PorphyrogénÚte, De Ceremoniis, II, 47, 1256
  83. Bréhier (1970) p. 252
  84. Herrin (2007) p. 177-179
  85. Constantin VII PorphyrogénÚte, De Administrando Imperio, chap. 8 « Turcs »
  86. Bréhier (1970) p. 251
  87. Kurbalija (2013)
  88. Diehl pp. 62-66

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