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Bataille de Varna

La bataille de Varna, que les Turcs connaissent aussi sous le nom de guerre de Varna (en turc : Varna SavaĆŸÄ±), se dĂ©roule le entre Varna et Kaliakra dans l'actuelle Bulgarie et oppose les forces combinĂ©es de la Hongrie, de la Pologne et de la Valachie commandĂ©es par le roi Ladislas III Jagellon aux Ottomans emmenĂ©s par leur ancien sultan Mourad II. Ces derniers remportent l'affrontement, qui marque donc l'Ă©chec de la croisade de Varna prĂȘchĂ©e par le pape EugĂšne IV et dĂ©butĂ©e quelques mois auparavant.

Bataille de Varna
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
La bataille de Varna
peinture de Jan Matejko.
Informations générales
Date
Lieu Varna (Empire ottoman)
Issue Victoire ottomane
Forces en présence
16 000[1] Ă  30 000 hommes[2]37 000 Ă  60 000 hommes[1]
Pertes
11 000 Ă  21 000 morts≈ 4 000 morts

Croisade de Varna

Batailles

NiĆĄ · Zlatitsa (en) · Kunovica (en) · Varna

CoordonnĂ©es 43° 13â€Č nord, 27° 53â€Č est
GĂ©olocalisation sur la carte : Bulgarie
(Voir situation sur carte : Bulgarie)
Bataille de Varna

Contexte

L'ouverture des portes de l'Europe aux Ottomans par les Romains

Au XIVe siĂšcle, l'Empire romain d'Orient est confrontĂ© Ă  une multitude de catastrophes. Il est frappĂ© par plusieurs Ă©pidĂ©mies de peste, des querelles religieuses, des rivalitĂ©s dynastiques et des guerres civiles. En 1345, Jean CantacuzĂšne demande l’appui des Ottomans pour s’emparer du trĂŽne impĂ©rial. Les soldats turcs traversent les Dardanelles et soumettent la Thrace au nom de l’Empereur. À la suite de cet Ă©pisode, les Ottomans ne cessent d’intervenir dans les affaires de l’Empire romain d'Orient.

Les Ottomans profitĂšrent ensuite des difficultĂ©s de l’Empire romain d'Orient contre les Serbes et les Bulgares dans les Balkans pour se porter Ă  la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts du Basileus. Ils prennent pied sur le continent europĂ©en en 1352 lorsque Jean CantacuzĂšne, devenu Empereur, leur cĂšde le chĂąteau de Çimpe en remerciement pour leur aide lors de la guerre civile. Dans les annĂ©es 1360, ils conquiĂšrent Andrinople sur Jean V PalĂ©ologue, devenant ainsi les maĂźtres de la Thrace. Ils rebaptisent la ville Edirne et en font leur capitale, dĂ©monstration de leur volontĂ© d’expansion et d'implantation durable dans les Balkans.

L'encerclement de l'Empire romain d'Orient pousse Jean V PalĂ©ologue Ă  chercher de l'aide auprĂšs de l'Occident chrĂ©tien. Il se rend en Italie pour demander un soutien militaire qu’il n’obtient pas, car il n’a pas de quoi payer. Faisant escale Ă  Venise sur le chemin du retour, il est fait prisonnier par le doge Andrea Contarini pour ne pas avoir remboursĂ© ses dettes. HumiliĂ©, il finit par se reconnaĂźtre le vassal du sultan ottoman Mourad Ier[3].

La Serbie et la Bulgarie

AprĂšs les conquĂȘtes rapides des possessions romaines, les Ottomans avaient comme nouvel objectif, la conquĂȘte des pays slaves et de la pĂ©ninsule balkanique. Le , ils remportent la bataille de la Maritsa, aussi appelĂ©e « la dĂ©route des Serbes ». Le sultan Mourad Ier est alors reconnu comme suzerain par de nombreuses principautĂ©s serbes.

Le prince Lazare dĂ©cide de se proclamer roi de Serbie et de s’émanciper de la tutelle ottomane. Avec une coalition de chrĂ©tiens originaires de plusieurs États d’Europe de l’est, il affronte l’armĂ©e ottomane et ses vassaux, notamment l’Empire romain d'Orient, Ă  la premiĂšre bataille de Kosovo, le . La bataille est trĂšs serrĂ©e et l’issue semble incertaine, jusqu’à ce que le sultan meure poignardĂ©. Les chrĂ©tiens sont alors convaincus de leur victoire, mais les fils du sultan reprennent le dessus et remportent la victoire. Lazare est dĂ©capitĂ©, et la Serbie moravienne devient vassale de l’Empire ottoman. AprĂšs le siĂšge de Tarnovo en 1393, c’est la Bulgarie qui tombe aux mains des Turcs, suivi par la Valachie en 1395[3].

La bataille de Nicopolis (1396)

À la suite des conquĂȘtes de la Serbie et de la Bulgarie par les Ottomans, la Hongrie est toute dĂ©signĂ©e pour ĂȘtre leur prochaine victime. Son roi, Sigismond de Luxembourg, demande le soutien des princes chrĂ©tiens pour combattre les Turcs et dĂ©fendre l’Europe centrale. Des combattants français, anglais, allemands, des chevaliers de Rhodes et des mercenaires rĂ©pondent Ă  son appel en grand nombre, alors que Venise, GĂȘnes et l’Empire romain d'Orient fournissent les navires pour transporter les troupes. L'affrontement, considĂ©rĂ© par certains comme une croisade, a lieu le Ă  Nicopolis. Les Ottomans remportent une victoire importante sur les troupes chrĂ©tiennes et de nombreux nobles français, comme Jean de Vienne ou Jean de Carrouges, trouvent la mort.

Les consĂ©quences de cet affrontement ont une importance majeure. Les Ottomans consolident leurs territoires dans les Balkans, qui s’étendent dĂ©sormais jusqu’au Danube. Elle constitue la derniĂšre croisade pour l’Europe occidentale, les Balkans sont dĂ©sormais seuls pour faire face aux Ottomans. De plus, cette bataille constitue le coup d’envoi des guerres entre la Hongrie et les Ottomans, qui sont prolongĂ©es jusqu’au XVIIIe siĂšcle avec l’Autriche[3].

SiĂšge de Constantinople (1422) de Thessalonique (1422-1430) et autres conquĂȘtes

En 1422, l’oncle du sultan Mourad II, Mustafa, revendique le trĂŽne. Les Romains, vassaux de l’Empire ottoman, se voient dans l’obligation de soutenir l’un des deux camps. Manuel II PalĂ©ologue, sous les pressions de son fils et coempereur Jean VIII PalĂ©ologue, dĂ©cide d’appuyer Mustafa. Ce dernier est finalement vaincu et tuĂ© Ă  Andrinople. Pour se venger, Mourad II assiĂšge Constantinople, mais Ă©choue Ă  prendre la ville. Il se tourne alors vers Thessalonique, que les Romains cĂšdent Ă  Venise en 1423, car ils sont dans l’incapacitĂ© de dĂ©fendre la ville.

En 1430, Les Ottomans rĂ©ussissent finalement Ă  prendre Thessalonique. Si en raison de leurs intĂ©rĂȘts commerciaux, la rĂ©publique de Venise avait toujours consenti Ă  entretenir de bonnes relations avec les Ottomans, cet Ă©pisode, oĂč des VĂ©nitiens perdent la vie face aux Ottomans, constitue un tournant dans les relations entre les deux puissances. DĂšs lors, Venise rejoint la coalition anti-ottomane. Jusqu’en 1439, Les Ottomans multiplient les conquĂȘtes dans les Balkans, annexant la Thessalie, l’Épire et l’Albanie.

La succession du royaume de Hongrie

En 1439, alors que la Hongrie est menacĂ©e par l’avancĂ©e ottomane, son roi Albert II dĂ©cĂšde sans hĂ©ritier mĂąle. Son fils Ladislas V ne naĂźt que l’annĂ©e suivante. Une querelle de succession oppose alors la reine Élisabeth de Luxembourg, veuve d’Albert II, qui revendique le trĂŽne pour Ladislas V, et plusieurs nobles, dont Jean Hunyadi, qui dĂ©sirent faire de Ladislas III Jagellon, l'influent roi de Pologne, le souverain de Hongrie. Le pape EugĂšne IV donne son soutien Ă  Ladislas III, qui est sacrĂ© roi en 1440, en Ă©change de la promesse de son appui dans une croisade pour Ă©radiquer la prĂ©sence ottomane dans les Balkans[4].

SiĂšge de Belgrade (1440) et pression des Karamanides en Anatolie

Conscient de l’importance stratĂ©gique de Belgrade pour la conquĂȘte de l’Europe centrale, le sultan Mourad II Ă  la tĂȘte d'une armĂ©e de 100 000 hommes, pose une premiĂšre fois le siĂšge devant la citĂ© (en) fin . L’historien serbe DuĆĄan T. Bataković commente ainsi la portĂ©e de cette pĂ©riode pour la ville : « La signification de Belgrade dans l’histoire serbe ne fit qu’augmenter Ă  mesure que se rapprochait la chute du rĂ©gime du despotat serbe. Belgrade devint le symbole des efforts conjuguĂ©s afin d’empĂȘcher les Turcs de pĂ©nĂ©trer en Pannonie et jusqu’au centre du continent europĂ©en »[5].»

Au moment oĂč les Ottomans sont repoussĂ©s Ă  Belgrade par les chrĂ©tiens, le beylicat des Karamanides, dynastie turque rivale des Ottomans, se rĂ©volte et attaque les Ottomans en Anatolie. Mourad II est donc obligĂ© de quitter les Balkans pour aller mater la rĂ©bellion.

Pendant ce temps, le roi Ladislas III Jagellon, qui devait faire face Ă  Élisabeth de Luxembourg et ses partisans qui refusaient de reconnaĂźtre son autoritĂ©, en profite pour mettre fin, en 1442, Ă  la guerre civile qui divisait la Hongrie depuis son couronnement. À partir de ce moment, il peut se consacrer pleinement Ă  sa promesse de croisade faite au Pape EugĂšne IV en Ă©change de son couronnement[4].

Organisation de la croisade

Tentative d'unification des églises orthodoxe et catholique, puis l'appel à la croisade contre les Ottomans et pour la défense de l'Europe centrale

À la suite de la catastrophe de Nicopolis en 1396, le destin de l'Empire romain d'Orient Ă©tait plus qu’incertain. IsolĂ© de toute part, et ne pouvant plus compter sur l’appui des Occidentaux, la chute de Constantinople semble inĂ©luctablement proche. Ce fut l’Empire timouride qui donna du rĂ©pit Ă  la ville. Tamerlan Ă©crasa, en 1402, l’armĂ©e ottomane de Bayezid Ier Ă  la bataille d'Ankara. Aux yeux des chrĂ©tiens, l’occasion Ă  saisir Ă©tait unique pour reprendre la lutte contre les Turcs dans l’espoir d’écarter pour longtemps leur menace sur l'Empire romain d'Orient, voire de les chasser des Balkans. Bayezid avait Ă©tĂ© fait prisonnier par Tamerlan et s’était donnĂ© la mort, ses quatre fils (Mehmed, Suleyman, Isa et Musa) se disputaient sa succession. L’Empire ottoman se disloquait. Mais les relations tendues entre les diffĂ©rentes nations chrĂ©tiennes avaient fait en sorte qu’aucune action ne fĂ»t organisĂ©e pour contrer les Ottomans[3]. La guerre de Cent Ans et le Grand Schisme entre les papautĂ©s de Rome, d'Avignon et de Pise divisent alors l'Occident chrĂ©tien. Le sultan Mehmed Ier, rĂ©gnant de 1413 Ă  1421, a donc le temps de reconstituer ses forces et de rĂ©organiser l'État[6].

Mais, en 1438, l'Empire romain d'Orient doit maintenant faire face Ă  un Empire ottoman puissant gouvernĂ© par le sultan Mourad II, dont l’autoritĂ© n’est plus contestĂ©e. Conscient que la prise de la ville n’est plus qu’une question de temps, l’empereur Jean VIII sollicite l’aide des Occidentaux, ses seuls alliĂ©s potentiels. Sachant qu’il lui faudrait l’appui du Pape pour prĂȘcher une croisade afin de protĂ©ger le foyer de la chrĂ©tientĂ© orthodoxe, il s’accorde avec EugĂšne IV pour organiser un concile ƓcumĂ©nique Ă  Ferrare afin d’entamer la rĂ©unification des Églises orthodoxe et catholique. L'union est obtenue, mais n’est finalement jamais appliquĂ©e en raison de l'opposition des ecclĂ©siastes orthodoxes qui l'avaient signĂ©e sous la contrainte de Jean VIII. Toutefois, elle aura permis l'enclenchement des dĂ©marches pour lancer une Ă©ventuelle croisade contre les Ottomans[7].

C’est ainsi que le , le pape Eugùne IV publie une bulle appelant à la croisade[8].

La croisade de Varna

Le début, un triomphe en demi-teinte pour les Chrétiens

DĂ©but , Jean Hunyadi, le voĂŻvode de Transylvanie (alors sous contrĂŽle hongrois), arrĂȘte une force d'invasion ottomane de 70 000 hommes commandĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Hadım ƞehabeddin (en) sur les rives de la Ialomița.

Galvanisé par cette victoire, Hunyadi pense qu'une nouvelle croisade est possible. En Anatolie, au printemps 1443, les Karamanides se soulÚvent et le sultan Mourad II décide d'aller les mater, laissant alors provisoirement la Roumélie sous les ordres de ses généraux. La diÚte de Buda profite de cette situation pour déclarer la guerre aux Ottomans le jour du dimanche des Rameaux. Mais, en raison d'un manque de coordination, l'Empire ottoman n'est pas pris a revers et Mourad II écrase les Karamanides avant que les chrétiens n'ait pu mettre leurs menaces à exécution.

Chemins empruntés par les différents protagonistes de la croisade de Varna.

À la mi-, sachant que le sultan ne pourra pas mobiliser ses timariotes, occupĂ©s Ă  collecter la rĂ©colte pour payer les impĂŽts, Hunyadi franchit le Danube Ă  la tĂȘte d'une armĂ©e de 40 000 hommes. AccompagnĂ© de Ladislas III Jagellon et Đurađ Branković, il attaque NiĆĄ au dĂ©but du mois de et s'empare de la ville, poussant Kasım Pasha (en) (successeur de Hadım ƞehabeddin Ă  la tĂȘte de la RoumĂ©lie) et son co-commandant Turahan Beg Ă  fuir en direction de Sofia pour avertir Mourad II du danger imminent qui pĂšse sur son Empire. Dans leur dĂ©bĂącle, les deux hommes utilisent la politique de la terre brĂ»lĂ©e afin d'user les croisĂ©s. ArrivĂ©s Ă  Sofia, ils conseillent au sultan d'incendier la ville et de se retirer dans les cols de montagne alentours, oĂč les Ottomans pourraient bĂ©nĂ©ficier d'un avantage malgrĂ© leur criante infĂ©rioritĂ© numĂ©rique. Le sultan accepte la seconde proposition, permettant aux Ottomans de remporter la bataille de Zlatitsa (en) le . Les Ottomans tentent de capitaliser sur cette victoire, mais leur armĂ©e, partie Ă  la poursuite des croisĂ©s, est vaincue par ces derniers Ă  la bataille de Kunovica (en) aprĂšs ĂȘtre tombĂ©e dans une embuscade dĂ©but . Quelques jours aprĂšs leur victoire, les croisĂ©s atteignent Prokuplje oĂč Đurađ Branković propose Ă  ses alliĂ©s hongrois et polonais de passer l'hiver dans les villes fortifiĂ©es serbes, ce qu'ils refusent, prĂ©fĂ©rant retourner Ă  Buda pour y cĂ©lĂ©brer leur "victoire". Pendant ce temps, Mourad II dĂ©cide de dĂ©mettre Turahan Beg de ses fonctions et de le faire emprisonner Ă  Tokat afin de lui faire payer l'Ă©chec de Kunovica dont il le tient largement responsable.

Le traité d'Edirne et la paix de Szeged

Le sultan Mourad II est poussĂ© Ă  la paix par sa sƓur dont le mari est captif des croisĂ©s et par sa femme Mara dont le pĂšre n'est d'autre que Đurađ Branković. Le , Mara envoie un Ă©missaire Ă  son pĂšre pour entamer des pourparlers de paix. Le , Đurađ Branković envoie une lettre Ă  Mourad II pour lui annoncer que son ambassadeur Stojka Gisdanić est sur le point d'arriver Ă  Edirne pour y nĂ©gocier un traitĂ© de paix qu'il lui demande de remettre en Hongrie avec ses propres ambassadeurs afin que Ladislas III puisse Ă©galement y adhĂ©rer. Le mĂȘme jour, ce dernier jure devant la diĂšte et le cardinal Giuliano Cesarini de conduire une nouvelle expĂ©dition contre les Ottomans Ă  l'Ă©tĂ©.

Un premier traitĂ© est signĂ© Ă  la va-vite Ă  Edirne le en raison d'une nouvelle attaque des Karamanides en Anatolie. Les termes de la paix acceptĂ©s par Mourad II sont trĂšs dĂ©favorables Ă  son Empire puisqu'ils incluent la reddition de 24 villes serbes comprenant les grandes forteresses danubiennes de Golubac et de Smederevo[9]. AprĂšs avoir jurĂ© de respecter le traitĂ©, Mourad II envoie le Bulgare SuleĂŻman Baltaoğlu et le Grec Vranas Ă  la cour du roi de Hongrie pour que celui-ci le ratifie. Mais Ladislas III a d'autres plans : il promet au cardinal Cesarini de rassembler une grande armĂ©e Ă  VĂĄrad le pour attaquer Ă  nouveau les Ottomans. Đurađ Branković est plus enclin Ă  accepter la paix, qui lui est trĂšs favorable, et soudoie Jean Hunyadi (en lui transfĂ©rant la seigneurie de VilĂĄgosvĂĄr) pour qu'il l'accepte Ă  son tour.

DĂ©but , les ambassadeurs ottomans Baltaoğlu et Vranas arrivent Ă  Szeged, oĂč la version finale du traitĂ© (encore plus dĂ©favorable aux Ottomans puisqu'elle inclut le retrait des troupes ottomanes d'Albanie) est actĂ©e le . Le lendemain, elle est ratifiĂ©e par Đurađ Branković et Jean Hunyadi Ă  VĂĄrad.

Reprise de la croisade, en route vers Varna

Ladislas III, qui avait jurĂ© devant une assemblĂ©e de barons et de prĂ©lats d'« abjurer tout traitĂ©, prĂ©sent ou futur, qu'il avait passĂ© ou qu'il allait conclure avec le sultan », propose Ă  Jean Hunyadi de trahir la paix de Szeged (en) en Ă©change de la Bulgarie, ce qu'il accepte immĂ©diatement. Au mĂȘme moment, Mourad II retourne en Asie pour rĂ©gler un nouveau conflit avec les Karamanides. Pensant que les termes de la paix de Szeged contenterait les CentreuropĂ©ens pour les annĂ©es Ă  venir, Mourad II abdique en faveur de son jeune fils Mehmed II, une fois le problĂšme karamanide rĂ©solu. Les CentreuropĂ©ens voient dans la nomination de cet adolescent de 12 ans inexpĂ©rimentĂ©, une raison de plus pour relancer la croisade de Varna, ce qu'ils font le en ayant pris soin d'attendre que les Ottomans remplissent leur part du traitĂ© d'Edirne.

Pour les croisĂ©s, cette occasion constitue enfin la revanche tant attendue sur le dĂ©sastre de Nicopolis. Les armĂ©es croisĂ©es empruntĂšrent Ă  nouveau la route du Danube, pillant tout sur leur passage, pour rejoindre en mer Noire la flotte vĂ©nitienne qui les conduirait ensuite Ă  Constantinople. En longeant la cĂŽte, les coalisĂ©s dĂ©boucheraient dans la plaine de Thrace, profitant de l’absence du sultan encore en Anatolie.

La bataille de Varna est une option Ă  laquelle les croisĂ©s n'avaient mĂȘme pas songĂ© lors du lancement de la Longue campagne. Mais l’une des principales faiblesses des croisades sont les rivalitĂ©s opposant les diffĂ©rents acteurs des coalitions chrĂ©tiennes. Elles affaiblissent considĂ©rablement la coordination des actions communes et le fait que chacun tente de servir ses intĂ©rĂȘts avant ceux de la coalition ne permet pas d’établir un climat de confiance. Les dĂ©cisions personnelles, imprĂ©visibles, peuvent mettre en pĂ©ril toute une opĂ©ration et diminuer les chances de succĂšs.

Le sultan, conscient de cela, utilise cet atout Ă  son avantage. Les territoires autrefois occupĂ©s par l’Empire romain d'Orient et maintenant sous le contrĂŽle de l’Empire ottoman sont cruciaux pour le commerce maritime de Venise et GĂȘnes. Ainsi, lorsque Venise envoie sa flotte en direction du Bosphore pour empĂȘcher le dĂ©barquement de l'armĂ©e de Mourad II dans les Balkans, Mourad signe un accord commercial avec les GĂ©nois, rivaux des VĂ©nitiens. En contrepartie, ces derniers assurent le transport de ses troupes de l'autre cĂŽtĂ© du Bosphore. Les VĂ©nitiens, ralentis par les manƓuvres de la flotte gĂ©noise, ne peuvent rejoindre les croisĂ©s qui se retrouvent coincĂ©s Ă  Varna alors que les Ottomans arrivent Ă  grands pas par le sud.

La bataille de Varna

DĂ©roulement

AprĂšs leur dĂ©faite Ă  Belgrade (en) en , les Ottomans ont signĂ© une trĂȘve de dix ans avec la Hongrie que cette derniĂšre ne respecte pas, puisqu'elle s'est entendue avec la rĂ©publique de Venise et le pape EugĂšne IV pour organiser une nouvelle croisade. Mourad II, rappelĂ© au pouvoir par le Grand Vizir Çandarlı Halil Hayreddin Pacha, dĂ©cide donc de mener son armĂ©e sur les terres occidentales. Des bateaux français et gĂ©nois aident son armĂ©e Ă  traverser le Bosphore.

L'armĂ©e chrĂ©tienne commandĂ©e par les voĂŻvodes de Transylvanie et de Valachie, Jean Hunyadi et Vlad Dracul, est principalement formĂ©e de Magyars, de Roumains et de Polonais, mais compte aussi des dĂ©tachements tchĂšques, croates, serbes, bulgares, russes et mĂȘme français.

La flotte vĂ©nitienne, incapable de transporter les croisĂ©s de Varna Ă  Constantinople, n'est pas non plus en mesure d'empĂȘcher l'armĂ©e ottomane venue d'Anatolie de dĂ©barquer en Europe, ce qui lui vaut des accusations de trahison qu'elle niera toujours.

Chronique Wszystkiego ƚwiata de Marcin Bielski, publiĂ©e en 1564.

Le , les chrétiens sont alertés de la présence d'une énorme armée ottomane autour de Kaliakra, Jean Hunyadi va en reconnaissance l'examiner. Réalisant que les forces turques surpassent largement en nombre celles des chrétiens, il convoque immédiatement un conseil de guerre. Cesarini est favorable à un retrait, les Turcs ayant l'avantage du terrain. Mais la fuite aurait laissé la possibilité aux Turcs de harceler sans relùche les chrétiens, de plus la fierté de Ladislas III et de Hunyadi les dissuade de fuir. Cesarini propose alors de camper sur une position défensive et d'attendre des renforts moldaves, génois et romains par la mer Noire, de maniÚre à prendre les Ottomans à revers. Tous approuvent sauf Hunyadi qui préfÚre une attaque frontale pour paniquer l'ennemi. « S'échapper est impossible, se rendre est impensable. Battons-nous avec courage et honorons nos armes », dit-il.

Le , la bataille de Varna commence. Du cĂŽtĂ© des ChrĂ©tiens, Jean Hunyadi couvrit les arriĂšres de l’armĂ©e par des voitures et des machines. L’aile gauche, composĂ©e majoritairement de cavaliers polonais, s’appuie sur le lac Varna pour protĂ©ger son flanc gauche. L’aile droite, qui constitue le principal atout des Hongrois, s’installe entre le lac et les cĂŽtes de la mer. Hunyadi place le roi Ladislas III Ă  l’arriĂšre, oĂč il ne court pas de danger, et lui demande de rester en position tant qu’on ne l’appelle pas. Hunyadi quant Ă  lui, garde les Valaques prĂšs de lui et se tient prĂȘt Ă  appuyer la premiĂšre ligne. Du cĂŽtĂ© des Ottomans, Mourad s’installe au centre avec ses janissaires, derriĂšre un fossĂ© garni de pieux. La cavalerie est rĂ©partie Ă©quitablement sur les ailes gauche et droite et les bagages et chameaux sont laissĂ©s derriĂšre[9].

La bataille commence, quinze mille cavaliers d’Asie chargent en premier, Hunyadi va Ă  leur rencontre avec les Valaques. Ils les repoussent, les poursuivent et pĂ©nĂštrent jusqu’à la tente du sultan qui veut prendre la fuite. Vers le dĂ©but de l’aprĂšs-midi, aprĂšs l’anĂ©antissement et la mise en dĂ©route des flancs du dispositif ottoman, la partie est pratiquement gagnĂ©e pour l’armĂ©e commandĂ©e par Jean Hunyadi. Les Valaques continuent leur course jusqu’aux bagages oĂč ils pillent les chameaux et les chariots ennemis pendant que les Hongrois et les Roumains de Transylvanie sĂšment la mort sur l’aile gauche parmi les RoumĂ©liotes en fuite. La victoire est Ă  portĂ©e de main pour les croisĂ©s. Selon le plan de Hunyadi, les escadrons du roi doivent rester encore immobiles pour fixer la garde de Mourad II et l’empĂȘcher d’intervenir dans la bataille. Une fois la droite ottomane anĂ©antie, la totalitĂ© des forces chrĂ©tiennes pourrait converger vers le centre ottoman pour engager dans un combat dĂ©cisif ce dernier corps de l’armĂ©e ennemie. Mais Ladislas III, voyant les Valaques percer les lignes ennemis, ne suit pas les conseils d’Hunyadi et fonce tĂȘte baissĂ©e vers Mourad avec sa garde personnelle de 500 cavaliers, alors que Mourad est dĂ©fendu par 5 000 janissaires. ObligĂ©e de traverser le fossĂ© de pieux et exposĂ©e aux volĂ©es de flĂšches ennemies, la garde du roi subit de nombreuses pertes[4].

Lorsque Mourad aperçoit Ladislas, il perce son cheval avec un javelot. Le roi tombe au sol et se fait dĂ©capiter par un des janissaires de Mourad, qui s'empresse d'embrocher sa tĂȘte sur une lance afin de la dĂ©voiler aux croisĂ©s en criant : « Voici la tĂȘte de votre roi ! ». Les croisĂ©s, dans un mouvement de panique gĂ©nĂ©ral, commencent tous Ă  s’enfuir. Mais le lendemain, Mourad attaque le reste des Hongrois et rĂ©ussit Ă  les faire presque tous prisonniers[9].

Apprenant Ă  leurs dĂ©pens qu'ils ne pourraient vaincre leur ennemi qu'en le poussant Ă  quitter ses retranchements (leurs attaques de cavalerie sur les deux ailes ennemies s'Ă©tant heurtĂ©es Ă  une efficace rĂ©sistance) Mourad II et ses gĂ©nĂ©raux battirent en retraite afin de pousser Hunyadi Ă  attaquer au centre. Ladislas III qui menait l'attaque, s'Ă©crasa contre les rangs des janissaires, dĂ©fendus de fossĂ©s et de pieux fichĂ©s vers l'avant. Au terme d'un rude affrontement, ils encerclĂšrent sa garde et le tuĂšrent. La mort du roi, conjuguĂ©e Ă  la charge de la cavalerie ottomane qu'ils croyaient en dĂ©route, provoqua la panique des combattants hongrois. Hunyadi s'Ă©chappa grĂące au sacrifice de ses compagnons[10]. La tĂȘte du roi Ladislas fut exposĂ©e Ă  Andrinople.

Conséquences

AprĂšs cet Ă©pisode dĂ©sastreux, les chrĂ©tiens sont dĂ©moralisĂ©s, d'autant plus qu'une tempĂȘte empĂȘche la venue de la flotte des Romains, des Moldaves et des GĂ©nois. L'armĂ©e chrĂ©tienne se dĂ©gage de la nasse de Kaliakra et fuit devant les musulmans. Autant d'hommes meurent au cours de la fuite que de la bataille. Toutefois, les pertes importantes essuyĂ©es par l'Empire ottoman lors de la bataille, l'empĂȘchent de capitaliser sur sa victoire plus dissuasive qu'autre chose.

En 1448, Jean Hunyadi tente une derniÚre fois de mener une campagne répressive contre les Ottomans, mais il est défait lors de la seconde bataille de Kosovo. Cette défaite et celle de Varna sonnent le glas des croisades et de l'aide apportée par les occidentaux à Constantinople, qui tombe aux mains des Ottomans cinq ans plus tard[7]. De plus, à la suite de ces deux défaites, la plupart des territoires balkaniques au sud du Danube passent définitivement sous le contrÎle des Ottomans[6].

Notes et références

  1. (en) Frank Tallett (dir.) et D. J. B. Trim (en) (dir.), European warfare, 1350-1750, Cambridge, Cambridge University Press, , 394 p. (ISBN 978-0-521-88628-4, 0-521-88628-7 et 978-0-521-71389-4, OCLC 435418136, lire en ligne), chap. 7 (« Ottoman military organisation in South-Eastern Europe, c.1420-1720 »), p. 143 :
    « Drawing only on internal sources, the Ottomans mobilised 30,000 to 40,000 troops from Anatolia who were joined by a further 7,000 Rumelian troops following their crossing of the Gallipoli Straits into Rumelia. When the volunteer and self-mobilising akinci forces are included, it seems probable that an Ottoman force totalling nearly 60,000 took the field against the invading crusader army of 16,000. »
  2. (en) Joanot Martorell et MartĂ­ Joan de Galba (en) (trad. David H. Rosenthal (en), prĂ©f. David H. Rosenthal), Tirant lo Blanc, Baltimore, Johns Hopkins University Press, , 640 p. (ISBN 0-8018-5421-0 et 978-0-8018-5421-7, OCLC 34046341)
  3. Jean-François Solnon, L’Empire ottoman et L’Europe, Paris, Perrin, , 832 p. (ISBN 978-2-262-07216-2), p. 27-30, 33-36, 39-42, 44
  4. Emmanuel Antoche, « Les expéditions de Nicopolis (1396) et de Varna (1444) : Une comparaison, Partie II », sur www.academia.edu
  5. Bataković, Duơan T., 1957- ... et Mihailovic, Ljubomir, 19..- ..., Histoire du peuple serbe, L'Age d'homme, (ISBN 2-8251-1958-X et 978-2-8251-1958-7, OCLC 420118941, lire en ligne), p.83
  6. Delorme, Olivier, (1958- ...).,, La GrĂšce et les Balkans : du Ve siĂšcle Ă  nos jours. I, Paris, Gallimard, impr. 2013, cop. 2013 (ISBN 978-2-07-039606-1 et 2-07-039606-1, OCLC 863155908, lire en ligne), p. 73, 76-77
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