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Complexe militaro-industriel français

Le terme complexe militaro-industriel désigne l'ensemble constitué par l'industrie de l'armement, les forces armées et les décideurs publics, et le jeu de relations complexes (lobbying) entre ces trois pôles destiné à influencer les choix publics. Il y a très souvent une situation de monopsone (un acheteur plusieurs offreurs). Très souvent les acheteurs (dont l’État français) font des appels d'offres.

Femmes françaises travaillant dans une fabrique de munitions en 1917.

En France, le complexe militaro-industriel français, autrefois associé à l’armée française et affecté à la protection des frontières face aux ennemis identifiés lors des guerres issues du XIXe siècle, a fait l’objet d’un repositionnement au sein de l’industrie de l’armement de manière à rester performant dans un contexte contemporain de mondialisation des ventes d’armes.

La résultante de cette restructuration implique notamment un abandon de la filière du blindé léger dans la zone traditionnelle de production du département de la Loire (année 2002) ainsi que la fin de la production de fusil d’assaut et de munitions de petit calibre à la fin des années 1990.

Compte tenu de cette évolution, le terme pourrait paraître abusif, quoique l’intégration horizontale se poursuive au travers de grandes entreprises contractantes associées à des fournisseurs, l’ensemble étant habilité défense et sous le contrôle de la DGA (direction générale de l’Armement), qui assure la vision stratégique et les grands programmes étatiques.

En s’appuyant sur les importantes commandes nationales (la France est un des deux derniers pays européens de l’OTAN avec le Royaume-Uni à entretenir des forces armées capables de déploiements « entrée en premier » dans tout le spectre des opérations), qui lui permettent de dégager les marges pour innover et investir, le complexe militaro-industriel français tisse aussi de nombreux partenariats avec les industries de défense britanniques (Lancaster House, drones), italiennes (FREMM, Frégates Horizon) et européennes en général (A400M, A330 MRTT, Eurocopter Tigre), ce qui le place au centre d’une éventuelle consolidation de l’industrie européenne de défense.

Historique

Des canons aux blindés légers

La ville de Saint-Étienne fut rebaptisĂ©e "Armeville" pendant la RĂ©volution et sa Manufacture d'armes fut dès lors le point d'approvisionnement des armĂ©es de la jeune RĂ©publique française. Elle Ă©quipa l'armĂ©e française pendant la Première Guerre mondiale, fabricant fusils Lebel et canons de 75 mm. Cette tradition de production industrielle Ă  usage militaire se poursuivit dans la rĂ©gion jusque l'implantation de la production du char lĂ©ger dans la rĂ©gion, Ă  Saint-Chamond, filière en cours d'abandon.

Cette situation pour les chars légers ne semble pas se transposer pour d'autres types de véhicules de transport blindés, le successeur du VAB de l'armée de terre étant l'objet d'un appel d'offres (voir proposition Renault Trucks).

Première Guerre mondiale

Toutes proportions gardées, la France a aussi son bassin houiller et sidérurgique dont le contrôle devient aussi important que celui du voisin : sa « Ruhr » est identifiée comme le Bassin de Briey en 1914. Les critiques pacifistes des deux bords du Rhin décrient le conflit à venir comme un conflit de sidérurgistes et de constructeurs de canons : le comité des forges contre la famille Krupp.

Entre-deux-guerres

Sur la base des tanks (réservoirs en anglais, selon le nom de code de cette arme secrète) qui avaient percé les tranchées de 1914-1918, le ministère de la guerre commande dans les années 1930 un char de combat lourd pour équiper l'armée française : ce sera le char B1.

Sabotages durant la « drôle de guerre »

Malgré la guerre, les ouvriers de l’aviation française ne travaillent ni le samedi ni le dimanche. Pour respecter la consigne du Parti communiste français (PCF) : « Une heure de moins pour la production, c’est une heure de plus pour la révolution. » De nombreux sabotages sont commis[1].

Le lundi , le troisième tribunal militaire de Paris jugera d’ailleurs six membres des Jeunesses communistes (JC) travaillant aux usines Farman. Quatre d’entre eux seront condamnés à mort et trois exécutés. Ils avaient commencé à saboter deux ou trois moteurs d’avion par jour, puis ils avaient fini par en saboter une vingtaine.

Emplois et chiffre d’affaires

Femmes au travail Ă  l'Arsenal de Saint-Malo entre 1940 et 1945

Après la Seconde Guerre mondiale, les emplois directs dans le secteur industriel de la dĂ©fense ont culminĂ© Ă  310 000 en 1982[2] et sont depuis en baisse constante.

En 2007, cette industrie reprĂ©sente un chiffre d’affaires de 15 milliards d'euros pour 165 000 emplois directs[3].

En 2012, le conseil des industries de dĂ©fense françaises indique que le chiffre d’affaires global s'est Ă©tabli Ă  17,5 Milliards d'euros en 2011. 35 % de la production a Ă©tĂ© exportĂ©e, et ce secteur mobilise 80 000 emplois directs et 85 000 indirects.

Grâce aux exportations, l'industrie de défense a généré un solde commercial positif de 2,7 milliards d'euros en 2011, alors que le solde commercial de la France s'établissait comme étant en déficit, à 70,1 milliards d'euros. C'est en Provence-Alpes-Côte d'Azur que le poids de la défense est le plus lourd, avec 20 % de l'activité industrielle. Ce ratio tombe à 12 % en Île-de-France, 11 % en Bretagne et 10 % en Centre-Val de Loire[4].

En 2018, cette industrie s'appuie sur 10 grands groupes et plus de 4 000 PME, dont 350 sont considĂ©rĂ©es comme stratĂ©giques. Ce tissu industriel reprĂ©sente plus de 200 000 emplois[5].

Alors que certaines technologies critiques de l'armement étaient dans les années 1960 encore des exclusivités américaines, le complexe militaro-industriel français et ses partenaires européens (à travers le groupe EADS-Airbus) couvrent de nos jours par leurs productions en série ou leurs démonstrateurs (pour le Neuron) l'ensemble du spectre des armements possibles à l'exception du fusil d'assaut et des AWACS : armement terrestre et chars, porte-avions et sous-marins nucléaire, destroyers furtifs polyvalents, missiles balistiques, de croisière, anti-navires et intercepteurs, radars, réseaux de transmissions et satellites de renseignement, avions de chasse et de transport, ravitailleurs, drones de combat, furtivité aérienne (ces deux derniers à l'état de démonstrateur dans le drone Neuron). L'indépendance stratégique européenne peut ainsi être assurée, même si en pratique de nombreux pays européens se fournissent encore aux États-Unis pour certaines techniques de pointe.

Composantes

La résultante de ce complexe militaro-industriel français au début du XXIe siècle est Nexter et Arquus pour le terrestre, Airbus, SAFRAN et Dassault, pour l’aéronautique, Thales et Sagem pour l’électronique (Thales a cependant aussi produit des equipements navals, telles que les frégates dans l'affaire Taiwanaise ), Naval Group (ayant aussi travaillé avec Thales) pour le naval, MBDA pour la missilerie, Eurenco pour les matériaux explosifs. Le tout étant sous la maîtrise d’œuvre de la direction générale de l’Armement (DGA) qui assure le suivi des programmes nationaux et la cohérence stratégique des travaux de recherche et développement. Les liens forts entre la DGA (ingénieurs à statut militaire) et les entreprises de défense permettent de parler à juste titre de « complexe militaro-industriel ».

Filière terrestre

Elle est constituée de plusieurs entreprises notamment familiales à l'origine parmi lesquelles :

Filière aéronautique

La France est un des principaux précurseurs dans l’aviation. Durant la Première Guerre mondiale, la production nationale a permis d’équiper une grande partie des forces de l’entente cordiale.

Alors que moins de 150 avions Ă©tait en service lors d'entrĂ©e en guerre en 1914, 3 608 avions Ă©taient en service lors de l'armistice du 11 novembre 1918. La France possède alors la première industrie aĂ©ronautique au monde et a fabriquĂ© un total de 52 000 avions et 90 000 moteurs d'avions[6]. Elle dispose alors de 115 usines employant 180 000 personnes pour 62 firmes dont 29 crĂ©atives[7]. Mais, malgrĂ© la montĂ©e des pĂ©rils dans les annĂ©es 1930, l'industrie aĂ©ronautique ne sortit que 432 avions militaires en 1938, 1 251 en 1939 et 2 937 avant la dĂ©faite de la bataille de France, une fraction de ce que fabriquait l'Allemagne (5 235 avions en 1938) et en règle gĂ©nĂ©rale avec des performances infĂ©rieures.

Aujourd'hui l'industrie aéronautique centrée sur les entreprises Airbus, Dassault, Daher, le missilier MBDA et le motoriste Safran, est à la pointe des dernières technologies de défense avec l'avion Rafale, le missile METEOR, le drone Neuron ou l'avion de transport A400M. Elle tire aussi la croissance de partenaires comme l'électronicien Thalès et profite au secteur naval dans le domaine des radars (Thalès) ou des missiles (Missile de croisière naval développé par MBDA sur la base du SCALP-EG).

Les capacités développées avec les programmes civils ARIANE et les filières de missiles ont permis le développement d'une filière aérospatiale capable de proposer des solutions aux nouveaux enjeux du bouclier anti-missile balistique (avec ASTER Block 2 de MBDA et EXOGUARD - projet d'intercepteur exo-atmosphérique - d'Astrium) ainsi que des solutions satellites (Galileo, Pléiades) stratégiques.

Filière navale

La Marine nationale étant une des premières marines d’Europe en tonnage, le marché domestique a permis à Naval Group de développer des technologies importantes (silence, furtivité, propulsion nucléaire, systèmes de gestion tactique). Le groupe est à la première place européenne dans les exportations de navires de surface (frégates de classe Lafayette, FREMM, BPC Mistral, corvettes de classe Gowind) et une importante entreprise dans l’exportation de sous-marins militaires, où la France est un des rares pays à disposer de la technologie des sous-marins nucléaires.

De nombreux projets sont développés avec des partenaires européens, principalement italiens (FREMM, frégates Horizon). La filière navale travaille avec des technologies clés développées par MBDA et Thalès pour le système d’armes.

Exportations

AMX AuF1 et AMX-10 P de la 20e brigade mécanisée des Forces armées saoudiennes à la fin de la guerre du Golfe de 1991.
Le monde musulman est l’un des principaux marchés de l’armement au monde.

Les exportations d’armes représentent un marché mondial de 62,8 milliards d’euros sur la période 2003-2007. La France avec 9% de part de marché se situe en troisième position après les États-Unis (31 %) et la Russie (27 %)[8]. En 2018, la France est passée deuxième exportateur[9]. Ce marché est réputé pour son manque de transparence (malgré la convention de l’OCDE contre la corruption) et par la présence d’opérations de « compensations » pouvant être demandées par l’acheteur (par exemple des opérations de transfert de technologie).

Sur la période 1999-2008, les principaux clients de la France étaient l’Inde, l’Arabie saoudite, la Grèce et les Émirats arabes unis (EAU). Les exportations représentent le tiers du chiffre d’affaires du secteur. En 2017, les trois principaux clients sont l’Inde, l’Arabie saoudite et le Qatar[10].

L’État joue un rôle de soutien dans la préparation des contrats. Néanmoins celui-ci est censé veiller à ce que les conventions internationales soient bien respectées[11].

La France, durant l'année 2015, enregistre un record de vente d'au minimum 15 milliards d'euros. C'est un record historique puisque, pour la première fois de son histoire, la France exporte plus que ce qu'elle en achète[12].

Ces exportations font l'objet de campagnes par les ONG dénonçant les ventes d'armes. Tel est le cas du contrat Donas[13], de ventes d'armes à l'Arabie saoudite dont une grande partie pourrait être utilisée par le corps expéditionnaire saoudien au Yémen[14] - [15].

En 2020, les ventes d'armes Ă  la Turquie sont suspendues.

Perception du secteur par ses acteurs

"Lorsqu'on est poli, on ne parle pas d'industrie de l'armement, mais d'industrie de la défense", rapporte Romain Mielcarek dans son livre[16].

Notes et références

  1. L'affaire « L'affaire Guy Moquet - Enquête sur une mystification officielle », sur Google Book (consulté le 17 août 2015).
  2. La Lettre du Groupe E3D no 2 - avril 1996
  3. Calepin international des principales entreprises travaillant pour la défense - décembre 2009, p. 119.
  4. « L'industrie de défense, combien de divisions ? », sur lemamouth.blogspot.fr, (consulté le )
  5. « Industrie », sur defense.gouv.fr, .
  6. Général André Martini, L'histoire de l'aviation légère de l'armée de terre 1794-2008, Paris, Lavauzelle, coll. « Histoire, mémoire et patrimoine », , 36,42 (ISBN 978-2-7025-1277-7)
  7. Chadeau Emmanuel. État, industrie, nation : la formation des technologies aéronautiques en France (1900-1950). In: Histoire, économie et société. 1985, 4e année, no 2. p. 275-300.
  8. « Économie : la France est le deuxième exportateur mondial d'armement », sur Franceinfo, (consulté le )
  9. « Vente d'armes à l'Arabie saoudite: la délicate position française », sur bfmtv.com, .
  10. « Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France en 2008 », sur defense.gouv.fr,
  11. « 2015, année record pour l’industrie de l’armement de la France », Dominique Gallois, Le Monde.fr, 30 avril 2015 (consulté le 17 août 2015).
  12. Acronyme de Don Arabie saoudite. Contrat rebaptisé SFMC (Saudi-French Military Contract).
  13. Jean Guisnel, « Armement : la France, supermarché de l'Arabie saoudite », sur lepoint.fr, .
  14. Anne Bauer, « L'Allemagne amorce le débat sur les livraisons d'armes à Riyad », sur lesechos.fr, .
  15. Romain Mielcarek, Marchands d'armes, enquête sur un business français, Taillandier (ISBN 979-10-210-2608-7), p. 19

Voir aussi

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • GĂ©nĂ©ral AndrĂ© Martini, L'histoire de l'aviation lĂ©gère de l'armĂ©e de terre 1794-2008, Paris, Lavauzelle, coll. « Histoire, mĂ©moire et patrimoine », , 36, 42 (ISBN 978-2-7025-1277-7) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Olivier Brachet, Christian Pons et Michel Tachon, La France militarisĂ©e : Ventes d'arme, Paris, Les Ă©ditions du Cerf, , 96 p. (ISBN 978-84-312-0191-3)
  • Centre local d'information et de coordination pour l'action non violente, Les trafics d'armes de la France : l'engrenage de la militarisation : Ă©tude, Paris, F. Maspero, , 335 p. (ISBN 2-7071-0909-6 et 9782707109095, OCLC 3870132)
  • Anne Poiret, Mon pays vend des armes, Les Arènes, Paris, 2019, 304 pages
  • Claude Serfati, Le militaire : une histoire française, Paris, Éditions Amsterdam, , 224 p. (ISBN 978-2-35480-150-2 et 2-35480-150-5, OCLC 986787087)
  • Jean Joana, ArmĂ©e et industrie de dĂ©fense : cousinage nĂ©cessaire et liaisons incestueuses, Pouvoirs, 2008/2 (no 125), p. 43-54. Jean Joana, « ArmĂ©e et industrie de dĂ©fense : cousinage nĂ©cessaire et liaisons incestueuses », sur www.cairn.info, Pouvoirs, (consultĂ© le )
  • Thibaud Boncourt, Marielle Debos, Mathias Delori, BenoĂ®t Pelopidas et Christophe Wasinski, « Que faire des interventions militaires dans le champ acadĂ©mique ? : RĂ©flexions sur la nĂ©cessaire distinction entre expertise et savoir scientifique », 20 & 21, Revue d'histoire, no 145,‎ , p. 135-150 (lire en ligne)

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