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Cigéo

Cigéo (acronyme de centre industriel de stockage géologique) est un projet français de centre de stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde, aussi appelé enfouissement des déchets nucléaires. Il est conçu pour enfouir (stocker) les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue produits par l’ensemble des installations nucléaires françaises, jusqu’à leur démantèlement, et par le traitement des combustibles usés utilisés dans les centrales nucléaires. Après plus de vingt ans de recherche, menées pour l'essentiel au laboratoire de Bure, le projet Cigéo prévoit d'implanter ce site quelques kilomètres plus au nord, à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, aux confins des communes de Ribeaucourt, Bure, Mandres-en-Barrois, et Bonnet[1], dans le bassin-versant de la Seine, à la limite de celui de la Meuse.

Le principe du stockage ou enfouissement profond est retenu par la loi française en 2006. Après une procédure de débat public ayant lieu courant 2013, la commission conclut qu'il n’y a pas urgence pour lancer l’enfouissement des déchets nucléaires et il faut revoir le calendrier. La loi définit en parallèle des voies alternatives[2] : l'entreposage de longue durée des déchets radioactifs, en attendant le stockage définitif ; ou la séparation-transmutation des déchets nucléaires en radioéléments de plus faible activité ou à vie plus courte.

Le coût du projet, dont l'estimation est encore incertaine, varie entre 15 et 36 milliards d'euros. Les modalités de son financement, théoriquement dévolu aux entreprises productrices de déchets, reposent partiellement sur le budget de l'État. L'acceptabilité sociale est l'un des paramètres majeurs de ce projet, un milliard d’euros a été dépensé à cet effet[3].

Afin d’accompagner l’installation du projet, deux groupements d’intérêt public (GIP) départementaux ont été créés. Le GIP Haute-Marne est présidé par Nicolas Lacroix, président du conseil départemental de Haute-Marne et le GIP Meuse par Jérôme Dumont, président de celui de la Meuse.

Depuis 1996, le projet suscite des controverses concernant le financement, la rĂ©versibilitĂ© du processus, les incertitudes sur la capacitĂ© Ă  garantir l'impermĂ©abilitĂ© du site sur une durĂ©e de 100 000 ans, la volumĂ©trie Ă  traiter et sur le caractère illusoire du dĂ©bat.

Maquettes de conteneurs standards pour déchets à haute activité (droite) et moyenne activité (gauche).

Stockage des déchets nucléaires à vie longue

Objectifs du stockage

L'exploitation des centrales nuclĂ©aires gĂ©nère des produits de fission, gĂ©nĂ©ralement de très haute activitĂ© dont la durĂ©e de vie se compte en dizaines de milliers d'annĂ©es[4]. S'y adjoignent des actinides, moins radioactifs mais dont la durĂ©e de vie peut se compter en millions d'annĂ©es, tel que le neptunium 237 qui prĂ©sente une demi-vie (ou pĂ©riode) de 2,1 millions d'annĂ©es[5], des produits de fission de moindre activitĂ© comme l’iode 129 (pĂ©riode de 16 millions d’annĂ©es)[6], et des produits d'activation comme le chlore 36 (pĂ©riode de 300 000 ans). Ces Ă©lĂ©ments sont des dĂ©chets nuclĂ©aires non-rĂ©utilisables. Dans le traitement du combustible nuclĂ©aire usĂ©, ils sont sĂ©parĂ©s de l'uranium et du plutonium, potentiellement rĂ©utilisables.

La stratĂ©gie de gestion de ces dĂ©chets radioactifs HAVL (soit donc les produits de fission PF et les actinides mineurs AMin) consiste Ă  les isoler dans des lieux inaccessibles Ă  l’homme le temps nĂ©cessaire Ă  la dĂ©croissance de leur radiotoxicitĂ©[7], l'enjeu principal pour le long terme rĂ©sidant dans la capacitĂ© de l'installation Ă  contenir suffisamment longtemps les radionuclĂ©ides au moyen des diffĂ©rentes barrières interposĂ©es entre les dĂ©chets et les Ă©cosystèmes de surface[8]. Une des options actuellement retenues pour rĂ©aliser cet isolement consiste Ă  les stocker en profondeur (300 Ă  500 m) dans des galeries creusĂ©es dans une couche gĂ©ologique stable, dense et le plus possible Ă©tanche (le granit, le tuff volcanique, ou l'argile comme cela est envisagĂ© en France). La dangerositĂ© de ces dĂ©chets radioactifs diminuera au fil du temps du fait de la dĂ©croissance naturelle de la radioactivitĂ© qu’ils contiennent : le rayonnement d'une grande partie de ces dĂ©chets de haute activitĂ© sera ainsi divisĂ© par environ mille dans mille ans[9].

Les dangers de l'irradiation sont encore mal cartographiés pour des faibles doses d'irradiation, mais selon des autorités internationales en radioprotection (UNSCEAR, CIPR) disent que l'effet est en tout état de cause négligeable pour des irradiations de l'ordre de grandeur de la radioactivité naturelle ambiante (lesquelles sont de l'ordre du micro-Sievert par heure, ou mSv/an)[10]. A contrario, pour l'IRSN, « l’impact radiologique sur l’homme et les écosystèmes devra également être évalué à court comme à très long terme »[8]. Le stockage souterrain permet le confinement à très long terme de la radioactivité : la circulation d'eau étant très faible en milieu imperméable, seuls certains radionucléides mobiles pourront migrer après plusieurs dizaines de milliers d’années, puis potentiellement atteindre la surface en quantités extrêmement faibles[9].

Deux thèses de doctorat rĂ©centes sur des verres archĂ©ologiques et des obsidiennes estiment que le procĂ©dĂ© de vitrification utilisĂ© pour fixer les dĂ©chets HAVL devrait ĂŞtre capable Ă  lui seul d'assurer le confinement des matières durant 10 000 ans[11] - [7]. NĂ©anmoins, pour l'Ă©valuation des performances du stockage profond, les modèles de migrations des corps radioactifs ne font pas intervenir ce confinement artificiel (les conteneurs), seule la roche naturelle est considĂ©rĂ©e. L'exemple du rĂ©acteur nuclĂ©aire naturel d'Oklo, oĂą les produits de fission non volatils n’ont bougĂ© que de quelques centimètres en près de deux milliards d’annĂ©es[12], a Ă©tĂ© utilisĂ© dans les travaux prĂ©paratoires Ă  Yucca Mountain pour montrer que ce confinement est possible[13].

Selon un chercheur ayant soutenu en 2017 une thèse d'histoire des sciences à l'EHESS[14], l'Andra a dû peu à peu renoncer à produire une preuve formelle de la sécurité absolue du stockage sur le modèle d'une démonstration mathématique et table désormais plutôt sur un « faisceau d'arguments » montrant que l'évolution de Cigéo est maîtrisée à très long terme.

Étude de l'argile du Callovo-Oxfordien

Coupe géologique du site de Bure.

La zone proposée par l’Andra pour le projet d'implantation du centre de stockage Cigéo est située dans l’est de la France, à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne[15].

Les performances de sĂ»retĂ© Ă  long terme d’un tel centre de stockage sont, entre autres facteurs, dĂ©pendantes des caractĂ©ristiques de la roche hĂ´te. La couche gĂ©ologique retenue pour le stockage est celle du « Callovo-Oxfordien ». Il s’agit d’une couche de roche argileuse, vieille d’environ 160 millions d’annĂ©es, situĂ©e Ă  environ 500 m de profondeur dans l’est du bassin parisien (entre 420 et 555 mètres de profondeur sur le site du laboratoire)[15]. Les argilites (mĂ©lange d’argile et de quartz) du Callovo-Oxfordien (Ă©poque du Jurassique) possèdent a priori des caractĂ©ristiques physico-chimiques qui tendent Ă  limiter la migration des radionuclĂ©ides. La couche d'argile, de plus de 130 m d'Ă©paisseur et Ă  500 m de profondeur, a rĂ©vĂ©lĂ© d'excellentes qualitĂ©s de confinement : stable depuis 100 millions d'annĂ©es au moins, homogène sur plusieurs centaines de km2, le milieu est très peu permĂ©able et s’oppose donc Ă  la circulation de l’eau (principale cause de la dĂ©gradation des colis et de la dissĂ©mination des radioĂ©lĂ©ments), et l'argile a une capacitĂ© de rĂ©tention (capacitĂ© de sorption des Ă©lĂ©ments radioactifs) Ă©levĂ©e[9] - [7].

Pour les situations d'exploitation du stockage, l'Andra vise une dose maximale admissible de 0,25 mSv/an pour le public et mSv/an pour les travailleurs exposĂ©s, soit le quart de ce que demande la rĂ©glementation actuelle[16]. Pour le long terme, l'objectif fixĂ© Ă  l'Andra est que la dose engagĂ©e Ă  l'exutoire doit rester infĂ©rieure Ă  0,25 mSv/an pour le groupe de rĂ©fĂ©rence le plus exposĂ©[16]. Les modĂ©lisations estiment que la dose Ă  l'exutoire serait au maximum de 0,000 8 mSv/an au bout de 500 000 ans (dominĂ©es par l'iode-129 et le chlore-36, tous deux solubles[17]) ; tout en restant largement sous l'objectif elle serait plus Ă©levĂ©e (0,02 mSv/an) dans l'hypothèse d'un stockage des combustibles usĂ©s CU1 et CU2 d'EdF[16].

L’objet du laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne était donc l’étude de la couche d’argilite[15], en vue de déterminer si ses caractéristiques sont cohérentes avec les objectifs de sûreté d’un centre de stockage implanté au sein de la zone de transposition[18] - [19].

Les travaux de l’Andra ont permis de mettre en évidence que les propriétés des argilites du Callovo-Oxfordien réduisaient fortement la mobilité des actinides mineurs et ainsi le flux d’activité associé sortant de la formation hôte en les confinant dans le champ proche[20]. L'Autorité de sûreté nucléaire souligne toutefois la nécessité de prendre en compte « les incertitudes résiduelles » sur l'homogénéité de la couche géologique d'argile[4], incertitudes qu'invoque l'association France Nature Environnement pour justifier son opposition au projet[21].

Description du projet

Description générale

L'installation envisagĂ©e est composĂ©e d’installations de surface, notamment pour accueillir et prĂ©parer les colis de dĂ©chets ou servir de support aux travaux de creusement et de construction des ouvrages souterrains[22]. Il est prĂ©vu que les dĂ©chets soient stockĂ©s dans des installations souterraines, situĂ©es Ă  environ 500 mètres de profondeur, dans une couche de roche argileuse qui doit ĂŞtre impermĂ©able et avoir des propriĂ©tĂ©s de confinement sur de très longues Ă©chelles de temps. Un funiculaire devrait pouvoir descendre ou remonter les colis[23], sa conception et son Ă©ventuelle rĂ©alisation, maintenance et exploitation ont Ă©tĂ© confiĂ©es Ă  l'entreprise grenobloise Poma (spĂ©cialisĂ©e dans le transport par câble, les remontĂ©es mĂ©caniques et tĂ©lĂ©phĂ©riques) pour un coĂ»t total de 68 M€ et pouvant ĂŞtre Ă©ventuellement opĂ©rationnel en 2025 (si le Centre de stockage est dĂ©cidĂ©)[24].

EntrĂ© en phase prĂ©-industrielle en 2011, le projet CigĂ©o pourrait accueillir les premiers dĂ©chets en 2025 après une sĂ©rie d'Ă©tapes et un calendrier dĂ©finis par la loi. CigĂ©o est prĂ©vu pour ĂŞtre exploitĂ© pendant au moins 100 ans[22]. L’installation souterraine de stockage, Ă  500 m de profondeur, sera construite progressivement, au fur et Ă  mesure des besoins. Son Ă©tendue sera d’environ 15 km2 au bout d’une centaine d'annĂ©es[9].

La loi impose que cette installation soit réversible pendant au moins cent ans[25] afin de laisser aux générations futures la possibilité de modifier ou d’orienter le processus de stockage, par exemple de retirer les colis stockés si un autre « mode de gestion » était envisagé ou si la sûreté du site était mise en cause. Il n'est cependant pas prévu de laisser à cet effet une provision financière permettant de couvrir tout ou partie du coût d'une telle opération de reprise.

Déchets destinés à Cigéo

Cigéo est conçu pour stocker les déchets radioactifs de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL), qui ne peuvent pas être stockés en surface ou en faible profondeur, pour des raisons de sûreté nucléaire ou de radioprotection[15]. Pour les déchets de haute activité, les plus radioactifs, au moment de leur mise en stockage, le rayonnement qui serait reçu à un mètre d’un colis sans protection est de plusieurs sieverts (Sv) par heure[9].

Les dĂ©chets sont conditionnĂ©s en « colis Â» par leur producteur, puis placĂ©s dans un conteneur de stockage[15]. Les volumes de dĂ©chets HA et MA-VL qui pourraient ĂŞtre stockĂ©s dans CigĂ©o sont ainsi estimĂ©s Ă  :

  • environ 10 000 m3 conditionnĂ©s pour les dĂ©chets HA (environ 60 000 colis), soit de l’ordre de 30 000 m3 de conteneurs ;
  • environ 70 000 m3 pour les dĂ©chets MA-VL (environ 180 000 colis), soit de l’ordre de 350 000 m3 de conteneurs[15].

L’inventaire retenu par l’Andra pour la conception du projet Cigéo ne prend en compte que les installations nucléaires passées ou autorisées au 31 décembre 2010 (ou sur le point de l’être)[26], pour une durée de fonctionnement portée à 50 ans. Cependant, pour les déchets issus du fonctionnement du parc de centrales nucléaires actuel, l’inventaire de référence fait l’hypothèse d'un recyclage complet in fine de tous leurs combustibles usés (y compris MOX et URE, qui ne sont pas encore recyclés à ce jour)[26]. De ce fait, la remise en cause du recyclage complet de tous les combustibles usés du parc actuel aurait un fort impact sur la nature même des déchets à stocker, mais seulement vers la fin du siècle)[26]. S’il était finalement proposé de stocker des combustibles usés non traités dans Cigéo, celui-ci devrait être sensiblement adapté et son emprise augmentée (environ 25 km2 au lieu de 15)[26]. En outre, en cas d'arrêt complet du nucléaire, le plutonium séparé (qui ne pourra alors plus être considéré comme une matière nucléaire recyclable) viendra augmenter l'inventaire à prendre en compte. Selon Hervé Kempf, de Reporterre, il faut remettre à plat le retraitement, qui conduit à la création de 5 types de déchets (les actinides mineurs, le plutonium, le MOX usé, l’uranium de retraitement ainsi que le combustible uranium usé), rediscuter les conditions de stockage des déchets à l'usine de la Hague et le projet de piscine de combustible MOX à Belleville-sur-Loire[27].

Le stockage dans Cigéo de déchets d’installations futures serait possible, dans la mesure où ils seraient compatibles avec l’autorisation (en volume, nature et activités de déchets autorisés)[26]. Si l'inventaire à prendre en compte dépassait les limites de l’autorisation de Cigéo, celle-ci devrait être modifiée à l’issue d’une procédure de modification du décret d’autorisation après enquête publique[26].

Les volumes à stocker sont étroitement dépendants de la politique énergétique, avec une hausse du volume en cas d'arrêt prématuré de certaines centrales. Les opposants au débat réclament le report du débat après la loi de programmation sur la transition énergétique, tandis que l'ASN préconise, en raison de ces incertitudes, que des « hypothèses majorantes » soient prises en compte[4].

Réversibilité du stockage

Conteneur en béton destiné au stockage des déchets MAVL.

Afin de laisser la possibilité aux prochaines générations de revenir sur les choix du stockage, la loi de programme sur les déchets radioactifs pose comme principe que ce stockage soit réversible, à titre de précaution : « Le stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est le stockage de ces substances dans une installation souterraine spécialement aménagée à cet effet, dans le respect du principe de réversibilité[28]. »

Les conditions de réversibilité ne sont pas fixées a priori, elles doivent être discutées lors du débat public. Après le débat public, le Gouvernement présente un projet de loi fixant ces conditions, conduisant à un débat parlementaire ; ce n'est qu'ensuite que l'autorisation de création du centre de stockage pourra être délivrée[28]. Cette autorisation fixe la durée minimale pendant laquelle la réversibilité du stockage doit être assurée ; et cette durée ne peut être inférieure à cent ans.

La notion de « réversibilité » est relative : ce qui est réversible ou non dépend de la possibilité d'accéder sans risque aux colis, mais aussi du prix que l'on est prêt à payer pour une reprise. Dans un avenir lointain, même enfouis à plusieurs centaines de mètres dans des conteneurs rouillés par les siècles, les déchets pourraient peut-être rester techniquement récupérables dans des conditions de sécurité acceptables, mais la réouverture d'un puits et des galeries d'accès aurait alors un coût prohibitif, rendant cette opération économiquement risquée. De ce fait, la réversibilité est conçue par étapes progressives, depuis l'exploitation courante d'une galerie jusqu'à la fermeture définitive du centre : conditionnement en colis, scellement d'alvéole, remblais d'une galerie, puis fermeture du centre[29] Chaque étape franchie, qui implique le cloisonnement nécessaire à la sécurité du site, rend un peu plus difficile et coûteuse une éventuelle reprise.

Maquette d'un conteneur de stockage (2) destiné à la mise en tunnel de déchets HAVL (1). On distingue les patins (3) destinés à faciliter les extractions éventuelles.

La réversibilité doit être prise en compte dès la conception du centre, et faciliter la récupération des colis de déchets « en toute sécurité », malgré la profondeur, tant que la décision n'est pas prise de fermer le stockage. Pour rendre cette récupération possible « en toute sécurité »[30] :

  • les conteneurs et ouvrages de stockage doivent ĂŞtre construits de manière Ă  ĂŞtre rĂ©sistants pendant au moins toute la durĂ©e d'exploitation du stockage, pour permettre un accès facile aux colis de dĂ©chets ;
  • les dispositifs automatisĂ©s prĂ©vus pour mettre en place les conteneurs de dĂ©chets dans les ouvrages de stockage doivent ĂŞtre tout aussi rĂ©sistants mais Ă©galement capables de ressortir ces conteneurs.

Ces dispositifs et leur entretien ont évidemment un coût, d'autant plus important que les exigences de réversibilité seront fortes. La question du financement de cette réversibilité rentre dans la réflexion globale de responsabilité intergénérationnelle. L'option prise par les acteurs du projet est de faire financer le laboratoire, la construction, l'exploitation et la fermeture de Cigéo par les générations actuelles, puisqu'elles seules ont fait le choix de ce mode de stockage[31].

Pour l'Andra[2], « le concept du projet Cigéo est flexible et évolutif. Si nécessaire, il pourra accueillir des combustibles usés non retraités. Les premiers colis à rejoindre le site seront des déchets MA-VL, la question du scellement définitif ou non de la première alvéole se posant vers 2045. Et le stockage des premiers colis vitrifiés de déchets HA n'interviendra pas avant 2075 ». Pour d'aucuns, la réversibilité conduit à une complexité indue[32].

Coût du stockage profond et sources de financement

L’évaluation du coĂ»t total de CigĂ©o doit prendre en compte l’ensemble des coĂ»ts du stockage sur plus de 100 ans : les Ă©tudes, la construction des premiers ouvrages (bâtiments de surface, puits, descenderies), l’exploitation (personnel, maintenance, Ă©nergie…), la construction progressive des ouvrages souterrains, puis leur fermeture, leur surveillance[9]… Une partie de ces coĂ»ts/investissements devraient selon l'Andra concerner les salaires de 1 500 Ă  2 000 personnes, employĂ©es durant toute la durĂ©e des travaux de creusement et d’enfouissement, soit au moins une centaine d’annĂ©es[33].

  • En 2003, l'Andra a publiĂ© une première Ă©valuation de ce coĂ»t, sur la base de concepts techniques de 2002. Plusieurs scĂ©narios ont Ă©tĂ© retenus, dont les coĂ»ts variaient de 15,9 Ă  55 milliards d'euros selon les options retenues en matière de retraitement[34].
  • En 2009, l’Andra a communiquĂ© aux producteurs un nouveau dossier de conception et une nouvelle estimation (dite « SI 2009 ») du coĂ»t du stockage profond, alors Ă©valuĂ© Ă  33,8 milliards d'euros2008 (soit 35,9 G€2010)[34]. Le dossier 2009 intègre une hausse de l'inventaire Ă  stocker, et des Ă©volutions techniques visant Ă  mieux prendre en considĂ©ration les impĂ©ratifs de sĂ»retĂ© et de rĂ©versibilitĂ©[34].
  • En 2013, l'Andra devait procĂ©der Ă  une nouvelle estimation. Sur la base de l’esquisse technique affinĂ©e par l'Andra dĂ©but 2013, et après un premier exercice d’optimisation, l’estimation s’élève fin 2013 Ă  28 G€2013, hors dĂ©penses de recherche, assurances et fiscalitĂ©[35], soit un montant sensiblement identique Ă  pĂ©rimètre constant[36]. Des pistes d’optimisation restent encore Ă  instruire entre l’Andra et les producteurs pour affiner ce chiffrage.
  • En novembre 2013, l'Andra informe lors d'un dĂ©bat public que cette rĂ©-Ă©valuation ne sera remise au gouvernement que courant 2014[37]. Après avoir recueilli les observations des producteurs de dĂ©chets et l'avis de l'AutoritĂ© de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire, le ministre chargĂ© de l'Ă©nergie doit arrĂŞter l'Ă©valuation de ces coĂ»ts et la rendre publique[38].
  • En janvier 2016, ce coĂ»t est officiellement arrĂŞtĂ© Ă  25 milliards d'euros par le ministère de l'Ă©cologie et du dĂ©veloppement durable, chargĂ© de l'Ă©nergie[39].

Ce coût sera théoriquement financé par les producteurs de déchets (EDF, le CEA et Areva), à travers des conventions passées avec l'Andra[28], qui constituera un « fonds destiné au financement de la construction, de l'exploitation, de l'arrêt définitif, de l'entretien et de la surveillance des installations d'entreposage ou de stockage des déchets de haute ou de moyenne activité à vie longue »[40]. Pour un nouveau réacteur nucléaire sur l’ensemble de sa durée de fonctionnement, ce coût représente de l’ordre de 1 à 2 % du coût total de la production d’électricité[9] - [35].

Attentes de l'ASN relatives à la sûreté

En France, toute entité prévoyant de créer ou exploiter une installation nucléaire de base doit déposer un « dossier d’options de sûreté »[41].

L'ASN a publié un guide de sûreté en cas de stockage géologique définitif des déchets radioactifs (en 2008)[42] et émis plusieurs avis[43] - [44] sur le dossier avant l'enquête publique de 2013 (dont les conclusions ont été rendues début 2014).

Après le débat public relatif au projet (fin 2013), l'Andra a annoncé vouloir démarrer l'exploitation du stockage en 2025, avec une « phase industrielle pilote » « de 5 à 10 ans » précédant une longue phase d'exploitation courante[45]. Elle a annoncé à cette occasion qu'elle remettrait en 2015 à l’ASN un dossier d’options de sûreté, préalable à la demande d’autorisation de création[46]. Ce dossier comprendra des « documents relatifs aux options techniques de récupérabilité, un projet de spécifications préliminaires d’acceptation des colis et un plan directeur pour l’exploitation »[47]

Le 20 janvier 2015, l'ASN répond à l'Andra en lui communiquant[47] par courrier du 19 décembre 2014 ses attentes quant à ce dossier d'options de sûreté[48] :

  • couverture intĂ©grale du site ; de toutes les installations (de surface, souterraines et de liaisons surface-fond)[48] ;
  • structure auto-portante des installations ;
  • avec prĂ©sentation claire des objectifs, concepts et principes retenus pour la sĂ»retĂ© (en exploitation et Ă  long terme, et Ă  toutes les phases de vie de l'installation : conception, construction, fonctionnement, mise Ă  l'arrĂŞt dĂ©finitif, dĂ©mantèlement ou fermeture, entretien et surveillance, selon les sous-ensembles de l'installation concernĂ©s)[48] ;
  • rĂ©versibilitĂ© (au sens large de l'OCDE[49]), avec double exigence ; a) exigence d'adaptabilitĂ© de l'installation (de manière Ă  pouvoir rĂ©affecter les usages au moment de la construction ou de l'exploitation, afin d'Ă©ventuellement pouvoir faire Ă©voluer les installations, et b) exigence de rĂ©cupĂ©rabilitĂ© des dĂ©chets « pendant une pĂ©riode donnĂ©e », en veillant Ă  rĂ©soudre les problèmes habituels de difficultĂ© d'accessibilitĂ© des colis de dĂ©chets (y compris après clĂ´ture des alvĂ©oles de stockage et des galeries d'accès, ou en cas de perte d'intĂ©gritĂ© du confinement des conteneurs de dĂ©chets[47], et en tenant compte du vieillissement ou de l'endommagement des structures[47].

L’ASN insiste aussi pour connaître « la politique prévue par l’Andra en matière de sous-traitance » et aussi voir dans le dossier « une esquisse de la notice prévue au II. de l’article 8 du décret du 2 novembre 2007 [7] présentant les capacités techniques de l’Andra en vue de la construction et de l’exploitation de cette installation telles que définies à l’article 2.1.1 de l’arrêté du 7 février 2012 » et liste d'autres demandes dans une annexe du courrier[47].

L'avis de l'ASN sur le dossier d’options de sûreté, publié le 15 janvier 2018, confirme l'analyse de son expert technique jugeant que le projet a atteint « une maturité technologique satisfaisante ». Il reprend cependant à son compte les craintes exprimées à l'été 2017 par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur les déchets « bitumés », représentant 16 % des volumes et 18 % des colis que l'Andra prévoit de stocker, qui présenteraient des risques d'incendie ; deux solutions s'offrent donc à l'Andra : les traiter pour les rendre inertes, par exemple par un procédé de pyrolyse, ou modifier la conception de Cigéo pour éviter une réaction en chaîne en cas d'incendie d'un colis[50].

Problématique de l'actualisation des charges et stabilité du financement

En application de la loi de 2006 sur les dĂ©chets nuclĂ©aires, les producteurs de dĂ©chet Ă©taient lĂ©galement tenus d'Ă©valuer le coĂ»t Ă  long terme que reprĂ©sentent leurs dĂ©chets, et d'Ă©quilibrer ces charges futures par des actifs dĂ©diĂ©s bloquĂ©s Ă  cette fin. Ces charges ne sont pas comptabilisĂ©es en « valeur brute Â», mais sont actualisĂ©es : les actifs dĂ©diĂ©s sont placĂ©s et rapportent des intĂ©rĂŞts financiers ; si le taux d'intĂ©rĂŞt est par exemple de 3,04 %, un euro placĂ© aujourd'hui rapportera thĂ©oriquement 1.0304^100=20 â‚¬ au bout d'un siècle, ce qui permet d'Ă©quilibrer comptablement une dĂ©pense vingt fois plus Ă©levĂ©e dans cent ans.

Une difficulté soulevée par les opposants au projet est que du fait de l'actualisation, les provisions pour charge passées par les producteurs de déchet ne couvrent donc que très partiellement ce que seront les charges futures du centre de stockage. L’actualisation forte (5 et/ou 3 %) pour les charges de long terme permet aux exploitants de ne provisionner que 5 Milliards d’euros pour le projet Cigéo alors que ce projet devrait coûter au moins sept fois plus. De ce fait, il serait à craindre que si les provisions des producteurs s'avèrent insuffisantes, « Nos enfants n’auront que les déchets pour héritage. »

Cette objection repose sur la capacité qu'auront les placements financiers à tenir une performance sur le long terme. Cependant, le taux d'actualisation retenu par les producteurs de déchets n'est en réalité pas fixe, mais est lui-même contraint : « il ne peut excéder le taux de rendement, tel qu’anticipé avec un haut degré de confiance, des actifs de couverture, gérés avec un degré de sécurité et de liquidité suffisant pour répondre à leur objet »[51] et doit faire l'objet d'une évaluation annuelle : si le rendement financier des provisions s'avère inférieur aux prévisions, les producteurs doivent réévaluer leurs charges (à la hausse), ce qui déséquilibre leur bilan de charge. Dans ce cas, « l'autorité administrative relève une insuffisance ou une inadéquation dans l'évaluation des charges, le calcul des provisions ou le montant, [et peut] prescrire les mesures nécessaires à la régularisation de sa situation en fixant les délais dans lesquels celui-ci doit les mettre en œuvre »[28]. Les exploitants sont alors tenu d'augmenter les provisions pour rééquilibrer leurs comptes de charge de long terme.

L’État a renoncé à couvrir les charges du CEA par des actifs propres, mais en assurera le financement par voie budgétaire ; pour les opérateurs dont les charges portent surtout sur le long terme, la date butoir pour respecter cette règle de couverture a été repoussée de 2011 à 2014.

Historique

Loi du 30 décembre 1991

La loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs[52] organise, sur une période de 15 ans, des recherches sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et des travaux selon trois familles de méthodes envisageables :

  • sĂ©paration et transmutation des Ă©lĂ©ments radioactifs Ă  vie longue prĂ©sents dans ces dĂ©chets ;
  • stockage rĂ©versible ou irrĂ©versible dans les formations gĂ©ologiques profondes, notamment grâce Ă  la rĂ©alisation de laboratoires souterrains ;
  • procĂ©dĂ©s de conditionnement et d'entreposage de longue durĂ©e en surface de ces dĂ©chets.

Cette loi prévoit qu'à l'issue d'une période qui ne pourra excéder quinze ans, le gouvernement adressera au parlement un rapport global d'évaluation de ces recherches accompagné d'un projet de loi autorisant, le cas échéant, la création d'un centre de stockage des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue.

Évolutions de 1992 à 2005

En 1992, un appel à candidature est lancé pour le choix de départements pour accueillir des laboratoires souterrains. Une trentaine de candidatures émanant de 11 départements[53] sont reçues. Fin 1993, quatre départements sont sélectionnés par le gouvernement : le Gard, la Vienne, la Meuse et la Haute-Marne[54].

En 1998, après investigations géologiques et enquêtes publiques, le Gouvernement Lionel Jospin opte pour la réalisation d’un laboratoire unique à Bure.

De 1999 à 2004 est construit le laboratoire souterrain de Bure. En 2005, l’Andra publie le dossier « Argile 2005 » qui fait le bilan de 15 ans de recherche complété par des expérimentations menées dans le laboratoire souterrain, et conclut à la faisabilité de principe du stockage en couche géologique argileuse, moyennant un certain nombre de recherches complémentaires[55].

En janvier 2006, la Commission nationale d’évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs (CNE), créée par la loi de 1991, a rendu public un rapport global sur le bilan de 15 années de travaux pour préparer un futur projet de loi « autorisant le cas échéant la création d’un centre de stockage des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue ». La CNE préconise notamment le stockage « réversible en situation géologique profonde » qui représente la « voie de référence » pour une gestion définitive des déchets ultimes. Elle propose également la poursuite des recherches dans le laboratoire souterrain situé à Bure[56].

Loi du 28 juin 2006

La loi de 2006 a prévu que la décision d'autoriser ou non Cigéo serait précédée de :

  1. l'organisation d'un débat public
    Il a été ouvert le 15 mai 2013 par la Commission nationale du débat public, avec 15 réunions publiques annoncées (elles se dérouleront du 15 mai a 15 octobre 2013 avec « des interventions de différents experts du sujet ». Elles seront organisées par la commission particulière du débat public (CPDP). Le public pourra durant ce temps également s'exprimer via un « site internet participatif »[57]. Ce débat doit[58] :
    • informer le public sur CigĂ©o, sa conception industrielle, sa sĂ»retĂ©, sa rĂ©versibilitĂ©, son implantation et sa surveillance ;
    • collecter des avis sur les objectifs, modalitĂ©s, caractĂ©ristiques et impacts de CigĂ©o selon les acteurs et personnes souhaitant s'exprimer Ă  ce sujet ;
    • Ă©clairer l’État sur la dĂ©cision Ă  prendre.
    Avant la mi-décembre, la CPDP publiera un compte-rendu des débats « et la CNDP (Commission nationale du débat public) en rédigera le bilan. L'Andra disposera alors de trois mois pour indiquer, par un acte motivé, les suites qu’elle entend donner à son projet au regard des enseignements du débat public »[58].
  2. Dépôt de la demande d’autorisation de création (par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) en 2015 ;
  3. De 2015 à 2018 : instruction de cette demande par les autorités compétentes et recueil des avis des collectivités ; loi sur les conditions de la réversibilité du stockage ; ouverture d'une enquête publique ; en fonction des résultats des étapes précédentes, autorisation de réaliser le stockage.

Les solutions proposées par l'Andra feront l'objet de contrôles indépendants :

  • la Commission nationale d'Ă©valuation (CNE) rĂ©alise un contrĂ´le scientifique et technique, visant Ă  garantir la faisabilitĂ© technique et la performance de la mĂ©thode de stockage[59]. Elle rend compte annuellement de ce contrĂ´le au Parlement et au gouvernement ;
  • l'AutoritĂ© de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire (ASN) contrĂ´le la conformitĂ© du projet par rapport aux exigences rĂ©glementaires (radioprotection et sĂ»retĂ©). Elle s’appuie sur l’expertise scientifique et technique de l'Institut de Radioprotection et de SĂ»retĂ© NuclĂ©aire (IRSN) et sur des Groupes Permanents d’experts[9] ;
  • un comitĂ© local d'information et de suivi (CLIS)[60] a pour rĂ´le d'examiner d'une manière gĂ©nĂ©rale les informations et les processus de consultation concernant le site de stockage[59].

Enfin, le Parlement suit la progression du projet Ă  travers l'Office parlementaire d'Ă©valuation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)[59].

La demande d’autorisation de création de Cigéo, qui devait être adressée à l’ASN en 2018, sera repoussée à mi-2019[61].

DĂ©bats et controverses

Début 2013, la Commission nationale du débat public (CNDP) prépare le débat sur le projet de site de stockage[62]. La ministre de l’Écologie Delphine Batho se rend le 4 février 2013 à Bure, pour visiter le laboratoire souterrain. Le 6 février, elle valide le dossier préparé par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs pour présenter le projet lors du débat public, qui doit se tenir du 15 mai au 31 juillet et du 31 août au 15 octobre 2013[63].

Pour la directrice de l'Andra, « la décision de créer un site de stockage en Meuse et Haute-Marne n'est pas encore prise. […] D'une part, […] il y faudra le feu vert de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). D'autre part, […] les deux départements ont donné leur accord au laboratoire souterrain, mais ils n'ont pas encore dit “oui” au centre de stockage, et nous en sommes parfaitement conscients[2]. »

Boycott des débats

Le 15 mai 2013, environ 40 organisations appellent à boycotter le débat, en particulier de nombreux groupes locaux dont Bure Zone Libre, la fédération nationale des Amis de la Terre et le Réseau Sortir du Nucléaire[64].

Le 23 mai puis le 18 juin, des opposants au projet empêchent la tenue des débats, estimant que les décisions sont déjà prises[65]. Le président de la Commission du débat sur ce projet, Claude Bernet, suspend la séance au bout d'un quart d'heure, au regret de la CNDP qui constate que « de nombreux participants ont été privés de leur [sic] droits à l'information et à l'expression sur le projet. »[66] De même, le HCTISN déplore « ces entraves au bon déroulement des réunions publiques du débat, lequel débat est justement organisé dans le cadre des lois de la République aux fins de garantir un réel exercice de la démocratie[67]. »

Un sondage effectuĂ© auprès d'habitants de la Meuse et de la Haute-Marne montre qu'ils sont favorables Ă  83 % Ă  ce que les opposants au projet participent au dĂ©bat public[68], mais que 68 % sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « le dĂ©bat ne servira Ă  rien, les conclusions Ă©tant connues d’avance Â», tout en jugeant le dĂ©bat utile pour Ă©lever le niveau d'information.

Cependant, pour l'Andra[2] « aucun texte réglementaire ne dit que le débat doit prendre la forme de réunions publiques. La Commission nationale du débat public (CNDP) vient de proposer des solutions alternatives, comme des forums contradictoires sur Internet ou une conférence de citoyens. »

Le 12 février 2014, le président de la CNDP, Christian Leyrit, propose de jalonner la création du centre industriel de stockage géologique de déchets nucléaires (Cigéo) en commençant par une « étape significative » de « stockage pilote »[69].

Loi de 2016

En juin 2015, le Conseil constitutionnel censure l'insertion dans la loi Macron d'un article sur la réversibilité[70]. Celui-ci est finalement repris dans la loi fixant le cadre du projet Cigéo[71] adoptée en juillet 2016[72].

Le 8 novembre 2017, à la demande de l’Andra, la CNDP annonce la nomination de deux garants qui l’accompagneront dans la démarche d’information et d’implication de la société civile dans le projet (Pierre Guinot-Delery et Jean-Michel Stievenard)[73]. Étant donné la complexité du dossier et la démission d'un des deux garants, la CNDP décide le 6 juin 2018 de désigner trois garants (Jean-Michel Stievenard, Marie-Line Meaux et Jean-Daniel Vazelle)[74]

Intensification de la contestation et riposte judiciaire

À partir de 2016, le bois Lejuc à Mandres-en-Barrois, sur lequel pourraient être bâties des installations de Cigéo, devient le symbole de la contestation du projet. Il est occupé par des militants tandis que la délibération à bulletin secret du conseil municipal de Mandres autorisant sa cession à l'Andra est attaquée pour vice de forme. Elle est annulée le par le tribunal administratif de Nancy[75], ce qui amène le conseil municipal à se réunir à nouveau le 18 mai pour confirmer sa première décision[76]. Le bois reste cependant occupé par les opposants au projet qui en sont expulsés par les gendarmes le 22 février 2018[77]. Les recours juridiques sur la cession du bois Lejuc n'étant pas épuisés, la légalité de cette expulsion est contestée par les avocats des opposants au projet[78]. Dans les jours qui suivent, les matériaux que les opposants avaient installés dans le bois pour en interdire l'accès et en faciliter l'occupation sont évacués[79].

La contestation, par ailleurs, prend parfois un tour violent (tentative d’incendie de l’hôtel-restaurant situé à proximité du Laboratoire[80], dégradations au Tribunal de Bar-le-Duc[81], menaces contre des parlementaires et des journalistes[82]), ce qui conduit la justice à ouvrir une enquête sur plusieurs militants antinucléaires venus s'installer à Bure et dans les villages voisins pour association de malfaiteurs. Elle met en œuvre pour cela des méthodes d’analyse criminelle. Les écoutes téléphoniques effectuées dans ce cadre [83] sont présentées par Reporterre et Mediapart comme faisant partie d'une « machine démesurée de renseignement sur le mouvement antinucléaire »[84], dont le coût avoisinerait le million d'euros[85].

Avis et autorisations préalables et travaux préparatoires

Le dossier d’enquête publique est déposé le 3 août 2020. Le 13 janvier 2021, l’Autorité environnementale rend son avis, où elle recommande de présenter un programme détaillé d’études complémentaires de maîtrise des risques et de surveillance[86] tandis que la Commission nationale du débat public (CNDP) souligne l’importance d’une concertation approfondie au sujet de la réhabilitation de la ligne ferroviaire Nançois-Tronville-Gondrecourt[87]. En février 2021, le secrétariat général pour l'investissement publie un avis favorable au projet Cigéo, soulignant « la forte valeur prudentielle et assurantielle » du projet, en pointant toutefois le risque « important et sérieux de dérive des coûts »[88].

Le dossier d’enquête publique ayant été mis à jour pour tenir compte de ces recommandations, l’enquête est lancée le 9 août 2021 et se déroule du 15 septembre au 23 octobre. Le 20 décembre, les commissaires enquêteurs rendent un avis favorable « sans réserve » à la déclaration d’utilité publique et à la mise en compatibilité des documents d’urbanisme[89].

Le 8 juillet 2022 est publiée par décret la déclaration d'utilité publique (DUP) du projet Cigéo. Cette DUP permettra la mise en conformité des documents d'urbanisme et l'acquisition par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) des terrains nécessaires par expropriation. Le décret précise que les expropriations de terrains nécessaires à la réalisation du projet seront « réalisées avant le 31 décembre 2037 », et celles « ne concernant que les tréfonds […] au plus tard le 31 décembre 2050 »[90].

Le 17 janvier 2023, l'Andra dépose au ministère de la Transition énergétique la demande d'autorisation de création du site de Cigéo. L'Autorité de sûreté nucléaire dispose de cinq ans pour instruire le dossier et autoriser ou non la création du site[91].

Notes et références

  1. Cigéo, la localisation des installations
  2. Pierre Le Hir, « DĂ©chets nuclĂ©aires Ă  Bure : "Tout n'est pas dĂ©cidĂ©" Â», LeMonde.fr, 9 juillet 2013
  3. « Un milliard d’euros ont été dépensés pour rendre « socialement acceptable » l’enfouissement de déchets nucléaires », sur Basta ! (consulté le ).
  4. Quels sont les enjeux du stockage des déchets nucléaires à Bure ?, Le Monde, 31 mai 2013
  5. Les déchets de haute activité (HA), Andra
  6. Les déchets de haute activité (HA), Cigéo
  7. Altération pluriséculaire des systèmes verre/fer en milieu anoxique : apport des analogues archéologiques à la compréhension des mécanismes, Anne Michelin, Thèse de doctorat, 2011
  8. La gestion des déchets radioactifs : Le stockage en couche géologique profonde en France, sur le site de l'IRSN
  9. Débat public Cigéo - Les questions du public.
  10. [PDF] Recommandations 2007 de la Commission Internationale de Protection Radiologique, Publication CIPR 103, 2009.
  11. Étude d'analogues archéologiques pour la validation des modèles de comportement à long terme des verres nucléaires, Aurélie Verney-Carron, thèse de doctorat, 2008.
  12. Fission product retention in the Oklo natural fission reactors, D Curtis - 1989], Migration and retention of elements at the Oklo natural reactor, Douglas G. Brookins, Environmental Geology, 1982/83, volume 4, numéros 3-4, p. 201-208.
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  14. Leny Patinaux, Enfouir des déchets nucléaires dans un monde conflictuel. Une histoire de la démonstration de sûreté de projets de stockage géologique en France
  15. Avis délibéré de l’Autorité environnementale concernant le cadrage préalable du projet Cigéo, Avis délibéré no Ae 2013-62 / no CGEDD 009060-01, 24 juillet 2013, Conseil général de l’environnement et du développement durable.
  16. [PDF]Dossier 2005 Argiles, Andra 2005
  17. [PDF]La gestion des déchets nucléaires, Olivier Méplan, CNRS 2006
  18. « La zone de transposition est la zone au sein de laquelle la couche du Callovo-Oxfordien prĂ©sente des propriĂ©tĂ©s physiques et chimiques similaires Ă  celles observĂ©es au niveau du laboratoire souterrain de recherche. Sa superficie est d’environ 250 km2.»
    [PDF] Dossier 2005 Argile, Tome Architecture et gestion du stockage géologique, Châtenay-Malabry, Andra, coll. « Les Rapports », , 503 p. (lire en ligne), « Glossaire », p. XXIV C.RP.ADP.09.0035.A
  19. [PDF] « Jusqu’où s’étend la zone de transposition ? », La vie du Labo, no 31,‎ , p. 10 (ISSN 1298-3764, lire en ligne)
  20. Avis no 2013-AV-0187 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 4 juillet 2013, sur la transmutation des éléments radioactifs à vie longue.
  21. Quentin Zinzius, « Une étude géologique remet en cause le projet Cigéo de stockage de déchets nucléaires », sur Reporterre, le quotidien de l'écologie, (consulté le )
  22. Le projet Cigéo, Andra, mai 2013.
  23. Labalette, T., Harman, A., & Dupuis, M. C. (2011, January). The Cigéo industrial geological repository project. In ASME 2011 14th International Conference on Environmental Remediation and Radioactive Waste Management (p. 1069-1075). American Society of Mechanical Engineers.
  24. Bati actu (2014), Brève intitulée Un funiculaire souterrain pour transporter les déchets nucléaires(27/08/2014)
  25. Article L542-10-1 du code de l'environnement.
  26. Rapport préalable au débat public sur le projet de stockage géologique profond de déchets radioactifs Cigéo, HCTISN, 2013.
  27. Déchets nucléaire sur reporterre.net, site de Reporterre.
  28. Loi no 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.
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  32. Un entretien dans Euractiv Slovaquie en novembre 2019 sur jancovici.com, website de Jean-Marc Jancovici.
  33. « Stockage des dĂ©chets nuclĂ©aires : le dĂ©bat s'annonce difficile Â», Novethic, 11 fĂ©vrier 2013.
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  35. Cour des comptes, communication à la commission d'enquête de l'assemblée nationale, Le coût de production de l'électricité électronucléaire, actualisation 2014, mai 2014.
  36. Sur le même périmètre, l’estimation de l’ANDRA en 2009 s’élèverait à environ 29,6 G€2013 et l’estimation DGEMP 2005 à près de 20 G€2013.
  37. Coûts et financements, Verbatim du débat public, CNDP 13, novembre 2013
  38. Article L542-12 du code de l'environnement
  39. Arrêté du 15 janvier 2016 relatif au coût objectif afférent à la mise en œuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue. JORF no 0014 du 17 janvier 2016. Article 1
  40. Article L542-12-2 du code de l'environnement
  41. article 6 du décret « procédures INB » du 2 novembre 2007,
  42. Guide de sûreté de l’ASN relatif au stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde – février 2008
  43. Avis no 2011-AV-129 du 26 juillet 2011 de l’ASN sur le dossier relatif au stockage réversible profond des déchets de haute et moyenne activité à vie longue déposé par l’Andra conformément à l’article 11 du décret no 2008-357 du 16 avril 2008
  44. Avis no 2013-AV-0179 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 16 mai 2013 sur les documents produits par l’Andra depuis 2009 relatifs au projet de stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde
  45. Délibération du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs du 5 mai 2014 relative aux suites à donner au débat public sur le projet Cigéo
  46. Communiqué ASN : Projet « Cigéo » : l’ASN fait part à l’ANDRA de ses attentes sur le contenu du dossier d’options de sûreté, consulté
  47. Courrier de l'ASN à l'ANDRA du 19 décembre 2014
  48. Collet, Philippe (2015) article intitulé Cigéo : l'ASN fixe les grandes lignes du dossier d'options de sûreté publié par, rubrique Gestion des risques 21 janvier 2015
  49. Réversibilité des décisions et récupérabilité des déchets radioactifs, éléments de réflexion pour les programmes nationaux de stockage géologique publié par l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE (AEN) dans le cadre du projet international "Reversibility and Retrievability" mené de 2007 à 2011.
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  51. Décret no 2007-243 du 23 février 2007 relatif à la sécurisation du financement des charges nucléaires.
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  63. « Déchets nucléaires : débat sur le stockage géologique », sur le blog de Sylvestre Huet, journaliste scientifique de Libération (18 février 2013). Delphine Batho continuera par la suite à défendre la solution du stockage géologique à grande profondeur (« C’est un constat, les déchets existent déjà et il n’y a pas à ce jour de solution meilleure que le stockage en couche profonde », interview à Reporterre, 3 mai 2018). Ses successeurs au ministère suivront la même ligne, tel François de Rugy qui qualifie le stockage en grande profondeur de « solution sûre » (interview au Point, 13 mars 2021) ou Barbara Pompili qui qualifie Cigéo de nécessaire lors la réunion du Comité de haut niveau le 16 mars 2021.
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  77. Rémi Barroux et Pierre Le Hir, « Bure : les occupants du bois Lejuc évacués par la force », lemonde.fr, (consulté le )
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  80. « Le restaurant Le Bindeuil près de l'ANDRA saccagé », L'Est Républicain, 22 juin 2017.
  81. « Le tribunal de Bar-le-Duc dégradé par des militants anti-Bure », Le Républicain Lorrain, 20 mars 2018.
  82. « Des activistes anti-Bure menacent des journalistes », Le Républicain Lorrain, 20 mars 2018 ; « Députée [Émilie Cariou] menacée de mort : sept mois de prison avec sursis », L'Est Républicain, 31 mai 2018.
  83. Selon Mediapart (29 avril 2020), 29 personnes et lieux ont été mis sur écoutes, 27 ordinateurs et 25 portables saisis et 37 pages d’écoutes téléphoniques retranscrites.
  84. Marie Barbier et Jade Lindgaard, « 1/3 - La justice a massivement surveillé les militants antinucléaires de Bure », sur Reporterre, le quotidien de l'écologie, (consulté le )
  85. Marie Barbier et Jade Lindgaard, « 2/3 - L'État a dépensé un million d'euros contre les antinucléaires de Bure », sur Reporterre, le quotidien de l'écologie, (consulté le )
  86. Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le centre de stockage Cigéo (page 3), 13 janvier 2021.
  87. Décision n° 2021/3/SNCF CIGEO (55)/1 du 13 janvier 2021 relative au projet de réhabilitation de la ligne ferroviaire Nançois-Tronville-Gondrecourt-le-Château visant à faciliter la desserte du projet Cigéo (55)
  88. Nucléaire : à Bure, le projet de stockage des déchets nucléaires avance à petits pas, Les Échos, 24 mars 2021.
  89. Déchets nucléaires : avis favorable sur la déclaration d’utilité publique du projet Cigéo d'enfouissement à Bure, France3-régions, 20 décembre 2021.
  90. Le projet d'enfouissement de déchets nucléaires à Bure franchit une étape décisive, Les Échos, 10 juillet 2022.
  91. DĂ©chets radioactifs : le projet hors norme d'enfouissement arrive sur la table du gendarme du nuclĂ©aire, Les Échos, 17 janvier 2023.

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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