Christianisme dans le monde romain
Cet article traite de différents aspects du christianisme dans le monde romain.
Questions posĂ©es par la christianisation de lâEmpire romain
La progression du christianisme dans lâEmpire est sujette Ă de nouveaux dĂ©bats. En effet, les sources Ă la disposition des historiens rendent ardue la quantification du dĂ©veloppement du christianisme[1].
Pendant longtemps a prĂ©valu lâidĂ©e quâau dĂ©but du IVe siĂšcle, les provinces dâOrient sont majoritairement acquises au christianisme. En Occident, les provinces mĂ©diterranĂ©ennes sont plus touchĂ©es par la nouvelle religion que les autres. Mais partout dans cette partie de lâEmpire romain, les campagnes restent profondĂ©ment polythĂ©istes[2]. Dans cette optique, la conversion de Constantin nâaurait Ă©tĂ© quâun couronnement, et non un tournant de lâhistoire de lâEmpire[3]. Aujourdâhui lâampleur de la christianisation de lâEmpire est remise en question[4].
De son cĂŽtĂ©, Robin Lane Fox pense que le paganisme est toujours trĂšs bien implantĂ© au dĂ©but du IVe siĂšcle et que le christianisme est encore un phĂ©nomĂšne trĂšs minoritaire[5]. Selon lui les chrĂ©tiens ne reprĂ©sentent en 312, que 4 Ă 5 % de la population totale de lâEmpire. Le dĂ©bat est dâautant plus dĂ©licat que, derriĂšre les chiffres, il y a un enjeu idĂ©ologique fort.
Certains points semblent nĂ©anmoins Ă©tablis. LâinĂ©galitĂ© de la christianisation selon les rĂ©gions et le retard de la Gaule en particulier sont admis par tous. Ă un moindre degrĂ©, la situation est la mĂȘme en Espagne et en Italie, mais avec en plus de fortes diffĂ©rences rĂ©gionales. On pense quâĂ Rome, la ville la plus christianisĂ©e dâItalie, peut-ĂȘtre un peu moins de 10 % des habitants sont chrĂ©tiens en 312. LâĂ©tude des papyrus Ă©gyptiens permet le chiffre de 20 % de chrĂ©tiens en 312 en Ăgypte[6]. En Asie Mineure, une proportion dâ1/3 de chrĂ©tiens est envisageable, 10 Ă 20 % en Afrique. En 312, les chrĂ©tiens ne sont donc quâune minoritĂ© dans lâEmpire[7].
La question du dĂ©veloppement du christianisme a longtemps Ă©tĂ© posĂ©e en termes dâaffrontement avec la culture antique. Le « Bas Empire » (terme parfois pĂ©joratif pour lâEmpire romain de lâAntiquitĂ© tardive) est, dans cette perspective, vu comme une pĂ©riode de triomphe de la foi nouvelle face aux religions traditionnelles ou aux cultes Ă mystĂšres. Aujourdâhui, lâexamen des sources pousse Ă modifier ce point de vue. Le christianisme sâest nourri de la culture antique et sâen est servi pour se dĂ©velopper : il nâa donc pas dĂ©truit, mais transformĂ© la culture antĂ©rieure[8]. Guy Stroumsa explique le passage des Romains (et ultĂ©rieurement, des « barbares ») du polythĂ©isme au christianisme, par un processus dâintĂ©riorisation de la foi, de passage du rituel et du culte, Ă une conviction personnelle, fut-elle cachĂ©e et inexprimĂ©e. Dans une pĂ©riode dâincertitudes, dâinsĂ©curitĂ© et de doutes, une partie croissante des habitants ne se serait plus reconnue dans les religions formalistes et aurait cherchĂ© une croyance portant davantage dâespĂ©rance, sinon pour le monde terrestre, au moins pour lâaprĂšs-vie. Lâessor des religions monothĂ©istes grĂące Ă la gĂ©nĂ©ralisation du codex, sert dâaccĂ©lĂ©rateur Ă un nouveau « souci de son Ăąme », prĂ©sent dans lâascĂšse et la lecture. Ainsi, la religion civique recule au profit des religions communautaires et privĂ©es[9]. Cette thĂšse ne fait pas lâunanimitĂ© parmi les historiens[10].
En devenant la religion officielle de lâEmpire romain au IVe siĂšcle, le christianisme sert Ă justifier un ordre politique autoritaire qui sâexerce au nom du Dieu unique. La nouvelle religion devient un Ă©lĂ©ment essentiel de la cohĂ©sion de lâEmpire. La consĂ©quence en est lâexclusion de toutes les autres convictions religieuses, qui ne survivent, au mieux, que comme « superstitions » populaires, dâoĂč le terme de « paganisme » signifiant « des paysans ». Les non-chrĂ©tiens sont progressivement dĂ©solidarisĂ©s de lâidĂ©al romain[11].
Pour lâĂglise impĂ©riale de lâantiquitĂ© tardive, romanitĂ© et christianisme sont si indissociables que les Ă©vĂȘques trouvent normal de dĂ©fendre, face aux barbares, lâEmpire puis les deux Empires dâOccident et dâOrient[12].
Grande persécution
Avec la persĂ©cution de DĂšce (249-251) et de celle de ValĂ©rien (257-259), le christianisme connaĂźt pour la premiĂšre fois de son existence des persĂ©cutions gĂ©nĂ©ralisĂ©es, bien qu'elles soient de courtes durĂ©es et d'une efficacitĂ© relative[13]. En 260, Ă la mort de son pĂšre et co-empereur ValĂ©rien, Gallien fait cesser la persĂ©cution gĂ©nĂ©rale en cours et promulgue un Ă©dit de tolĂ©rance qui constitue la premiĂšre lĂ©gitimation officielle du christianisme par les autoritĂ©s romaine[14]. Cette dĂ©cision inaugure pour les chrĂ©tiens une pĂ©riode de coexistence pacifique avec l'Ătat romain qui, retenue sous le nom de « petite paix de l'Ăglise »[15], dure une quarantaine d'annĂ©es au cours desquelles le christianisme connaĂźt une augmentation significative de ses adeptes et un renforcement de sa prĂ©sence Ă travers l'Empire[16].
Mais au dĂ©but du IVe siĂšcle, avec la TĂ©trarchie, la lutte des empereurs contre les chrĂ©tiens, en expansion mais encore trĂšs minoritaires[7], reprend et donne lieu Ă une derniĂšre persĂ©cution gĂ©nĂ©ralisĂ©e. En 303, DioclĂ©tien et ses collĂšgues lancent plusieurs Ă©dits contre les chrĂ©tiens : câest la « grande persĂ©cution ». Les gouverneurs et les magistrats municipaux doivent saisir et faire brĂ»ler le mobilier et les livres de culte. Au dĂ©but de lâannĂ©e 304, un Ă©dit ordonne Ă tous les citoyens de faire un sacrifice gĂ©nĂ©ral pour lâEmpire, sous peine de mort ou de condamnation aux travaux forcĂ©s dans les mines. La persĂ©cution est trĂšs inĂ©galement appliquĂ©e sur lâEmpire, assez vite abandonnĂ©e en Occident aprĂšs 305, plus longue et sĂ©vĂšre en Orient[17]. En 311, juste avant sa mort, GalĂšre dĂ©crĂšte lâarrĂȘt de la persĂ©cution, et, selon le polĂ©miste chrĂ©tien Lactance, demande aux chrĂ©tiens de prier pour son salut et celui de lâEmpire[18]. Cet appel est dans le droit fil de la tradition religieuse romaine, qui se soucie surtout dâutilitĂ© civique et finit par admettre celle des chrĂ©tiens[19].
Une des consĂ©quences de la « grande persĂ©cution » pour le monde chrĂ©tien est la division de la chrĂ©tientĂ© entre donatistes et orthodoxes Ă partir de 307. Les donatistes refusent la validitĂ© des sacrements dĂ©livrĂ©s par les Ă©vĂȘques qui avaient failli lors des persĂ©cutions de DioclĂ©tien, position condamnĂ©e en 313 au concile de Rome par les orthodoxes, qui considĂšrent le donatisme comme hĂ©rĂ©tique. Le schisme dure jusquâĂ la fin du siĂšcle en Afrique romaine.
La « grande persĂ©cution » marque plus que les autres la tradition chrĂ©tienne orientale : lâhagiographie positionne le martyre de saints dâexistence lĂ©gendaire pendant la persĂ©cution de DioclĂ©tien et de ses successeurs[20]. Une autre trace de lâimpact significatif sur la mĂ©moire chrĂ©tienne est le choix de lâĂšre copte ou « Ăšre des Martyrs » qui dĂ©bute Ă la date dâavĂšnement de DioclĂ©tien.
Empereurs chrétiens
Constantin, initialement adepte du Sol invictus (le « Soleil Invaincu »), se convertit au christianisme, pour certains dĂšs 312 Ă la suite dâune vision prĂ©cĂ©dant la bataille du pont Milvius (EusĂšbe de CĂ©sarĂ©e), pour dâautres en 326 par remords aprĂšs lâexĂ©cution de son fils et de son Ă©pouse (Zosime[21]). Il concilie le christianisme et une divinitĂ© dâoĂč Ă©maneraient tous les dieux, un ĂȘtre suprĂȘme identifiĂ© Ă partir du milieu du IIIe siĂšcle au Soleil. Dans la pĂ©riode 312-325, les monnaies reprĂ©sentent le Soleil divin, compagnon de lâempereur, ou confondent son image avec la sienne. Peu de monnaies montrent des symboles chrĂ©tiens (chrisme, labarum) Ă la fin ce laps de temps[7]. La part de conviction personnelle[22] et de calcul politique dans lâadhĂ©sion de Constantin au christianisme reste discutĂ©e ; les deux motivations ne sâexcluent pas. En 313, lâĂ©dit de Milan proclame la libertĂ© de culte individuel et prĂ©voit de rendre aux chrĂ©tiens les biens confisquĂ©s pendant la grande persĂ©cution dioclĂ©tienne, ce qui vaut Ă lâempereur le soutien des chrĂ©tiens. Lâadoption du christianisme par lâempereur pose le problĂšme des relations entre lâĂglise et le pouvoir (que lâhistoriographie moderne appellera « cĂ©saropapisme »[23]).
SollicitĂ© par les Ă©vĂȘques africains sur la querelle donatiste, Constantin organise dĂšs 314 Ă Arles un concile local pour que les Ă©vĂȘques dĂ©cident entre eux. Il convoque[24] et prĂ©side le concile de NicĂ©e en 325 qui proclame la double nature du Christ, "vraiment Dieu et vraiment homme" Ă lâunanimitĂ©, et excommunie le prĂȘtre Arius [25], lequel niait la divinitĂ© du Christ. Constantin le fait exiler, puis le rappelle quelques annĂ©es plus tard. Les ariens adoptent des positions trĂšs favorables au pouvoir impĂ©rial, lui reconnaissant le droit de trancher les questions religieuses dâautoritĂ©. Constantin finit par se rapprocher de cette forme de christianisme et se fait baptiser sur son lit de mort par un prĂȘtre arien[26]. Cette conversion Ă lâarianisme sera, bien plus tard, contestĂ©e par lâĂglise catholique et par certains historiens, mais son fils et successeur Constance II est un arien convaincu. Il nâhĂ©site pas Ă persĂ©cuter les chrĂ©tiens nicĂ©ens plus que les paĂŻens. MalgrĂ© ses interventions dans de nombreux conciles, il Ă©choue Ă faire adopter un credo qui satisfasse les ariens et les chrĂ©tiens orthodoxes. Ă l'exception de Valens, ses successeurs, soucieux de paix civile, observent une stricte neutralitĂ© religieuse entre les ariens et les nicĂ©ens. La dĂ©faite dâAndrinople face aux Wisigoths ariens permet aux nicĂ©ens (que beaucoup d'auteurs modernes nomment « catholiques »[27]) de passer Ă lâoffensive. Ambroise de Milan, voulant dĂ©fendre le credo de NicĂ©e contre les ariens qualifie lâhĂ©rĂ©sie de « double trahison, envers lâĂglise et envers lâEmpire »[28].
Gratien finit par sâorienter vers une condamnation de lâarianisme sous lâinfluence conjuguĂ©e de son collĂšgue ThĂ©odose[29] et dâAmbroise. Lâempereur de la pars orientalis a, en 380, dans lâĂ©dit de Thessalonique, fait du Christianisme une religion dâĂtat. Comme son collĂšgue, il promulgue des lois anti-hĂ©rĂ©tiques[30]. Il convoque un concile Ă AquilĂ©e, en 381, dirigĂ© par Ambroise. Deux Ă©vĂȘques ariens sont excommuniĂ©s. Ă ce moment, lâĂglise nicĂ©enne est devenue assez forte pour rĂ©sister Ă la cour impĂ©riale. AprĂšs la mort de Gratien, le parti arien est de nouveau trĂšs influent Ă la cour. Ă son instigation, est promulguĂ©e une loi, le 23 janvier 386, qui prĂ©voit la peine de mort pour toute personne qui sâopposerait Ă la libertĂ© des consciences et des cultes[31]. Ambroise refuse de concĂ©der une basilique extra muros aux ariens fort du soutien du peuple et des hautes sphĂšres de Milan. La cour impĂ©riale est obligĂ©e de cĂ©der. GrĂące Ă des hommes comme Ambroise, lâĂglise nicĂ©enne peut ainsi sâĂ©manciper de la tutelle impĂ©riale et mĂȘme revendiquer la primautĂ© du pouvoir spirituel sur le temporel en rappelant Ă lâempereur ses devoirs de chrĂ©tien. Cependant, les chrĂ©tiens ont aussi besoin de la force publique pour faire prĂ©valoir leur point de vue. Ainsi Porphyre de Gaza obtient de lâimpĂ©ratrice Eudoxie, quâelle fasse fermer par son Ă©poux Arcadius les temples polythĂ©istes de Palestine.
Les paĂŻens, les « hĂ©rĂ©tiques » et les Juifs deviennent des citoyens de second rang, grevĂ©s dâincapacitĂ©s juridiques et administratives[32]. Dans une loi, ThĂ©odose prĂ©cise : « Nous leur enlevons la facultĂ© mĂȘme de vivre selon le droit romain. »[33]. Cependant, le JudaĂŻsme est la seule religion non-chrĂ©tienne Ă demeurer licite en 380[34]. Sur le vieux fond de judĂ©ophobie polythĂ©iste[35] se greffe un antijudaĂŻsme proprement chrĂ©tien, accusant les Juifs dâĂȘtre dĂ©icides et dâavoir rejetĂ© le message Ă©vangĂ©lique. Cela nâempĂȘche pas ThĂ©odose de vouloir imposer Ă lâĂ©vĂȘque de Callinicum en MĂ©sopotamie, Ă la grande indignation dâAmbroise de Milan, de reconstruire Ă ses frais la synagogue que ses fidĂšles ont saccagĂ©e[36].
Christianisation et romanité
AprĂšs la conversion de Constantin, le christianisme progresse rapidement dans lâEmpire romain mais toujours de maniĂšre inĂ©gale suivant les provinces. Il sâagit, dans bien des cas, dâune christianisation superficielle oĂč subsistent un grand nombre de croyances et de rituels paĂŻens. LâĂ©vangĂ©lisation des campagnes dâOccident ne progresse que trĂšs lentement: d'ailleurs le mot « paĂŻen » provient du latin paganus, « campagnard ». En Gaule, lâaction de missionnaires dĂ©terminĂ©s joue un rĂŽle non nĂ©gligeable dans lâadoption de la religion du Christ. Saint Martin reste la figure de proue de lâĂ©vangĂ©lisation de la Gaule. En Occident, le latin remplace le grec comme langue liturgique Ă la mĂȘme Ă©poque, signe de la perte de lâusage du grec dans cette partie de lâEmpire. LâĂgypte nâest considĂ©rĂ©e comme chrĂ©tienne quâĂ la fin du Ve siĂšcle.
Organisation de lâĂglise
LâĂglise sâorganise en suivant le modĂšle administratif de lâEmpire. Le diocĂšse oĂč officie lâĂ©vĂȘque, correspond Ă la citĂ©, sauf en Afrique et en Ăgypte[37]. Celui-ci est dĂ©signĂ© par les membres de la communautĂ© et les Ă©vĂȘques voisins. Lâaristocratie christianisĂ©e occupe souvent les fonctions Ă©piscopales. Du fait de la dĂ©faillance des Ă©lites municipales, fuyant des responsabilitĂ©s trop lourdes et trop coĂ»teuses, beaucoup d'Ă©vĂȘques deviennent les premiers personnages de leurs citĂ©s aux Ve et VIe siĂšcles. En Orient, ils deviennent ainsi des partenaires du pouvoir impĂ©rial. Ils reprennent pour lâĂglise une part de lâĂ©vergĂ©tisme dĂ©curional pour lâaide aux pauvres et aux malades. En cas de besoin, ils sâĂ©rigent en dĂ©fenseur de leur citĂ© menacĂ©e face aux barbares. Ă Rome, ils prennent le pas sur les prĂ©fets urbains[38]. En Ăgypte, en revanche, les Ă©vĂȘques sont le plus souvent choisis parmi les moines. Certains cumulent le rĂŽle dâĂ©vĂȘque et de supĂ©rieur du monastĂšre comme Abraham dâHermonthis, vers lâan 600. De nombreux papes chrĂ©tiens coptes viennent du monastĂšre de saint Macaire situĂ© en Nitrie d'Ăgypte. Aujourdâhui encore, la hiĂ©rarchie des Ăglises orthodoxes se recrute toujours parmi les moines[39].
DĂšs le Ier siĂšcle, lâĂ©vĂȘque est assistĂ© par des prĂȘtres et des diacres qui peuvent baptiser, prĂȘcher et enseigner. Au VIe siĂšcle, une nouvelle cellule religieuse se multiplie : la paroisse. Au Moyen Ăge, cette paroisse (ÏαÏÎżÏÎία) doublera, sur le plan religieux, la « cĂ©phalie » (ÎșΔÏαλία) laĂŻque de lâEmpire romain d'Orient, qui peut ĂȘtre urbaine ou rurale[40] - [41] tandis quâen Occident oĂč, dans les nouveaux « royaumes barbares », les villes se vident de leur population en raison des difficultĂ©s de ravitaillement et de lâinsĂ©curitĂ©, la paroisse est surtout rurale et finit par se substituer au maillage administratif de base[42].
Au-dessus des Ă©vĂȘques se trouve lâ« Ă©vĂȘque mĂ©tropolitain » qui siĂšge dans le chef-lieu de la province et dont lâautoritĂ© sâentend Ă lâensemble de celle-ci ; le titre de « mĂ©tropolite » (ΌηÏÏÎżÏολίÏηÏ) a Ă©tĂ© conservĂ© par lâĂglise orthodoxe. Ă partir du concile de Constantinople de 381, apparaissent des primats qui regroupent sous leur autoritĂ© plusieurs provinces ; Rome et Carthage en Occident, Constantinople, Alexandrie et Antioche en Orient, qui ensemble formeront la « Pentarchie »[43]. Au cours du IVe siĂšcle, lâĂ©vĂȘque de Rome commence Ă revendiquer sa primautĂ© sur lâensemble de lâEmpire. En 370, Valentinien Ier dĂ©clare irrĂ©vocables les dĂ©cisions de lâĂ©vĂȘque de Rome. Damase (366-384) est le premier Ă©vĂȘque de Rome Ă utiliser le titre de Pape[44] et Ă qualifier son diocĂšse de « siĂšge apostolique »[45] car il affirme que ce siĂšge a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par lâapĂŽtre Pierre lui-mĂȘme. Toutefois lâautoritĂ© pontificale nâest vĂ©ritablement devenue souveraine sur lâOccident quâĂ partir de LĂ©on le Grand vers 450[7] et cela nâempĂȘchera pas les empereurs dâOrient dâuser de leur influence pour imposer Ă plusieurs papes leurs choix thĂ©ologiques. Durant lâAntiquitĂ© tardive, lâĂglise nâest pas un ensemble homogĂšne : chaque citĂ© a ses rites, ses saints, sa langue liturgique, reflets de la diversitĂ© de lâEmpire[46] - [47].
Les empereurs accordent aux membres du clergĂ© de nombreux privilĂšges : ils sont dispensĂ©s des prestations fiscales imposĂ©es aux laĂŻcs. Les Ă©vĂȘques se voient attribuer des pouvoirs de juridiction civile. Les personnes poursuivies par le pouvoir bĂ©nĂ©ficient du droit dâasile, ce qui permet Ă l'evĂȘque de les soustraire Ă la justice impĂ©riale. Enfin les clercs Ă©chappent progressivement aux juridictions ordinaires et se trouvent ainsi placĂ©s au-dessus du droit commun. Constantin avait dĂ©jĂ donne Ă lâĂglise une personnalitĂ© juridique qui lui permet de recevoir des dons et des legs. Ceci lui permet dâaccroĂźtre sa puissance matĂ©rielle. Au Ve siĂšcle, elle possĂšde dâimmenses domaines dont certains dĂ©pendent des institutions charitables de lâĂglise. Le dĂ©veloppement de ses institutions lui permet dâoccuper un vide laissĂ© par les systĂšmes de redistributions paĂŻens, en sâintĂ©ressant aux pauvres en tant que tels et non en tant que citoyens ou que clients[48]. En Orient comme en Occident, lâĂglise se retrouve cependant confrontĂ©e Ă un paradoxe ; elle est riche, mais prĂŽne la pauvretĂ© comme idĂ©al.
Monachisme
Durant lâAntiquitĂ© tardive, le monachisme, nĂ© au IIIe siĂšcle connaĂźt un premier essor. Les premiers moines apparaissent en Ăgypte, au sud dâAlexandrie. Le retrait radical du monde que prĂŽnent les premiers ermites, Antoine[49] et PacĂŽme, est une vĂ©ritable rupture politique et sociale avec l'idĂ©al grĂ©co-romain de la citĂ©. Ceci nâempĂȘche pas lâĂ©rĂ©mitisme puis le cĂ©nobitisme de se dĂ©velopper dans les dĂ©serts dâOrient. Pourtant il semble que le vrai fondateur du mode de vie cĂ©nobitique soit PacĂŽme. Au dĂ©but du IVe siĂšcle, il Ă©tablit une premiĂšre communautĂ© Ă TabennĂšse, une Ăźle sur le Nil Ă mi-chemin entre Le Caire et Alexandrie. Il fonde huit autres monastĂšres dans la rĂ©gion au cours de sa vie, totalisant 3 000 moines.
Les clercs occidentaux qui se rendent en Orient propagent Ă leur retour lâidĂ©al monachiste. Les premiers Ă©tablissements religieux apparaissent Ă lâOuest de lâEmpire Ă partir de la fin du IVe siĂšcle : l'abbaye Saint-Martin Ă Marmoutier, Honorat Ă LĂ©rins et de multiples fondations Ă partir du VIe siĂšcle. Ă partir des premiĂšres expĂ©riences sâĂ©laborent de nombreuses rĂšgles monastiques. Parmi celles-ci, la rĂšgle de saint BenoĂźt est destinĂ©e Ă un grand avenir en Occident.
Avec le soutien de Justinien Ier, le monachisme prend une grande importance en Orient. Refuge moral, son pouvoir dâattraction est tel quâil dĂ©tourne de lâimpĂŽt et des fonctions publiques une partie des forces de lâEmpire, et devient un vĂ©ritable contre-pouvoir qui se manifestera lors de la crise de lâiconoclasme. En Occident, le monachisme recevra une impulsion dĂ©cisive sous la dynastie carolingienne. Dans toutes les contrĂ©es anciennement romaines, les monastĂšres joueront un rĂŽle prĂ©cieux de conservateurs de la culture antique, tant sur le plan intellectuel (dans les scriptoriae, les novices et les moines recopient et Ă©tudient les documents plus anciens) que pratique (les moines perpĂ©tuent les pratiques agricoles et architecturales de lâEmpire)[50].
Mentalités et pratiques religieuses
Câest pendant lâAntiquitĂ© tardive quâest fixĂ©e lâorganisation du calendrier chrĂ©tien. Constantin choisit de fĂȘter la naissance du Christ, NoĂ«l, le 25 dĂ©cembre, jour de la cĂ©lĂ©bration du dieu Sol Invictus, le Soleil Invaincu[51]. On peut y voir lĂ une tentative de syncrĂ©tisme religieux. PĂąques reste une fĂȘte mobile Ă lâinstar de Pessah. Sa date de cĂ©lĂ©bration est diffĂ©rente dâune communautĂ© chrĂ©tienne Ă lâautre. Pendant le jeĂ»ne de CarĂȘme qui la prĂ©cĂšde, les catĂ©chumĂšnes, des adultes, se prĂ©parent au baptĂȘme cĂ©lĂ©brĂ© durant la nuit de PĂąques. Constantin interdit aussi un grand nombre dâactivitĂ©s le dimanche, jour consacrĂ© au culte chrĂ©tien. Le calendrier chrĂ©tien[52] avec ses fĂȘtes chrĂ©tiennes, le dĂ©coupage du temps en semaine supplante dĂ©finitivement le calendrier romain Ă la fin du Ve siĂšcle[53]. Par contre, pendant toute lâAntiquitĂ© tardive, le dĂ©compte des annĂ©es se fait Ă partir dâun critĂšre antique : la fondation de Rome (), les premiers Jeux olympiques () ou mĂȘme lâĂšre de DioclĂ©tien. Au VIe siĂšcle, Denys le Petit Ă©labore un dĂ©compte chrĂ©tien Ă partir de lâannĂ©e de naissance du Christ. Ce nouveau comput nâentre en action quâau VIIIe siĂšcle.
Sur le plan des mentalitĂ©s, le christianisme introduit un grand changement dans la vision du monde divin. Les Romains avaient toujours acceptĂ© sans grande rĂ©sistance les divinitĂ©s non romaines. Le christianisme, religion monothĂ©iste, sâaffirme comme Ă©tant la seule vraie foi qui professe le seul vrai Dieu. Les autres divinitĂ©s et religions sont ramenĂ©es au rang dâidoles ou dâerreurs. Cette position a comme corollaire la montĂ©e de lâintolĂ©rance religieuse chrĂ©tienne au IVe siĂšcle, qui serait due aux discours apocalyptiques de certaines communautĂ©s chrĂ©tiennes et Ă leurs attentes eschatologiques, ainsi quâau pouvoir politique impĂ©rial[54]. LâĂglise multiplie les adjectifs pour se dĂ©finir : katholicos, câest-Ă -dire universelle, orthodoxos, câest-Ă -dire professant la seule vraie foi[55]. De ce fait, lâĂglise chrĂ©tienne est amenĂ©e Ă combattre non seulement les paĂŻens, mais aussi les chrĂ©tiens professant une foi contraire aux affirmations des conciles, qui sont, Ă partir du Ve siĂšcle, qualifiĂ©s dâ« hĂ©rĂ©tiques ».
Les historiens se posent la question des changements moraux induits par le christianisme. La morale chrĂ©tienne de lâAntiquitĂ© tardive se concentre avant tout sur la sexualitĂ© et la charitĂ©, et ne remet pas en cause la hiĂ©rarchie familiale en place, insistant au contraire sur le nĂ©cessaire respect de lâautoritĂ© du pater familias[56]. Le discours religieux est donc en gĂ©nĂ©ral conservateur. GrĂ©goire de Nysse est le seul auteur chrĂ©tien Ă avoir condamnĂ© lâesclavage, non en raison des souffrances infligĂ©es aux esclaves, perçues comme un inĂ©luctable effet du « pĂ©chĂ© originel », mais pour le salut des Ăąmes de leurs propriĂ©taires, coupables du « pĂ©chĂ© dâorgueil » qui lui, nâest pas inĂ©luctable. Augustin d'Hippone pour sa part, dĂ©nonce la torture en raison de son inefficacitĂ© et de son inhumanitĂ©.
Débats théologiques
représentation symbolique de la Résurrection du Christ. Panneau d'un sarcophage romain, v. 350, Musées du Vatican.
Les premiers siĂšcles du christianisme sont ceux pendant lesquels sâĂ©labore la partie de la doctrine chrĂ©tienne qui est encore commune, au XXIe siĂšcle, aux Ăglises dâOccident et dâOrient. Cette Ă©laboration ne va pas sans divisions et conflits, de sorte quâon peut parler de « christianismes » dans lâEmpire romain et dans ses Ă©tats-successeurs. Outre les conflits de primautĂ©, les querelles dogmatiques sont nombreuses. Le donatisme africain, lâarianisme, le priscillianisme, le pĂ©lagianisme, le nestorianisme, le monophysisme sont autant de doctrines possibles, finalement condamnĂ©es comme « hĂ©rĂ©sies » par les premiers conciles ĆcumĂ©niques. Mais parfois de justesse : contre lâarianisme, deux conciles sont rĂ©unis. En 325 Ă lâissue du premier concile de NicĂ©e, le Symbole de NicĂ©e, que les latins appellent credo est rĂ©digĂ©[57]. Câest lâinvention solennelle de lâorthodoxie[58]. Plus tard, en 451, le concile de Constantinople dĂ©finit Dieu comme un ĂȘtre unique, en trois personnes Ă©ternelles : le PĂšre, le Fils et le Saint Esprit : câest le dogme de la « TrinitĂ© ». JĂ©sus-Christ est dĂ©fini comme : « fils unique de Dieu, engendrĂ© du PĂšre, lumiĂšre de lumiĂšre, vrai Dieu de vrai Dieu, engendrĂ©, non crĂ©Ă©, de la mĂȘme substance (homoousios) que le PĂšre[59] » Les ariens pensent, eux, que le PĂšre est antĂ©rieur au Fils et au Saint Esprit et quâil est donc leur crĂ©ateur[60]. Lâarianisme a de nombreux partisans en Orient comme en Occident. Les missionnaires ariens convertissent les Goths et les Vandales, tandis les peuples romanisĂ©s et les grecs sont majoritairement nicĂ©ens. Clovis, roi des Francs, est, Ă la fin du Ve siĂšcle, le premier roi barbare Ă embrasser lâorthodoxie nicĂ©enne et Ă bĂ©nĂ©ficier ainsi du soutien de lâĂglise romaine.
Au Ve siĂšcle les disputes thĂ©ologiques portent sur la nature du Christ, humaine et/ou divine. Le nestorianisme, dĂ©fendu par le patriarche de Constantinople Nestorius, privilĂ©gie la nature humaine du Christ. Il est condamnĂ© par le concile dâĂphĂšse de 431 rĂ©uni Ă lâinstigation du patriarche dâAlexandrie Cyrille. Ă Antioche, on insiste sur le fait que JĂ©sus est certes Dieu parfait mais aussi homme parfait. Il est rappelĂ© que son incarnation, qui maintient la dualitĂ© des natures, est la condition du salut du genre humain et que câest parce que le Verbe de Dieu (le Christ) sâest fait homme, que lâon peut dire que Marie est mĂšre de Dieu[61]. Les monophysites, suivant les idĂ©es du moine EutychĂšs, nient la nature humaine du Christ. EutychĂšs prĂȘche que dans lâunion en JĂ©sus-Christ, la nature divine absorbe en quelque sorte la nature humaine[61]. Dioscore dâAlexandrie neveu et successeur de Cyrille le soutient. Les monophysites sont condamnĂ©s par le concile de ChalcĂ©doine de 451 rĂ©uni Ă lâinitiative du pape LĂ©on le Grand. Celui-ci reprend la thĂšse dĂ©fendue par le concile de NicĂ©e dâune double nature du Christ, Ă la fois tout Ă fait homme et tout Ă fait Dieu. Dans le canon du concile, le Christ est reconnu « en deux natures sans confusion, sans mutation, sans division et sans sĂ©paration, la diffĂ©rence des natures nâĂ©tant nullement supprimĂ©e Ă cause de lâunion »[62]. Le pape retrouve la premiĂšre place dans le dĂ©bat religieux. Mais le monophysisme est trĂšs bien implantĂ© en Ăgypte, en Syrie et dans une partie de lâAsie Mineure. Il rĂ©siste pendant deux siĂšcles en se repliant sur les langues locales, le copte en Ăgypte et le Syriaque en Syrie. Justinien Ă©choue lui aussi Ă mettre fin aux divisions religieuses de lâOrient malgrĂ© la rĂ©union du concile des « trois chapitres ». Le rĂŽle des hĂ©rĂ©sies, nâest pas Ă minorer. Les querelles religieuses se poursuivent en Orient jusquâau VIIe siĂšcle. Le monophysisme des Ăgyptiens suscite une prise de conscience nationale. La conquĂȘte musulmane est acceptĂ©e favorablement tant le pays dĂ©testait lâemprise impĂ©riale, qui superposait un patriarche et des Ă©vĂȘques byzantins Ă la hiĂ©rarchie copte[63].
Paganisme, superstition et syncrétisme dans un Empire chrétien
Pendant tout le IVe siĂšcle, les cultes polythĂ©istes traditionnels continuent Ă ĂȘtre pratiquĂ©s, de mĂȘme que les cultes Ă mystĂšre dâorigine orientale comme ceux de Mithra, de CybĂšle, dâIsis et de SĂ©rapis malgrĂ© des restrictions progressives. Les textes chrĂ©tiens qui les dĂ©noncent violemment, les dĂ©dicaces, les ex-voto, les attestations de travaux dans les temples en sont autant de tĂ©moignages[7]. ChenoutĂ©, mort vers 466 et abbĂ© du monastĂšre Blanc en Haute-Ăgypte, rapporte dans ses Ćuvres sa lutte contre les paĂŻens, quâil appelle « les Grecs »[64]. Lâhistorien paĂŻen Zosime nous apprend lui aussi que la nouvelle religion nâĂ©tait pas encore rĂ©pandue dans tout lâEmpire romain, le paganisme sâĂ©tant maintenu assez longtemps dans les villages aprĂšs son extinction dans les villes.
Constantin nâintervient guĂšre que pour interdire les rites qui relĂšvent de la superstitio, c'est-Ă -dire des rites religieux privĂ©s, comme les sacrifices nocturnes, les rites dâharuspice privĂ©s et autres pratiques identifiĂ©es Ă la sorcellerie et la magie. Il manifeste en gĂ©nĂ©ral la plus grande tolĂ©rance vis-Ă -vis de toutes les formes de paganisme[7]. En 356, Constance II interdit tous les sacrifices, de nuit comme de jour, fait fermer des temples isolĂ©s et menace de la peine de mort tous ceux qui pratiquent la magie et la divination[65]. Lâempereur Julien, acquis au paganisme, promulgue en 361 un Ă©dit de tolĂ©rance permettant de pratiquer le culte de son choix. Il exige que les chrĂ©tiens qui sâĂ©taient emparĂ©s des trĂ©sors des cultes paĂŻens les restituent. Ses successeurs sont tous chrĂ©tiens. En 379, Gratien abandonne la charge de Grand Pontife. Ă partir de 382, Ă lâinstigation dâAmbroise, Ă©vĂȘque de Milan, lâautel de la Victoire, son symbole au SĂ©nat, est arrachĂ© de la Curie, tandis que les Vestales et tous les sacerdoces perdent leurs immunitĂ©s. Le 24 fĂ©vrier 391, une loi de ThĂ©odose interdit Ă toute personne dâentrer dans un temple, dâadorer les statues des dieux et de cĂ©lĂ©brer des sacrifices, « sous peine de mort »[66]. En 392, ThĂ©odose interdit les Jeux olympiques liĂ©s Ă Zeus et Ă HĂ©ra, mais aussi Ă cause de la nuditĂ© du corps des compĂ©titeurs, car le culte du corps et la nuditĂ© sont dĂ©nigrĂ©s par le christianisme.
Peu Ă peu, les temples abandonnĂ©s tombent en ruines et servent de carriĂšres de pierres. En 435, un dĂ©cret renouvelant lâinterdiction des sacrifices dans les temples paĂŻens ajoute : « si lâun de ceux-ci subsiste encore »[65]. Le renouvellement du dĂ©cret prouve que les sacrifices nâont certainement pas disparu. Ramsay MacMullen pense que les paĂŻens restent malgrĂ© tout trĂšs nombreux[67]. En Ăgypte, en Anatolie, les paysans sâaccrochent Ă leurs anciennes croyances. Certaines communautĂ©s chrĂ©tiennes font parfois preuve de fanatisme destructeur vis-Ă -vis du paganisme. Elles sont dĂ©savouĂ©es par les grands esprits de leur Ă©poque, comme saint Augustin[68]. Lâexemple le plus frappant est celui de la philosophe nĂ©oplatonicienne Hypatie, mise en piĂšces dans une Ă©glise, puis brĂ»lĂ©e par une foule de fanatiques menĂ©e par le patriarche Cyrille, en 415, Ă Alexandrie. Des temples sont dĂ©truits comme le SĂ©rapĂ©um d'Alexandrie dĂšs 391, le temple de Caelestis, la grande dĂ©esse carthaginoise hĂ©ritiĂšre de Tanit en 399. Pourtant lâĂtat ne fait pas Ćuvre de destruction systĂ©matique des temples paĂŻens et de leurs objets dâart.
En revanche, des dĂ©crets officiels tĂ©moignent de la volontĂ© de lâĂtat de conserver ce patrimoine artistique[68]. Plusieurs Ă©dits du rĂšgne de Justinien enlĂšvent aux paĂŻens le droit dâexercer des fonctions civiles ou militaires[69] et dâenseigner, ce qui a comme consĂ©quence la fermeture de lâĂ©cole philosophique dâAthĂšnes. Un Ă©dit de 529 aggrave encore leur situation en leur imposant la conversion au christianisme[70].
Par ailleurs, le christianisme lui-mĂȘme se trouve imprĂ©gnĂ© des anciens rites paĂŻens. Certaines fĂȘtes traditionnelles romaines sont toujours fĂȘtĂ©es Ă la fin du Ve siĂšcle, comme la fĂȘte de Lupercales consacrĂ©e Ă la fĂ©conditĂ© et aux amoureux. Pour lâĂ©radiquer, le pape GĂ©lase Ier dĂ©cide en 495 de cĂ©lĂ©brer la fĂȘte de Saint Valentin, le 14 fĂ©vrier, un jour avant la fĂȘte des Lupercales pour cĂ©lĂ©brer les amoureux. Il sâagit donc bien dâune tentative de christianisation dâun rite paĂŻen. Les Africains continuent de cĂ©lĂ©brer des banquets aux jours anniversaires des morts directement sur les tombes. Au VIe siĂšcle, CĂ©saire dâArles dĂ©nonce dans ses sermons Ă ses fidĂšles les pratiques paĂŻennes qui subsistent dans le peuple. Le port dâamulettes, les cultes aux arbres et aux sources nâont pas disparu de la Gaule mĂ©ridionale. Les plaintes des clercs sont nombreuses jusquâĂ la fin de lâAntiquitĂ© tardive. En Orient, les attendus du concile in Trullo (Constantinople, 691-692, non reconnu par lâĂglise de Rome) flĂ©trissent des coutumes qui subsistent : cĂ©lĂ©brations dâanciennes fĂȘtes paĂŻennes, chants en lâhonneur de Dionysos lors des vendanges, bĂ»chers allumĂ©s Ă la nouvelle luneâŠ[71].
Pour les populations christianisĂ©es, lâefficacitĂ© limitĂ©e de la mĂ©decine antique, surtout galinique, favorisait les croyances dans les miracles produits par les saints[72]. Les pĂšlerinages se multiplient dans tout lâEmpire romain. Au VIe siĂšcle, le tombeau de Martin de Tours draine des foules considĂ©rables[72]. Cette foi en une guĂ©rison miraculeuse favorise l'adhĂ©sion des campagnes au christianisme. Les Ă©vĂȘques y voient un moyen dâassurer le rayonnement de leur diocĂšse. Les guĂ©risons miraculeuses sont utilisĂ©es comme un argument pour convaincre les foules de la vĂ©racitĂ© de la foi nicĂ©enne. Les miracles censĂ©s avoir Ă©tĂ© accomplis par les saints aprĂšs leur mort sont donc soigneusement rĂ©pertoriĂ©s et diffusĂ©s comme un instrument de propagande. Autour du culte des saints, toute une sĂ©rie de croyances proches des superstitions anciennes se dĂ©veloppe. Les gens cherchent Ă se faire enterrer prĂšs des saints car ils pensent que leur saintetĂ© se diffuse Ă travers la terre sous laquelle ils reposent[73]. Le culte des saints donne naissance aux pĂšlerinages porteurs de prospĂ©ritĂ© pour les villes dâaccueil.
Notes et références
- Pour le problĂšme des sources voir Yves ModĂ©ran, La conversion de Constantin et la christianisation de lâEmpire romain, confĂ©rence pour la RĂ©gionale de lâAPHG en juin 2001..
- Christol et Nony, p. 233. Aline Rousselle dit que « les chrĂ©tiens Ă©taient une puissante minoritĂ© prĂ©sente dans des lieux et positions clĂ©s (en 312). » in Nouvelle histoire de lâAntiquitĂ©, tome 9, Seuil, 1999.
- Câest entre autres le point de vue que le cardinal DaniĂ©lou dĂ©veloppe dans la Nouvelle histoire de lâĂglise parue au Seuil en 1963. Il Ă©crit : « Au dĂ©but du IVe siĂšcle, les forces vives de lâEmpire Ă©taient en grande partie chrĂ©tiennes⊠En dĂ©gageant lâEmpire de ses liens avec le paganisme, Constantin ne sera pas un rĂ©volutionnaire. Il ne fera que reconnaĂźtre en droit une situation dĂ©jĂ rĂ©alisĂ©e dans les faits ».
- Entre autres par Alan Cameron et Robin Lane Fox aux Ătats-Unis, et Pierre Chuvin et Claude Lepelley en France.
- Robin Lane Fox, PaĂŻens et chrĂ©tiens : La religion et la vie religieuse dans lâEmpire romain de la mort de Commode au Concile de NicĂ©e, Presses Universitaires du Mirail, 1997.
- Roger S. Bagnall, Egypt in Late Antiquity, Princeton, Princeton University Press, 1993.
- Yves ModĂ©ran, « La conversion de Constantin et la christianisation de lâEmpire romain », Association des professeurs dâhistoire et de gĂ©ographie Caen.
- Lançon (1997), p. 60.
- Guy Stroumsa, La Fin du sacrifice. Les mutations religieuses de lâAntiquitĂ© tardive, Odile Jacob, 2005, p. 182.
- Lire le compte rendu de Bruno Delorme sur lâouvrage de G. Stroumsa en pages 3 et 4 dans .
- A. Momigliano, The Disadvantages of monotheism for an universal state, Classical Philology, t. 81, 1986, p. 285-297.
- Balard, GenĂȘt, Rouche.
- voir par exemple Claire Sotinel, Rome, la fin d'un Empire : De Caracalla à Théodoric, 212-fin du Ve siÚcle, Belin, coll. « Mondes anciens », (ISBN 978-2-7011-6497-7), p. 130-141
- (en) Timothy David Barnes, Early Christian Hagiography and Roman History, Mohr Siebeck, (ISBN 978-3-16-150226-2), chap. III (« The 'Great Persecution' (303-313) »), p. 97
- Claire Sotinel, Rome, la fin d'un Empire : De Caracalla à Théodoric, 212-fin du Ve siÚcle, Belin, coll. « Mondes anciens », (ISBN 978-2-7011-6497-7), p. 140-141
- Maurice Sachot, Quand le christianisme a changé le monde:, vol. I : La subversion chrétienne du monde antique, Odile Jacob, (ISBN 978-2-7381-9209-7), p. 332
- Petit, Histoire gĂ©nĂ©rale de lâEmpire romain, Seuil, 1974, p. 575-579 et 582.
- Lactance, De la mort des persécuteurs, XXXIII, 1.
- Robert Turcan, Constantin en son temps, Ădition Faton, 2006, (ISBN 2-87844-085-4), p. 138.
- Par exemple sainte Catherine, saint Georges ou encore la légion thébaine.
- (grk) Zosime, Vaticanus Graecus 156
- ThĂšse avancĂ©e par AndrĂ© Piganiol dans son livre, LâEmpereur Constantin publiĂ© aux Ă©ditions Rieder en 1932.
- Gilbert Dagron, Empereur et prĂȘtre, Ă©tude sur le cĂ©saropapisme byzantin, Gallimard, 1996.
- EusÚbe de Césarée, Vie de Constantin, III, 6-7.
- Christianisme et stoĂŻcisme, X-Passion, 2001 dans.
- Paul Petit et Yann Le Bohec, « LâAntiquitĂ© tardive », EncyclopĂŠdia universalis, DVD 2007.
- Selon le dogme catholique suivi par des historiens comme Michel Le Quien dans Oriens Christianus ou Charles George Herbermann dans lâEncyclopĂ©die catholique, lâapĂŽtre Pierre est le premier Pape et lâĂglise catholique romaine est lâĂglise primitive : toutes les autres confessions chrĂ©tiennes sont des dĂ©viations et le mot « catholique » dĂ©signe lâensemble de lâĂ©glise du premier millĂ©naire et du symbole de NicĂ©e)
- Ambroise, Lettres, 10, 9-10.
- Lâempereur dâOrient promulgue des lois qui interdisent les doctrines sâopposant Ă la foi de NicĂ©e : Code ThĂ©odose, 16, 1, 2 et 16, 5, 4.
- Code Théodose, 16, 5, 5.
- Code Théodose, 16, 1, 4.
- Histoire du droit, 1re année de DEUG, Université Paris X - Nanterre dans .
- Code Théodose, XVI, V, 7 et XVI, VII, 2.
- Esther Benbassa, article antisémitisme, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007.
- Maurice Sartre, « Des rites abominables et des mĆurs effrĂ©nĂ©es », LâHistoire, no 269 (octobre 2002), p. 32-35.
- Giovani Miccoli, « Ils ont tuĂ© le Christ⊠», LâHistoire no 269 (octobre 2002), p. 36.
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- Anne Boudâhors dans .
- Alain Ducellier, Michel Kaplan, Bernadette Martin et Françoise Micheau, Le Moyen Ăge en Orient, Paris, 2014
- Ăric Limousin, Le Monde byzantin du milieu du VIIIe siĂšcle Ă 1204 : Ă©conomie et sociĂ©tĂ©, ed. BrĂ©al 2007 (ISBN 9782749506326)
- Les royaumes barbares : culture et religion, dans .
- Lâhistoriographie catholique, se rĂ©fĂ©rant au statut de Primus inter pares des Ă©vĂȘques de Rome, ne reconnaĂźt pas la « Pentarchie ».
- Le titre de « pape » apparaßt dans des documents à partir du premier concile de Nicée en 325.
- Lançon (1997), p. 84.
- Walter Bauer, Orthodoxy and Heresy in Earliest Christianity, éd. Sigler Press, 1996 (ISBN 978-0-9623642-7-3) (rééd.); Traduction originale en anglais (1934) en ligne
- Adolf von Harnack (trad. EugÚne Choisy, postface Kurt Kowak), Histoire des dogmes, Paris, Cerf, coll. « Patrimoines. Christianisme », , 2e éd., 495 p. (ISBN 978-2-204-04956-6, OCLC 409065439, BNF 35616019)
- Peter Garnsey et Caroline Humfress, LâĂvolution du monde de lâAntiquitĂ© tardive, chapitre 4, La DĂ©couverte, 2005.
- La lĂ©gende raconte quâAntoine sâest retirĂ© dans le dĂ©sert Ă©gyptien comme ermite pendant la persĂ©cution de Maximien en 312. Sa renommĂ©e attire auprĂšs de lui un grand nombre de disciples imitant son ascĂ©tisme afin dâapprocher la saintetĂ© de leur maĂźtre. Plus il se replie dans une rĂ©gion reculĂ©e et sauvage, et plus des disciples accourent. Ils construisent leurs huttes autour de celle de leur pĂšre spirituel rompant ainsi son isolement. Câest ainsi que serait nĂ©e la premiĂšre communautĂ© monastique, composĂ©e dâanachorĂštes vivant chacun dans leur propre maison.
- Pierre Alexandre, Le climat en Europe au Moyen Ăge : contribution Ă l'histoire des variations climatiques de 1000 Ă 1425, d'aprĂšs les sources narratives de l'Europe occidentale commentĂ© par NicolaĂŻ Henri, in : Revue belge de philologie et d'histoire, Vol.68, n° 68-2, 1990, pp. 476-479.
- Lançon (1997), p. 67.
- On ignore Ă partir de quand les chrĂ©tiens prennent lâhabitude de fixer le calendrier de leurs fĂȘtes. Le chronographe de 354, communĂ©ment appelĂ© « calendrier de 354 », juxtapose la liste des saints Ă cĂ©lĂ©brer, PĂąques, la NativitĂ©, la Natalice de Saint Pierre aux fĂȘtes romaines traditionnelles. Voir .
- Lançon (1997), p. 69.
- G. Stroumsa, op. cit., p. 167.
- Peut-ĂȘtre sâagit-il aussi dâun legs de la philosophie platonicienne et de la volontĂ© du penseur grec dâimposer en politique la VĂ©ritĂ© philosophique comme norme absolue, idĂ©e reprise par le christianisme et sa thĂ©ologie.
- Garnsey et Humfress, op. cit., chapitre 5.
- Aujourdâhui, ce credo, n'est toujours pas partagĂ© par les nombreuses confessions chrĂ©tiennes. Cf. Ăglises des deux conciles, Ăglises des trois conciles, libre examen. La seule priĂšre partagĂ©e par tous les chrĂ©tiens est le Notre PĂšre.
- Alain Dierkens, dans son introduction au recueil d'articles "Sectes" et "hĂ©rĂ©sies", de lâAntiquitĂ© Ă nos jours (Dierkens Alain, Morelli Anne, Bruxelles, Ăditions de l'UniversitĂ© de Bruxelles, 2002,) dit de lâĂglise « catholique et orthodoxe » du premier millĂ©naire quâelle est « une secte qui s'est payĂ© une armĂ©e ».
- Symbole de NicĂ©e de 325 : le concile de Constantinople de 381 ajoute que le Christ a Ă©tĂ© « engendrĂ© du PĂšre avant tous les siĂšcles, ceci pour montrer quâil est incrĂ©Ă© ».
- Lançon (1997), p. 82.
- Jacques-Noël PérÚs dans Historia, disponible sur.
- Dictionnaire universel et complet des conciles du chanoine Adolphe-Charles Peltier, publiĂ© dans LâEncyclopĂ©die thĂ©ologique de lâabbĂ© Jacques-Paul Migne (1847), tomes 13 et 14.
- La religion copte dans .
- Le Monde de la Bible, entretien avec Anne Boudâhors dans .
- André Chastagnol, Le Bas-Empire, Armand Colin, 1999.
- Pierre Chuvin, Chronique des derniers paĂŻens, Les Belles Lettres, 1994.
- Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siĂšcle, les Belles Lettres.
- Henri Lavagne, « La tolĂ©rance de lâĂglise et de lâĂtat Ă lâĂ©gard des Ćuvres dâart du paganisme dans lâAntiquitĂ© tardive », Ătudes littĂ©raires, 2000.
- Code Justinien 1, 5, 12 : « Il est juste de priver de biens terrestres ceux qui nâadorent pas le vrai Dieu. ».
- « Sâils dĂ©sobĂ©issent, quâils sachent quâils seront exclus de lâĂtat et quâil ne leur sera plus permis de rien possĂ©der, bien meuble ou immeuble ; dĂ©pouillĂ©s de tout, ils seront laissĂ©s dans lâindigence, sans prĂ©judice des chĂątiments appropriĂ©s dont on les frappera. » Code Justinien 1, 11, 10.
- Georges Ostrogorsky, Op. cit., p. 167.
- Lançon (1997), p. 77.
- Lançon (1997), p. 112.