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Christianisme dans le monde romain

Cet article traite de différents aspects du christianisme dans le monde romain.

Questions posĂ©es par la christianisation de l’Empire romain

L’histoire de Jonas, mosaĂŻque du IVe siĂšcle, basilique patriarcale d’AquilĂ©e.

La progression du christianisme dans l’Empire est sujette Ă  de nouveaux dĂ©bats. En effet, les sources Ă  la disposition des historiens rendent ardue la quantification du dĂ©veloppement du christianisme[1].

Pendant longtemps a prĂ©valu l’idĂ©e qu’au dĂ©but du IVe siĂšcle, les provinces d’Orient sont majoritairement acquises au christianisme. En Occident, les provinces mĂ©diterranĂ©ennes sont plus touchĂ©es par la nouvelle religion que les autres. Mais partout dans cette partie de l’Empire romain, les campagnes restent profondĂ©ment polythĂ©istes[2]. Dans cette optique, la conversion de Constantin n’aurait Ă©tĂ© qu’un couronnement, et non un tournant de l’histoire de l’Empire[3]. Aujourd’hui l’ampleur de la christianisation de l’Empire est remise en question[4].

De son cĂŽtĂ©, Robin Lane Fox pense que le paganisme est toujours trĂšs bien implantĂ© au dĂ©but du IVe siĂšcle et que le christianisme est encore un phĂ©nomĂšne trĂšs minoritaire[5]. Selon lui les chrĂ©tiens ne reprĂ©sentent en 312, que 4 Ă  5 % de la population totale de l’Empire. Le dĂ©bat est d’autant plus dĂ©licat que, derriĂšre les chiffres, il y a un enjeu idĂ©ologique fort.

Certains points semblent nĂ©anmoins Ă©tablis. L’inĂ©galitĂ© de la christianisation selon les rĂ©gions et le retard de la Gaule en particulier sont admis par tous. À un moindre degrĂ©, la situation est la mĂȘme en Espagne et en Italie, mais avec en plus de fortes diffĂ©rences rĂ©gionales. On pense qu’à Rome, la ville la plus christianisĂ©e d’Italie, peut-ĂȘtre un peu moins de 10 % des habitants sont chrĂ©tiens en 312. L’étude des papyrus Ă©gyptiens permet le chiffre de 20 % de chrĂ©tiens en 312 en Égypte[6]. En Asie Mineure, une proportion d’1/3 de chrĂ©tiens est envisageable, 10 Ă  20 % en Afrique. En 312, les chrĂ©tiens ne sont donc qu’une minoritĂ© dans l’Empire[7].

La question du dĂ©veloppement du christianisme a longtemps Ă©tĂ© posĂ©e en termes d’affrontement avec la culture antique. Le « Bas Empire Â» (terme parfois pĂ©joratif pour l’Empire romain de l’AntiquitĂ© tardive) est, dans cette perspective, vu comme une pĂ©riode de triomphe de la foi nouvelle face aux religions traditionnelles ou aux cultes Ă  mystĂšres. Aujourd’hui, l’examen des sources pousse Ă  modifier ce point de vue. Le christianisme s’est nourri de la culture antique et s’en est servi pour se dĂ©velopper : il n’a donc pas dĂ©truit, mais transformĂ© la culture antĂ©rieure[8]. Guy Stroumsa explique le passage des Romains (et ultĂ©rieurement, des « barbares Â») du polythĂ©isme au christianisme, par un processus d’intĂ©riorisation de la foi, de passage du rituel et du culte, Ă  une conviction personnelle, fut-elle cachĂ©e et inexprimĂ©e. Dans une pĂ©riode d’incertitudes, d’insĂ©curitĂ© et de doutes, une partie croissante des habitants ne se serait plus reconnue dans les religions formalistes et aurait cherchĂ© une croyance portant davantage d’espĂ©rance, sinon pour le monde terrestre, au moins pour l’aprĂšs-vie. L’essor des religions monothĂ©istes grĂące Ă  la gĂ©nĂ©ralisation du codex, sert d’accĂ©lĂ©rateur Ă  un nouveau « souci de son Ăąme Â», prĂ©sent dans l’ascĂšse et la lecture. Ainsi, la religion civique recule au profit des religions communautaires et privĂ©es[9]. Cette thĂšse ne fait pas l’unanimitĂ© parmi les historiens[10].

En devenant la religion officielle de l’Empire romain au IVe siĂšcle, le christianisme sert Ă  justifier un ordre politique autoritaire qui s’exerce au nom du Dieu unique. La nouvelle religion devient un Ă©lĂ©ment essentiel de la cohĂ©sion de l’Empire. La consĂ©quence en est l’exclusion de toutes les autres convictions religieuses, qui ne survivent, au mieux, que comme « superstitions Â» populaires, d’oĂč le terme de « paganisme Â» signifiant « des paysans Â». Les non-chrĂ©tiens sont progressivement dĂ©solidarisĂ©s de l’idĂ©al romain[11].

Pour l’Église impĂ©riale de l’antiquitĂ© tardive, romanitĂ© et christianisme sont si indissociables que les Ă©vĂȘques trouvent normal de dĂ©fendre, face aux barbares, l’Empire puis les deux Empires d’Occident et d’Orient[12].

Grande persécution

Saint Érasme flagellĂ© en prĂ©sence de l’empereur DioclĂ©tien. Fresque byzantine, milieu du VIIIe siĂšcle, musĂ©e national de Rome

Avec la persĂ©cution de DĂšce (249-251) et de celle de ValĂ©rien (257-259), le christianisme connaĂźt pour la premiĂšre fois de son existence des persĂ©cutions gĂ©nĂ©ralisĂ©es, bien qu'elles soient de courtes durĂ©es et d'une efficacitĂ© relative[13]. En 260, Ă  la mort de son pĂšre et co-empereur ValĂ©rien, Gallien fait cesser la persĂ©cution gĂ©nĂ©rale en cours et promulgue un Ă©dit de tolĂ©rance qui constitue la premiĂšre lĂ©gitimation officielle du christianisme par les autoritĂ©s romaine[14]. Cette dĂ©cision inaugure pour les chrĂ©tiens une pĂ©riode de coexistence pacifique avec l'État romain qui, retenue sous le nom de « petite paix de l'Église »[15], dure une quarantaine d'annĂ©es au cours desquelles le christianisme connaĂźt une augmentation significative de ses adeptes et un renforcement de sa prĂ©sence Ă  travers l'Empire[16].

Mais au dĂ©but du IVe siĂšcle, avec la TĂ©trarchie, la lutte des empereurs contre les chrĂ©tiens, en expansion mais encore trĂšs minoritaires[7], reprend et donne lieu Ă  une derniĂšre persĂ©cution gĂ©nĂ©ralisĂ©e. En 303, DioclĂ©tien et ses collĂšgues lancent plusieurs Ă©dits contre les chrĂ©tiens : c’est la « grande persĂ©cution Â». Les gouverneurs et les magistrats municipaux doivent saisir et faire brĂ»ler le mobilier et les livres de culte. Au dĂ©but de l’annĂ©e 304, un Ă©dit ordonne Ă  tous les citoyens de faire un sacrifice gĂ©nĂ©ral pour l’Empire, sous peine de mort ou de condamnation aux travaux forcĂ©s dans les mines. La persĂ©cution est trĂšs inĂ©galement appliquĂ©e sur l’Empire, assez vite abandonnĂ©e en Occident aprĂšs 305, plus longue et sĂ©vĂšre en Orient[17]. En 311, juste avant sa mort, GalĂšre dĂ©crĂšte l’arrĂȘt de la persĂ©cution, et, selon le polĂ©miste chrĂ©tien Lactance, demande aux chrĂ©tiens de prier pour son salut et celui de l’Empire[18]. Cet appel est dans le droit fil de la tradition religieuse romaine, qui se soucie surtout d’utilitĂ© civique et finit par admettre celle des chrĂ©tiens[19].

Une des consĂ©quences de la « grande persĂ©cution Â» pour le monde chrĂ©tien est la division de la chrĂ©tientĂ© entre donatistes et orthodoxes Ă  partir de 307. Les donatistes refusent la validitĂ© des sacrements dĂ©livrĂ©s par les Ă©vĂȘques qui avaient failli lors des persĂ©cutions de DioclĂ©tien, position condamnĂ©e en 313 au concile de Rome par les orthodoxes, qui considĂšrent le donatisme comme hĂ©rĂ©tique. Le schisme dure jusqu’à la fin du siĂšcle en Afrique romaine.

La « grande persĂ©cution Â» marque plus que les autres la tradition chrĂ©tienne orientale : l’hagiographie positionne le martyre de saints d’existence lĂ©gendaire pendant la persĂ©cution de DioclĂ©tien et de ses successeurs[20]. Une autre trace de l’impact significatif sur la mĂ©moire chrĂ©tienne est le choix de l’ùre copte ou « Ăšre des Martyrs » qui dĂ©bute Ă  la date d’avĂšnement de DioclĂ©tien.

Empereurs chrétiens

Saint Ambroise, mosaĂŻque du IVe siĂšcle, basilique de Saint-Ambroise de Milan.

Constantin, initialement adepte du Sol invictus (le « Soleil Invaincu Â»), se convertit au christianisme, pour certains dĂšs 312 Ă  la suite d’une vision prĂ©cĂ©dant la bataille du pont Milvius (EusĂšbe de CĂ©sarĂ©e), pour d’autres en 326 par remords aprĂšs l’exĂ©cution de son fils et de son Ă©pouse (Zosime[21]). Il concilie le christianisme et une divinitĂ© d’oĂč Ă©maneraient tous les dieux, un ĂȘtre suprĂȘme identifiĂ© Ă  partir du milieu du IIIe siĂšcle au Soleil. Dans la pĂ©riode 312-325, les monnaies reprĂ©sentent le Soleil divin, compagnon de l’empereur, ou confondent son image avec la sienne. Peu de monnaies montrent des symboles chrĂ©tiens (chrisme, labarum) Ă  la fin ce laps de temps[7]. La part de conviction personnelle[22] et de calcul politique dans l’adhĂ©sion de Constantin au christianisme reste discutĂ©e ; les deux motivations ne s’excluent pas. En 313, l’édit de Milan proclame la libertĂ© de culte individuel et prĂ©voit de rendre aux chrĂ©tiens les biens confisquĂ©s pendant la grande persĂ©cution dioclĂ©tienne, ce qui vaut Ă  l’empereur le soutien des chrĂ©tiens. L’adoption du christianisme par l’empereur pose le problĂšme des relations entre l’Église et le pouvoir (que l’historiographie moderne appellera « cĂ©saropapisme Â»[23]).

SollicitĂ© par les Ă©vĂȘques africains sur la querelle donatiste, Constantin organise dĂšs 314 Ă  Arles un concile local pour que les Ă©vĂȘques dĂ©cident entre eux. Il convoque[24] et prĂ©side le concile de NicĂ©e en 325 qui proclame la double nature du Christ, "vraiment Dieu et vraiment homme" Ă  l’unanimitĂ©, et excommunie le prĂȘtre Arius [25], lequel niait la divinitĂ© du Christ. Constantin le fait exiler, puis le rappelle quelques annĂ©es plus tard. Les ariens adoptent des positions trĂšs favorables au pouvoir impĂ©rial, lui reconnaissant le droit de trancher les questions religieuses d’autoritĂ©. Constantin finit par se rapprocher de cette forme de christianisme et se fait baptiser sur son lit de mort par un prĂȘtre arien[26]. Cette conversion Ă  l’arianisme sera, bien plus tard, contestĂ©e par l’Église catholique et par certains historiens, mais son fils et successeur Constance II est un arien convaincu. Il n’hĂ©site pas Ă  persĂ©cuter les chrĂ©tiens nicĂ©ens plus que les paĂŻens. MalgrĂ© ses interventions dans de nombreux conciles, il Ă©choue Ă  faire adopter un credo qui satisfasse les ariens et les chrĂ©tiens orthodoxes. À l'exception de Valens, ses successeurs, soucieux de paix civile, observent une stricte neutralitĂ© religieuse entre les ariens et les nicĂ©ens. La dĂ©faite d’Andrinople face aux Wisigoths ariens permet aux nicĂ©ens (que beaucoup d'auteurs modernes nomment « catholiques Â»[27]) de passer Ă  l’offensive. Ambroise de Milan, voulant dĂ©fendre le credo de NicĂ©e contre les ariens qualifie l’hĂ©rĂ©sie de « double trahison, envers l’Église et envers l’Empire Â»[28].

Gratien finit par s’orienter vers une condamnation de l’arianisme sous l’influence conjuguĂ©e de son collĂšgue ThĂ©odose[29] et d’Ambroise. L’empereur de la pars orientalis a, en 380, dans l’édit de Thessalonique, fait du Christianisme une religion d’État. Comme son collĂšgue, il promulgue des lois anti-hĂ©rĂ©tiques[30]. Il convoque un concile Ă  AquilĂ©e, en 381, dirigĂ© par Ambroise. Deux Ă©vĂȘques ariens sont excommuniĂ©s. À ce moment, l’Église nicĂ©enne est devenue assez forte pour rĂ©sister Ă  la cour impĂ©riale. AprĂšs la mort de Gratien, le parti arien est de nouveau trĂšs influent Ă  la cour. À son instigation, est promulguĂ©e une loi, le 23 janvier 386, qui prĂ©voit la peine de mort pour toute personne qui s’opposerait Ă  la libertĂ© des consciences et des cultes[31]. Ambroise refuse de concĂ©der une basilique extra muros aux ariens fort du soutien du peuple et des hautes sphĂšres de Milan. La cour impĂ©riale est obligĂ©e de cĂ©der. GrĂące Ă  des hommes comme Ambroise, l’Église nicĂ©enne peut ainsi s’émanciper de la tutelle impĂ©riale et mĂȘme revendiquer la primautĂ© du pouvoir spirituel sur le temporel en rappelant Ă  l’empereur ses devoirs de chrĂ©tien. Cependant, les chrĂ©tiens ont aussi besoin de la force publique pour faire prĂ©valoir leur point de vue. Ainsi Porphyre de Gaza obtient de l’impĂ©ratrice Eudoxie, qu’elle fasse fermer par son Ă©poux Arcadius les temples polythĂ©istes de Palestine.

Les paĂŻens, les « hĂ©rĂ©tiques Â» et les Juifs deviennent des citoyens de second rang, grevĂ©s d’incapacitĂ©s juridiques et administratives[32]. Dans une loi, ThĂ©odose prĂ©cise : « Nous leur enlevons la facultĂ© mĂȘme de vivre selon le droit romain. »[33]. Cependant, le JudaĂŻsme est la seule religion non-chrĂ©tienne Ă  demeurer licite en 380[34]. Sur le vieux fond de judĂ©ophobie polythĂ©iste[35] se greffe un antijudaĂŻsme proprement chrĂ©tien, accusant les Juifs d’ĂȘtre dĂ©icides et d’avoir rejetĂ© le message Ă©vangĂ©lique. Cela n’empĂȘche pas ThĂ©odose de vouloir imposer Ă  l’évĂȘque de Callinicum en MĂ©sopotamie, Ă  la grande indignation d’Ambroise de Milan, de reconstruire Ă  ses frais la synagogue que ses fidĂšles ont saccagĂ©e[36].

Christianisation et romanité

AprĂšs la conversion de Constantin, le christianisme progresse rapidement dans l’Empire romain mais toujours de maniĂšre inĂ©gale suivant les provinces. Il s’agit, dans bien des cas, d’une christianisation superficielle oĂč subsistent un grand nombre de croyances et de rituels paĂŻens. L’évangĂ©lisation des campagnes d’Occident ne progresse que trĂšs lentement: d'ailleurs le mot « paĂŻen Â» provient du latin paganus, « campagnard Â». En Gaule, l’action de missionnaires dĂ©terminĂ©s joue un rĂŽle non nĂ©gligeable dans l’adoption de la religion du Christ. Saint Martin reste la figure de proue de l’évangĂ©lisation de la Gaule. En Occident, le latin remplace le grec comme langue liturgique Ă  la mĂȘme Ă©poque, signe de la perte de l’usage du grec dans cette partie de l’Empire. L’Égypte n’est considĂ©rĂ©e comme chrĂ©tienne qu’à la fin du Ve siĂšcle.

Organisation de l’Église

L’Église s’organise en suivant le modĂšle administratif de l’Empire. Le diocĂšse oĂč officie l’évĂȘque, correspond Ă  la citĂ©, sauf en Afrique et en Égypte[37]. Celui-ci est dĂ©signĂ© par les membres de la communautĂ© et les Ă©vĂȘques voisins. L’aristocratie christianisĂ©e occupe souvent les fonctions Ă©piscopales. Du fait de la dĂ©faillance des Ă©lites municipales, fuyant des responsabilitĂ©s trop lourdes et trop coĂ»teuses, beaucoup d'Ă©vĂȘques deviennent les premiers personnages de leurs citĂ©s aux Ve et VIe siĂšcles. En Orient, ils deviennent ainsi des partenaires du pouvoir impĂ©rial. Ils reprennent pour l’Église une part de l’évergĂ©tisme dĂ©curional pour l’aide aux pauvres et aux malades. En cas de besoin, ils s’érigent en dĂ©fenseur de leur citĂ© menacĂ©e face aux barbares. À Rome, ils prennent le pas sur les prĂ©fets urbains[38]. En Égypte, en revanche, les Ă©vĂȘques sont le plus souvent choisis parmi les moines. Certains cumulent le rĂŽle d’évĂȘque et de supĂ©rieur du monastĂšre comme Abraham d’Hermonthis, vers l’an 600. De nombreux papes chrĂ©tiens coptes viennent du monastĂšre de saint Macaire situĂ© en Nitrie d'Égypte. Aujourd’hui encore, la hiĂ©rarchie des Églises orthodoxes se recrute toujours parmi les moines[39].

DĂšs le Ier siĂšcle, l’évĂȘque est assistĂ© par des prĂȘtres et des diacres qui peuvent baptiser, prĂȘcher et enseigner. Au VIe siĂšcle, une nouvelle cellule religieuse se multiplie : la paroisse. Au Moyen Âge, cette paroisse (Ï€Î±ÏÎżÏ‡Î­ÎŻÎ±) doublera, sur le plan religieux, la « cĂ©phalie » (ÎșÎ”Ï†Î±Î»ÎŻÎ±) laĂŻque de l’Empire romain d'Orient, qui peut ĂȘtre urbaine ou rurale[40] - [41] tandis qu’en Occident oĂč, dans les nouveaux « royaumes barbares Â», les villes se vident de leur population en raison des difficultĂ©s de ravitaillement et de l’insĂ©curitĂ©, la paroisse est surtout rurale et finit par se substituer au maillage administratif de base[42].

Au-dessus des Ă©vĂȘques se trouve l’« Ă©vĂȘque mĂ©tropolitain Â» qui siĂšge dans le chef-lieu de la province et dont l’autoritĂ© s’entend Ă  l’ensemble de celle-ci ; le titre de « mĂ©tropolite Â» (ÎŒÎ·Ï„ÏÎżÏ€ÎżÎ»ÎŻÏ„Î·Ï‚) a Ă©tĂ© conservĂ© par l’Église orthodoxe. À partir du concile de Constantinople de 381, apparaissent des primats qui regroupent sous leur autoritĂ© plusieurs provinces ; Rome et Carthage en Occident, Constantinople, Alexandrie et Antioche en Orient, qui ensemble formeront la « Pentarchie Â»[43]. Au cours du IVe siĂšcle, l’évĂȘque de Rome commence Ă  revendiquer sa primautĂ© sur l’ensemble de l’Empire. En 370, Valentinien Ier dĂ©clare irrĂ©vocables les dĂ©cisions de l’évĂȘque de Rome. Damase (366-384) est le premier Ă©vĂȘque de Rome Ă  utiliser le titre de Pape[44] et Ă  qualifier son diocĂšse de « siĂšge apostolique Â»[45] car il affirme que ce siĂšge a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par l’apĂŽtre Pierre lui-mĂȘme. Toutefois l’autoritĂ© pontificale n’est vĂ©ritablement devenue souveraine sur l’Occident qu’à partir de LĂ©on le Grand vers 450[7] et cela n’empĂȘchera pas les empereurs d’Orient d’user de leur influence pour imposer Ă  plusieurs papes leurs choix thĂ©ologiques. Durant l’AntiquitĂ© tardive, l’Église n’est pas un ensemble homogĂšne : chaque citĂ© a ses rites, ses saints, sa langue liturgique, reflets de la diversitĂ© de l’Empire[46] - [47].

Feuillet d’un diptyque reprĂ©sentant le Christ entourĂ© de deux apĂŽtres. Ivoire. Gaule, Ve siĂšcle, musĂ©e du Louvre.

Les empereurs accordent aux membres du clergĂ© de nombreux privilĂšges : ils sont dispensĂ©s des prestations fiscales imposĂ©es aux laĂŻcs. Les Ă©vĂȘques se voient attribuer des pouvoirs de juridiction civile. Les personnes poursuivies par le pouvoir bĂ©nĂ©ficient du droit d’asile, ce qui permet Ă  l'evĂȘque de les soustraire Ă  la justice impĂ©riale. Enfin les clercs Ă©chappent progressivement aux juridictions ordinaires et se trouvent ainsi placĂ©s au-dessus du droit commun. Constantin avait dĂ©jĂ  donne Ă  l’Église une personnalitĂ© juridique qui lui permet de recevoir des dons et des legs. Ceci lui permet d’accroĂźtre sa puissance matĂ©rielle. Au Ve siĂšcle, elle possĂšde d’immenses domaines dont certains dĂ©pendent des institutions charitables de l’Église. Le dĂ©veloppement de ses institutions lui permet d’occuper un vide laissĂ© par les systĂšmes de redistributions paĂŻens, en s’intĂ©ressant aux pauvres en tant que tels et non en tant que citoyens ou que clients[48]. En Orient comme en Occident, l’Église se retrouve cependant confrontĂ©e Ă  un paradoxe ; elle est riche, mais prĂŽne la pauvretĂ© comme idĂ©al.

Monachisme

Durant l’AntiquitĂ© tardive, le monachisme, nĂ© au IIIe siĂšcle connaĂźt un premier essor. Les premiers moines apparaissent en Égypte, au sud d’Alexandrie. Le retrait radical du monde que prĂŽnent les premiers ermites, Antoine[49] et PacĂŽme, est une vĂ©ritable rupture politique et sociale avec l'idĂ©al grĂ©co-romain de la citĂ©. Ceci n’empĂȘche pas l’érĂ©mitisme puis le cĂ©nobitisme de se dĂ©velopper dans les dĂ©serts d’Orient. Pourtant il semble que le vrai fondateur du mode de vie cĂ©nobitique soit PacĂŽme. Au dĂ©but du IVe siĂšcle, il Ă©tablit une premiĂšre communautĂ© Ă  TabennĂšse, une Ăźle sur le Nil Ă  mi-chemin entre Le Caire et Alexandrie. Il fonde huit autres monastĂšres dans la rĂ©gion au cours de sa vie, totalisant 3 000 moines.

Les clercs occidentaux qui se rendent en Orient propagent Ă  leur retour l’idĂ©al monachiste. Les premiers Ă©tablissements religieux apparaissent Ă  l’Ouest de l’Empire Ă  partir de la fin du IVe siĂšcle : l'abbaye Saint-Martin Ă  Marmoutier, Honorat Ă  LĂ©rins et de multiples fondations Ă  partir du VIe siĂšcle. À partir des premiĂšres expĂ©riences s’élaborent de nombreuses rĂšgles monastiques. Parmi celles-ci, la rĂšgle de saint BenoĂźt est destinĂ©e Ă  un grand avenir en Occident.

Avec le soutien de Justinien Ier, le monachisme prend une grande importance en Orient. Refuge moral, son pouvoir d’attraction est tel qu’il dĂ©tourne de l’impĂŽt et des fonctions publiques une partie des forces de l’Empire, et devient un vĂ©ritable contre-pouvoir qui se manifestera lors de la crise de l’iconoclasme. En Occident, le monachisme recevra une impulsion dĂ©cisive sous la dynastie carolingienne. Dans toutes les contrĂ©es anciennement romaines, les monastĂšres joueront un rĂŽle prĂ©cieux de conservateurs de la culture antique, tant sur le plan intellectuel (dans les scriptoriae, les novices et les moines recopient et Ă©tudient les documents plus anciens) que pratique (les moines perpĂ©tuent les pratiques agricoles et architecturales de l’Empire)[50].

Mentalités et pratiques religieuses

Croix copte gravĂ©e sur un mur du temple de Philae prĂšs d’Assouan (Égypte).

C’est pendant l’AntiquitĂ© tardive qu’est fixĂ©e l’organisation du calendrier chrĂ©tien. Constantin choisit de fĂȘter la naissance du Christ, NoĂ«l, le 25 dĂ©cembre, jour de la cĂ©lĂ©bration du dieu Sol Invictus, le Soleil Invaincu[51]. On peut y voir lĂ  une tentative de syncrĂ©tisme religieux. PĂąques reste une fĂȘte mobile Ă  l’instar de Pessah. Sa date de cĂ©lĂ©bration est diffĂ©rente d’une communautĂ© chrĂ©tienne Ă  l’autre. Pendant le jeĂ»ne de CarĂȘme qui la prĂ©cĂšde, les catĂ©chumĂšnes, des adultes, se prĂ©parent au baptĂȘme cĂ©lĂ©brĂ© durant la nuit de PĂąques. Constantin interdit aussi un grand nombre d’activitĂ©s le dimanche, jour consacrĂ© au culte chrĂ©tien. Le calendrier chrĂ©tien[52] avec ses fĂȘtes chrĂ©tiennes, le dĂ©coupage du temps en semaine supplante dĂ©finitivement le calendrier romain Ă  la fin du Ve siĂšcle[53]. Par contre, pendant toute l’AntiquitĂ© tardive, le dĂ©compte des annĂ©es se fait Ă  partir d’un critĂšre antique : la fondation de Rome (), les premiers Jeux olympiques () ou mĂȘme l’ùre de DioclĂ©tien. Au VIe siĂšcle, Denys le Petit Ă©labore un dĂ©compte chrĂ©tien Ă  partir de l’annĂ©e de naissance du Christ. Ce nouveau comput n’entre en action qu’au VIIIe siĂšcle.

Sur le plan des mentalitĂ©s, le christianisme introduit un grand changement dans la vision du monde divin. Les Romains avaient toujours acceptĂ© sans grande rĂ©sistance les divinitĂ©s non romaines. Le christianisme, religion monothĂ©iste, s’affirme comme Ă©tant la seule vraie foi qui professe le seul vrai Dieu. Les autres divinitĂ©s et religions sont ramenĂ©es au rang d’idoles ou d’erreurs. Cette position a comme corollaire la montĂ©e de l’intolĂ©rance religieuse chrĂ©tienne au IVe siĂšcle, qui serait due aux discours apocalyptiques de certaines communautĂ©s chrĂ©tiennes et Ă  leurs attentes eschatologiques, ainsi qu’au pouvoir politique impĂ©rial[54]. L’Église multiplie les adjectifs pour se dĂ©finir : katholicos, c’est-Ă -dire universelle, orthodoxos, c’est-Ă -dire professant la seule vraie foi[55]. De ce fait, l’Église chrĂ©tienne est amenĂ©e Ă  combattre non seulement les paĂŻens, mais aussi les chrĂ©tiens professant une foi contraire aux affirmations des conciles, qui sont, Ă  partir du Ve siĂšcle, qualifiĂ©s d’« hĂ©rĂ©tiques Â».

Les historiens se posent la question des changements moraux induits par le christianisme. La morale chrĂ©tienne de l’AntiquitĂ© tardive se concentre avant tout sur la sexualitĂ© et la charitĂ©, et ne remet pas en cause la hiĂ©rarchie familiale en place, insistant au contraire sur le nĂ©cessaire respect de l’autoritĂ© du pater familias[56]. Le discours religieux est donc en gĂ©nĂ©ral conservateur. GrĂ©goire de Nysse est le seul auteur chrĂ©tien Ă  avoir condamnĂ© l’esclavage, non en raison des souffrances infligĂ©es aux esclaves, perçues comme un inĂ©luctable effet du « pĂ©chĂ© originel Â», mais pour le salut des Ăąmes de leurs propriĂ©taires, coupables du « pĂ©chĂ© d’orgueil Â» qui lui, n’est pas inĂ©luctable. Augustin d'Hippone pour sa part, dĂ©nonce la torture en raison de son inefficacitĂ© et de son inhumanitĂ©.

Débats théologiques

Anastasis
représentation symbolique de la Résurrection du Christ. Panneau d'un sarcophage romain, v. 350, Musées du Vatican.

Les premiers siĂšcles du christianisme sont ceux pendant lesquels s’élabore la partie de la doctrine chrĂ©tienne qui est encore commune, au XXIe siĂšcle, aux Églises d’Occident et d’Orient. Cette Ă©laboration ne va pas sans divisions et conflits, de sorte qu’on peut parler de « christianismes » dans l’Empire romain et dans ses Ă©tats-successeurs. Outre les conflits de primautĂ©, les querelles dogmatiques sont nombreuses. Le donatisme africain, l’arianisme, le priscillianisme, le pĂ©lagianisme, le nestorianisme, le monophysisme sont autant de doctrines possibles, finalement condamnĂ©es comme « hĂ©rĂ©sies » par les premiers conciles ƓcumĂ©niques. Mais parfois de justesse : contre l’arianisme, deux conciles sont rĂ©unis. En 325 Ă  l’issue du premier concile de NicĂ©e, le Symbole de NicĂ©e, que les latins appellent credo est rĂ©digĂ©[57]. C’est l’invention solennelle de l’orthodoxie[58]. Plus tard, en 451, le concile de Constantinople dĂ©finit Dieu comme un ĂȘtre unique, en trois personnes Ă©ternelles : le PĂšre, le Fils et le Saint Esprit : c’est le dogme de la « TrinitĂ© ». JĂ©sus-Christ est dĂ©fini comme : « fils unique de Dieu, engendrĂ© du PĂšre, lumiĂšre de lumiĂšre, vrai Dieu de vrai Dieu, engendrĂ©, non crĂ©Ă©, de la mĂȘme substance (homoousios) que le PĂšre[59] » Les ariens pensent, eux, que le PĂšre est antĂ©rieur au Fils et au Saint Esprit et qu’il est donc leur crĂ©ateur[60]. L’arianisme a de nombreux partisans en Orient comme en Occident. Les missionnaires ariens convertissent les Goths et les Vandales, tandis les peuples romanisĂ©s et les grecs sont majoritairement nicĂ©ens. Clovis, roi des Francs, est, Ă  la fin du Ve siĂšcle, le premier roi barbare Ă  embrasser l’orthodoxie nicĂ©enne et Ă  bĂ©nĂ©ficier ainsi du soutien de l’Église romaine.

Au Ve siĂšcle les disputes thĂ©ologiques portent sur la nature du Christ, humaine et/ou divine. Le nestorianisme, dĂ©fendu par le patriarche de Constantinople Nestorius, privilĂ©gie la nature humaine du Christ. Il est condamnĂ© par le concile d’ÉphĂšse de 431 rĂ©uni Ă  l’instigation du patriarche d’Alexandrie Cyrille. À Antioche, on insiste sur le fait que JĂ©sus est certes Dieu parfait mais aussi homme parfait. Il est rappelĂ© que son incarnation, qui maintient la dualitĂ© des natures, est la condition du salut du genre humain et que c’est parce que le Verbe de Dieu (le Christ) s’est fait homme, que l’on peut dire que Marie est mĂšre de Dieu[61]. Les monophysites, suivant les idĂ©es du moine EutychĂšs, nient la nature humaine du Christ. EutychĂšs prĂȘche que dans l’union en JĂ©sus-Christ, la nature divine absorbe en quelque sorte la nature humaine[61]. Dioscore d’Alexandrie neveu et successeur de Cyrille le soutient. Les monophysites sont condamnĂ©s par le concile de ChalcĂ©doine de 451 rĂ©uni Ă  l’initiative du pape LĂ©on le Grand. Celui-ci reprend la thĂšse dĂ©fendue par le concile de NicĂ©e d’une double nature du Christ, Ă  la fois tout Ă  fait homme et tout Ă  fait Dieu. Dans le canon du concile, le Christ est reconnu « en deux natures sans confusion, sans mutation, sans division et sans sĂ©paration, la diffĂ©rence des natures n’étant nullement supprimĂ©e Ă  cause de l’union »[62]. Le pape retrouve la premiĂšre place dans le dĂ©bat religieux. Mais le monophysisme est trĂšs bien implantĂ© en Égypte, en Syrie et dans une partie de l’Asie Mineure. Il rĂ©siste pendant deux siĂšcles en se repliant sur les langues locales, le copte en Égypte et le Syriaque en Syrie. Justinien Ă©choue lui aussi Ă  mettre fin aux divisions religieuses de l’Orient malgrĂ© la rĂ©union du concile des « trois chapitres ». Le rĂŽle des hĂ©rĂ©sies, n’est pas Ă  minorer. Les querelles religieuses se poursuivent en Orient jusqu’au VIIe siĂšcle. Le monophysisme des Égyptiens suscite une prise de conscience nationale. La conquĂȘte musulmane est acceptĂ©e favorablement tant le pays dĂ©testait l’emprise impĂ©riale, qui superposait un patriarche et des Ă©vĂȘques byzantins Ă  la hiĂ©rarchie copte[63].

Paganisme, superstition et syncrétisme dans un Empire chrétien

Buste de SĂ©rapis. Marbre, copie romaine d’un original grec du IVe siĂšcle av. J.-C. qui se trouvait dans le SĂ©rapĂ©ion d’Alexandrie, musĂ©e Pio-Clementino.

Pendant tout le IVe siĂšcle, les cultes polythĂ©istes traditionnels continuent Ă  ĂȘtre pratiquĂ©s, de mĂȘme que les cultes Ă  mystĂšre d’origine orientale comme ceux de Mithra, de CybĂšle, d’Isis et de SĂ©rapis malgrĂ© des restrictions progressives. Les textes chrĂ©tiens qui les dĂ©noncent violemment, les dĂ©dicaces, les ex-voto, les attestations de travaux dans les temples en sont autant de tĂ©moignages[7]. ChenoutĂ©, mort vers 466 et abbĂ© du monastĂšre Blanc en Haute-Égypte, rapporte dans ses Ɠuvres sa lutte contre les paĂŻens, qu’il appelle « les Grecs »[64]. L’historien paĂŻen Zosime nous apprend lui aussi que la nouvelle religion n’était pas encore rĂ©pandue dans tout l’Empire romain, le paganisme s’étant maintenu assez longtemps dans les villages aprĂšs son extinction dans les villes.

Constantin n’intervient guĂšre que pour interdire les rites qui relĂšvent de la superstitio, c'est-Ă -dire des rites religieux privĂ©s, comme les sacrifices nocturnes, les rites d’haruspice privĂ©s et autres pratiques identifiĂ©es Ă  la sorcellerie et la magie. Il manifeste en gĂ©nĂ©ral la plus grande tolĂ©rance vis-Ă -vis de toutes les formes de paganisme[7]. En 356, Constance II interdit tous les sacrifices, de nuit comme de jour, fait fermer des temples isolĂ©s et menace de la peine de mort tous ceux qui pratiquent la magie et la divination[65]. L’empereur Julien, acquis au paganisme, promulgue en 361 un Ă©dit de tolĂ©rance permettant de pratiquer le culte de son choix. Il exige que les chrĂ©tiens qui s’étaient emparĂ©s des trĂ©sors des cultes paĂŻens les restituent. Ses successeurs sont tous chrĂ©tiens. En 379, Gratien abandonne la charge de Grand Pontife. À partir de 382, Ă  l’instigation d’Ambroise, Ă©vĂȘque de Milan, l’autel de la Victoire, son symbole au SĂ©nat, est arrachĂ© de la Curie, tandis que les Vestales et tous les sacerdoces perdent leurs immunitĂ©s. Le 24 fĂ©vrier 391, une loi de ThĂ©odose interdit Ă  toute personne d’entrer dans un temple, d’adorer les statues des dieux et de cĂ©lĂ©brer des sacrifices, « sous peine de mort »[66]. En 392, ThĂ©odose interdit les Jeux olympiques liĂ©s Ă  Zeus et Ă  HĂ©ra, mais aussi Ă  cause de la nuditĂ© du corps des compĂ©titeurs, car le culte du corps et la nuditĂ© sont dĂ©nigrĂ©s par le christianisme.

Peu Ă  peu, les temples abandonnĂ©s tombent en ruines et servent de carriĂšres de pierres. En 435, un dĂ©cret renouvelant l’interdiction des sacrifices dans les temples paĂŻens ajoute : « si l’un de ceux-ci subsiste encore »[65]. Le renouvellement du dĂ©cret prouve que les sacrifices n’ont certainement pas disparu. Ramsay MacMullen pense que les paĂŻens restent malgrĂ© tout trĂšs nombreux[67]. En Égypte, en Anatolie, les paysans s’accrochent Ă  leurs anciennes croyances. Certaines communautĂ©s chrĂ©tiennes font parfois preuve de fanatisme destructeur vis-Ă -vis du paganisme. Elles sont dĂ©savouĂ©es par les grands esprits de leur Ă©poque, comme saint Augustin[68]. L’exemple le plus frappant est celui de la philosophe nĂ©oplatonicienne Hypatie, mise en piĂšces dans une Ă©glise, puis brĂ»lĂ©e par une foule de fanatiques menĂ©e par le patriarche Cyrille, en 415, Ă  Alexandrie. Des temples sont dĂ©truits comme le SĂ©rapĂ©um d'Alexandrie dĂšs 391, le temple de Caelestis, la grande dĂ©esse carthaginoise hĂ©ritiĂšre de Tanit en 399. Pourtant l’État ne fait pas Ɠuvre de destruction systĂ©matique des temples paĂŻens et de leurs objets d’art.

En revanche, des dĂ©crets officiels tĂ©moignent de la volontĂ© de l’État de conserver ce patrimoine artistique[68]. Plusieurs Ă©dits du rĂšgne de Justinien enlĂšvent aux paĂŻens le droit d’exercer des fonctions civiles ou militaires[69] et d’enseigner, ce qui a comme consĂ©quence la fermeture de l’école philosophique d’AthĂšnes. Un Ă©dit de 529 aggrave encore leur situation en leur imposant la conversion au christianisme[70].

Par ailleurs, le christianisme lui-mĂȘme se trouve imprĂ©gnĂ© des anciens rites paĂŻens. Certaines fĂȘtes traditionnelles romaines sont toujours fĂȘtĂ©es Ă  la fin du Ve siĂšcle, comme la fĂȘte de Lupercales consacrĂ©e Ă  la fĂ©conditĂ© et aux amoureux. Pour l’éradiquer, le pape GĂ©lase Ier dĂ©cide en 495 de cĂ©lĂ©brer la fĂȘte de Saint Valentin, le 14 fĂ©vrier, un jour avant la fĂȘte des Lupercales pour cĂ©lĂ©brer les amoureux. Il s’agit donc bien d’une tentative de christianisation d’un rite paĂŻen. Les Africains continuent de cĂ©lĂ©brer des banquets aux jours anniversaires des morts directement sur les tombes. Au VIe siĂšcle, CĂ©saire d’Arles dĂ©nonce dans ses sermons Ă  ses fidĂšles les pratiques paĂŻennes qui subsistent dans le peuple. Le port d’amulettes, les cultes aux arbres et aux sources n’ont pas disparu de la Gaule mĂ©ridionale. Les plaintes des clercs sont nombreuses jusqu’à la fin de l’AntiquitĂ© tardive. En Orient, les attendus du concile in Trullo (Constantinople, 691-692, non reconnu par l’Église de Rome) flĂ©trissent des coutumes qui subsistent : cĂ©lĂ©brations d’anciennes fĂȘtes paĂŻennes, chants en l’honneur de Dionysos lors des vendanges, bĂ»chers allumĂ©s Ă  la nouvelle lune
[71].

Pour les populations christianisĂ©es, l’efficacitĂ© limitĂ©e de la mĂ©decine antique, surtout galinique, favorisait les croyances dans les miracles produits par les saints[72]. Les pĂšlerinages se multiplient dans tout l’Empire romain. Au VIe siĂšcle, le tombeau de Martin de Tours draine des foules considĂ©rables[72]. Cette foi en une guĂ©rison miraculeuse favorise l'adhĂ©sion des campagnes au christianisme. Les Ă©vĂȘques y voient un moyen d’assurer le rayonnement de leur diocĂšse. Les guĂ©risons miraculeuses sont utilisĂ©es comme un argument pour convaincre les foules de la vĂ©racitĂ© de la foi nicĂ©enne. Les miracles censĂ©s avoir Ă©tĂ© accomplis par les saints aprĂšs leur mort sont donc soigneusement rĂ©pertoriĂ©s et diffusĂ©s comme un instrument de propagande. Autour du culte des saints, toute une sĂ©rie de croyances proches des superstitions anciennes se dĂ©veloppe. Les gens cherchent Ă  se faire enterrer prĂšs des saints car ils pensent que leur saintetĂ© se diffuse Ă  travers la terre sous laquelle ils reposent[73]. Le culte des saints donne naissance aux pĂšlerinages porteurs de prospĂ©ritĂ© pour les villes d’accueil.

Notes et références

  1. Pour le problĂšme des sources voir Yves ModĂ©ran, La conversion de Constantin et la christianisation de l’Empire romain, confĂ©rence pour la RĂ©gionale de l’APHG en juin 2001..
  2. Christol et Nony, p. 233. Aline Rousselle dit que « les chrĂ©tiens Ă©taient une puissante minoritĂ© prĂ©sente dans des lieux et positions clĂ©s (en 312). » in Nouvelle histoire de l’AntiquitĂ©, tome 9, Seuil, 1999.
  3. C’est entre autres le point de vue que le cardinal DaniĂ©lou dĂ©veloppe dans la Nouvelle histoire de l’Église parue au Seuil en 1963. Il Ă©crit : « Au dĂ©but du IVe siĂšcle, les forces vives de l’Empire Ă©taient en grande partie chrĂ©tiennes
 En dĂ©gageant l’Empire de ses liens avec le paganisme, Constantin ne sera pas un rĂ©volutionnaire. Il ne fera que reconnaĂźtre en droit une situation dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©e dans les faits ».
  4. Entre autres par Alan Cameron et Robin Lane Fox aux États-Unis, et Pierre Chuvin et Claude Lepelley en France.
  5. Robin Lane Fox, PaĂŻens et chrĂ©tiens : La religion et la vie religieuse dans l’Empire romain de la mort de Commode au Concile de NicĂ©e, Presses Universitaires du Mirail, 1997.
  6. Roger S. Bagnall, Egypt in Late Antiquity, Princeton, Princeton University Press, 1993.
  7. Yves ModĂ©ran, « La conversion de Constantin et la christianisation de l’Empire romain », Association des professeurs d’histoire et de gĂ©ographie Caen.
  8. Lançon (1997), p. 60.
  9. Guy Stroumsa, La Fin du sacrifice. Les mutations religieuses de l’AntiquitĂ© tardive, Odile Jacob, 2005, p. 182.
  10. Lire le compte rendu de Bruno Delorme sur l’ouvrage de G. Stroumsa en pages 3 et 4 dans .
  11. A. Momigliano, The Disadvantages of monotheism for an universal state, Classical Philology, t. 81, 1986, p. 285-297.
  12. Balard, GenĂȘt, Rouche.
  13. voir par exemple Claire Sotinel, Rome, la fin d'un Empire : De Caracalla à Théodoric, 212-fin du Ve siÚcle, Belin, coll. « Mondes anciens », (ISBN 978-2-7011-6497-7), p. 130-141
  14. (en) Timothy David Barnes, Early Christian Hagiography and Roman History, Mohr Siebeck, (ISBN 978-3-16-150226-2), chap. III (« The 'Great Persecution' (303-313) »), p. 97
  15. Claire Sotinel, Rome, la fin d'un Empire : De Caracalla à Théodoric, 212-fin du Ve siÚcle, Belin, coll. « Mondes anciens », (ISBN 978-2-7011-6497-7), p. 140-141
  16. Maurice Sachot, Quand le christianisme a changé le monde:, vol. I : La subversion chrétienne du monde antique, Odile Jacob, (ISBN 978-2-7381-9209-7), p. 332
  17. Petit, Histoire gĂ©nĂ©rale de l’Empire romain, Seuil, 1974, p. 575-579 et 582.
  18. Lactance, De la mort des persécuteurs, XXXIII, 1.
  19. Robert Turcan, Constantin en son temps, Édition Faton, 2006, (ISBN 2-87844-085-4), p. 138.
  20. Par exemple sainte Catherine, saint Georges ou encore la légion thébaine.
  21. (grk) Zosime, Vaticanus Graecus 156
  22. ThĂšse avancĂ©e par AndrĂ© Piganiol dans son livre, L’Empereur Constantin publiĂ© aux Ă©ditions Rieder en 1932.
  23. Gilbert Dagron, Empereur et prĂȘtre, Ă©tude sur le cĂ©saropapisme byzantin, Gallimard, 1996.
  24. EusÚbe de Césarée, Vie de Constantin, III, 6-7.
  25. Christianisme et stoĂŻcisme, X-Passion, 2001 dans.
  26. Paul Petit et Yann Le Bohec, « L’AntiquitĂ© tardive », EncyclopĂŠdia universalis, DVD 2007.
  27. Selon le dogme catholique suivi par des historiens comme Michel Le Quien dans Oriens Christianus ou Charles George Herbermann dans l’EncyclopĂ©die catholique, l’apĂŽtre Pierre est le premier Pape et l’Église catholique romaine est l’Église primitive : toutes les autres confessions chrĂ©tiennes sont des dĂ©viations et le mot « catholique » dĂ©signe l’ensemble de l’église du premier millĂ©naire et du symbole de NicĂ©e)
  28. Ambroise, Lettres, 10, 9-10.
  29. L’empereur d’Orient promulgue des lois qui interdisent les doctrines s’opposant Ă  la foi de NicĂ©e : Code ThĂ©odose, 16, 1, 2 et 16, 5, 4.
  30. Code Théodose, 16, 5, 5.
  31. Code Théodose, 16, 1, 4.
  32. Histoire du droit, 1re année de DEUG, Université Paris X - Nanterre dans .
  33. Code Théodose, XVI, V, 7 et XVI, VII, 2.
  34. Esther Benbassa, article antisémitisme, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007.
  35. Maurice Sartre, « Des rites abominables et des mƓurs effrĂ©nĂ©es », L’Histoire, no 269 (octobre 2002), p. 32-35.
  36. Giovani Miccoli, « Ils ont tuĂ© le Christ
 », L’Histoire no 269 (octobre 2002), p. 36.
  37. Christol et Nony, p. 236.
  38. Lançon (1997), p. 62.
  39. Anne Boud’hors dans .
  40. Alain Ducellier, Michel Kaplan, Bernadette Martin et Françoise Micheau, Le Moyen Âge en Orient, Paris, 2014
  41. Éric Limousin, Le Monde byzantin du milieu du VIIIe siĂšcle Ă  1204 : Ă©conomie et sociĂ©tĂ©, ed. BrĂ©al 2007 (ISBN 9782749506326)
  42. Les royaumes barbares : culture et religion, dans .
  43. L’historiographie catholique, se rĂ©fĂ©rant au statut de Primus inter pares des Ă©vĂȘques de Rome, ne reconnaĂźt pas la « Pentarchie Â».
  44. Le titre de « pape » apparaßt dans des documents à partir du premier concile de Nicée en 325.
  45. Lançon (1997), p. 84.
  46. Walter Bauer, Orthodoxy and Heresy in Earliest Christianity, éd. Sigler Press, 1996 (ISBN 978-0-9623642-7-3) (rééd.); Traduction originale en anglais (1934) en ligne
  47. Adolf von Harnack (trad. EugÚne Choisy, postface Kurt Kowak), Histoire des dogmes, Paris, Cerf, coll. « Patrimoines. Christianisme », , 2e éd., 495 p. (ISBN 978-2-204-04956-6, OCLC 409065439, BNF 35616019)
  48. Peter Garnsey et Caroline Humfress, L’Évolution du monde de l’AntiquitĂ© tardive, chapitre 4, La DĂ©couverte, 2005.
  49. La lĂ©gende raconte qu’Antoine s’est retirĂ© dans le dĂ©sert Ă©gyptien comme ermite pendant la persĂ©cution de Maximien en 312. Sa renommĂ©e attire auprĂšs de lui un grand nombre de disciples imitant son ascĂ©tisme afin d’approcher la saintetĂ© de leur maĂźtre. Plus il se replie dans une rĂ©gion reculĂ©e et sauvage, et plus des disciples accourent. Ils construisent leurs huttes autour de celle de leur pĂšre spirituel rompant ainsi son isolement. C’est ainsi que serait nĂ©e la premiĂšre communautĂ© monastique, composĂ©e d’anachorĂštes vivant chacun dans leur propre maison.
  50. Pierre Alexandre, Le climat en Europe au Moyen Âge : contribution Ă  l'histoire des variations climatiques de 1000 Ă  1425, d'aprĂšs les sources narratives de l'Europe occidentale commentĂ© par NicolaĂŻ Henri, in : Revue belge de philologie et d'histoire, Vol.68, n° 68-2, 1990, pp. 476-479.
  51. Lançon (1997), p. 67.
  52. On ignore Ă  partir de quand les chrĂ©tiens prennent l’habitude de fixer le calendrier de leurs fĂȘtes. Le chronographe de 354, communĂ©ment appelĂ© « calendrier de 354 », juxtapose la liste des saints Ă  cĂ©lĂ©brer, PĂąques, la NativitĂ©, la Natalice de Saint Pierre aux fĂȘtes romaines traditionnelles. Voir .
  53. Lançon (1997), p. 69.
  54. G. Stroumsa, op. cit., p. 167.
  55. Peut-ĂȘtre s’agit-il aussi d’un legs de la philosophie platonicienne et de la volontĂ© du penseur grec d’imposer en politique la VĂ©ritĂ© philosophique comme norme absolue, idĂ©e reprise par le christianisme et sa thĂ©ologie.
  56. Garnsey et Humfress, op. cit., chapitre 5.
  57. Aujourd’hui, ce credo, n'est toujours pas partagĂ© par les nombreuses confessions chrĂ©tiennes. Cf. Églises des deux conciles, Églises des trois conciles, libre examen. La seule priĂšre partagĂ©e par tous les chrĂ©tiens est le Notre PĂšre.
  58. Alain Dierkens, dans son introduction au recueil d'articles "Sectes" et "hĂ©rĂ©sies", de l’AntiquitĂ© Ă  nos jours (Dierkens Alain, Morelli Anne, Bruxelles, Éditions de l'UniversitĂ© de Bruxelles, 2002,) dit de l’Église « catholique et orthodoxe » du premier millĂ©naire qu’elle est « une secte qui s'est payĂ© une armĂ©e ».
  59. Symbole de NicĂ©e de 325 : le concile de Constantinople de 381 ajoute que le Christ a Ă©tĂ© « engendrĂ© du PĂšre avant tous les siĂšcles, ceci pour montrer qu’il est incrĂ©Ă© ».
  60. Lançon (1997), p. 82.
  61. Jacques-Noël PérÚs dans Historia, disponible sur.
  62. Dictionnaire universel et complet des conciles du chanoine Adolphe-Charles Peltier, publiĂ© dans L’EncyclopĂ©die thĂ©ologique de l’abbĂ© Jacques-Paul Migne (1847), tomes 13 et 14.
  63. La religion copte dans .
  64. Le Monde de la Bible, entretien avec Anne Boud’hors dans .
  65. André Chastagnol, Le Bas-Empire, Armand Colin, 1999.
  66. Pierre Chuvin, Chronique des derniers paĂŻens, Les Belles Lettres, 1994.
  67. Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siĂšcle, les Belles Lettres.
  68. Henri Lavagne, « La tolĂ©rance de l’Église et de l’État Ă  l’égard des Ɠuvres d’art du paganisme dans l’AntiquitĂ© tardive », Études littĂ©raires, 2000.
  69. Code Justinien 1, 5, 12 : « Il est juste de priver de biens terrestres ceux qui n’adorent pas le vrai Dieu. ».
  70. « S’ils dĂ©sobĂ©issent, qu’ils sachent qu’ils seront exclus de l’État et qu’il ne leur sera plus permis de rien possĂ©der, bien meuble ou immeuble ; dĂ©pouillĂ©s de tout, ils seront laissĂ©s dans l’indigence, sans prĂ©judice des chĂątiments appropriĂ©s dont on les frappera. » Code Justinien 1, 11, 10.
  71. Georges Ostrogorsky, Op. cit., p. 167.
  72. Lançon (1997), p. 77.
  73. Lançon (1997), p. 112.

Voir aussi

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