AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Afonso Arinos de Melo Franco (Ă©crivain)

Afonso Arinos de Melo Franco (Paracatu, Minas Gerais, 1868 — Barcelone, 1916) Ă©tait un juriste, professeur d’universitĂ©, Ă©crivain, essayiste et journaliste brĂ©silien.

Afonso Arinos
de Melo Franco
Naissance
Paracatu, Minas Gerais, Drapeau du Brésil Brésil
DĂ©cĂšs
Barcelone, Drapeau de l'Espagne Espagne
Activité principale
Distinctions
Ă©lu Ă  l’AcadĂ©mie brĂ©silienne des lettres (1903)
Auteur
Langue d’écriture portugais
Mouvement régionalisme, sertanisme
Genres
récit, roman, article de presse, essai

ƒuvres principales

  • Pelo sertĂŁo (nouvelles, 1898)
  • Os Jagunços (roman, 1898)

Issu d’une famille patricienne mineira, ayant dans ses jeunes annĂ©es longuement parcouru les sertĂ”es[1] de sa province natale, il suivit une formation de juriste, tint un cabinet d’avocat, puis enseigna le droit. Cependant, il s’intĂ©ressa de bonne heure Ă  la littĂ©rature, et composa, dĂšs ses annĂ©es d’étudiant, une sĂ©rie de rĂ©cits, rassemblĂ©s ensuite dans le recueil Pelo sertĂŁo. Dans son Ɠuvre, qui est considĂ©rĂ©e comme un reprĂ©sentant typique du rĂ©gionalisme littĂ©raire brĂ©silien de la fin du XIXe siĂšcle, il glorifia le sertĂŁo comme socle de la nationalitĂ© brĂ©silienne, et le sertanejo, en particulier le tropeiro ou vaqueiro (gardien de bĂ©tail), comme parangon de l’homme brĂ©silien, vigoureux, rĂ©silient et demeurĂ© fidĂšle Ă  ses racines[2]. Afonso Arinos s’inscrit ainsi dans une lignĂ©e d’écrivains qui prirent Ă  tĂąche de mettre en scĂšne et de valoriser la culture du sertĂŁo, en soulignant l’authenticitĂ© de celle-ci par opposition aux influences Ă©trangĂšres qui tendaient Ă  prĂ©dominer dans les principales villes de l’époque, au premier rang desquelles la capitale Rio de Janeiro[3].

De conviction monarchiste, dirigeant pendant quelque temps le journal monarchiste O CommĂ©rcio de SĂŁo Paulo, il s’opposa par ses articles Ă  la jeune rĂ©publique brĂ©silienne proclamĂ©e en 1889 et prit, par ses articles de presse et aussi par son roman Os Jagunços, la dĂ©fense des rebelles conselheiristes pendant et aprĂšs la sanglante guerre de Canudos qui les opposa Ă  l’armĂ©e rĂ©publicaine. Redoutant une dĂ©sintĂ©gration du pays par suite de l’instauration du nouveau modĂšle rĂ©publicain fĂ©dĂ©raliste, lequel selon lui tendait Ă  exacerber les disparitĂ©s rĂ©gionales, il prĂ©conisait au contraire — dans ses essais, ses articles et ses confĂ©rences, pour la plupart publiĂ©s aprĂšs sa mort — un projet unificateur et fondateur de la nation, dans lequel le sertanejo, au lieu d’ĂȘtre exterminĂ© comme Ă  Canudos, serait intĂ©grĂ© et aurait, dans le projet national qu’il avait en vue, un rĂŽle inspirateur fondamental Ă  jouer. Canudos aura du moins servi Ă  ceci qu’il permit de mettre le BrĂ©sil en contact avec ces BrĂ©siliens authentiques, jusque-lĂ  dĂ©daignĂ©s par les Ă©lites du littoral.

Biographie

Fils de VirgĂ­lio de Melo Franco et d’Ana Leopoldina de Melo Franco, frĂšre du futur diplomate et homme politique AfrĂąnio de Melo Franco, Afonso Arinos de Melo Franco Ă©tait issu d’une famille traditionnelle mineira aux ascendances bandeirantes. Ces derniers du reste ne cesseront de fasciner l’auteur ; ainsi, dans une lettre qu’il adressa Ă  Augusto Lima Ă  l’occasion de l’entrĂ©e de celui-ci Ă  l’AcadĂ©mie brĂ©silienne des lettres en 1903, affirma-t-il Ă©tudier beaucoup les bandeiras, principalement celle de FernĂŁo Dias[4]. Il eut par ailleurs parmi ses ascendants le mĂ©decin naturaliste et poĂšte satirique Francisco de Melo Franco (1757-1823), auteur du poĂšme hĂ©roĂŻco-comique O Reino da estupidez (qui circula sous le manteau vers 1785 et oĂč il railla les mĂ©thodes d’enseignement pratiquĂ©es Ă  l’universitĂ© de Coimbra), du premier livre de puĂ©riculture jamais rĂ©digĂ© au BrĂ©sil, et de plusieurs ouvrages scientifiques sur des sujets mĂ©dicaux ; la vie libertine de cette personnalitĂ© des LumiĂšres portugaises et son attitude polĂ©mique lui valurent, sous l’accusation d’hĂ©rĂ©sie et de violation du sacrement du mariage, une condamnation Ă  quatre annĂ©es d’emprisonnement par le tribunal de l’Inquisition[5]. Dans la sphĂšre politique, la famille de l’auteur eut part Ă  la RĂ©volution libĂ©rale de 1842, par l’intermĂ©diaire en particulier d’un autre mĂ©decin, Manuel de Melo Franco, dĂ©putĂ© du parti libĂ©ral Ă  l’assemblĂ©e provinciale d’Ouro Preto, qui s’engagea directement auprĂšs des insurgĂ©s et fut fait prisonnier en mĂȘme temps que les autres meneurs du mouvement. Afonso Arinos, sans aucun doute instruit de tous ces Ă©pisodes et de ces souvenirs familiaux, en fera la matiĂšre de quelques-uns de ses rĂ©cits, notamment de Joaquim Mironga[6].

Il fit ses premiĂšres Ă©tudes dans la petite ville de GoiĂĄs, dans l’État fĂ©dĂ©rĂ© homonyme, vers laquelle son pĂšre, qui Ă©tait magistrat et deviendra par la suite dĂ©putĂ© national pour sa province, avait Ă©tĂ© mutĂ©. Pendant son enfance et son adolescence, sĂ©journant, au grĂ© des mutations de son pĂšre, dans plusieurs villes de l’intĂ©rieur de Minas Gerais et de GoiĂĄs, il effectua de frĂ©quentes incursions dans les campagnes environnantes, habitude qui jouera un rĂŽle important dans sa subsĂ©quente identification avec le sertĂŁo et ses populations particuliĂšres[7].

Il suivit un enseignement secondaire Ă  SĂŁo JoĂŁo del-Rei et Ă  Rio de Janeiro. En 1885, il entreprit Ă  SĂŁo Paulo des Ă©tudes de droit, mais manifestera dans le mĂȘme temps, dĂšs ses annĂ©es d’étudiant, un intĂ©rĂȘt croissant pour les Ă©tudes littĂ©raires et se mit Ă  composer quelques rĂ©cits. Au moment oĂč beaucoup de ses condisciples se sentaient attirĂ©s par l’idĂ©al rĂ©publicain, Melo Franco adopta le point de vue monarchiste contraire, qu’il maintiendra ensuite tout sa vie[8].

Son diplĂŽme de droit obtenu en 1889, il se transporta avec sa famille Ă  Ouro Preto, alors encore capitale de l’État de Minas Gerais, oĂč il monta un cabinet d’avocat[9], puis rĂ©ussit Ă  ĂȘtre nommĂ© Ă  un poste, alors vacant, de professeur d’histoire au Liceu Mineiro. Plus tard, il fut l’un des fondateurs de la facultĂ© de droit de l’État de Minas Gerais et y enseigna le droit pĂ©nal.

Lors de la rĂ©volte de l'Armada de 1893-1894, alors que la rĂ©pression menĂ©e par le gouvernement de Floriano Peixoto battait son plein, il offrit dans son logis l’asile Ă  des Ă©crivains qui avaient Ă©tĂ© contraints de fuir Rio de Janeiro. Étant donnĂ© que l’État de Minas Gerais n’était pas soumis Ă  l’état de siĂšge, et que donc de nombreux Ă©crivains vinrent y trouver refuge, le domicile et le bureau de Melo Franco se furent bientĂŽt transformĂ©s en vĂ©ritables centres intellectuels, oĂč venaient se rencontrer notamment Diogo de Vasconcelos, Olavo Bilac, Coelho Neto, GastĂŁo da Cunha, entre autres personnalitĂ©s[9] - [10].

Dans les annĂ©es 1890, Melo Franco publia une sĂ©rie d’articles dans les revues Revista Brasileira et Revista do Brasil. Cependant, ses premiers articles avaient paru dans le journal Estado de Minas, fondĂ© Ă  Ouro Preto en 1889, dont il Ă©tait devenu collaborateur rĂ©gulier. Ensuite, il fut invitĂ© par Eduardo Prado Ă  accepter la fonction de directeur du journal O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo, dont Prado venait de faire l’acquisition. Melo Franco avait fait sa connaissance par l’intermĂ©diaire du frĂšre de celui-ci, Paulo Prado, qui Ă©tait son collĂšgue Ă  la facultĂ© de droit. DĂ©clinant provisoirement cette offre, Melo Franco entreprit en 1896 un premier pĂ©riple en Europe, mais revenu au BrĂ©sil cette mĂȘme annĂ©e 1896, il accepta l’offre qui lui avait Ă©tĂ© faite et Ă©lut domicile Ă  SĂŁo Paulo. O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo, pour lequel il composa son premier Ă©ditorial en , joua un rĂŽle important au tournant du siĂšcle en ceci qu’il maintint un positionnement clair en faveur de la monarchie et donc opposĂ© Ă  la rĂ©publique rĂ©cemment proclamĂ©e, positionnement partagĂ© par Melo Franco dĂšs avant son entrĂ©e audit journal. Nonobstant cette nouvelle fonction, il continua de rĂ©diger des articles pour le compte d’autres pĂ©riodiques, notamment sous le pseudonyme de Gil CĂĄssio ; en particulier, plusieurs de ces articles parurent dans Revista Brasileira, importante revue intellectuelle brĂ©silienne de la fin du XIXe siĂšcle, que dirigeait alors JosĂ© VerĂ­ssimo[9]. Selon son neveu homonyme, la pĂ©riode Ă  SĂŁo Paulo fut la phase la plus agitĂ©e de la vie de l’écrivain, « la seule au cours de laquelle il fit de la politique, dĂ©fendant avec sincĂ©ritĂ© et intrĂ©piditĂ© la cause perdue de la restauration monarchique »[11].

DĂšs la premiĂšre de ses Ɠuvres Ă  diffusion nationale, Pelo SertĂŁo, recueil de nouvelles paru en 1898, Melo Franco explora les divers aspects des rĂ©gions brĂ©siliennes intĂ©rieures, les sertĂ”es, notamment leurs paysages, coutumes et individus. Les tropeiros en particulier, variantes locales du gardien de bĂ©tail, apparaĂźtront fort souvent dans ses Ă©crits et seront reprĂ©sentĂ©s en gĂ©nĂ©ral comme des aventuriers, courageux et impavides. Figure authentiquement nationale et typique des arriĂšre-pays, le tropeiro fut jugĂ© par Melo Franco comme Ă©lĂ©ment essentiel dans l’expansion territoriale du BrĂ©sil, et Ă  qui l’on doit d’avoir prĂ©servĂ©, par son travail modeste et patient, l’« Ɠuvre Ă©pique, mais Ă©phĂ©mĂšre, du bandeirante »[12].

En , il fut nommĂ© membre correspondant de l’Institut historique et gĂ©ographique brĂ©silien. La mĂȘme annĂ©e, il postula avec succĂšs comme membre de l’AcadĂ©mie brĂ©silienne des lettres, oĂč il occupera le fauteuil no 40, succĂ©dant Ă  Eduardo Prado[13]. Il Ă©tait l’oncle du juriste et homme politique Afonso Arinos de Melo Franco.

En 1904, aprĂšs un bref sĂ©jour Ă  Rio de Janeiro, il s’installa Ă  Paris, oĂč il Ă©tablit une maison de commerce. Il revint visiter le BrĂ©sil en 1914, oĂč le surprendra le dĂ©clenchement de la PremiĂšre Guerre mondiale, ce qui le contraignit Ă  rester dans son pays natal jusqu’en 1916, quand il put enfin retourner en Europe. Durant ce voyage, il tomba malade sur le navire qui l’emmenait et dut subir une opĂ©ration chirurgicale Ă  Barcelone, oĂč il mourut en fĂ©vrier de la mĂȘme annĂ©e[14]. La plupart de ses Ɠuvres ne furent publiĂ©es que posthumĂ©ment, entre 1917 et 1921.

Conceptions politiques et littéraires

La question nationale

À la fin de l’époque romantique, alors que le mythe de l’Indien semblait avoir fait son temps, une partie des intellectuels brĂ©siliens — les tenants de la littĂ©rature rĂ©gionaliste — en quĂȘte du vĂ©ritable symbole de leur nation, de l’élĂ©ment reprĂ©sentatif de leur identitĂ© nationale, se tournĂšrent vers l’intĂ©rieur du pays, vers le sertĂŁo et ses habitants, et se mirent Ă  valoriser sa culture et son mode de vie comme ce que le BrĂ©sil possĂ©dait de plus authentique, le socle sur lequel la nation pĂ»t ĂȘtre fondĂ©e. À l’opposĂ© de cette mouvance, il y eut un ensemble d’intellectuels qui au contraire considĂ©raient l’intĂ©rieur du pays comme un lieu culturellement retardĂ©, dans une large mesure responsable du « retard » du BrĂ©sil relativement aux grands centres europĂ©ens, et duquel il n’y avait pas lieu d’escompter un quelconque salut[15].

Le sertanejo, symbole ou flĂ©au de la nation, pratiquerait une culture rustique, rĂ©sultat de la fusion des structures culturelles europĂ©ennes et de celles des Africains et des Indiens, et le sertanejo serait ainsi le produit du mĂ©lange, de la conjonction des Ă©lĂ©ments blanc, noir et indigĂšne. Son organisation sociale avait abouti Ă  la formation de hameaux et de petits bourgs, formĂ©s de l’agglutination de familles plus ou moins nombreuses, rattachĂ©es entre elles par le sentiment du lieu, par l’expĂ©rience commune, par un systĂšme d’entraide et par les activitĂ©s religieuses. La sociĂ©tĂ© sertaneja est d’autre part dĂ©terminĂ©e par les conditions dans lesquelles se dĂ©veloppa la grande propriĂ©tĂ© fonciĂšre au BrĂ©sil, et par la nĂ©cessitĂ© de concilier deux principes rĂ©gulateurs, mais essentiellement opposĂ©s, de l’activitĂ© Ă©conomique : la production directe de moyens de subsistance et la production de marchandises exportables[16].

À cette polarisation de l’élite intellectuelle, Ă©cartelĂ©e entre la valorisation de la culture urbaine d’une part et la mise en avant du sertĂŁo et du sertanejo comme emblĂšmes d’authenticitĂ© d’autre part, correspondait la reprĂ©sentation de deux BrĂ©sils diffĂ©rents : celui du littoral, des grandes villes, et celui de l’arriĂšre-pays, des sertĂ”es. Pour une bonne partie de l’élite intellectuelle et politique de la capitale Rio de Janeiro, le BrĂ©sil souffrait d’un retard de dĂ©veloppement par rapport Ă  l’Europe, et la culture populaire, loin d’ĂȘtre un Ă©lĂ©ment emblĂ©matique de l’identitĂ© nationale, tendait Ă  rabaisser le pays. L’élite urbanisĂ©e n’avait garde de concevoir le sertanejo, avec sa vie rustique et frugale, comme le parangon de la nation brĂ©silienne. Dans la pratique, ce dĂ©dain Ă  l’égard des caractĂšres populaires conduisit, Ă  titre d’exemple, Ă  l’expulsion des citadins pauvres vers la pĂ©riphĂ©rie de la capitale. Dans le mĂȘme sens, les prĂ©jugĂ©s raciaux et le problĂšme du mĂ©tissage ajoutĂšrent Ă  cette dĂ©prĂ©ciation de la culture populaire. Le mĂ©tis du sertĂŁo serait ainsi, pour ĂȘtre le fruit du mĂ©lange des trois races, porteur d’un stigmate d’infĂ©rioritĂ©, lequel expliquerait, aux yeux de quelques intellectuels adeptes du darwinisme social et des thĂ©ories dĂ©terministes du milieu et de la race, son « retard » culturel, sa « faiblesse », son indolence et son manque de civilitĂ©. Selon ce point de vue, le BrĂ©sil ne pourra jamais se hisser au rang de grande nation. À ce courant de pensĂ©e appartenaient des auteurs tels que Nina Rodrigues et Euclides da Cunha, encore que ce dernier ait attĂ©nuĂ© ses positions dans son ouvrage Os SertĂ”es (titre français Hautes Terres)[17]. En revanche, les auteurs de la littĂ©rature rĂ©gionaliste de la fin du XIXe siĂšcle faisaient grand cas de cette culture de l’intĂ©rieur, allant jusqu’à lui confĂ©rer le statut de symbole du BrĂ©sil authentique. Ce « BrĂ©sil brun », loin d’ĂȘtre condamnĂ© Ă  l’échec, avait au contraire un avenir tout ouvert, justement en raison de son originalitĂ©[18].

Groupe de tropeiros, toile de Benedito Calixto.

Le mouvement rĂ©gionaliste de la fin du XIXe siĂšcle apparaĂźt comme une Ă©tape importante dans l’avĂšnement du nationalisme brĂ©silien des premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle. À plus d’un Ă©gard, Melo Franco peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un prĂ©curseur des idĂ©es qui des annĂ©es plus tard allaient orienter le mouvement nationaliste ― lequel culminera, sur le plan culturel, avec la Semaine d'art moderne ―, principalement par sa quĂȘte d’une littĂ©rature authentiquement nationale, s’appuyant principalement sur la valorisation du sertanejo comme pierre d’angle de la nationalitĂ© brĂ©silienne en construction. L’homme de l’intĂ©rieur se trouve investi dĂ©sormais non seulement de la qualitĂ© de constituer un type humain spĂ©cifique, mais aussi de la fonction d’ossature abstraite de l’unitĂ© et de l’authenticitĂ© nationales, jusqu’à personnifier la nation ― permettant Ă  cette derniĂšre entitĂ©, construite thĂ©oriquement, de devenir du coup quelque chose de palpable[19]. Plus spĂ©cialement, seront appelĂ©s Ă  jouer ce rĂŽle chez Melo Franco les tropeiros, les gardiens de bĂ©tail, variante locale mineira du vaqueiro nordestin ou du gaĂșcho des confins mĂ©ridionaux, qui apparaĂźtront trĂšs souvent dans ses Ă©crits, reprĂ©sentĂ©s en gĂ©nĂ©ral comme des aventuriers, vaillants et intrĂ©pides. Dans un texte de , intitulĂ© Tropas e tropeiros, l’auteur dĂ©clara que « c’est assurĂ©ment l’un des plus sympathiques, peut-ĂȘtre le plus intĂ©ressant et le plus caractĂ©ristique parmi les types nationaux [du BrĂ©sil] — le tropeiro »[20]. Figure authentiquement nationale, typique des arriĂšre-pays, le tropeiro fut jugĂ© par Melo Franco comme le facteur essentiel dans l’expansion territoriale du BrĂ©sil, Ă  qui le pays est redevable d’avoir prĂ©servĂ© l’« Ɠuvre Ă©pique, mais Ă©phĂ©mĂšre, du bandeirante »[12].

Une partie de ces intellectuels, principalement monarchistes, dont Franco Melo, redoutaient une possible fragmentation du BrĂ©sil, estimant que la constitution fĂ©dĂ©raliste du nouveau rĂ©gime rĂ©publicain serait incapable de maintenir uni le territoire national et que les disparitĂ©s prĂ©sentes dans un pays d’une telle extension territoriale viendraient Ă  s’exacerber au point de provoquer une dĂ©sagrĂ©gation de l’État. La vision de Franco Melo sur l’unitĂ© nationale fut clairement exposĂ©e dans une confĂ©rence intitulĂ©e A Unidade da PĂĄtria, prononcĂ©e Ă  Belo Horizonte au milieu de la deuxiĂšme dĂ©cennie du XXe siĂšcle[21] au bĂ©nĂ©fice des victimes nordestines de la sĂ©cheresse de 1914-1915, et publiĂ©e posthumĂ©ment. Pour l’auteur, la rĂ©publique, par l’instauration d’un systĂšme fĂ©dĂ©ratif sur le moule nord-amĂ©ricain, sapait des siĂšcles d’efforts pour l’unitĂ© nationale. Selon lui, Ă  la diffĂ©rence des États-Unis, le BrĂ©sil possĂ©dait dĂ©jĂ  un certain degrĂ© d’unitĂ© au moment de la proclamation de la rĂ©publique, mais la « [...] fĂ©dĂ©ration, telle qu’elle fut mise en Ɠuvre, en sĂ©parant violemment les provinces auparavant unies, est la voie vers le dĂ©membrement [...] »[22]. L’auteur ne cessera dĂšs lors d’insister sur la nĂ©cessitĂ© de tendre vers l’unitĂ© nationale[23].

RĂ©gionalisme

Le rĂ©gionalisme littĂ©raire et le sertanisme surgirent du romantisme. L’écrivain et critique littĂ©raire TristĂŁo de AtaĂ­de indiqua que « dissipĂ©e l’illusion des selves, mais ressentant encore la nĂ©cessitĂ© de trouver une originalitĂ© locale, l’on se tourna vers les campagnes, habitĂ©es par cette race croisĂ©e, dĂ©jĂ  nationalisĂ©e et intĂ©grĂ©e dans le corps de la nation : le mĂ©tis sertanejo ».27 L’objectif Ă©tait alors de transcrire, Ă  l’intention des citadins, les coutumes et traditions ainsi que les aspects de la nature du sertĂŁo. Il ne s’agissait pas encore alors tant de mettre en avant le sertĂŁo comme base authentique de la nationalitĂ© brĂ©silienne, comme une culture dans laquelle puiser les Ă©lĂ©ments constitutifs de la nation, que, plutĂŽt, d’informer le public urbain sur les merveilles et les cĂŽtĂ©s surprenants de la nature et des mƓurs du sertĂŁo[24].

Dans la dĂ©cennie 1870, rĂ©visant les concepts littĂ©raires, l’on s’efforça de dĂ©passer la vision romantique[25]. L’apparition du rĂ©alisme et du naturalisme et leur adoption par les milieux littĂ©raires brĂ©siliens, principalemente du Nordeste, entraĂźna une reconfiguration du roman brĂ©silien, aboutissant Ă  la littĂ©rature rĂ©gionaliste[26]. Il n’y a pas lieu toutefois de postuler une dĂ©marcation nette entre rĂ©gionalisme et naturalisme[27].

Un aspect visible de cette transformation sera le langage utilisĂ© dans les Ɠuvres. La tendance Ă  rapprocher la langue Ă©crite du langage tel que parlĂ© par le sertanejo, tendance qui du reste s’était manifestĂ©e dĂšs le romantisme, en particulier dans son Ă©cole sertaniste, et qui fut ensuite portĂ©e Ă  l’extrĂȘme par les auteurs rĂ©gionalistes, jouera un rĂŽle important dans la littĂ©rature rĂ©gionale subsĂ©quente, celle typique de la fin du XIXe siĂšcle et du dĂ©but du XXe siĂšcle. Il s’agit, en insĂ©rant dans le langage littĂ©raire des Ă©lĂ©ments spĂ©cifiques au BrĂ©sil, de rĂ©affirmer le propos de dĂ©fense et mise en valeur d’aspects caractĂ©ristiques du pays, et de produire une littĂ©rature reflĂ©tant la vie sociale brĂ©silienne, principalement les cultures rustiques des arriĂšre-pays[28].

Un autre facteur important dans le dĂ©veloppement de la littĂ©rature rĂ©gionaliste au BrĂ©sil fut la grande sĂ©cheresse qui sĂ©vit dans le Nordeste de 1877 Ă  1879, l’une des pires qu’eĂ»t jamais Ă  affronter cette rĂ©gion. Cette calamitĂ©, parce qu’elle attira le regard des intellectuels sur leur rĂ©alitĂ© historique et sociale, sur leurs traditions et coutumes, fut Ă  l’origine de toute une production littĂ©raire mettant en scĂšne le flĂ©au, la vie ardue du Nordestin, son mode de vie, sa culture, et fit Ă©clore toute une levĂ©e d’écrivains, parmi lesquels Capistrano de Abreu, Araripe JĂșnior, Rocha Lima, et d’autres[29]. Le terme de sertĂŁo et de sertanejo gagne en ampleur et tend Ă  se gĂ©nĂ©raliser pour couvrir l’arriĂšre-pays et ses habitants de toutes les rĂ©gions du BrĂ©sil, qui sont ainsi mobilisĂ©s en dĂ©fense de l’originalitĂ© nationale et pour la promotion du sertĂŁo comme locus de l’identitĂ© brĂ©silienne. ParallĂšlement se durcissait l’antagonisme avec les auteurs qui avaient une vision dĂ©nigrante de la culture nationale et penchaient plutĂŽt vers les conceptions europĂ©ennes, notamment vers les thĂ©ories raciales, et aux yeux desquels le mĂ©tis restait un ĂȘtre infĂ©rieur. Cependant, cette polarisation entre les « deux BrĂ©sils », entre littoral et sertĂŁo, supposĂ© ĂȘtre le trait saillant du dĂ©bat intellectuel brĂ©silien Ă  une certaine Ă©poque, Ă©tait en rĂ©alitĂ© plus nuancĂ©e et moins tranchĂ©e qu’en apparence[30].

Au rebours du constat fait par Ricardo de Oliveira[31] que la construction de l’identitĂ© sertaneja fut l’Ɠuvre d’une gĂ©nĂ©ration qui avait rompu avec la tradition monarchique, Melo Franco s’attacha quant Ă  lui Ă  cĂ©lĂ©brer cette identitĂ© et, par ce biais, Ă  consolider la nation brĂ©silienne sans en passer par une telle rupture[32].

Athayde a pu affirmer que le mouvement rĂ©gionaliste se singularise par le fait primordial que ses productions ont Ă©tĂ© le fait d’auteurs Ă©troitement liĂ©s Ă  la rĂ©alitĂ© qu’ils dĂ©crivaient, autrement dit, d’« enfants du sertĂŁo ». Cela vaut certes pour Melo Franco, et aussi, comme l’indique Antonio Candido, pour Alfredo Taunay, qui dans InocĂȘncia (1872) prit pour modĂšle des types observĂ©s par lui Ă  Santana de ParnaĂ­ba[33] ; toutefois il convient de souligner que la grande majoritĂ© des Ă©crivains rĂ©gionalistes avaient une solide et classique formation universitaire, et Ă©taient versĂ©s dans les littĂ©ratures Ă©trangĂšres, et que quelques-uns d’entre eux vĂ©curent en Europe, dont Melo Franco lui-mĂȘme, qui rĂ©sida Ă  Paris[34].

Par sa proximitĂ© et ses liens affectifs avec le sertĂŁo, Melo Franco tendit exagĂ©rĂ©ment Ă  faire ressortir la bontĂ© du sertanejo et tous ses traits pittoresques. De mĂȘme, nombre de ses personnages paraissent forgĂ©s tout exprĂšs pour illustrer tel sentiment ou tel trait caractĂ©ristique des sertanejos, souvent au dĂ©triment du naturel. Cette propension s’observe en particulier dans le roman Os Jagunços, avec la figure de Luiz Pachola, qui concentre en lui plusieurs caractĂ©ristiques du sertanejo et fait office ainsi d’échantillon reprĂ©sentatif d’une vision gĂ©nĂ©rale. À de certains moments, comme dans Os Jagunços, l’unitĂ© de la narration se ressent de la profusion de descriptions et de commentaires[35]. Du reste, on constate dans la littĂ©rature rĂ©gionaliste une certaine prĂ©dilection pour le court rĂ©cit, oĂč l’artifice consistant Ă  mettre en scĂšne des personnages rĂ©duits Ă  de pures expressions de leur milieu, peut se dissimuler plus aisĂ©ment[36].

En 1894, quatre annĂ©es avant la parution de son premier livre, Melo Franco, qui rĂ©sidait alors Ă  Ouro Preto, s’était inscrit Ă  un concours littĂ©raire organisĂ© par le journal Gazeta de NotĂ­cias de Rio de Janeiro. Il se classa deuxiĂšme avec une nouvelle intitulĂ©e A Estereira, qu’il reprendra plus tard dans le recueil Pelo SertĂŁo. Déçu par ce rĂ©sultat, il se rendit Ă  la rĂ©daction du journal pour y dĂ©fendre sa nouvelle et l’expliquer, en s’adressant principalement au critique littĂ©raire Joaquim Alves, auteur d’une analyse des Ɠuvres prĂ©sentĂ©es au concours. Cette apologie donnera lieu Ă  l’article Nacionalização da arte: parecer de um curioso, qui figurera ensuite dans l’ouvrage HistĂłrias e Paisagens, publiĂ© en 1921. Cet article en dĂ©fense de sa nouvelle flĂ©trissait l’« Ă©trangĂ©risme » (estrangeirismo) dans la littĂ©rature brĂ©silienne et prĂŽnait une littĂ©rature nationale, propre Ă  reprĂ©senter le peuple brĂ©silien, en mĂȘme temps qu’il se prononçait en faveur du genre de vie du campagnard sertanejo, en opposition au tropisme europĂ©en manifestĂ© par les Ă©lites intellectuelles des grandes villes, en l’espĂšce Rio de Janeiro, qui voyaient avec dĂ©goĂ»t et dĂ©plaisir la culture rustique du sertĂŁo, tropisme que Melo Franco, dĂšs l’orĂ©e de son article, traita avec dĂ©dain et sur un ton satirique, tout en s’érigeant lui-mĂȘme, ― quoiqu’il fĂźt preuve d’une connaissance approfondie de ce qu’il rĂ©primandait―, en interprĂšte littĂ©raire des traditions et modes de vie agrestes[37] ; la vie dans le sertĂŁo, qu’il affirmait ainsi vouloir dĂ©peindre dans ses Ɠuvres, n’avait certes pas la dĂ©licatesse des salons « francisĂ©s » (afrancesados) de l’élite intellectuelle, salons situĂ©s bien Ă  l’abri de la vie dure et ardue menĂ©e sur une terre inhospitaliĂšre et pleine de difficultĂ©s, mais qui avait donnĂ© naissance Ă  une culture et une vie frugales, exemptes de sophistications importĂ©es. La littĂ©rature d’une nation se doit, poursuivit-il, de reprĂ©senter et symboliser son peuple, sous peine de nullitĂ©[38]. L’auteur acceptait l’influence de la littĂ©rature Ă©trangĂšre sur celle brĂ©silienne, mais cela ne devait pas impliquer qu’on plaquĂąt des idĂ©es Ă©trangĂšres sur une rĂ©alitĂ© totalement diffĂ©rente : « J’estime que l’Ɠuvre nationale, mĂȘme quand elle dĂ©rive d’une Ɠuvre Ă©trangĂšre ou en est inspirĂ©e, doit porter l’estampille caractĂ©ristique qui est la nĂŽtre [...] »[39]. Dans son opinion, une attitude en faveur d’une littĂ©rature nationale serait susceptible assurĂ©ment de produire de grandes Ɠuvres, attendu que le BrĂ©sil possĂ©dait dĂ©jĂ  de grands hommes de lettres. Les BrĂ©siliens, loin d’ĂȘtre un peuple infĂ©rieur ou dĂ©cadent, rĂ©unissaient toutes les conditions pour Ă©laborer une littĂ©rature qui leur soit propre[40]. La nation Ă©tait comprise par lui comme un ĂȘtre collectif, et la pensĂ©e nationale vĂ©hiculĂ©e par la littĂ©rature avait selon lui Ă  remplir cette fonction fondamentale de dĂ©finir et d’orienter le devenir de la nation[41].

ƒuvre

L’Ɠuvre de Melo Franco comprend un roman (Os Jagunços), des recueils de nouvelles, des collections d’essais et d’articles de presse, et des confĂ©rences. Une bonne part de ses Ă©crits a Ă©tĂ© publiĂ©e Ă  titre posthume.

Si cette Ɠuvre est assez largement tombĂ©e dans l’oubli aujourd’hui (2016)[42], TristĂŁo de Athayde p.ex. en reconnut l’importance dans sa formation intellectuelle, tĂ©moin le fait que la premiĂšre de ses Ɠuvres Ă  paraĂźtre sous forme de livre fut un long essai de 1922, oĂč il se pencha sur la vie et l’Ɠuvre de Melo Franco et encensa celui-ci comme l’authentique dĂ©couvreur et rĂ©vĂ©lateur de la nationalitĂ© brĂ©silienne[43]. D'autre part, ainsi que l’affirmera AntĂŽnio Dimas en 1997, Afonso Arinos fut Ă  l’origine de la « conversion » d’Olavo Bilac aux idĂ©es nationalistes. Lorsque l’auteur fut admis Ă  l’AcadĂ©mie brĂ©silienne des lettres, Bilac le salua par un discours qui aura une grande rĂ©sonance[13].

Pelo SertĂŁo

En 1898, Melo Franco rassembla sous ce titre une sĂ©rie de nouvelles publiĂ©es auparavant dans divers revues et journaux, et prenant pour sujet la figure du sertanejo et la vie dans le sertĂŁo. Ce recueil joua un rĂŽle pionnier dans l’avĂšnement du rĂ©gionalisme littĂ©raire au BrĂ©sil et contribua Ă  promouvoir la tendance rĂ©aliste en littĂ©rature[44].

Ce n’est qu’aprĂšs s’ĂȘtre essayĂ© Ă  diverses maniĂšres littĂ©raires que Melo Franco finit, dans ses annĂ©es d’étudant, entre 1885 et 1889, par s’ancrer dans le rĂ©gionalisme. Ses contes et nouvelles apparurent dĂšs lors tantĂŽt dans la revue Revista Brasileira, tantĂŽt dans Revista do Brasil, et lui valurent une certaine renommĂ©e et une place Ă©minente au sein de l’école rĂ©gionaliste brĂ©silienne. En 1898, neuf de ces premiĂšres nouvelles furent rassemblĂ©s par la maison d’édition (brĂ©silienne) Garnier, sous le titre Pelo SertĂŁo (litt. À travers le sertĂŁo). S’y trouve appliquĂ©e la technique narrative rĂ©aliste, en accord avec laquelle les personnages, les coutumes et les paysages du sertĂŁo sont Ă©voquĂ©s avec fidĂ©litĂ© et vraisemblance, Ă  partir de matĂ©riel collectĂ© par l’auteur lors de ses pĂ©rĂ©grinations dans les campagnes de Minas Gerais. Le sertanismo, mouvement dans lequel vient s’insĂ©rer ce recueil, avait dĂ©jĂ  peu auparavant trouvĂ© Ă  s’exprimer dans la fiction brĂ©silienne, sous la forme du livre SertĂŁo de Coelho Neto, publiĂ© en 1896, et dont l’influence est perceptible dans la nouvelle qui ouvre le recueil de Melo Franco, Assombramento, inspirĂ©e de Neto en ceci qu’elle s’attache Ă  explorer les superstitions et croyances populaires, et aussi dans le dernier rĂ©cit, Pedro Barqueiro, dĂ©diĂ© Ă  Neto. Le reste des nouvelles traitent Ă©galement de thĂšmes chers au sertanismo, tels que la beautĂ© sauvage du paysage (dans Buriti perdido et Paisagem alpestre), la droiture et la bravoure du sertanejo (dans Manuel LĂșcio, campeiro et Joaquim Mironga), le sentiment amoureux se muant en passion et en haine (dans A esteireira), l’exploitation des mines de diamants dans l’arriĂšre-pays de Minas Gerais (dans O contratador de diamantes, episĂłdio do sĂ©culo XVIII), tous rĂ©cits dans lesquels la toile de fond historique joue un rĂŽle important[45].

GenĂšse

La mĂȘme annĂ©e 1898, Ă  l’occasion de la guerre de Canudos, qui s’était terminĂ©e l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, Melo Franco publia, sous l’égide du journal O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo, un long roman sur ce tragique Ă©vĂ©nement, l’une des toutes premiĂšres Ɠuvres sur Canudos, oĂč il mĂ©langea rĂ©alitĂ© et fiction et qu’il intitula Os Jagunços. Le livre, qui n’eut qu’un tirage rĂ©duit et que Melo Franco signa du pseudonyme d’OlĂ­vio de Barros, est une Ă©vocation du conflit de Canudos, qui mobilisa le pays tout entier et se termina de maniĂšre sanglante en . Bien qu’il s’agisse d’une Ɠuvre de fiction, le livre est en mĂȘme temps un portrait de la vie des sertanejos et un compte rendu critique de ladite guerre, oĂč s’entremĂȘlent invention littĂ©raire (par la forme romanesque et la mise en scĂšne de personnages imaginaires), et faits vĂ©ridiques empruntĂ©s d’une part Ă  la vie quotidienne dans le sertĂŁo et d’autre part Ă  l’histoire de la guerre[46].

Plusieurs chapitres du roman avaient auparavant Ă©tĂ© publiĂ©s dans la presse[47]. En effet, en , Melo Franco commença Ă  publier son roman en feuilletons quotidiens dans le journal O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo. À la diffĂ©rence d’Euclides da Cunha ou de Manoel BenĂ­cio, Melo Franco n’avait pas Ă©tĂ© prĂ©sent en personne sur le thĂ©Ăątre de la guerre pour y prĂ©lever la matiĂšre de son Ɠuvre. C’est la raison pour laquelle Oliveira Mello affirme que la premiĂšre partie du livre est authentiquement mineira, c’est-Ă -dire que l’auteur a transposĂ© dans le sertĂŁo de Canudos les coutumes et les personnages de la rĂ©gion Ă  laquelle il Ă©tait intimement liĂ©[48]. Il a Ă©tĂ© affirmĂ© que Melo Franco se serait informĂ© sur la guerre de Canudos par le biais des articles d’Euclides da Cunha parus dans O Estado de SĂŁo Paulo. Cependant, sans Ă©carter la possibilitĂ© que Melo Franco ait lu les textes de Da Cunha, il convient de signaler que le journal O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo publia, pendant la durĂ©e de la guerre, des comptes rendus quasi quotidiens sur les batailles en cours et sur les Ă©vĂ©nements dans le sertĂŁo bahiannais ; il est donc probable que ces reportages aient aussi jouĂ© un rĂŽle fondamental dans la genĂšse d’Os Jagunços[49].

Étant donnĂ© l’affinitĂ© de Melo Franco pour les sertĂ”es, il n’est pas Ă©tonnant que les Ă©vĂ©nements dans l’arriĂšre-pays bahiannais, oĂč les partisans d’AntĂŽnio Conselheiro affrontaient dans les annĂ©es 1896 et 1897 les troupes gouvernementales rĂ©publicaines, aient suscitĂ© l’intĂ©rĂȘt de l’auteur. Ce sera d’abord en sa qualitĂ© de rĂ©dacteur dans l’organe de presse monarchiste O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo que Melo Franco, avant de publier son roman, sera amenĂ© Ă  exposer ses opinions sur le conflit dans une sĂ©rie d’articles de son cru Ă©crits pour le journal. Tant les articles que le roman dĂ©nonçaient le massacre des Canudenses, prĂ©sentant les sertanejos comme de grands hĂ©ros et martyrs, Ă  l’opposĂ© d’un gouvernement rĂ©publicain pratiquant leur exclusion. Le sertanejo de Canudos Ă©tait ici valorisĂ© comme Ă©lĂ©ment de la nationalitĂ© brĂ©silienne en mĂȘme temps qu’était critiquĂ©e le dĂ©laissement de ce sertanejo par la rĂ©publique[12].

Os Jagunços parut en 1898 dans un tirage de seulement une centaine d’exemplaires. Cependant, il convient de relativiser ce chiffre, eu Ă©gard Ă  la circonstance que premiĂšrement le texte avait Ă©tĂ© prĂ©alablement, comme signalĂ© ci-haut, publiĂ© en feuilleton dans le quotidien O CommĂ©rcio de SĂŁo Paulo, et que deuxiĂšmement il fait partie des nombreuses sources non citĂ©es d’Os SertĂ”es de Da Cunha, ainsi que plusieurs Ă©tudes ont pu le dĂ©montrer[50] - [51] - [52].

Le roman tomba ensuite dans l’oubli, et ce n’est qu’en 1969 qu’une rĂ©Ă©dition put voir le jour, dans le cadre de la publication des ƒuvres complĂštes de l’auteur par l’Instituto Nacional do Livro[47].

Composition, intrigue et personnages

L’argument de ce roman, qui reconstitue l’histoire du mouvement de Canudos Ă  travers les faits et gestes du vaqueiro (gardien de bĂ©tail) Luiz Pachola, peut ĂȘtre rĂ©sumĂ© comme suit. Lors d’un sĂ©jour dans la fazenda Periperi en 1877 pour une vaquejada (regroupement du bĂ©tail avec rodĂ©o), Pachola fait pour la premiĂšre fois la rencontre de Maciel/Conselheiro et de sa petite suite et s’éprend de la mulĂątresse Conceição. Celle-ci cependant pĂ©rit lorsqu’elle tente de protĂ©ger Pachola des coups de couteau d’un rival jaloux. Ce sacrifice accompli Ă  son intention incite le hĂ©ros Ă  se vouer dĂ©sormais Ă  la foi et Ă  la pĂ©nitence, et le dĂ©cide Ă  se joindre Ă  Maciel et Ă  le suivre dans ses pĂ©rĂ©grinations. Plus tard, en 1897, Ă  Belo Monte, Pachola occupe un poste de confiance et appartient au commandement militaire de Canudos. Il survit Ă  la guerre et s’échappe avec quelques autres survivants en direction de la caatinga[53] - [54].

Le roman se place dans la perspective des petites gens, vaqueiros et journaliers, rendant palpable la vie quotidienne de la communautĂ© conselheiriste. De ce seul point de vue dĂ©jĂ , O Jagunços est en porte-Ă -faux avec le discours dominant sur Canudos qui prĂ©valait alors. En outre, la violence procĂšde ici explicitement de l’armĂ©e rĂ©publicaine, tandis que les Canudenses ne font que dĂ©fendre leur projet. Tout acte dĂ©lictueux de leur part est systĂ©matiquement niĂ© par le narrateur, y compris le passĂ© criminel de quelques protagonistes : la paisible et industrieuse colonie se concentre sur une Ă©conomie de subsistance et sur la poursuite de quelques petits nĂ©goces et apparaĂźt entiĂšrement intĂ©grĂ©e dans l’environnement socio-Ă©conomique de la rĂ©gion[53].

Os Jagunços est divisĂ© en deux parties, composĂ©es chacune de plusieurs chapitres. La premiĂšre partie comprend notamment l’exposition, constituĂ©e de descriptions des personnages et du dĂ©cor dans lequel se dĂ©roulera la guerre. Melo Franco y dĂ©crit le jagunço, le missionnaire (Maciel) et les traits caractĂ©ristiques du sertĂŁo, et livre une sĂ©rie d’élĂ©ments importants pour la comprĂ©hension de l’épisode. La deuxiĂšme partie est consacrĂ©e au rĂ©cit de la construction de la communautĂ© millĂ©nariste de Belo Monte et au compte rendu de la guerre[55].

PremiĂšre partie

DĂšs le premier chapitre, l’auteur expose sa vision d’un sertĂŁo dĂ©laissĂ© et de la force et rĂ©silience du jagunço, seul capable de survivre dans le sertĂŁo et d’en surmonter les adversitĂ©s. Est ainsi donnĂ©e, toujours dans le chapitre premier, une description physique du sertanejo, Ă  travers le portrait du personnage central LuĂ­s Pachola, qui permet de saisir comment Melo Franco se reprĂ©sentait cet homme de l’intĂ©rieur :

« Le chapeau Ă  larges bords ramenĂ© dans la nuque et relevĂ© sur le front lui donnait une forte allure d’audace et de bravoure. D’une taille ne dĂ©passant guĂšre la moyenne, le torse proĂ©minent, les yeux enfoncĂ©s et noirs, il portait sur le visage ovale et brun une barbe clairsemĂ©e sur les tempes mais formant sur le menton une fourrure Ă©paisse, qui, sous une moustache pleine, lui donnait un je-ne-sais-quoi de mousquetaire des gardes royales de jadis[56]. »

Unique photographie d’Antînio Maciel, dit le Conselheiro, prise aprùs sa mort par Flávio de Barros. Maciel servit de modùle au missionnaire du roman d’Arinos.

Peu aprĂšs est signalĂ©e une autre caractĂ©ristique du sertanejo. Chaque fois, avant de s’endormir, le jagunço fait ses priĂšres : « Le camarade faisait son oraison du soir, longue, compliquĂ©e, oĂč il y avait la prĂ©caution contre les cobras, contre les bĂȘtes sauvages et contre les attaques de l’ennemi »[57]. Ce passage met en Ă©vidence le rĂŽle important de la religion dans la vie du jagunço. Il s’agit en l’espĂšce d’un catholicisme populaire, empreint de syncrĂ©tisme, quelque peu Ă©loignĂ© des normes officielles de l’Église, mais d’une trĂšs forte emprise et permettant aux sertanejos de faire face aux adversitĂ©s de la vie dans les arriĂšre-pays[58]. Dans cette configuration particuliĂšre du catholicisme telle qu’elle s’est dĂ©veloppĂ©e au BrĂ©sil se dĂ©tache notamment, selon le chercheur Luiz Mott, « [...] parmi ses principales manifestations [...] en premier lieu le goĂ»t pour la pĂ©nitence »[59]. Ce trait est bien illustrĂ© par le rituel funĂšbre dĂ©crit au dĂ©but du roman, par lequel Melo Franco entend reprĂ©senter avec prĂ©cision la dimension de dĂ©votion populaire chez la population du sertĂŁo. Un autre de ces traits consiste Ă  s’emparer de rites et de symboles, qui en thĂ©orie sont rĂ©servĂ©es aux cĂ©lĂ©brations publiques, pour les besoins de la dĂ©votion privĂ©e, comme l’habitude d’édifier de petits autels de saints dans les maisons, d’apposer des croix aux murs, etc. Ce domaine religieux du sertanejo sera explorĂ© par l’auteur et prĂ©sentĂ© au lecteur tout au long de la narration[60]. Ainsi verra-t-on souvent le sertanejo adopter la posture du pĂ©nitent, souffrant et invoquant sans cesse la figure du Christ, assez caractĂ©ristique du mouvement de nature messianique que fut Canudos. Melo Franco dĂ©crit comme suit les activitĂ©s de prĂ©dication du personnage du missionnaire :

« Il parlait Ă  tous de sa mission divine, il leur conseillait pĂ©nitences et mortifications, leur citait des passages du catĂ©chisme et de l’histoire sainte, et d’une parole ardente, plein de lueurs Ă©tranges dans ses yeux noirs et creux, il leur faisait part de ses visions de saints, d’apparitions surnaturelles, la nuit, quand il se reposait sur sa pauvre paillasse d’ermite, ou quand il parcourait Ă  pied les plateaux frappĂ©s par le soleil et balayĂ©s par le vent[61]. »

Le missionnaire affirme que Dieu l’a envoyĂ© afin que, Ă  l’instar de MoĂŻse, il guide son peuple dans sa quĂȘte d’une terre sainte oĂč Ă©tablir sa nouvelle Canaan. Ses prĂ©dications, d’une grande puissance, ont un fort retentissement. Dans l’un de ses sermons, lors des festivitĂ©s du Divin Saint-Esprit, le missionnaire se lance dans un discours plus politique et plus dur pour les campagnards de son auditoire :

« Il parla des errements du monde, de l’impiĂ©tĂ© rĂ©gnante, du manque de foi des grands de la terre. Il menaça le peuple de chĂątiments, s’il ne l’accompagnait pas, lui le porteur de la vĂ©ritĂ© et de la justice ; il dit avoir reçu le pouvoir de guĂ©rir les malades, de dĂ©clencher des flĂ©aux et des pestes ; il proclama, en pĂ©riodes ferventes, les horreurs du prĂ©sent et exposa la grandeur du futur que Dieu destinait Ă  son peuple, Ă  condition qu’il ne nĂ©glige jamais les conseils de son missionnaire[62]. »

En dĂ©crivant avec dĂ©tail la foi du personnage central, Melo Franco veut faire toucher du doigt toute la richesse du catholicisme populaire caractĂ©ristique de la population sertaneja. Il Ă©crit Ă  propos de LuĂ­s Pachola : « le pouvoir de Dieu Ă©tait pour lui visible dans tout ce que ses yeux distinguaient et que ses oreilles entendaient ; le chant des moineaux, le grondement des tempĂȘtes, les sĂ©cheresses et les pluies, les pestes, les ravages de la foudre ― tout se faisait par la volontĂ© de Dieu »[63].

Melo Franco termine ce chapitre par deux observations fondamentales en rapport avec l’effet des prĂ©dications du missionnaire sur la population paysanne et avec la maniĂšre dont les autres acteurs de la scĂšne, en l’occurrence les grands propriĂ©taires terriens (fazendeiros) et l’Église, incarnĂ©e par la figure du vicaire, se mettent Ă  rĂ©agir face Ă  cet effet. L’auteur s’emploie Ă  montrer comment la prĂ©sence du missionnaire commence Ă  indisposer non seulement le gouvernement, mais aussi l’Église, qui redoutait de perdre son monopole sur la foi, et une bonne part des fazendeiros et de l’aristocratie fonciĂšre, qui, en raison du nombre croissant d’adeptes du Conselheiro, craignaient de voir enchĂ©rir ou leur Ă©chapper la main-d’Ɠuvre jusque-lĂ  si abondante et si bon marchĂ©. En ce qui concerne l’Église, il y a lieu de rappeler les mutations doctrinales survenues au sein de l’Église catholique Ă  la fin du XIXe siĂšcle et qui furent Ă  l’origine d’un changement d’attitude du clergĂ© brĂ©silien vis-Ă -vis des pratiques du catholicisme populaire. Cette position nouvelle, dĂ©nommĂ©e ultramontanisme, surgit en rĂ©action aux rĂ©volutions libĂ©rales europĂ©ennes du XIXe siĂšcle et avait pour objectif la consolidation des doctrines thĂ©ologiques et une centralisation institutionnelle de l’Église catholique autour de Rome. Il s’ensuivit une condamnation de diverses pratiques religieuses populaires, et en particulier de l’action du Conselheiro et de la crĂ©ation de sa ville sainte de Belo Monte. Pour vaincre les difficultĂ©s et rĂ©sistances auxquelles on pouvait s’attendre que se heurterait la mise en Ɠuvre des nouvelles doctrines, le haut clergĂ© brĂ©silien mena des actions rĂ©pressives en coordination avec les gouvernements et avec le pouvoir judiciaire pour faire valoir ses postulats[64].

Le dernier chapitre de la premiĂšre partie relate l’accomplissement d’une prophĂ©tie faite par le missionnaire Ă  l’éleveur bovin et patron de LuĂ­s Pachola, JoĂŁo Joaquim, selon laquelle celui-ci perdrait une partie de son troupeau dans les eaux du fleuve SĂŁo Francisco. La rĂ©alisation de cette prophĂ©tie, en plus de provoquer l’ire de l’éleveur contre le missionnaire, portera le jagunço Pachola Ă  estimer qu’il lui Ă©tait dĂ©sormais impossible de continuer Ă  suivre son patron, dĂ©signĂ© comme pĂ©cheur par l’évĂ©nement, et qu’il devait lui aussi quitter son emploi et se mettre au service de Dieu. Cette pĂ©ripĂ©tie du roman a pour fonction d’illustrer deux facettes importantes du mouvement conselheiriste : d’abord, le processus de fanatisation du sertanejo, et ensuite l’influence nĂ©faste de l’activitĂ© du Conselheiro sur l’organisation du travail dans le sertĂŁo, influence qui devait fatalement le mettre aux prises avec une bonne partie des grands propriĂ©taires terriens[65].

Dans cette premiĂšre partie, l’auteur met donc en scĂšne un sertanejo vigoureux, qui fait grand cas de l’honneur et subit la puissance de la parole ; sa foi, si elle est forte, apparaĂźt mĂątinĂ©e de superstitions et d’apprĂ©hensions, et trĂšs permĂ©able aux histoires et lĂ©gendes populaires, et tend Ă  se teinter de mysticisme. Melo Franco s’évertue d’emblĂ©e Ă  dĂ©construire les thĂ©ories qui voulaient voir dans la rĂ©volte de Canudos une motivation d’ordre politique et y discernaient un mouvement anti-rĂ©publicain de restauration monarchique, et laisse entendre que l’explication du phĂ©nomĂšne Canudos est Ă  chercher dans une analyse prĂ©cise des facteurs religieux et des conditions d’existence des hommes de l’intĂ©rieur[66].

DeuxiĂšme partie

La deuxiĂšme partie, qui se dĂ©compose en cinq chapitres, et se sĂ©pare de la premiĂšre par un large intervalle de temps, traite de la vie au village de Canudos et de la guerre. Le chapitre premier relate la fondation du village : le missionnaire, dĂ©tenteur d’un pouvoir extrĂȘme sur un grand nombre de personnes par ses enseignements et par leur foi en Dieu, se prend, pendant l’une de ses pĂ©rĂ©grinations, une Ă©pine dans le pied lors de son passage par une portion de sertĂŁo particuliĂšrement inhospitaliĂšre et en resta incapable de poursuivre son chemin. Alors, « le missionnaire considĂ©ra longuement cette rugueuse portion de sertĂŁo. Son pied saignait Ă  l’endroit ou l’épine s’y enfonçait, le sang en s’écoulant Ă©tait englouti par la terre sablonneuse. Alors, parlant Ă  lui-mĂȘme, il dit : ― C’est ici ! »[67]. Ainsi est fondĂ©e la ville sainte, Belo Monte. Derechef, Melo Franco signale que ce sont des mobiles religieux qui ont prĂ©sidĂ© Ă  la construction du village, vu que celui-ci n’était que la concrĂ©tisation de la mission, telle qu’annoncĂ©e par le missionnaire, de fonder une nouvelle Canaan[68].

L’auteur donne une description de la ville, en soulignant sa simplicitĂ© et l’égalitĂ© qui y rĂšgne, encore qu’il soit question aussi de quelques maisons meilleures que les autres, de certaines dotĂ©es de lumiĂšre et d’autres non. La vie y est rĂ©gie par une agriculture de subsistance et par le troc de marchandises et la vente des excĂ©dents sur le marchĂ© des villes circonvoisines, pour autant que celles-ci acceptent de commercer avec le « personnel du missionnaire ». Melo Franco d’un cĂŽtĂ© insiste sur la duretĂ© du terrain et de l’air du sertĂŁo, mais d’un autre renforce par lĂ  mĂȘme l’idĂ©e que le jagunço Ă©tait accoutumĂ© Ă  cette vie et que lui seul serait en mesure de dominer cette « bĂȘte aux abois », l’auteur suggĂ©rant ainsi, sans faire outre mesure allusion aux traits raciaux du sertanejo, que cela apporte la preuve de la vigueur et des capacitĂ©s de ce peuple authentiquement brĂ©silien[69]. Entre-temps, des dizaines de personnes chaque jour s’en vont rejoindre la ville, parmi elles souvent aussi des hommes normalement promis Ă  rĂ©primer le mouvement, comme de nombreux soldats des localitĂ©s voisines ― circonstance qui du reste dĂ©terminera la nĂ©cessitĂ© pour les autoritĂ©s Ă  faire ultĂ©rieurement appel aux troupes fĂ©dĂ©rales.

Le narrateur en vient Ă  prĂ©sent Ă  l’incident du bois de charpente, premier Ă©pisode de cette escalade violente que sera la guerre de Canudos. Pachola, qui jouissait d’une certaine considĂ©ration auprĂšs du Conselheiro, fut chargĂ© de l’achat d’un lot de bois d’Ɠuvre pour la construction de la nouvelle Ă©glise. Bien que la facture ait Ă©tĂ© acquittĂ©e, les vendeurs rĂ©pugnent Ă  remettre le bois au « peuple du missionnaire ». Pachola rencontre en cours de route l’éleveur JoĂŁo Joaquim, d’ñge avancĂ© dĂ©jĂ , mais animĂ© d’une fureur intacte contre le missionnaire et engagĂ© dans une campagne contre le village. Mis au courant par Pachola, beaucoup de jagunços manifestent le dĂ©sir de se rendre Ă  la ville de Juazeiro pour s’emparer du bois et se faire justice eux-mĂȘmes. Cet incident amĂšnera le premier affrontement entre jagunços et forces rĂ©publicaines[70].

Les jagunços, dont le narrateur ne manque pourtant de relever la vaillance si caractĂ©ristique de l’homme du sertĂŁo, n’agissent jamais qu’ils n’aient d’abord reçu ordres et directives du missionnaire, faisant la dĂ©monstration ainsi de leur profond respect et de leur obĂ©issance. L’expĂ©dition sur Juazeiro ne sera organisĂ©e qu’aprĂšs autorisation du Conselheiro, lequel confiera Ă  Pachola le commandement et le choix des participants. La narrateur souligne : « De fait, lĂ  dans la ville sainte, l’autoritĂ© suprĂȘme Ă©tait le Conselheiro. Celui-ci ne permettait pas qu’un autre ait ne serait-ce qu’une fraction de pouvoir si elle n’émanait de lui [...] »[71].

Nombre d’hommes politiques, conscients du pouvoir que le missionnaire exerce sur les campagnards, tentent d’obtenir son appui pour leur candidature aux Ă©lections. Ces dĂ©marches cependant n’étaient pas assumĂ©es publiquement.

À la fin du chapitre, Melo Franco donne une description interprĂ©tative de la rĂ©alitĂ© de la citĂ© de Canudos, Ă©voquant avec quelque dĂ©tail la vie Ă  Belo Monte et exposant les rĂšgles qui prĂ©sidaient Ă  l’organisation de la citĂ©, centrĂ©e sur la figure absolutiste du Conselheiro:

« Comme lui Ă©tait l’unique autoritĂ©, l’organisation Ă©tait entiĂšrement de lui, qui exerçait le pouvoir suprĂȘme. Son organisation sociale tenait beaucoup de choses de l’Ancien Testament, du moins pour ce qui touche Ă  la famille. Interdisant les crimes contre la personne et contre la propriĂ©tĂ©, il tolĂ©rait la polygamie, voire la promiscuitĂ©. Toutefois, il ne se confondait d’aucune façon avec Zumbi dos Palmares, qui, en d’autres temps, commandait plus au nord, dans la Serra da Barriga, oĂč un État puissant vivait sous son autoritĂ© suprĂȘme. [...] Il Ă©tait schismatique, car il ne punissait pas les unions sexuelles hors mariage et s’arrogeait une autoritĂ© religieuse, qu’il n’avait pas[72].
211 L’autoritĂ© temporelle suprĂȘme Ă©tait pour lui celle de l’Empereur, qu’il considĂ©rait comme l’élu et l’oint du Seigneur. Son socialisme et certaines pratiques du communisme n’ont d’analogie qu’avec le communisme des PĂ©ruviens, sous l’organisation thĂ©ocratique des Incas. LĂ -bas, il n’y avait pas de pauvres ; chacun travaillait pour la communautĂ©, dans la mesure de ses forces. Il ne prohibait pas le commerce, ni que l’individu travaillĂąt un peu pour lui-mĂȘme. Il reconnaissait l’autoritĂ© religieuse du Pape, quoique sur certains points il s’écartĂąt des rĂšgles du Catholicisme. [...] Tout acte qui contrariait les ordres du Conselheiro lui paraissait un acte de franche hostilitĂ© et Ă©tait considĂ©rĂ© tel par tout le peuple de Belo Monte[73]. »

L’on note ici la claire nĂ©gation que le mouvement conselheiriste eĂ»t une quelconque relation avec la rĂ©volte du quilombo de Dos Palmares. Quant au positionnement anti-rĂ©publicain de Maciel, Melo Franco, en le situant sur le plan religieux, en fait en rĂ©alitĂ© une analyse critique ; en effet, le missionnaire reconnaĂźt le pouvoir impĂ©rial non en raison de convictions politiques favorables Ă  un mode de gouvernement meilleur que celui rĂ©publicain, mais parce qu’il considĂšre l’Empereur comme un envoyĂ© de Dieu, sur le moule de l’absolutisme europĂ©en. Une nouvelle fois donc, l’auteur Ă©carte la thĂšse d’un soulĂšvement visant Ă  restaurer la monarchie brĂ©silienne, thĂšse massivement diffusĂ©e par la presse de l’époque[74].

La partie finale du premier chapitre donne parfois au lecteur l’impression de lire un essai critique sur Maciel et sur Canudos, au lieu d’une Ɠuvre de fiction[75].

Dans le chapitre deuxiĂšme de cette deuxiĂšme partie, intitulĂ© A Expedição, Melo Franco retrace le premier affrontement entre les jagunços conselheiristes et les forces rĂ©publicaines, en l’occurrence un dĂ©tachement de la police bahiannaise. À la suite du refus de livraison du bois d’Ɠuvre, Pachola donc rassemble des jagunços pour se rendre Ă  Juazeiro, le narrateur laissant entendre clairement que le seul objectif des Canudenses Ă©tait de prendre rĂ©ception du lot de bois, au demeurant dĂ©jĂ  payĂ©, et ce de prĂ©fĂ©rence sans accroc. Cependant, les soldats du gouvernement de Bahia marchent en direction de la ville sainte, et se heurtent aux jagunços dans le bourg d’UauĂĄ, oĂč le conflit est engagĂ©. Les jagunços, faisant preuve d’une plus grande adaptabilitĂ© et familiaritĂ© avec le sertĂŁo, mettent les soldats en dĂ©route. En dĂ©pit de la disponibilitĂ© d’armes Ă  feu, il y aura dans ce premier accrochage, comme dans les trois expĂ©ditions militaires subsĂ©quentes, une part importante de combat au corps Ă  corps entre soldats et Canudenses[76].

Alors que Pachola retourne pensif Ă  Canudos avec sa troupe, Melo Franco exprime explicitement son point de vue sur ces hommes des campagnes de l’intĂ©rieur, oubliĂ©s par le gouvernement, relĂ©guĂ©s Ă  l’ñpretĂ© de leur existence, rejetĂ©s par le reste de la communautĂ© nationale. En rĂ©fĂ©rence Ă  Pachola, le narrateur Ă©nonce : « Il lui parut qu’à partir de ce moment, ils allaient affronter ce pouvoir lointain, dont ils ne savaient pas bien ce qu’il Ă©tait, mais de qui tout le monde parlait comme d’une chose trĂšs grande et trĂšs forte ― le Gouvernement »[77]. C’est une maniĂšre pour Melo Franco d’afficher sa vision politique, par une critique Ă  l’adresse de la jeune rĂ©publique brĂ©silienne, laquelle avait Ă©chouĂ© Ă  marquer sa prĂ©sence dans le sertĂŁo et y Ă©tait ressentie comme une entitĂ© Ă©trangĂšre, distante du peuple sertanejo — bien plus mĂȘme, dans ce conflit, le gouvernement faisait figure d’ennemi[78].

Le chapitre troisiĂšme de cette partie, intitulĂ© Os FanĂĄticos, expose la situation de Belo Monte et des jagunços aprĂšs la premiĂšre expĂ©dition et dans la perspective imminente d’une nouvelle offensive gouvernementale. Quoique le titre de ce chapitre puisse laisser supposer une adhĂ©sion de l’auteur Ă  la reprĂ©sentation alors courante des Canudenses comme « fanatiques religieux », dĂ©ments, fauteurs de dĂ©sordre etc., en rĂ©alitĂ©, l’auteur prend la direction contraire, non seulement dans le chapitre concernĂ©, mais de façon gĂ©nĂ©rale dans tout le roman, et le terme de fanĂĄtico, Ă©loignĂ© de ce paradigme de marginalisation, renvoie seulement Ă  l’adoration vouĂ©e Ă  la personne du Conselheiro, et Ă  l’adhĂ©sion totale aux idĂ©aux divins que l’on croyait Ă©maner de sa personne. L’auteur met en Ă©vidence Ă©galement l’immense influence que Maciel/Conselheiro exerçait non seulement sur la population de Belo Monte, mais aussi sur toute la rĂ©gion limitrophe[79].

Les prĂ©paratifs d’une nouvelle attaque des forces rĂ©publicaines entraĂźnent un resserrement de la loi religieuse Ă  Belo Monte et une multiplication des priĂšres. L’église est de plus en plus le centre nĂ©vralgique de la citĂ©, oĂč tous se rendent dans le but de renforcer leur foi et dans l’espoir d’une parole rĂ©confortante de la part du Conselheiro. Melo Franco dĂ©crit avec dĂ©tail le grand autel de la vieille Ă©glise, d’oĂč le Conselheiro avait coutume de s’adresser aux habitants du village. L’une des oraisons les plus souvent entendues Ă  Belo Monte est le cantique du BĂ©nĂ©dictus, qui fonctionne en quelque sorte comme une musique de fond tout au long du roman[80].

À la fin du 3e chapitre, le narrateur s’autorise deux considĂ©rations. Dans la premiĂšre, il caractĂ©rise le sertanejo comme ayant Ă©tĂ© abandonnĂ© par des gouvernants indiffĂ©rents Ă  ses dĂ©boires, ce qui tend d’autant plus Ă  le rapprocher de la foi et du Conselheiro.

« Les seules fois oĂč ils entraient en contact avec le Gouvernement, ce fut par le biais des balles et des baĂŻonnettes de la police. DĂ©laissĂ©s dans leurs sertĂ”es, ils percevaient, de temps Ă  autre, l’action du Gouvernement au passage des recruteurs, ou des attrapeurs de troupes. Au milieu de leurs misĂšres ne leur parvenait jamais aucun soulagement de la part du Pouvoir. [...] Si les pluies leur arrachaient leurs fragiles cases et que la peste leur dĂ©truisait le bĂ©tail, le Gouvernement ne se portait pas Ă  leur secours pour rĂ©Ă©difier la paillote, ni pour leur remplacer le cheptel perdu. Seul un pouvoir leur apparaissait propice, mais celui-lĂ  n’était pas de ce monde. À lui, ils adressaient des vƓux ingĂ©nus, qui Ă©taient souvent exaucĂ©s ; Ă  lui, ils Ă©levaient des priĂšres et de lui ils recevaient du rĂ©confort[81]. »

Melo Franco juge justifiĂ©es la guerre des Canudenses et la dĂ©fense de la ville sainte. Si en effet les jagunços n’avaient rien Ă  espĂ©rer du gouvernement, ils Ă©taient en droit de dĂ©fendre ce qui leur offrait protection et remplissait leur Ăąme d’espĂ©rance[82].

Dans un autre passage, description d’une cabocla rĂ©sidant Ă  Belo Monte, l’auteur exprime sa vision sur le phĂ©nomĂšne du mĂ©tissage. Selon lui, du mĂ©lange ethnique rĂ©sultera quelque chose de nouveau, le mĂ©tis, dans lequel il ne sera plus possible de discerner les hĂ©ritages respectifs, dĂ©sormais rĂ©unis, de ses diffĂ©rentes ascendances[83].

Le chapitre quatriĂšme se dĂ©roule en 1897, quand parviennent les nouvelles de troupes marchant sur la citĂ© et que s’exaspĂšrent les discours et sermons enflammĂ©s du missionnaire contre l’ennemi. Aux cĂŽtĂ©s du Conselheiro, vieilli et malade, perclus, mais jouissant toujours d’un grand pouvoir sur toute la population de Belo Monte, l’on note maintenant la prĂ©sence constante de personnes qui joueront un rĂŽle de premier plan dans le contexte de la guerre et feront des apparitions frĂ©quentes jusqu’à la fin du rĂ©cit, tels que Vila Nova, JosĂ© VenĂąncio, Macambira, PajeĂș, JoĂŁo Abade, et d’autres. En outre, l’auteur apporte un aperçu plus dĂ©taillĂ© de la population sertaneja composant la communautĂ© conselheiriste ; l’on y remarque, outre la susmentionnĂ©e cabocla, la prĂ©sence de noirs anciennement esclaves, qui sans doute avaient rejoint Canudos en raison du manque de perspectives au lendemain de l’abolition de l’esclavage, ainsi que de personnes de familles traditionnelles, venues de villes voisines[84].

Un peu plus d’un mois plus tard, l’on apprend qu’une nouvelle et puissante force fait mouvement vers Canudos ; c’est la 3e expĂ©dition commandĂ©e par le colonel Moreira CĂ©sar, laquelle notoirement se soldera par une cuisante dĂ©faite pour les troupes rĂ©publicaines.

AprĂšs la mort du commandant en chef, la retraite dĂ©cidĂ©e, nombre de soldats, harcelĂ©s par les jagunços et se dĂ©bandant, dĂ©sertent et prennent la fuite dans le sertĂŁo, attitude qui sera ensuite souvent blĂąmĂ©e par les analystes de la guerre. L’auteur, dĂ©laissant derechef le fil de la narration, s’attache Ă  saisir les motifs de ces dĂ©sertions et se lance dans une longue explication inspirĂ©e de la psychologie des masses de Gustave Le Bon[85].

L’issue de cette expĂ©dition permet aux jagunços de mettre la main sur quantitĂ© d’armements modernes et de munitions, y compris des canons et des grenades, ce qui sera cĂ©lĂ©brĂ© avec enthousiasme dans la ville. Un accident avec une de ces grenades toutefois modifiera la perception de ces objets de guerre, vus dorĂ©navant comme des choses maudites, ce qui met en relief une nouvelle fois la superstition caractĂ©ristique du sertanejo. Beaucoup de ces armes tombĂ©es en leur possession, dont les canons, seront alors enfouis pour Ă©viter la propagation du mal[86].

Melo Franco se plaßt ici à railler les images que principalement la presse a échafaudées autour de la personne du Conselheiro et des jagunços, et que font siennes les habitants des grandes villes[87].

Avant d’en venir dans son rĂ©cit Ă  la 4e expĂ©dition, le narrateur fait quelques mises au point importantes, d’abord sur le Conselheiro. Si celui-ci est dotĂ© d’un pouvoir et d’une influence extraordinaires sur ses ouailles, il y a lieu nĂ©anmoins d’ajuster sa stature, de la dĂ©mythifier ; le narrateur tient donc Ă  prĂ©ciser :

« Il ne se donnait jamais pour le Bon JĂ©sus, ni ne se faisait passer pour tel Ă  Belo Monte. Il disait toujours, lors de tous les conseils, qu’il Ă©tait l’humble serviteur du Bon JĂ©sus, dont il s’employait Ă  appliquer la loi sur ceux qui l’accompagnaient. Il affirmait constamment que seul Dieu faisait des miracles et non lui, pauvre pĂ©cheur[88]. »

Une deuxiĂšme mise au point de l’auteur touche Ă  la reprĂ©sentation d’une ville harmonieuse. Il est indiquĂ© que des inĂ©galitĂ©s y sĂ©vissent, qu’il y a des rĂšgles fixes et des chĂątiments (dont un exemple cruel est donnĂ© dans le roman) pour qui les transgressent. Rien ne peut se faire que moyennant l’autorisation du Conselheiro.

Survivants de la guerre de Canudos, aprĂšs l’assaut final des forces rĂ©publicaines.

Les Ă©gorgements, les dĂ©nommĂ©es cravates rouges, sont Ă©voquĂ©es explicitement dans le livre. Cependant, Ă  rebours de ce Ă  quoi l’on aurait pu s’attendre de la part d’un monarchiste, Melo Franco s’abstient d’attaquer sans nuance l’attitude des soldats qui Ă  ce moment-lĂ  servaient la rĂ©publique. Il n’y a pas en effet de cruautĂ© a priori et les actes rĂ©prĂ©hensibles commis dans la phase finale du conflit furent une excroissance de la guerre elle-mĂȘme et des dĂ©faites successives subies par les forces rĂ©guliĂšres[89].

Dans le dernier chapitre enfin, consacrĂ© Ă  la chute de Belo Monte, Melo Franco dĂ©crit avec exactitude quelques scĂšnes et Ă©vĂ©nements de l’ultime phase de la guerre, dont plusieurs figureront aussi dans Os SertĂ”es d’Euclides da Cunha, notamment le rĂ©cit d’une embuscade tendue par un jagunço. Le narrateur insinue (sans spĂ©cifier plus avant) qu’il a obtenu ces informations prĂ©cises de Vila Nova, lequel avait Ă©tĂ© autorisĂ© par AntĂŽnio Conselheiro Ă  sortir de Belo Monte pour solliciter des renforts dans une ville voisine[90].

La toute derniĂšre phrase du livre est fortement suggestive, au mĂȘme titre que la premiĂšre. Parlant des jagunços survivants, Melo Franco clĂŽture ainsi son Ɠuvre : « Et la tribu marcha vers le dĂ©sert »[91]. C’est une allusion limpide Ă  un Ă©pisode de la bible, destinĂ©e Ă  suggĂ©rer l’idĂ©e de martyrs, de souffrance, et de quasi-hĂ©ros[92].

Aspects littéraires

DotĂ© du sous-titre Novela sertaneja (« roman du sertĂŁo »), l’Ɠuvre s’inscrit dans la tradition rĂ©gionaliste brĂ©silienne et, en resituant Canudos au sein mĂȘme du sertĂŁo, abandonne ostensiblement l’angle de vue de la centralitĂ© rĂ©publicaine. La premiĂšre partie comprend de longues descriptions non seulement de la vie des vaqueiros, mais aussi de rĂ©alitĂ©s culturelles telles que le lundu et le congado, descriptions entremĂȘlĂ©es de poĂ©sies et de refrains populaires et parsemĂ©es de vocables et tournures rĂ©gionales. Le hĂ©ros au contraire, appartenant au type chevaleresque, modeste, pĂ©tri de noblesse d’ñme et de misĂ©ricorde chrĂ©tienne y compris envers ses ennemis, adulĂ© de ses compagnons, blessĂ© par un amour malheureux, reprĂ©sente un type europĂ©en universel, situĂ© par delĂ  l’espace et l’Histoire, et que ne caractĂ©rise aucun trait rĂ©gional[53].

Selon TristĂŁo de AtaĂ­de « [...] le roman est trop long, sans unitĂ© de facture ou de narration et frĂ©quemment insipide, dĂ©notant presque constamment une composition bĂąclĂ©e pour feuilleton [...] »[93]. L’auteur pourtant remarque encore que le roman « [...] possĂšde nĂ©anmoins de bonnes parties, vivantes et pittoresques, en particulier dans la premiĂšre partie, et quelques autres passages forts, Ă©mouvants et brillants, dans la partie finale. Il mĂ©riterait de subir une refonte [...], car il renferme beaucoup de choses intĂ©ressantes, qu’il est dommage de laisser se perdre dans une Ă©dition restreinte de 100 exemplaires [...] »[94].

Le sertĂŁo est Ă©voquĂ© de maniĂšre antinomique, le sertĂŁo bienfaisant de l’époque impĂ©riale contrastant avec le sertĂŁo rĂ©publicain dĂ©sormais ravagĂ©. Une culture populaire intacte, une morale salubre et une structure sociale inviolĂ©e, oĂč les hiĂ©rarchies existantes ne provoquent aucun conflit, caractĂ©risent le sertĂŁo impĂ©rial. La nature est exempte de son potentiel hostile, et les sĂ©cheresses sont passĂ©es sous silence. Canudos est ainsi le parangon d’un sertĂŁo paisible, Ă  quoi s’oppose le caractĂšre criminel de la rĂ©publique[95]. Canudos sert de symbole collectif permettant Ă  l’auteur de donner corps Ă  sa vision monarchiste et anti-rĂ©publicaine, oĂč Canudos fait fonction d’allĂ©gorie de la sociĂ©tĂ© rurale prĂ©-rĂ©publicaine[96].

Le roman s’intĂ©resse peu aux motivations des Canudenses : abstraction faite des personnages principaux, ils restent des fanatiques anonymes, codĂ©s comme jagunços, en adĂ©quation avec la nature rugueuse. Cette derniĂšre cependant rĂ©clame un travail rude mais honnĂȘte, soit l’exact contrepied de l’oisivetĂ© paresseuse et de la morale dĂ©cadente des villes cĂŽtiĂšres. Le sertĂŁo est essentiellement nature, laquelle respire la spĂ©cificitĂ© nationale et se dĂ©robe Ă  une civilisation urbaine mal comprise[97].

En dĂ©pit de sa catĂ©gorisation comme roman, Os Jagunços comprend des parties d’une tonalitĂ© trĂšs rationnelle, tĂ©moignant d’une ambition scientifique, comme l'attestent ces passages dans lesquels il aborde la question du meneur et de la masse, et tente de comprendre l’ascendant acquis par les chefs militaires de Canudos et par le Conselheiro lui-mĂȘme. L’on dĂ©tecte dans ces passages, lors mĂȘme que ne s’y trouve aucune citation ou rĂ©fĂ©rence, une forte influence de certaines thĂ©ories scientifiques, notamment de la psychologie des masses, thĂ©orisĂ©e par des auteurs tels que Gustave Le Bon et assez rĂ©pandue dans l’intelligentsia brĂ©silienne de la fin du XIXe siĂšcle. Ces constatations amĂšnent Ă  relativiser quelque peu la polarisation scientisme contre romantisme[98].

Propos et intentions idĂ©ologiques de l’auteur

La guerre de Canudos est sans conteste un jalon crucial de l’histoire du BrĂ©sil, mais Ă©galement un Ă©lĂ©ment capital dans le dĂ©bat sur la nation et la nationalitĂ© brĂ©siliennes, en ceci que ce conflit amena au jour une portion du pays jusque-lĂ  relĂ©guĂ©e, mais sur laquelle il n’était plus depuis lors possible de faire l’impasse. Afonso Arinos de Melo Franco fut l’un des premiers Ă©crivains Ă  appeler l’attention de tous ses compatriotes, par la voie de son article de presse du , sur l’importance du mouvement de Canudos au regard de la formation du BrĂ©sil comme entitĂ© sociale et psychologique, arguant notamment :

« Cette lutte mĂ©riterait l’attention des gens de presse, pour qu’elle soit Ă©tudiĂ©e, non simplement en sa tragique irruption et dans son dĂ©veloppement, mais dans ses origines profondes, en tant que phĂ©nomĂšne social de la plus grande importance pour l’exploration psychologique et pour la connaissance du caractĂšre brĂ©silien[99]. »

Dans les quelques articles parus dans le journal O CommĂ©rcio de SĂŁo Paulo, l’auteur, tout en donnant des nouvelles sur le dĂ©roulement du conflit dans la Bahia, fit connaĂźtre sa propre position sur les Ă©vĂ©nements, en particulier dans un texte de 1897, intitulĂ© Campanha de Canudos (o epĂ­logo da guerra), oĂč son opinion apparut clairement. L’écrivain y dĂ©crit le conflit comme une chose « sombre, mystĂ©rieuse, remplie d’épisodes dantesques ; cette lutte fantastique, dans laquelle la constance hĂ©roĂŻque du soldat s’oppose Ă  la bravoure Ă©pique du jagunço », en pointant comme le grand responsable de l’affrontement l’« incurie » des autoritĂ©s[100]. Pour Melo Franco, les Ă©pisodes d’effusion de sang Ă  Canudos auraient pu ĂȘtre Ă©vitĂ©es par une « Ă©tude scrupuleuse de la rĂ©gion oĂč s’est manifestĂ© le singulier phĂ©nomĂšne et par l’investigation attentive du phĂ©nomĂšne lui-mĂȘme, avant que le fanatisme des fanatiques ne pĂ»t s’exacerber, les attirant dans les mĂąchoires des corps d’armĂ©e »[101]. Les sertanejos sont vus comme des victimes d’un gouvernement cruel et irresponsable, attendu qu’à aucun moment les jagunços ne prirent l’offensive, pas mĂȘme Ă  la suite de la dĂ©faite de l’expĂ©dition de Moreira CĂ©sar[102]. Le conflit sera Ă  l’origine de l’image du guerrillero sertanejo martyr et hĂ©roĂŻque, rĂ©sistant jusqu’à la toute fin du conflit. Certes, la force de la civilisation vainquit, mais le sertanejo avait fait, avec la guerre de Canudos, la dĂ©monstration de son existence face au littoral cosmopolite. Par consĂ©quent, l’évĂ©nement signifia l’affirmation du sertĂŁo et de ses habitants comme composantes de la nationalitĂ© brĂ©silienne : Ă  une Ă©poque oĂč la RĂ©publique rĂ©cemment instaurĂ©e s’efforçait de mettre la nation brĂ©silienne en adĂ©quation avec les conceptions de progrĂšs et de civilisation, l’intĂ©rieur du pays, Ă©loignĂ© de la modernitĂ© tant recherchĂ©e, apparaissait comme une rĂ©gion en divergence avec ce projet. Les Ă©vĂ©nements de Canudos servirent de rĂ©vĂ©lateur de cette antinomie. D’un cĂŽtĂ©, le BrĂ©sil que l’on aspirait Ă  construire, de l’autre, la rĂ©alitĂ© d’une population sertaneja luttant pour survivre dans une rĂ©gion aride et adverse. Melo Franco avait conscience de l’existence de cette rĂ©alitĂ© duelle du BrĂ©sil et ne niait pas la nĂ©cessitĂ© d’intĂ©grer les sertanejos dans la nation. Selon lui, des Ă©lĂ©ments civilisateurs, susceptibles de rendre possible une telle intĂ©gration, devraient ĂȘtre dirigĂ©s sur le sertĂŁo ; mais la rĂ©publique, animĂ©e par une mĂ©connaissance et un mĂ©pris de la rĂ©gion, ne rĂ©ussit pas Ă  rĂ©aliser cette integration sans faire usage de la violence et sans procĂ©der au massacre des jagunços. Par lĂ , estime l’auteur, le conflit guerrier Ă  Canudos illustra l’impĂ©ritie du nouveau gouvernement, incapable de mettre en Ɠuvre une modernisation qui inclĂ»t, pacifiquement, dans la nation envisagĂ©e, l’ensemble de ses composants[103]. Une nouvelle fois fut ainsi dĂ©montrĂ©e l’incapacitĂ© de la rĂ©publique Ă  gĂ©rer le pays[104] - [105].

D’autre part, dans ce mĂȘme article paru dans O CommĂ©rcio de SĂŁo Paulo en , Melo Franco adopta une position contraire Ă  la thĂšse, naguĂšre encore gĂ©nĂ©ralement admise, d’un Canudos bastion monarchiste, et rejoignit ce faisant les points de vue dĂ©fendus par Alvim Horcades et Manoel BenĂ­cio. Auparavant dĂ©jĂ , en tant que rĂ©dacteur en chef du susnommĂ© journal, et sous le pseudonyme d’Espinosa, il avait cherchĂ© Ă  invalider l’idĂ©e d’un complot restaurationniste et fini par dĂ©fendre la cause de Belo Monte. Il postula que les origines du mouvement conselheiriste devaient ĂȘtre cherchĂ©es dans la religiositĂ© spĂ©cifique du sertĂŁo, recherche qui selon lui contribuerait en outre Ă  permettre une « investigation psychologique du caractĂšre brĂ©silien », et dĂ©fendit la conception (qui sera celle aussi d’Euclides da Cunha) que le sertĂŁo aussi faisait partie intĂ©grante du BrĂ©sil et que le sertanejo n’était autre qu’un BrĂ©silien que la civilisation avait marginalisĂ© et laissĂ© Ă  la merci de la « loi de la nature »[106] - [107].

Melo Franco appartenait Ă  une tradition littĂ©raire qui s’évertuait Ă  trouver le sens de la nation brĂ©silienne Ă  travers l’analyse de sa marginalitĂ©, soit, en l’espĂšce, les vastes terres de l’intĂ©rieur, espace gĂ©ographique abandonnĂ© par une rĂ©publique qui se proclame moderne[108]. Les Ă©crivains rĂ©gionalistes se firent un devoir de mettre en scĂšne et de reprĂ©senter la culture du sertĂŁo, en affirmant son authenticitĂ© en opposition aux influences Ă©trangĂšres qui se manifestaient dans les principales villes de l’époque, principalement Ă  Rio de Janeiro[109].

Melo Franco du reste n’était pas le seul intellectuel monarchiste Ă  croire Ă  l’importance d’incorporer le sertanejo dans la nationalitĂ© brĂ©silienne. Eduardo Prado, propriĂ©taire d’O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo, affirma lui aussi la nĂ©cessitĂ© de prendre en compte le caboclo comme Ă©lĂ©ment caractĂ©ristique de la nation, arguant que celui-ci Ă©tait « un homme que nous devons tous admirer pour sa vigueur et parce que c’est lui qui, au bout du compte, est ce qu’est le BrĂ©sil, le BrĂ©sil rĂ©el, bien diffĂ©rent du cosmopolitisme artificiel dans lequel nous vivons, nous habitants de cette grande ville. C’est lui qui a fait le BrĂ©sil »[110]. L’écrivain Afonso Celso Ă©galement contestait les thĂ©ories selon lesquelles le mĂ©tis serait un dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© et un ĂȘtre racialement infĂ©rieur et s’attacha Ă  souligner au contraire que le « mĂ©tis brĂ©silien ne prĂ©sente aucune infĂ©rioritĂ© d’aucune sorte, ni physique ni intellectuelle »[111]. Les vaqueiros notamment, rappela-t-il, sont Ă  ranger parmi les mĂ©tis, ces vaqueiros dont la sobriĂ©tĂ© et le dĂ©sintĂ©ressement sont notoires, qui jouissent d’une santĂ© inaltĂ©rable, sont d’une force et d’une dextĂ©ritĂ© rares, etc[112].

Le missionnaire, c’est-Ă -dire AntĂŽnio Maciel, dont les antĂ©cĂ©dents ne sont pas indiquĂ©s, apparaĂźt plutĂŽt comme un beato (dĂ©vot laĂŻc), un saint, mais est Ă©galement « noir comme l’ombre de la mort ». La sphĂšre religieuse tend Ă  s’autonomiser en s’abstrayant en mysticisme. NĂ©anmoins, le Conselheiro prend aussi des traits terriens, se compromettant dans des tractations politiques, Ă  la maniĂšre d’un coronel, et tolĂ©rant dans Belo Monte des chĂątiments cruels ; c’est un « fanatique religieux mĂ©galomane », ambivalent, avec qui le narrateur ne s’identifie nullement[95], encore que le terme de fanatique ne doive pas, selon certains commentateurs, induire Ă  penser que l’écrivain adhĂ©rait au paradigme de fanatisme religieux, de folie et de perturbation, le terme fanatique exprimant ici seulement la vĂ©nĂ©ration dont faisait l’objet la figure du Conselheiro, l’adhĂ©sion complĂšte aux idĂ©es divines supposĂ©es Ă©maner de sa figure[113]. Melo Franco au demeurant jugeait positive l’influence d’AntĂŽnio Conselheiro sur les gens des sertĂ”es, car « nul autre pouvoir humain ne parvint, comme il le fit, Ă  dompter ce peuple rude, Ă  en faire un grand instrument de discipline, l’arrachant en mĂȘme temps aux manifestations du banditisme »[114].

Aux yeux de Melo Franco, le mĂ©tissage n’apparaĂźt donc reprĂ©senter aucun problĂšme pour les peuples d’AmĂ©rique. Au travers de la description d’Aninha, protagoniste cabocla du roman Os Jagunços, Melo Franco sous-entend que du mĂ©lange ethnique rĂ©sultera quelque chose de nouveau, le mĂ©tis, « dans lequel ne pourront plus ĂȘtre discernĂ©es les hĂ©rĂ©ditĂ©s de telle ou telle descendance, dĂ©sormais unifiĂ©es »[115]. De fait, Melo Franco faisait sienne la thĂšse sur la formation raciale du BrĂ©sil soutenue par le naturaliste allemand Carl von Martius et publiĂ©e dans la revue de l’Institut historique et gĂ©ographique brĂ©silien en 1845 ; cette thĂšse, qui tenait que le BrĂ©sil se serait constituĂ© par la conjonction de trois races diffĂ©rentes — blancs, indiens et noirs —, donna lieu Ă  controverse dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XIXe siĂšcle, prenant en effet le contre-pied des thĂ©ories racialistes qui postulaient la dĂ©gĂ©nĂ©rescence du mĂ©tis, plus spĂ©cialement des affirmations de Gobineau que les BrĂ©siliens ne seraient qu’une « bande » de mulĂątres et de mĂ©tis, Ă  complexion rachitique, rĂ©pugnants et dĂ©sagrĂ©ables Ă  l’Ɠil[116]. Melo Franco pour sa part n’estimait pas que le mĂ©lange des races pĂ»t ĂȘtre de quelque façon prĂ©judiciable Ă  l’avenir du BrĂ©sil, comme le pensaient plusieurs intellectuels de l’époque[117].

Le livre de Melo Franco est donc Ă  comprendre comme une importante Ă©tape dans l’effort de valorisation du sertĂŁo et du sertanejo en tant qu’expression de l’identitĂ© nationale ; cependant, l’attention des analystes ayant Ă©tĂ© quasiment monopolisĂ©e par Os SertĂ”es de Da Cunha, Os Jagunços ne sera que mĂ©diocrement pris en considĂ©ration et l’on fera peu pour en saisir toute la portĂ©e. De surcroĂźt, la vision qu’a Melo Franco sur le sertĂŁo et le sertanejo vient, dans le roman, se placer dans la perspective monarchiste propre Ă  l’auteur. Deux points de vue continuellement affirmĂ©s dans l’ouvrage de Da Cunha — la rĂ©futation de la thĂšse d’une visĂ©e restauratrice sous-tendant le mouvement de Canudos, et la mise en Ă©vidence des injustices commises Ă  l’endroit des populations du sertĂŁo — irriguent Ă©galement tout le livre de Melo Franco, qui « [...] va rĂ©affirmer ces deux idĂ©es centrales, devançant en cela de quelques annĂ©es le sens gĂ©nĂ©ral du livre d’Euclides [...] »[118]. Aussi la guerre de Canudos aura-t-elle un grand rĂŽle Ă  jouer dans le rĂ©ajustement de la façon dont ce sertanejo sera apprĂ©hendĂ© par le reste du BrĂ©sil, ainsi que l’indique l’auteur lui-mĂȘme Ă  la fin de l’article susmentionnĂ© : « Ils reçurent le splendide et mystĂ©rieux baptĂȘme du sang, et, ceints de ce pourpre, ouvrirent les portes de la nationalitĂ© brĂ©silienne Ă  leurs frĂšres du sertĂŁo »[119].

Notas do Dia

En 1900, Melo Franco fit paraĂźtre Notas do Dia, livre rĂ©unissant une sĂ©rie d’articles et de textes traitant de thĂšmes divers et publiĂ©s antĂ©rieurement, entre 1895 et 1899, dans plusieurs journaux tels que O Estado de Minas et O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo, ainsi que dans la revue Revista Brasileira[120].

Le premier article, intitulĂ© O Passado de Minas e a InconfidĂȘncia et datĂ© du , veut, en Ă©voquant et en tentant de saisir les Ă©vĂ©nements de l’InconfidĂȘncia Mineira de 1789, rendre hommage au courage et Ă  la vertu de personnages hĂ©roĂŻques tels que Tiradentes, lequel est prĂ©sentĂ©, de mĂȘme que l’InconfidĂȘncia, sous un jour favorable. Avant cela cependant, l’auteur avait abordĂ© le sujet de la colonisation portugaise, en mettant en valeur l’action des bandeirantes qui, avec tout leur aspect aventurier, explorĂšrent, dĂ©frichĂšrent et colonisĂšrent le Minas Gerais. L’on remarque que ce jugement positif de la colonisation et des bandeirantes allait Ă  l’encontre d’autres lectures contemporaines de cette pĂ©riode historique, notamment celle de Paulo Prado dans Retrato do Brasil, ouvrage dans lequel les bandeirantes et la colonisation portugaise sont prĂ©sentĂ©s comme le fruit de la cupiditĂ© des colonisateurs, en quĂȘte d’un enrichissement rapide, disposition d’esprit qui, selon Prado, orientera tout le processus colonisateur et imprĂ©gnera du mĂȘme coup la formation de la nationalitĂ© brĂ©silienne, en effet : « Les groupements ethniques de la colonie [...] n’avaient pas d’autre motif idĂ©aliste, si ce n’est celui de dĂ©couvrir des trĂ©sors dans les excavations des montagnes et dans les ravines et riviĂšres de l’intĂ©rieur [...] ». C’est de la colonisation nord-amĂ©ricaine que pour sa part, et par opposition Ă  celle portugaise au BrĂ©sil, Paulo Prado fait l’éloge. Le peuple brĂ©silien serait un peuple triste, empreint d’une mĂ©lancolie qui serait la consĂ©quence de l’aviditĂ© et de la luxure des colonisateurs. Au contraire, Melo Franco prit la dĂ©fense des bandeiras, discernant dans le Minas Gerais un hĂ©ritage bandeirante, qu’il s’efforcera toujours de mettre en valeur. Il voyait mĂȘme dans la volontĂ© d’enrichissement, qu’il ne nia pas, une caractĂ©ristique positive, compte tenu des difficultĂ©s Ă  surmonter pour mettre sur pied les expĂ©ditions, en particulier la nĂ©cessitĂ© de les financer de sa propre bourse[121]. L’auteur trace un bref historique de son État d’origine, mettant en relief l’extraction de l’or et l’organisation politique au travers des chambres municipales, pour aboutir Ă  la pĂ©riode qui permit l’apparition d’intellectuels tels que ClĂĄudio Manoel da Costa, BasĂ­lio da Gama, et d’autres, tous Ă©tudiants qui avaient Ă©tĂ© baignĂ©s dans les productions littĂ©raires des LumiĂšres, le Contrat social de Rousseau et l’Esprit des lois de Montesquieu, principalement. Le pouvoir croissant des chambres municipales eut pour effet d’éveiller le dĂ©sir d’autonomie, mouvement dont le « [...] foyer fut le Minas Gerais, la premiĂšre des capitaineries d’alors, par sa population, son commerce et son importance Ă©conomique »[122]. Pour Melo Franco, « [...] l’InconfidĂȘncia ne fut ni une conspiration, ni une rĂ©volte, mais une propagande en action »[122], et en tant que telle, elle avait besoin d’un instrument captivant, populaire, que fournira la figure de Tiradentes. Celui-ci incarnera l’élĂ©ment populaire dans un mouvement menĂ© en premier lieu par l’élite de la capitainerie, laquelle, outre des intellectuels, comprenait des propriĂ©taires fonciers, des membres du clergĂ©, des militaires, etc. Tiradentes Ă©tait le trait d’union entre le peuple et le mouvement, sans lequel l’indĂ©pendance serait difficile Ă  rĂ©aliser[123].

Le , Melo Franco prononça une confĂ©rence devant les Ă©lĂšves du LycĂ©e Mineiro d’Ouro Preto, confĂ©rence intitulĂ©e CristĂłvĂŁo Colombo e a Descoberta da AmĂ©rica (litt. Christophe Colomb et la DĂ©couverte de l’AmĂ©rique), oĂč il exposa sa vision du Nouveau Monde et de son dĂ©couvreur. La colonisation tant espagnole que portugaise de l’AmĂ©rique y est prĂ©sentĂ©e d’une façon contemplative et romantisĂ©e, et les peuples d’AmĂ©rique, les pays du continent, de mĂȘme que Colomb lui-mĂȘme sont Ă©voquĂ©s sous un jour favorable. Les combats, les affrontements avec les indigĂšnes et les esclaves noirs, l’annĂ©antissement des cultures amĂ©rindiennes, l’introduction de valeurs nouvelles, apparaissent dans l’exposĂ© comme constituant une grande Ă©popĂ©e et comme un Ă©lĂ©mĂ©nt essentiel dans la genĂšse de l’identitĂ© nationale de chacun des pays concernĂ©s, sans que l’auteur ne cherche Ă  prendre la dĂ©fense des cultures indigĂšnes supplantĂ©es ni non plus d’ailleurs Ă  valoriser outre mesure le peuple conquĂ©rant respectif[124]. Le rĂ©sultat de ce processus de conquĂȘte serait selon Melo Franco un lieu de prĂ©Ă©minence sur la scĂšne mondiale, prenant rang parmi les États les plus importants. Dans la caractĂ©risation qu’il donne des diffĂ©rentes cultures nationales ainsi crĂ©Ă©es, l’auteur ne semble accorder aucun rĂŽle aux cultures indigĂšnes prĂ©colombiennes, et ne veut voir le caractĂšre national que comme l’aboutissement d’un processus historique affectant les territoires colonisĂ©s d’abord, les États indĂ©pendants ensuite. En contrepartie, et contrairement Ă  beaucoup d’intellectuels brĂ©siliens de son Ă©poque, Melo Franco ne percevait pas l’Europe comme modĂšle et les cultures amĂ©ricaines contemporaines comme vouĂ©es Ă  l’échec ou culturellement attardĂ©es. Il s’érige en dĂ©fenseur de l’identitĂ© nationale spĂ©cifique de chaque pays, condamnant, dans le cas prĂ©cis du BrĂ©sil, les habitudes europĂ©ennes adoptĂ©es par les Ă©lites des grandes villes et insistant une nouvelle fois sur la valeur de la culture sertaneja, exempte d’étrangĂ©rismes, parangon du caractĂšre national brĂ©silien, façonneur de la nationalitĂ©[125]. La vision de la majoritĂ© des monarchistes, y compris de Taunay et de Melo Franco, sur les autres pays d’AmĂ©rique du Sud Ă©tait celle Ă©galement d’Eduardo Prado, Ă  savoir que l’Empire du BrĂ©sil avait Ă©tĂ© synonyme d’unitĂ© et le contre-pied du caudillisme des pays voisins ; la nation brĂ©silienne reprĂ©sentait l’« ordre », en opposition au « chaos » des rĂ©publiques limitrophes. Le projet impĂ©rial brĂ©silien Ă©tait prĂ©sentĂ© comme incarnant l’idĂ©al de « civilisation » du Nouveau Monde, tandis que l’idĂ©e de la « barbarie » venait Ă  s’appliquer aux rĂ©publiques hispano-amĂ©ricaines. La monarchie centralisĂ©e aurait jouĂ© un rĂŽle fondamental dans le maintien de l’unitĂ© territoriale et dans la diffusion de la culture et de la connaissance[126].

Du reste, Melo Franco vouait une grande admiration et un grand respect Ă  Taunay, Ă  telle enseigne qu’il Ă©crivit un article en son hommage, intitulĂ© Visconde de Taunay et publiĂ© Ă  l’occasion de sa mort le dans le journal O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo. Dans cet article, repris dans Notas do Dia, Melo Franco fait l’éloge de la puissance crĂ©atrice de Taunay et de sa fidĂ©litĂ© Ă  la famille royale, soulignant notamment qu’« [...] au dĂ©part du problĂšme social, il reconnut que la RĂ©publique ne fit rien sinon augmenter nos vices, relĂącher nos mƓurs, mettre en pĂ©ril notre futur. Pour cette raison, lui, qui Ă©tait libĂ©ral, combattit la RĂ©publique, qui nous entraĂźna vers l’affaiblissement, le mauvais gouvernement et l’indignitĂ© »[127].

De retour de son premier voyage en Europe, ayant dĂ©jĂ  Ă©lu domicile Ă  SĂŁo Paulo et acceptĂ© le poste de rĂ©dacteur en chef du journal O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo, Melo Franco rĂ©digea un article datĂ© du et prenant pour sujet la RĂ©volution française, 14 de Julho (). Au yeux de l’auteur, la prise de la Bastille n’est qu’un pur symbole crĂ©Ă© par les rĂ©volutionnaires ; comme Ă©vĂ©nements rĂ©ellement marquants, l’auteur prĂ©fĂšre mettre en avant, dans son article, d’autres faits qui auraient mĂ©ritĂ© d’avoir davantage Ă©tĂ© mis en exergue. En effet, selon lui :

« Mais la prise de la Bastille est un symbole. Le fait en lui-mĂȘme est de moindre importance. Bien plus glorieuses seraient les dates du 5 mai – l’ouverture des États gĂ©nĂ©raux ; du 17 juillet – transformation des États gĂ©nĂ©raux en AssemblĂ©es nationales ; surtout, le 20 juin – le serment du jeu de paume – et le 4 aoĂ»t, oĂč furent abolis les privilĂšges fĂ©odaux et oĂč fut conçue la glorieuse et inoubliable DĂ©claration des droits de l’homme[128]. »

Il importe de renoncer Ă  toute vision mythique du processus rĂ©volutionnaire et d’effectuer une lecture critique des Ă©vĂ©nements. Une telle lecture passe premiĂšrement par une rĂ©interprĂ©tation des protagonistes, oĂč les grandes figures de la rĂ©volution ne doivent ĂȘtre vus ni comme des hĂ©ros, ni comme des dĂ©mons, en effet : « [...] ce sont simplement des hommes, emportĂ©s par des Ă©vĂ©nements dont ils furent incapables de brider le courant, dominĂ©s qu’ils Ă©taient per l’aveuglement et la fiĂšvre d’évĂ©nements qui Ă©taient sans prĂ©cĂ©dent Ă  l’époque dans laquelle ils vivaient ». Il s’agit d’abandonner les interprĂ©tations de ceux que Melo Franco appelle des « historiens fantaisistes », affairĂ©s Ă  peindre la rĂ©volution comme une reprĂ©sentation thĂ©Ăątrale. Sans ces dramatisations, « [...] cette pĂ©riode-lĂ  apparaĂźtra plus vĂ©ritablement dramatique dans son dĂ©veloppement et dans son importance, moins thĂ©Ăątrale et moins mise en scĂšne. [...] un grand drame de la vie rĂ©elle »[129]. L’auteur dĂ©clare par ailleurs : « Et la France d’aujourd’hui [1897] est la mĂȘme France aristocrate et centralisĂ©e, ayant un prĂ©sident qui est un monarque Ă©lu, avec un mandat de sept annĂ©es, renouvelable aux termes de la constitution »[130]. Les rĂ©volutionnaires instaurĂšrent le rĂšgne de la loi, Ă  travers la Constitution, ce qui est, en bien ou en mal, un acquis pour les sociĂ©tĂ©s humaines du monde. L’aspiration Ă  l’égalitĂ©, Ă  la libertĂ© et Ă  la fraternitĂ©, quelque utopique qu’elle fĂ»t, a Ă©tĂ© une voie d’inspiration pour d’autres pays, pas seulement en Europe[131].

La mĂȘme annĂ©e 1897, Melo Franco fit paraĂźtre dans le journal O ComĂ©rcio de SĂŁo Paulo deux articles commĂ©moratifs de l’empereur Pierre II, dont les dates de parution, le pour le premier (qui avait pour titre Dois de Dezembro: AniversĂĄrio NatalĂ­cio de D. Pedro II, soit Deux dĂ©cembre : anniversaire de la naissance de Pierre II), et le pour le second (qui portait le titre Dom Pedro II), renvoient Ă  la date de naissance et de dĂ©cĂšs, respectivement, de Dom Pedro II. Dans le premier article, l’auteur loue la pĂ©riode impĂ©riale comme instigatrice du dĂ©veloppement du BrĂ©sil et comme garantie de l’unitĂ© nationale. En outre, il forge une image gĂ©nĂ©reuse, presque de piĂ©tĂ©, de l’ancien empereur confrontĂ© aux Ă©vĂ©nements qui le conduisirent Ă  l’exil, et construit une symbolique mystique et sobre de la figure impĂ©riale. Quoique victime, selon Melo Franco, l’empereur ne prononça aucune parole offensive contre le peuple ou contre la patrie brĂ©silienne, ni mĂȘme contre les rĂ©publicains. AprĂšs s’ĂȘtre plu Ă  mettre en Ă©vidence les rĂ©alisations du BrĂ©sil impĂ©rial, ses grandes personnalitĂ©s littĂ©raires, telles que JosĂ© de Alencar, Gonçalves Dias, son industrie et ses travaux, l’auteur se lance dans une critique de la RĂ©publique : « Que nous a donnĂ© jusqu’ici, en huit ans, le drapeau Ă  l’écriteau-comĂšte (« bandeira marca-cometa ») ? La pauvretĂ©, le discrĂ©dit, la haine et le deuil »[132]. Le second article est de mĂȘme tendance et poursuit dans le sens de l’exaltation de la figure de l’empereur : « Pierre II fut le rayonnement olympique des vertus chrĂ©tiennes, si fuyantes, si lointaines aujourd’hui, que nous ne les considĂ©rons plus que comme l’écho d’antiques balades, comme le suave parfum d’un passĂ© distant, comme un mirage fugace [...] »[133].

De date un article en mĂ©moire et hommage Ă  AndrĂ© Rebouças, ingĂ©nieur et abolitionniste, qui exerça une grande influence sur Pierre II, et se joignit Ă  la famille royale quand celle-ci partit pour l’exil aprĂšs la proclamation de la rĂ©publique en 1889. Pour Melo Franco, l’action de Rebouças en faveur de la cour dĂ©chue apparaĂźt hautement louable et propre Ă  racheter le peuple brĂ©silien aprĂšs l’injustice commise le . L’article prĂ©sente Rebouças comme un Ă©minent ingĂ©nieur et comme le dĂ©fenseur des idĂ©es abolitionnistes, mais surtout comme un avocat de la dĂ©mocratie, ce qui contribua Ă  sa dĂ©cision d’accompagner l’empereur en exil. En somme, indique Melo Franco, Rebouças n’était pas rĂ©publicain, mĂȘme s’il dĂ©fendait les idĂ©es dĂ©mocratiques[134].

Le , toujours pour le compte d’O CommĂ©rcio de SĂŁo Paulo, l’auteur rĂ©digea un article intitulĂ© 1498-1898: o 4Âș centenĂĄrio da expedição de Gama as Índias, oĂč il commenta les festivitĂ©s ayant lieu au Portugal autour du quatriĂšme centenaire de la dĂ©couverte des nouvelles voies maritimes. Si Melo Franco cĂ©lĂ©bra ces Ă©vĂ©nements, ce ne fut pas tant pour la gloire de Vasco de Gama, que pour mettre en valeur les activitĂ©s commĂ©moratives desquelles cette cĂ©lĂ©bration fut l’occasion, activitĂ©s qui, dans son opinion, eurent pour effet de remettre Ă  l’honneur les principes nationaux et de fortifier la Patrie portugaise. Au-delĂ  cependant de cet encensement de la nationalitĂ© portugaise, et plus largement des identitĂ©s nationales et des nations en gĂ©nĂ©ral, Melo Franco percevait la mĂ©moire du Portugal ainsi revigorĂ©e comme faisant partie intĂ©grante de l’histoire du BrĂ©sil lui-mĂȘme, occasion pour l’auteur d’affirmer et de dĂ©fendre les liens historiques indĂ©fectibles entre les deux pays. Les hĂ©ros du pays europĂ©en en effet se confondent ou se mĂȘlent avec les hĂ©ros du BrĂ©sil, et l’apothĂ©ose portugaise est aussi « [...] l’apothĂ©ose de notre race »[135].

Enfin, dans un dernier article important de ce mĂȘme livre, Melo Franco soumet Ă  examen la pĂ©riode prĂ©sidentielle de Prudente de Morais. Ce texte, intitulĂ© 1894-1898, datĂ© du , date anniversaire de la RĂ©publique et dernier jour du mandat de Prudente de Morais, l’auteur, qui Ă©nonce au passage que « quiconque dĂ©pend aujourd’hui du pouvoir est une victime de plus de la rĂ©publique »[136], dĂ©crit un prĂ©sident qui avait accĂ©dĂ© Ă  un poste encore tout imprĂ©gnĂ© de rĂ©miniscences militaires, ce qui fera de lui quasiment un « hĂŽte indĂ©sirable ». Les dĂ©cisions et actions du prĂ©sident se ressentirent ensuite de cette ambiance hostile, faisant de son gouvernement presque exclusivement un gouvernement d’expĂ©dients, incapable de grandes actions. L’acte le plus important de son gouvernement fut la guerre de Canudos, avec toutes les dissensions que celle-ci engendra. AprĂšs la guerre et Ă  la suite de l’attentat du , son gouvernement se concentrera dĂ©sormais Ă  rĂ©primer les opposants et Ă  tenter de surmonter une grave situation financiĂšre, hĂ©ritĂ©e du gouvernement de Floriano Peixoto. L’article se termine par ce passage :

« [...] de tous les gouvernements, celui de la population est le plus sanguinaire, et celui des militaires le plus dispendieux : or nous eĂ»mes, en mĂȘme temps, un gouvernement populaire et un gouvernement de soldats, c’est-Ă -dire quelque chose de pire que chacun d’eux, et oĂč les deux vinrent se fondre – le gouvernement de la population en uniforme, autrement dit, le gouvernement des patriotes[137]. »

HistĂłrias e Paisagens

Dans cet ouvrage, collection d’articles publiĂ©e aprĂšs la mort de Melo Franco, celui-ci s’applique en premier lieu Ă  dĂ©crire la terre et sa mise en valeur agricole, mais se penche Ă©galement sur quelques facettes de l’industrialisation, dont l’auteur estimait qu’elle Ă©tait susceptible d’apporter des bĂ©nĂ©fices au BrĂ©sil. Ce point de vue se trouve clairement exprimĂ© dans l’article intitulĂ© Terra Roxa (litt. Terre pourpre), Ă©crit en , Ă  l’origine pour le journal O Jornal do CommĂ©rcio, et oĂč l’auteur brosse un portrait de la rĂ©gion de SĂŁo Paulo, devenue un grand centre de production de cafĂ©. Sur la question de l’industrialisation, Melo Franco s’attache ici Ă  dĂ©velopper deux aspects particuliers : premiĂšrement, sa crainte que l’industrialisation ne conduise Ă  dĂ©daigner la culture de la terre, et deuxiĂšmement, sa position en principe favorable Ă  la construction de chemins de fer, dont l’auteur escompte des avantages pour son pays. Cependant, ce point de vue sur l’industrialisation n’est pas sans ambiguĂŻtĂ©s ; en mĂȘme temps qu’il se montre partisan du progrĂšs, il redoute la dĂ©naturalisation des campagnes de l’intĂ©rieur, considĂ©rĂ©es comme la vĂ©ritable nation brĂ©silienne. De fait, Afonso Arinos se limite Ă  prĂ©coniser une certaine amĂ©lioration des conditions d’existence dans les Ă©tendues de l’intĂ©rieur, mais sans que le mode de vie traditionnel du sertĂĄo n’en perde ses caractĂ©ristiques essentielles, et surtout sans que l’intĂ©rieur ne dĂ©laisse sa vocation nationale, qui est agricole, vocation symbolisĂ©e ici par la terra roxa, la terre rouge[138].

Compte tenu que le BrĂ©sil est une terre de contrastes, avec des rĂ©gions peu propices Ă  une vie humaine florissante, compte tenu aussi que la nature sous les tropiques ne se laisse pas dominer sinon par un effort constant et par l’intelligence, l’on est fondĂ© Ă  affirmer, selon Melo Franco, que le peuple brĂ©silien mĂ©rite tous les Ă©loges et que le BrĂ©sil sera un pays de plus en plus beau, et dans une mesure sans cesse croissante l’Ɠuvre mĂȘme de son peuple. À cet Ă©gard, c’est avant tout l’homme du sertĂŁo, le sertanejo, le Nordestin qu’il faut bĂ©nir, puisque c’est lui l’individu capable de dompter la nature et de survivre dans un espace hostile. Melo Franco prĂŽne le sacrifice individuel pour les intĂ©rĂȘts de la patrie[139].

Melo Franco par ailleurs argue que l’adhĂ©sion Ă  la seule patrie matĂ©rielle, au territoire national, ne suffit pas Ă  faire nation. En plus de cette partie tangible de leur patrie, les BrĂ©siliens sont les dĂ©positaires de son Ăąme, de son esprit vivifiant, de son moral qui est « [...] formĂ© de l’histoire, de la religion, de la langue, des traditions, des us et coutumes communs. C’est cette patrie morale qui nous fait apprĂ©hender et aimer la patrie matĂ©rielle [...] »[140]. S’employant Ă  identifier les aspects culturels communs, mais se heurtant Ă  un processus tendant Ă  la dĂ©centralisation culturelle rĂ©gionale, Afonso Arinos Ă©voque l’idĂ©e d’une nation Ă  Ă©difier qui devrait avancer dans le sens de l’union de ses richesses culturelles et de la prĂ©servation de son unitĂ© territoriale[120].

Unidade da PĂĄtria

Chez les intellectuels contemporains de Melo Franco, principalement chez les monarchistes, existait la crainte d’une possible fragmentation du BrĂ©sil. Il Ă©tait redoutĂ© que la constitution fĂ©dĂ©raliste du nouveau rĂ©gime politique rĂ©publicain ne fĂ»t incapable de garder le territoire uni et que la diversitĂ© et les disparitĂ©s prĂ©sentes dans un pays d’une telle envergure territoriale n’en fussent exacerbĂ©es au point de provoquer son dĂ©membrement. Melo Franco, qui, en tant que monarchiste, partageait cette crainte d’un Ă©clatement du BrĂ©sil, exprima sa position sur ce sujet dans une confĂ©rence intitulĂ©e A Unidade da PĂĄtria, prononcĂ©e Ă  Belo Horizonte au milieu des annĂ©es 1920 au bĂ©nĂ©fice des victimes nordestines de la grande sĂ©cheresse de 1914-1915, et dont le texte sera publiĂ© aprĂšs sa mort. Pour Melo Franco, la rĂ©publique Ă©tait, en voulant implanter au BrĂ©sil un systĂšme fĂ©dĂ©ral sur le moule nord-amĂ©ricain, en train de dĂ©truire des siĂšcles d’efforts tendant Ă  l’unitĂ© nationale, en effet « [...] la fĂ©dĂ©ration, telle qu’elle fut mise en Ɠuvre, en sĂ©parant violemment les provinces auparavant unies, est la voie vers le dĂ©membrement [...] »[22]. Il importe au contraire de tout mettre en Ɠuvre pour renforcer l’unitĂ© nationale[23].

Un premier trait important de cette confĂ©rence est la tonalitĂ© critique constante vis-Ă -vis de la rĂ©publique, que ce soit de maniĂšre directe ou par le biais d’une sĂ©rie de mĂ©taphores. P.ex., en guise de prĂ©ambule Ă  sa confĂ©rence, il retrace briĂšvement l’histoire des sĂ©cheresses, et, aprĂšs avoir signalĂ© la cyclicitĂ© de celles-ci, rappelle le dĂ©roulement de la grande sĂ©cheresse du milieu du XIXe siĂšcle, l’une des pires de tous les temps, mais en l’espĂšce fortement allĂ©gĂ©e par une intervention de grande ampleur et dĂ©cisive de la couronne impĂ©riale en faveur des victimes du flĂ©au, intervention qu’il met ironiquement en regard de la modeste aide organisĂ©e par le gouvernement rĂ©publicain[141].

Cependant, mĂȘme lorsqu’il Ă©gratigne la rĂ©publique, Melo Franco maintient une vision positive du BrĂ©sil et un sentiment optimiste quant Ă  la position que le pays est en mesure d’atteindre sur la scĂšne mondiale, vision qui Ă  son tour sous-tend son plaidoyer pour la prĂ©servation de l’unitĂ© du pays de sorte Ă  couper court Ă  toute vellĂ©itĂ© de dĂ©membrement. L’auteur insiste sur l’importance de mettre en relief une image positive de l’homme brĂ©silien, des choses du pays, et dĂ©peint le peuple brĂ©silien comme un peuple vigoureux, travailleur, capable de surmonter les difficultĂ©s par son labeur, et ce depuis le temps de la colonisation. L'Ă©tendue du territoire, cessant d’ĂȘtre un problĂšme, devient au contraire un avantage pour le dĂ©veloppement humain[142].

Un autre Ă©lĂ©ment qui porte l’auteur Ă  croire en la capacitĂ© du BrĂ©sil d’atteindre Ă  une place de choix sur la scĂšne mondiale est le caractĂšre mĂ©langĂ© de sa population, consĂ©cutif Ă  la colonisation et survenu naturellement entre les composantes europĂ©enne, indigĂšne et africaine, et que Melo Franco dans sa confĂ©rence considĂšre avec faveur. La sociĂ©tĂ© brĂ©silienne est, somme toute, une sociĂ©tĂ© harmonieuse, oĂč les conflits tendent Ă  s’attĂ©nuer[143]. Melo Franco juge donc positivement le caractĂšre mĂȘlĂ© de la population du BrĂ©sil et exprime sa foi en la combinaison fructueuse entre les Ă©lĂ©ments africain, portugais et indien[144].

En prĂ©sence d’autant de facteurs propices pour le BrĂ©sil, c’est donc Ă  plus forte raison qu’il faut, selon l’auteur, insister sur la nĂ©cessitĂ© d’une union nationale en vue de constituer une nation unifiĂ©e, en minimisant les effets selon lui dĂ©lĂ©tĂšres de l’organisation fĂ©dĂ©raliste mise en place par la rĂ©publique ; en effet : « il est nĂ©cessaire que les forces dispersĂ©es de la culture brĂ©silienne s'agrĂšgent, entrent en contact, se reconnaissent [...] »[145]. L’unitĂ© nationale telle que prĂŽnĂ©e par Melo Franco est culturelle, idĂ©ologique, intellectuelle, et non administrative ; il affirme la nĂ©cessitĂ© d’une dĂ©centralisation administrative afin de prendre en considĂ©ration les Ă©normes disparitĂ©s gĂ©ographiques du territoire brĂ©silien, prĂ©cisant bien qu'« [...] unitĂ© nationale ne veut donc pas dire gouvernement unitaire »[146]. Pour l’auteur, c’est au peuple qu’il appartiendra de maintenir l’unitĂ© brĂ©silienne, par le biais notamment du vaste nombre de travailleurs issus du sertĂŁo qui quittent leur État d’origine pour trouver Ă  s’employer dans d’autres rĂ©gions, crĂ©ant de la sorte un rĂ©seau enchevĂȘtrĂ© de relations de travail susceptible de se rĂ©vĂ©ler primordial pour la cohĂ©sion nationale : « Et toutes ces gens, qui, luttant et souffrant, vont tissant une toile de solidaritĂ© de la population brĂ©silienne, sans rivalitĂ©s de naissance, ni de langue, ni de religion »[146]. L’auteur, valorisant ainsi le peuple brĂ©silien laborieux, le met en contrepoint des citadins des villes cĂŽtiĂšres, altĂ©rĂ©s d’élĂ©ments d’origine Ă©trangĂšre. Par la mise en contact d’individus provenant de rĂ©gions diffĂ©rentes pourra s’enclencher un processus de formation d’une communautĂ© culturelle unique, propre Ă  conglomĂ©rer le peuple brĂ©silien en une nation brĂ©silienne soudĂ©e, processus nĂ©cessitant selon l’auteur l’existence prĂ©alable d’une nation culturelle, afin que les valeurs en construction puissent ensuite servir Ă  sustenter l’unitĂ© nationale[147].

Toutefois, la tĂąche de construire la nation et d’éviter la fragmentation du pays n’incombe pas au peuple mais aux intellectuels. Melo Franco conçoit la nation comme une potentialitĂ©, comme une capacitĂ©, mais qui a besoin d’ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©e et guidĂ©e par des Ă©lites intellectuelles nationalistes. La culture et le peuple sertanejos, s’ils constituent les Ă©lĂ©ments garantissant cette potentialitĂ© du BrĂ©sil comme nation, ont besoin nĂ©anmoins d’une action dirigĂ©e et consciente. L’Empire avait entamĂ© ce processus, mais sa poursuite fut interrompue par l’avĂšnement de la rĂ©publique. Melo Franco, ne discernant pas, sous le rĂ©gime rĂ©publicain qu’il critique, cette capacitĂ© de direction raisonnĂ©e ni dans le peuple ni au sein des classes gouvernantes, cette mission incombera donc aux intellectuels. Cependant, les membres de l’intelligentsia brĂ©silienne se trouvent Ă©pars sur le territoire brĂ©silien, sans communication entre eux, sans ligne directrice. Il y a lieu par consĂ©quent, argue l’auteur, d’unir les classes cultivĂ©es : « Il est nĂ©cessaire que ces Ă©lĂ©ments dispersĂ©s se mettent en contact quotidien, s’associent et s’organisent pour l’action. Et cette action doit ĂȘtre une vĂ©ritable campagne civique pour le redressement du BrĂ©sil [...] »[148]. Cette tĂąche s’effectuera donc du haut vers le bas, l’auteur en effet affirmant : « [...] l’Ɠuvre dont nous parlons se situe en dehors et au-dessus des gouvernements, car c’est une Ɠuvre de rĂ©gĂ©nĂ©rescence sociale et politique, qui doit ĂȘtre engagĂ©e avec conviction et propulsĂ©e du haut, par les soins d’hommes cultivĂ©s, de la jeunesse dĂ©sintĂ©ressĂ©e et gĂ©nĂ©reuse, en vue de l’unitĂ© nationale ou de la formation de la conscience brĂ©silienne »[149].

História do Banco do Brasil, ouvrage dont la rédaction fut commencée par Afonso Arinos, puis poursuivie par le juriste Clåudio Pacheco Brasil.

Pour appuyer son idĂ©al d’unitĂ© nationale, Melo Franco fait une apologie de la patrie et du patriotisme comme Ă©lĂ©ments clef de cet idĂ©al. Son concept de patrie est reliĂ©e Ă  la notion de territoire et de sociabilitĂ© :

« [...] ce que reprĂ©sente l’idĂ©e de patrie, ce n’est certes pas en dernier lieu la terre chĂ©rie oĂč sont renfermĂ©s les restes des nos ancĂȘtres, oĂč les traditions et les coutumes sont celles dans lesquelles nous avons grandi, oĂč la langue est celle dans laquelle nous avons balbutiĂ© les premiers mots, oĂč, selon le dire du poĂšte, une illusion gĂ©mit dans chaque chant et oĂč pleure dans chaque chant une langueur. Cette idĂ©e, avec l’ensemble des sentiments qui en dĂ©coulent, constitue rĂ©ellement un des principes directeurs de la civilisation moderne[150]. »

Cette patrie brĂ©silienne qu’a en vue Afonso Arinos ne se confond pas avec celle imaginĂ©e par les premiers Portugais, c’est-Ă -dire une terre aux beautĂ©s tropicales, la terre enchantĂ©e ; la patrie que l’auteur envisage est plus rĂ©elle, plus problĂ©matique aussi (les calamitĂ©s naturelles vĂ©cues par le BrĂ©sil Ă  cette Ă©poque interdisant toute vision paradisiaque du pays), mais non moins enchanteresse pour autant ou infĂ©rieure[151].

ƒuvres parues

  • Pelo SertĂŁo (rĂ©cits, 1898)
  • Os jagunços (roman, 1898)
  • Notas do dia (articles de presse, 1900)
  • O contratador de Diamantes (rĂ©cit, posthume, 1917)
  • A unidade da PĂĄtria (confĂ©rence, 1917)
  • Lendas e TradiçÔes Brasileiras (posthume, 1917)
  • O mestre de campo (rĂ©cit, posthume, 1918)
  • HistĂłrias e paisagens (essais, 1921)
  • Ouro, ouro (inachevĂ©)

Liens externes et sources

Références

  1. Le mot sertĂŁo a pour pluriel sertĂ”es, pluriel rĂ©gulier en portugais. De sertĂŁo sont dĂ©rivĂ©s l’adjectif et le substantif sertanejo, resp. ‘relatif au sertĂŁo’ et ‘habitant du sertĂŁo’.
  2. MĂŽnica Pimenta Velloso, A brasilidade Verde-amarela: nacionalismo e regionalismo paulista, Ă©d. CPDOC, Rio de Janeiro 1987, p. 20.
  3. Vanderson Roberto Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 33.
  4. Vanderson Roberto Pedruzzi Gaburo, O sertão vai virar gente, mémoire de maßtrise, p. 44.
  5. Bruna de Carvalho Teixeira Silva, O espaço e o imaginårio popular nos contos de Afonso Arinos, mémoire de maßtrise, p. 14-15.
  6. B. de C. Teixeira Silva, O espaço e o imaginário popular [
], p. 15.
  7. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 12.
  8. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. .
  9. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 13.
  10. B. de C. Teixeira Silva, O espaço e o imaginário popular [
], p. 18.
  11. A guerra dos jagunços: o conflito de Canudos e o sertanejo nos escritos de Afonso Arinos, article de Flåvio Raimundo Giarola, paru dans Revista de História 5, 1-2 (2013), p. 207.
  12. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 206.
  13. B. de C. Teixeira Silva, O espaço e o imaginário popular [
], p. 19.
  14. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 14-15.
  15. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 9.
  16. Nísia Trindade de Lima, Um Sertão chamado Brésil, REVAM/LUPERJ, UCAM, Rio de Janeiro 1999. Cité par V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertão vai virar gente, p. 9.
  17. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 9-11.
  18. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 12. L’expression « BrĂ©sil brun » est de JosĂ© Carlos Reis, As identidades do Brasil: de Varnhagem a FHC, Ă©d. FGV, Rio de Janeiro 2000, p. 75.
  19. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 45-46.
  20. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 206. La citation de Melo Franco est tirĂ©e de HistĂłrias e paisagens, in : Obra completa, Rio de Janeiro, Instituto National do Livro, 1969, p. 826.
  21. Prononcée probablement en 1915, cf. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertão vai virar gente, p. 55, note 77.
  22. Melo Franco, Obra Completa, p. 888.
  23. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 51-52.
  24. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 23.
  25. LĂșcia Miguel Pereira, HistĂłria da literatura brasileira: prosa de ficção de 1870 a 1920, Ă©d. Itatiaia (Belo Horizonte) & Ă©d. de l'universitĂ© de SĂŁo Paulo (SĂŁo Paulo), 1988.
  26. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 25.
  27. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 26.
  28. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 24.
  29. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 28.
  30. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 29.
  31. Ricardo de Oliveira, Ficção, ciĂȘncia, histĂłria e a invenção da brasilidade sertaneja, coll. Ipotesi, UFJF), Juiz de Fora (Minas Gerais) 2000, note 36.
  32. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 30.
  33. Antonio Candido, Formação da literatura brasileira: momentos decisivos, éd. Itatiaia, Belo Horizonte 1975, p. 32.
  34. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, note 22.
  35. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 34.
  36. Opinion de LĂșcia Miguel Pereira, HistĂłria da literatura brasileira: prosa de ficção de 1870 a 1920. CitĂ© par V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 31.
  37. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 35-37.
  38. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 38.
  39. Afonso Arinos de Melo Franco, Histórias e paisagens, dans Obra Completa, Instituto Nacional do Livro, Rio de Janeiro 1969, p. 878. Cité par V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertão vai virar gente, p. 38.
  40. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 38-39.
  41. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 39.
  42. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 145.
  43. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 15.
  44. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 14.
  45. Selon une brùve monographie dans Biblioteca Digital, sur le site de l’UNESP.
  46. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 14 et 87.
  47. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 87.
  48. Oliveira Mello, De volta ao sertĂŁo: Afonso Arinos e o regionalismo brĂ©silien, 2e Ă©d., CĂĄtedra, Rio de Janeiro 1981, p. 126 ; citĂ© par F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 212.
  49. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 213.
  50. Dawid Danilo Bartelt, Nation gegen Hinterland. Der Krieg von Canudos in Brasilien: ein diskursives Ereignis, Ă©d. Franz Steiner Verlag, Stuttgart 2003, p. 298.
  51. SĂ­lvia Maria Azevedo, O Rei dos jagunços de Manuel BenĂ­cio. Entre a Ficção et a HistĂłria, prĂ©face Ă  la rĂ©Ă©d. de O Rei dos jagunços aux Ă©d. de l’universitĂ© de SĂŁo Paulo, SĂŁo Paulo 2003, p. 31.
  52. À ce propos, W. Nogueira GalvĂŁo s’interrogea : « [...] ou bien Euclides [da Cunha] utilisa Os Jagunços comme l’une des multiples sources sur lesquelles il appuya son ouvrage, sans le citer, ou bien Euclides comme Arinos [Melo Franco] se servirent d’une autre source qui laissa dans l’Ɠuvre des deux auteurs une mĂȘme marque distinctive [...] » (W. Nogueira GalvĂŁo, Saco de gatos: ensaios critiques, Ă©d. Duas Cidades, SĂŁo Paulo 1976, p. 77. CitĂ© par V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 92).
  53. D. D. Bartelt, Nation gegen Hinterland, p. 299.
  54. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 104.
  55. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 93.
  56. Melo Franco, Obra Completa, p. 124.
  57. Melo Franco, Obra Completa, p. 128.
  58. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 98.
  59. Luiz Mott, Cotidiano e vivĂȘncia religiosa: entre a capela e o culundu, dans : Laura M. Souza (dir.), HistĂłria da vida privada no BrĂ©sil, Ă©d. Companhia das Letras, SĂŁo Paulo 1997, tome I, p. 172.
  60. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 100.
  61. Melo Franco, Obra Completa, p. 137.
  62. Melo Franco, Obra Completa, p. 141.
  63. Melo Franco, Obra Completa, p. 183. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 104.
  64. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertão vai virar gente, p. 105-107. À ce propos, voir aussi Maria A. J. Veiga Gaeta, A cultura clerical e a folia popular, dans Revista Brasileira de História, São Paulo, n° 34, vol. 17, 1997 (lire en ligne).
  65. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 108.
  66. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 109.
  67. Melo Franco, Obra Completa, p. 203. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 110.
  68. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 110-111.
  69. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 111-113.
  70. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 114.
  71. Melo Franco, Obra Completa, p. 214. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 115.
  72. Melo Franco, Obra Completa, p. 214.
  73. Melo Franco, Obra Completa, p. 215. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 116.
  74. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 117.
  75. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 117-118.
  76. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 118-119.
  77. Melo Franco, Obra Completa, p. 242
  78. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 120.
  79. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 121.
  80. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 122-123.
  81. Melo Franco, Obra Completa, p. 253-254.
  82. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 124.
  83. Melo Franco, Obra Completa, p. 257.
  84. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 126.
  85. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 127-129.
  86. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 130.
  87. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 131.
  88. Melo Franco, Obra Completa, p. 291, note 168 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 133.
  89. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 133-134.
  90. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 135-136.
  91. Melo Franco, Obra Completa, p. 383.
  92. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 138.
  93. Tristão Athayde, Afonso Arinos, éd. LISA, INL, São Paulo 1981, p. 73. Cité par V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertão vai virar gente, p. 87.
  94. TristĂŁo AthaĂ­de, Afonso Arinos, p. 73.
  95. D. D. Bartelt, Nation gegen Hinterland, p. 300.
  96. D. D. Bartelt, Nation gegen Hinterland, p. 301.
  97. D. D. Bartelt, Nation gegen Hinterland, p. 300-301.
  98. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 91.
  99. Melo Franco, Obra Completa, p. 644, note 97 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 93.
  100. Melo Franco, Obra Completa, p. 643
  101. Melo Franco, Obra Completa, p. 645
  102. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 207.
  103. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 208.
  104. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 209.
  105. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 148.
  106. S. M. Azevedo, Préface 2003, p. 30.
  107. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 140.
  108. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 211.
  109. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 212.
  110. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços [
], p. 209. La citation de Prado est tirĂ©e de O catolicismo, a Companhia de Jesus e a colonização do BrĂ©sil, dans III centenĂĄrio do venerĂĄvel Joseph de Anchieta, Ă©d. Aillaud, Paris & Lisbonne 1900, p. 47.
  111. Afonso Celso, Porque me ufano do meu paĂ­s, p. 114.
  112. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços, p. 210.
  113. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertão vai virar gente, p. 120-121 ; F. R. Giarola, A guerra dos jagunços, p. 215.
  114. A. A. Melo Franco, “Os jagunços”, p. 244 ; F. R. Giarola, A guerra dos jagunços, p. 215.
  115. Vanderson Roberto Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 125.
  116. Georges Raeders, O inimigo cordial do Brasil: O Conde de Gobineau no Brésil, éd. Paz e Terra, Rio de Janeiro 1988, p. 90; F. R. Giarola, A guerra dos jagunços, p. 216.
  117. F. R. Giarola, A guerra dos jagunços, p. 216-217.
  118. W. Nogueira GalvĂŁo, Saco de gatos, p. 77 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 92.
  119. Melo Franco, Obra Completa, p. 645 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 144.
  120. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 65.
  121. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 65-67.
  122. Melo Franco, Obra Completa, p. 618.
  123. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 69-70.
  124. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 71.
  125. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 72.
  126. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 73-74.
  127. Melo Franco, Obra Completa, p. 682, note 97 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 74-75.
  128. Melo Franco, Obra Completa, p. 635 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 77.
  129. Melo Franco, Obra Completa, p. 635 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 78.
  130. Melo Franco, Obra Completa, p. 636 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 78.
  131. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 77-79.
  132. Melo Franco, Obra Completa, p. 651 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 80.
  133. Melo Franco, Obra Completa, p. 652 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 81.
  134. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 81-82.
  135. Melo Franco, Obra Completa, p. 658 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 82.
  136. Melo Franco, Obra Completa, p. 669.
  137. Melo Franco, Obra Completa, p. 670 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 83-84.
  138. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 63.
  139. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 64.
  140. Melo Franco, Obra Completa, p. 894 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 64.
  141. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 53.
  142. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 54.
  143. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 55.
  144. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 56.
  145. Melo Franco, Obra Completa, p. 889.
  146. Melo Franco, Obra Completa, p. 889 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 57.
  147. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 57-59.
  148. Melo Franco, Obra Completa, p. 891.
  149. Melo Franco, Obra Completa, p. 892 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 59-60.
  150. Melo Franco, Obra Completa, p. 893, note 78 ; V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 62.
  151. V. R. Pedruzzi Gaburo, O sertĂŁo vai virar gente, p. 62.
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.