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Pol Pot

Saloth SĂąr[note 1], nĂ© le [1] - [2] et mort le , plus connu sous le nom de Pol Pot[note 2], est un homme d'État cambodgien, chef des Khmers rouges et du Parti communiste du KampuchĂ©a.

Pol Pot
ប៉ុល ពត
Illustration.
Fonctions
Secrétaire du Parti communiste
du Kampuchéa
–
(18 ans, 9 mois et 14 jours)
Premier ministre
du Kampuchéa démocratique
–
(2 ans, 2 mois et 13 jours)
Président Khieu Samphùn
Prédécesseur Nuon Chea
Successeur Pen Sovan
–
(5 mois et 13 jours)
Président Khieu Samphùn
Prédécesseur Khieu Samphùn
Successeur Nuon Chea
Biographie
Nom de naissance Saloth SĂąr
Date de naissance
Lieu de naissance Prek Sbauv (Indochine française)
Date de dĂ©cĂšs (Ă  72 ans)
Lieu de décÚs Anlong Veng (Cambodge)
Nationalité Cambodgienne
Parti politique Parti communiste du Kampuchéa
Conjoint Khieu Ponnary (1920-2003)
Enfants 1
DiplÎmé de EFREI Paris
Profession Militaire

Signature de Pol Potប៉ុល ពត

Pol Pot
Premiers ministres du Cambodge

AprĂšs avoir dirigĂ© la guĂ©rilla khmĂšre rouge pendant la guerre civile, il est Ă  partir de 1975 le principal chef du rĂ©gime communiste cambodgien, un État communiste appelĂ© « KampuchĂ©a dĂ©mocratique », d'abord en tant que dirigeant de facto, puis officiellement en tant que Premier ministre de 1976 Ă  1979. Le programme d'Ă©tude sur les crimes du rĂ©gime khmer rouge de l'universitĂ© Yale Ă©value le nombre de victimes des politiques de son gouvernement Ă  environ 1,7 million de morts[4], soit plus de 20 % de la population de l'Ă©poque.

ChassĂ© du pouvoir par l'invasion vietnamienne, Pol Pot continue ensuite de diriger les maquis khmers rouges qui poursuivent la lutte contre les Vietnamiens. AprĂšs 1991, les Khmers rouges sont exclus du processus de paix au Cambodge. En 1997, Pol Pot, malade, est destituĂ© et arrĂȘtĂ© par son propre mouvement ; il meurt un an plus tard.

Jeunesse

Enfance et famille

Saloth Sùr appartient à une famille sino-khmÚre[note 3]. Son grand-pÚre Phem s'enrichit au milieu du XIXe siÚcle et participe matériellement à la révolte de 1885-1886 contre les Français, durant laquelle il serait mort dans une embuscade. Son pÚre s'appelle Loth, mais change de nom avec l'établissement de la colonisation française en Phem Saloth. Cheng, la tante de Sùr, sert auprÚs du roi Norodom Ier, sa fille devenant dans les années 1920 l'une des concubines de Sisowath Monivong[5].

SĂąr[note 4] serait nĂ© le [2] - [1]. Il a huit frĂšres et sƓurs[note 5]. Suoung, l'aĂźnĂ©, devient officier de palais Ă  vie en 1930. La premiĂšre fille, Roeung, devient l'une des concubines de Sisowath Monivong par l'intermĂ©diaire de sa cousine. Nhep, nĂ© en 1927, est le plus proche de SĂąr[5].

La famille Saloth est une famille de notables paysans. Établie Ă  Prek Sbauv (en), dans la province cambodgienne de Kampong Thom, elle possĂšde l'une des plus grosses maisons du village ainsi que 25 hectares de riziĂšres. L'environnement familial semble avoir Ă©tĂ© serein et les punitions corporelles moins courantes que la norme de l'Ă©poque. Si Loth raconte Ă  ses enfants l'engagement de son pĂšre (que SĂąr n'a pas connu) durant les conflits avec les Vietnamiens et ThaĂŻlandais, il ne fait pas Ă©talage de ses convictions politiques[5]. La superstition et la croyance en la magie tiennent alors une place trĂšs importante dans la sociĂ©tĂ© cambodgienne.

Un culte entoure le roi du Cambodge, présenté comme intrinsÚquement supérieur. C'est dans cet environnement et celui du bouddhisme theravāda que Saloth Sùr grandit[6] - [7].

En 1934, Saloth Sùr est envoyé par son pÚre à Phnom Penh[note 6] pour parfaire son éducation (le village ne possédant ni école ni wat), comme son grand frÚre Chhay avant lui[6]. Il intÚgre le Wat Botum Vaddei, un monastÚre-école à proximité du palais royal et tenu par le Dhammayuttika Nikaya, proche du pouvoir. Véritable village, ce wat accueille chaque année une centaine de novices, ùgés de 7 à 12 ans. L'éducation religieuse qui y est apportée est rigoureuse, l'organisation de la vie des apprentis et des moines stricte et l'individualité prohibée. Saloth Sùr y passe un an[note 7] et semble avoir apprécié cette période[8].

L'Ă©tĂ© 1935, il emmĂ©nage chez Suong et sa femme, chez qui habite dĂ©jĂ  son autre frĂšre Chhay, bientĂŽt rejoint par Nhep. Il intĂšgre Ă  la rentrĂ©e avec Chhay l'Ă©cole Miche dont les cours sont prodiguĂ©s en français par des prĂȘtres français et vietnamiens. L'accĂšs Ă  une telle Ă©ducation est alors le privilĂšge d'une petite minoritĂ© de Cambodgiens[9]. Saloth SĂąr est plutĂŽt un mauvais Ă©lĂšve, redoublant deux fois avant son certificat d'Ă©tudes primaires. Il Ă©choue au concours d'entrĂ©e au lycĂ©e Sisowath[note 8]. À la rentrĂ©e scolaire 1943, il intĂšgre le collĂšge Preah Sihanouk, situĂ© Ă  Kampong Cham, en tant que pensionnaire. Contrairement Ă  la plupart des Ă©lĂšves cambodgiens Ă  cette Ă©poque, Saloth SĂąr reçoit un enseignement imprĂ©gnĂ© de la RĂ©volution nationale[10]. Il ne se passionne toujours pas pour ses Ă©tudes, mais a plusieurs activitĂ©s pĂ©riscolaires (musique, sport
)[11]. Il y rencontre Lon Non, qui serait devenu l'un de ses meilleurs amis[12].

Saloth SĂąr n'est guĂšre touchĂ© par la politique, malgrĂ© la montĂ©e des sentiments anticolonialistes et nationalistes. Il est touchĂ©, comme l'ensemble de sa gĂ©nĂ©ration, par la haine sĂ©culaire qui oppose les Khmers aux Vietnamiens, haine renforcĂ©e par le nombre de Vietnamiens dans la fonction publique coloniale[13] - [14]. Ce n'est qu'en , avec le coup de force des troupes japonaises en Indochine, que l'actualitĂ© entre dans la vie du jeune SĂąr. À la suite de cet Ă©vĂšnement, la troupe de thĂ©Ăątre amateur de l'Ă©cole[note 9] quitte Kampong Cham pour partir en tournĂ©e dans le reste du Cambodge. Les vacances ayant Ă©tĂ© avancĂ©es en mai, Saloth SĂąr travaille alors dans le commerce[15].

À la rentrĂ©e scolaire de 1945, Saloth SĂąr progresse[16]. Il rĂ©ussit en 1947 Ă  intĂ©grer comme interne le lycĂ©e Sisowath de Phnom Penh, en mĂȘme temps que Lon Non[note 10], et loge ainsi chez Suong[12]. Tandis que ses amis et camarades s'initient peu Ă  peu Ă  la politique, il ne semble pas s'y intĂ©resser. Il Ă©choue au brevet Ă©lĂ©mentaire en 1948 et doit se rediriger vers une Ă©cole technique du Nord de Phnom Penh, Ă  l'atmosphĂšre « dĂ©primante » et violente. Il suit les cours de menuiserie et fait la rencontre de Nghet Chhopininto. Ayant rĂ©ussi son brevet d'Ă©tudes techniques un an plus tard, il fait partie des cinq Ă©lĂšves de l'Ă©cole Ă  recevoir une bourse pour partir Ă©tudier en France mĂ©tropolitaine. En aoĂ»t, une cĂ©rĂ©monie est organisĂ©e Ă  cette occasion[note 11] en prĂ©sence du roi Norodom Sihanouk[18]. Le lendemain, Saloth SĂąr et d'autres boursiers partent pour SaĂŻgon. Au bout d'une semaine, le matin du , ils embarquent au bord du bateau JamaĂŻque pour un voyage de quatre semaines, s'arrĂȘtant Ă  Singapour et Colombo[19].

Vie Ă  Paris et initiation politique

Ayant dĂ©barquĂ© Ă  Marseille, ils arrivent par train Ă  Paris le matin du . À la gare de Lyon, ils sont pris en charge par un fonctionnaire du ministĂšre de l'Éducation nationale et des membres de l'Association des Ă©tudiants khmers de France (AEK). Saloth SĂąr s'inscrit Ă  l'École française de radioĂ©lectricitĂ©[20] (devenue plus tard École d'ingĂ©nieur gĂ©nĂ©raliste en informatique et technologies du numĂ©rique), oĂč il Ă©tudiera de 1949 Ă  1953, Ă©cole qu'avait intĂ©grĂ© un an auparavant le prince Sisowath Somonopong. PlacĂ©s temporairement dans un foyer Ă©tudiant rue Monsieur-le-Prince, les Ă©tudiants doivent par la suite trouver par eux-mĂȘmes un logement, la Maison de l'Indochine de la CitĂ© internationale universitaire de Paris Ă©tant trop petite. Saloth SĂąr est aidĂ© dans cette recherche par le prince qui lui trouve un appartement. Il habite alors soit rue Amyot avec les deux fils du gouverneur de la province de Kratie soit au 17 de la rue LacĂ©pĂšde avec deux princes de la cour royale[note 12] - [21].

Malgré sa participation aux activités de l'AEK, Saloth Sùr se consacre avec assiduité à ses études, bien qu'il ne soit admis en deuxiÚme année que grùce à la session de rattrapage et qu'il sorte de l'école sans recevoir le diplÎme. Il participe l'été aux « brigades de travail » composées de volontaires internationaux pour aider à la reconstruction de la Yougoslavie proposées par l'AEK. Par l'intermédiaire de Rath Samoeun et Ieng Sary, Keng Vannsak (en) aide Saloth Sùr à trouver un nouveau logement, non loin du sien, au croisement de la rue du Commerce et de la rue Letellier[22]. Keng Vannsak, élu au comité exécutif de l'AEK, organise à partir de la fin des « Cercles d'étude » en son sein. En particulier, il commence à réunir chez lui deux à trois fois par mois un nombre restreint de ses connaissances en vue de discuter de l'Indochine française et de son avenir. Saloth Sùr, Rath Samoeun, Ieng Sary, Sien An, Ea Sichau et Hang Thun Hak y participent. Ces réunions sont le premier rapport direct du jeune Sùr avec la politique[23].

Dans le mĂȘme temps au Cambodge, le , Norodom Sihanouk Ă©cartait du pouvoir le Parti dĂ©mocrate, vainqueur des Ă©lections 9 mois plus tĂŽt et installait un nouveau gouvernement dont il prenait la tĂȘte. Saloth SĂąr, sous le pseudonyme Khmer Daeum (Khmer de base), attaquait Ă©nergiquement la royautĂ© dans le magazine Khemarak Nisat, littĂ©ralement l’Étudiant Khmer. Il affirmait que « les Ă©dits royaux n’affectent pas la solidaritĂ© des Ă©tudiants khmers, mais au contraire la renforcent ». Il rajoutait que « la dĂ©mocratie est un rĂ©gime auquel aspirent aujourd’hui tous les peuples du monde ; elle est aussi prĂ©cieuse qu’un diamant et ne peut ĂȘtre comparĂ©e Ă  aucun autre gouvernement. » Il faisait aussi remarquer que le prince Youtevong — l’ancien dirigeant des dĂ©mocrates — et le Bouddha Ă©taient tous deux antimonarchiques. Le ton de l’article Ă©tait plus proche des milieux nationalistes que de l’idĂ©ologie marxiste, mais le recul des dĂ©mocrates amenait Saloth SĂąr et d’autres Ă©tudiants cambodgiens Ă  se rapprocher des thĂšses du communisme[24].

Il rejoint ainsi les cercles du Parti communiste français, oĂč il fait la connaissance de Jacques Duclos qui devient son mentor[25] et de Jacques VergĂšs qui devient son ami[26].

Ascension vers le pouvoir

DĂ©but 1953, Saloth SĂąr reprenait le JamaĂŻque pour rentrer au Cambodge. Il quittait la France en ayant arrĂȘtĂ© sa scolaritĂ© et sans avoir obtenu de diplĂŽme. À Phnom Penh, il parla Ă  son frĂšre avec enthousiasme de son expĂ©rience en Yougoslavie et vantait les mĂ©rites de l’URSS. D’aprĂšs Keng Vannsak rentrĂ© avant lui, SĂąr quittait rapidement la capitale pour rejoindre les forces khmĂšres Issarak du prince Chantarainsey prĂšs de Kampong Spoe[27]. En aoĂ»t 1953, d’aprĂšs des sources vietnamiennes et cambodgiennes datant d’aprĂšs la chute du KampuchĂ©a dĂ©mocratique, il se serait prĂ©sentĂ© aux forces Việt Minh de l’Est cambodgien comme un membre du PCF[28]. En 1981, Ieng Thirith affirmera Ă  Elizabeth Becker que les Vietnamiens l’assignĂšrent Ă  des tĂąches humiliantes telles que le transport d’excrĂ©ments des latrines. Que ces informations soient fondĂ©es ou non, il semble que cette pĂ©riode lui ait Ă©tĂ© prĂ©cieuse pour la suite ; les responsables Việt Minh apprĂ©ciaient cette nouvelle recrue, avec son affabilitĂ©, ses relations au palais royal et son Ă©ducation française. SĂąr se fit Ă©galement repĂ©rer par Tou Samouth, futur responsable du Parti communiste du KampuchĂ©a, qui en fera son secrĂ©taire jusqu’à sa disparition en 1962[29].

Lorsque les Français se retirent d'Indochine en 1954, le roi Norodom Sihanouk est nommĂ© Ă  la tĂȘte de l'État. Comme plusieurs de ses contemporains, Saloth SĂąr s'oppose au nouveau pouvoir et entre dans un parti communiste de faible envergure, le Parti rĂ©volutionnaire du peuple khmer.

Activités clandestines à Phnom Penh

Dans le mĂȘme temps, il devient professeur de littĂ©rature française, d’histoire, de gĂ©ographie et d’instruction civique dans deux Ă©tablissements privĂ©s de Phnom Penh, Chamroeun Vichea et Kampuchaboth (1956-1963). L’écrivain Soth Polin qui suivit ses cours de littĂ©rature française Ă  Chamroeun Vichea en 1958 et 1959 se souvient de ses maniĂšres respectueuses, voire mielleuses, et qu'il affectionnait tout particuliĂšrement les poĂštes romantiques français du XIXe siĂšcle, notamment Alfred de Vigny et Paul Verlaine. Il parlait avec emphase, sans notes, cherchant parfois le terme correct mais sans jamais se laisser submerger par son lyrisme. Dans un article paru en 1981, Polin Ă©crit que la douceur du parler de celui qui allait devenir Pol Pot rappelait ses liens avec le palais royal et prĂ©figurait la courtoisie diabolique des discours du KampuchĂ©a dĂ©mocratique. Un autre lycĂ©en qui Ă©tudia l’histoire avec lui au dĂ©but des annĂ©es 1960 se souvient d’un professeur populaire auprĂšs de ses Ă©lĂšves et dont le comportement Ă©tait exemplaire. Il parlait un français facile Ă  comprendre et, dans ces cours, exaltait la croisade pour l’indĂ©pendance de Sihanouk en 1953. Enseigner l’histoire d’une autre façon lui aurait de toute façon attirĂ© des ennuis et aurait conduit ses Ă©tudiants Ă  rater leurs examens[30]. Un autre de ses Ă©lĂšves le dĂ©crit comme un homme trĂšs droit dont on voulait facilement se faire un ami et qui, comme sa femme Khieu Ponnary[note 13], parlait de maniĂšre fort courtoise. La plupart de ceux qui le connurent comme enseignant eurent beaucoup de mal, Ă  partir des annĂ©es 1970, Ă  admettre que les mĂ©faits dont on l’accusait pouvaient venir d’un homme Ă  l’époque si affable, dont les traits et le ton Ă©taient alors si doux[32].

En 1960, Ă  la faveur d’une rĂ©union secrĂšte tenue du 30 septembre au 2 octobre prĂšs de la gare de Phnom Penh, Saloth SĂąr intĂšgre le comitĂ© central du Parti ouvrier du KampuchĂ©a, nouveau nom du Parti rĂ©volutionnaire du peuple khmer[33].

À partir de 1962, la direction nationale du parti passe progressivement sous le contrĂŽle des anciens Ă©tudiants parisiens dont Ieng Sary et Saloth SĂąr sont les chefs de file[34]. En juillet de cette annĂ©e-lĂ , Tou Samouth, le secrĂ©taire du parti qui vivait au sud de Phnom Penh dĂ©guisĂ© en ouvrier agricole, disparait, probablement arrĂȘtĂ© et tuĂ© par la police du ministre de la DĂ©fense Lon Nol[35]. Toutefois, les AmĂ©ricains n’eurent pas connaissance de cet Ă©vĂšnement et Lon Nol lui-mĂȘme continuait en 1969 Ă  en parler comme s’il pensait qu’il Ă©tait toujours vivant[36]. Il est Ă©galement possible, si l’on se rĂ©fĂšre Ă  d’autres sources qui s’appuient notamment sur les confessions d’anciens membres du Parti ouvrier du KampuchĂ©a, que Saloth SĂąr ait Ă©tĂ© impliquĂ© dans la mort de son supĂ©rieur[37]. Quoi qu'il en soit, la disparition de Samouth faisait les affaires du futur Pol Pot, qui, comme il le dĂ©clarera plus tard, « assumait les fonctions de secrĂ©taire par intĂ©rim » durant le reste de l’annĂ©e 1962. MĂȘme si cela ne signifiait pas le dĂ©but de la politique d’indĂ©pendance du parti telle qu’elle sera appliquĂ©e par la suite, la faction proche de Saloth SĂąr prenait de l’importance et profitait Ă©galement du fait que le Pracheachon, la vitrine lĂ©gale du parti, renonçait Ă  prĂ©senter des candidats aux Ă©lections de 1962 et prononçait sa dissolution. Cela signifiait que le Parti ouvrier du KampuchĂ©a se recentrait sur ses activitĂ©s clandestines, voie qui n’était pas pour dĂ©plaire aux futurs dirigeants du KampuchĂ©a dĂ©mocratique[38].

Au début de 1963, les dirigeants urbains du Parti ouvrier du Kampuchéa se réunirent en secret ; certains documents khmers rouges des années 1970 évoquent un congrÚs auquel auraient participé 17 ou 18 membres et qui aurait eu lieu les 21 et (Ieng Sary a pour sa part déclaré que le congrÚs avait eu lieu sur une seule journée, le 8 mars). Sa principale décision fut de confirmer Saloth Sùr au poste de Secrétaire général en remplacement de Tou Samouth dont on était sans nouvelles depuis maintenant sept mois[39].

Quelques jours plus tard, Ă  la suite d’émeutes Ă©tudiantes Ă  Siem Reap qui s’étaient par la suite Ă©tendues au reste du pays, Sihanouk donnait les noms de « 34 Ă©lĂ©ments subversifs », accusĂ©s d’association en vue de renverser le gouvernement. La liste comprenait Ieng Sary, Saloth SĂąr et Son Sen ; les autres membres du parti ouvrier tels, Nuon Chea, So Phim, Ta Mok ou Vorn Vet (ja), n’apparaissaient pas sur ces listes. L’anonymat voulu par Ieng Sary et Saloth SĂąr venait de voler en Ă©clats, mĂȘme s’il ne semble pas que les services de Sihanouk aient pris conscience de leurs vĂ©ritables rĂŽles au sein du parti clandestin[40].

Le maquis

Au printemps 1963, tous deux quittent Phnom Penh et se mettent sous la protection de la guĂ©rilla vietnamienne, dans la forĂȘt prĂšs d’Ampil, village de la province de Kampong Cham, Ă  l'est du Cambodge. D’aprĂšs un entretien donnĂ© par Keng Vannsak Ă  David Porter Chandler, le futur Pol Pot aurait eu en tĂȘte ce dĂ©part depuis plus d’un an, ne sachant comment gĂ©rer les manƓuvres gouvernementales et se plaignant du manque de soutien que les sections urbaines du parti recevaient de ses « alliĂ©s Ă©trangers ». Son Sen les rejoignit peu aprĂšs, mais leurs femmes restĂšrent dans la capitale cambodgienne au moins jusqu’en 1965, sans jamais ĂȘtre inquiĂ©tĂ©es[41].

Toujours pendant cette annĂ©e 1963, une crise qui aura son importance pour le devenir du Cambodge Ă©clate. Norodom Sihanouk prĂ©texte le soutien apportĂ© aux rebelles Khmers Serei de Son Ngoc Thanh par les rĂ©gimes proamĂ©ricains de SaĂŻgon et Bangkok pour rompre, officiellement au dĂ©but de 1964, les relations diplomatiques avec les États-Unis et conclure un accord avec la Chine et le Nord-ViĂȘt Nam afin de faire transiter, contre avantage, l’aide aux maquis sud-vietnamiens par le port de Sihanoukville. Paradoxalement, cette situation mettait le parti ouvrier du KampuchĂ©a dans l’embarras. Il hĂ©sitait entre encourager la guĂ©rilla au Cambodge et attendre son heure. Les Vietnamiens, espĂ©rant tirer parti de la nouvelle conjoncture pour utiliser le territoire cambodgien afin de reconstituer et approvisionner leurs forces, poussaient pour la seconde solution. Saloth SĂąr et ses compagnons durent obtempĂ©rer, mais cela les conforta dans la certitude qui se faisait alors jour en eux d’ĂȘtre sacrifiĂ©s aux intĂ©rĂȘts vietnamiens[42].

Au dĂ©but de 1965, Saloth SĂąr se rendait en rĂ©publique dĂ©mocratique du ViĂȘt Nam. Dans le Livre noir, document publiĂ© en 1978 par le gouvernement du KampuchĂ©a dĂ©mocratique[43], Pol Pot admettait avoir sĂ©journĂ© au ViĂȘt Nam Ă  cette pĂ©riode, mais prĂ©tendant ĂȘtre seul Ă  la tĂȘte d’une dĂ©lĂ©gation, omettait de mentionner la prĂ©sence Ă  ses cĂŽtĂ©s de Keo Meas, entretemps victime des purges internes de 1976. À la mĂȘme Ă©poque, des dirigeants vietnamiens affirmaient que « Pol Pot et certains de ses amis » avaient passĂ© « quelques mois » au ViĂȘt Nam, sĂ©jour durant lequel ils avaient notamment rencontrĂ© HĂŽ Chi Minh Ă  plusieurs reprises, ainsi que des cadres de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration communiste khmĂšre, pour la plupart recasĂ©s dans l'administration nord-vietnamienne. Toujours d’aprĂšs le Livre noir, les dirigeants de HanoĂŻ, conduits par LĂȘ Duáș©n, sermonnĂšrent leurs homologues cambodgiens. Il semble que les Vietnamiens craignaient que les liens qu’ils avaient su tisser avec Sihanouk puissent ĂȘtre altĂ©rĂ©s par des actions inconsidĂ©rĂ©es des communistes khmers. En 1978, NguyĂȘñ Cao TháșĄch, ministre des Affaires Ă©trangĂšres de HanoĂŻ, se rappelait que Saloth SĂąr avait Ă©tĂ© enjoint de limiter la lutte contre le prince au seul domaine politique et d’exclure toute action violente. Du point de vue des communistes cambodgiens, pour qui le chef de l’État restait un ennemi au mĂȘme titre que les États-Unis, cela ne pouvait que gĂ©nĂ©rer des frustrations et conduire Ă  s’exposer Ă  des arrestations de masse dans leurs rangs. Les Vietnamiens, quant Ă  eux, faisaient peu de cas de ces considĂ©rations, prĂ©fĂ©rant cantonner leurs homologues khmers dans une opposition douce au prince et leur demander d’apporter leur soutien aux troupes du Việt Minh[44]. Tout cela ne fit que renforcer SĂąr dans sa volontĂ© de se dĂ©barrasser de la tutelle vietnamienne alors que les Nord-Vietnamiens Ă©taient de leur cĂŽtĂ© mĂ©fiants face au radicalisme des « Khmers rouges »[45].

AprĂšs son sĂ©jour Ă  HanoĂŻ, Saloth SĂąr ira en Chine oĂč il se serait convaincu de sa convergence de vue avec le gouvernement chinois[46], mais les traces de ce voyage n’apparaissent qu’à partir de 1978. Le principal intĂ©ressĂ© ne fit jamais mention de cette visite ni aucun document chinois. Les sources primaires sont vietnamiennes et, avec le contexte du conflit cambodgien, les dirigeants de HanoĂŻ avaient tout avantage Ă  prouver que Pol Pot avait adoptĂ© les doctrines maoĂŻstes le plus tĂŽt possible. Une des sources prĂ©tend par exemple que SĂąr Ă©tait restĂ© plusieurs mois en Chine Ă  suivre une formation politique, ce qui laisse entendre qu’il s’était alors dĂ©jĂ  Ă©loignĂ© de HanoĂŻ et rapprochĂ© de PĂ©kin[47]. Toutefois, mĂȘme si les officiels du Parti communiste chinois ont pu apporter une aide discrĂšte au Parti ouvrier du KampuchĂ©a, ils continuaient Ă  estimer qu’il Ă©tait primordial de maintenir leurs alliances avec la rĂ©publique dĂ©mocratique du ViĂȘt Nam, le Front national de libĂ©ration du Sud ViĂȘt Nam et Sihanouk qui servaient leurs intĂ©rĂȘts[48].

En , alors que Saloth SĂąr devait ĂȘtre Ă  PĂ©kin, Lin Biao publiait un article qui insistait sur la nĂ©cessitĂ© pour les guerres de libĂ©ration nationales de s’autofinancer. Pour le futur Pol Pot, cela pouvait s’apparenter Ă  un encouragement Ă  se soustraire Ă  la tutelle de HanoĂŻ alors que pour les dirigeants vietnamiens il s’agissait plutĂŽt de l’annonce d’une baisse imminente de l’aide que la Chine leur fournissait. Toutefois, il ne s’agit que de suppositions, car aucune trace ne subsiste des activitĂ©s de Saloth SĂąr entre sa visite Ă  HanoĂŻ en 1965 et son retour dans les maquis cambodgiens, en septembre 1966, quand le comitĂ© central dĂ©cidait de changer le nom du Parti ouvrier du KampuchĂ©a en Parti communiste du KampuchĂ©a (PCK)[49].

En Chine, et peut-ĂȘtre en CorĂ©e du Nord (les preuves de son sĂ©jour lĂ -bas sont minces), Saloth SĂąr a rencontrĂ© une voie du communisme qui diffĂ©rait de celle qu’il suivait depuis le dĂ©but des annĂ©es 1950. Il a trĂšs certainement tirĂ© ses propres enseignements des Ă©vĂ©nements chinois qu’il a pu observer. À ce moment, Lin Piao faisait triompher la pensĂ©e de Mao Zedong, sorte de prĂ©mices Ă  la rĂ©volution culturelle. AprĂšs coup, on peut penser qu’il a dĂ» ĂȘtre notamment marquĂ© par les aspirations Ă  une autarcie nationale et Ă  une direction limitĂ©e Ă  un noyau restreint de fidĂšles, principes qu’il appliquera une fois au pouvoir. À la fin 1965 et au dĂ©but 1966, la rĂ©pression dont furent victimes les maoĂŻstes indonĂ©siens a dĂ» par contre attiser sa mĂ©fiance Ă  l’encontre d’une alliance avec Sihanouk similaire Ă  celle que le Parti communiste indonĂ©sien avait contractĂ©e avec Soekarno[50].

Il n’est pas aisĂ© de dĂ©terminer avec certitude quelles furent les rĂ©elles consĂ©quences de ce voyage, car il n’eut pas d’effet immĂ©diat sur le mouvement. Il faudra attendre un an avant que le comitĂ© central dĂ©cide de soutenir la lutte armĂ©e, six pour que la rupture avec ses homologues vietnamiens soit consommĂ©e et dix avant que Pol Pot n’admette en public avoir une dette envers la Chine. Le changement de nom du parti, pour peu qu’elle ait Ă©tĂ© influencĂ©e par sa visite, n’était connu que de peu de personnes. Peut-ĂȘtre toutefois que SĂąr vit les avantages Ă  diriger le parti Ă  sa guise et Ă  suivre la voie tracĂ©e par Mao, en combattant toute dissidence d’élĂ©ments bourgeois et, quant au choix de ses fidĂšles, Ă  faire passer les liens d’amitiĂ© aprĂšs une loyautĂ© Ă  toute Ă©preuve Ă  son Ă©gard[51].

Lorsque dĂ©but janvier 1970, Norodom Sihanouk partait, officiellement pour raison mĂ©dicale, en France, le pouvoir Ă©tait exercĂ© Ă  Phnom Penh par Lon Nol et Sisowath Sirik Matak qui imprimĂšrent un virage rĂ©solument antivietnamien Ă  la politique cambodgienne. Le , alors que le prince quittait Moscou pour PĂ©kin, il apprenait que le parlement l'avait dĂ©mis de ses fonctions de chef de l'État. AprĂšs un bref dĂ©lai de rĂ©flexion, il dĂ©cidait d'accepter l'offre du gouvernement chinois visant Ă  l'aider Ă  lutter contre ceux qui l'avaient dĂ©posĂ© et Ă  s'allier Ă  ses opposants de gauche de la veille[52]. Vingt-quatre heures aprĂšs l’arrivĂ©e du prince, les dirigeants chinois firent venir PháșĄm Văn Đồng Ă  PĂ©kin[53]. Pol Pot affirmera plus tard avoir participĂ© aux nĂ©gociations qui ont suivi ; si certaines sources semblent indiquer qu’il Ă©tait bien Ă  HanoĂŻ au moment de la dĂ©position de Sihanouk, qu'il est possible qu'il ait accompagnĂ© le Premier ministre nord-vietnamien en Chine, aucune preuve ne vient par contre-attester qu’il prit part aux pourparlers de PĂ©kin[54].

Une entrevue entre Sihanouk et Đồng eut lieu le oĂč d’aprĂšs l’ancien souverain khmer, ils dĂ©cidĂšrent d’une alliance qui comprenait l’acheminement de l’aide chinoise Ă  la rĂ©sistance khmĂšre, la convocation d’une « confĂ©rence des peuples indochinois » et l’entraĂźnement au ViĂȘt Nam des troupes de cette nouvelle coalition[55]. Cet accord rĂ©pondait aux attentes de toutes les parties. Sihanouk, Ă  la tĂȘte d’un front de rĂ©sistance sauvait la face, permettant aux forces du PCK de croĂźtre dans des proportions qu’ils n’auraient jamais pu espĂ©rer ; ces troupes enfin, par leurs actions, permettaient de relĂącher la pression que l’armĂ©e cambodgienne faisait peser sur les unitĂ©s vietnamiennes stationnĂ©es en territoire khmer. En 1978, Pol Pot prĂ©tendra que c’est lui qui avait proposĂ© aux Chinois une alliance avec Sihanouk et que les Vietnamiens lui avaient Ă©tĂ© reconnaissants de leur avoir permis de s’allier au PCK. En fait, il semble plutĂŽt que ce fut le contraire et qu’il s’agisse d’une nouvelle dĂ©monstration de la volontĂ© de Pol Pot de rĂ©Ă©crire l’histoire Ă  sa guise huit ans aprĂšs les faits. Contrairement Ă  Sihanouk, il partageait avec Lon Nol la conviction d’une supĂ©rioritĂ© naturelle des Cambodgiens qui devait leur permettre de battre les Vietnamiens[56].

Le FUNK

En mai, Saloth SĂąr reprenait la piste HĂŽ Chi Minh pour rentrer au Cambodge. Pendant son absence, d’aprĂšs le Livre noir[43], les Vietnamiens auraient essayĂ© de nĂ©gocier avec Son Sen et Ieng Sary un commandement militaire conjoint qui aurait permis de protĂ©ger le quartier gĂ©nĂ©ral việt cộng qui aurait Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© Ă  Kratie et de fournir une aide logistique sur les pistes qui partaient au sud du ViĂȘt Nam, en Ă©change d’une assistance militaire[57]. Pol Pot affirma en 1978 que le PCK avait rejetĂ© la demande. Il affirma qu’en septembre, son quartier gĂ©nĂ©ral avait Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© plus Ă  l’ouest, au Phnom Santhuk, dans la rĂ©gion de Kampong Thom, mais aussi plus prĂšs de Kratie et de la direction du Việt Cộng, ce qui accrĂ©ditait la thĂšse qu’un commandement commun Ă©tait en place. Ce point est renforcĂ© par un tĂ©moignage d’un KhmĂ©ro-Vietnamien recueilli une dizaine d’annĂ©es plus tard qui affirmait que dans les forĂȘts du Phnom Santhuk, outre l’entraĂźnement au combat, il devait enseigner le khmer aux unitĂ©s du FNL prĂ©sentes, alors que les recrues locales apprenaient le vietnamien et participaient Ă  des rĂ©unions dans cette langue[58].

MalgrĂ© l'appui du ViĂȘt Nam du Sud et des États-Unis, le rĂ©gime de Lon Nol s'avĂšre incompĂ©tent dans la lutte contre le communisme. En 1973, la situation militaire se dĂ©tĂ©riore et l'armĂ©e n'est en mesure que de dĂ©fendre la capitale, Phnom Penh, surpeuplĂ©e de rĂ©fugiĂ©s fuyant les bombardements amĂ©ricains ou les mesures drastiques dĂ©jĂ  imposĂ©es dans les zones rurales par les Khmers rouges.

Pol Pot au pouvoir

Les forces communistes menĂ©es par Saloth Sar triomphent de l’armĂ©e de Lon Nol le , date Ă  laquelle Phnom Penh tombe entre les mains des Khmers rouges, considĂ©rĂ©s au dĂ©part comme une force libĂ©ratrice par la population. Saloth SĂąr se fait alors connaĂźtre comme le « frĂšre numĂ©ro un » et adopte son nom de guerre : Pol Pot. Il est le membre le plus important de l'Angkar, forme abrĂ©gĂ©e d'Angkar padevat (« Organisation rĂ©volutionnaire »), dont le nom cache le Parti communiste du KampuchĂ©a, organe suprĂȘme du gouvernement des Khmers rouges.

DÚs leur prise de pouvoir, les Khmers rouges soumettent le pays à la dictature. Se servant de la légitimité du GRUNC pour gouverner, Pol Pot et ses alliés mettent en place un régime totalitaire qui entreprend rapidement d'éliminer tout individu lié au gouvernement de Lon Nol. Sous le prétexte, fictif ou réel, d'une attaque américaine imminente, Phnom Penh est pratiquement vidée de ses deux millions d'habitants dans les jours qui suivent. Assimilés au capitalisme, tous les citadins, à la pointe du fusil, sont forcés d'aller travailler dans les campagnes.

Pendant prĂšs de quatre ans, les Khmers rouges font rĂ©gner la terreur dans le pays, s'acharnant particuliĂšrement sur la population urbaine et sur les intellectuels. Des prisons d'État sont instituĂ©es dans tout le pays, dont la plus connue reste S-21 Ă  Phnom Penh. Ce centre de dĂ©tention voit passer, entre 1975 et 1979, plus de 20 000 dĂ©tenus, dont beaucoup d'enfants. Sept seulement survĂ©curent. Les prisonniers n'ont aucun droit ni recours. Beaucoup de jeunes femmes sont violĂ©es. Les prisonniers sont torturĂ©s et affamĂ©s dans le but d'obtenir des aveux et beaucoup meurent sous les coups. Les prisonniers ayant fait leurs aveux reçoivent la promesse d'ĂȘtre transfĂ©rĂ©s dans un camp de travail oĂč leurs conditions de dĂ©tention seront moins dures. En fait, les personnes survivantes sont ensuite amenĂ©es directement Ă  des terrains d'exĂ©cution. Sur celui de Choeung Ek, Ă  17 km au sud-ouest de Phnom Penh, se trouve aujourd'hui un mĂ©morial contenant les ossements des victimes. Tout ce qui pouvait rappeler la modernitĂ© ou l'Occident est systĂ©matiquement dĂ©truit, telle la cathĂ©drale de Phnom Penh et la Banque nationale du Cambodge, toutes deux dĂ©molies en 1975. La monnaie, la famille, la religion et la propriĂ©tĂ© privĂ©e sont abolies. Le Cambodge est coupĂ© du monde.

Victimes des crimes des Khmers rouges.

Les Khmers rouges tardent Ă  se doter d'un gouvernement. La RĂ©publique khmĂšre (nom donnĂ© au Cambodge depuis 1970) ne devient le KampuchĂ©a dĂ©mocratique qu'en 1976. C'est Ă  ce moment que Pol Pot est nommĂ© Premier ministre et qu'une nouvelle constitution, un nouveau drapeau et un nouvel hymne national sont adoptĂ©s. Ailleurs dans le monde, les informations concernant le KampuchĂ©a dĂ©mocratique arrivent au compte-gouttes, sauf en Chine et au ViĂȘt Nam, dont quelques journalistes et hommes politiques sont autorisĂ©s Ă  visiter le pays. Pour sa part, Pol Pot est pratiquement absent de la scĂšne internationale. Personnage effacĂ© et mĂ©connu de son propre peuple, il se dĂ©place peu et Ă©vite les entretiens et les apparitions publiques.

À partir de 1977, aprĂšs avoir survĂ©cu Ă  trois tentatives d'assassinat et constatant l'incapacitĂ© des Khmers rouges Ă  maintenir l'ordre, Pol Pot multiplie les purges au sein de son parti, parsĂšme les frontiĂšres de mines anti-personnel et se montre trĂšs menaçant envers le ViĂȘt Nam, son ancien alliĂ©, Ă  qui il impute la responsabilitĂ© de ses Ă©checs. Son gouvernement ne cesse de crĂ©er des incidents avec ses voisins en mettant en avant des revendications territoriales. Dans une tentative de raviver l'Ă©conomie Ă  la dĂ©rive, Pol Pot Ă©labore Ă©galement un plan quadriennal aux effets catastrophiques, dont les objectifs irrĂ©alistes ne peuvent ĂȘtre partiellement atteints que par un effort surhumain de la population. Le , Pol Pot accueille Deng Yingchao, vice-prĂ©sidente de l’AssemblĂ©e nationale populaire chinoise et veuve de Zhou Enlai, Ă  Phnom Penh, le Parti communiste chinois montre ainsi son appui au « KampuchĂ©a dĂ©mocratique »[59].

Au total, plus d'un million et demi de personnes, soit prÚs de 20 % de la population cambodgienne, périssent sous la direction de Pol Pot, par les exécutions et la torture, le travail forcé excessif, la maladie non traitée ou la famine.

D'aprĂšs Gerhard J. Bellinger, l’intĂ©gralitĂ© de la population des nonnes et moines bouddhistes cambodgiens aurait Ă©tĂ© de la sorte exterminĂ©e[60].

La chute

Pol Pot et Khieu SamphĂąn (Ă  droite) rencontrant Nicolae Ceaușescu et son Ă©pouse Elena (1978).

Fin 1978, en rĂ©ponse Ă  des menaces sur ses frontiĂšres, le ViĂȘt Nam envahit le Cambodge dans le but de renverser le rĂ©gime de Pol Pot. L'avance de l'armĂ©e vietnamienne est rapide, et dĂšs le , un nouveau gouvernement est formĂ© par d'anciens Khmers rouges opposĂ©s Ă  Pol Pot, dont la plupart ont fui les innombrables purges de 1977-1978. Le KampuchĂ©a dĂ©mocratique devient la rĂ©publique populaire du KampuchĂ©a.

Pol Pot et ses fidĂšles s'enfuient alors dans la jungle, d'oĂč ils organisent une guĂ©rilla contre le nouveau rĂ©gime pro-vietnamien. CondamnĂ© Ă  mort par contumace par les autoritĂ©s pour les crimes commis pendant son rĂšgne, il disparaĂźt jusqu’à la fin des annĂ©es 1990. Selon les dires de plusieurs personnes, il aurait coulĂ© des jours paisibles bien loin de la jungle cambodgienne, dans une rĂ©sidence luxueuse en ThaĂŻlande. Il se serait, par ailleurs, livrĂ© au trafic illĂ©gal de bois et de pierres prĂ©cieuses pendant cette pĂ©riode.

À partir de 1983, le gouvernement de Margaret Thatcher envoie les SAS, les forces spĂ©ciales britanniques, former les Khmers rouges aux technologies des mines terrestres. Les États-Unis et le Royaume-Uni imposent d'autre part un embargo aux lourdes consĂ©quences pour l'Ă©conomie cambodgienne[61].

En 1985, il dĂ©cide de se remarier avec une jeune paysanne de 22 ans (il en a prĂšs de 60) qui travaillait Ă  son service comme cuisiniĂšre depuis un an. De leur union naĂźtra une fille en 1986. À la mĂȘme Ă©poque, on lui dĂ©tectera un lymphome de Hodgkin qu’il devra aller faire soigner en Chine[62].

Ses anciens camarades le retrouvent, en juillet 1997, affaibli par la malaria et d'importants problĂšmes de santĂ©. Sur ordre de son rival Ta Mok, il est arrĂȘtĂ© par ses propres troupes pour l'assassinat de Son Sen, l'ancien chef de la sĂ»retĂ© du KampuchĂ©a dĂ©mocratique, et condamnĂ© Ă  une peine d'emprisonnement Ă  perpĂ©tuitĂ©.

Le lieu oĂč le corps de Pol Pot a Ă©tĂ© incinĂ©rĂ© constitue une attraction touristique.

Pol Pot meurt Ă  Anlong Veng le 15 avril 1998 Ă  l’ñge de soixante-douze ans, officiellement d'une crise cardiaque[63]. Son corps fut incinĂ©rĂ© peu aprĂšs sur un lit de pneus et avec ses effets personnels. L’absence d’autopsie, la rapiditĂ© avec laquelle la crĂ©mation fut organisĂ©e et le peu de tĂ©moins qui purent y assister firent naĂźtre des controverses sur la nature exacte du dĂ©cĂšs, voire sur l’identitĂ© du dĂ©funt[64].

Bibliographie

Notes et références

Notes

  1. Également orthographiĂ© Saloth Sar.
  2. Henri Locard estime que ce nom de guerre est une allusion aux Pols, d’anciens esclaves royaux descendant des minoritĂ©s ethniques du nord-est (Khmers Leu) et que Pot a Ă©tĂ© rajoutĂ© « pour l’allitĂ©ration »[3].
  3. . La famille ne suit néanmoins pas les rites chinois, appartenant par leurs pratiques sociales à l'ethnie khmÚre. Voir Short 2007, p. 33.
  4. Ce prénom signifie « blanc », Saloth Sùr ayant la peau plus claire que les Khmers, du fait de ses origines chinoises. Voir Short 2007, p. 33.
  5. Dont trois sont morts jeunes. Voir Short 2007, p. 30.
  6. Les Khmers ne représentent qu'un tiers de la population de Phnom Penh, le reste étant constitué de Français et de ressortissants de différents pays asiatiques et du sous-continent indien. Voir Short 2007, p. 40.
  7. Il prétendra plus tard y avoir passé plus de temps. Philip Short note cette période comme étant « d'une importance capitale ». Voir Short 2007, p. 37.
  8. Son frÚre Chhay réussit le concours. Voir Short 2007, p. 45.
  9. Saloth SĂąr y est machiniste. Voir Short 2007, p. 49.
  10. Ieng Sary et Rath Samoeun sont dans la classe supérieure. Voir Short 2007, p. 54.
  11. À cette Ă©poque, une centaine de Cambodgiens seulement poursuivaient des Ă©tudes supĂ©rieures Ă  Paris[17].
  12. Plus tard, il prétendra avoir vécu avec un cousin. Voir Short 2007, p. 68.
  13. Ils s'étaient rencontrés à Paris et se marieront le 14 juillet 1956[31].

Références

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