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Morlaquie

Morlaquie (croate : Morlakija, italien : Morlacchia, grec moderne : ÎœÎ±ÏÏÎżÎČÎ»Î±Ï‡ÎŻÎ±-MaurovlahĂ­a, roumain : Mavrovlahia ou Morlahia) dĂ©signe une rĂ©gion littorale des Balkans, en Dalmatie, HerzĂ©govine et ouest du MontĂ©nĂ©gro, sur l’Adriatique. Administrativement, la Morlaquie croate se trouve sur le littoral des comtĂ©s de Zadar, Ć ibenik, Split et Dubrovnik ; la Morlaquie bosnienne dans le sud des cantons d'HerzĂ©govine-Narenta et de Trebinje (ce dernier dans la rĂ©publique serbe de Bosnie) et la Morlaquie montĂ©nĂ©grine dans les opchtines de Herceg Novi, Kotor et NikĆĄić.

Morlaquie
Localisation des communautés morlaques autour de Raguse - Dubrovnik
Localisation des communautés morlaques autour de Raguse - Dubrovnik
Localisation
Pays Drapeau de la Croatie Croatie
régions traditionnelles Dalmatie
CoordonnĂ©es 43° 30â€Č nord, 16° 24â€Č est
Golfes dalmates mer Adriatique)
GĂ©olocalisation sur la carte : Croatie
(Voir situation sur carte : Croatie)
Morlaquie

Étymologie

L’étymologie vient des mots slaves more (mer) et vlasi ou vlaĆĄi (valaques) soit « valaques de la mer ». Dans les Balkans, le mot « valaques » dĂ©signe des communautĂ©s principalement pastorales, initialement (antiquitĂ© tardive, haut Moyen-Âge) locutrices de langues romanes orientales (dalmates ou roumaines) et chrĂ©tiennes de l’obĂ©dience du patriarcat de Constantinople, mais ultĂ©rieurement, du XIe siĂšcle au XVIIIe siĂšcle, passĂ©es progressivement aux langues slaves mĂ©ridionales (ici chtokaviennes) et Ă  l’obĂ©dience de l’Église catholique romaine (sous la double influence du royaume de Croatie et de la RĂ©publique de Venise) voire, pour certaines, Ă  l’islam (sous l’influence de l’empire ottoman : l’équivalent turc de la Morlaquie Ă©tant Deniziflak). Par mĂ©tonymie, le mot « Morlaques » a pu aussi dĂ©signer des populations non-pastorales habitant en Dalmatie, locutrices de la langue dalmate (disparue au XIXe siĂšcle), du croate, du serbe, ou encore de l’italien vĂ©nitien (souvent confondu avec le dalmate, et inversement).

Histoire

Antiquité

En -229 et -228, la flotte romaine combat les pirates illyriens qui s’abritent dans les multiples Ăźles de cette rĂ©gion, et Ă  partir de -219, les Romains prennent le contrĂŽle de la cĂŽte dalmate pour garantir leur sĂ©curitĂ© en mer Adriatique. La romanisation de l’illyrien est Ă  l’origine de la langue dalmate, l’une des langues romanes. Sous TibĂšre, la province sĂ©natoriale de Dalmatie est rĂ©organisĂ©e en l’an 10 en province impĂ©riale, avec comme capitale Salonae (Salone). Sous Vespasien, le gouverneur de la province est le jurisconsulte PĂ©gase. À partir du IIe siĂšcle, l’urbanisation et la christianisation des Dalmates progressent, la future Morlaquie devient une rĂ©gion importante de l’empire et au IIIe siĂšcle, de nombreux officiers originaires de cette rĂ©gion jouent un rĂŽle important : c’est le cas de l’empereur romain Carus (282-283), de ses fils et successeurs Carin (283-285) et NumĂ©rien (283-284), et de DioclĂ©tien, empereur de 284 Ă  305. Ce dernier se fit construire prĂšs de Salone un vaste palais fortifiĂ© oĂč il se retira en 305 aprĂšs son abdication : c’est l’origine de la ville de Split. JĂ©rĂŽme de Stridon, traducteur de la Vulgate, Ă©tait aussi originaire de cette rĂ©gion.

Carte de 1785 figurant la Morlaquie comme arriĂšre-pays dalmate, entre la cĂŽte Adriatique et les Alpes dinariques[1].
Vue aĂ©rienne de la ville de Spalato (Split) Ă©tablie Ă  l’intĂ©rieur des remparts du palais de DioclĂ©tien.
L'arrivée des Croates sur les rives de l'Adriatique.

Lors des invasions germaniques du IVe siĂšcle, la future Morlaquie est annexĂ©e par Odoacre en 481–482, passe sous la domination des Ostrogoths en 490 puis revient Ă  l’Empire romain d’Orient de 535 Ă  620, lorsque selon le livre De administrando Imperio[2], l’empereur romain d’Orient HĂ©raclius demande l’aide des Croates pour contrer les Avars. L’Empire perd la majeure partie de l’Italie et l’Illyrie intĂ©rieure mais garde la Venise maritime, l'Istrie, les Ăźles dalmates et les ports de la cĂŽte (Carlopago, Raguse, Spalato, Traos, Zara, Zengo), qu’il organise en marche militaire dalmate, tandis que l’intĂ©rieur est rapidement peuplĂ© d’une majoritĂ© slave ou slavisĂ©e[3].

Moyen Âge

Du point de vue religieux, au VIe siĂšcle, la plupart des Dalmates romanophones sont dĂ©jĂ  chrĂ©tiens, alors que les Avars sont tengristes et les Slaves (dont font partie les Croates) ont leur propre religion[4] - [5]. Le prĂȘcheur Gottschalk d'Orbais, de passage dans la future Morlaquie au IXe siĂšcle tĂ©moigne qu’à cette Ă©poque la christianisation des Croates Ă©tait en cours. En outre, un texte de Constantin VII nous informe que les Slaves de la rĂ©gion furent christianisĂ©s « au temps de leur prince Porinos »[3].

Peu Ă  peu les VĂ©nitiens, les Dalmates, les Croates et les Ragusains s’émancipent l’Empire byzantin. Le nom de « Morlaquie » apparaĂźt Ă  partir du XIIe siĂšcle pour dĂ©signer les rĂ©gions oĂč les influences slave et hongroise se mĂȘlent aux influences romanes et grecques[6]. Parmi les influences romanes, venues du nord-est cette fois, on trouve aussi, par transhumance pastorale, celle des valaques descendus des plateaux montagneux nommĂ©s Romanija Planina ou Stari Vlah (« ancienne valachie »)[7]. Ces communautĂ©s valaques entre-temps disparues de Bosnie, d’HerzĂ©govine, de Dalmatie et du MontĂ©nĂ©gro[8] ont laissĂ© des stĂšles ou des sarcophages en pierre appelĂ©s localement stecci[9] - [10] ; des pigments rĂ©vĂšlent qu’ils Ă©taient initialement polychromes Ă  la maniĂšre des stĂšles en bois plus rĂ©centes, comme celles de SapĂąntsa[11]. Quelques-uns de ces stecci ont Ă©tĂ© amenĂ©s de leur site d’origine dans le jardin du MusĂ©e national de Bosnie-HerzĂ©govine Ă  Sarajevo, oĂč, conformĂ©ment Ă  l’historiographie bosniaque officielle, ils sont prĂ©sentĂ©s comme des « tombes patarines slaves »[12]. Dans l’historiographie moderne croate en revanche, le mot « valaque » dĂ©signe « des envahisseurs venus de l’Est », ancĂȘtres orthodoxes des Serbes de Bosnie[3] - [13].

PĂ©riode moderne

La présence vénitienne en Dalmatie.
Sur cette carte linguistique allemande de 1908, Morlaken désigne les locuteurs du vénitien sur la cÎte dalmate (alors autrichienne).

Durant la longue pĂ©riode vĂ©nitienne (XIe siĂšcle-1797) la Morlaquie est gouvernĂ©e par un provĂ©diteur-gĂ©nĂ©ral et beaucoup de ses habitants romanophones adoptent la langue vĂ©nitienne mais la langue croate aussi se dĂ©veloppe et des Ă©coles, des publications en tĂ©moignent. La langue dalmate, en revanche, n’était pas enseignĂ©e et a fini par disparaĂźtre sous le rĂ©gime vĂ©nitien. DĂšs lors « Morlaques » prend un sens surtout gĂ©ographique et dĂ©signe les habitants de la Morlaquie quelles que soient leurs origines, langues et croyances[14]. Pour les encyclopĂ©dies françaises, par exemple, les Morlaques sont les « Slaves de Dalmatie »[15]. Par ailleurs les limites gĂ©ographiques de la Morlaquie sont variables : on parle ainsi au XVIe siĂšcle de « Morlaquie istrienne » (italien : Morlacchia istriana) pour la rĂ©gion des Istriens et de « Morlaquie Ă©mothienne » (italien : Morlacchia imoschiana) dans l'arriĂšre-pays dalmate, Ă  la frontiĂšre bosnienne[16].

Le CongrĂšs de Vienne de 1815 attribue la Morlaquie Ă  l’empire d'Autriche qui l’intĂšgre dans son Royaume de Dalmatie. L’Autriche, comme Venise, tolĂšre le dĂ©veloppement de la culture croate, d’autant qu’elle y voit un moyen de limiter l’influence italienne. Avec la montĂ©e des nationalismes, le passĂ© multiculturel de la rĂ©gion est de plus en plus occultĂ© et remplacĂ© par des revendications exclusives comme l’austroslavisme croate et l’irrĂ©dentisme italien[17]. Par le traitĂ© de Rapallo en 1920, Ă  la suite de la dĂ©faite des puissances centrales dans la PremiĂšre Guerre mondiale, la Morlaquie est incluse avec le reste de la Dalmatie dans le Royaume des Serbes, Croates et SlovĂšnes, rebaptisĂ© un peu plus tard Royaume de Yougoslavie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Italie fasciste annexe de 1941 Ă  1943 quelques Ăźles et une partie de cĂŽte (gouvernorat italien de Dalmatie) tandis que le reste de la Morlaquie appartient Ă  l’État indĂ©pendant de Croatie d’Ante Pavelić. En 1944–1945 les partisans yougoslaves reprennent la Morlaquie aux oustachis d’Ante Pavelić.

En 1991, aprĂšs que la Croatie a dĂ©clarĂ© son indĂ©pendance vis-Ă -vis de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale socialiste de Yougoslavie, la Morlaquie devient un champ de bataille entre indĂ©pendantistes croates et pro-yougoslaves serbes : ces derniers, majoritaires en Morlaquie du nord, dĂ©clarent vouloir rester Yougoslaves et refusent l’autoritĂ© de la nouvelle RĂ©publique de Croatie : c’est la « RĂ©volution des Rondins » qui rattache la Morlaquie Ă  la RĂ©publique serbe de Krajina. Lors de l’OpĂ©ration TempĂȘte (1995) l’armĂ©e de la RĂ©publique de Croatie et les troupes du Conseil de dĂ©fense croate de Bosnie-HerzĂ©govine (HVO) prennent la Morlaquie : les habitants croates peuvent regagner leurs foyers, tandis que ce sont cette fois les Serbes qui se replient vers la RĂ©publique serbe de Bosnie.

AprĂšs 1996 commence une pĂ©riode de reconstruction qui, Ă  partir de 2000, permet un dĂ©veloppement essentiellement axĂ© sur le tourisme, qui n’est pas sans effet sur la qualitĂ© des eaux et la prĂ©servation des paysages.

Sources

« Morlaquie », dans Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siÚcle, Paris, Administration du grand dictionnaire universel, 15 vol., 1863-1890 [détail des éditions].

  1. Wojciech Sajkowski, (en) « Morlachs, or Slavs from Dalmatia in French encyclopedias and dictionaries of the 18th and 19th » in PoznaƄskie Studia Slawistyczne n°15, 2018, pp. 207–218 -
  2. (grk) Constantin VII (empereur byzantin), De administrando Imperio (DAI), Constantinople, entre 948 et 952, Chapitre 30, origo gentis des Croates.
  3. Lucien Musset, « Grandes Invasions », sur EncyclopÊdia Universalis (consulté le ).
  4. Procope de Césarée, De bello Gothico, III, 14.
  5. (en) Danijel Dzino, Becoming Slav, Becoming Croat: Identity Transformations in Post-Roman and Early Medieval Dalmatia, Leiden, Ă©ditions Brill, , « For the inscription from the font, see Delonga 1996: 205–7. Doubts about its authenticity and origins: Suić and Perinić 1962; Klaić 1971: 197–8; JakĆĄić 2002. » [p.187].
  6. Marie-Madeleine De Cevin, L'Europe centrale au Moyen Age, Rennes, Presses universitaires de Rennes, (ISBN 9782753522473), p. 36.
  7. Miroslav RuĆŸica, (en) « The Balkan Vlachs awakening, national policies, assimilation » in Proceedings of the Globalization, Nationalism and Ethnic Conflicts in the Balkans and Its Regional Context 2006, pp. 28–30 - [www.semanticscholar.org/paper/bc4218c948ab98ead629b78a48102050db19e39b]
  8. Borna FĂŒrst-BjeliĆĄ, (en) « Territorialisation and de-territorialisation of the borderlands communities in the multicultural environment: Morlachia and Little Wallachia » in Acta geographica Bosniae et Herzegovinae 2014, vol. 1, ed. 2, pp. 45–54 - & .
  9. Marian Wenzel, (en) « Bosnian and Herzegovinian Tombstobes-Who Made Them and Why? » in (de) Sudost-Forschungen n°21 (1962): pp. 102-143
  10. Ante MiloĆĄević, (hr) Stećci i Vlasi: Stećci i vlaĆĄke migracije 14. i 15. stoljeća u Dalmaciji i jugozapadnoj Bosni « Les Stećci et les migrations des Valaques aux XIV et XV-e siĂšcles en Dalmatie et Bosnie du Sud-Ouest », 1991
  11. John Van Antwerp Fine, (en) The Late Medieval Balkans: A Critical Survey from the Late Twelfth Century, University of Michigan Press, 1994, p. 19.
  12. Edina Bozoky, « Patarins », sur universalis.fr.
  13. RedĆŸo Trako, Stećci: BoĆŸanska igra brojki i slova « Stećci: jeu sacrĂ© des chiffres et des lettres », Ă©d. Socijalna ekologija (en Croate), 2011. Zagreb: Croatian Sociological Society, Institute of Sociology at Faculty of Philosophy, University of Zagreb. 20 (1): p. 71–84.
  14. Miroslav RuĆŸica, (en) « The Balkan Vlachs/Aromanians awakening, national policies, assimilation » in Proceedings of the Globalization, Nationalism and Ethnic Conflicts in the Balkans and Its Regional Context n° 28–30, S2CID 52448884, 2006, .
  15. Wojciech Sajkowski, (en) « Morlachs, or Slavs from Dalmatia in French encyclopedias and dictionaries of the 18th and 19th century », in PoznaƄskie Studia Slawistyczne n° 15, pp. 207–218, DOI 10.14746/bp.2015.22.5, (ISSN 2084-3011), 2018.
  16. Dana Caciur, (en) « Considerations regarding the Morlachs migrations from Dalmatia to Istria and the Venetian settlement policy during the 16th century » in PoznaƄskie Studia Slawistyczne n° 22 (1), pp. 57–70. DOI 10.14746/bp.2015.22.5, 2015,
  17. Dictionnaire EncyclopĂ©dique Italien (v. III, p. 729), Rome, Édition de l'Institut de l'EncyclopĂ©die Italienne, fondĂ© par Giovanni Treccani, 1970.

Liens externes

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