José Fernando de Abascal y Sousa
José Fernando de Abascal y Sousa (Oviedo, Espagne, 1743 - Madrid, 1821), premier marquis de la Concordia, était un noble, militaire et haut fonctionnaire colonial espagnol, qui fut vice-roi du Pérou de 1806 à 1816.
José Fernando de Abascal y Sousa | |
José Fernando de Abascal y Sousa | |
Titre | |
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Vice-roi du PĂ©rou | |
– (9 ans, 11 mois et 28 jours) |
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Prédécesseur | Gabriel de Avilés y del Fierro |
Successeur | JoaquĂn de la Pezuela |
Biographie | |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Oviedo (Espagne) |
Date de décès | |
Lieu de décès | Madrid (Espagne) |
Nature du décès | Naturelle |
Nationalité | Espagne |
Conjoint | MarĂa Asensio |
Enfants | MarĂa Ramona de Abascal |
Profession | Militaire |
Religion | Catholique |
RĂ©sidence | Guadalajara, Lima, Madrid |
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Vice-roi du PĂ©rou | |
Après une carrière militaire en Europe et en Afrique du Nord, il servit dans les colonies espagnoles d’Amérique, prenant part notamment, en 1796, à la défense de La Havane face aux Anglais, et exerçant à partir de 1800 la fonction de commandant général et d’intendant de Nouvelle-Galice à Guadalajara (dans l’actuel Mexique), avant d’être nommé en 1804 vice-roi du Pérou, poste dont il ne pourra prendre possession qu’en 1806 en raison d’une période de captivité chez les Anglais.
Farouche partisan de l’absolutisme, il était en même temps imprégné des Lumières espagnoles et entreprit, en sa qualité de vice-roi, un ensemble de réformes dans l’enseignement, prit des mesures de santé publique, notamment une campagne de vaccination anti-variolique, réorganise la défense du territoire, et, conformément aux consignes reçues de Madrid, abolit l'Inquisition et instaura la liberté de la presse. Dès avant l’émergence des mouvements d’émancipation, il mena une politique favorable aux élites criollos (Européens nés dans les colonies, par opposition aux péninsulaires, nés en Espagne), tendant à désamorcer la tension entre ces deux groupes, donc à neutraliser le principal ressort du désir d’indépendance.
Lorsqu’à la fin de la première décennie du XIXe siècle, à la faveur des événements dans la métropole espagnole (invasion française, abdication du roi), ce désir eut pris corps sous forme de révolutions et de juntes de gouvernement autonomes, surtout dans les vice-royautés et capitaineries voisines — mais dont restera assez largement préservé le Pérou, sans doute par suite de sa politique conciliatrice envers les élites criollos —, il adopta une attitude d’intransigeance et de fermeté, combattit les troupes indépendantistes, renforça son autorité de vice-roi et fera du Pérou le bastion de la réaction royaliste en Amérique du Sud, n’hésitant pas à occuper militairement les territoires rebelles limitrophes : Haut-Pérou dès 1810, Audiencia de Quito, et Chili en 1814.
En 1816, il sollicita et obtint sa démission du roi Ferdinand VII et s’en retourna en Espagne couvert d’honneurs.
Carrière politico-militaire (1762-1804)
Abascal naquit dans les Asturies, au sein d’une famille noble. À l’âge de 19 ans, il s’engagea dans l’armée et fut versé dans l’infanterie, où il apprit l’art de la stratégie. Il devint membre en 1795 de l’ordre de Santiago, puis de celui de Charles III. Il combattit sur les côtes d’Afrique du Nord et dans le Roussillon, puis servit dans les troupes aux Amériques, de Santa Catalina à Colonia del Sacramento, en passant par Santiago du Chili et la Havane en 1796, où il prit part à la défense de la ville contre les Anglais, jusqu’à être nommé en 1800 intendant de Guadalajara, auquel titre il eut à réprimer en 1801 la rébellion indienne menée par Indio Mariano. Au terme de 20 années de service, il fut élevé au grade de colonel, puis, à l’issue de la guerre contre la France, à celui de brigadier. À l’instar de ses collègues, et à mesure qu’il avançait en âge et en expérience, il exercera, en plus de son commandement militaire, une fonction civile et politique. Totalement absorbé par sa carrière, il eut peu de temps à consacrer à son mariage, contracté tardivement.
En 1804, il fut nommĂ© vice-roi du RĂo de la Plata, fonction dont toutefois il ne lui fut pas donnĂ© de prendre possession, attendu qu’il sera, la mĂŞme annĂ©e, dĂ©signĂ© vice-roi du PĂ©rou. Il lui faudra cependant attendre 1806 avant de pouvoir assumer cette nouvelle charge, car il sera fait prisonnier par les Anglais au cours de son voyage pour Lima, ce qui le contraindra Ă faire ensuite jusqu’à son lieu de destination un pĂ©riple long et coĂ»teux, dĂ©terminĂ© par les rapides changements de la politique internationale d’alors. En effet, promu d’intendant de Guadalajara Ă vice-roi du RĂo de la Plata, il s’embarqua Ă Veracruz pour la Havane, puis, le navire Ă bord duquel il avait pris passage ayant Ă©tĂ© capturĂ© par les Anglais et lui-mĂŞme fait prisonnier, son pĂ©riple le conduisit aux Açores, puis Ă Lisbonne ; ensuite, au lieu du trajet habituel des mandataires pĂ©ruviens ― Ă savoir l’itinĂ©raire maritime classique passant par Cadix, la Havane, Veracruz, Panama, Paita, pour, de lĂ , gagner Lima par terre ―, il fit un trajet de 3 500 kilomètres de marche terrestre entre Colonia del Sacramento (dans l’actuel Uruguay) et Lima. Cependant, le nouveau vice-roi, en homme accoutumĂ© aux peines de la vie militaire, et douĂ© de flair politique, sut faire son profit de ce contretemps en faisant connaissance de première main avec le territoire sous sa future tutelle, Ă©lĂ©ment important pour sa subsĂ©quente carrière politique et militaire.
Personnalité et vision
Abascal sut habilement surmonter la crise dynastique des Bourbons d'Espagne de 1808 et prĂ©server sa vice-royautĂ© du conflit interne qui sĂ©vit dans les trois autres vice-royautĂ©s de l’Empire espagnol, la vice-royautĂ© du RĂo de la Plata, la vice-royautĂ© de Nouvelle-Grenade et la vice-royautĂ© de Nouvelle-Espagne (connue Ă©galement sous le nom de vice-royautĂ© du Mexique), ainsi que dans les deux capitaineries gĂ©nĂ©rales, la capitainerie gĂ©nĂ©rale du Venezuela et la capitainerie gĂ©nĂ©rale du Chili Ă partir de 1809. Au moyen de sa politique de rĂ©ciprocitĂ©, Abascal parvint Ă dĂ©samorcer la tension entre Espagnols nĂ©s en Espagne (pĂ©ninsulaires) et EuropĂ©ens nĂ©s dans les AmĂ©riques (criollos), et ce dans la perspective d’opĂ©rer un retournement de la politique caroline en vigueur depuis la dĂ©cennie 1770. Sa politique conservatrice combinait la dĂ©fense interne de l’ordre Ă©tabli avec une contre-offensive Ă l’extĂ©rieur. Le gouvernement de Lima, capitale de la vice-royautĂ©, mit Ă profit les rĂ©volutions criollas survenues Ă Quito, dans le Haut-PĂ©rou et au Chili pour y rĂ©tablir entre 1809 y 1815 la tutelle pĂ©ruvienne. Ce nouveau Grand PĂ©rou contre-rĂ©volutionnaire reprĂ©senta un dĂ©fi formidable pour les rĂ©gimes rĂ©volutionnaires de la Nouvelle-Grenade et de Buenos Aires. Les autoritĂ©s portègnes Ă©chouèrent en effet par trois fois dans leur tentative d’établir leur domination sur le Haut-PĂ©rou, qu’Abascal avait, dans le sillage de la rĂ©volution de Mai de 1810, rĂ©incorporĂ© dans la vice-royautĂ© du PĂ©rou, alors que ce territoire appartenait Ă la vice-royautĂ© du RĂo de la Plata depuis 1776.
Les deux bastions du lĂ©galisme absolutiste en AmĂ©rique du Sud Ă©taient, au tournant du siècle, le PĂ©rou et le BrĂ©sil, ce dernier Ă©tant Ă ce moment le centre de la monarchie portugaise. En effet, en ces temps de volontĂ© d’émancipation des colonies espagnoles, Abascal fit figure d’authentique vice-roi, et le seul du moment, Ă©tant donnĂ© que ni JosĂ© de Iturrigaray en Nouvelle-Espagne, ni Baltasar Hidalgo de Cisneros dans le RĂo de la Plata, ni Antonio Amar y BorbĂłn en Nouvelle-Grenade ne faisaient montre, dans leur action, des qualitĂ©s censĂ©es caractĂ©riser la fonction de reprĂ©sentation de la royautĂ©, fonction consubstantielle Ă la figure du vice-roi. Ceux-lĂ se montrèrent tellement dĂ©concertĂ©s par la nouveautĂ© et tellement dĂ©pourvus d’initiative personnelle, qu’ils furent bientĂ´t emportĂ©s par les Ă©vĂ©nements. La seule exception fut Abascal, qui ne se contenta pas d’une attitude expectative et retenue. Il agit en homme d’énergie, avec dĂ©cision et initiative, c'est-Ă -dire tout le contraire du type de vice-roi qu’avaient configurĂ© les rĂ©formes bourbonniennes : un administrateur aux attributions restreintes et un simple exĂ©cutant. L’époque oĂą Abascal gouverna la vice-royautĂ© du PĂ©rou Ă©tait traversĂ©e par une profonde crise d’autoritĂ©, et, pour le militaire de caste qu’il Ă©tait, rien ne pouvait ĂŞtre plus affligeant que de voir les gouvernements pĂ©ninsulaires mettre en Ĺ“uvre des idĂ©es nouvelles ― telles que prĂ©vues par les rĂ©formes bourbonniennes ― qui, Ă son jugement, minaient son autoritĂ©. En ne se rĂ©signant pas, en une Ă©poque critique, Ă agir avec faiblesse, Abascal ne pouvait que s’affirmer comme une autoritĂ© indĂ©pendante.
Vers 1800 s’enchaînèrent une série d’événements qui portèrent la menace la plus grave sur l’unité des domaines de la monarchie espagnole et provoquèrent, outre une crise institutionnelle de la fonction de vice-roi et des vice-royautés, également une crise des personnes. La situation créée par le mouvement d’émancipation força le vice-roi à s’engager sur des bases constitutionnelles totalement différentes. La posture révolutionnaire s’appuyait sur l’idée que, le vice-roi étant nommé par le roi, l’autorité du vice-roi s’évanouissait automatiquement dès le moment où l’autorité royale cessait d’exister, ainsi que cela était le cas avec l’abdication du roi d’Espagne à la suite de l’invasion napoléonienne. Cependant, dans le cas du Pérou, prévalut l’effet contraire, vu que la mesure la plus élémentaire prise en réaction à la commotion révolutionnaire devait être, et sera, de renforcer énergiquement les ressorts du pouvoir.
Abascal réussit à surmonter la crise constitutionnelle en faisant une véritable démonstration d’habilité politique, par quoi il fut en mesure à la fois de sauvegarder l’obéissance aux autorités de la métropole, de réprimer les tentatives révolutionnaires, de récompenser ses serviteurs, de préserver l’armée royaliste en Amérique, de se porter, en dehors de sa vice-royauté, au secours de toutes les autorités en péril d’être balayées par les insurgés ― et ce en des circonstances où le Pérou lui-même nécessitait toute son attention et toutes ses ressources ―, et de faire naître un parti américain criollo royaliste pour faire pièce aux partisans de l’indépendance. L’attitude ferme et intransigeante du vice-roi envers les révolutionnaires et les mécontents fut sans doute le facteur le plus décisif dans le maintien de l’autorité espagnole. Au contraire des autres représentants, qui, dans d’autres parties de l’Empire espagnol, cédaient docilement à la pression, Abascal était constamment sur ses gardes, résolu à soutenir farouchement le système absolutiste auquel il croyait, désapprouvant non seulement les vacillations de ses collègues dans d’autres territoires de l’Amérique espagnole, mais aussi les politiques conciliantes menées par certains groupes exerçant le pouvoir politique dans la métropole même. Dans des conditions aussi difficiles, alors que les exemples des révolutions nord-américaine et française, en sus des conflits dans sa propre métropole, ébranlaient tous les secteurs sociaux du Pérou, il fit preuve de talent, de sagacité et de décision. Son prestige personnel et ses qualités d’homme d’État, à l’égal de sa droiture et de son imperturbabilité, lui valurent le respect et la sympathie de la population de Lima, même si en contrepartie cette adhésion fût fort onéreuse sur le plan économique. Pour réaliser ses objectifs, Abascal adopta une politique de conciliation et de rapprochement avec les élites criollas, se montrant en particulier respectueux des concessions déjà faites dans le cadre du projet bourbonnien du XVIIIe siècle et des intérêts qui en dérivaient. Ainsi sa politique au Pérou ne fut-elle ni innovante, ni, moins encore, abrupte, mais la continuation d’un processus déjà commencé de rapprochement entre le gouvernement vice-royal et les élites de Lima. Son habileté lui permit de survivre dans une situation potentiellement dangereuse, où les puissants gens d’affaires de Lima, sinueux et rompus à l’intrigue, s’appliquaient avant tout à promouvoir leurs propres intérêts.
Vice-roi du PĂ©rou
Administration du PĂ©rou (1806-1808)
L’esprit éclairé d’Abascal, imprégné des Lumières espagnoles, sut se cristalliser dans un ensemble de mesures favorables aux sujets péruviens du roi d’Espagne et destinées à assurer au vice-roi leurs sympathies. Dans ce but, Abascal se concentra sur des actions dans les domaines de la salubrité publique, de la culture et de la défense du territoire, qui lui serviront plus tard d’arguments politiques dans les moments difficiles de son mandat.
En homme influencé par les Lumières, Abascal portera donc plus particulièrement son attention sur les aspects sanitaires et culturels. Il fonda de nombreux ateliers d’apprentissage et, avec la collaboration du peintre José del Pozo, créa l’École royale de Peinture de Lima. Il apporta son concours à la campagne de vaccination anti-variolique de ses administrés, accueillant en effet dans sa vice-royauté l’expédition Balmis, qui fit escale à Lima le ; ladite expédition, dont le nom fait référence à son chef, le docteur Francisco Javier Balmis, s’attachait à propager la vaccination contre la variole à travers tout l’Empire espagnol. En l’absence de Balmis, qui ne faisait pas partie du groupe arrivé au Pérou, l’expédition était dirigée par son suppléant, le docteur José Salvany y Lleopart, avec le collaboration du docteur Hipólito Unanue. Le , 22 esclaves brésiliens furent vaccinés à Lima puis envoyés, en guise de porteurs vivants du vaccin, vers le nord de l’Argentine actuelle, le Paraguay, le Chili et dans le reste du Pérou. (L’expédition Balmis utilisait des orphelins espagnols dans le même but.) Cependant, la vaccination de masse ordonnée par Abascal à Lima n’eut pas grand succès ; si le vaccin était disponible, il n’était pas gratuit, et les intérêts établis s’y entendirent à en faire une source de revenus à leur profit. Une autre de ses mesures éclairées fut l’aménagement d’un cimetière hors des murs de la ville de Lima, afin d’éviter la survenue de maladies contagieuses que l’habitude d’inhumer les morts dans les églises et les couvents serait susceptible de provoquer. Il consacra à ce projet d’importantes ressources, alimentées par des apports disparates, et reçut le clair soutien du haut clergé ainsi que du collège des médecins.
Parmi le second type de mesures (celles culturelles) figure la fondation en 1810 de l’école de médecine San Fernando et du Jardin botanique (comprenant un édifice en cloître, une bibliothèque, des salles de formation, etc.) en vue de former des médecins et des spécialistes. La raison de cette préoccupation d’Abascal était l’observation qu’il avait faite, durant le laborieux trajet précédant son entrée en fonction, des carences en la matière dont souffrait une grande partie de l’Amérique du Sud. De même, il impulsa la création des collèges San Pablo et du Cercado pour l’instruction des enfants de l’élite péruvienne et fonda le Collège des avocats de la capitale, institution largement ouverte aux criollos.
Le , un tremblement de terre d’une durée de 2 minutes secoua la ville de Lima. À El Callao, un raz-de-marée consécutif à ce séisme projeta une lourde ancre sur le toit de la capitainerie du port. Cent cinquante mille pesos durent être dégagés pour réparer les murailles de la ville. Entre 1812 et 1813, on enregistra un grand incendie à Guayaquil (dans l’actuel Équateur), qui détruisit une moitié de la ville, un ouragan à Lima, qui déracina les arbres de l’Alameda, et un tremblement de terre à Ica et à Piura.
C’est sous son administration qu’en 1806 fut débarquée au Pérou l’ultime cargaison d’esclaves noirs. À ce moment-là , un esclave adulte mâle était vendu 600 pesos.
Dans le domaine des mesures d’ordre extĂ©rieur, il faut citer celle visant Ă fournir en armements et fonds Jacques de Liniers et Francisco Javier de ElĂo, respectivement pour la dĂ©fense de Buenos Aires et de Montevideo, face aux offensives anglaises de 1806 et 1807 contre le RĂo de la Plata dirigĂ©es par William Carr Beresford et John Whitelocke, offensives efficacement repoussĂ©es par les milices criollos. Cependant, le vice-roi Abascal ne se bornait pas Ă prĂŞter un secours ponctuel lors de telle ou telle attaque prĂ©cise ; il mit Ă©galement au point tout un plan de dĂ©fense ambitieux et performant de la ville de Lima, du port de Callao et de ses environs, et ordonna la remise en Ă©tat de l’ancienne usine Ă poudre et la rĂ©organisation de l’armĂ©e royale du PĂ©rou. Il prĂŞta une attention particulière Ă l’artillerie comme arme clef de dĂ©fense et d’attaque dans les nouvelles guerres Ă venir, sans pour autant nĂ©gliger l’infanterie et la cavalerie, mettant sur pied notamment un rĂ©giment de patriciens, dotĂ© du nom de La Concordia Española en el PerĂş (nom auquel renvoie le titre nobiliaire de Castille, marquis de la Concordia, qui lui sera octroyĂ© en 1812) et destinĂ© Ă symboliser l’union entre les Espagnols dits pĂ©ninsulaires (nĂ©s en Espagne) et criollos (nĂ©s aux AmĂ©riques). Enfin, il rĂ©organisa la flottille chargĂ©e de surveiller les mers dans le sud.
Sa gestion, se signalant par la prévoyance, le bon sens et l’efficacité, eut l’appui des élites péruviennes de son époque.
Répercussions en Amérique des politiques européennes (1808-1810)
Napoléon Bonaparte, couronné empereur en 1804, mena une politique expansionniste en Europe et réussit à dominer tout le continent européen, à l’exception des deux royaumes ibériques. Avec habileté, il sut exploiter la division interne au sein de la famille royale espagnole, séquestra celle-ci, et plaça sur les trônes de Portugal et d’Espagne des rois sous ses ordres. De cette manière, et les Bourbons une fois écartés, la France se proposait de se rendre maître des possessions espagnoles d’outremer. Dans les vice-royautés, cette situation provoqua une profonde crise. Les nouvelles en provenance d’Espagne, généralement confuses, l’inaptitude de beaucoup de gouvernants à exercer le commandement, et le revanchisme d’une partie de l’élite criolla, furent les ingrédients espérés et utilisés par les révolutionnaires. Abascal, en ce temps d’inéluctable crise institutionnelle, consécutive à l’absence d’autorité politique au sommet de la monarchie et à l’invasion militaire de la métropole par des troupes étrangères, agit avec adresse.
S’il n’y eut certes jamais de troupes françaises au Pérou, il vint en revanche divers émissaires dépêchés vers les autres vice-royautés, ainsi que des missives invitant à la collaboration adressées à plusieurs personnalités détenant des postes à responsabilité dans les administrations. En même temps, la traditionnelle alliance luso-britannique visait à s’emparer des riches possessions espagnoles, par l’intermédiaire de Charlotte Joachime de Bourbon, frère du roi Ferdinand VII et épouse du roi de Portugal. Abascal pour sa part jura fidélité au roi Ferdinand VII de Bourbon, jetant ainsi dans la balance son autorité de plus haut mandataire politique, militaire et juridique du Pérou. Aussitôt, le vice-roi Abascal entreprit une campagne de levée de fonds en faveur de la cause de l’indépendance espagnole en Europe, mettant à contribution tous les citoyens, y compris les intendants et gouverneurs, les négociants du Consulat (tribunal de commerce), les membres du clergé, et lui-même.
Abascal Ă©tait un soutien dĂ©vouĂ© et infatigable de la monarchie absolue ; pourtant, il appuya les Cortès de Cadix dans leur lutte contre Bonaparte, leur faisant parvenir argent et matĂ©riel, et ne put empĂŞcher que la constitution de 1812 promulguĂ©e par lesdites Cortès en mars 1812 eussent quelque rĂ©percussion sur sa politique, nonobstant qu’en raison de la distance entre le PĂ©rou et la mĂ©tropole et des guerres en Espagne et aux AmĂ©riques, il gouvernât d’une façon largement indĂ©pendante. Abascal s’employa Ă ce que les dispositions libĂ©rales de cette nouvelle constitution n’entrassent pas en vigueur au PĂ©rou, ce qui provoqua des rĂ©voltes Ă Cusco, Tacna et Arequipa, toutes rĂ©primĂ©es. NĂ©anmoins, des Ă©lections furent organisĂ©es pour les Cortès de Lima et de Cuzco, qui devaient faire figure de paradigmes de la libertĂ© constitutionnelle au PĂ©rou, mais auquel, dans cette dernière ville, il fut coupĂ© court par la rĂ©volte criolla et indigène qui y Ă©clata. En mĂŞme temps fut instaurĂ©e la libertĂ© de la presse, permettant tant Ă des journaux et revues conservateurs, tels que Gaceta del Gobierno de Lima ou Verdadero Peruano, que pro-constitutionnels, tels que El Peruano ou SatĂ©lite del Peruano, de paraĂ®tre et de jouer jusqu’en 1814, Ă l’usage des rĂ©formistes comme des monarchistes, le rĂ´le de terrain d’affrontement idĂ©ologique de l’élite politique vice-royale. Le dĂ©bat d’idĂ©es s’invita Ă©galement dans les collèges de professeurs de l’universitĂ© des deux principales villes pĂ©ruviennes, l’Universidad Nacional Mayor de San Marcos et l’UniversitĂ© nationale Saint-Antoine-AbbĂ© de Cuzco, oĂą s’opposaient scolastiques et novateurs, et oĂą l’on lisait clandestinement l’EncyclopĂ©die. Pour sa part, l’Église Ă©tait partagĂ©e entre la loyautĂ©, reprĂ©sentĂ©e notamment par l’évĂŞque BartolomĂ© MarĂa de las Heras, et la contestation, incarnĂ©e par l’évĂŞque JosĂ© PĂ©rez y Armendáriz. L’Inquisition de Lima fut temporairement suspendue par suite des rĂ©formes dĂ©cidĂ©es par les Cortès de Cadix.
Après que la paix et la tranquillitĂ© antĂ©rieures Ă l’invasion napolĂ©onienne de l’Espagne eurent Ă©tĂ© finalement rĂ©tablies dans la mĂ©tropole, avec la concomitante restauration du roi Ferdinand VII en 1814, et que fut promulguĂ©e la dĂ©rogation Ă la Carta magna, l’on assista, dans toute l’AmĂ©rique espagnole, hormis dans le RĂo de la Plata, Ă la restauration de l’Inquisition, Ă l’abolition de la libertĂ© de la presse et Ă l’écrasement des soulèvements.
Politique contre-révolutionnaire d’Abascal (1810-1816)
Abascal fut le paladin de la cause royaliste dans les vice-royautés ; quand il n’y eut plus de roi en Espagne, Abascal le fut en Amérique. Il combattit farouchement les mouvements indépendantistes dans toute l’Amérique du Sud espagnole, et fit du Pérou le centre de la réaction royaliste.
Lorsqu’éclatèrent en 1809 les rĂ©volutions de Chuquisaca et de La Paz dans le Haut-PĂ©rou (territoire sous la tutelle de la vice-royautĂ© du RĂo de la Plata voisine), il s’offrit de venir en aide au vice-roi Cisneros et dĂ©pĂŞcha un corps expĂ©ditionnaire, sous le commandement de JosĂ© Manuel de Goyeneche, pour mater la rĂ©volte de la Paz.
Après qu’eut Ă©clatĂ© la rĂ©volution de Mai Ă Buenos Aires, le , Abascal s’empressa d’occuper militairement les provinces de CĂłrdoba, PotosĂ, La Paz et Charcas (ces trois dernières sises dans le Haut-PĂ©rou, actuelle Bolivie) — tous territoires rioplatenses, sur lesquels la junte de Buenos Aires issue de la rĂ©volution de Mai revendiquait l’autoritĂ© — et les rĂ©incorpora dans la vice-royautĂ© du PĂ©rou, dont elles avaient Ă©tĂ© scindĂ©es en 1776 en vue de la crĂ©ation de la vice-royautĂ© du RĂo de la Plata. Les troupes royalistes, dirigĂ©es par Goyeneche et par JosĂ© de la Serna, vainquirent les rebelles et les troupes portègnes venues Ă leur secours dans les batailles de Huaqui, de Vilcapugio, d’AyohĂşma et de Viluma. La province de Tarija, dans l’extrĂŞme sud de la Bolivie actuelle, s’établit ainsi comme la limite gĂ©ographique, pour l’heure indĂ©passable, de l’avancĂ©e rĂ©volutionnaire des provinces « d’en-bas », ce qui dĂ©termina le basculement de la planification continentale des indĂ©pendantistes rioplatenses pour leur conquĂŞte de la vice-royautĂ© du PĂ©rou, centre de la puissance militaire espagnole ; cette conquĂŞte se fera en effet non par le nord, mais par l’ouest : Ă travers les Andes et via le Chili, sous la conduite du libertador JosĂ© de San MartĂn, mais seulement Ă partir de .
De mĂŞme, il rĂ©intĂ©gra dans sa vice-royautĂ© la capitainerie du Chili et Quito (actuelle Équateur, sĂ©parĂ© du PĂ©rou en 1739 pour ĂŞtre rattachĂ© Ă la vice-royautĂ© de Nouvelle-Grenade). C’est du reste sur le territoire de la Real Audiencia de Quito qu’eurent lieu, entre 1809 et 1810, les premières actions contre-rĂ©volutionnaires tendant Ă rĂ©tablir l’ordre lĂ©gal, en l’espèce par les soins du comte de RuĂz de Castilla, peu apte Ă cette tâche, et du peu sĂ»r marquis de Selva Alegre. Dans la capitainerie gĂ©nĂ©rale de Caracas se produisirent Ă©galement des Ă©vĂ©nements qui, de leur dĂ©clenchement jusqu’à leur rĂ©pression par les troupes pĂ©ninsulaires de Pablo Morillo en 1815, influèrent sur la situation au PĂ©rou.
Le , une troupe espagnole sous les ordres de Rafael Maroto débarqua à Callao pour aider à combattre les insurgés dans la colonie. Le vice-roi envoya ensuite, en décembre de la même année, après concertation avec le brigadier Antonio Pareja, une armée de 2 400 hommes, commandée par celui-ci, mener campagne au Chili, où les indépendantistes José Miguel Carrera et Bernardo O'Higgins s’étaient emparés du pouvoir à la faveur d’un coup d’État en . Lorsque les troupes royalistes eurent débarqué sur l’île de Chiloé, dans le sud du Chili, elles furent bientôt rejointes par un grand nombre d’autres combattants, puis, sur le continent, se virent renforcées par d’autres effectifs encore dans les villes de Valdivia et de Talcahuano, cette partie méridionale du pays se trouvant en effet être peu favorable au mouvement d’indépendance. Ensuite, Pareja se rendit maître de Concepción et, ayant accordé l’amnistie à la garnison espagnole qui y était stationnée, vit également ces troupes se joindre aux siennes. À la tête maintenant de quelque 4 000 hommes, il marcha sur Chillán, qui se rendit sans combattre, et où 2 000 hommes supplémentaires rejoignirent les forces royalistes. Enfin, la victoire des Espagnols à la bataille de Rancagua en ouvrit la voie à la reconquête de Santiago, ce qui permit de rétablir l’important commerce péruvo-chilien, compromis par les attaques des corsaires rioplatenses.
En revanche, les tentatives de rĂ©sistance du monarchiste Francisco Javier de ElĂo ne purent empĂŞcher la ville de garnison Montevideo de tomber en 1814 aux mains des rĂ©volutionnaires de la Bande Orientale et de Buenos Aires ; la contre-rĂ©volution dĂ©clenchĂ©e en par l’ancien vice-roi Jacques de Liniers pour mettre fin Ă la rĂ©volution Ă CĂłrdoba fut pareillement vaine, et s’acheva par la dĂ©faite et l’exĂ©cution de Liniers.
Au sein mĂŞme de la vice-royautĂ© du PĂ©rou se produisirent, durant les dix annĂ©es du mandat d’Abascal, plusieurs insurrections, de diffĂ©rentes tendances, mais Ă©chouant invariablement, par l’inexistence d’un terreau substantiel propice Ă un soulèvement rĂ©volutionnaire. Si le PĂ©rou finit par ĂŞtre fait indĂ©pendant, ce fut par des forces « Ă©trangères » qui avaient, au dĂ©part du RĂo de la Plata, traversĂ© la cordillère des Andes, puis, après avoir libĂ©rĂ© le Chili, atteint par l’ocĂ©an Pacifique le territoire pĂ©ruvien.
Dans les derniers jours de son mandat comme vice-roi du Pérou, Abascal se limita à ratifier toutes les ordonnances royales en provenance de Madrid, à émettre des avis sur le mode de gouverner les provinces d’outre-mer, à réhabiliter les jésuites, et à octroyer des permis d’exploitation de mines (avec usage de pompes à vapeur) et des permis de pêche à la baleine, ainsi qu’à améliorer la frappe de monnaie.
Retour en Espagne et descendance
En 1812, Abascal fut Ă©levĂ© au rang de marquis de la Concordia. En 1816, il sollicita sa rĂ©vocation et, l’ayant obtenue, s’en retourna en Espagne. Il fut remplacĂ© par le gĂ©nĂ©ral espagnol JoaquĂn de la Pezuela, qui Ă©tait arrivĂ© au PĂ©rou en 1805 et avait servi dans les opĂ©rations militaires d’Abascal. Jusqu’à la date de son dĂ©part, les indĂ©pendantistes de Buenos Aires n’avaient cessĂ© de lancer des expĂ©ditions pour tenter d’expulser les Espagnols hors du Haut-PĂ©rou, entretenant un Ă©tat de guerre continu.
Il quitta définitivement non seulement le Pérou mais aussi l’Amérique, le , couvert de titres et d’honneurs, jouissant de la reconnaissance de l’élite sociale péruvienne qu’il avait favorisée durant les dix années de son administration, et laissant derrière lui sa fille unique, fiancée à un officier péninsulaire. Abascal mourut à Madrid en 1821, à l’âge de 79 ans.
Abascal lĂ©gua l’ensemble de ses biens ainsi que son titre nobiliaire Ă sa fille MarĂa Ramona de Abascal, son unique hĂ©ritière, qui avait Ă©pousĂ© en 1815 Juan Manuel Pereira, pour lors brigadier. De cette union naquit Manuel Pereira Abascal, qui porta le titre de IIIe marquis de la Concordia Española del PerĂş, et se vit en outre octroyer la Real Carta de SucesiĂłn le . Ă€ sa mort, le titre passa en 1876 Ă son neveu Juan Manuel Pereira Soto Sánchez [1]. Le titre castillan de marquisat de la Concordia Española en el PerĂş s’éteignit finalement en 1913.
Bibliographie
- Fernando DĂaz Venteo, Las campañas militares del Virrey Abascal, Sevilla, Escuela de Estudios Hispanoamericanos, 1948.
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- J. L. PĂ©rez de Castro, Rara y olvidada biografĂa del virrey Abascal, Revista HistĂłrica, t. XXXI, Montevideo, febrero 1961.
Notes et références
- MarĂa Teresa Fernández-Mota de Cifuentes, RelaciĂłn de tĂtulos nobiliarios vacantes, y principales documentos que contiene cada expediente que, de los mismos se conserva en el Archivo del Ministerio de Justicia, Instituto Salazar y Castro, Madrid 1987² (p. 127-128).
Liens externes
- Archivo de la Ciudad de La Paz, (Bolivie).
- Archivo del Instituto de la Riva-Aguëro, Lima (Pérou).
- Archivo Departamental del Cuzco (PĂ©rou).
- Archivo General de Indias, SĂ©ville (Espagne).
- Archivo General de la NaciĂłn, Buenos Aires (Argentine).
- Archivo General de Simancas, Valladolid (Espagne).
- Archivo General Militar, SĂ©govie (Espagne).
- Archivo HistĂłrico Nacional, Madrid (Espagne).
- (en) Courte biographie
- (es) Biographie