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Jean VI (roi de Portugal)

Jean VI de Portugal (en portugais : JoĂŁo VI de Portugal), roi de Portugal et des Algarves et roi puis empereur titulaire du BrĂ©sil, est nĂ© Ă  Lisbonne, au Portugal, le et mort dans cette mĂŞme ville le . SurnommĂ© « le ClĂ©ment Â», il règne sur le Royaume uni de Portugal, du BrĂ©sil et des Algarves de 1816 Ă  1822 puis sur le seul royaume de Portugal de 1822 Ă  1826. Grâce au traitĂ© de Rio de Janeiro de 1825, qui reconnaĂ®t l'indĂ©pendance du BrĂ©sil, Jean VI est Ă©galement proclamĂ© empereur titulaire du BrĂ©sil, mais c'est son fils aĂ®nĂ©, l'empereur Pierre Ier, qui est le vĂ©ritable souverain du pays pendant son règne.

Jean VI
Le Clément
(pt) JoĂŁo VI
Illustration.
Le roi Jean VI de Portugal.
Titre
RĂ©gent de Portugal et des Algarves
–
(15 ans, 6 mois et 2 jours)
Prédécesseur Marie Ire de Portugal,
Reine de Portugal
Successeur Lui-mĂŞme
Régent du Royaume uni de Portugal, du Brésil et des Algarves
–
(1 an, 2 mois et 4 jours)
Prédécesseur Lui-même
Successeur Lui-mĂŞme
Roi du Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves
–
(6 ans, 6 mois et 22 jours)
Prédécesseur Marie Ire de Portugal
Successeur Lui-mĂŞme (au Portugal)
Pierre Ier (au Brésil)
Roi de Portugal et des Algarves
–
(3 ans, 4 mois et 26 jours)
Prédécesseur Lui-même
Successeur Pierre IV de Portugal
Empereur titulaire du Brésil
–
(6 mois et 9 jours)
Prédécesseur Pierre Ier du Brésil
Successeur Pierre Ier du Brésil
Biographie
Titre complet Roi de Portugal et des Algarves, de chaque côté de la mer en Afrique, Duc de Guinée et de la Conquête, de la Navigation et du Commerce d'Éthiopie, d'Arabie, de Perse et d'Inde par la grâce de Dieu et l'acclamation unanime du peuple ;
Roi puis Empereur titulaire du Brésil
Dynastie Maison de Bragance
Nom de naissance João Maria José Francisco Xavier de Paula Luís António Domingos Rafael
Date de naissance
Lieu de naissance Lisbonne (Portugal)
Date de dĂ©cès (Ă  58 ans)
Lieu de décès Lisbonne (Portugal)
Père Pierre III
Mère Marie Ire
Conjoint Charlotte-Joachime d'Espagne
Enfants Marie-Thérèse de Portugal
François-Antoine Pie de Bragance
Marie-Isabelle de Portugal
Pierre IV de Portugal
Marie Françoise de Bragance
Isabelle-Marie de Bragance
Michel Ier de Portugal
Marie Assomption de Bragance
Anne de JĂ©sus Marie de Bragance
HĂ©ritier Pierre de Portugal

Jean VI (roi de Portugal)
Rois de Portugal
Rois et empereurs du Brésil

Deuxième fils de la reine Marie Ire et du roi consort Pierre III de Portugal, le futur Jean VI n'est, Ă  l'origine, pas destinĂ© Ă  ceindre la couronne de son pays. Devenu l'hĂ©ritier du trĂ´ne en 1788 Ă  la mort de son aĂ®nĂ© Joseph, il doit assurer la rĂ©gence peu de temps après, sa mère montrant des signes croissants de folie. ArrivĂ© au pouvoir dans le contexte de la RĂ©volution française, le prince dĂ©clare la guerre Ă  la France en 1793 mais son armĂ©e est vaincue et le royaume d'Espagne, avec qui il avait conclu une alliance, ne tarde pas Ă  l'abandonner (1795). De plus en plus isolĂ© internationalement, le futur Jean VI est alors victime de la diplomatie napolĂ©onienne et du double jeu de Madrid, qui profite de la situation pour arracher au Portugal la rĂ©gion d'Olivenza après la « guerre des Oranges Â» (1801). Les tensions entre Paris et Lisbonne atteignent leur paroxysme en 1807, lorsque la France napolĂ©onienne dĂ©cide d'envahir le Portugal pour punir les Bragance d'avoir refusĂ© d'appliquer le blocus continental dirigĂ© contre le Royaume-Uni.

Face Ă  l'attaque du gĂ©nĂ©ral Junot, le prince Jean prend la dĂ©cision de fuir son royaume et de transfĂ©rer la cour et le gouvernement au BrĂ©sil, qui est alors la plus prospère des colonies portugaises. Après plusieurs semaines de tribulations, la famille royale et les 500 Ă  15 000 personnes qui l'accompagnent (selon les sources) s'installent donc Ă  Rio de Janeiro le . En compagnie de ses conseillers, le rĂ©gent met rapidement en place une sĂ©rie de rĂ©formes qui ouvrent le BrĂ©sil au commerce international et le dotent d'institutions stables et modernes.

Après quelques annĂ©es de guerre avec les troupes napolĂ©oniennes, le Portugal est dĂ©finitivement libĂ©rĂ© de l'occupant français en 1811, mais Jean refuse toutefois de rentrer en Europe. Le , il proclame au contraire le « Royaume uni de Portugal, du BrĂ©sil et des Algarves Â», ce qui confirme la nouvelle place du BrĂ©sil au sein de l'ensemble portugais. MontĂ© sur le trĂ´ne Ă  la mort de sa mère en 1816, le souverain doit pourtant bientĂ´t affronter l'opposition très vive des Portugais, qui se soulèvent pour obtenir le retour de la famille royale en Europe, et d'une partie des BrĂ©siliens, qui refusent de voir leur pays rĂ©trogradĂ© au rang de simple colonie. Sous la pression populaire, Jean VI et son entourage rentrent donc finalement Ă  Lisbonne le , non sans avoir nommĂ© auparavant son fils rĂ©gent du BrĂ©sil (le futur Pierre Ier du BrĂ©sil).

En Europe, Jean VI est à la fois victime des luttes de pouvoirs qui opposent libéraux et conservateurs et des conspirations de sa femme, la reine d'origine espagnole Charlotte-Joachime, avec qui il entretient des relations mouvementées depuis le début de son mariage. Il assiste par ailleurs, impuissant, à la montée du nationalisme brésilien et à la proclamation d'indépendance du pays par son propre fils aîné le . Contraint à reconnaître la sécession brésilienne en 1825, Jean VI est néanmoins proclamé empereur titulaire du pays par la même occasion. Six mois plus tard, le souverain meurt dans des conditions mystérieuses, sans que sa succession soit réellement assurée, ouvrant ainsi la voie à une longue crise successorale.

Famille

Jean VI est le fils de la reine Marie Ire de Portugal (1734-1816) et du roi consort Pierre III de Portugal (1717-1786). Par sa mère, il est donc le petit-fils du roi Joseph Ier de Portugal (1714-1777) et de la reine Marie-Anne-Victoire d'Espagne (1718-1781) tandis que, par son père qui est aussi le frère de Joseph Ier, il a pour grands-parents le roi Jean V de Portugal (1689-1750) et la reine Marie-Anne d'Autriche (1683-1754).

Le , Jean VI épouse l'infante Charlotte-Joachime d'Espagne (1775-1830), fille aînée du roi Charles IV d'Espagne (1748-1819) et de la reine Marie-Louise de Bourbon-Parme (1751-1819).

Du mariage de Jean VI et de Charlotte-Joachime naissent dix enfants, parmi lesquels huit atteignent l'âge adulte :

Jeunesse

Premières années

L'infant Jean de Portugal. Ĺ’uvre anonyme, vers 1785.

Deuxième fils de la princesse du Brésil[N 1] et de son oncle et époux l'infant Pierre de Portugal, le prince Jean voit le jour le , sous le règne de son grand-père, le roi Joseph Ier de Portugal. Il a seulement dix ans lorsque ce dernier meurt et que ses parents accèdent au trône, sous le nom de Marie Ire et de Pierre III de Portugal (1777)[1].

Le prince Jean passe une enfance discrète dans l'ombre de son frère aîné, le nouveau prince du Brésil. Pendant longtemps, les historiens ont considéré qu'il avait reçu une éducation médiocre mais, d'après ses biographes Jorge Pedreira et Fernando Costa, de nombreux indices laissent penser qu'elle a été en réalité tout aussi rigoureuse que celle réservée à l'héritier du trône. Il existe, malgré tout, très peu d'informations concernant la jeunesse du prince et l'un des rares portraits de lui qui nous soit parvenu, celui dressé par un ambassadeur de France, nous le dépeint comme une personne hésitante et peu brillante[1].

Selon la tradition historiographique, le prince reçoit comme professeurs de lettres et de sciences le frère Manuel do Cenáculo, Antônio Domingues do Paço et Miguel Franzini, comme maître de musique l'organiste João Cordeiro da Silva et le compositeur João Sousa de Carvalho, et comme professeur d'équitation le sergent-major Carlos Antônio Ferreira Monte. Il reçoit probablement aussi des cours de religion, de droit, de français et de savoir-vivre. De la même façon, il étudie certainement l'histoire à travers la lecture des œuvres de Duarte Nunes de Leão et de João de Barros. Une fois encore, peu de choses nous sont parvenues sur son apprentissage[2].

Constamment en retrait par rapport à son frère aîné, Jean se rend quotidiennement à la messe et subit une forte influence du clergé catholique[3]. Passionné de musique sacrée, il s'intéresse aussi à l'art et passe de longues heures à lire. Il déteste en revanche les activités physiques et traverse de nombreuses périodes de dépression[4].

Mariage et vie sentimentale

L'infante Charlotte-Joachime en 1785. Tableau de Mariano Salvador Maella.

En 1785, Lisbonne et Madrid organisent le mariage du prince Jean avec l'infante Charlotte-Joachime d'Espagne, fille du futur roi Charles IV (encore prince des Asturies Ă  cette date) et de la princesse Marie-Louise de Parme. Ă€ l'Ă©poque, le projet d'union est regardĂ© d'un mauvais Ĺ“il par une partie de la Cour portugaise, qui conserve un mauvais souvenir de l'Ă©poque oĂą le Portugal n'Ă©tait qu'une province de l'empire espagnol. MalgrĂ© son jeune âge (elle a seulement dix ans), l'infante est considĂ©rĂ©e comme une personne vive d'esprit et d'Ă©ducation raffinĂ©e. Elle doit toutefois subir quatre jours de mise Ă  l'Ă©preuve de la part de la lĂ©gation portugaise avant d'ĂŞtre dĂ©finitivement choisie comme fiancĂ©e de Jean. Surtout, les deux jeunes gens Ă©tant proches parents et la princesse Ă©tant fort jeune, une dispense papale doit ĂŞtre obtenue pour permettre cette union. Une fois ces formalitĂ©s rĂ©glĂ©es, un mariage par procuration est organisĂ© en grande pompe Ă  Madrid, durant lequel le fiancĂ© est reprĂ©sentĂ© par le propre père de la mariĂ©e. S'ensuit un grand banquet auquel participent pas moins de 2 000 convives, espagnols et portugais[5].

L'infante arrive au Palais royal de Vila Viçosa au début du mois de mai 1785, mais ce n'est que le 9 juin suivant que les jeunes mariés reçoivent la bénédiction nuptiale dans la chapelle du château. Leur mariage est célébré en même temps que celui de l'infante Marie-Anne Victoire, sœur de Jean, avec l'infant Gabriel d'Espagne, oncle de Charlotte-Joachime. La correspondance assidue que le prince portugais entretient ensuite avec sa sœur, partie à Madrid, révèle combien l'absence de sa cadette lui pèse, malgré l'affection qu'il semble porter à sa toute jeune épouse. De son côté, Charlotte-Joachime fait preuve de beaucoup de tempérament, ce qui oblige parfois la reine Marie Ire à la rappeler à l'ordre. Au grand désespoir du prince, qui a sept ans de plus que sa femme, Jean et Charlotte-Joachime attendent plusieurs années avant de consommer leur mariage, ce qui n'est fait que le . Leur fille aînée, la princesse Marie-Thérèse, ne naît qu'en 1793 et ils donnent ensuite le jour à neuf autres enfants mais l[5].

Entre-temps, le prince noue probablement une relation amoureuse Ă  l'âge de 25 ans avec EugĂŞnia JosĂ© de Menezes, l'une des dames de compagnie de son Ă©pouse. Lorsqu'EugĂŞnia tombe enceinte, toute la Cour suspecte le prince d'ĂŞtre le père de l'enfant. La jeune femme est alors envoyĂ©e en Espagne, oĂą elle accouche d'une petite fille dont le nom ne nous est pas parvenu. EnfermĂ©e dans un couvent après ces Ă©vĂ©nements, la jeune femme n'en est pas moins pensionnĂ©e par le prince jusqu'Ă  la fin de ses jours[4].

Au fil des années, les relations entre Jean et de Charlotte-Joachime se dégradent considérablement, et les deux époux choisissent de s'éloigner. Résidant dans des palais différents, ils ne se retrouvent plus qu'en des occasions officielles, quand le protocole l'exige. Selon les historiens Tobias Monteiro et Patrick Wilcken, le prince noue alors une liaison homosexuelle avec son valet préféré, Francisco de Sousa Lobato. Pour les deux chercheurs, l'une des preuves de cette liaison réside dans le témoignage d'un prêtre du nom de Miguel qui aurait assisté à une scène de masturbation de l'infant par son domestique, avant d'être banni en Angola pour s'assurer de son silence. Quoi qu'il en soit, Jean est suffisamment proche de son favori pour le couvrir de titres et de récompenses tout au long de sa vie[4].

Crise successorale

Le prince Joseph, frère aîné de Jean. Tableau de Miguel António do Amaral, vers 1775.

La vie du prince Jean prend un tour nouveau le , jour de la mort sans postérité de son frère aîné. Désormais héritier du trône de Portugal[6], Jean succède à un prince vu comme un partisan des Lumières et en qui le peuple avait donc placé de grandes espérances. Or, Jean ne cache pas son soutien aux idées absolutistes, ce qui déçoit fortement les libéraux. Contrairement à son aîné, critiqué par l'Église catholique à cause de son inclination pour l'anticléricalisme du marquis de Pombal, le nouveau prince du Brésil bénéficie de l'appui du clergé car sa religiosité est depuis longtemps notoire[7].

Pour compliquer davantage la situation, Jean tombe gravement malade quelques mois après la disparition de son frère aîné, et le Portugal traverse une longue période d'incertitude quant à l'avenir de la famille royale et de la monarchie. Rétabli une première fois en 1791, l'héritier du trône voit sa santé se dégrader à nouveau peu de temps après : « perdant du sang par la bouche et par les intestins », il se montre en outre fortement abattu, si l'on en croit les annotations de son chapelain, le marquis de Marialva[7].

Dans le même temps, la reine Marie Ire, veuve depuis 1786, montre des signes croissants de déséquilibre mental. Le , une commission de dix-sept médecins signe ainsi un document déclarant la souveraine incapable de gouverner le royaume. En dépit de ce verdict, le prince Jean se montre peu désireux de prendre les rênes du pouvoir et rejette l'idée même d'une régence formelle. Ce faisant, il ouvre la voie à une partie de la noblesse qui cherche à mettre en place un conseil de régence et gouverner ainsi le Portugal. Une rumeur, qui prétend que le prince du Brésil souffre des mêmes symptômes de déséquilibre que sa mère, se développe alors dans le pays et fait planer le doute sur la capacité de l'héritier du trône à gouverner. Or, la loi régulant le système de la régence précise qu'en cas de décès ou d'incapacité de l'héritier légitime, c'est au tuteur de ses enfants mineurs ou, à défaut, à leur mère (dans le cas présent une Espagnole), d'assumer la régence du royaume. Un climat de crainte, de suspicion et d'intrigues se développe donc peu à peu dans le royaume, mettant à mal tout le cadre institutionnel de la nation[8].

Le prince face à la France révolutionnaire et impériale

De la guerre de Roussillon Ă  la « guerre des Oranges Â»

Le Prince RĂ©gent passant en revue les troupes Ă  Azambuja. Tableau de Domingos Sequeira, 1803.

Dans ce contexte difficile, les nouvelles des Ă©vĂ©nements de la RĂ©volution française sèment le trouble au Portugal comme dans le reste de l'Europe. L'exĂ©cution du roi Louis XVI le dĂ©clenche une riposte internationale Ă  laquelle ne tarde pas Ă  se joindre l'armĂ©e portugaise. Le , Lisbonne et Madrid signent ainsi une convention militaire qui les lie face aux troupes rĂ©volutionnaires, puis le Portugal conclut un traitĂ© similaire avec le Royaume-Uni le 26 septembre. Lisbonne engage ainsi 6 000 soldats lors des campagnes de Roussillon et de Catalogne (1793-1795), dont le rĂ©sultat est un Ă©chec pour les armĂ©es royales coalisĂ©es. S'ensuit une Ă©pineuse pĂ©riode de tensions diplomatiques, durant laquelle le Portugal est tiraillĂ© entre sa volontĂ© de faire la paix avec la France rĂ©volutionnaire et son alliance traditionnelle avec la Grande-Bretagne. Lisbonne proclame finalement sa neutralitĂ© dans le conflit qui secoue l'Europe, mais celle-ci se rĂ©vèle Ă  la fois fragile et tendue[9] - [10].

Après sa dĂ©route dans le Roussillon, l'Espagne abandonne le Portugal et signe une paix sĂ©parĂ©e avec la France Ă  Bâle. Madrid ne reprĂ©sentant plus une menace pour Paris et Londres restant hors de portĂ©e, Lisbonne devient l'une des principales cibles de la France[11]. ArrivĂ© au pouvoir en 1799, l'annĂ©e oĂą Jean est officiellement proclamĂ© rĂ©gent de Portugal[12], NapolĂ©on Bonaparte convainc l'Espagne de lancer un ultimatum au Portugal, afin de l'obliger Ă  rompre avec l'Angleterre et Ă  se soumettre aux volontĂ©s françaises. Devant le refus du prince-rĂ©gent d'accepter les conditions de Madrid, l'Espagne et la France envahissent le pays lors de ce qui est aujourd'hui connu comme la « guerre des Oranges Â» (1801). Pendant ce conflit, toutes les puissances engagĂ©es complotent les unes contre les autres. L'Espagne rĂ©ussit finalement Ă  s'emparer de la rĂ©gion d'Olivenza[11].

Outre ces attaques étrangères, le prince Jean subit, à cette période, la trahison de sa propre épouse. Fidèle aux intérêts des Bourbons d'Espagne, Charlotte-Joachime intrigue pour déposer son époux et s'emparer du pouvoir. Cependant, la tentative de coup d'État de la princesse avorte en 1805 et la conspiratrice est exilée de la Cour, au palais de Queluz, loin de son époux qui réside officiellement au palais de Mafra[13] - [14].

L'invasion du Portugal par les troupes napoléoniennes

Le général Junot, ennemi du Portugal.

En 1807, la France impĂ©riale signe le traitĂ© de Tilsit avec la Russie et surtout le traitĂ© de Fontainebleau avec l'Espagne. Ce dernier accord prĂ©voit la conquĂŞte et le dĂ©peçage du Portugal[N 2]. Conscient de ce qui se trame contre son pays, Jean tente dĂ©sespĂ©rĂ©ment de gagner du temps en simulant sa soumission Ă  NapolĂ©on et en envisageant mĂŞme de dĂ©clarer fictivement la guerre Ă  l'Angleterre. Cependant, le royaume lusitanien[N 3] refuse d'adhĂ©rer pleinement au blocus continental mis en place par l'empereur des Français et dirigĂ© contre le Royaume-Uni. Le , Lisbonne et Londres signent mĂŞme une convention secrète prĂ©voyant le transfert de la Cour portugaise au BrĂ©sil en cas d'invasion française. ExtrĂŞmement avantageux pour les Britanniques, cet accord assure la soumission du gouvernement portugais au Royaume-Uni et protège les intĂ©rĂŞts commerciaux de Londres dans les colonies lusitaniennes. Finalement, le Portugal se retrouve donc dans la position de devoir choisir entre l'obĂ©issance Ă  la France ou Ă  la Grande-Bretagne. Les Ă©vĂ©nements se prĂ©cipitent fin octobre quand arrive, Ă  Lisbonne, la nouvelle de l'approche d'une armĂ©e franco-espagnole près de la frontière. Le , NapolĂ©on Ier dĂ©clare publiquement que, dans les deux mois suivants, la maison de Bragance aura cessĂ© de rĂ©gner. Le 6 novembre, une escadre britannique accoste dans le port de Lisbonne avec une force de 7 000 hommes. Sa mission consiste Ă  escorter la famille royale et la Cour jusqu'au BrĂ©sil ou de prendre Lisbonne au cas oĂą le gouvernement dĂ©ciderait de se rendre aux Français. PressĂ© de tous cĂ´tĂ©s, le rĂ©gent finit, après une longue rĂ©flexion, par accepter la protection britannique et organise le dĂ©part de la Cour Ă  Rio de Janeiro[11] - [15] - [16].

Pendant ce temps, l'armée française, commandée par le général Jean-Andoche Junot, continue son approche et se présente aux portes de la capitale portugaise le [13]. Cependant, les envahisseurs, souvent jeunes et inexpérimentés, arrivent au Portugal fatigués, affamés et vêtus de hardes. L'historien Alan Manchester les décrit ainsi : « sans cavalerie, artillerie, cartouches, chaussures ou nourriture, titubant de fatigue, la troupe fait davantage penser à un hôpital qu'on évacue qu'à une armée marchant triomphalement vers la conquête d'un royaume ». Dans le pays, tout cela accrédite l'idée que la résistance face à l'ennemi pourrait amener la victoire, mais le gouvernement a déjà abandonné cette possibilité, et n'a plus les moyens de l'organiser[17].

Le départ de la cour portugaise au Brésil

AccompagnĂ© de toute la famille royale et d'une longue suite de nobles, de prĂ©lats, de fonctionnaires et de domestiques, Jean embarque pour le BrĂ©sil avec les collections d'art de la couronne, les archives d'État et le trĂ©sor royal. L'idĂ©e d'un dĂ©mĂ©nagement de la cour portugaise en AmĂ©rique est ancienne et des prĂ©paratifs en ce sens ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© faits quelques mois avant le vĂ©ritable dĂ©part des Bragance au BrĂ©sil. Pourtant, cette fois, la fuite se fait dans la prĂ©cipitation, sous une pluie battante qui a transformĂ© les rues en bourbier. Elle cause l'Ă©moi au sein de la population, qui oscille entre surprise et colère Ă  la nouvelle que son prince est sur le point de l'abandonner. Dans la confusion gĂ©nĂ©rale, sont oubliĂ©es dans les rues d'innombrables malles pleines d'effets personnels, des sacs remplis d'argenterie venue des Ă©glises (argenterie ensuite confisquĂ©e et fondue par les Français) et mĂŞme la prĂ©cieuse collection de 60 000 ouvrages de la Bibliothèque royale, finalement sauvĂ©e et envoyĂ©e plus tard au BrĂ©sil[18] - [19] - [20].

Le départ de la famille royale portugaise au Brésil. Tableau anonyme, début du XIXe siècle.

Si l'on en croit le récit de José Acúrsio das Neves, le départ de la cour provoque une vive commotion dans l'esprit du régent, qui suffoque à l'idée d'abandonner ses sujets et de s'enfuir vers une terre inconnue[21]. Soucieux de se justifier auprès de la population, le prince donne l'ordre de placarder des affiches dans les rues expliquant que le départ de la cour est inévitable, en dépit de tous les efforts réalisés pour assurer l'intégrité et la paix du royaume. Il demande par ailleurs aux Portugais de rester calmes et de ne pas résister à l'envahisseur pour ne pas faire couler le sang en vain[22].

Durant la traversĂ©e de l'Atlantique, Jean voyage sur le mĂŞme navire que sa mère, la reine Marie Ire, et ses deux fils survivants, les princes Pierre et Michel. Il s'agit lĂ  d'une dĂ©cision assez imprudente, compte tenu des dangers que reprĂ©sente encore, Ă  cette Ă©poque, un voyage transatlantique. Il est vrai que l'Ă©pouse et les filles du rĂ©gent voyagent Ă  bord de deux autres bateaux, ce qui rĂ©duit le risque d'extinction totale de la famille royale en cas d'incident en mer[22]. Le nombre de personnes embarquĂ©es aux cĂ´tĂ©s des Bragance est très controversĂ©. Au XIXe siècle, on Ă©voque volontiers le chiffre de 30 000 personnes[23] mais les estimations plus rĂ©centes oscillent plutĂ´t entre 500 et 15 000 individus. De fait, les quinze navires qui composent l'escadre royale peuvent transporter un maximum de 12 Ă  15 000 personnes, en comptant les Ă©quipages. Il reste que plusieurs rapports indiquent que les bateaux sont surchargĂ©s… Ce qui est certain, en tout cas, c'est que le transfert de la cour sĂ©pare de nombreuses familles et que mĂŞme de hauts dignitaires ne parviennent pas Ă  embarquer, tant le nombre des voyageurs est important. Or, la traversĂ©e de l'ocĂ©an n'est nullement tranquille. Après avoir affrontĂ© une forte tempĂŞte qui l'a obligĂ©e Ă  dĂ©vier considĂ©rablement sa route, une partie de l'escadre est sĂ©rieusement endommagĂ©e. En outre, la surpopulation des bateaux oblige la noblesse Ă  effectuer la traversĂ©e dans des conditions humiliantes. La majoritĂ© des aristocrates doit ainsi dormir Ă  mĂŞme les ponts, blottis les uns contre les autres, dans le vent et la pluie. Or, nombre de voyageurs n'ont pas emmenĂ©, avec eux, de vĂŞtements de rechange et l'hygiène, Ă  bord est terrible. Les poux se propagent Ă  grande vitesse, plusieurs personnes tombent malades et l'eau et Ă  la nourriture sont rationnĂ©es. Le voyage commence donc dans un climat maussade et des murmures ne tardent pas Ă  s'Ă©lever, aggravĂ©s par un brouillard Ă©pais, qui fait bientĂ´t perdre aux navires tout contact visuel. Une seconde tempĂŞte endommage sĂ©rieusement plusieurs bateaux et finit mĂŞme par disperser la flotte au large de Madère. Dans ces conditions difficiles, Jean choisit de modifier ses plans et donne l'ordre au groupe de navires qui l'accompagne encore de prendre la direction de Salvador de Bahia, alors que les autres bateaux continuent leur route jusqu'Ă  Rio de Janeiro. Cette dĂ©cision a probablement une explication politique et vise Ă  obtenir le soutien de la première capitale de la colonie brĂ©silienne, dont la population se montre fort mĂ©contente de son statut depuis le dĂ©classement de la ville en 1763[24] - [25].

L'installation au Brésil

L'arrivée de la Cour au Brésil

Allégorie montrant l'arrivée du prince Jean et de sa famille au Brésil. Œuvre anonyme, XIXe siècle.

Le , l'escadre transportant le rĂ©gent et sa famille accoste dans la baie de Tous les Saints, dans le Nord-Est du BrĂ©sil. Mais, une fois arrivĂ©s Ă  Salvador, les navires ont la surprise de trouver le port dĂ©sert. Le gouverneur de la colonie a en effet prĂ©fĂ©rĂ© attendre les ordres du rĂ©gent avant d'autoriser la population Ă  venir accueillir la famille royale. Surpris par cette initiative, le rĂ©gent permet Ă  tout un chacun de venir le voir Ă  sa guise[26]. Pour laisser la noblesse se reposer après une traversĂ©e aussi pĂ©nible, Jean reporte toutefois le dĂ©barquement de sa suite au lendemain. Les voyageurs sont alors accueillis dans la liesse, au son des cloches, et escortĂ©s par une procession jusqu'Ă  la cathĂ©drale, oĂą est donnĂ© un Te Deum en l'honneur de la famille royale. Les jours suivants, le prince reçoit tous ceux qui souhaitent lui rendre hommage, se prĂŞte Ă  la cĂ©rĂ©monie du baise-main et concède une sĂ©rie de faveurs[27]. Il autorise ainsi la crĂ©ation d'une salle publique d'Ă©conomie et d'une Ă©cole de chirurgie Ă  Salvador[28]. Surtout, il Ă©met un « dĂ©cret d'ouverture des ports brĂ©siliens aux nations amies Â» dont la portĂ©e est capitale : celui-ci met en effet un terme Ă  l'exclusif colonial auquel Ă©tait soumis le BrĂ©sil, ce qui bĂ©nĂ©ficie tout autant Ă  la vice-royautĂ© elle-mĂŞme qu'au Royaume-Uni, dĂ©sormais premier partenaire commercial de l'AmĂ©rique portugaise[29].

Pendant un mois, Salvador célèbre la présence de la cour en son sein. Les autorités municipales cherchent à séduire le régent afin de le persuader d'établir le siège de son royaume dans la ville et vont jusqu'à lui proposer d'y construire un luxueux palais pour accueillir la famille royale. Cependant, Jean décline cette offre et fait connaître aux habitants sa volonté de s'installer à Rio de Janeiro. La cour reprend donc sa route et arrive dans la baie de Guanabara le . À Rio, le régent retrouve son épouse, ses filles et d'autres membres de sa suite, dont les navires ont été séparés de son escadre pendant le voyage et qui sont arrivés à destination avant lui. Le 8 mars, toute la cour débarque finalement dans la capitale du Brésil. Le régent et son entourage découvrent alors une ville entièrement décorée pour recevoir la famille royale et des festivités sont organisées en son honneur durant neuf jours[30].

Une installation difficile

Avec le régent, s'installe à Rio l'essentiel de ce qui constitue l'appareil d'État d'une nation souveraine : des élites civiles, religieuses et militaires, une aristocratie et des professions libérales, des artisans qualifiés et des fonctionnaires. Pour de nombreux chercheurs, le transfert de la cour dans la capitale du Brésil permet donc la mise en place d'un État brésilien moderne et constitue le premier pas en direction de l'indépendance de la colonie[31]. Ainsi, pour Caio Prado Jr., même si le pays reste encore une dépendance du Portugal durant plusieurs années :

« En Ă©tablissant au BrĂ©sil le siège de la monarchie, le rĂ©gent a aboli ipso facto le rĂ©gime colonial dans lequel le pays vivait jusque-lĂ . Tous les traits de ce rĂ©gime disparaissent, hormis le fait d'avoir Ă  sa tĂŞte un gouvernement Ă©tranger. Les uns après les autres, tous les vieux engrenages de l'administration coloniale sont abolis et remplacĂ©s par ceux d'une nation souveraine. Les restrictions Ă©conomiques s'effondrent et les intĂ©rĂŞts du pays passent au premier plan des rĂ©flexions politiques du gouvernement Â»[32].

La première difficulté que doit affronter la suite du régent une fois arrivée à Rio est de se loger : une tâche difficile étant donné le nombre des nouveaux arrivants et la faible étendue de la capitale à l'époque. La ville manque en effet de demeures suffisamment dignes pour satisfaire la noblesse et, surtout, la famille royale. Le régent lui-même s'installe ainsi dans le palais du vice-roi, une vaste demeure située dans le centre de la capitale, mais peu confortable et fort éloignée des standards de confort des palais portugais. Quant à la reine Marie Ire, elle est logée avec sa suite dans le couvent du Carmel, qui est réquisitionné pour elle. Afin de loger le reste de la noblesse et les nouvelles institutions du pays, le pouvoir s'approprie arbitrairement d'innombrables résidences privées, dont les propriétaires sont parfois chassés brutalement[33].

Le Palais de Saint-Christophe, en 2009.

Le régent étant toujours mal installé malgré les efforts des vice-rois Marcos de Noronha e Brito et Joaquim José de Azevedo pour accommoder son palais, le marchand Elias Antônio Lopes lui offre sa maison de campagne, la Quinta da Boa Vista. Il s'agit là d'un somptueux petit palais très bien situé qui séduit immédiatement le régent. Après quelques travaux d'agrandissement et de transformations, la villa devient le palais de Saint-Christophe. De son côté, l'infante Charlotte-Joachime préfère s'établir loin de son époux, près des plages de Botafogo[33].

En 1808, Rio de Janeiro abrite environ 60 000 habitants et l'arrivĂ©e de la cour la transforme presque du jour au lendemain. Les nouveaux arrivants, très exigeants, y imposent ainsi une nouvelle organisation de l'approvisionnement en aliments et en autres biens de consommation, notamment en produits de luxe. L'intĂ©gration des Portugais met plusieurs annĂ©es Ă  s'opĂ©rer et leur installation rend la vie quotidienne Ă  Rio totalement chaotique durant une longue pĂ©riode. Les loyers doublent ; les impĂ´ts augmentent tandis que la nourriture se fait plus rare, du fait des rĂ©quisitions organisĂ©es par la noblesse. Tout cela contribue Ă  dissiper grandement l'enthousiasme manifestĂ©, dans un premier temps, par les habitants pour l'installation de la famille royale dans la ville. Pourtant, l'arrivĂ©e de la cour amène aussi des changements plus positifs sur le long terme. La physionomie de la capitale Ă©volue nettement, avec la construction d'innombrables rĂ©sidences, palais et autres Ă©difices. Les services et les infrastructures publics sont considĂ©rablement amĂ©liorĂ©s. En outre, la prĂ©sence de la noblesse introduit dans la colonie de nouvelles manières, modes et habitudes, et mĂŞme une nouvelle hiĂ©rarchie sociale[34] - [35] - [36] - [37].

La vie Ă  Rio de Janeiro

La cérémonie du baisemain à la cour de Jean VI, à Rio. Gravure d'un officier britannique aux initiales A.P.D.G., 1826.

Parmi ces nouvelles coutumes, le rĂ©gent importe au BrĂ©sil l'ancienne cĂ©rĂ©monie du baisemain, qui exerce rapidement une grande fascination sur la population de la colonie et s'inscrit bientĂ´t dans le folklore national[38]. Chaque jour, sauf le dimanche et les jours fĂ©riĂ©s, Jean reçoit ainsi ses sujets, nobles et roturiers, qui se pressent en une longue file d'attente pour le rencontrer. Le peintre Henry L'EvĂŞque dĂ©crit ainsi comment « le Prince, accompagnĂ© d'un secrĂ©taire d'État, d'un Valet et de quelques officiers de sa Maison, reçoit toutes les requĂŞtes qui lui sont prĂ©sentĂ©es ; Ă©coute avec attention toutes les plaintes [et] toutes les demandes des requĂ©rants ; en console certains, rend espoir Ă  d'autres… La vulgaritĂ© des manières, les familiaritĂ©s de langage, l'insistance des uns et la loquacitĂ© des autres : rien ne le met en colère. Il semble oublier qu'il est leur seigneur et se rappeler seulement qu'il est leur père Â»[39]. L'historien Manuel de Oliveira Lima insiste quant Ă  lui sur le fait que « jamais [le prince] ne confondait les physionomies ou les suppliques, et il Ă©merveillait [souvent] les requĂ©rants en dĂ©montrant sa connaissance de leurs vies, de leurs familles, et mĂŞme des petits incidents qui leur Ă©taient arrivĂ©s dans le passĂ© et qu'eux-mĂŞmes ne pouvaient croire qu'ils aient pu arriver Ă  la connaissance du roi »[40].

À Rio de Janeiro, Jean mène une vie assez simple, dans un environnement précaire. Alors qu'il était installé dans un relatif isolement au Portugal, il se montre plus dynamique et intéressé par la nature au Brésil. Il passe ainsi régulièrement du palais impérial au palais de Saint-Christophe et séjourne aussi dans l'Ilha de Paquetá, l'Ilha do Governador, à Praia Grande, dans l'ancienne Niterói ou dans la Real Fazenda de Santa Cruz. Il y pratique la chasse et n'hésite pas à s'attarder dans les lieux qu'il trouve agréables, dormant sous un arbre ou dans une tente. Malgré les moustiques et la chaleur tropicale, que la majeure partie des Portugais et des autres étrangers déteste par-dessus tout, Jean se plaît beaucoup au Brésil[41]. Il déteste en revanche tout ce qui vient bouleverser sa routine, allant jusqu'à porter quotidiennement la même casaque jusqu'à ce qu'elle parte en lambeaux et obligeant alors ses domestiques à recoudre ses vêtements à même sa peau pendant son sommeil. Terrorisé par le tonnerre, il se barricade par ailleurs dans ses appartements à chaque orage et n'accepte alors de voir personne[42].

La progressive construction d'un royaume indépendant

Tout au long de son séjour au Brésil, Jean crée un grand nombre d'institutions et de services publics dans la colonie. Il y développe en outre l'économie et la culture. Dans les premiers temps, les réformes qu'il met en place s'expliquent seulement par la nécessité d'administrer un vaste empire auparavant dépourvu de toute administration autonome. Il est en effet prévu que la cour et la famille royale rentrent en Europe une fois la situation du Portugal normalisée. Mais, avec les années, les mesures imposées par le régent servent de base à l'autonomie brésilienne[43] - [44].

Drapeau du Royaume uni de Portugal, du Brésil et des Algarves.

Parmi les réussites du monarque, on peut compter l'Imprimerie royale, le Jardin botanique de Rio de Janeiro[45], l'Arsenal de la Marine, la Manufacture de Poudre[46], le Corps des Pompiers, la Marine marchande ou la Maison des Enfants abandonnés[47], la Bibliothèque royale[48], le Musée royal[49], le Théâtre royal de Saint-Jean[47]. Jean VI crée par ailleurs différentes écoles dans les provinces de Rio, de Pernambouc ou de Bahia. Grâce à elles, il fait progresser l'enseignement de la théologie, de la dogmatique et de la morale ; du calcul intégral, de la mécanique, de l'hydrodynamique, de la chimie, de l’arithmétique ou de la géométrie ; du français et de l'anglais ; de la botanique, de l'agriculture et de bien d'autres matières encore. Il favorise aussi la fondation de différentes sociétés et académies dédiées aux études scientifiques, littéraires et artistiques parmi lesquelles la Société royale des hommes de lettres de Bahia, l'Institut académique des sciences et des beaux-arts[50], l'École d'anatomie, de chirurgie et de médecine de Rio de Janeiro[51] et l'Académie royale d'Artillerie, de Fortification et de Dessin[52], l'Académie des gardes-marine, l'Académie militaire[46].

Dans le même temps, le roi met en place une administration publique de haut rang en créant un ministère de la Guerre et des Affaires étrangères, un ministère de la Marine et de l'Outre-Mer, un Conseil militaire suprême, des Archives militaires, des Cours de Justice, des Bureaux de conscience et de commande, une Intendance de police, une Banque du Brésil[45] - [46], une Junte royale du Commerce, de l'Agriculture, des Manufactures et de la Navigation[53], et une Administration générale des Postes[46]. Surtout, le roi n'hésite pas à placer dans ces administrations des fonctionnaires brésiliens, ce qui contribue à diminuer les tensions entre métropolitains et natifs de la colonie[54]. Finalement, le roi contribue au développement de l'agriculture, spécialement du coton, du riz et de la canne à sucre. Il fait également ouvrir de nouvelles voies carrossables et stimule la navigation fluviale pour faciliter la circulation intérieure des biens et des personnes[55].

Allégorie des vertus de Dom Jean VI. Tableau de Domingos Sequeira, v. 1800.

Cependant, la pĂ©riode johannine n'est pas uniquement marquĂ©e par le progrès et le dĂ©veloppement du BrĂ©sil. D'abord parce que certaines des innovations introduites par le souverain se rĂ©vèlent totalement inefficaces, voire inutiles, comme le fait remarquer HipĂłlito JosĂ© da Costa[56]. Ensuite parce que le pays connaĂ®t une sĂ©rie de crises, qui bouleverse la vie des habitants. Dès 1809, la colonie entre ainsi en guerre contre la France et l'armĂ©e luso-brĂ©silienne est mobilisĂ©e pour envahir la Guyane en reprĂ©sailles de l'occupation du Portugal par les forces napolĂ©oniennes[57]. D'importants problèmes Ă©conomiques secouent par ailleurs le pays. L'accord commercial imposĂ© Ă  Jean VI par le Royaume-Uni en 1810 permet aux marchandises britanniques d'inonder le marchĂ© national et d'Ă©touffer la jeune industrie brĂ©silienne[58] - [59]. Dans ces conditions, le dĂ©ficit public est multipliĂ© par vingt tandis que la corruption contamine toutes les institutions, y compris la première Banque du BrĂ©sil, qui fait finalement faillite. En outre, la cour mène un train de vie extravagant, accumule les privilèges et fait vivre une armĂ©e de comploteurs et d'aventuriers. Le consul britannique James Henderson fait ainsi observer que peu de cours europĂ©ennes Ă©taient aussi nombreuses que la cour portugaise au dĂ©but du XIXe siècle. Quant Ă  l'historien Laurentino Gomes, il explique que Jean a distribuĂ© plus de titres de noblesse pendant ses huit premières annĂ©es au BrĂ©sil que ses prĂ©dĂ©cesseurs durant les trois siècles prĂ©cĂ©dents, et cela sans mentionner les 5 000 ordres honorifiques dĂ©cernĂ©s dans le mĂŞme temps par le rĂ©gent[60] - [56].

Après la chute de Napoléon Ier en 1814-1815, le Congrès de Vienne mis en place par les puissances coalisées réorganise la carte de l'Europe et de ses colonies. Sous l'influence du Royaume-Uni, le comte de Palmela, ambassadeur du Portugal au Congrès, et le prince de Talleyrand, représentant de la France, conseillent aux Bragance de rester au Brésil. Ils suggèrent par ailleurs à la famille royale d'élever la colonie au rang de royaume confédéré au Portugal. Le représentant britannique soutenant lui aussi cette idée, le Royaume uni de Portugal, du Brésil et des Algarves est finalement créé le au profit de la reine Marie Ire. La nouvelle institution juridique est ensuite rapidement reconnue par les autres nations[44].

Entre accession au trône et révolutions libérales

Entre difficultés familiales et invasion de la Cisplatine

Jean VI et son Ă©pouse par Manuel Dias de Oliveira : un portrait officiel qui dissimule d'importantes dissensions.

Le , la reine Marie Ire disparaĂ®t et son fils monte sur le trĂ´ne sous le nom de « Jean VI Â». Ce n'est cependant que le que le nouveau roi est acclamĂ© Ă  Rio de Janeiro, au cours de grandes festivitĂ©s[12]. Pendant ce temps, la reine Charlotte-Joachime continue Ă  conspirer contre les intĂ©rĂŞts portugais. Toujours aussi ambitieuse, la souveraine entreprend, dès son arrivĂ©e au BrĂ©sil, des nĂ©gociations avec les Cortes espagnoles et avec les nationalistes du Rio de la Plata pour se faire proclamer rĂ©gente d'Espagne, reine d'un nouveau royaume hispano-amĂ©ricain indĂ©pendant, voire souveraine d'un BrĂ©sil dĂ©barrassĂ© de son Ă©poux. Le comportement de Charlotte-Joachime rend la cohabitation du couple royal impossible, en dĂ©pit de la patience dont le monarque fait montre avec sa femme et la nĂ©cessitĂ© de donner au public un visage uni de la monarchie. MalgrĂ© la sympathie qu'elle rencontre auprès de ses interlocuteurs hispaniques, la reine ne voit aucun de ses projets politiques aboutir. Elle parvient nĂ©anmoins Ă  influencer assez Jean VI pour qu'il intervienne plus directement dans la politique coloniale espagnole, ce qui se traduit finalement par l'invasion de la Bande orientale Ă  partir de 1816 et son annexion sous le nom de Cisplatine en 1821[61] - [62].

Ă€ la mĂŞme Ă©poque, se pose la question du mariage de l'hĂ©ritier du trĂ´ne. Le BrĂ©sil Ă©tant considĂ©rĂ© par les EuropĂ©ens comme un pays trop lointain, arriĂ©rĂ© et dangereux, trouver une candidate au mariage s'avère un exercice difficile pour le gouvernement. Après un an de recherches intensives, l'ambassadeur portugais mandatĂ© pour cette tâche, Pedro JosĂ© de Meneses Coutinho, parvient finalement Ă  trouver une Ă©pouse pour le prince Pierre au sein de l'une des plus prestigieuses familles souveraines d'Europe : la maison de Habsbourg-Lorraine. Mais, pour parvenir Ă  ce rĂ©sultat, le diplomate doit mentir Ă  ses interlocuteurs sur la situation du BrĂ©sil, exhiber une pompe ostentatoire et distribuer force diamants et lingots d'or aux courtisans viennois. Dom Pierre Ă©pouse donc l'archiduchesse Marie-LĂ©opoldine d'Autriche, fille de l'empereur François Ier, en 1817[63]. Pour le monarque autrichien et son chancelier Metternich, l'alliance constitue « un pacte très avantageux entre l'Europe et le nouveau Monde Â», dans la mesure oĂą il peut fortifier le rĂ©gime monarchique dans les deux hĂ©misphères et donner Ă  l'empire d'Autriche une nouvelle zone d'influence[64].

La Révolution libérale portugaise

Les Cortes portugaises en 1822, par Oscar Pereira da Silva.

Dans le même temps, la situation politique du Portugal se dégrade. Privé de son souverain et dévasté par l'invasion française, qui a amené dans le pays famine et exode[65], le royaume est devenu une sorte de protectorat britannique après le départ des troupes napoléoniennes. Face au maréchal William Beresford, qui gouverne le pays d'une main de fer, les Portugais réclament le retour des Bragance à Lisbonne. Des révoltes d'orientation libérale éclatent en différents lieux, sous l'égide de sociétés secrètes qui demandent la convocation de Cortes, dont la réunion n'a pas eu lieu depuis 1698[6] - [66].

Sous l'influence de la métropole, le Brésil connaît une agitation politique similaire. En 1817, éclate ainsi, à Recife, la Révolution du Pernambouc, qui instaure un gouvernement provisoire républicain dans la province et parvient à s'infiltrer dans d'autres régions, avant d'être sévèrement réprimée. Le , une Révolution libérale éclate à Porto avant de se propager à Lisbonne et d'aboutir à l'instauration d'une Junte gouvernementale. Des Cortes constituantes sont finalement élues, un gouvernement formé et des élections législatives convoquées sans consulter auparavant Jean VI. Rapidement, le mouvement se propage aux colonies portugaises. Il s'étend à Madère et aux Açores, avant d'atteindre les capitaineries de Grão Pará (), de Bahia () et même de Rio de Janeiro ()[6] - [66] - [67].

Le , les Cortes réunies à Lisbonne décrètent la formation d'un Conseil de Régence chargé d'exercer le pouvoir au nom de Jean VI. Elles libèrent par ailleurs de nombreux prisonniers politiques et exigent le retour immédiat du roi et de sa famille. Contraint à reconnaître les Cortes, Jean VI convoque, le 20 avril, une réunion des notables de Rio dans le but d'organiser l'élection des députés de la province à l'Assemblée constituante. Cependant, la réunion aboutit à une protestation publique, qui est réprimée violemment par le pouvoir. À l'époque, l'opinion dominante au Brésil est que le retour du roi à Lisbonne pourrait s'accompagner du retrait de l'autonomie accordée au pays et sa rétrogradation au statut de colonie. Pressé de toutes parts, Jean VI cherche une voie moyenne pour résoudre le problème : il envisage ainsi d'envoyer son fils et héritier, le prince Pierre, au Portugal afin d'y établir les bases d'un nouveau gouvernement. Cependant, les idées du jeune homme ne sont pas celles de son père et le roi abandonne finalement ce projet. Face à la crise politique qui se développe, Jean VI se résout à rentrer à Lisbonne. La famille royale quitte donc le Brésil le , après treize ans de présence en Amérique du Sud. Mais, avant de rentrer en Europe, Jean VI nomme le prince royal régent au Brésil[6] - [12] - [66].

Le retour au Portugal et le soulèvement du Brésil

DĂ©barquement de Jean VI Ă  Lisbonne. Gravure de 1821.

L'escadre royale arrive dans le port de Lisbonne le . Le retour du souverain et de sa famille est orchestré de manière à montrer qu'il n'a nullement été contraint à revenir en Europe. Pourtant, il se déroule dans un environnement politique tout nouveau[6]. Après l'adoption de la première constitution du pays par les Cortes, le souverain est contraint de prêter serment de l'observer, le . Refusant d'imiter son mari et de reconnaître ainsi la fin de l'absolutisme royal, Charlotte-Joachime est privée de ses fonctions politiques et se voit retirer son titre de reine. Déjà affaibli par ces événements, Jean VI voit sa souveraineté sur le Brésil contestée. Après avoir refusé de rentrer à Lisbonne, le prince Pierre déclare l'indépendance du Brésil le avant d'être acclamé empereur du pays quelques semaines plus tard[12] - [68].

Selon la tradition, cependant, Jean VI n'aurait pas beaucoup souffert de l'attitude de son fils. Avant son dĂ©part du BrĂ©sil, il aurait au contraire dĂ©clarĂ© Ă  son hĂ©ritier : « Pierre, le BrĂ©sil se sĂ©parera bientĂ´t du Portugal : si c'est le cas, ceins la couronne avant qu'un aventurier quelconque ne le fasse ». D'après les mĂ©moires du comte de Palmela, l'indĂ©pendance du BrĂ©sil aurait mĂŞme Ă©tĂ© concertĂ©e entre le roi et son fils. Quoi qu'il en soit, la correspondance ultĂ©rieure entre Pierre et son père montre la crainte de l'empereur du BrĂ©sil de voir sa politique dĂ©grader leur relation personnelle[69]. En outre, la reconnaissance formelle de l'indĂ©pendance tarde. Elle n'intervient qu'en 1825[12].

Dernières années

De la Vilafrancada Ă  l'Abrilada

Le prince Michel lors de la Vilafrancada. Gravure du XIXe siècle.

La constitution acceptée par Jean VI en 1822 ne reste en vigueur que quelques mois. En effet, tous, au Portugal, ne soutiennent pas les institutions libérales et un mouvement contre-révolutionnaire se développe rapidement. Ainsi, le , à Trás-os-Montes, le comte d'Amarante proclame la restauration de la monarchie absolue. Le soulèvement n'aboutit pas mais l'agitation se poursuit. Le 27 mai suivant, l'infant Michel, soutenu par sa mère Charlotte-Joachime, organise une autre révolte, connue sous le nom de Vilafrancada, pour restaurer l'absolutisme. Afin d'éviter sa propre déposition, souhaitée par le parti de la reine, le roi abandonne les libéraux et offre son soutien à son fils. Le jour de son anniversaire, le souverain apparaît en public avec l'infant, revêtu pour l'occasion d'un uniforme de la garde nationale portugaise, un corps militaire de tendance libérale qui l'applaudit pourtant chaudement. Le monarque se rend ensuite personnellement à Vila Franca afin de résoudre la crise. Son retour à Lisbonne est un véritable triomphe mais le climat politique reste longtemps indécis, d'autant que les soutiens les plus fermes du libéralisme rechignent à se compromettre avec le souverain. Avant d'être dissoutes, les Cortes protestent ainsi officiellement contre toute modification de la constitution, mais le régime restaure malgré tout l'absolutisme[12] - [70]. Il rétablit par ailleurs les droits de la reine et le roi est acclamé une seconde fois le . En outre, Jean VI fait réprimer les manifestations en faveur du régime parlementaire, déporter ou arrêter des libéraux, et recomposer la magistrature et d'autres institutions dans un sens plus conservateur. Le souverain crée toutefois aussi une commission chargée d'élaborer une nouvelle charte constitutionnelle[70] - [71].

L'alliance du roi et de son fils cadet est de courte durée. Sous l'influence de sa mère, dom Michel organise un coup d'État contre son père le . À la tête de la garnison militaire de Lisbonne, il place alors Jean VI en état d'arrestation au palais de Bemposta et fait également emprisonner nombre d'opposants politiques. C'est l’Abrilada, dont le prétexte est l'éradication de la franc-maçonnerie, censée menacer le souverain, mais qui vise en réalité à forcer le roi à abdiquer. Alerté par la situation, le corps diplomatique se rend alors au palais et fait preuve d'une telle autorité qu'il oblige les gardes du monarque à assouplir leur régime de détention. Le 9 mai suivant, sous le conseil des ambassadeurs, Jean VI prend le prétexte d'un séjour à Caxias pour trouver refuge auprès de la flotte britannique qui mouille alors dans le port. En sécurité à bord du Windsor Castle, il fait appeler son fils auprès de lui, le réprimande, le destitue de son commandement de l'armée et lui ordonne de libérer tous ses prisonniers avant de le contraindre à l'exil. Une fois la rébellion matée, le peuple descend dans les rues pour fêter la restauration du gouvernement légitime, unissant absolutistes et libéraux[12] - [72].

Le , le roi revient à Bemposta. Il reconstitue alors le cabinet tout en faisant preuve de mansuétude envers les responsables de la rébellion. Mais, dans le même temps, la reine Charlotte-Joachime continue à conspirer contre son époux. La police découvre ainsi qu'un nouveau coup d'État, prévu pour le 26 octobre, se prépare. Furieux contre sa femme, Jean VI fait, cette fois, preuve d'énergie et emprisonne la reine au palais de Queluz[12].

Une fin de règne difficile

Le roi Jean VI Ă  la fin de sa vie. Gravure de Manuel AntĂ´nio de Castro, 1825.

Dans les dernières années de son règne, Jean VI ordonne la création d'un port franc à Lisbonne, mais la mesure n'est jamais mise en place. Il ordonne une enquête pour déterminer les circonstances de la mort du marquis de Loulé (1824), son ami de longue date, mais aucune sentence n'est finalement émise. Le , le roi amnistie toutes les personnes impliquées dans la révolution de Porto, exceptés neuf officiers qui sont bannis du pays. Le jour même, le roi rétablit l'ancienne constitution du royaume et convoque une nouvelle Assemblée afin d'élaborer un nouveau texte constitutionnel. Cependant, cette initiative soulève de nombreuses oppositions, principalement de la part du gouvernement absolutiste espagnol et des partisans de Charlotte-Joachime[73].

MalgrĂ© tout, les problèmes les plus importants que doit affronter le souverain Ă  cette pĂ©riode sont liĂ©s Ă  l'indĂ©pendance du BrĂ©sil. Jusqu'Ă  sa sĂ©cession, la colonie brĂ©silienne fournissait en effet l'essentiel de ses revenus au Portugal et la fin du pacte colonial a des consĂ©quences très graves sur l'Ă©conomie lusitanienne. Alors que la guerre d'indĂ©pendance fait rage et que les forces brĂ©siliennes prennent un ascendant très net sur les forces portugaises, Lisbonne envisage un moment de lancer une expĂ©dition massive pour reconquĂ©rir la colonie, mais l'idĂ©e est finalement abandonnĂ©e. Des nĂ©gociations difficiles sont alors menĂ©es en Europe et Ă  Rio de Janeiro, sous la mĂ©diation et les pressions du Royaume-Uni. Elles aboutissent Ă  la reconnaissance dĂ©finitive de l'indĂ©pendance du BrĂ©sil lors de la signature du traitĂ© de Rio de Janeiro, le . Le roi fait alors libĂ©rer tous les sujets brĂ©siliens emprisonnĂ©s dans des geĂ´les portugaises et lĂ©galise le commerce entre les deux nations. En Ă©change, il reçoit le titre d'empereur titulaire du BrĂ©sil (son fils restant empereur effectif), ce qui lui permet dĂ©sormais de signer « Sa MajestĂ© l'Empereur et Roi Jean VI Â» sur les documents officiels. Surtout, le BrĂ©sil est contraint de payer son dernier emprunt contractĂ© vis-Ă -vis du Portugal. Aucune modification ni prĂ©cision n'est en revanche apportĂ©e aux règles de succession de la couronne lusitanienne et Pierre Ier du BrĂ©sil reste prince royal de Portugal et des Algarves[12] - [73].

Le roi Pierre IV de Portugal par Simplício Rodrigues de Sá, vers 1830.

Une disparition suspecte

Le , le roi Jean VI se rend au monastère des HiĂ©ronymites de BelĂ©m, oĂą il dĂ©jeune. Se sentant mal, il se retire ensuite au palais de Bemposta, oĂą il est pris de vomissements et de convulsions, qui durent plusieurs jours. Son Ă©tat de santĂ© semble finalement s'arranger mais, par mesure de prudence, le roi nomme sa fille Isabelle-Marie rĂ©gente de Portugal. Dans la nuit du 9, la santĂ© du monarque se dĂ©grade Ă  nouveau et il meurt le 10 mars Ă  cinq heures du matin. En dĂ©pit de leurs examens, les mĂ©decins du souverain ne parviennent pas Ă  dĂ©terminer exactement la cause de sa mort et la rumeur publique Ă©voque bientĂ´t un empoisonnement. Le corps du roi est embaumĂ© avant d'ĂŞtre inhumĂ© au PanthĂ©on royal des Bragance du monastère de Saint-Vincent de Fora. L'infante Isabelle-Marie prend immĂ©diatement la tĂŞte du gouvernement intĂ©rimaire tandis que Pierre Ier du BrĂ©sil est proclamĂ© roi de Portugal et des Algarves sous le nom de « Pierre IV Â»[74], ce qui n'est pas sans poser quelques difficultĂ©s[N 4] - [75].

Afin d'élucider la cause du décès du souverain, une équipe de chercheurs portugais exhume, en 2000, l'urne en céramique chinoise qui contient ses viscères. Des fragments du cœur de Jean VI sont alors réhydratés et soumis à des analyses qui permettent d'y détecter une quantité d'arsenic suffisante pour tuer deux personnes. Les suspicions de meurtre sont alors définitivement confirmées[76] - [77] - [78].

Controverse historiographique

D'après les historiens Jorge Pedreira et Fernando Dores Costa, peu nombreux sont les monarques portugais qui occupent une place aussi importante que Jean VI dans l'imaginaire populaire. Souvent dĂ©crit de manière caricaturale, du fait de ses tribulations conjugales et familiales mais aussi de sa personnalitĂ©, le roi fait ainsi volontiers l'objet de moqueries[79]. Il est alors dĂ©peint comme un homme paresseux, stupide et maladroit, perpĂ©tuellement accablĂ© par une Ă©pouse-mĂ©gère. Son attrait pour la nourriture en fait un mangeur insatiable et dĂ©goĂ»tant, dont les mains sont toujours couvertes de graisse, gardant constamment de la nourriture dans les poches afin de s'empiffrer quand le dĂ©sir l'en prend[43] - [80]. Cette image transparaĂ®t dans le film brĂ©silien Carlota Joaquina, Princesa do Brazil[43], une comĂ©die mĂŞlĂ©e d'une très vive critique sociale. Mais si cette Ĺ“uvre a eu une Ă©norme rĂ©percussion auprès du public, il s'agit, pour le critique Ronaldo Vainfas, d'« une histoire pleine d'erreurs de tous types, de fausses dĂ©clarations, d'inexactitudes [et] d'inventions Â». Pour l'historien Luiz Carlos Villalta, le film « constitue [mĂŞme] une large attaque contre la connaissance historique Â» et ne correspond pas du tout Ă  ce qu'avait annoncĂ© la cinĂ©aste Carla Camurati, qui prĂ©tendait « produire un rĂ©cit cinĂ©matographique qui constitue une sorte de roman historique avec des fonctions pĂ©dagogiques et qui offre ainsi au spectateur une connaissance du passĂ© pouvant l'aider, en tant que peuple, Ă  rĂ©flĂ©chir au prĂ©sent Â». L'historien va encore plus loin en dĂ©clarant que l'Ĺ“uvre n'apporte aucune connaissance historique nouvelle au spectateur mais renforce, au contraire, ses prĂ©jugĂ©s et n'aboutit finalement Ă  aucune rĂ©flexion critique sur l'histoire du BrĂ©sil[81].

Portraits de Jean VI réalisés par différents artistes et le dépeignant de manières très différentes.

L'iconographie elle-mĂŞme reprĂ©sente le roi de façons très diverses. Dans certains portraits, le roi apparaĂ®t sous les traits d'un homme obèse, disproportionnĂ© et nĂ©gligĂ© alors que dans d'autres, il est peint comme un personnage digne et Ă©lĂ©gant[82]… D'après la chercheuse IsmĂŞnia de Lima Martins, tous les auteurs ayant travaillĂ© sur le souverain s'accordent sur son amabilitĂ© et sa gentillesse. Cependant, tous les autres aspects de sa personnalitĂ© sont sujets Ă  controverse. Certains historiens insistent par exemple sur sa posture d'homme d'État alors que d'autres voient en lui un ĂŞtre lâche et incapable de gouverner. Mais, pour la chercheuse, « Dom Jean VI a marquĂ© de manière indĂ©lĂ©bile l'histoire luso-brĂ©silienne », poussant l'historiographie Ă  Ă©mettre des jugements constants sur la personnalitĂ© du roi, et cela en dĂ©pit des Ă©volutions continues de la discipline historique au XXe siècle[83].

Dans son gouvernement, Jean VI s'est toujours reposĂ© sur des personnalitĂ©s fortes, comme le comte de Linhares, le comte da Barca ou Tomás de Vila Nova Portugal, qui peuvent ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme les vĂ©ritables auteurs des mesures les plus importantes de son règne[84]. D'après John Luccock, un tĂ©moin de la pĂ©riode johannine, « le prince-rĂ©gent a souvent Ă©tĂ© accusĂ© d'apathie Â», pourtant c'Ă©tait un homme capable « d'une plus grande sensibilitĂ© et Ă©nergie de caractère que ce que ses amis et ses adversaires avaient en gĂ©nĂ©ral coutume de lui attribuer ». PlacĂ© dans un contexte qui aurait pu lui ĂŞtre fatal, il a affrontĂ© les Ă©vĂ©nements avec calme et a su agir avec vigueur et promptitude tout en faisant toujours preuve de bontĂ© et d'attention vis-Ă -vis de ses sujets[85]. Manuel de Oliveira Lima, auteur du dĂ©sormais classique Dom JoĂŁo VI no Brasil (1908), est l'un des grands responsables de la rĂ©habilitation du monarque[86] - [80]. Durant ses recherches, l'historien a ainsi Ă©tudiĂ© une grande quantitĂ© de documents contemporains du souverain sans trouver la moindre description nĂ©gative le concernant, ni dans le rĂ©cit des ambassadeurs, ni dans celui des autres diplomates accrĂ©ditĂ©s Ă  sa cour. Au contraire, Oliveira Lima a dĂ©couvert nombre de portraits de Jean VI très positifs, comme ceux laissĂ©s par le consul britannique Henderson ou le ministre des États-Unis Sunter. Plusieurs documents diplomatiques illustrent par ailleurs la largeur de vue du roi, qui considĂ©rait le BrĂ©sil comme un pays Ă  l'importance similaire Ă  celle des États-Unis et qui adoptait un discours non sans rapport avec la « DestinĂ©e manifeste Â» nord-amĂ©ricaine. Pour Oliveira Lima, le monarque affirmait son autoritĂ© sans violence, mais de manière persuasive et affable. Sa conduite des affaires internationales a souvent Ă©tĂ© mise en Ă©chec et n'Ă©tait pas toujours dĂ©nuĂ©e d'ambition impĂ©rialiste ; elle s'est cependant souvent rĂ©vĂ©lĂ©e clairvoyante, comme la politique qu'il a menĂ©e au BrĂ©sil et qui a Ă©tĂ© dĂ©crite plus haut[3] - [85].

Cependant, le gĂ©nĂ©ral Jean-Andoche Junot dĂ©crit le roi comme « un homme faible, soupçonneux de tout et de tous [et] jaloux de son autoritĂ©, mais incapable de se faire respecter Â». Selon le Français, Jean VI est ainsi « dominĂ© par les prĂŞtres et ne se rĂ©sout Ă  l'action que sous la contrainte de la peur ». Se fondant sur cette description, plusieurs historiens brĂ©siliens, comme Pandia Calogeras, Tobias Monteiro et Norton Luiz, dĂ©peignent le souverain sous des couleurs plus sombres. Chez les auteurs portugais, comme Oliveira Martins et Raul BrandĂŁo, le roi est invariablement dĂ©crit comme une figure burlesque, et cela jusqu'au retour des conservateurs au pouvoir en 1926, date Ă  partir de laquelle quelques historiens, comme Fortunato de Almeida, Alfredo Pimenta et Valentim Alexandre, dressent de lui un portrait plus positif[80] - [87] - [88]…

De nombreux auteurs, comme Leandro Loyola, IsmĂŞnia de Lima Martins ou LĂşcia Bastos, soulignent que, tout au long de son règne, Jean VI s'est fait de nombreux ennemis, a augmentĂ© les impĂ´ts et aggravĂ© la dette publique. Ils ajoutent qu'il a multipliĂ© les titres et les privilèges hĂ©rĂ©ditaires, mais n'a pas su apaiser les discordes qui divisaient la sociĂ©tĂ© et sa famille ni Ă©liminer la corruption enracinĂ©e Ă  tous les niveaux de l'administration. Ils insistent en outre sur le fait qu'il a laissĂ© le BrĂ©sil au bord de la faillite lorsqu'il a transfĂ©rĂ© le trĂ©sor royal au Portugal en 1821[43] - [89] - [80]. Mais quels qu'aient Ă©tĂ© le caractère du roi, ses rĂ©ussites ou ses erreurs, plusieurs auteurs insistent plutĂ´t sur son rĂ´le dans le dĂ©veloppement et l'unification de la nation brĂ©silienne. Gilberto Freyre affirme ainsi que « Dom Jean VI fut l'une des personnalitĂ©s qui ont le plus influencĂ© la formation nationale […], il fut un mĂ©diateur idĂ©al […] entre la tradition - qu'il incarnait - et l'innovation - qu'il a accueillie et encouragĂ©e - dans cette pĂ©riode dĂ©cisive pour l'avenir du BrĂ©sil Â»[90]. Quant Ă  Laurentino Gomes, il affirme qu'« aucune autre pĂ©riode de l'histoire du BrĂ©sil ne tĂ©moigne des changements aussi profonds, dĂ©cisifs et accĂ©lĂ©rĂ©s que les treize annĂ©es durant lesquelles la cour portugaise a vĂ©cu Ă  Rio de Janeiro Â». Des spĂ©cialistes comme Oliveira Lima, Maria Odila da Silva Dias, Roderick J. Barman et mĂŞme Laurentino considèrent que si Jean VI n'avait pas Ă©migrĂ© en AmĂ©rique et qu'il n'avait pas mis en place un puissant gouvernement centralisĂ©, le vaste territoire brĂ©silien, divisĂ© par d'importantes diffĂ©rences rĂ©gionales, se serait probablement morcelĂ© en plusieurs nations distinctes, comme cela s'est produit dans les colonies espagnoles Ă  la mĂŞme Ă©poque[91] - [43].

Les biographies les plus rĂ©centes du roi tentent donc de distinguer la lĂ©gende des faits, et de mettre un terme au folklore et au ridicule qui se sont formĂ©s autour de la personnalitĂ© du souverain[43]. L'historienne Lucia Bastos fait ainsi remarquer que certains comportements considĂ©rĂ©s aujourd'hui comme nĂ©gatifs doivent ĂŞtre analysĂ©s Ă  la lumière de l'Ă©poque oĂą ils se sont dĂ©roulĂ©s. Il en va par exemple de la question de la corruption et des dĂ©penses massives, qui se sont dĂ©roulĂ©es Ă  un moment oĂą il n'y avait pas de distinction très claire entre finances publiques et privĂ©es[80]. Selon Leandro Loyola, « de la recherche actuelle transparaĂ®t un chef d'État qui avait ses limites, mais qui a dĂ» affronter une conjoncture totalement adverse et qui y a survĂ©cu, en dĂ©pit du fait qu'il gouvernait un pays aussi petit, pauvre et dĂ©cadent que ne l'Ă©tait le Portugal au dĂ©but du XIXe siècle Â»[43]. D'après SĂ©rgio Miguez, il n'est donc pas anodin que NapolĂ©on Ier, le plus puissant ennemi de Jean VI, ait dĂ©clarĂ© Ă  son propos, peu avant sa mort Ă  Sainte-HĂ©lène : « Il est le seul Ă  m'avoir trompĂ© »[92].

Titulature

Dans la culture populaire

Au cinéma

Au cinéma, le rôle de Jean VI est interprété par :

À la télévision

À la télévision, le rôle de Jean VI est joué par :

En numismatique

L'effigie du roi apparaĂ®t sur les anciens billets brĂ©siliens de 500 cruzeiros[98].

Musées

Autres

  • L'AcadĂ©mie de Police Militaire Dom-JoĂŁo-VI est une Ă©cole militaire situĂ©e dans la ville de Rio de Janeiro ;
  • La galère de Dom JoĂŁo VI, aussi connue sous le nom de galère royale, est un ancien navire brĂ©silien aujourd'hui exposĂ© Ă  l'Espace culturel de la Marine, Ă  Rio de Janeiro.

Ascendance

Bibliographie

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Articles connexes

Liens externes

Notes et références

(pt) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en portugais intitulé « João VI de Portugal » (voir la liste des auteurs).

Notes

  1. Entre 1645 et 1815, les titres de prince du Brésil et de duc de Bragance désignent l'héritier du trône portugais.
  2. Plus précisément, le nord du Portugal doit être remis à l'ancien roi d'Étrurie (petit-fils du roi d'Espagne) en compensation de la perte de ses territoires, le centre doit être confié à la France en vue d'un possible échange avec le Royaume-Uni et le sud doit revenir au Premier ministre espagnol Manuel Godoy et à sa famille.
  3. Le terme de « Lusitanien Â» est ici, comme par la suite, utilisĂ© en tant que synonyme de « Portugais Â».
  4. Conscient que le retour à une union des couronnes luso-brésiliennes est désormais impossible, l’empereur choisit de renoncer à la couronne portugaise en faveur de sa fille aînée, qui devient dès lors la reine Marie II. L’abdication du souverain est toutefois conditionnelle : il exige que le Portugal adopte la constitution qu’il a rédigée pour lui et demande que la jeune Marie puisse épouser son oncle, le prince Michel (Barman 1988, p. 142).

Références

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