DĂ©coration de pignon en Scandinavie
La dĂ©coration de pignon en Scandinavie dans lâhabitat traditionnel et rural des pays nordiques est intimement liĂ©e Ă la construction en bois et aux bĂątiments en rondins empilĂ©s. Contrairement Ă dâautres rĂ©gions europĂ©ennes oĂč la maison principale fait lâobjet dâune attention plus particuliĂšre de la part des propriĂ©taires, lâornementation concerne Ă la fois lâhabitation principale et les bĂątiments annexes comme de simples greniers, des Ă©tables ou des fenils isolĂ©s pour lesquels la sculpture traditionnelle sur bois apporte des panneaux sculptĂ©s et des bas-reliefs qui complĂštent les motifs ornementaux des sommets de pignon. Alors quâelle a quasi disparu dans de nombreuses rĂ©gions scandinaves mĂ©ridionales, elle sâest encore maintenue dans les rĂ©gions de montagne, de hauts plateaux et de contrĂ©es trĂšs boisĂ©es Ă lâĂ©cart des axes de communication. La dĂ©coration supĂ©rieure du pignon joue soit sur un motif croisĂ©, soit sur la verticalitĂ© dâun poteau, soit enfin sur les deux cumulĂ©s comme dans le stabbur sur la photographie ci-contre. Dans tous les cas, des piĂšces de bois plus ou moins travaillĂ©es dĂ©passent la limite de la panne faĂźtiĂšre pour former un motif dĂ©coratif Ă l'aide du poinçon ou des chevrons de la charpente, des planches de rive ou de lattes fixĂ©es a posteriori sur les rives de toit et la faĂźtiĂšre. Les termes spĂ©cialisĂ©s pour dĂ©signer cette partie dĂ©corĂ©e du pignon se retrouvent aujourd'hui davantage dans les dictionnaires traitant des mots anciens et dĂ©suets: « gavlbrand » et « gavlspir » (Graphie dano-norvĂ©gienne ici).
Origine Ă©quivoque et terminologie
Ăchanges entre les peuples sans origine certaine
La dĂ©coration de pignon ou de toit dans la sphĂšre scandinave sâapparente indubitablement Ă celle de la plaine germano-polonaise et des rĂ©gions forestiĂšres et tourbeuses de Russie : deux Ă©lĂ©ments plus ou moins sculptĂ©s se croisent quelques centimĂštres au-dessus de la faĂźtiĂšre le plus souvent de chaque cĂŽtĂ© de la maison. Certains chercheurs penchent plutĂŽt pour une origine scandinave car il touche bizarrement les rĂ©gions dâexpansion ou dâĂ©tablissement des Vikings, Ă savoir de la Rus' de Kiev Ă lâest aux Ăles Britanniques Ă lâouest. Rien nâatteste nĂ©anmoins de maniĂšre univoque que lâornement de pignon des maisons longues vikings se soit transmis de maniĂšre continue du haut Moyen Ăge au romantisme du XIXe siĂšcle[1]. Les ethnologues et historiens de lâarchitecture en Basse-Saxe ne parviennent pas non plus Ă faire le lien direct entre les tĂȘtes de chevaux et lâornementation viking. Il nâest pas improbable mais pas attestĂ© pour autant.
Ă lâinverse, des chercheurs scandinaves pencheraient pour une origine slave des maisons Ă rondins dans leur rĂ©gion. Lâargument revient Ă dire que câest au contact des nouvelles terres dĂ©couvertes Ă lâest que les VarĂšgues ont ramenĂ© dans le nord la cabane Ă rondins couchĂ©s dâabord en SuĂšde, puis en NorvĂšge voisine[2]. De fait, la technique en bois debout supposĂ©e endĂ©mique Ă lâEurope de lâOuest sâoppose Ă lâarchitecture en troncs couchĂ©s des pays de lâEst[3] ; la premiĂšre a disparu en Europe occidentale au profit de la maison Ă pan de bois avec torchis ou briques moins gourmande en bois et plus rĂ©sistante car le solin protĂšge le bois de lâhumiditĂ© de la terre et la maison est dĂ©mĂ©nageable[3]. Ă lâexception de la Zakopane en Pologne du sud-est et de la NorvĂšge pour les Ă©glises, la technique en bois debout sâest maintenue mais elle est supplantĂ©e par les maisons Ă troncs couchĂ©s, puis les maisons avec planches. La maison ancestrale scandinave comme lâisba primitive sont des bĂątisses que lâon peut quasiment construire avec une hache pour seule outil[3].
Brand
Les mots composĂ©s qui dĂ©signent lâornementation du pignon comportent en forte majoritĂ© le terme « brand ». Les appellations varient en fait trĂšs peu dans les quatre langues scandinaves, en tout cas pour ce qui est des variantes dialectales qui font souvent fi des frontiĂšres nationales. Comme le mot remonte Ă lâĂ©poque norroise commune, la parentĂ© entre tous les pays scandinaves actuels va de soi. Le terme « gavlbrand » revient en norvĂ©gien et en danois, mais on lit Ă©galement les termes « husbrand » et « brandstang »[4]. Le point commun de ces mots spĂ©cialisĂ©s que seule une recherche dans des dictionnaires dâĂ©tymologie ou les ouvrages trĂšs spĂ©cialisĂ©s permet de trouver[N 1], ramĂšne Ă un ancien mot norrois « brandr » qui dĂ©signait entre autres un bĂąton, un piquet et plus prĂ©cisĂ©ment un poteau qui se dressait de chaque cĂŽtĂ© au-dessus de lâentrĂ©e principale de la maison que les occupants appelaient « brandadyrr » (donc porte sous le brandr)[5]. En dâautres termes, câest la variante verticale non croisĂ©e rappelant en français davantage lâĂ©pi de faĂźtage qui semble possĂ©der Ă lâĂ©poque viking et norroise, mais aussi plus tard dans la plupart des pays nordiques une vocation Ă la fois protectrice et identitaire du gavlspiss pour le pignon principal de la maison principale de la ferme comme un Ćil omniscient: le piquet de faĂźtage (ou mot Ă mot « piquet de pignon ») fait fonction en quelque sorte de gardien de la porte dâentrĂ©e, signale aux visiteurs quâils pĂ©nĂštrent dans un lieu consacrĂ© Ă une famille, un nom de chef de famille ou de clan avec les rĂšgles de biensĂ©ance que cela implique[6]. Ceci Ă©tant, les descriptions des ouvrages encyclopĂ©diques Ă propos du « gavlbrand » prĂȘtent Ă confusion car il est difficile de se reprĂ©senter si les poteaux en question sont fichĂ©s dans le sol de chaque cĂŽtĂ© de la porte ou si lâon fait bien rĂ©fĂ©rence Ă ces poteaux plus petits qui se croisent au-dessus de lâentrĂ©e[5] ; la plupart des articles Ă©voquent systĂ©matiquement le vieux terme norrois associĂ© « brandadyrr » qui dĂ©signe une porte justement encadrĂ© par ces deux poteaux[N 2]. Lâincertitude persiste Ă la lecture de la dĂ©finition apportĂ©e par un dictionnaire anglo-islandais qui Ă©voque « des becs de bateau fixĂ©s Ă la porte par deux[7]. Le dĂ©nominateur commun dans la tentative de dĂ©finition du mot brandr entre les langues scandinaves demeure finalement le lien intrinsĂšque que les habitants de ces contrĂ©es Ă©tablissent entre la porte dâentrĂ©e principale, la proue dâun navire et une dĂ©coration en forme de pique, seul ou par deux. Quelle que soit lâappellation rĂ©gionale, lâidĂ©e de saillie domine donc largement[4] : un objet dĂ©corĂ© saillant pointe vers le ciel en dĂ©bordant du pignon essentĂ©[N 3], du toit ou de la coque du navire[8]. Les ouvrages Ă©tymologiques corroborent tous la connotation verticale en attestant les dĂ©finitions du mot proto-nordique « brandr » gravitant autour du mot « bĂąton »[5] ou « perche » ou « poteau »[9]. Le mythologue Roland Barthes partait par exemple aussi du postulat que « le navire est un fait dâhabitat avant dâĂȘtre moyen de transport »[10].
En islandais contemporain pratiquĂ© au XIXe siĂšcle[11], le mot masculin « brandur » (au pluriel brandar) signifie toujours un poteau, un piquet souvent trĂšs dĂ©corĂ© et fixĂ© devant lâentrĂ©e dâun temple ou dâune ferme de chaque cĂŽtĂ© de la porte, ce qui leur donne le nom composĂ© « dyrabrandar ». Quand le mot est systĂ©matiquement employĂ© au pluriel, les « brandar » sont deux poteaux qui dĂ©passent Ă la proue des vieux bateaux souvent bien dĂ©corĂ©s et utilisĂ©s pour fixer les cordages. La parentĂ© entre la proue du bateau et l'accĂšs Ă la maison demeure actuelle dans l'usage linguistique mĂȘme si les dictionnaires prĂ©cisent que l'on ne les rencontrent que sur les trĂšs anciens types de bateau d'Islande. Johan Fritzner traduit dans son dictionnaire latin-norrois[5] le mot « skibsbrand » par « pertica navis ad proram prominens » (perche proĂ©minente du navire au niveau de la proue). Les linguistes norvĂ©giens Thorkelsson et Gislason pĂ©riphrasent le terme respectivement par « bugspjĂłt » et « bugspryd », donc une dĂ©coration de la proue, et parfois de la poupe. Pouvant engendrer une confusion, le terme « branda » (au pluriel bröndur) est quant Ă lui fĂ©minin; il dĂ©signe la latte au-dessus de lâentrĂ©e dâune Ă©table.
Comme jusquâĂ un passĂ© pas si lointain on donnait Ă©galement en NorvĂšge le nom de brand Ă une planchette quâil y avait au-dessus de la porte qui comportait le nom du propriĂ©taire ou sur la coque d'un bateau qui comportait le nom de ce bateau, le caractĂšre identitaire et nominatif du brand se mĂȘlant Ă la branda ne peut faire l'ombre d'un doute. Ce terme norrois est de ce fait probablement Ă lâorigine du terme anglais de la marque dĂ©posĂ©e, de lâimage de marque, le branding[N 4]. Cette coutume permet dâĂ©tablir un lien avec la fonction identitaire de lâornementation. On peut Ă©galement Ă©mettre lâhypothĂšse plausible que le brand permet de repĂ©rer au loin la prĂ©sence dâhabitations et de personnes comme cela se fait aussi dans dâautres rĂ©gions dâEurope centrale avec dâautres techniques comme les clochetons alpins par exemple.
Le mot est en conclusion trĂšs polysĂ©mique en norrois; d'ailleurs on le retrouve comme dĂ©terminĂ© ou dĂ©terminant dans les termes dĂ©signant lâallumette, la torche ou encore la lame dâune Ă©pĂ©e. En outre, on appelait aussi « brandur » une barre de bois quâon utilisait pour fermer une porte (slagbrandur)[6]. Pour revenir sur l'analogie entre toit de maison et proue de bateau, la lecture des sagas islandaises apportent une dimension superstitieuse qui mĂ©rite d'ĂȘtre Ă©voquĂ©e ici Ă l'instar des ophthalmoi grecs antiques. Dans l'une d'elles, il est par exemple fait mention dâun homme qui avait dĂ©cidĂ© dâarrĂȘter de partir en mer pour son nĂ©goce ; il fit dĂ©manteler son bateau et demanda Ă ce quâon lui mette les brandar du bateau au-dessus de l'entrĂ©e principale de sa demeure. Par la suite, bien aprĂšs son dĂ©cĂšs, on prĂȘtait des pouvoirs magiques et divinatoires Ă ces brandar qui pouvaient prĂ©dire lâarrivĂ©e de tempĂȘtes venant du sud ou du nord en fonction du bruit que faisait le brandur de gauche ou de droite[6]. Pour quelques analystes, les brandar sont initialement deux planches qui viennent de plus loin au niveau de la coque et se rejoignent Ă la proue du bateau; on pouvait y fixer un ornement quâon enlevait quand, par exemple, le bateau tombait Ă lâennemi. La figure de proue serait en fait fichĂ©e ou emboĂźtĂ©e dans les brandar: on pense par exemple au tĂȘte de dragon qui ont donnĂ© le nom de drakkar en français. Le geste symbolique d'enlever la figure pour qu'elle ne tombe pas aux mains de l'ennemi ou soit abandonnĂ©e lors d'un naufrage illustre le caractĂšre protecteur et quasi sacrĂ© de cette partie du navire. L'explication semble cohĂ©rente puisque l'observation des bateaux sur de la tapisserie de Bayeux rĂ©vĂšle clairement la prĂ©sence ou l'absence de figure de proue cĂŽte Ă cĂŽte[12]. Un morceau de bois peint reprĂ©sentant 45 Ă©traves de navire a Ă©tĂ© trouvĂ© lors de fouilles archĂ©ologiques : seulement 2 sont dĂ©corĂ©es dâune tĂȘte dâanimal, 3 sont surmontĂ©es dâune girouette et les autres finissent en pointe simple. Les figures de proue zoomorphes reprĂ©sentent le plus souvent des animaux Ă gueule ouverte comme des chevaux, des dragons, des taureaux, des serpents ou des griffons. Les figures de proue zoomorphes ne sont pas spĂ©cifique Ă lâĂ©poque des Vikings puisquâon en reconnaĂźt clairement sur les gravures rupestres de lâĂąge de bronze en Scandinavie, lesquelles rappellent davantage le cheval que le dragon[13]. De nombreuses figurations de bateaux y montrent le dĂ©veloppement poussĂ© de la navigation Ă cette Ă©poque[14].
Bien que dans les usages linguistiques scaldiques le mot pour Ă©trave, « stafn », soit souvent utilisĂ© pour dĂ©signer le bateau dans son intĂ©gralitĂ©[15], le terme « brant » est Ă©galement attestĂ© en Normandie mĂ©diĂ©vale dans le sens dâun bordĂ© en forme dâĂ©pĂ©e[10]. Il fait allusion au bois courbĂ© de la proue comme on peut le lire dans le roman de Rou de Wace pour dĂ©crire le bateau de Guillaume le ConquĂ©rant[N 5]. De fait, tous les bateaux vikings nâavaient pas forcĂ©ment une proue finissant en « brand » interprĂ©tĂ© comme une pointe dâĂ©pĂ©e ou un piquet.
Vindske
La dĂ©coration de pignon en terres scandinaves comme en terres saxonnes ramĂšne systĂ©matiquement au concept associĂ© de vindske[16] qui peut sâĂ©crire et se prononcer Ă©galement vindsked, vindskeid, vindski ou en fĂ©roĂŻen vindskeiĂ°[17]. Le mot est composĂ© de « vind » dont le sens reste Ă prĂ©ciser et de « ski » (skeid, sked) qui signifie « latte » ou « planche », celui-lĂ mĂȘme qui passera du norvĂ©gien au langage courant de nombreuses langues mondiales pour dĂ©signer les lattes pour glisser sur la neige.
Ce terme joue un rĂŽle essentiel dans le sujet de la dĂ©coration du pignon car, finalement, il serait abusif de parler d'un Ă©lĂ©ment ornemental spĂ©cifique qu'on fixerait Ă la pointe du pignon et qui serait perçu de maniĂšre distincte du toit, plutĂŽt que d'Ă©voquer les extrĂ©mitĂ©s des planches de rive qui se croisent au-dessus du faĂźte en crĂ©ant un effet dĂ©coratif par la mĂȘme occasion. Le dictionnaire des frĂšres Grimm[18] atteste le mot allemand « windbord » utilisĂ© gĂ©nĂ©ralement au pluriel pour dĂ©signer les planches qui, dans les toits de chaume, servent Ă protĂ©ger les gerbes en bordure de rive contre les coups de vent. Sont Ă©galement Ă©voquĂ©s les termes allemands synonymiques « windbrett », « windberge », « winddiele » ou « windscheide »[N 6]. Le dernier nâest donc que la prononciation allemande du mĂȘme mot quâen scandinave occidental « vindske ».
Entre la paire scandinave vindske et gavlbrand d'un cĂŽtĂ©, la paire allemande septentrionale Windbrett et tĂȘtes de chevaux de l'autre, la parentĂ© n'est plus Ă Ă©tablir bien que l'explication des termes diverge entre les deux aires culturelles concernant le mot « vind ». Les toits de chaume ou vĂ©gĂ©talisĂ©s se retrouvent de facto dans les deux aires concernĂ©es avec la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger soit les rives pour le toit vĂ©gĂ©talisĂ©, soit l'ouverture sous le faĂźte pour les toits de chaume nommĂ©e « Eulenloch » en Allemagne, « ljore » en NorvĂšge ou « lyre » au Danemark pour lâĂ©vacuation de la fumĂ©e au niveau du pignon ou au milieu de la maison.
Les toits en Scandinavie Ă©taient recouverts de tourbe (torfthak), dâherbe, de chaume de paille ou de roseau , de rondins ou de bois[6]. Toutefois, le plus rĂ©pandu est la couverture vĂ©gĂ©tale, y compris pour la maison en rondins devenue la maison de rĂ©fĂ©rence du monde nordique dans lâesprit des EuropĂ©ens plus mĂ©ridionaux. Le dĂ©bord du toit au-dessus des maisons Ă rondins Ă©tait appelĂ© mĂ©taphoriquement « moustache du toit » (tagskĂŠg ou takhofs en norvĂ©gien, eaves en anglais). Une baguette de bois longeait la rive de toit pour empĂȘcher que la couverture vĂ©gĂ©tale ne glisse vers le bas. Cette baguette sâappelait « torfvölr », « trovol » ou « torfhald »[6].
Les planches de rive de pignon Ă©taient le prolongement de ces torfvölr qui avaient aussi une vocation ornementale Ă©vidente. Ceci Ă©tant, on les trouve aussi dans dâautres maisons sans toiture vĂ©gĂ©tale. Comme ces planches de rive se tortillent et vrillent comme des serpents sur tout le pourtour du pignon, on les appelait soit « vindskeer » ou « vindskeiĂ°r » (c'est-Ă -dire mot Ă mot des planches qui se tordent, qui serpentent) soit des « snobrĂŠdder » (planches qui zigzaguent, se tortillent) ou « brandar » dĂ©jĂ Ă©voquĂ©s plus haut. Le substanstif « vindske » donne le verbe « vindskeiĂ°a » pour dĂ©signer la technique consistant Ă apposer des planches de rive ornementales sculptĂ©es[6] .
Gafl ou gavl
Le terme scandinave masculin « gafl » (forme islandaise actuelle ou encore gavl (no) , gavel (sv), galvur(fo)) est Ă l'origine du mot français « gable »[N 7] mĂȘme si ce dernier a pris un sens plus restrictif en architecture. Similaire aux mots des autres langues germaniques (gable(en),Giebel (de), gevel(nl)), il dĂ©signe le mur pignon d'un bĂątiment le plus souvent avec un toit Ă deux pans avec ou sans demi-croupe. Il occupe une place prĂ©pondĂ©rante dans la terminologie en usage pour dĂ©signer les diffĂ©rentes parties fonctionnelles ou ornementales des murs pignon. Les mots composĂ©s avec le dĂ©terminant « gafl » sont en effet nombreux.
Ceci Ă©tant, en fĂ©roĂŻen comme en islandais, ce mot dĂ©signe aussi les parties aux extrĂ©mitĂ©s du chĂąlit[17], donc le chevet et le pied de lit. On retrouve cette mĂȘme analogie pour le mot finnois du pignon, « pÀÀtykolmio », apparentĂ© à « pÀÀty » pour le chevet de lit. Ce point apporte une dimension supplĂ©mentaire Ă l'analogie que font, semble-t-il, les Scandinaves depuis des siĂšcles dans l'usage de termes rĂ©currents entre un bateau, une maison et un lit. Dans les trois cas, il s'agit clairement d'un lieu de vie privatif, associĂ© Ă un propriĂ©taire et avec lui son clan familial. C'est d'autant plus vrai qu'Ă l'inverse le terme masculin usuel pour dĂ©signer en islandais la proue d'un bateau (« framstafn ») sert aussi Ă dĂ©signer le pignon d'une maison. Une autre analogie, moins frappante cette fois, relie le mur pignon en bois d'une maison au castor (bjĂłr) dans le terme « bjĂłrĂŸil »[11].
Dans le contexte de la décoration de pignon, il convient de séparer les termes qui vont plutÎt désigner une ornementation en forme de flÚche, pointe ou épi de ceux qui décrivent une décoration par des planches, lattes ou extrémités de rives en forme de croix devant le faßte.
FlĂšche, Ă©pi
Poutres, lattes, poteaux
- gavlbrand (no),(da)
- dyrabrandur, bröndar[11] (is)
Ancien habitat vernaculaire
PĂ©riode viking
Lâune des maisons typiques de lâĂ©poque viking est la maison longue dont celle du site de fouilles de la forteresse circulaire de Trelleborg prĂšs de Slagelse au Danemark sert de rĂ©fĂ©rence[19]. Elle est a Ă©tĂ© reconstituĂ©e pour mieux se reprĂ©senter la forme du bateau quâelle imite Ă maints Ă©gards, Ă commencer par le toit en coque de navire, la forme gĂ©nĂ©rale en fuseau et lâarmature des poteaux tout autour. Dâun point de vue ornemental, la comparaison entre maison et bateau se remarque avec la dĂ©coration du pignon avec les deux planches ou tasseaux de rive arrondis qui se croisent en forme de cornes[20]. Sur une autre maison de cet Ă©comusĂ©e archĂ©ologique de Trelleborg, les figures ornementales dâun pignon dâune maison Ă toit de chaume attirent lâattention avec une tĂȘte de chien et une tĂȘte de serpent qui se croisent Ă lâinstar des tĂȘtes de chevaux croisĂ©es des maisons bas-saxonnes en Allemagne. La photo ci-contre permet de mettre en Ă©vidence au moins deux aspects spĂ©cifiques de la sphĂšre nordique : la premiĂšre est le cumul des motifs ornementaux Ă lâextrĂȘme pointe du pignon avec les deux planches de rive zoomorphes, mais aussi la poutre faĂźtiĂšre saillante qui est dĂ©corĂ©e avec une figure Ă©galement zoomorphe et enfin la sculpture sur bois peinte en rouge reprĂ©sentant des motifs qui ne peuvent pas encore ĂȘtre les rinceaux dâacanthe mais des figures paĂŻennes comme des serpents qui sâentrelacent.
Islande médiévale
Les planches de rive dĂ©coratives (snobrĂŠdder) quâon trouve encore en NorvĂšge aujourdâhui Ă©taient particuliĂšrement bien sculptĂ©es, surtout les extrĂ©mitĂ©s; elles ressemblent Ă des dragons dont la tĂȘte pointe vers le bas et la queue vers le haut. Les extrĂ©mitĂ©s sâentrelacent lâune sur lâautre au sommet du pignon de sorte que les queues des serpents ou dragons forment une flĂšche qui dĂ©passe du pignon ou qu'elles se coupent en forme de croix avec les extrĂ©mitĂ©s de chaque cĂŽtĂ©; ce faisant, les extrĂ©mitĂ©s dĂ©passent et se reposent sur la poutre faĂźtiĂšre qui est lĂ©gĂšrement saillante (AppelĂ©e « brandĂ„ss »). Les planches torsadĂ©es des rives portent encore ce nom vindske ou Windbretter au Danemark, en SuĂšde, en NorvĂšge, en Allemagne septentrionale comme en Islande et dans les Ăźles FĂ©roĂ© pour signifier les extrĂ©mitĂ©s supĂ©rieures qui ressemblent souvent Ă des queues d'animaux en forme de croix[6]. Toutefois, les Ă©tymologistes interprĂštent le terme diffĂ©remment: en Islande, le verbe vinda prend le sens de « vriller », « s'entrelacer » alors qu'en Allemagne tout le monde pense au vent (Wind): les toits de chaume allemands nĂ©cessitent des planches brise-vent alors que les maisons islandaises arborent des planches de rive zoomorphes sculptĂ©es et entrelacĂ©es.
Dans l'Islande d'autrefois, le sommet de pignon oĂč les planches de rive sâentrecroisent sâappelait « burst ». Il Ă©tait dĂ©corĂ© parfois dâune flĂšche de girouette trĂšs ornĂ©e appelĂ©e « hĂșsasnotra » ou ornement de maison (huspryder)[21]) qui dĂ©passe un peu de la rive en bas et davantage au sommet du pignon, tel quâon le voit encore dans les constructions norvĂ©giennes. La partie infĂ©rieure de la flĂšche de girouette Ă©tait sculptĂ©e avec diffĂ©rents motifs, comme une tĂȘte de cerf, un loup, un aigle alors que la partie supĂ©rieure Ă©tait pourvue de toutes sortes de motifs comme un pommeau dorĂ© ou un coq. Le coq est souvent Ă©voquĂ© dans les sagas pour les maisons mais aussi frĂ©quemment sur les bateaux.
Les planches de rive et la girouette ne se trouvaient pas par hasard sur le pignon de lâentrĂ©e principale (bĂŠjardyrr) : au sommet du pignon principal (bĂŠjarĂŸili), une tĂȘte (bĂŠjarburst) observe et jette un Ćil sur tout le complexe de la ferme[6]. Dâautres pignons peuvent avoir aussi une dĂ©coration de ce type. Le lien fort entre la maison et le bateau sâexprime dans lâancienne dĂ©coration de toit en Islande de maniĂšre Ă©clatante ; on retrouve les mĂȘmes symboles allĂ©goriques, les notions de sacralitĂ©, de propriĂ©tĂ© et de communautĂ©. Le bestiaire dans lâart sculptural scandinave appliquĂ© Ă la construction en bois (habitation, bateaux) se concentre sur des animaux trĂšs rĂ©currents voire fĂ©tiches pour les bateaux-tombes, les tombes naviformes[N 8], les bateaux Ă usages divers et les bĂątiments dâhabitation ou dâexploitation : le serpent, le cheval, le cerf, le bison. Dans le bateau d'Oseberg, la frise dĂ©corative qui longe la coque jusquâau brand dĂ©corĂ© de lâĂ©trave termine par une volute reprĂ©sentant une tĂȘte de serpent avec de nombreux entrelacements[10]. Cette mĂȘme dĂ©coration cursive et Ă©tirĂ©e se retrouve sur les dĂ©corations de rives, comme sur les dessins ci-contre, Ă lâexception prĂšs qu'ici les tĂȘtes de serpent sont orientĂ©es vers le bas. Les formes peuvent ĂȘtre schĂ©matisĂ©es Ă lâextrĂȘme mais ce sont gĂ©nĂ©ralement des animaux qui Ă©voquent la vitalitĂ©, les autres mondes, notamment le cheval notoirement psychopompe dans la mythologie germanique[10].
La reprĂ©sentation du toit matĂ©rialisĂ© par deux corps de serpents ou dragons qui entrelacent leur queue au-dessus du faĂźte renvoie clairement Ă un message de protection ou d'abri de mĂȘme que la flĂšche sculptĂ©e pointant vers le ciel fait la jonction entre le monde d'en-haut et celui de la terre. Qu'une telle bĂątisse de type grenier ou hangar puisse ĂȘtre Ă ce point dĂ©corĂ©e peut surprendre les EuropĂ©ens plus mĂ©ridionaux. L'ornementation du bĂątiment sommaire est presque plus imposante que la bĂątisse elle-mĂȘme. Les greniers et dĂ©pendances sur pilotis proviennent selon plusieurs chercheurs des populations nomades lapones[10] pour qui la protection de leurs biens et des vivres dans un espace sĂ©parĂ© des autres bĂątiments d'habitation ou d'exploitation revĂȘtait un caractĂšre quasi sacrĂ© et de survie ou de pĂ©rennitĂ©. Un tel bĂątiment mĂ©rite vraiment une magnifique ornementation. On retrouve cette pratique culturelle dans de nombreuses rĂ©gions europĂ©ennes sous diverses formes. Les grandes migrations germaniques ont pu ĂȘtre le vecteur majeur de son expansion.
Danemark de lâĂ©poque monarchique Ă lâabsolutisme
Lâabandon de lâornementation commune aux pays scandinaves semble sâĂȘtre opĂ©rĂ© au Danemark Ă la fin du XIXe siĂšcle pour ce qui des toits et des rives de toit sculptĂ©es. Ce pays a des frontiĂšres communes avec lâAllemagne du Nord et lâaire culturelle bas-saxonne oĂč les dĂ©corations zoomorphes du pignon se sont maintenues jusquâau jour dâaujourdâhui : tĂȘtes de chevaux, dâoie, de coq et de cerf entre autres. Les Ăźles voisines du Mecklembourg-PomĂ©ranie-Occidentale forment finalement la limite septentrionale de la dĂ©coration de pignon par tĂȘtes dâanimaux.
Reinhold Mejborg[22] sâest penchĂ© sur lâarchitecture urbaine et rurale du Danemark pendant les pĂ©riodes historiques nationales du « adelsvĂŠlden » au « yngre enevĂŠlde », ce qui correspond Ă la consolidation de la monarchie danoise vers un rĂ©gime absolutiste de plus en plus Ă©clairĂ© (De 1536 Ă 1784)[23].
Selon lâauteur, les pignons bardĂ©s de planches tels quâils ont existĂ© dans les siĂšcles prĂ©cĂ©dents tant dans lâarchitecture urbaine des villes marchandes que dans les villages ruraux Ă©taient encore visibles en grand nombre au Danemark du XXe siĂšcle. Toutefois, lâornementation ancestrale trĂšs liĂ©e aux planches de rives a quasi disparu ; la dĂ©coration par les tĂȘtes de chevaux nâest visible que sur quelques maisons isolĂ©es construites par des populations Ă©trangĂšres qui se sont installĂ©es au Danemark. Ce sont pour la plupart des Allemands et des NĂ©erlandais[24]. On trouve des tĂȘtes de coq sur lâĂźle de TĂ„singe, des extrĂ©mitĂ©s courbes avec des surplombs en forme de cornes sur les Ăźles de Lolland et Falster ainsi que sur lâĂźle suĂ©doise Gotland. Ce dernier type de dĂ©coration semble remonter Ă des temps trĂšs reculĂ©s puisque les archĂ©ologues pensent qu'il dĂ©corait le temple de l'Ăąge du bronze sur le site de fouilles de Barger-Oosterveld aux Pays-Bas orientaux. Les tĂȘtes de dragon situĂ©es Ă lâextrĂ©mitĂ© infĂ©rieure des planches de rive, telles que les dĂ©crit Gudmunsson pour lâIslande mĂ©diĂ©vale, Ă©taient encore frĂ©quentes au milieu du XIXe siĂšcle au Danemark, mais devenues rares en fin de siĂšcle[25].
Bornholm
Pour les maisons rurales les plus anciennes de Bornholm, deux types majeurs se distinguent clairement lâun de lâautre : soit il sâagit dâun bĂątiment large avec un grand pignon et un toit peu Ă©levĂ©, soit dâune maison Ă©troite avec un toit trĂšs inclinĂ©. Câest le deuxiĂšme type qui a, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, un pignon avec bardage de planches et une dĂ©coration de pignon qui dĂ©passe la faĂźtiĂšre. Des maisons identiques sont attestĂ©es dans le Jutland mĂ©ridional sans que cela ne soit trĂšs Ă©tonnant car Bornholm, la Scanie et le Jutland mĂ©ridional partage de nombreux points communs dans leur culture respective façonnĂ©e par lâancienne navigation en mer Baltique[26]. La prĂ©sence de girouette sur le pignon de ce type de maison remonte Ă plusieurs siĂšcles. On constate aussi des tĂȘtes de dragon qui sont antĂ©rieures Ă lâĂ©poque romantique, mais dont aucune preuve ne permet de dire que cela remonte Ă lâĂ©poque viking sans discontinuitĂ©.
Les pignons en bois des maisons avec dĂ©coration du pignon et les girouettes Ă tĂȘte de dragon caractĂ©risent Bornholm dans cette aire culturelle. ApparentĂ©e aux types de construction danois en gĂ©nĂ©ral, lâarchitecture rurale de Bornholm prĂ©sente en outre quelques caractĂ©ristiques locales qui peuvent se retrouver dans dâautres rĂ©gions de Scandinavie. Par exemple, lâhabitat dispersĂ© y est trĂšs reprĂ©sentĂ© et le groupement de 2 ou 3 exploitations agricoles rappelle davantage le « bygd » ou « tun » norvĂ©gien que le « by » danois[26], câest-Ă -dire plus orientĂ© vers le trĂšs petit hameau composĂ© de petites maisons aux fonctions clairement Ă©tablies chez les NorvĂ©giens que vers le schĂ©ma urbain ou villageois plus structurĂ© des Danois. Un autre schĂ©ma dâagglomĂ©ration typique de Bornholm sâexplique par son insularitĂ© : les fermes sont disposĂ©es en chapelet ou en rangĂ©e comme les maisons alsaciennes le long de la route, mais ici souvent le long dâun ruisseau utile Ă la vie quotidienne (eau douce, lavage, eau motrice). La particularitĂ© de lâhabitat de Bornholm est dâavoir souvent construit sur un terrain en pente en raison de leur localisation en bordure de cours dâeau ou le long de la cĂŽte, mĂȘme quand il y aurait des terrains plus plats Ă proximitĂ©[26]. Pour compenser la diffĂ©rence de terrain, il nâĂ©tait pas rare que les deux sommets de pignon avant et arriĂšre ne soient pas Ă la mĂȘme hauteur, avec une diffĂ©rence pouvant aller jusque 2 m, sachant que la mĂȘme diffĂ©rence de hauteur se retrouve Ă lâintĂ©rieur de lâĂ©difice entre le plafond et le plancher. LâĂ©lĂ©vation accrue de la piĂšce Ă vivre au-dessus de la cave avec ses trois fenĂȘtres sur pignon avant donne une vue plongeante sur la mer.
Les Ă©lĂ©ments ornementaux du bĂąti de Bornholm touchent le sommet du pignon et les poteaux dâangle. Le premier est identique aux autres pays scandinaves. La seconde ornementation qui sâapparente Ă celle de Scanie voisine joue sur la dĂ©coration des poteaux porteurs pour lesquels il est dâusage de dire que les quatre poteaux symbolisent les 4 Ă©vangiles. Les motifs dĂ©coratifs proviennent soit de la tradition populaire soit de la Renaissance. Les surfaces planes sont sculptĂ©es en bas-relief : points, cercles, zigzagues, denticules ou encore des ornements gĂ©omĂ©triques comme dans les anciens bĂątiments nordiques Ă lâimage des Ă©glises des Ăźles FĂ©roĂ©[26].
Finlande
Avant lâarrivĂ©e dâun peuple europĂ©en dans lâactuelle Finlande, en lâoccurrence surtout les SuĂ©dois, les autochtones Ă©taient des Samis. En raison de leur mode de vie nomade, lâhabitat ancestral nâentre pas en ligne de compte ici. Ce sont les peuples scandinaves et slaves qui vont introduire leurs techniques de construction en mĂȘme temps que les diffĂ©rentes vagues de colonisation ou dâoccupation jusquâĂ un passĂ© trĂšs rĂ©cent[N 9].
Le premier colonisateur historique en dehors des quelques colonies vikings sur la cĂŽte sud-ouest en Botnie, le royaume de SuĂšde introduit un rĂ©gime fĂ©odal pendant le Moyen Ăge et peuple la partie occidentale de la Finlande en se mĂȘlant Ă la population indigĂšne. Toutefois, cette contrĂ©e trĂšs forestiĂšre, parsemĂ©e dâimmenses lacs et tourbiĂšres prĂ©sentait Ă cette Ă©poque une trĂšs faible densitĂ© de population, sachant quâen 2018 elle se limite encore Ă 18,21 habitants par kilomĂštre carrĂ© contre 123.17 en France par exemple[27]. On compte surtout des chasseurs et des mouvements de migration saisonniĂšre qui rythment la vie locale articulĂ©e autour de la vente de fourrures et de produits issus de la forĂȘt. Les maisons sont des constructions en rondins empilĂ©s avec une toiture vĂ©gĂ©tale en mottes de tourbe sur plaques dâĂ©corce de bouleau[28], câest-Ă -dire le type scandinave germanique qui sâest maintenu jusquâĂ nos jours en NorvĂšge ou en Islande malgrĂ© lâintroduction des nouveaux matĂ©riaux de couverture et dâisolation plus modernes et plus efficaces.
Par consĂ©quent, la maison finno-suĂ©doise vernaculaire la plus ancienne demeure pendant longtemps une cabane en rondins posĂ©s horizontalement. Il sâagit dâune maison-bloc sans cheminĂ©e pour les hommes et les bĂȘtes qui nâest pas sans rappeler lâisba noire en Russie partie septentrionale[29]. Un foyer ouvert se trouve au centre de la piĂšce pour chauffer et cuisiner. DĂ©pourvue de fenĂȘtres, et encore moins de fenĂȘtres vitrĂ©es, la fumĂ©e qui sâaccumule dans la seule piĂšce habitable doit ĂȘtre Ă©vacuĂ©e par un orifice dans la paroi. Le toit est couvert dâĂ©corces de bouleau, de tourbe ou de chevrons[28].
Ce type de couverture vĂ©gĂ©tale implique lâutilisation inĂ©vitable de pannes ou liteaux pour stabiliser la tourbe et lâĂ©corce de bouleau qui ne doivent pas glisser le long de la pente des versants. De mĂȘme, des lattes protĂšgent les rives de toit. Celles qui sont Ă lâextrĂ©mitĂ© des pans du toit se croisent au sommet du pignon et confĂšrent ainsi un Ă©lĂ©ment ornemental commun Ă toute lâaire nordique comme l'image du grenier ci-contre l'illustre bien. Ă l'exception de cette planche transversale frappante, la pointe du pignon de ce grenier surĂ©levĂ© ne permet pas de distinguer si ce bĂątiment agricole se trouve Ă l'est ou Ă l'ouest de la Scandinavie.
Une particularitĂ© finlandaise qui apparaĂźt bien au musĂ©e plein-air de Seurasaari dans lâarchipel dâHelsinki rĂ©side dans la croisĂ©e des lattes au-dessus et sur toute la longueur de la faĂźtiĂšre pour les maisons habitĂ©es et les annexes de certaines rĂ©gions finlandaises. En regardant le pignon en face, on pourrait penser que seules les lattes aux extrĂ©mitĂ©s se croisent comme partout en Scandinavie mais lâeffet dĂ©coratif concerne en rĂ©alitĂ© lâintĂ©gralitĂ© du toit comme on peut l'observer sur la derniĂšre maison au fond de la photographie ci-contre.
NorvĂšge
La prĂ©sence dâun ornement de pignon dĂ©pend beaucoup du type de construction et de la couverture du toit. Les bĂątiments en en bois massif empilĂ© sont ceux qui comportent le plus de motif ornemental, mais les maisons plus modernes avec ferme dĂ©bordante apparente ont la possibilitĂ© dâutiliser des planches de rive pour rĂ©aliser un Ă©lĂ©ment dĂ©coratif qui rappelle fortement les anciennes dĂ©corations du Moyen Ăge.
Le gĂ©ographe Michel Cabouret, spĂ©cialiste de l'Europe nordique[30] rĂ©sumait lâĂ©volution de lâhabitat en Scandinavie en ces termes :
« En NorvĂšge, un changement radical du mode de construction de l'habitat s'est produit au cours de l'Ă©poque «viking» (800-1030). A l'Ăąge du fer, l'habitat est constituĂ© d'une maison unique de grandes dimensions et allongĂ©e, oĂč gens et bĂȘtes vivaient sous le mĂȘme toit, qui abritait aussi rĂ©coltes et instruments. Il fut remplacĂ© par un nouveau type trĂšs vraisemblablement empruntĂ© par les Vikings orientaux (SuĂ©dois essentiellement) aux Slaves, type oĂč le nombre d'Ă©difices propres Ă loger les personnes et les biens de chaque grande famille patriarcale se multiplie et oĂč chacun d'entre eux prend une fonction bien dĂ©terminĂ©e. En mĂȘme temps le mode de construction se modifie profondĂ©ment[2]. »
Comme en Finlande, le modĂšle primitif nommĂ© « eldhus » avec piĂšce unique articulĂ©e autour du foyer sans conduit de fumĂ©e[2] rappelle clairement lâisba primitive russe. La parentĂ© avec lâisba vaut Ă©galement pour sa dĂ©coration : en NorvĂšge comme en Russie la sculpture sur bois anime la maison rudimentaire mĂȘme si, en NorvĂšge, elle concerne moins les fenĂȘtres, les pelatientsi que les planches de rive, les lambrequins chantournĂ©s et le sommet du pignon. Moins dĂ©veloppĂ©s quâen Russie, on peut encore voir en NorvĂšge en dehors des Ă©comusĂ©es des panneaux sculptĂ©s aux motifs trĂšs proches des ornements celtiques[31] hĂ©ritĂ©s de la longue tradition de la sculpture sur bois norvĂ©gienne au service de lâidentitĂ© nationale pendant les longs siĂšcle dâĂ©mancipation politique de ce pays.
DĂ©corations actuelles
La cohĂ©rence au sein du groupe dâhabitation
En NorvĂšge, le schĂ©ma traditionnel de lâhabitat est la cour de ferme[2] ou « tun » : avec lâamĂ©lioration des conditions de vie, les agriculteurs les plus aisĂ©s ont bĂąti des ensembles de petites bĂątisses avec une fonction spĂ©cifique autour dâune cour assez resserrĂ©e. Ă part, la maison dâhabitation d'hiver et d'Ă©tĂ©, il faut compter les Ă©tables pour chaque espĂšce dâanimal (vaches, moutons, chĂšvres par exemple), les greniers et hangars les plus divers sur pilotis ou non (stabbur, loft), la maison des invitĂ©s entre autres[32]. LâĂ©clatement des bĂątiments en de multiples maisonnettes souvent Ă rondins empilĂ©s et bien dĂ©corĂ©es confĂšre une forte cohĂ©rence Ă la ferme par son esthĂ©tique gĂ©nĂ©rale et par les Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs rĂ©currents sur chaque bĂątisse. Il faut distinguer les bĂątiments du corps de logis, « innhus », des bĂątiments dâexploitation ou dĂ©pendances, « uthus ». La particularitĂ© norvĂ©gienne est que la dĂ©coration de pignon touche tous les bĂątiments.
En fonction des vallĂ©es et des rĂ©gions, le pignon dĂ©corĂ© ou pas revient comme un leitmotiv dans toutes les maisons du tun. Si lâon tient compte des diffĂ©rentes rĂ©gions et vallĂ©es reprĂ©sentĂ©es Ă lâĂ©comusĂ©e de NorvĂšge Ă Oslo presquâĂźle de BygdĂž, la forte majoritĂ© des fermes Ă©clatĂ©es comporte des bĂątiments qui ne comporte aucune dĂ©coration de pignon. Les piĂšces rectangulaires clĂŽturant les rives de toit vĂ©gĂ©tal sont assemblĂ©es en sifflet sans aucune autre forme dâornementation. Finalement, il nâest pas exagĂ©rĂ© de conclure que les Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs de pignon appartiennent davantage Ă un passĂ© dĂ©jĂ lointain dans les habitudes architecturales norvĂ©giennes et quâils ne sont spontanĂ©s que dans certaines rĂ©gions bien dĂ©limitĂ©es.
Les groupes de ferme reconstruits dans l'écomusée de NorvÚge permettent de se rendre compte de la proportion des pignons avec ou sans élément ornemental dû à la technique de construction du toit :
- Ce tun se distingue par sa décoration des pignons par la croisée des planches de rive.
- Ce tun du Telemark n'a pas de décoration de pignon.
- Ce tun du Hardanger présente aussi des rives avec simple assemblage en sifflet.
- Les bĂątisses de ce tun du Ăsterdal dans les annĂ©es 1949 n'ont pas de dĂ©coration de pignon.
- Les maisons du tun de Numedal ont un pignon classique sans ornementation.
Pal ou flĂšche de pignon
Lâautre Ă©lĂ©ment dĂ©coratif du pignon scandinave prend la forme dâune piĂšce de bois en saillie, le « gavlbrand » ou mot Ă mot « pal de pignon ». Il faut distinguer la barre qui peut ĂȘtre fixĂ©e sur lâextrĂ©mitĂ© de l'avant-toit du pignon Ă des fins dĂ©coratives de la piĂšce de bois centrale qui dĂ©borde la ferme de lâavant-corps (Comme sur la maison Ă droite de la galerie ci-dessous). Comme on le voit sur la photographie ci-contre Ă gauche, il ne faut pas confondre cet Ă©lĂ©ment ornemental avec lâĂ©pi de faĂźtage rĂ©pandu en France qui a la fonction de protĂ©ger les poinçons de la charpente contre les intempĂ©ries. Le pal de pignon ne surmonte pas le poinçon de la ferme. Sa fonction est davantage ornementale et symbolique; il peut dâailleurs commencer plus bas que l'extrĂ©mitĂ© de l'avant-toit, notamment pour les fermes trĂšs dĂ©bordantes. Les toits Ă quatre pans ou Ă croupe sont rares dans lâhabitat traditionnel scandinave. Le pal de pignon est donc associĂ© aux toit Ă deux versants.
Comme le poinçon pour les arbalĂ©triers, ce petit poteau aux diverses formes permet l'assemblage des planches ou poutres de rive. Les chevrons extĂ©rieurs de l'avant-toit peuvent ĂȘtre ornĂ©s de planches de rive sculptĂ©es, ciselĂ©es ou chantournĂ©es; elles guident le regard vers le haut jusqu'au gavlbrand qui trĂŽne sur la bĂątisse. L'attention de l'observateur converge vers ce pal de pignon qui a forcĂ©ment une fonction symbolique. Comme il a Ă©tĂ© dit dans le chapitre sur l'Ă©tymologie du terme « brand », la maison et le bateau partage des symboliques communes. Comme dans la maison viking dont le toit a Ă©tĂ© bĂąti en forme de coque de navire, les pals Ă l'extrĂ©mitĂ© du faĂźte peuvent reprĂ©senter la partie effilĂ©e de la proue et de la poupe du bateau long. Les deux potelets Ă l'extrĂ©mitĂ© du faĂźte ou des avant-toits remplissent la fonction de dĂ©limiter symboliquement et ornementalement la propriĂ©tĂ©. Entre ces deux bornes on vit, on travaille ou on stocke de la mĂȘme maniĂšre que les passagers d'un bateau ne peuvent aller plus loin que les deux brandar aux extrĂ©mitĂ©s du navire. Le gavlbrand augmente la verticalitĂ© du bĂątiment ou de l'avant-corps pour le mettre en valeur en plus des longs poteaux des porches ou des balcons sur colonnade.
Il n'est pas exclu que le pal de pignon ou de faĂźte ait eu ici Ă l'origine la mĂȘme fonction apotropaĂŻque que les reprĂ©sentations phalliques grĂ©co-romaines Ă l'entrĂ©e des portes des maisons. Comme les tĂȘtes de dragon rappelant les gargouilles, comme les tĂȘtes de chevaux rappelant les sacrifices d'animaux expiatoires, le pal de pignon pointĂ© vers le ciel et le monde des dieux peut sans grande marge d'erreur avoir eu dans les croyances des anciens Scandinaves la tĂąche de conjurer le mauvais sort et de dĂ©tourner les influences malĂ©fiques. Dans le monde protogermanique, on sait par les anciens auteurs qu'une tĂȘte d'animal (cheval, cerf, chĂšvreâŠ) Ă©tait parfois empalĂ©e sur un piquet placĂ© devant la maison afin d'Ă©carter tous les dangers de la nouvelle maison bĂątie.
- Garmo Uppigard, Oppland.
- Mo i Rana, Nordland.
- Forberget Suigard, Telemark.
- Cour de ferme GiÊvergÄrden.
- Maison en style chalet dont l'avant-corps comporte une flÚche décorative de pignon, Larvik.
- Façade du pavillon de SuĂšde et de NorvĂšge Ă lâexposition universelle de Paris de 1878[33]. RemontĂ© dans le parc de BĂ©con Ă Courbevoie, toujours existant, il accueille, avec un autre bĂątiment auquel on l'a adossĂ©, le musĂ©e Roybet-Fould.
- Maisonnette de boulanger dâĂ flo annexe dâOfferdal, musĂ©e plein air Skansen sur lâĂźle DjurgĂ„rden, archipel de Stockholm, bel exemple de pal de pignon chantournĂ©.
PiÚces croisées au-dessus du pignon
En dehors du pal de pignon, le second motif ornemental facilement observable par les voyageurs en NorvÚge sont sans conteste les piÚces de bois qui se croisent à l'extrémité du pignon au bout du faßte. Bien qu'il y ait cette fois deux piÚces, les spécialistes nomment ce motif aussi « gavlbrand » car dans les sources anciennes des sagas, ainsi qu'il a été expliqué plus haut dans la partie étymologique, les poteaux brandar sont évoqués par deux, aussi bien pour les bateaux à la proue que pour les portes d'entrée de l'habitation principale. Il n'est pas exclu que ce soit au départ une technique purement pratique pour protéger les toits de chaume ou de mottes de tourbe des maisons primitives. Par mimétisme et tradition, le motif se serait transmis jusqu'à aujourd'hui avec ou sans vocation protectrice.
Différents types de piÚces de bois croisées au sommet du pignon | ||
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Décoration en forme de corne, site de Trelleborg en SuÚde. | Maison longue viking de Trelleborg, SuÚde. | Assemblage à mi-bois, ce motif en forme de cornes appartient au passé. Il est attesté dans d'autres sites archéologiques européens remontant jusqu'au néolithique. Sa fonction religieuse ou apotropaïque fait peu de doute pour l'époque. |
Chevrons simples croisĂ©s attestĂ©s ailleurs qu'en Scandinavie | Groupe de ferme Ă l'ĂcomusĂ©e de NorvĂšge. | DĂ©coration de pignon sur toiture vĂ©gĂ©tale avec deux piĂšces de bois assemblĂ©es Ă mi-bois. Ce modĂšle Ă©tait trĂšs rĂ©pandu. Compte tenu du fait que les poutres ou chevrons n'ont aucune forme particuliĂšre, pas mĂȘme schĂ©matisĂ©e, seul le motif du croisement des deux piĂšces sert d'ornementation Ă ce toit. |
PiĂšces de bois croisĂ©es Ă©voquant une tĂȘte schĂ©matisĂ©e | ArrĂȘt de bus et panneau d'affichage trĂšs rĂ©pandu en NorvĂšge du Sud | Cette dĂ©coration par des poutres ou planches de rive Ă©paisses se distingue du modĂšle basique rectangulaire par sa forme arrondie Ă l'extrĂ©mitĂ©. AttestĂ©e dans d'autres rĂ©gions europĂ©ennes, elle peut soit ĂȘtre une variante gĂ©omĂ©trique cursive de la prĂ©cĂ©dente, soit reprĂ©senter une tĂȘte schĂ©matisĂ©e de serpent ou d'oiseau par exemple car il existe encore Ă ce jour des dĂ©corations de pignon avec des tĂȘtes d'oiseau plus identifiables. Ce type de dĂ©coration est celui qui est commun avec les maisons de Russie septentrionale[29]. |
La tĂȘte schĂ©matisĂ©e apparaĂźt derriĂšre le travail de sciage des chevrons plus linĂ©aire que le prĂ©cĂ©dent. | Toiture vĂ©gĂ©tale et dĂ©coration de pignon, vallĂ©e de la Sjoa, Jotunheimen, NorvĂšge | Moins frĂ©quent que les deux prĂ©cĂ©dents, ce type de piĂšces de bois croisĂ©es avec un semblant de tĂšte schĂ©matisĂ©e montre Ă©galement que cela peut ĂȘtre des baguettes dĂ©coratives fixĂ©es sur les planches de rive. La fonction pratique des piĂšces de bois qui se croisent Ă l'extrĂ©mitĂ© des pans de toit n'est pas l'objectif premier; on peut probablement parler d'une habitude ou d'une volontĂ© d'imiter les pratiques ornementales. |
Les piĂšces de bois croisĂ©es Ă la pointe supĂ©rieure du pignon se rencontrent aujourdâhui essentiellement sur les maisons en bois avec toiture en lattes de bois ou en mottes de tourbe. Les bordures de pignon y jouent un rĂŽle Ă©vident de maintien et de protection. Dans dâautres rĂ©gions scandinaves oĂč la couverture du toit de chaume est restĂ©e une tradition vivace, comme en SuĂšde et en Finlande, ce ne sont pas seulement les deux bordures de pignon qui se croisent de chaque cĂŽtĂ©, mais toutes les baguettes de fixation ou les lattes de la couverture de toit[34]. Ă la figure no 1 ci-dessous, la dimension des fixations de faĂźtage sont importantes: ce sont des potelets qui dĂ©borde du faĂźtage et crĂ©ent ainsi un effet ornemental indĂ©niable. La maison de la figure no 2 utilisent des perches perpendiculaires au faĂźte pour maintenir les Ă©corces de bouleau servant Ă isoler le toit sur le voligeage. Les perches s'entrecroisent au-dessus du faĂźte et dĂ©bordent de quelques centimĂštres identiques Ă celles que l'on remarque sur une photographie du California Museum of Photography montrant des maisons en Russie du Nord ayant le mĂȘme type de dĂ©coration au-dessus de la faĂźtiĂšre[29] ; les perches couvrent tout le pan du toit avec une perche parallĂšle au faĂźte en guise de renfort transversal. Le toit de chaume de la figure no 3 utilise des baguettes plus fines que dans le cas du grenier en bois couvert d'Ă©corces de bouleau. Le groupe de maisons de la figure no 4 montrent une autre pratique de couverture de toit avec des planches rĂ©trĂ©cies Ă l'extrĂ©mitĂ©; elles dĂ©bordent du faĂźte et crĂ©ent Ă©galement un effet dĂ©coratif. Sous les planches, les Ă©corces de bouleau apparaissent Ă©galement.
- (Fig. no 2) EnglundsgÄrden, les poteaux perpendiculaires au faßte servent à tenir les traditionnelles écorces de bouleau, ils se croisent tous au-dessus de la faßtiÚre.
- (Fig. no 4) Les lattes du toit débordent le faßte et se croisent, musée plein-air Seurasaari, Helsinki.
Avant-toit travaillé sur pignon et lucarne-pignon ornée
Cette dĂ©coration de pignon est plus rĂ©pandue en SuĂšde, particuliĂšrement dans la partie septentrionale, que dans les autres pays scandinaves. Elle est dĂ©signĂ©e le plus souvent par les termes « gavelornament » ou « gaveldekor ».Si lâon observe bien les nombreux croquis et dessins des maisons traditionnelles du XIXe siĂšcle rĂ©alisĂ©s par lâarchitecte suĂ©dois Ferdinand Boberg, il apparaĂźt quâĂ lâĂ©vidence ce type de dĂ©coration du pignon ou de la lucarne-pignon est plutĂŽt rĂ©cent. Aucune ferme ni bĂątiments annexes des rĂ©gions septentrionales de SuĂšde[N 10] ne prĂ©sente dans ces dessins et gravures la moindre dĂ©coration de pignon que ce soit par une flĂšche, des tasseaux ou planches croisĂ©s ou des piĂšces de bois tournĂ©es ou chantournĂ©es dĂ©corant le gable dâune lucarne Ă pignon ou dâun porche dâentrĂ©e. Les bordures de pignon sont assemblĂ©es en sifflet sans aucune autre fioriture. TrĂšs esthĂ©tique et recherchĂ©e, cette dĂ©coration en bois ouvrĂ© de lâextrĂȘme partie supĂ©rieure du pignon Ă lâextrĂ©mitĂ© de lâavant-toit ou du dĂ©bord de toit lambrissĂ© joue Ă©galement sur le contraste des couleurs en le rouge de Falun du corps de bĂątiment en bois et le blanc des bordures de pignon, des frises, des lambrequins de la sous-face lambrissĂ©e et des piĂšces chantournĂ©es dans le gable. La maison en bois rouge avec son porche dâentrĂ©e ou son avant-corps sur le long-pan avec colonnade et terrasse Ă lâĂ©tage est devenue Ă lâheure actuelle lâarchĂ©type de la maison suĂ©doise au point que le terme a pris le sens commun de « maison en bois de type scandinave ».
Les motifs ornementaux du pignon supĂ©rieur vont du plus simple au plus complexe, du plus linĂ©aire aux formes cursives des rinceaux dâacanthe. Les mĂȘmes motifs symboliques et apotropaĂŻques que lâon retrouve dans de nombreuses rĂ©gions europĂ©ennes pratiquant lâarchitecture traditionnelle en bois, comme la Russie, sont intĂ©grĂ©s dans lâassemblage des piĂšces tournĂ©es et chantournĂ©es de lâavant-toit. Dans lâillustration ci-contre Ă droite, on remarque dans la rangĂ©e du bas le symbole solaire sous forme de diverses roues ou les motifs rappelant les gouttes dâeau. Comme en Russie, mais de maniĂšre peut-ĂȘtre moins spectaculaire, la dĂ©coration de pignon en Scandinavie joue sur lâĂ©quilibre entre les lambrequins de rive et le dĂ©cor sculptĂ© du gable. Le troisiĂšme pignon en bas Ă droite illustre lâeffet dĂ©coratif combinĂ© des motifs chantournĂ©s avec la superposition de trois bordures de pignon. La bordure du dessous peut dâailleurs ĂȘtre agrĂ©mentĂ©e dâun bandeau ajourĂ© et chantournĂ© rappelant des vagues ou des denticules. Parmi les motifs dĂ©coratifs des pignons de la rangĂ©e du dessus, le premier fait Ă©cho Ă la ferme latine qui nâest que la reproduction ornementale sans fonction pratique de la charpente derriĂšre la façade: le poinçon central sur entrait avec deux contrefiches. Le second nâest pas sans rappeler le fuseau ou le motif solaire de la coquille alors que le troisiĂšme sâapparente clairement Ă lâarbre de vie que lâon observe gĂ©nĂ©ralement sur les pignons des maisons Ă colombages de certaines rĂ©gions europĂ©ennes.
Le décor de pignon des fermes de SuÚde s'inscrit dans la tradition des derniers styles architecturaux nordiques comme le dragestil ou le Sveitserstil; les photographies dans les chapitres suivants en donnent quelques exemples comme l'hÎtel Dalen.
DĂ©coration en dragestil
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La pĂ©riode du dragestil est une pĂ©riode de lâhistoire de lâarchitecture norvĂ©gienne allant environ de 1890 Ă 1910. En SuĂšde, le gothisme (en suĂ©dois : Göticismen) en architecture a connu son apogĂ©e de 1860 Ă 1900. LâintĂ©rĂȘt exacerbĂ© pour lâĂ©poque haute-mĂ©diĂ©vale (nommĂ©e en SuĂšde « nordisk forntid ») et mĂ©diĂ©vale a conduit Ă la crĂ©ation dâun style architectural en bois spĂ©cial, largement inspirĂ© des Ă©glises en bois debout norvĂ©giennes. Le dragestil sâest finalement surtout dĂ©veloppĂ© en NorvĂšge et reste Ă la marge en SuĂšde. Le style dit dragon vise Ă faire revivre lâornementation zoomorphe nordique en sâinspirant des artĂ©facts vikings. Les motifs ancestraux sont associĂ©s Ă des motifs ornementaux floraux rappelant lâĂ©poque romantique nationale. Bien reprĂ©sentĂ© dans la grande rĂ©gion dâOslo, le dragestil se propage grĂące au progrĂšs des voies de communication, notamment du chemin de fer. PlutĂŽt dâinspiration urbaine au dĂ©part, il intĂšgre les campagnes par le biais des hĂŽtels, des restaurants et des bĂątiments publics. Son dĂ©veloppement coĂŻncide avec lâengouement national pour les nouvelles fouilles archĂ©ologiques autour des bateaux vikings (Oseberg, Tune, Gokstad) et la campagne de sensibilisation du peintre Johan Christian Dahl pour la sauvegarde des Ă©glises en bois debout. Les travaux et ouvrages de lâhistorien de lâart, Lorentz Dietrichson, sur ces Ă©glises en bois crĂ©Ăšrent Ă©galement un nouvel Ă©lan national pour les constructions en bois en gĂ©nĂ©ral et dans leur sillage pour les motifs ornementaux inspirĂ©s des panneaux extĂ©rieurs et intĂ©rieurs dans ces lieux de culte.
La pĂ©riode du dragestil est une pĂ©riode de lâhistoire de lâarchitecture norvĂ©gienne allant environ de 1890 Ă 1910. Le dragestil a des affinitĂ©s avec lâArt Nouveau et le Sveiserstil. Le style dit dragon vise Ă faire revivre lâornementation zoomorphe nordique en sâinspirant des artĂ©facts vikings. Les motifs ancestraux sont associĂ©s Ă des motifs ornementaux floraux rappelant lâĂ©poque romantique nationale. Les rinceaux dâacanthe et dâautres plantes dominent sans conteste, parfois jusquâĂ lâexcĂšs. Les entrelacs trĂšs fins sâenchevĂȘtrent tellement quâil nâest pas toujours possible de reconnaĂźtre les autres Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs insĂ©rĂ©s et schĂ©matisĂ©s dans ces rinceaux. Le pignon et le gable jouent un rĂŽle centrale dans le dragestil car ils sont mis en valeur par des dĂ©bords de toit trĂšs largement dĂ©corĂ©s, des planches de rives sculptĂ©es et ciselĂ©es proĂ©minentes et bien visibles de loin et des Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs comme des pals de pignon, des perches et girouettes sur le faĂźte pouvant atteindre de grandes dimensions. Les pignons ornĂ©s ne touchent pas seulement le bĂątiment central mais aussi des oriels, des lucarnes, des chiens-assis ou des porches sur la façade principale.
Bien reprĂ©sentĂ© dans la grande rĂ©gion dâOslo, le dragestil se propage grĂące au progrĂšs des voies de communication, notamment du chemin de fer. PlutĂŽt dâinspiration urbaine au dĂ©part, il intĂšgre les campagnes par le biais des hĂŽtels, des restaurants et des bĂątiments publics. Son dĂ©veloppement coĂŻncide avec lâengouement national pour les nouvelles fouilles archĂ©ologiques autour des bateaux vikings (Oseberg, Tune, Gokstad) et la campagne de sensibilisation du peintre Johan Christian Dahl pour la sauvegarde des Ă©glises en bois debout. Les travaux et ouvrages de lâhistorien de lâart, Lorentz Dietrichson, sur ces Ă©glises en bois crĂ©Ăšrent Ă©galement un nouvel Ă©lan national pour les constructions en bois en gĂ©nĂ©ral et dans leur sillage pour les motifs ornementaux inspirĂ©s des panneaux extĂ©rieurs et intĂ©rieurs dans ces lieux de culte. Les pignons de ces Ă©glises seront une source dâinspiration pour les constructions civiles. LâhĂŽtel Dalen construit Ă Tokke dans le Telemark par lâarchitecte Haldor Larsen BĂžrve fait figure de monument national de ce style architectural local. Dâautres bĂątiments classĂ©s monuments historiques reprĂ©sentant ce style ont Ă©tĂ© construits par lâarchitecte Holm Munthe : le restaurant Frognerseteren et lâhĂŽtel de villĂ©giature Holmenkollen construit en 1889 et ravagĂ© par un incendie en 1895.
Un autre exemple de dragestil, peut-ĂȘtre plus allusif et moins pompeux, est proposĂ© par le sanatorium de Voksenkollen, banlieue dâOslo. Il fut construit en 1897 mais fut dĂ©truit par un incendie en 1919. Un hĂŽtel et centre de confĂ©rence occupent les lieux Ă prĂ©sent. Lâornementation des pignons ou gables y est plus modeste. Les arbres de vie quâon retrouve aussi par exemple dans les maisons Ă colombages en France dĂ©corent les fermes dĂ©bordantes des pignons de maniĂšre Ă©lĂ©gante.
- HĂŽtel Rica Holmenkollen Park, Oslo.
- Ventehall Pipervika, Ă©comusĂ©e de NorvĂšge. TĂȘtes de dragon Ă chaque extrĂ©mitĂ© de faĂźtiĂšre.
- Maison en dragestil, rue Gulla no 15, HĂžnefoss. On remarque le poteau de pignon, gavlspir.
- Restaurant ou ferme-auberge Frognerseteren. La tĂȘte de dragon jaillit de la faĂźtiĂšre.
- Ancien sanatorium Voksenkollen, Christiania, avant lâincendie ravageur de 1919.
Allemagne
Le dragestil sâest peu exportĂ© hors de NorvĂšge. En Allemagne, par le biais du jumelage Lillehammer-Oberhof, lâactuel local de lâassociation du jumelage en ForĂȘt de Thuringe[35] a Ă©tĂ© bĂąti en 1908 pour lâancien club de golf de la commune de Oberhof dans un dragestil classique avec une dĂ©coration de faĂźtiĂšre trĂšs ciselĂ©e et des tĂȘtes de dragon Ă toutes les extrĂ©mitĂ©s de faĂźte. PlacĂ© sur la liste des monuments historiques protĂ©gĂ©s, le local, appelĂ© « Maison de Lillehammer » et aujourdâhui dans le langage courant la « maison norvĂ©gienne », est le seul bĂątiment en dragestil en Thuringe. LâUnion europĂ©enne finance un projet de restauration Ă partir de 2011 car son Ă©tat sâaggravait comme on peut le voir sur la photographie ci-jointe en 2010. Câest Ă ce moment-lĂ que lâancien local du club de golf a Ă©tĂ© converti en lieu de rencontre[36]. Le choix de la Thuringe va de soi puisqâuil sâagit dâune rĂ©gion montagneuse bien enneigĂ©e en hiver. Les sports dâhiver y sont pratiquĂ©s depuis trĂšs longtemps et le paysage peut se confondre avec celui de la NorvĂšge du sud.
Le relais de chasse Rominten en Prusse orientale (aujourdâhui Krasnolessje quartier de) fut construit en 1891 sur commande de lâempereur Guillaume II et sur les plans des architectes Holm Hansen Munthe et Ole Sverre en style nordique ou dragestil. Dans la foulĂ©e, la chapelle Saint-Hubert, saint patron des chasseurs, fut Ă©rigĂ©e Ă Rominten en 1893 dans le style des Ă©glises en bois debout. Les matĂ©riaux et les artisans pour le relais de chasse sont venus directement de NorvĂšge. En 1904, le relais de chasse est agrandi par lâaile des impĂ©ratrices. On y adjoignit un pavillon de thĂ© sur la berge du ruisseau Krasnaya. Ă la mort de lâempereur, Hermann Goering mit tout en Ćuvre pour faire vendre la propriĂ©tĂ© impĂ©riale Ă lâĂtat prussien qui avait dâailleurs Ă©tĂ© partiellement pillĂ©e par les troupes russes en 1914. Le dignitaire nazi nâavait pas apprĂ©ciĂ© que lâempereur Guillaume II ne l'autorise pas Ă occuper le relais de chasse Rominten[37]. Câest pourquoi il fit bĂątir son propre relais de chasse en dragestil[38] en septembre 1933 puis 1936. Il lâappellera RecihjĂ€gerhof Rominten aprĂšs avoir hĂ©sitĂ© de lui donner le nom de sa seconde femme Emmy Ă lâinstar de sa rĂ©sidence de campagne Carinhall. Pendant la campagne, le second relais de chasse dotĂ© dâun bunker servit de quartier gĂ©nĂ©ral pour Goering. Mais quand les troupes soviĂ©tiques progressent vers lâouest Ă la fin de la guerre, Goering fit dynamiter le complexe entier le . Il nây a plus de traces en lâĂ©tat des deux relais de chasse en dragestil en Prusse orientale, aujourdâhui oblast de Kaliningrad, mĂȘme sâil fut un temps question de reconstruire le complexe par des investisseurs russes[39]. Le bĂątiment du relais de chasse de Guillaume II ne fut pas complĂštement dĂ©truit aprĂšs la guerre : il servit provisoirement de maison de repos pour les soldats du 3e front biĂ©lorusse et fut dĂ©placĂ© en 1950 dans le parc Luisenwahl, partie du parc culturel Kalinin Ă Kaliningrad pendant que les autres bĂątiments annexes furent dĂ©molis.
Un autre Ă©difice en dragestil trĂšs symbolique pour lâĂ©poque wilhelminienne en Allemagne est le « dĂ©barcadĂšre impĂ©rial KongsnĂŠs » sur les rives du Jungfernsee Ă Potsdam. Ă la demande de lâempereur Guillaume II, le complexe fut construit entre 1891 et 1895 dâaprĂšs les plans de lâarchitecte norvĂ©gien Holm Hansen Munthe. Le complexe en dragestil comportait un pavillon dâaccueil ou hall dâattente (« Vente-Halle »), des hangars Ă bateaux et trois maisons dâhabitation pour le personnel. TraversĂ© par le mur de Berlin de 1961 Ă 1989, le complexe, longtemps propriĂ©taire de la maison Hohenzollern, a Ă©tĂ© quasi totalement dĂ©truit Ă la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les fondations restaient de chaque cĂŽtĂ© du mur. AprĂšs lâunification des deux Allemagne, une association du KongsnĂŠs milite pour la reconstruction de lâancien dĂ©barcadĂšre dragestil dans le cadre dâune politique de mise en valeur du riche patrimoine architectural et de lâĂ©clectisme particulier Ă la ville culturelle de Potsdam. Câest un joailler de Berlin, Michael Linckersdorff, qui en fait lâacquisition en 2009 afin de dĂ©marrer les travaux. Bien quâil ne sâagisse pas dâune maison, on peut citer ici le transfert dâune Ă©glise en bois debout Ă Karpacz. Ă lâorigine le peintre norvĂ©gien Dahl qui sâinquiĂ©tait du dĂ©labrement de nombreuses Ă©glises en bois dans son pays proposa en 1841 au roi FrĂ©dĂ©ric-Guillaume IV de Prusse dâacquĂ©rir lâĂ©glise de Vang. Elle devait ĂȘtre dĂ©montĂ©e et reconstruite sur lâĂźle aux paons entre Berlin-Wannsee et Potsdam. Mais le roi prussien abandonna le projet. Elle fut reconstruite en Basse SilĂ©sie aujourdâhui en Pologne mais encore en Prusse au XIXe siĂšcle.
- Maison du golf-club dâOberhof le 6/8/2011. La dĂ©coration dragestil des faĂźtiĂšres est disparu ou endommagĂ©e.
- Reconstruction du débarcadÚre KongsnÊs en 2017, Potsdam.
- Relais de chasse Rominten de Guillaume II, région de Kaliningrad.
- Relais de chasse du Reich Ă Rominten, sur ordre de Goering.
- Ăglise en bois debout Ă Karpacz en Pologne.
En France dans les Vosges alsaciennes
Comme le dragon, symbole national de lâarchitecture norvĂ©gienne, fut souvent utilisĂ© comme motif ornemental dans tous les arts dĂ©coratifs et appliquĂ©s, lâartisanat populaire et plus particuliĂšrement dans lâĂ©bĂ©nisterie et lâarchitecture allemandes entre 1890 et 1905[40], lâAlsace se trouvait Ă ce moment-lĂ dans lâEmpire allemand et subissait inĂ©luctablement lâinfluence des architectes allemands historicistes trĂšs en vogue pour les bĂątiments publics et reprĂ©sentatifs Ă cette Ă©poque. La popularitĂ© du drakstil sâexplique par lâengouement pour lâart et les paysages norvĂ©giens et la publicitĂ© indirecte quâen a faite lâempereur Guillaume II dans tout lâempire[41] afin de mettre en avant lâesprit et la nature intrinsĂšquement germaniques des divers peuples qui composaient son territoire. ComparĂ©es Ă lâAllemagne du Nord et de lâEst, lâAlsace et lâAllemagne du Sud-Ouest ne sont nĂ©anmoins pas les rĂ©gions les plus touchĂ©es par cette mode nordique.
Câest pourquoi le bĂątiment du terminus du tramway Munster â La Schlucht gĂ©rĂ© par la Direction gĂ©nĂ©rale impĂ©riale des chemins de fer d'Alsace-Lorraine et situĂ© directement Ă la frontiĂšre entre la France et lâEmpire allemand revĂȘt un caractĂšre Ă la fois trĂšs inattendu et trĂšs emblĂ©matique dans le contexte tendu de lâannexion de lâAlsace-Lorraine aprĂšs 1870. Le premier bĂątiment allemand que le voyageur voit est celui de la douane qui sert en mĂȘme temps de premiĂšre station du tramway : il lui signale visuellement quâil entre en terres germaniques et indirectement nordiques. Non seulement la langue nationale change, non seulement la langue dialectale entre le vosgien et lâalsacien change, mais aussi le paysage architectural qui joue un rĂŽle symbolique et reprĂ©sentatif. On sait Ă lâexemple de Metz ou de Strasbourg que le choix dâun style architectural ciblĂ© appuie la politique culturelle et idĂ©ologique dâune nation quitte Ă forcer les traits de cette culture de maniĂšre outranciĂšre. On arrive de France avec le tramway de GĂ©rardmer qui amĂšne les voyageurs au Hohneck par le lac de Retournemer et le col de la Schlucht. Le Hohneck et la Schlucht servant de frontiĂšre nationale, le voyageur français peut ne pas passer la frontiĂšre franco-allemande puisquâil lui suffit de longer cette limite territoriale. En revanche, sâil veut descendre Ă Munster par le tramway, il doit entrer dans ce local des douanes qui a Ă©tĂ© construit en drakstil juste aprĂšs le poteau de la douane avec lâaigle impĂ©rial.
Lâhistoire du col de La Schlucht est intimement liĂ© Ă lâancien maire de Munster et industriel du textile, Fritz Hartmann. Il est en effet Ă lâorigine de la route qui mĂšne jusquâau col de la Schlucht[42] et il a fait construire le chalet qui porte son nom, le « chalet Hartmann »[43]. M. Hartmann, riche propriĂ©taire dâune manufacture de toiles peintes de luxe[44] Ă Munster[45] rendues cĂ©lĂšbres par les motifs du peintre Henri Lebert[46], fait construire ce chalet suisse qui Ă©tait ouvert aux touristes ; le seul hĂ©bergement Ă cette Ă©poque Ă©tait une mĂ©tairie oĂč les Ă©trangers passaient la nuit[47]. Hartmann reprĂ©sente la face germano-alsacienne du col dans lâesprit et le style de vie. En construisant un chalet dans le style suisse, il ne fait que suivre les grandes modes et tendances architecturales de son temps dans les milieux riches et bourgeois en pleine pĂ©riode romantique tardive et patriotique: le modĂšle suisse et le modĂšle nordique. Dâailleurs, Ă la mĂȘme Ă©poque en NorvĂšge, le « sveitserstil » est Ă la mode pour les nouveaux hĂŽtels et complexes touristiques, faisant concurrence au drakstil local.
LâĂ©quivalent et le concurrent français du millionnaire Hartmann est le plus modeste gĂ©rĂŽmois M. Defranoux devenu propriĂ©taire en 1887 de lâhĂŽtel du mĂȘme nom et Ă©galement futur gĂ©rant du chalet Hartmann[48]. Sur les affiches et publicitĂ©s, on lit de maniĂšre univoque : « HĂŽtel français Defranoux-Mohr ». En revanche, lâhĂŽtel de luxe et de cure, HĂŽtel Altenberg, fut construit cĂŽtĂ© allemand du col entre 1894-1896 Ă la demande de la famille Hartmann et il fut gĂ©rĂ© par un hĂŽtelier suisse[49]. Le caractĂšre emblĂ©matique du col de la Schlucht opposant deux mondes qui sâaffrontent Ă©galement sur le terrain de la propagande et des symboles nationaux sâest donc matĂ©rialisĂ© dans la pierre pour accueillir les visiteurs impĂ©riaux : Guillaume II et NapolĂ©on III. Ils se devaient tous les deux de faire apparition Ă lâendroit mĂȘme oĂč les sphĂšres politiques et culturelles se font face avec suspicion et mĂ©fiance. Leur acte de prĂ©sence lĂ©gitime la frontiĂšre et la souverainetĂ© des Ă©tats. Le chalet Hartmann a Ă©tĂ© construit Ă la suite dâune visite de lâempereur NapolĂ©on III[50] en 1858, donc avant lâannexion de lâAlsace. Il a Ă©tĂ© reconverti en hĂŽtel-restaurant. Mais l'empereur allemand fut Ă©galement reçu par M. Hartmann[51] dans son chalet alpin. Il y reviendra plusieurs fois[52].
Le local asymĂ©trique des douanes allemandes se caractĂ©risait par son profil Ă©clectique : lâusage important du bois rappelle le chalet alpin et les quatre tĂȘtes de dragons font rĂ©fĂ©rence au drakstil. On pouvait observer une tĂȘte Ă chaque extrĂ©mitĂ© du faĂźte Ă droite et Ă gauche, et deux tĂȘtes qui se tournent le dos Ă lâextrĂ©mitĂ© du toit Ă quatre pans sur la petite tourelle centrale. Il ne reste rien de du bĂątiment des douanes allemandes. Lors de son passage au col de la Schlucht, Raymond PoincarĂ© constate que le 23 janvier 1916 « les bĂątiments de douane, le chalet Hartmann, le local oĂč jâavais vu lâambulance, tout est dĂ©truit par les obus »[53].
Sveitserstil
La dĂ©coration des pignons en Scandinavie prend des formes nouvelles avec le Sveitserstil, surtout en NorvĂšge : il sâagit dâun nĂ©o-style rĂ©gional oĂč il faut clairement distinguer la dualitĂ© frappante entre lâarchitecture savante et lâarchitecture vernaculaire ordinaire[54]. Ce style helvĂ©tisant est nĂ© en Allemagne[55] Ă une Ă©poque oĂč certaines rĂ©gions d'Europe centrale profitaient d'une aura particuliĂšre auprĂšs de la grande bourgeoisie europĂ©enne comme la vallĂ©e romantique du Rhin moyen ou les Alpes suisses. En NorvĂšge, il est influencĂ© par l'historicisme, le tourisme et les nouvelles tendances architecturales rĂ©pandues en Europe occidentale depuis la Belle Ăpoque avec un engouement particulier pour lâhabitat de montagne en bois. Ce style chalet est le fruit de la crĂ©ation des architectes qui sâinspirent du bĂąti vernaculaire et innovent en mĂȘme temps. Ils ne copient pas rĂ©ellement un type particulier dâarchitecture rurale montagnarde ou une maison d'une rĂ©gion prĂ©cise mais transcrivent dans la pierre et le bois lâidĂ©e quâils sâen font intrinsĂšquement ou bien ce que leur maĂźtre dâĆuvre leur rĂ©clament.
Le style chalet prend en NorvĂšge le nom de « style suisse » probablement pour des raisons dâaffinitĂ© culturelle ou parce que les Ă©changes culturels entre la Scandinavie et les pays germanophones Ă©taient plus intenses quâavec les Alpes françaises, italiennes ou slovĂšnes par exemple. De plus, les deux pays misent Ă cette Ă©poque sur le mĂȘme crĂ©neau de la villĂ©giature de montagne pour un public urbain. Daniel Stockhammer a expliquĂ© rĂ©cemment dans sa thĂšse prĂ©sentĂ©e Ă l'Ăcole polytechnique fĂ©dĂ©rale de Zurich et reprise dans le magazine du Fonds national suisse et de l'AcadĂ©mie suisse des sciences que le style du chalet suisse a Ă©tĂ© connu Ă lâĂ©tranger avant les Suisses eux-mĂȘmes. Paradoxalement, le tourisme international introduira le chalet dit suisse en Suisse[56]. Le phĂ©nomĂšne sâest Ă©galement produit en Savoie lorsque les chalets de skieurs et de citadins Ă la recherche dâun havre de paix avec air pur et vue sur les sommets des montagnes font leur apparition. Le client veut que son chalet « fasse montagne »[57]. Il ne sâagit pas de reproduire un chalet dâinalpage mais dâapporter Ă la nouvelle bĂątisse la nouveautĂ© et le confort en sauvegardant lâauthenticitĂ© du chalet dans son cadre naturel. Le critĂšre fonctionnel passe au second plan tandis que lâaspect esthĂ©tique lâemporte sur toutes les autres considĂ©rations. Ă cela sâajoute peut-ĂȘtre aussi la fiertĂ© de construire un chalet dessinĂ© par un architecte de renom ou avant-gardiste comme le « chalet du skieur » Ă MegĂšve par Henry Jacques Le MĂȘme en 1930[58]. En rĂ©alitĂ©, la mode du chalet suisse a dĂ©marrĂ© au XIXe siĂšcle dans de nombreux pays europĂ©ens. En France, lâhistorien de lâarchitecture amĂ©ricain, Henry Russel Hitchcock, explique quâaux alentours de lâExposition universelle de 1867, plusieurs entreprises parisiennes se sont spĂ©cialisĂ©es dans la construction de chalets « livrĂ©s et montĂ©s sur place »[59].
Le sveitserstil norvĂ©gien emprunte au dragestil et Ă lâArt nouveau, y compris pour la dĂ©coration intĂ©rieure des hĂŽtels de villĂ©giature, des restaurants et des villas urbaines. Plusieurs critĂšres typologiques du style chalet ouest-europĂ©en se retrouvent en NorvĂšge :
- Usage du bois comme matĂ©riau de construction et dâornementation ;
- Avant-toits trÚs saillants et fortement décorés ;
- Avant-corps sur colonnade au pignon trÚs décoré;
- porches avec colonnades et balcons ;
- Ornementation utilisant beaucoup la sculpture, la gravure et la ciselure.
On reconnaßt trÚs bien ces critÚres dans la villa Fridheim ci-contre. Non seulement les pignons du corps principal font l'objet d'une attention particuliÚre, mais aussi et surtout ceux des avant-corps avec balcon et colonnade sur la façade gouttereau. Comme dans l'hÎtel Dalen en dragestil plus haut, les pignons des avant-corps hyper-décorés confÚrent à l'ensemble du bùtiment son identité: la lecture de la façade latérale décline sans équivoque l'identité architecturale de la bùtisse. Finalement, avec ce néo-style helvétisant, la décoration sort du cadre restreint du seul mur pignon car il rajoute des gables supplémentaires par les avant-corps et les lucarnes.
- Gare de KrĂžderen, 1872, par Georg Andreas Bull.
- Hotel Kviknes Ă Balestrand, par Franz Wilhelm Schiertz.
- Maison de Colin Archer dite «Lilleodden»
- Gare de StjĂžrdal, par Paul Due, avec ornementation dragestil.
- Villa de Ole Bull Ă Valestrand, par Georg Andreas Bull.
- Bùtiment principal de la ferme Sandvik en style chalet suisse dans la réserve naturelle de GörvÀln, commune de JÀrfÀlla, SuÚde.
Bibliographie
Ouvrages et articles
- David M. Wilson (dir.) (trad. de l'anglais), Le Monde Nordique : Histoire et héritages des Peuples de l'Europe du Nord, Paris, Thames & Hudson, , 248 p. (ISBN 2-87811-229-6 et 978-2878112290)
- James Graham Campbell, Atlas du Monde Viking, du Fanal,
- Batey Colleen, Helen Clarke, R.I.Page et Neil S.Price Graham-Campbell James (trad. de l'anglais), Atlas du monde Viking Fournitures diverses, Paris, SuccÚs du Livre, coll. « Civil/Mytho/Rel », , 191 p. (ISBN 2-7434-4725-7 et 978-2743447250)
- Régis Boyer, La vie quotidienne des Vikings, Paris, Hachette, coll. « La vie quotidienne », , 375 p. (ISBN 2-01-016324-9 et 978-2010163241)
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- Michel Cabouret (GĂ©ographe, spĂ©cialiste de l'Europe nordique), « Quelques traits de l'Ă©volution historique de l'habitat rural dans la pĂ©ninsule Scandinave et plus particuliĂšrement en NorvĂšge : types de maisons et modes de groupement », Hommes et Terres du Nord, no 1,â , p. 39-63 (lire en ligne, consultĂ© le ). .
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- (da) K. Thorsen, « Bornholmske Byggeskikke i ĂŠltre Tid » [« MĂ©thodes de construction des temps anciens Ă Bornholm »], Bornholmske Samlinger, RĂžnne, vol. 14,â , p. 117-139. .
Articles connexes
Liens externes
- « Vikings Danemark », sur Vikingdenmark, EssentialContent.com, 2007-2010
- « OĂč est Vinland », sur Canadian Mysteries,
Notes et références
Notes
- Pendant et aprĂšs un voyage en NorvĂšge, aucune personne n'a Ă©tĂ© en mesure de me donner spontanĂ©ment le nom de cette dĂ©coration de pignon, ni mĂȘme aprĂšs dans les correspondances que j'ai entretenues avec des universitaires due l'encyclopĂ©die norvĂ©gienne. De bouche Ă oreille, les premiers termes sont tombĂ©s et ont permis de reconstituer un panel de termes usitĂ©s dans les travaux d'architectures des temps anciens ou les dictionnaires Ă©tymologiques. Il semblerait donc que la valeur dĂ©corative ait perdu en importance et que les NorvĂ©giens contemporains n'Ă©prouvent pas le besoin de nommer cette partie du pignon.
- « (...)stolpe som rejstes pÄ begge sider af hovedindgangen til et hus (deraf brandadyrr kaldet) ».
- « Gavlbrand : udskÄret stang pÄ husgavlen. de brÊddeklÊdte Gavle, prydede foroven med den pynteligt udskaarne Stang, Gavlbranden, som ragede op over Husets Rygning. ».
- Ăchange Ă©pistolaire avec un auteur de la grande encyclopĂ©die norvĂ©gienne, Christian Leborg, professeur, entrepreneur et coach de marque Ă Oslo. Extrait de lâĂ©change : « Brandr is the old-norse term for the plank that you have above your door with your name on it, or the board in your boat having there name of the ship. It also means torch - the pieces of wood you have in a fire. With this glowing piece of wood you could actually brand your sheep. Hence, âBrandrâ is the root of the English term âBrandâ and âBrandingâ. ».
- Dans sa thÚse de doctorat, B. Auger cite un extrait de Wace :« Sor li chief de la nef devant / Ke marinier apelent brant, / Out de coivre fait un enfant / Saete et arc tendu portant ( Roman de Rou, tome III, partie 3, vers 6453-56) ».
- Le dictionnaire des frĂšres Grimm ne met encore la majuscule aux substantifs contrairement Ă l'allemand actuel.
- Se reporter au Petit Robert quelle que soit l'année d'édition, par exemple Paul Robert, Josette Rey-Deboce et Alain Rey, Le nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, , p. 1107.
- Auger, Steinsland et Meulengracht pensent que les tombes naviformes sont une pratique paĂŻenne commune dâorigine germanique rĂ©pandue sur le pourtour de la mer Baltique.
- Se reporter Ă l'article sur l'histoire de la Finlande.
- Les maisons rurales du Norrbotten, VĂ€sterbotten, JĂ€mtland, VĂ€rmland par exemple.
Références
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- Michel Cabouret (GĂ©ographe, spĂ©cialiste de l'Europe nordique), « Quelques traits de l'Ă©volution historique de l'habitat rural dans la pĂ©ninsule Scandinave et plus particuliĂšrement en NorvĂšge : types de maisons et modes de groupement », Hommes et Terres du Nord, no 1,â , p. 39-63 (DOI 10.3406/htn.1982.1798, lire en ligne, consultĂ© le ).
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