Sculpture sur bois norvégienne
La sculpture sur bois norvĂ©gienne, treskurd ou treskjĂŠring, occupe en NorvĂšge une place privilĂ©giĂ©e dans les arts dĂ©coratifs, la dĂ©coration intĂ©rieure et lâornement extĂ©rieur pour des raisons Ă la fois historiques, populaires et architecturales. Dans ce pays scandinave, la persistance du bois comme matĂ©riau de construction pour les maisons dâhabitation et dâexploitation, les bĂątiments publics et les Ă©difices religieux jusquâĂ nos jours a permis de donner Ă cet art dĂ©coratif une valeur importante sur le plan national[1], probablement bien plus que dans les pays oĂč elle se cantonne pour beaucoup aux arts mineurs. Câest essentiellement pendant les XVIIIe et XIXe siĂšcles que la sculpture sur bois prend une ampleur considĂ©rable au moment oĂč les NorvĂ©giens font lâexpĂ©rience du mouvement artistique et culturel Dragestil, fondĂ© sur la redĂ©couverte du haut Moyen Ăge et de la culture prĂ©-chrĂ©tienne avec tous les symboles ornementaux vĂ©hiculĂ©s par la recherche identitaire du peuple norvĂ©gien en pĂ©riode dâĂ©mancipation politique vis-Ă -vis de ses voisins scandinaves. En fonction des Ă©poques, son caractĂšre Ă©clectique se renforcera de plus en plus sous lâinfluence des mouvements artistiques europĂ©ens comme la renaissance nordique ou le rococo dâEurope septentrional. Toutefois, la sculpture sur bois gardera indiscutablement son cachet nordique qui nâest pas sans susciter lâintĂ©rĂȘt des visiteurs Ă©trangers passionnĂ©s par lâeffet viking en vogue au XXIe siĂšcle. Un des faits marquants de la sculpture sur bois norvĂ©gienne porte aussi sur sa longue relation interactive avec dâautres arts dĂ©coratifs ou dâautres mĂ©tiers de lâartisanat dâart comme la broderie, le tricot et le tissage entre autres. De fait, le husflid (prononcĂ© : [hÊsflid]), nom donnĂ© en NorvĂšge Ă tous les produits dâartisanat dâart domestiques organisĂ©s en « coopĂ©rative » ou « union » (foreningen)[2] fait la jonction entre un chambranle de porte sculptĂ©, un pullover tricotĂ©, une nappe brodĂ©e, des couverts en bois et des peintures rosemaling par le truchement des motifs dĂ©coratifs communs ou inspirĂ©s dâun artisanat Ă un autre. La grande encyclopĂ©die de la langue norvĂ©gienne cite parmi les plus grands reprĂ©sentants du treskurd de rang national et en partie international : Ole Olsen Moene et Lars Kinsarvik[3].
Histoire
La gravure sur bois norvĂ©gienne nâa pas une histoire linĂ©aire constante. Elle a suscitĂ© lâintĂ©rĂȘt des artistes et de la population pendant trois pĂ©riodes distinctes entre lesquelles elle Ă©tait passĂ©e de mode : le IXe siĂšcle, les XVIIe et XVIIIe siĂšcles et le XIXe siĂšcle.
Le premier Ăąge dâor de la sculpture sur bois remonte Ă la pĂ©riode viking symbolisĂ© par les recherches archĂ©ologiques rĂ©alisĂ©es Ă Oseberg connues par son bateau funĂ©raire exposĂ© au musĂ©e des navires vikings d'Oslo. Les objets usuels et les artĂ©facts remarquablement dĂ©corĂ©s que les archĂ©ologues ont trouvĂ©s Ă Oseberg attestent de la vivacitĂ© et du savoir-faire des sculpteurs sur bois du haut Moyen Ăge nordiques puisque les chercheurs ont mis au jour une voiture, des traĂźneaux ou des coffres richement sculptĂ©s[4]. Au Moyen-Ăge, la sculpture sur bois ne disparaĂźt pas complĂštement mais elle se cantonne Ă la dĂ©coration intĂ©rieure et extĂ©rieure des Ă©glises en bois debout[3], les stavkirker Ă lâinstar de la stavkirke d'Urnes, patrimoine mondial de l'humanitĂ© depuis 1979, oĂč lâon peut encore admirer aujourdâhui encore lâimpressionnant portail sculptĂ© entre autres.
Aux XVIIe et XVIIIe siĂšcles, la sculpture sur bois dâinspiration nordique connaĂźt un rĂ©el engouement grĂące Ă des artistes reconnus mais aussi des artisans anonymes qui dĂ©veloppent cet art dĂ©coratif dans les Ă©glises, le mobilier, les voitures, les traĂźneaux et les objets du quotidien[3]. Bien que les sculpteurs aient parfois exercĂ© leur mĂ©tier de maniĂšre itinĂ©rante, il est impossible de couvrir le territoire trĂšs Ă©tendu et peu accessible de la NorvĂšge pour procĂ©der Ă la dĂ©coration de tous bĂątiments des fermes ou groupes de fermes isolĂ©s dans chaque vallĂ©e ou fjord ; Ă ce moment-lĂ , il existe en effet une distinction entre les sculpteurs Ă proprement parler (bilthuggere, biltsniddere) qui Ćuvrent aussi bien dans le domaine religieux que dans celui des objets pratiques (voitures Ă roue pour lâĂ©tĂ© et traĂźneaux pour lâhiver, lâameublement quotidien mais aussi lâĂ©bĂ©nisterie) et les artisans impliquĂ©s dans les chantiers de construction comme les menuisiers, charpentiers ou les fabricants de chaises artisanales[3].
Ă la fin du XIXe siĂšcle et au dĂ©but du XXe siĂšcle, avec lâĂ©mergence du mouvement husflid[5] (artisanat de lâart, produits faits maison Ă©coulĂ©s par des coopĂ©ratives locales) en NorvĂšge, la sculpture sur bois hĂ©ritĂ©e des deux prĂ©cĂ©dentes pĂ©riodes est reprise et dĂ©veloppĂ©e par plusieurs artisans dont la technique et le savoir-faire permettront Ă cet art dĂ©coratif de dĂ©passer les frontiĂšres nationales avec les sculpteurs citĂ©s plus haut[6].
Techniques et caractéristiques
Deux techniques majeures cohabitent dans la sculpture sur bois norvĂ©gienne comme dans dâautres pays europĂ©ens depuis le haut Moyen Ăge : lâengravure (Karveskurd) et la gravure en relief ou bas-relief (flatskurd)[7].
Dans le premier cas, le motif est entaillĂ© dans la surface plane le plus souvent en forme de V. Il reprĂ©sente souvent des figures gĂ©omĂ©triques rĂ©alisĂ©es Ă lâaide de compas et de rĂšgles sur le panneau pour ĂȘtre engravĂ©es par la suite. Les motifs ornementaux les plus rĂ©currents sont la rose Ă 6 ou 8 pĂ©tales combinĂ©e Ă des figures rectangulaires et triangulaires. La similitude avec lâengravure dans les autres cultures historiques europĂ©ennes ne fait aucun doute mais elle ne sâest pas gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă toute la NorvĂšge. On la trouve essentiellement dans le Vestlandet et grosso modo dans les rĂ©gions cĂŽtiĂšres du sud au nord. Les premiers artĂ©facts engravĂ©s norvĂ©giens remontent au IVe siĂšcle[8].
La sculpture sur bois par bas-relief est un art figuratif ou abstrait trĂšs rĂ©pandu dans le monde. En NorvĂšge, elle a Ă©tĂ© utilisĂ©e en tout premier lieu pour la dĂ©coration intĂ©rieure et extĂ©rieure des Ă©glises en bois[9], stavkirke ou pas. Lâinfluence de la Renaissance se fait sentir dans le choix des motifs qui adoptent lâentrelacement de feuillages et tiges vĂ©gĂ©tales plus ou moins ordonnĂ©. Plusieurs types de fleurs sont reprĂ©sentĂ©es mais les rinceaux dâacanthe dominent dĂšs le XVIIe siĂšcle, surtout dans lâintĂ©rieur des Ă©glises. Les rinceaux sont peuplĂ©s dâanimaux rĂ©els ou fictifs, parfois aussi de personnages[8]. Le dragon y occupe une place privilĂ©giĂ©e. Il faut y inclure la sculpture ornemaniste non seulement pour le mobilier mais aussi pour la dĂ©coration extĂ©rieure dans lâarchitecture rurale. MĂȘme un fenil, un cellier ou une petite Ă©table pour chĂšvres en rase campagne sont susceptibles dâĂȘtre dĂ©corĂ©s par des panneaux en bas-relief ; des chambranles de fenĂȘtres ou des cadres de porte sculptĂ©s donnent un cachet local et nordique aux bĂątisses dâexploitation de la ferme.
Exemples de sculptures sur bois norvégiennes
Pour la période viking
- DĂ©tail des sculptures du chariot du site funĂ©raire viking dâOseberg, musĂ©e des navires vikings d'Oslo.
- Traineau sculptĂ© du site funĂ©raire viking dâOseberg, musĂ©e des navires vikings d'Oslo.
- Traineau sculptĂ© du site funĂ©raire viking dâOseberg, musĂ©e des navires vikings d'Oslo.
- DĂ©tail de la sculpture dâun traineau du site funĂ©raire viking dâOseberg, musĂ©e des navires vikings d'Oslo.
- DĂ©tail de sculpture en bas-relief sur bateau du site funĂ©raire viking dâOseberg, musĂ©e des navires vikings d'Oslo.
- Exemple de sculpture avec reprĂ©sentations animales de type dragon du site funĂ©raire viking dâOseberg, musĂ©e des navires vikings d'Oslo.
- DĂ©tail de sculptures anthropomorphes avec animaux mythiques du site funĂ©raire viking dâOseberg, musĂ©e des navires vikings d'Oslo.
Pour les Ă©glises en bois debout
- Motif ornemental du portail occidental de l'Ă©glise en bois debout de Heddal.
- Panneau sculpté de l'église en bois debout de Heddal.
- Portail richement sculpté de l'église en bois debout d'Hopperstad.
- Dragon sculpté à l'église en bois debout d'Hopperstad.
- Portail massif et sculpté du portail de l'église en bois debout de FÄvang.
- POrtail sculpté de l'église en bois debout de Lomen.
- chapiteau sculpté de l'église en bois debout d'Urnes.
- Pilier sculptĂ© de l'Ă©glise en bois debout de Vang-Ăye.
Pour l'architecture rurale et les objets usuels
- Grenier décoré de la ferme MidtbÞen, Telemark, inscrit aux monuments historiques de NorvÚge, no 86667.
- A Olso-BygdÞ, initialement un cellier, on remarque surtout les meubles sculptés.
- Ornementation remarquable du cadre de la porte du grenier de la ferme Eika Nigard, Telemark, inscrit aux monuments historiques de NorvĂšge, no 86676.
- Poteaux d'angle et panneaux muraux sur un grenier de la ferme Moen Nedre, Telemark, inscrit aux monuments historiques de NorvĂšge, no 86668.
- Poteau d'angle sculptés dans ce bùtiment de la ferme à kre, Bondalen, Telemark, inscrit aux monuments historiques de NorvÚge, no 121872.
- Ăcrin sculptĂ© par l'artiste Ole Olsen Moene, musĂ©e de la culture populaire norvĂ©gienne d'Oslo.
- Chaise sculptée par l'artiste Lars Kinsarvik, musée d'Orsay à Paris.
Références
- « Cette conservation (..) provient aussi de lâattachement particulier et du respect religieux que les habitants de la campagne portent encore, dans plusieurs cantons de la NorvĂšge, aux Ćuvres, aux coutumes et aux usages de leurs ancĂȘtres » dans : Pierre-Simon Lerebours, Sur d'anciennes constructions en bois sculptĂ© de l'intĂ©rieur de la NorvĂšge, Paris, Challamel, (BNF 31109332), p. 6.
- (no) Ingun Grimstad Klepp (Enseignant-chercheur Ă lâuniversitĂ© dâOslo), « Husflid », Store norske leksikon,â (lire en ligne, consultĂ© le ). .
- (no) Lauritz Opstad, « Treskurd », Store norske leksikon,â (lire en ligne, consultĂ© le ). .
- Lucien MUSSET (MaĂźtre de confĂ©rence UniversitĂ© de Caen), « Les Vikings », EncyclopĂŠdia Universalis en ligne,â .
- (no) Vibeke A. Mohr, VÄr husflid, Oslo, Huitfeldt, coll. « Vi ser pÄ kunsthÄndverk i Norge 20 », , 96 p. (ISBN 82-7003-211-5, présentation en ligne).
- (no) Ingun Grimstad Klepp, « Husflid », Store norske leksikon,â .
- (no) Knut Engeland, TreskjÊring : historikk, materialer, verktÞy, karveskurd, akantus, figur- og relieff, kolrosing, TF hÄndbÞkerBok, coll. « Traditions norvégiennes vivantes », (ISBN 82-512-0408-9).
- (no) Jon LĂ„te, « Karveskurd », Store norske leksikon,â .
- Pierre-Simon Lerebours, Sur d'anciennes constructions en bois sculpté de l'intérieur de la NorvÚge, Paris, Challamel, (BNF 31109332), p. 1-14.