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Société d'ordres

La société d'ordres est une théorie d'ordonnancement social selon laquelle la distinction sociale repose sur une hiérarchie de dignité et d'honneur. Elle se distingue ainsi des sociétés de castes, sociétés hiérarchisées composées de groupes sociaux endogames aux relations fortement codifiées, et des sociétés de classes qui distinguent les hommes d'après leur richesse. Ce modèle décrit avant tout les sociétés féodales et d'Ancien Régime.

Société d'ordres
Image illustrative de l’article Société d'ordres
Les trois ordres de la société féodale en Europe médiévale : le moine, le chevalier et le paysan.

Définition La société d'ordres est une théorie d'ordonnancement social qui repose sur une hiérarchie de dignité et d'honneur. Ce modèle décrit les sociétés féodales et d'Ancien Régime.
Auteur(s) Roland Mousnier, Pierre Bourdieu

Histoire de la notion

C'est Roland Mousnier qui a proposé cette modélisation dans les années 1960, en s'opposant ainsi à la vision marxiste de l'école des Annales et de Boris Porchnev. Ces derniers entendaient en effet étudier les sociétés du passé en termes strictement économistes et classistes.

Mousnier commença par poser la question de l'historicité de la logique de classe : les composantes d'une société se sont-elles toujours pensées en termes de classe sociale, c'est-à-dire de groupe d'individus ayant conscience de partager un niveau de fortune et des intérêts économiques, ou est-ce une conception datée existant à un moment donné de l'histoire ? Partant de ce problème, il affirma que la société française d'Ancien Régime se structurait davantage en un système de corps verticaux qu'en couches horizontales. Son analyse reposait sur le constat de l'infinité de gradations et de hiérarchies qui semblaient ignorer les niveaux de fortune et reposer plutôt sur des critères non économiques. C'est ainsi l'appartenance à un groupe plus ou moins prestigieux qui définissait l'importance sociale d'une personne.

Inversement, il étudia également les solidarités et les réseaux qui s'exprimaient dans les relations de patronage ou de clientèle et au sein des corporations : on y voyait bien plus s'épanouir des systèmes d'entraides entre des protecteurs et des clients issus d'un même corps qu'entre personnes d'un même niveau de fortune.

La dignité, critère de la distinction

Le privilège est accordé par son détenteur, ici Ferdinand III de Habsbourg au bénéfice d'un collège médical milanais.

Le modèle proposé par Mousnier fait donc intervenir comme critère central de distinction sociale un capital, non pas économique, mais d'honneur et de dignité. Il reposait notamment sur l'appartenance à un groupe disposant d'une respectabilité propre, entre autres représentée par des privilèges (c'est-à-dire le droit de posséder sa loi particulière) et des marques d'honneur qui le positionnaient par rapport aux autres groupes. C'est pourquoi cette théorie d'organisation sociale est aussi une théorie politique. L'ascension sociale se voyait ainsi sanctionnée par l'acquisition de marques d'honneur ou l'accès à des dignités plus hautes, ou plus encore par l'agrégation à un corps considéré comme de dignité supérieure.

Dans ce système, l'argent n'est qu'un moyen pour acquérir et conserver ces marqueurs de dignité et pour assurer les obligations reconnues comme inhérentes à un certain statut social. Le maintien dans la noblesse, par exemple, imposait une certaine fortune, mais parce que la dignité et la réputation de noblesse imposaient de faire preuve de libéralité en aidant ses clients, d'être à la disposition de son prince et de ses protecteurs, ce qui lui interdisait une activité professionnelle, etc. L'argent ne sert ici qu'à vivre de façon "honorable", en assurant protection et service à ses clients et patrons, tandis que c'est précisément ce mode de vie sur lequel repose la distinction sociale.

Une analyse qui a fait date

L'interprétation de Mousnier est aujourd'hui majoritaire parmi les historiens modernistes, même si sa radicalité est souvent discutée. L'importance de la fortune dans les changements de statut social est ainsi considérée comme certaine. De façon assez cocasse, ce paradigme a été largement repris par Pierre Bourdieu dans La Noblesse d'État et dans La Distinction, en ignorant précisément ce qui avait été le point de départ de Mousnier : la question de l'historicité des catégories d'analyse et de pensée.

La société médiévale en tant que société d'ordres

L'organisation sociale en trois ordres

On peut voir la société féodale du Moyen-Age (et la société d'Ancien Régime) comme une société d'ordres. Il s'agit de trois ordres: clergé, noblesse, tiers état.

Eglise et clergé

L'éducation religieuse médiévale a son efficacité et ses réussites évidentes. Elle a aussi ses limites, sans aller jusqu'à la caricature qu'en dresse François Rabelais dans Pantagruel (1532). Pour ce qui concerne les gens extérieurs au clergé, la diffusion et la réception de la foi chrétienne (catéchèse et catéchisme) se font en langue vernaculaire.

La liturgie catholique romaine, officiellement la même dans le monde entier, se fait en latin, langue liturgique véhiculaire. Le christianisme orthodoxe (globalement byzantin et œcuménique) fonctionne de manière différente, pas si éloignée, avec d'autres langues liturgiques, des églises pour certaines autocéphales, et assez rapidement une pression musulmane à l'Est. L'expansion du christianisme au Moyen Âge se réalise par évangélisation et conversion des royaumes barbares. L'expansion de l'islam s'effectue également par l'Ouest, avec quantité de violences guerrières, conversions, persécutions, révoltes, répressions, exils : conquête musulmane de la péninsule Ibérique (711-726), Al-Andalus (711-1492), présence sarrasine au nord des Pyrénées (719-973), bataille de Toulouse (721), bataille de Poitiers (732), Reconquista (722-1492), sans oublier l'ensemble des terribles croisades (1095-1291). Il convient également de rappeler que la chrétienté catholique peut susciter critiques (internes) (indulgences, nicolaïsme, simonie), scissions (nestorianisme, séparation des Églises d'Orient et d'Occident (1054), Église évangélique vaudoise) et hérésies (hérésies du XIe siècle en Occident, bogomilisme, catharisme, dolcinisme, guillelmisme, pataria, hussitisme...). Les femmes religieuses occupent place, présence, activité, ministère (en catholicisme), et reçoivent une formation adaptée à leur statut.

Noblesse

Au moins pour la France, la formation des personnes nobles, chevaliers, gentilshommes, en chevalerie, féodalité, noblesse, ou autre forme d'aristocratie, ou d'élite, en société d'Ancien Régime, est encore plus problématique, plus complexe, plus variée. L'éducation des femmes de la noblesse est plus sensible, et mieux renseignée.

Laboratores

Dans la société médiévale, au moins ouest-européenne, féodale, les laboratores, ceux qui travaillent, sont essentiellement les paysans, les tenanciers/vilains et les serfs. Très majoritaires en nombre, sans privilèges, et défavorisés en ressources et en droits, les laboratores sont des roturiers, réputés libres (non esclaves), soumis au cens, à la taille, aux corvées, en relative autosuffisance. Un ouvrier agricole peut également être journalier ou saisonnier. L'alleutier est un paysan libre sous protection seigneuriale.

La paysannerie médiévale hérite du colonat partiaire : tenure (féodalité), manse, fermage, métayage. En droit coutumier, pour échapper au droit de mainmorte du seigneur sur ses serfs (mortaille, échute, forfuyance...), le système familial, ou famille communautaire ou « communauté familiale »ƒ constitue la forme de parenté la plus appropriée : système à maison, à la manière du système familial pyrénéen, communauté taisible (parsonnerie, coparçonerie, frérage, frérèche...).

La communauté plus large relève de la collectivité territoriale : commune, ville nouvelle, castelnau, sauveté, villefranche, bastide,(ou zadruga), avec biens communaux. Jacqueries et révoltes paysannes témoignent des difficultés réelles.

Le travail des enfants relève ainsi, à la campagne, d'une économie informelle, d'autant que l'espérance de vie est réduite. L’apprentissage de chaque savoir-faire des tâches domestiques et agricoles (agriculture, élevage, bucheronnage...) se fait en groupe très restreint (parent-enfant, fratrie, sororie, maisonnée...), par imitation. L'économie conviviale, fantasmée par certains, dans la mesure où elle est tournée vers l'extérieur de la famille, se traduit plutôt par le placement (dans d'autres familles, en fosterage par exemple) d'enfants, surtout orphelins, handicapés, déshérités, exposés/déposés, abandonnés, mais pas uniquement : enfants loués (enchère des pauvres, foire aux serviteurs, enfants placés), domesticité, production domestique, avec tous les risques d'exploitation, de travail forcé, d'esclavage. Parmi les romans français, certes plus tardifs, de type roman paysan ou roman social, évoquant la question : François le Champi (1848), Jacquou le Croquant (1897). Le Code noir (1685) aborde évidemment la question du travail et de la propriété des enfants esclaves, à cette époque, dans un contexte qui n'est pas celui des campagnes françaises. La domesticité, au sens de domestiques (production domestique) ou serviteurs, au service de personnes de la noblesse (page, écuyer, laquais, nourrice, servante) ou de la bourgeoisie naissante, concerne une population plus réduite, et qui reçoit une formation (et/ou une éducation), sur place, en interne, souvent longue, avec des conditions de vie et de travail (supposées) plus favorables. L'engagisme en serait une forme moderne.

Dans l’artisanat et le commerce, des associations (sorte de syndicat professionnel à la manière du collegium) organisent le travail et la vie de leurs membres : fraternité, guilde, corporation, confrérie, société amicale. Ainsi, le système de corporation sous le royaume de France structure tous les métiers (métiers du Moyen Âge, masculins et/ou féminins), corps de métier, professions, ordres professionnels, avec des éléments variables de formation, protection, assurance, assistance, entraide. L'activité textile en atelier est déjà pré-industrielle.

Le compagnonnage (inscrit à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel en France et au patrimoine culturel immatériel), est un système traditionnel de transmission de connaissances et de formation à un métier, qui s'ancre dans des communautés de compagnons. Au plan général et humain, il évoque un compagnonnage de vie, un groupement de personnes dont le but est : entraide, protection, éducation, apprentissage (dès 12 ans, pendant trois ans (au moins) comme apprenti, sans salaire, au pair), transmission des connaissances entre tous ses membres. Le compagnonnage concerne surtout les arts mécaniques, avec longue formation par alternance : Tour de France du compagnonnage, chef-d'œuvre (compagnonnage). Il existe également des corporations de métiers artistiques.

Notes et références

    Voir aussi

    Bibliographie indicative

    • Hommage à Roland Mousnier : clientèles et fidélités en Europe à l'époque moderne, édité par Yves Durand, PUF, Paris, 1981.
    • Roland Mousnier, Les hiérarchies sociales de 1450 à nos jours, Paris, PUF, 1969.
    • Fanny Cosandey (dir), Dire et vivre l'ordre social en France sous l'Ancien régime, Paris, Éditions de l'EHESS, 2005.

    Articles connexes

    Liens externes

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