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Pyrrhus Ier

Pyrrhus Ier ou Pyrrhos Ier (en grec ancien Î ÏÏÏÎżÏ‚ / PĂœrrhos), nĂ© vers 318 av. J.-C. et mort Ă  Argos en 272, est un roi d'Épire de la dynastie Ă©acide appartenant Ă  la tribu des Molosses. Il est hĂ©gĂ©mon d'Épire de 306 Ă  302 puis il rĂšgne sur l'Épire de 297 Ă  272. Il est provisoirement roi de MacĂ©doine dans le contexte des guerres des Diadoques.

Pyrrhus Ier
Illustration.
Buste de Pyrrhus, Ny Carlsberg Glyptotek.
Titre
Roi d’Épire
306 – 302 av. J.-C.
Prédécesseur Alcétas II (1er rÚgne)
Successeur NĂ©optolĂšme II (3e rĂšgne)
297 – 272
Prédécesseur NéoptolÚme II (3e rÚgne)
Successeur Alexandre II (1re rĂšgne)
Roi de Macédoine
288 – 285
Prédécesseur Démétrios PoliorcÚte
Successeur Lysimaque
Biographie
Dynastie Éacides
Date de naissance v. 319
Date de décÚs 272
Lieu de décÚs Argos
Pùre Éacide
Conjoint Antigone d'Épire
Lanassa
Bicernna
Enfants Ptolémée
Alexandre II
Hélénos

Cousin d'Alexandre le Grand et lui-mĂȘme ambitieux conquĂ©rant, Pyrrhus est l'un des plus redoutables adversaires des premiers temps de la Rome antique. AprĂšs avoir considĂ©rablement accru le territoire de l’Épire, il devient roi de MacĂ©doine et de Thessalie. Il remporte sur les lĂ©gions romaines les batailles d'HĂ©raclĂ©e (280) et d'Ausculum (279). Il marche sur Rome, s'avançant jusqu'Ă  30 km de la citĂ©, et manque de peu de l'acculer Ă  une capitulation. En Sicile, oĂč les citĂ©s grecques l'adjurent Ă  leur tour de les protĂ©ger, il accumule les succĂšs et, par son rayonnement, obtient la rĂ©conciliation des chefs de Syracuse, minĂ©e par de vieilles rivalitĂ©s, et rĂ©alise l'union des citĂ©s grecques. Les dĂ©faites qui ont conclu ses campagnes en Grande-GrĂšce (bataille de Beneventum) tiennent d'abord Ă  la puissance matĂ©rielle et Ă  la force morale de Rome. Mais ni les revers qui achĂšvent sa carriĂšre, ni la dĂ©mesure de son ambition n'ont rĂ©ussi Ă  ternir cette figure d'Ă©popĂ©e que rehausse sa stature hĂ©roĂŻque oĂč dominent la fougue, la vaillance personnelle et la science stratĂ©gique.

Son rÚgne est bien connu grùce à Plutarque qui a rédigé une Vie de Pyrrhus, avec notamment pour source les propres Mémoires de Pyrrhus ; il y est mis en parallÚle avec le général romain Marius. Les victoires qu'il a remportées à l'issue des batailles qu'il a livrées contre les Romains sont à l'origine de l'expression « victoire à la Pyrrhus » qui désigne une victoire trÚs coûteuse.

Biographie

Jeunesse

Le Jeune Pyrrhus sauvé, Nicolas Poussin (1634), musée du Louvre.
Le Jeune Pyrrhus sauvé, Nicolas Poussin (1634), musée du Louvre.
Le jeune Pyrrhus à la cour du Roi Glaucias, musée Baron-Martin.
Le jeune Pyrrhus à la cour du Roi Glaucias, musée Baron-Martin.

Pyrrhus est nĂ© vers 319 av. J.-C. Son pĂšre, Éacide, prĂ©tend descendre d' Achille et s'en prĂ©vaut Ă  travers les noms qu'il a donnĂ© Ă  ses deux enfants, sa fille aĂźnĂ©e Deidamie appelĂ©e ainsi en hommage Ă  l'Ă©pouse d'Achille et son fils Pyrrhus appelĂ© ainsi car il s'agit du surnom de NĂ©optolĂšme (PĂșrrhos signifie « le Roux »), le fils d'Achille. La mĂšre de Pyrrhus, Phtia, est la fille du thessalien MĂ©non, hĂ©ros de la guerre lamiaque[1]. Il est un petit-neveu d'Olympias, la mĂšre d'Alexandre le Grand dont il est vu comme un cousin[2].

Lorsqu'Éacide est chassĂ© de son royaume en 317 par ses sujets rĂ©voltĂ©s[3], le jeune Pyrrhus est recueilli par Glaucias, prince des Taulantiens et roi des Illyriens, dont l'Ă©pouse, BĂ©roĂ©, est une Éacide[4]. Glaucias accepte de protĂ©ger Pyrrhus malgrĂ© les 200 talents offerts par Cassandre, protecteur du nouveau roi d'Épire NĂ©optolĂšme II[3]. Glaucias Ă©lĂšve Pyrrhus au milieu de ses propres enfants. Ainsi, de 317 Ă  307, Pyrrhus connaĂźt la vie des Illyriens et l'exil, au cours duquel il nourrit probablement un Ăąpre dĂ©sir de revanche[5]. Vers 307-306, profitant de l'affaiblissement de Cassandre menacĂ© par Antigone le Borgne et son fils DĂ©mĂ©trios, Glaucias rĂ©tablit Pyrrhus, alors ĂągĂ© de douze ans, au titre d'hĂ©gĂ©mon d’Épire. Sa sƓur DĂ©idamie Ă©pouse DĂ©mĂ©trios[3].

ConquĂȘte du pouvoir

En 302 av. J.-C., Pyrrhus est de nouveau contraint Ă  l'exil. Alors qu'il assiste en Illyrie aux noces d'une fille de Glaucias, les Épirotes se soulĂšvent en effet contre lui, chassent ses partisans et pillent son trĂ©sor. Son cousin NĂ©optolĂšme II, qui a dĂ©jĂ  dĂ©pouillĂ© son pĂšre, s'empare du pouvoir. Pyrrhus se rĂ©fugie alors en Asie et s'attache Ă  la fortune d'Antigone et de DĂ©mĂ©trios ; c'est l'occasion pour lui de parfaire son Ă©ducation politique et militaire, et de s'initier Ă  la tactique savante des unitĂ©s macĂ©doniennes. Il combat auprĂšs d'eux Ă  la bataille d'Ipsos en 301[3], oĂč il dĂ©montre son courage et sa valeur, s'annonçant dĂ©jĂ  comme un grand capitaine. DĂ©mĂ©trios le charge alors de gouverner en son nom l’Argolide et les rĂ©gions d’Arcadie et d’AchaĂŻe.

Selon les termes du traitĂ© de paix conclu entre DĂ©mĂ©trios et PtolĂ©mĂ©e, Pyrrhus est emmenĂ© en 299 comme otage dans le royaume lagide[3]. À la cour d’Alexandrie, Pyrrhus s'adapte avec aisance Ă  un nouveau genre de vie et brille par son intelligence, ses performances athlĂ©tiques au gymnase et son comportement moral. Il s'insinue dans les bonnes grĂąces de la reine BĂ©rĂ©nice qui lui accorde la main d’Antigone, la fille qu'elle a eue d'un premier mariage. Antigone lui donne un fils, prĂ©nommĂ© PtolĂ©mĂ©e, mais elle meurt probablement en couches. Sur le plan politique, cette alliance lui permet d’obtenir de PtolĂ©mĂ©e une aide financiĂšre et des troupes afin de reconquĂ©rir son royaume, mais Ă  la condition qu'il s'oppose Ă  l'avenir aux menĂ©es de DĂ©mĂ©trios[3]. Il rentre donc en Épire en 297. NĂ©optolĂšme II, intimidĂ© par les renforts et les subsides du roi d’Égypte, doit partager le pouvoir avec lui. Peu aprĂšs, en 296, pour prĂ©venir une Ă©ventuelle tentative d'empoisonnement, Pyrrhus le fait assassiner au cours d'une cĂ©rĂ©monie solennelle[6]. Selon lui, Pyrrhus le tue de ses propres mains. Nul ne songe Ă  condamner ce meurtre ni Ă  le venger. Pyrrhus devient seul roi d’Épire et le reste de 296 Ă  272. En 295, il Ă©pouse Lanassa, la fille du tyran de Syracuse, Agathocle, mariage qui lui apporte en dot les Ăźles de Leucade et de Corcyre[3]. Elle lui donne un fils, Alexandre II.

PremiÚres années du rÚgne

Monnaie Ă  l'effigie de Pyrrhus portant l'inscription BAÎŁIΛEΩΣ ΠYÎĄÎĄOY (« du roi Pyrrhus »).

Pyrrhus se rĂ©vĂšle un administrateur attentif de l'Épire. Le systĂšme judiciaire qu'il adopte est celui des AthĂ©niens. Il impose aux bergers des montagnes la sĂ©lection de leurs espĂšces et l'interdiction d'accoupler leurs bĂȘtes avant l'Ăąge de quatre ans, tout en crĂ©ant parmi les officiers de sa cour un intendant gĂ©nĂ©ral des troupeaux et du bĂ©tail, mais aussi un prĂ©posĂ© Ă  la cave royale et un Ă©chanson. Ces mesures produisent leur effet : l'Ă©conomie pastorale connaĂźt une prospĂ©ritĂ© certaine, et le bĂ©tail d'Épire atteint alors une taille Ă©voquĂ©e bien plus tard par Pline l'Ancien[7]. Il est probable que Pyrrhus s'attache Ă©galement Ă  transformer en vĂ©ritable armĂ©e les bandes montagnardes d’Épire. Ses soldats sont formĂ©s en une phalange nouvelle dans laquelle s’insĂšrent des troupes lĂ©gĂšres armĂ©es seulement de javelots. Il acquiert des Ă©lĂ©phants de guerre, les fameuses « vaches lucaniennes »[8] que les Romains rencontrent pour la premiĂšre fois avec stupeur. Enfin, il apprend Ă  ses soldats Ă  creuser des retranchements, qui auraient peut-ĂȘtre servi de modĂšle Ă  la castramĂ©tation des lĂ©gions romaines[9].

En 295 av. J.-C., les deux fils du roi de MacĂ©doine Cassandre, Antipater et Alexandre V se disputent le pouvoir[3]. Ce dernier implore l'assistance de Pyrrhus qui, pour prix de sa mĂ©diation, se fait octroyer des terres tout le long de la frontiĂšre entre les deux royaumes. L’Épire s'agrandit en intĂ©grant dĂ©sormais la Parauia, l'Atintanie, la TymphĂ©e, la frange cĂŽtiĂšre comprise entre Apollonie d'Illyrie et Épidamne, au sud l'Athamanie, l'Amphilochie, l'Acarnanie et l'enclave d'Ambracie, citĂ© florissante que Pyrrhus adopte pour capitale de son royaume[10]. L’Épire voit ainsi sa superficie passer de 8 000 Ă  30 000 km2, d'aprĂšs les calculs de Pierre LĂ©vĂȘque[11]. Disposant dĂ©sormais de ports sur la bande littorale, avec les vaisseaux que la marine de Corcyre met Ă  la disposition de Pyrrhus, le royaume d’Épire est prĂ©disposĂ© aux relations maritimes avec les Grecs de la Grande-GrĂšce et les Syracusains de Sicile ; ces facilitĂ©s de navigation reprĂ©sentent un atout considĂ©rable pour rĂ©duire la dĂ©pendance Ă©conomique du pays par rapport Ă  la MacĂ©doine et pour enrichir les Épirotes grĂące au commerce[12].

Polygame comme le sont la plupart des souverains de son temps, Pyrrhus épouse, en 292, Bircenna, la fille du potentat d'Illyrie, Bardylis II, puis une fille d'Audoléon, le roi des Péoniens, renforçant ainsi ses liens avec les contrées voisines. Bircenna donne naissance au troisiÚme fils de Pyrrhus, appelé Hélénos. La présence de ces femmes barbares lui étant insupportable, Lanassa se sépare de son époux, et en 290 elle épouse Démétrios, veuf de Déidamie, qui vient de s'emparer de Corcyre[3].

Lutte contre Démétrios et Lysimaque

Pyrrhus, Ă  qui ses États peuvent fournir Ă  peine 10 000 soldats, se lance dans une politique d'expansion. GrĂące au dĂ©sordre qui continue de rĂ©gner dans le contexte des guerres des Diadoques, il part en guerre contre son ancien alliĂ© DĂ©mĂ©trios qui vient de faire assassiner Alexandre V et a envahi la MacĂ©doine. AidĂ© par la rĂ©volte des ThĂ©bains et des Étoliens, Pyrrhus est vainqueur de Pantauchos, un gĂ©nĂ©ral de DĂ©mĂ©trios en 290, au cours d’une bataille en Étolie oĂč il montre sa bravoure[13]. Il franchit ensuite la passe de Metsovo, atteint le lac de Castoria, s’empare d’Édessa et conquiert ainsi la moitiĂ© du royaume de MacĂ©doine. Au printemps 288, Pyrrhus rompt la convention de paix qu'il a conclue quelques mois plus tĂŽt avec DĂ©mĂ©trios. Aux abords de BĂ©roia, il est acclamĂ© par les troupes du PoliorcĂšte qui fraternisent avec les siennes. Quelques mois plus tard, il entre en libĂ©rateur dans AthĂšnes assiĂ©gĂ©e par DĂ©mĂ©trios ; les AthĂ©niens lui dĂ©cernent l'honneur d'une statue. Au printemps 287, Pyrrhus envahit la Thessalie, d’oĂč il dĂ©loge les troupes d’Antigone II Gonatas, le fils de DĂ©mĂ©trios. C’est ainsi qu'en 286, Pyrrhus, roi d’Épire, devient aussi roi de MacĂ©doine et de Thessalie[14].

Mais ces annexions rapides de pays non unifiĂ©s fragilisent le pouvoir de Pyrrhus. DĂšs 285, le roi de Thrace, Lysimaque, rĂ©ussit Ă  reprendre Ă  Pyrrhus la MacĂ©doine mĂ©ridionale et la Thessalie[15]. Pyrrhus se consacre alors Ă  l'administration de son royaume. Il perfectionne son armĂ©e en dispensant Ă  ses officiers une formation thĂ©orique : il utilise un damier et des pions, ce qui plus tard inspire le latroncules romain. AprĂšs la dĂ©faite de Lysimaque, vaincu par SĂ©leucos Ă  la bataille de CouroupĂ©dion (281), PtolĂ©mĂ©e KĂ©raunos devient roi de MacĂ©doine en septembre 281. Pyrrhus obtient de lui le prĂȘt pour deux ans de 5 000 fantassins, 400 cavaliers, et vingt Ă©lĂ©phants. En effet Pyrrhus s'emploie, durant l'hiver 281-280, Ă  mettre sur pied une grande force d'invasion : les Tarentins, face Ă  la puissance militaire romaine, envoient une dĂ©lĂ©gation en Épire et le pousse Ă  entrer en guerre contre Rome voyant en lui un grand gĂ©nĂ©ral[15].

Causes et débuts de la guerre contre Rome

La Grande-GrĂšce vers

En , la citĂ© de Tarente, menacĂ©e par Rome, demande l'aide de Pyrrhus[16]. Entrevoyant la possibilitĂ© de se poser en champion incontestĂ© de l’hellĂ©nisme et de se tailler un empire en Italie, Pyrrhus dĂ©cide d'intervenir en Grande-GrĂšce[17]. C'est ce rĂȘve d'ambition que conteste CinĂ©as dans un dialogue rapportĂ© par Plutarque dans la Vie de Pyrrhus, mĂȘme si la rĂ©alitĂ© de ce dialogue est parfois contestĂ©e[18]. L'appel des Tarentins fournit Ă  Pyrrhus un prĂ©texte pour intervenir en Grande-GrĂšce, sachant qu'il aurait manifestĂ© l'ambition de s'implanter durablement en Sicile, le fils qu'il a eu de Lanassa, Alexandre II, Ă©tant le descendant d'Agathocle de Syracuse[18].

Pyrrhus procĂšde alors aux prĂ©paratifs militaires. AprĂšs avoir entraĂźnĂ© les contingents Ă©pirotes et les effectifs macĂ©doniens prĂȘtĂ©s par PtolĂ©mĂ©e KĂ©raunos, il rĂ©quisitionne auprĂšs de Corcyre les navires de guerre et de transport pour la traversĂ©e vers Brindes par le canal d'Otrante. Il peut alors compter sur une armĂ©e considĂ©rable : 3 000 cavaliers, 20 000 fantassins, 2 000 archers, 500 frondeurs et 50 Ă©lĂ©phants en plus des 3 000 hommes dĂ©jĂ  envoyĂ©s en Italie[19]. Il dĂ©finit les conditions diplomatiques de son alliance avec une dĂ©putation de Tarentins, exigeant d'eux l'occupation de leur citadelle ; et il dĂ©pĂȘche CinĂ©as, son ambassadeur, Ă  Tarente, pour que son Ă©loquence leur fasse accepter cette occupation. Il obtient des vaisseaux d’Antigone II Gonatas et de l'argent d’Antiochos Ier[16]. Il consulte l’oracle de Delphes qui lui donne une rĂ©ponse apparemment encourageante, mais en rĂ©alitĂ© ambiguĂ« : « Je dis, Éacide, que tu peux vaincre les Romains. » ou l'inverse : « Je dis, Éacide, que les Romains peuvent te vaincre »[20]. Il dĂ©barque en Italie en mai 280, et aussitĂŽt, enrĂŽle de jeunes Tarentins, ferme le gymnase et le thĂ©Ăątre de la citĂ©, interdit les banquets et lĂšve des taxes trĂšs impopulaires aprĂšs avoir fait dĂ©valuer le statĂšre.

Victoires contre les Romains

Aux abords du golfe de Tarente, sur la plaine cĂŽtiĂšre, Pyrrhus engage la bataille contre les quatre lĂ©gions romaines conduites par le consul Publius Valerius Laevinus, ce dernier ayant refusĂ© le traitĂ© de paix proposĂ© par Pyrrhus[21]. La bataille d'HĂ©raclĂ©e Ă  la fin de l'Ă©tĂ© 280 donne lieu Ă  des corps Ă  corps acharnĂ©s avec, de part et d’autre, de nombreux reculs et des reprises ; sous la charge des Ă©lĂ©phants qui terrorisent les Romains et de la cavalerie thessalienne de Pyrrhus, le front romain est finalement enfoncĂ© et entraĂźne une dĂ©bĂącle dans la panique. Les Romains ont Ă  dĂ©plorer 7 000 morts et une foule de prisonniers ; Pyrrhus a lui perdu environ 4 000 soldats[22]. La victoire qu'il remporte sur les Romains paraĂźt un instant lui donner raison ; deux citĂ©s grecques se rangent Ă  ses cĂŽtĂ©s : Crotone fait dĂ©fection et Locres (en Calabre) chasse une garnison romaine. Enfin, une ambassade du SĂ©nat conduite par le lĂ©gat Gaius Fabricius Luscinus vient tenter de rĂ©gler le rachat des lĂ©gionnaires prisonniers ; comme elle Ă©choue, c'est le conseiller de Pyrrhus, CinĂ©as, qui est chargĂ© de poursuivre les nĂ©gociations Ă  Rome, afin d’offrir un traitĂ© de paix aux Romains qui se voient demander d'abandonner leurs ambitions en Italie mĂ©ridionale[21]. L'offre est rejetĂ©e par la seule intransigeance du premier des sĂ©nateurs, le vieil Appius Claudius Caecus qui, bien qu’aveugle et Ă  demi paralysĂ©, rĂ©ussit Ă  retourner l’opinion de la majoritĂ© en rĂ©clamant avec passion une lutte Ă  outrance[23]. PressĂ© d'en finir avec les Romains, Pyrrhus passe l'hiver en Campanie et prĂ©pare une deuxiĂšme campagne avec des levĂ©es de troupes chez les alliĂ©s des Tarentins. Les tribus italiotes, dont les Lucaniens, les Bruttiens et les Messapes, ne paraissent en effet s'ĂȘtre joints Ă  lui qu'aprĂšs ses premiers succĂšs contre les Romains[21].

Au printemps 279, Pyrrhus se met en marche. Il occupe Canusium, Arpi et Venouse. Les deux consuls romains, Publius Sulpicius Saverrio et Publius Decius Mus, descendent aussitĂŽt vers le sud. La bataille d'Ausculum (septembre 279) fait rage pendant toute une journĂ©e. Cette deuxiĂšme victoire remportĂ©e sur les Romains lui coĂ»te cependant trĂšs cher en hommes : selon les estimations, ses pertes s'Ă©lĂšveraient entre 3 500 et 15 000 hommes[24], ce qui le dissuade de poursuivre son ennemi et de continuer Ă  marcher sur Rome. Il aurait d'ailleurs dĂ©clarĂ©, Ă  l'issue de cette bataille : « Si nous devons remporter une autre victoire sur les Romains, je rentrerai seul en Épire[25]. » Cette victoire de Pyrrhus, si chĂšrement acquise est Ă  l'origine de l'expression « victoire Ă  la Pyrrhus » qui dĂ©signe une bataille gagnĂ©e au prix de lourdes pertes. CinĂ©as est de nouveau envoyĂ© en ambassade Ă  Rome avec des propositions de paix. Plutarque raconte comment le sĂ©nateur Appius Claudius Caecus, malgrĂ© son Ăąge vĂ©nĂ©rable et sa cĂ©citĂ©, se fait transporter au SĂ©nat pour convaincre ses collĂšgues de rejeter les propositions de paix de l’envahisseur Pyrrhus sans commettre l’indignitĂ© qu’il y aurait ne serait-ce qu’à les Ă©tudier[26].

Campagne de Sicile

Cités grecques (points rouges) et établissements carthaginois (points violets) en Sicile.

À la fin de l’automne , Pyrrhus reçoit deux offres simultanĂ©ment : les citĂ©s grecques de Syracuse, Agrigente et Leontinoi en Sicile lui demandent de venir chasser les Carthaginois de l'Ăźle, alors que dans le mĂȘme temps les MacĂ©doniens, dont le roi PtolĂ©mĂ©e KĂ©raunos a Ă©tĂ© tuĂ© lors d'une invasion des Galates, lui proposent de monter sur le trĂŽne de leur pays[21]. Pyrrhus apparaĂźt comme celui qui pourrait empĂȘcher la Sicile grecque de devenir « une province des PhĂ©niciens ou des Osques » comme Platon en a dĂ©jĂ  exprimĂ© la crainte[27]. Pyrrhus dĂ©cide de ne point abandonner ses positions en Italie mĂ©ridionale, assurĂ© par ailleurs que les Gaulois ne tarderaient pas Ă  ĂȘtre refoulĂ©s de GrĂšce. CinĂ©as, envoyĂ© sur l’üle pour s’informer de la situation des citĂ©s grecques, lui fait un rapport optimiste. Il choisit donc de passer en Sicile, en donnant l’assurance aux Tarentins d’un retour triomphal. Il laisse Ă  Tarente le meilleur de ses lieutenants, Milon, et confie son fils Alexandre II aux Grecs de Locres. À la fin de l’étĂ© 278, il fait voile de Tarente vers Locres et dĂ©barque sans encombre Ă  Tauromenion[28]. Son armĂ©e ne comprend alors, outre les Ă©lĂ©phants, que 8 000 fantassins et environ 1 000 cavaliers, Pyrrhus n’ayant pas voulu dĂ©garnir les places d’Italie mĂ©ridionale, et comptant sur les Siciliens pour renforcer ses propres troupes[29].

Depuis le printemps 278, les Carthaginois ont commencĂ© Ă  encercler Syracuse, bloquĂ©e par mer et par terre, tandis que leurs alliĂ©s, les Mamertins, tiennent Messine, et que les Campaniens occupent Rhegium. Pyrrhus est accueilli chaleureusement par le tyran de Tauromenion, Tyndarion, qui lui accorde un premier contingent de soldats. À l’annonce de son approche, les Carthaginois et leurs mercenaires abandonnent Syracuse qui se trouve libĂ©rĂ©e sans coup fĂ©rir[30]. Les chefs de la ville, Thoinon et Sostratos remettent Ă  Pyrrhus l’üle d'Ortygie et le reste de Syracuse. AussitĂŽt, Catane, Leontinoi et Agrigente qui attendent leur dĂ©livrance, se soumettent, apportant Ă  Pyrrhus un renfort de soldats, de marins et de vaisseaux. Le fait que Pyrrhus a Ă©tĂ© proclamĂ© « roi de Sicile », semble douteux, les citĂ©s grecques le considĂ©rant plutĂŽt comme un hĂ©gĂ©mon[30].

Lutte contre Carthage

Durant l’hiver 278-277, Ă  Syracuse, Pyrrhus prend de sages dispositions Ă©conomiques et militaires ; il opĂšre une rĂ©forme monĂ©taire qui aligne la monnaie locale Ă  la fois sur celles d’Attique et celles des rĂ©gions romano-campaniennes afin de favoriser les Ă©changes commerciaux de la Sicile avec ses voisins ; il place les nouvelles recrues siciliennes sous son propre commandement en leur imposant sa discipline. Au printemps 277, aprĂšs avoir reçu la soumission d’Henna, il entre dans Agrigente, qui a chassĂ© la garnison carthaginoise et se rallie Ă  lui. Concentrant alors toutes ses troupes, il peut dĂšs lors commander Ă  30 000 fantassins et 2 500 cavaliers, auxquels s’ajoutent les Ă©lĂ©phants et les machines de guerre[31]. Une Ă  une, les citĂ©s grecques soumises jusqu’alors Ă  Carthage se rallient Ă  Pyrrhus : d'abord Heracleia Minoa puis Agonai, SĂ©linonte, Halicyae, et SĂ©geste. Il s'empare de la plus puissante forteresse punique, Ă  750 m d’altitude, sur le Mont Éryx. Peu aprĂšs, il remporte deux autres succĂšs en s’emparant d’Aitia, au sud-ouest de Palerme, et de la citadelle d’HeirktĂ©, sur le mont San Pellegrino prĂšs de Palerme. Ces victoires dĂ©cisives poussent les Carthaginois, Ă  qui il ne reste plus que LilybĂ©e, Ă  demander des pourparlers de paix[32]. Pyrrhus commet l’erreur, cependant, de disperser ses efforts en allant combattre les Mamertins du dĂ©troit de Messine, ce qui laisse le temps aux Carthaginois de renforcer leurs fortifications devant LilybĂ©e pour la rendre inexpugnable, et d’y entasser approvisionnements, munitions et catapultes.

L'assaut de Pyrrhus sur Lilybée, Jacob Abbott, illustration de 1901.

À l’étĂ© 277, Pyrrhus entame des nĂ©gociations avec Carthage ; mais, bien que les Carthaginois soient prĂȘts Ă  traiter avec lui, Ă  lui payer des indemnitĂ©s et Ă  lui envoyer des navires une fois que des relations cordiales seront Ă©tablies, Pyrrhus, aprĂšs avoir quelque temps hĂ©sitĂ© au tĂ©moignage de Diodore de Sicile, rompt ces nĂ©gociations. Ce sont les citĂ©s grecques de Sicile, opposĂ©es Ă  la paix, qui obligent Pyrrhus Ă  refuser parce que Carthage contrĂŽle encore la citĂ© fortifiĂ©e de LilybĂ©e, sur la cĂŽte ouest de l'Ăźle[33]. Pyrrhus commence donc Ă  assiĂ©ger LilybĂ©e et lance des assauts infructueux pendant deux mois avant de rĂ©aliser qu'il ne peut espĂ©rer s'emparer de la citĂ© sans un blocus maritime.

Pyrrhus demande alors des hommes et de l'argent aux citĂ©s grecques de Sicile dans le but de construire une flotte et, comme celles-ci rechignent Ă  accĂ©der Ă  ses demandes, il procĂšde Ă  des confiscations de biens, recourt Ă  des contributions forcĂ©es, se proclame dictateur militaire de Sicile et installe des garnisons militaires dans les citĂ©s pour les forcer Ă  l’obĂ©issance[34]. Il fait mĂȘme exĂ©cuter son ancien alliĂ© de Syracuse, Thoinon, soupçonnĂ© d’ĂȘtre devenu un opposant, tandis que Sostratos ne doit son salut qu’à sa fuite. Ces actions le rendent impopulaire et lui aliĂšnent les citĂ©s grecques qui proposent aux Carthaginois de faire cause commune avec elles. Carthage envoie alors une nouvelle armĂ©e contre Pyrrhus mais celui-ci la vainc. En dĂ©pit de cette victoire, la Sicile continue Ă  lui ĂȘtre de plus en plus hostile, Ă  tel point qu'il commence Ă  envisager d'abandonner l'Ăźle. À l’automne 276, des envoyĂ©s de Grande-GrĂšce viennent l'informer que toutes les citĂ©s grecques d'Italie, exceptĂ© Tarente, ont Ă©tĂ© conquises par les Romains[35]. Pyrrhus prend alors la dĂ©cision de quitter la Sicile et, comme son navire s'Ă©loigne, il aurait dĂ©clarĂ© Ă  ses compagnons : « Quel terrain de lutte nous laissons lĂ  aux Carthaginois et aux Romains »[36].

DĂ©faite en Italie

À l'automne , pour revenir en Italie, Pyrrhus emprunte imprudemment le dĂ©troit de Messine, trĂšs surveillĂ©, oĂč une puissante escadre carthaginoise l’attaque brusquement ; sur ses 110 bĂątiments de guerre, 98 sont coulĂ©s ou endommagĂ©s, et le navire Ă  neuf rangs de rames qui a amenĂ© le roi en Italie tombe aux mains des Carthaginois[37]. Cette dĂ©bĂącle navale, qui ne tempĂšre pas son ardeur belliqueuse, est suivie d’autres mĂ©comptes ; il tente en vain une attaque improvisĂ©e contre Rhegium occupĂ©e par une garnison campanienne ; Ă  travers le massif de la Sila, il tombe dans une embuscade, tendue par 10 000 Mamertins, oĂč il perd un grand nombre d’hommes ; puis, incapable de payer ses nouvelles recrues du Bruttium, il pille le trĂ©sor de PersĂ©phone dans le sanctuaire de Locres, sacrilĂšge qui le discrĂ©dite irrĂ©mĂ©diablement aux yeux des Grecs. Il entre enfin dans Tarente pour hiverner[38].

Pendant que Pyrrhus a combattu en Sicile contre les Carthaginois, les Romains ont eu le temps de se constituer une nouvelle armĂ©e et de gagner toujours des territoires au dĂ©triment des Bruttiens, des Lucaniens et des Tarentins. Les Romains ont mĂȘme pĂ©nĂ©trĂ© en Lucanie sous les ordres du consul Cornelius Lentulus Caudinus, tandis que le second consul, Curius Dentatus, s’avance Ă  travers le Samnium pour barrer la route Ă  Pyrrhus. Celui-ci lance un appel Ă  l’aide militaire et financiĂšre auprĂšs d'Antigone II Gonatas qui n'y rĂ©pond pas. Il sollicite aussi en vain l'aide de PtolĂ©mĂ©e II et d'Antiochos[39]. MalgrĂ© son infĂ©rioritĂ© numĂ©rique, Pyrrhus attaque l'armĂ©e romaine retranchĂ©e sur une Ă©minence[40]. Pyrrhus est finalement vaincu Ă  la bataille de Beneventum (Ă©tĂ© 275). RepoussĂ© par les Carthaginois, dĂ©savouĂ© par les Grecs de Sicile et battu par les Romains, il dĂ©cide alors, Ă  l’automne 275, de mettre fin Ă  sa campagne en Italie et retourne en Épire en abandonnant toutes ses conquĂȘtes. Il ne ramĂšne avec lui que 8 000 fantassins, 500 cavaliers et ce qui lui reste de ses Ă©lĂ©phants de guerre. Il laisse cependant en Italie son fils HĂ©lĂ©nos et Ă  Tarente, son lieutenant Milon.

De la Macédoine au PéloponnÚse

La Mort de Pyrrhus, Jacob Abbott, 1901.

Pyrrhus est de retour en Épire Ă  l'automne Selon le mot cĂ©lĂšbre de Bossuet, « Pyrrhus n’y demeura pas longtemps en repos, et voulut se rĂ©compenser sur la MacĂ©doine des mauvais succĂšs d’Italie »[41]. Il se lance aussitĂŽt Ă  l'assaut de la MacĂ©doine avec pour projet immĂ©diat de la piller afin de payer son armĂ©e[42]. Devant cette irrĂ©sistible avancĂ©e, la puissance d'Antigone II Gonatas s’effondre, offrant Ă  Pyrrhus la MacĂ©doine et la Thessalie[42]. Il fait aussitĂŽt frapper Ă  son nom les monnaies du monarque dĂ©chu. Dans le sanctuaire fĂ©dĂ©ral d’Iton, en Thessalie, il consacre Ă  AthĂ©na les boucliers pris aux mercenaires galates vaincus[43]. Mais, ambitionnant dĂ©jĂ  d’autres projets, il laisse l’exercice du pouvoir en MacĂ©doine Ă  son fils PtolĂ©mĂ©e, et laisse ses mercenaires galates piller les tombes des ArgĂ©ades Ă  Aigai[42]. En 273, Antigone Gonatas, qui a recrutĂ© des mercenaires, est de nouveau battu par PtolĂ©mĂ©e, le fils de Pyrrhus[42].

En 272, ClĂ©onyme, fils du roi agiade de Sparte ClĂ©omĂšne II, demande Ă  Pyrrhus d'attaquer Sparte afin que son honneur soit restaurĂ© et qu'il puisse accĂ©der au pouvoir[42]. ClĂ©onyme nourrit un antagonisme pour sa citĂ© d’origine qui le pousse Ă  solliciter l’aide de Pyrrhus. Il veut se venger de la gĂ©rousie qui l’a Ă©cartĂ© de la succession spartiate au profit de son neveu Areus Ier, fils d'Acrotate. Les gĂ©rontes craignent que le caractĂšre violent et despotique de ClĂ©onyme ne reprĂ©sente une menace pour l’oligarchie spartiate. Mais lĂ  n’est pas la seule raison qui incite ClĂ©onyme Ă  vouloir se venger de Sparte. Il se sent aussi humiliĂ© par la liaison que son Ă©pouse Chilonis, princesse Eurypontide, entretient publiquement avec Acrotatos, fils d’Areus Ier. Ainsi, il souhaite que Pyrrhus s’empare de Sparte et l'amĂšne au pouvoir.

Pyrrhus accepte avec l'espoir de conserver le contrĂŽle du PĂ©loponnĂšse pour lui-mĂȘme, tout en prenant Ă  revers Corinthe contrĂŽlĂ©e par les Antigonides. Il y voit aussi l’occasion d’affaiblir Antigone Gonatas, avec lequel il est en guerre depuis 275 au sujet du contrĂŽle de la MacĂ©doine, en s’en prenant directement Ă  l’un de ses alliĂ©s. Il se concilie alors la neutralitĂ© des Étoliens, qui lui accordent le passage, et rallie Ă  sa cause la Ligue achĂ©enne ainsi que l’Élide. Il fait revenir ses fils Alexandre II, de Sicile, et HĂ©lĂ©nos, de Tarente, avec toutes les troupes qui y sont stationnĂ©es, et rappelle PtolĂ©mĂ©e de MacĂ©doine. Au printemps 272, il arrive Ă  MĂ©galopolis Ă  la tĂȘte de 25 000 hommes d’infanterie, de 24 Ă©lĂ©phants de guerre et de 2 000 chevaux. Il se prĂ©sente devant une Sparte affaiblie, privĂ©e de son roi Areus Ier. Celui-ci est parti en CrĂšte, Ă  la tĂȘte d'une grande partie de l’armĂ©e spartiate, afin de soutenir ses alliĂ©s gortyniens dans leur lutte contre la citĂ© de Cnossos[44]. Craignant le comportement de ses soldats, susceptibles, Ă  ses yeux, de piller la citĂ© et sous-estimant ses adversaires affaiblis, Pyhrrus dĂ©cide de diffĂ©rer l’assaut et de patienter jusqu'au matin pour lancer les hostilitĂ©s. Ce laps de temps profite aux Spartiates qui s’organisent. Dans ce contexte, la maniĂšre dont les femmes spartiates dĂ©fendent leur honneur est particuliĂšrement remarquable. La gĂ©rousie dĂ©cide d’abord, sans les consulter, de les envoyer en CrĂšte afin de les Ă©loigner du conflit. Les femmes, menĂ©es par Archidamia, s’y opposent. Elles obtiennent finalement le droit de prendre part Ă  la dĂ©fense de la citĂ©, aux cĂŽtĂ©s des hommes. Dans l’urgence, on dĂ©cide alors de creuser une tranchĂ©e obstacle[45] afin de contrarier la progression des Ă©lĂ©phants de guerre de Pyhrrus. Les femmes prennent une part active dans cette entreprise. Ainsi, Pyrrhus fait face Ă  une citĂ© bien dĂ©fendue par un fossĂ© et il se heurte Ă  une rĂ©sistance inattendue de la part des Spartiates qui, selon Plutarque, « rĂ©sistĂšrent avec une ardeur et un courage bien supĂ©rieurs Ă  leurs forces. »[46] Son assaut contre Sparte, qui reçoit le renfort de MessĂšne et d’Argos[47] se conclut par un Ă©chec. Pyrrhus, blessĂ© au cours du combat, se rĂ©sout Ă  lever le siĂšge. Au mĂȘme moment, la MacĂ©doine fait dĂ©fection dans des conditions qui restent non Ă©lucidĂ©es[42]. Antigone Gonatas dĂ©barque Ă  Corinthe, Ă  la tĂȘte de ses troupes, afin d'affronter le roi d’Épire et de porter secours Ă  Sparte, malgrĂ© l'ancienne rivalitĂ© entre MacĂ©doniens et Spartiates.

Abandonnant prudemment son plan prĂ©alable, Pyrrhus a alors l'occasion d'intervenir dans un conflit interne Ă  Argos dont la faction anti-macĂ©donienne se rallie Ă  lui. Par la route de TĂ©gĂ©e, il s’avance vers la citĂ©, harcelĂ© par les troupes d'Areus Ier de Sparte ; au cours de ces combats, son fils aĂźnĂ© PtolĂ©mĂ©e est tuĂ©. Antigone Gonatas, craignant d'affronter Pyrrhus en rase campagne, s'est retirĂ© sur les hauteurs devant Argos, laissant Pyrrhus pĂ©nĂ©trer, de nuit, dans la citĂ©. L'obscuritĂ© et l'Ă©troitesse des ruelles ajoutent Ă  une incroyable confusion. Il ordonne la sortie, mais son ordre, interprĂ©tĂ© Ă  contresens par HĂ©lĂ©nos, Ă  la tĂȘte des Ă©lĂ©phants, entraĂźne une indescriptible confusion[48]. Pyrrhus est blessĂ© par un Argien dont la vieille mĂšre observe le combat depuis son toit : elle lance alors une tuile qui assomme le roi en le touchant Ă  la tĂȘte et le fait chuter de cheval. Un soldat d'Antigone Gonatas, qui s'est dĂ©cidĂ© Ă  intervenir en voyant arriver les renforts spartiates, l’achĂšve. Ce dernier fait incinĂ©rer le corps de Pyrrhus dont les cendres sont placĂ©es dans un tombeau Ă  Ambracie.

Descendance

Pyrrhus a vraisemblablement eu de sa premiĂšre Ă©pouse une fille, Olympias II, sƓur-Ă©pouse de son demi-frĂšre Alexandre II. Il a eu trois fils avec ses diffĂ©rentes Ă©pouses :

Selon Plutarque[49], interrogé sur sa succession, il aurait répondu qu'il laisserait son royaume « à celui d'entre [ses enfants] dont l'épée sera la plus tranchante ».

Postérité

Dans l'Antiquité

Personnage d'exception, Pyrrhus a souvent Ă©tĂ© qualifiĂ© d’aventurier par les auteurs antiques ; mais ils s'accordent en gĂ©nĂ©ral Ă  reconnaĂźtre en lui un des plus grands capitaines que la GrĂšce a comptĂ©s. Selon Plutarque[50] et Appien[51] , Hannibal, interrogĂ© sur les meilleurs commandants, place Pyrrhus en deuxiĂšme position derriĂšre Alexandre le Grand. Dans la Vie de Pyrrhus[52], Plutarque expose une autre version en affirmant qu'Hannibal le considĂ©rait comme le meilleur gĂ©nĂ©ral aprĂšs Scipion l'Africain et lui-mĂȘme. Selon Polyen[53], Pyrrhus recommande de ne pas poursuivre sans relĂąche un ennemi en fuite car, Ă  l'avenir, ce mĂȘme ennemi sera plus enclin Ă  fuir, sachant que son vainqueur n'essaiera pas de le dĂ©truire. Selon Plutarque, son ardeur guerriĂšre est sans cesse attisĂ©e dans son esprit en perpĂ©tuelle effervescence :

« Il roulait toujours d’espĂ©rances en espĂ©rances, ne voyait dans ses succĂšs qu’une Ă©tape vers d’autres succĂšs et il voulait rĂ©parer ses Ă©checs par d'autres entreprises : la dĂ©faite, pas plus que la victoire, ne mettait fin Ă  l’agitation qu'il crĂ©ait et subissait tour Ă  tour. »

Il est considĂ©rĂ© comme un hĂ©ros aux yeux de certains de ses contemporains. Les AthĂ©niens lui font Ă©lever une statue aprĂšs qu'il les a libĂ©rĂ©s de l'emprise des Antigonides, un citoyen d'Élide fait de mĂȘme dans l'espace sacrĂ© de l'Altis et une autre statue est Ă©rigĂ©e dans la citĂ© de Callipolis pour honorer « sa bravoure et ses bienfaits ». AdulĂ© par ses sujets et ses soldats, qui le surnommĂšrent « l'Aigle », il est de son vivant assimilĂ© Ă  un favori de Zeus pour le caractĂšre foudroyant de ses offensives.

Les auteurs latins témoignent une forme de malveillance à son égard, retenant les « victoires à la Pyrrhus » pour minimiser ses succÚs sur les Romains[54]. Justin a décelé chez Pyrrhus la tendance à chercher sa jouissance dans la guerre pour la guerre, plutÎt que dans les empires que la guerre édifie : « Neque illi maior ex imperio quam ex bello voluptas erat »[55].

Pyrrhus a écrit des Mémoires dans lesquels Plutarque et Denys d'Halicarnasse ont puisé des informations. Pour rédiger la Vie de Pyrrhus, Plutarque s'est aussi inspiré des historiens Hiéronymos de Cardia et Phylarque. Pyrrhus est également l'auteur d'un livre sur l'art de la guerre, aujourd'hui disparu, trÚs populaire du temps de Cicéron[56]. Plutarque affirme que ce livre a influencé Hannibal. Il a également développé un jeu de tactique militaire sur un damier, connu plus tard à Rome sous le nom de latroncules[57].

Jugement des modernes

Pyrrhus n'a su achever ses missions, en GrĂšce comme en Italie[58]. Ses actions peuvent paraĂźtre dĂ©sordonnĂ©es en comparaison avec Alexandre le Grand ou Ă  certains Diadoques. Il ne semble rĂ©agir qu'au « coup par coup », de maniĂšre audacieuse, sans planification. Il peut aussi manquer de sagesse ou de discernement, comme en tĂ©moignent les pillages des sanctuaires par ses troupes. Il est tout de mĂȘme un administrateur avisĂ© de son royaume comme le montrent les rĂ©formes judiciaires, agraires et militaires qu'il a entreprises. Ses sujets Ă©pirotes lui sont restĂ©s fidĂšles mĂȘme pendant sa longue absence en Italie et en Sicile. Ses guerres Ă  l'Ă©tranger ont Ă©tĂ© menĂ©es sans cruautĂ© ni oppression inutiles en comparaison de ses contemporains.

En tant que général, la plus grande faiblesse de Pyrrhus est qu'il disperse trop souvent ses efforts et ne sait pas ménager sa trésorerie, employant sans compter des mercenaires coûteux. La campagne en Italie a été la seule chance réelle offerte à la GrÚce de mettre en échec la domination romaine sur le monde méditerranéen. Mais, plutÎt que de s'allier, les différents royaumes hellénistiques continuent de se battre entre eux, sapant ainsi la force militaire et financiÚre de la GrÚce et de la Macédoine. Un siÚcle plus tard, la GrÚce et la Macédoine passent sous le contrÎle de Rome.

Montesquieu lui consacre un chapitre entier dans ConsidĂ©rations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur dĂ©cadence (1721). Il estime que sa grandeur n'est constituĂ©e que par ses qualitĂ©s personnelles et qu'il est un aventurier qui ne peut survivre que dans la guerre. Il affirme qu'il est le maĂźtre d'un petit État dont « on n'a plus entendu parler aprĂšs lui ».

Dialogue de Pyrrhus et de Cinéas

Plutarque rapporte le dialogue[59] dans lequel CinĂ©as, le sage Thessalien dont Pyrrhus a fait son conseiller de prĂ©dilection, essaie de dissuader le roi d’Épire de se lancer dans l'immense entreprise de la conquĂȘte de l'Occident, de l'Italie mĂ©ridionale jusqu'Ă  la Sicile et Ă  l'Afrique carthaginoise. Ce dialogue, cĂ©lĂšbre durant l'AntiquitĂ© mais dont la vĂ©racitĂ© est parfois remise en question[18], a trouvĂ© un Ă©cho chez Dion Cassius, ThĂ©mistius, et StobĂ©e. Chez les modernes, Blaise Pascal y fait aussi allusion :

« Lorsque CinĂ©as disait Ă  Pyrrhus, qui se proposait de jouir du repos avec ses amis aprĂšs avoir conquis une grande partie du monde, qu'il ferait mieux d'avancer lui-mĂȘme son bonheur en jouissant dĂšs lors de ce repos, sans l'aller chercher par tant de fatigues, il lui donnait un conseil qui recevait de grandes difficultĂ©s, et qui n'Ă©tait guĂšre plus raisonnable que le dessein de ce jeune ambitieux. L'un et l'autre supposaient que l'homme se pĂ»t contenter de soi-mĂȘme et de ses biens prĂ©sents, sans remplir le vide de son cƓur d'espĂ©rances imaginaires, ce qui est faux. Pyrrhus ne pouvait ĂȘtre heureux ni avant ni aprĂšs avoir conquis le monde ; et peut-ĂȘtre que la vie molle que lui conseillait son ministre Ă©tait encore moins capable de le satisfaire que l'agitation de tant de guerres et de tant de voyages qu'il mĂ©ditait. »

— Pascal, PensĂ©es, 139

Jeu vidéo

Le contenu téléchargeable Return of Rome d'Age of Empires II: DE propose d'incarner Pyrrhus dans sa campagne macédonienne.

Notes et références

  1. Carcopino 1961, p. 27.
  2. Will 2003, p. 125.
  3. Will 2003, p. 91.
  4. Pierre Cabanes, Les Illyriens de Bardylis Ă  Genthios IV - IIe siĂšcle av. J.-C., Sedes, , p. 138.
  5. Carcopino 1961, p. 21-22.
  6. Carcopino 1961, p. 25-26.
  7. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, VIII, 70.
  8. Pline l'Ancien, Histoire naturelle [détail des éditions] [lire en ligne], VIII, 6.
  9. Carcopino 1961, p. 28-29.
  10. Carcopino 1961, p. 29-33.
  11. LĂ©vĂȘque 1957.
  12. Carcopino 1961, p. 33.
  13. Carcopino 1961, p. 35-36.
  14. Carcopino 1961, p. 39-40.
  15. Will 2003, p. 99.
  16. Will 2003, p. 122.
  17. Will 2003, p. 121.
  18. Will 2003, p. 123.
  19. Carcopino 1961, p. 46-51.
  20. Le vers a Ă©tĂ© conservĂ© par Ennius : Aio te, Æacida, Romanos vincere posse. Mais il est complĂštement amphibologique, comme nombre des oracles delphiques : en latin comme en grec, l'emploi d'une infinitive et de deux accusatifs produit un Ă©noncĂ© Ă  double sens.
  21. Will 2003, p. 124.
  22. AndrĂ© Piganiol, La ConquĂȘte romaine, PUF, 1967, p. 208.
  23. Carcopino 1961, p. 63-66.
  24. Carcopino 1961, p. 68-69.
  25. Plutarque, Apophtegmes de rois et de généraux, « Pyrrhus », 3. Extrait de la traduction de F. Fuhrmann pour la Collection des Universités de France, 1988.
  26. « Plutarque, Vie des hommes illustres, Pyrrhus, p. 364 », sur Wikisource (consulté le ).
  27. Platon, lettre VIII (apocryphe) Aux parents et amis de Dion, 353e.
  28. Pyrrhus aurait pu dĂ©barquer Ă  Catane : AndrĂ© Piganiol La conquĂȘte romaine, PUF, 1967, p. 209.
  29. Carcopino 1961, p. 71-74..
  30. Will 2003, p. 127.
  31. Carcopino 1961, p. 77.
  32. Carcopino 1961, p. 76-77.
  33. AndrĂ© Piganiol, La ConquĂȘte romaine, PUF, 1967, p. 209.
  34. Garoufalias 1978, p. 97-108.
  35. Will 2003, p. 128.
  36. Garoufalias 1978, p. 109-102.
  37. Carcopino 1961, p. 83.
  38. Will 2003, p. 129.
  39. Garoufalias 1978, p. 121-122.
  40. Carcopino 1961, p. 86-89.
  41. Bossuet, Discours sur l'Histoire universelle, I, 8, p. 68.
  42. Will 2003, p. 213.
  43. Carcopino 1961, p. 92.
  44. Jacqueline Christien, « Areus et le concept de symmachie au IIIe siĂšcle. Les rĂ©alitĂ©s hellĂ©nistiques », Dialogues d'histoire ancienne, vol. S 16, no Supplement16,‎ , p. 161 (ISSN 0755-7256 et 1955-270X, DOI 10.3917/dha.hs16.0161, lire en ligne, consultĂ© le ).
  45. CHAPOT Victor, « FossĂ©s et tranchĂ©es dans les guerres de l'antiquitĂ© », Revue des Études Grecques,‎ , p. 103-128.
  46. Plutarque, Pyrrhos, 27-29.
  47. Carcopino 1961, p. 97-100.
  48. Carcopino 1961, p. 102-106.
  49. Plutarque, Pyrrhus, 1.
  50. Plutarque, Flamininus, 21.
  51. Appien, Guerres syriennes, 10-11.
  52. Plutarque, Pyrrhus, 8.
  53. Polyen, StratagĂšmes, II, 6, 9.
  54. « Pyrrhos », dans Jean Leclant, Dictionnaire de l'Antiquité, PUF, coll. « Quadrige », , p. 1848.
  55. (la) Marcus Junianus Justinus, Historiarum ex Trogo Pompeio excerptarum libri XLIV, Leipzig, Sumptibus et Typis Caroli Tauchnitii, , 276 p. (lire en ligne), p. 488.
  56. Cicéron, Lettres familiÚres, IX, 25.
  57. Der Kleine Pauly Lexikon Der Antike, Dritter Bande, 1969, 516, Latrunculorum ludus.
  58. « Pyrrhos », dans Jean Leclant, Dictionnaire de l'Antiquité, PUF, coll. « Quadrige », , p. 1849.
  59. Plutarque, Pyrrhus, p. 360.

Annexes

Sources antiques

Bibliographie

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  • W. Helbig, « Deux portraits de Pyrrhus, roi d’Épire », MĂ©langes d'archĂ©ologie et d'histoire, vol. 13,‎ , pages 377 Ă  390 (DOI 10.3406/mefr.1893.6104, lire en ligne, consultĂ© le ).
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  • Édouard Will, Histoire politique du monde hellĂ©nistique 323-, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », (ISBN 2-02-060387-X).
  • (en) Petros E. Garoufalias, Pyrrhus, King of Epirus, Stacey International, (ISBN 978-0-905743-13-4).
  • (en) N. G. L. Hammond et F. Walbank, A History of Macedonia, vol. 3 : 336-167 B.C., Oxford, Clarendon Press, (ISBN 0198148151).
  • (en) Nicholas Sekunda, The Army of Pyrrhus of Epirus, Osprey Publishing, coll. « Men-At-Arms » (no 528), , 48 p.

Articles connexes

Liens externes

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