Lapidation
La lapidation est une forme d'exĂ©cution dans laquelle un groupe d'individus lance des pierres sur une personne jusquâĂ ce que cette derniĂšre dĂ©cĂšde dâun traumatisme contondant. Elle a Ă©tĂ© attestĂ©e comme une forme de punition pour de graves mĂ©faits depuis lâAntiquitĂ©. Son adoption dans certains systĂšmes juridiques a suscitĂ© la controverse au cours des derniĂšres dĂ©cennies.
La Torah et le Talmud prescrivent la lapidation comme punition pour un certain nombre dâinfractions. Au cours des siĂšcles, le judaĂŻsme rabbinique a dĂ©veloppĂ© un certain nombre de contraintes procĂ©durales qui ont rendu ces lois pratiquement inapplicables. Bien que la lapidation ne soit pas mentionnĂ©e dans le Coran, la jurisprudence islamique classique (fiqh) a imposĂ© la lapidation comme un hadd (peine prescrite par la charia) pour certaines formes de zina (rapports sexuels illicites) sur la base de certains hadĂźths (paroles et actions attribuĂ©es au prophĂšte musulman Mahomet). La lĂ©gislation islamique prĂ©voit cependant elle aussi un certain nombre de dispositions qui rendent le crime de zina pratiquement improuvable dans la pratique.
La lapidation semble avoir Ă©tĂ© la mĂ©thode standard d'exĂ©cution capitale dans lâancien IsraĂ«l. Son utilisation est attestĂ©e au dĂ©but de lâĂšre chrĂ©tienne, mais les tribunaux juifs ont par la suite gĂ©nĂ©ralement Ă©vitĂ© les peines de lapidation. Seuls quelques cas isolĂ©s de lapidation lĂ©gale sont enregistrĂ©s dans lâhistoire prĂ©moderne du monde musulman. Aujourd'hui, les lois pĂ©nales de la plupart des pays Ă majoritĂ© musulmane sont dĂ©rivĂ©es des modĂšles occidentaux. Au cours des derniĂšres dĂ©cennies, plusieurs Ătats ont insĂ©rĂ© la lapidation et dâautres punitions hudud (pluriel de hadd) dans leurs codes pĂ©naux sous lâinfluence des mouvements islamistes. Ces lois revĂȘtent une importance particuliĂšre pour les conservateurs religieux en raison de leur origine scripturaire, bien quâen pratique elles aient jouĂ© un rĂŽle largement symbolique et aient eu tendance Ă tomber en dĂ©suĂ©tude.
RĂ©cemment, la lapidation a Ă©tĂ© une peine lĂ©gale ou coutumiĂšre aux Ămirats arabes unis, en Irak, au Qatar, en Mauritanie, en Arabie saoudite, en Somalie, au Soudan, au YĂ©men, au nord du Nigeria, en Afghanistan, Ă Brunei et dans les zones tribales du Pakistan, y compris le nord-ouest de la vallĂ©e de Kurram et le nord-ouest de la rĂ©gion de Khwezai-Baezai[1] - [2] - [3] - [4]. Dans certains de ces pays, y compris lâAfghanistan et lâIrak, oĂč la lapidation nâest pas lĂ©gale, elle a Ă©tĂ© effectuĂ©e de façon extrajudiciaire par des militants, des chefs tribaux et dâautres[2]. Dans certains autres pays, dont le Nigeria et le Pakistan, bien que la lapidation ait Ă©tĂ© une forme lĂ©gale de punition, elle nâa jamais Ă©tĂ© pratiquĂ©e lĂ©galement. La lapidation est condamnĂ©e par les organisations de dĂ©fense des droits de l'homme et les peines de lapidation ont suscitĂ© des controverses internationales.
Ătymologie
La lapidation vient du latin lapis (pierre), qui donne le verbe lapidare signifiant littéralement « attaquer à coups de pierres »[5].
Histoire
En GrĂšce antique
La lapidation est une mĂ©thode d'exĂ©cution connue dĂšs l'Ă©poque homĂ©rique, principalement liĂ©e aux crimes sexuels et aux blasphĂšmes[6] : dans la mythologie grecque, Ajax fils d'OĂŻlĂ©e Ă©chappe de peu Ă la lapidation aprĂšs avoir tentĂ© de violer Cassandre rĂ©fugiĂ©e auprĂšs de l'autel d'AthĂ©na[7]. AprĂšs avoir dĂ©couvert qu'il a tuĂ© son pĂšre et Ă©pousĂ© sa mĂšre, Ćdipe souhaite mourir lapidĂ©, mais ne trouvant personne autour de lui pour ce faire, se rĂ©sout Ă se crever les yeux[8]. Cycnos fait lapider le joueur de flĂ»te qui a accompagnĂ© sa seconde femme Ă diffuser des calomnies afin qu'il contraigne son fils TĂ©nĂšs Ă l'exil[9]. Toutefois, la lapidation n'est pas couramment employĂ©e Ă l'Ă©poque archaĂŻque et inspire plutĂŽt une certaine rĂ©pulsion : Eschyle la classe avec la dĂ©capitation, l'Ă©nuclĂ©ation ou l'empalement comme les marques d'une « justice d'abattoir », propre aux EumĂ©nides non civilisĂ©es[10].
De nombreux tyrans grecs sont lapidĂ©s : Koes Ă MytilĂšne (HĂ©rodote, V, 38), MennĂšs Ă Cumes[11], NĂ©arque Ă ĂlĂ©e[12] - [13], Phalaris Ă Akragas[13].
Une autre occurrence de lapidation historique remonte aux guerres mĂ©diques, en 479 av. J.-C. : l'AthĂ©nien LycidĂšs[14] est lapidĂ© par les participants Ă la BoulĂš (assemblĂ©e) quand il propose d'approuver la demande de reddition envoyĂ©e par le Perse Mardonios. HĂ©rodote prĂ©sente la lapidation comme un acte spontanĂ© de la foule en colĂšre, mais chez Lycurgue[15], un siĂšcle plus tard, il rĂ©sulte d'un dĂ©cret (psÄphisma) pris formellement par les membres de l'AssemblĂ©e, qui retirent les couronnes symbolisant leur fonction avant d'y procĂ©der. On a suggĂ©rĂ© que les AthĂ©niens avaient rĂ©interprĂ©tĂ© a posteriori un lynchage en acte lĂ©gal et rituel[16]. Par la suite, la lapidation Ă AthĂšnes est liĂ©e aux cas de trahison (prodosia) : ainsi, Alcibiade, cousin de l'Alcibiade compagnon de Socrate est condamnĂ© Ă mort en mĂȘme temps que ce dernier pour la profanation des MystĂšres d'Ăleusis. Il s'enfuit et rejoint les Syracusains, adversaires d'AthĂšnes. CapturĂ© Ă bord d'un vaisseau ennemi, il est lapidĂ© immĂ©diatement, sur ordre du stratĂšge Thrasyllos[17].
Philostrate, dans sa Vie d'Apollonios de Tyane rapporte une lapidation « miraculeuse » situĂ©e Ă ĂphĂšse au Ier siĂšcle. Les ĂphĂšsiens, en butte Ă une Ă©pidĂ©mie de peste, font appel Ă Apollonius de Tyane, fameux thaumaturge paĂŻen, et Ă©galement philosophe, qui leur dĂ©signe un mendiant comme « ennemi des dieux » et les convainc de le lapider. Et ils pensent dĂ©couvrir, dans le corps en charpie Ă©crasĂ© sous les pierres, une crĂ©ature monstrueuse, le dĂ©mon de la peste[18].
Dans le judaĂŻsme
Les textes judaïques prévoyaient la lapidation pour punir divers crimes et attitudes jugés criminels, tant dans le Pentateuque (terme grec désignant la Torah) que dans les écrits rabbiniques (le Talmud). Concernant plus particuliÚrement l'adultÚre, il faut considérer que ces textes de loi sont rédigés dans le cadre d'une idéologie patriarcale ne connaissant pas l'égalité des sexes et que dans une société qui considÚre le mariage comme un accord commercial, l'adultÚre correspond à une atteinte à la « propriété » d'un autre homme[19].
Toutefois, la lapidation aurait encore Ă©tĂ© appliquĂ©e au premier siĂšcle de notre Ăšre ainsi que le suggĂšrent, dans le Nouveau Testament, notamment l'Ă©pisode de la femme adultĂšre de l'Ăvangile selon Jean (« Que celui d'entre vous qui est sans pĂ©chĂ© jette le premier la pierre contre elle. »)[20] ou, dans les Actes des ApĂŽtres, le rĂ©cit du martyre d'Ătienne[21].
Par la suite, avant mĂȘme le siĂšge de JĂ©rusalem, les Juifs ont Ă©tĂ© dispersĂ©s dans des territoires de l'Empire romain oĂč leur loi Ă©tait devenue inapplicable mĂȘme s'ils Ă©taient majoritaires, comme en Corse oĂč, selon SuĂ©tone, l'empereur TibĂšre en aurait dĂ©portĂ© cent mille. AprĂšs la chute et la destruction de JĂ©rusalem, La tendance de la jurisprudence judaĂŻque a Ă©tĂ© de rĂ©duire l'application des chĂątiments mortels dont la lapidation, voire de les supprimer totalement[22]. Thomas Römer explique que « de nombreux rabbins se sont d'ailleurs demandĂ©s si la lapidation ou d'autres peines de mort prĂ©vues comme chĂątiment ont vraiment Ă©tĂ© appliquĂ©es Ă l'Ă©poque, ou s'il s'agit plutĂŽt d'une rhĂ©torique dissuasive ayant pour but d'empĂȘcher les transgressions formulĂ©es dans ces lois »[19].
Le rabbin Moshe Feinstein, une des plus grandes sommitĂ©s du judaĂŻsme contemporain a Ă©crit dans son ouvrage Igros Moshe, second volume sur Hoshen Mishpat, rĂ©ponse 68, que « bien que la loi juive ne prĂ©conise pas la peine de mort dans tous les cas, elle permet nĂ©anmoins qu'elle soit appliquĂ©e lĂ oĂč la loi du pays le permet. Toutefois, cela devrait ĂȘtre limitĂ© aux seuls cas de meurtres particuliĂšrement cruels, ou dans une situation oĂč l'effusion de sang devient incontrĂŽlable et que la menace de la peine de mort puisse permettre de rĂ©tablir le respect de la loi »[23].
Le rabbin orthodoxe Aryeh Kaplan Ă©crit au sujet de la peine de mort dans le judaĂŻsme : « En pratique ces peines ne sont presque jamais invoquĂ©es, et existaient principalement comme un moyen de dissuasion et afin d'indiquer la gravitĂ© des pĂ©chĂ©s pour lesquels elles ont Ă©tĂ© prescrites. Les rĂšgles sĂ©vĂšres codifiĂ©es dans la Torah afin de protĂ©ger l'accusĂ© ont de fait rendu impossible l'application de ces sanctions, le systĂšme pĂ©nal pouvant devenir brutal et barbare Ă moins d'ĂȘtre administrĂ© dans une atmosphĂšre de la plus haute moralitĂ© et piĂ©tĂ©. Lorsque ces normes ont diminuĂ© dans le peuple juif, le SanhĂ©drin a volontairement aboli ce systĂšme de sanctions »[24].
Jerome H. Somers, le prĂ©sident du conseil d'administration de l'Union des CongrĂ©gations hĂ©braĂŻques amĂ©ricaines, la plus grande organisation juive aux Ătats-Unis qui compte plus de 870 congrĂ©gations rĂ©formistes se dĂ©clare opposĂ© Ă la peine capitale[note 1].
Le rabbin Ben Zion Bokser, l'un des plus grands rabbins du judaĂŻsme conservateur explique que : « Trop souvent, nous apprenons que des personnes qui ont Ă©tĂ© reconnues coupables de crimes ont Ă©tĂ© plus tard innocentĂ©es par des faits nouveaux. Dans de tels cas, les portes des prisons peuvent ĂȘtre ouvertes et ainsi rĂ©parer partiellement l'injustice. Mais les morts ne peuvent pas ĂȘtre ramenĂ©s Ă la vie de nouveau. Nous considĂ©rons toutes les formes de la peine capitale comme barbares et obsolĂštes »[25].
Dans l'islam
Rajm (Ű±ŰŹÙ ) est un mot arabe qui signifie "lapider"[27] - [28]. Il est communĂ©ment utilisĂ© pour dĂ©signer la punition Hadd lors de laquelle un groupe organisĂ© jette des pierres Ă un individu condamnĂ© jusquâĂ ce qu'il meure. Selon certaines versions de la loi islamique (Charia), câest la peine prescrite en cas dâadultĂšre commis par un homme mariĂ© ou une femme mariĂ©e. La condamnation exige une confession de lâadultĂšre, ou le tĂ©moignage de 4 tĂ©moins de l'acte contre ce dernier[note 2] (comme demandĂ© par le Coran 24:4), ou la grossesse en dehors du mariage[29] - [30] - [31].
La peine de la lapidation/Rajm ou la peine de mort pour adultĂšre est un cas unique dans le droit pĂ©nal musulman puisqu'elle vient contredire la prescription coranique dĂ©jĂ existante pour les relations sexuelles avant le mariage et extraconjugales (zina)[32] - [28] que lâon trouve dans le deuxiĂšme verset de la sourate An-Nur : « La fornicatrice et le fornicateur, fouettez-les chacun de cent coups de fouet. [âŠ] ». Pour cette raison, certaines sectes musulmanes hĂ©tĂ©rodoxes telles que les kharidjites en Irak, ainsi que les modernistes islamiques tels que les coranistes sont en dĂ©saccord avec la lĂ©galitĂ© du rajm.
Cependant, la lapidation est mentionnĂ©e dans plusieurs ahadith[33] (des rapports prĂ©tendant citer ce que le prophĂšte Mahomet a dit mot pour mot sur diverses questions, et que la plupart des musulmans et des oulĂ©ma considĂšrent comme la seconde source du droit religieux aprĂšs le Qor'Än)[34] - [35] et donc la plupart des Ă©coles de jurisprudence islamique (madahib) sunnites comme chiites lâacceptent comme une peine prescrite pour lâadultĂšre[28]. La peine a rarement Ă©tĂ© appliquĂ©e dans lâHistoire de l'islam en raison des exigences de preuve trĂšs strictes stipulĂ©es par la loi islamique[28].
En pratique
Au moins quelques sources (Sadakat Kadri (en), Max Rodenbeck (en)) ont notĂ© que bien qu'abstraitement populaire, le rajm n'a que rarement Ă©tĂ© appliquĂ© dans l'histoire islamique. Un seul cas de lapidation a Ă©tĂ© recensĂ© dans toute lâhistoire de lâEmpire ottoman et aucun en Syrie sous domination musulmane[36]. Le DrAbdou-Rahman ibn Abdoul Karim Al-Sheha affirme pour sa part : « De toute lâhistoire de lâIslam, on nâa observĂ© que deux ou trois cas oĂč cette peine a Ă©tĂ© appliquĂ©e suite Ă lâaveu mĂȘme des contrevenants et sur leur demande. »[37]. En effet, des techniques ont rapidement Ă©tĂ© employĂ©es pour "minimiser la possibilitĂ©" que la grossesse dâune seule femme soit considĂ©rĂ© comme une preuve tangible de zina et ainsi rendre la justice plus misĂ©ricordieuse, y compris "des prĂ©somptions fantastiques" sur la durĂ©e de la pĂ©riode de gestation humaine. Les fuqaha hanafites classiques ont dĂ©cidĂ© quâau lieu de neuf mois, elle pouvait durer jusquâĂ deux ans, les chafĂ©ites quatre et les malikites cinq ans[38]. Le calife bien-guidĂ© Omar a une fois acquittĂ© une mĂšre cĂ©libataire enceinte au motif quâelle avait le "sommeil lourd" et "des rapports sexuels sans s'en rendre compte"[38].
Selon le journaliste Max Rodenbeck (en) :
« Dans presque tous les cas oĂč elle a Ă©tĂ© appliquĂ©e au cours des derniĂšres annĂ©es, la lapidation a eu lieu dans des zones tribales ou rebelles qui Ă©chappent au contrĂŽle des gouvernements centraux â les talibans en Afghanistan, lâEIIL en Irak et Boko Haram au Nigeria, par exemple. Sur les quarante-neuf Ătats Ă majoritĂ© musulmane du monde, six conservent la peine par respect pour la tradition⊠Parmi ces pays, seul lâIran, qui a officiellement imposĂ© un moratoire sur la lapidation en 2002 tout en laissant une marge de manĆuvre aux juges, lâa effectivement appliquĂ© »[39].
LâArabie saoudite a exĂ©cutĂ© quatre personnes par lapidation dans les annĂ©es 1980[38]. Depuis 2005, des peines de lapidation ont Ă©tĂ© envisagĂ©es ou prononcĂ©es au Nigeria et en Somalie pour les crimes dâadultĂšre et de sodomie homosexuelle[40] - [41]. Depuis lâintroduction de la charia dans le nord du Nigeria en 2000, plus dâune douzaine de musulmans ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă mort par lapidation, mais aucun nâa Ă©tĂ© lapidĂ©[42] - [43] - [44]. Dans une affaire, une cour dâappel de lâĂtat de Sokoto a annulĂ© une sentence de lapidation au motif que la dĂ©fenderesse divorcĂ©e nâaurait peut-ĂȘtre pas conçu son enfant sous zina (fornication) parce quâelle l'a peut-ĂȘtre portĂ© pendant cinq ans[38] (conformĂ©ment Ă la jurisprudence malikite, prĂ©dominante dans le pays). Une autre cour dâappel de lâĂtat nigĂ©rian a Ă©valuĂ© la limite supĂ©rieure de la gestation Ă sept ans[38].
Au Pakistan, « plus de trois dĂ©cennies dâislamisation officielle nâont pas encore abouti Ă une seule lapidation effective [âŠ] »[45] et la peine est abolie en 2006[46]. LâIran a officiellement imposĂ© un moratoire sur la lapidation en 2002, tout en laissant une large marge de manĆuvres aux juges pour qu'il puisse prescrire la peine[39]. Ces Ă©checs Ă faire appliquer la peine de la lapidation ont Ă©tĂ© mis sur le dos de la publicitĂ© et de la pression de groupes internes et internationaux de dĂ©fense des droits de lâhomme[47] - [48], qui considĂšrent la lapidation comme une mise Ă mort par torture[49].
Selon lâObservatoire syrien des droits de l'homme, entre et , au moins 15 personnes (six hommes et neuf femmes) ont Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©es (pas toutes par rajm) par Daech en Syrie pour des crimes dâadultĂšre ou dâhomosexualitĂ©[50].
Dans le Coran
On rapporte quâOmar, le second calife bien guidĂ©, aurait dĂ©clarĂ© que "le verset de la lapidation" Ă©tait rĂ©citĂ© comme faisant partie du Coran[51]. Une autre explication sur pourquoi la peine de la lapidation nâest pas mentionnĂ©e dans le Coran vient dâun rapport attribuĂ© Ă AĂŻcha, l'une des Ă©pouses de Mahomet :
[RapportĂ© par Aisha] « Le verset concernant la lapidation et lâallaitement de l'adulte par dix fois furent rĂ©vĂ©lĂ©s, et ils Ă©taient (inscrits) sur une feuille placĂ©e sous mon lit. Lorsque le messager dâAllah dĂ©cĂ©da, nous Ă©tions prĂ©occupĂ©s par sa mort, et une chĂšvre entra et mangea le feuillet »[52].
La plupart des Ă©rudits musulmans (Ă l'exception notable de cheikh al-Albani) ont considĂ©rĂ© ce hadith comme Ă©tant Mawdou' (inventĂ©) et l'ont par consĂ©quent rejetĂ© puisque les chaĂźnes de transmission (asanid) communes de celui-ci contiennent soit des narrateurs accusĂ©s de malhonnĂȘtetĂ© lors de la divulgation de leurs sources[53], soit (dans le cas de la version du Musnad dâAhmad) des contradictions avec toutes les versions du hadith qui portent des itinĂ©raires authentiques (SahĂźh) â aucune ne mentionne la chĂšvre mangeant le morceau de papier[54].
Dans les ahadith
De nombreux ahadith sahihs (dont les chaĂźnes de transmission sont fiables selon les critĂšres des Ă©rudits sunnites) dĂ©crivent cependant la lapidation. Parmi ces derniers on retrouve notamment le hadith du discours dâOmar interdisant le mariage de jouissance, le dernier sermon du pĂšlerinage d'adieu de Mahomet et le hadith du verset de la lapidation.
Le Sahih al-Bukhari, un recueil d'ahadith considéré comme le livre le plus digne de confiance aprÚs le Coran par la plupart des musulmans, rapporte plusieurs sunnah concernant la lapidation. Par exemple :
- D'aprÚs ibn Abbas, Omar a dit du haut de son minbar : « Allùh envoya Mahomet en toute vérité. Il lui a révélé notamment le Verset de la lapidation. Nous l'avons lu et bien assimilé. Nous avons également appliqué la lapidation aprÚs sa mort. J'ai bien peur qu'avec le temps quelqu'un dise : " Nous ne trouvons pas la lapidation dans le Livre d'Allùh ", et qu'il s'égare ainsi pour avoir délaissé un commandement révélé par Allùh. La lapidation est une vérité dans le Livre d'Allah le TrÚs-Haut contre l'homme ou la femme marié qui a commis l'adultÚre ; à condition d'en apporter la preuve ou qu'il y ait eu une grossesse ou un aveu »[55] - [56].
- D'aprĂšs Abu Huraira : « Un homme des Banu Aslam (en) vint voir le ProphĂšte alors quâil Ă©tait dans la mosquĂ©e et dit : "Ă Messager d'Allah ! J'ai forniquĂ©" Le Messager d'Allah s'est dĂ©tournĂ© et ne lui a pas prĂȘtĂ© attention. L'homme a alors rĂ©pĂ©tĂ© 4 fois ce qu'il a dit. Le prophĂšte a alors demandĂ© : "Es-tu fou ?" "Non" rĂ©pondit-il. "Es-tu mariĂ© ?" "Oui" rĂ©pondit-il. Le prophĂšte a ordonnĂ© les compagnons de le lapider. Jaber dit : "J'Ă©tais parmi ceux qui l'ont lapidĂ© dans la grande salle de priĂšre prĂ©vue pour les fĂȘtes, Ă l'extĂ©rieur de la ville. Quand les pierres sont lancĂ©es contre lui, il s'est enfui, mais nous l'avons attrapĂ© Ă Horra et nous l'avons lapidĂ©" »[57]
- D'aprÚs Ach-Chaybani (ar) : « Comme j'interrogeai Abdullah ben Abi Awfa (en) si l'Envoyé d'Allah avait appliqué la peine de la lapidation ou non, il me dit :"Oui." Je dis: "Avant ou aprÚs (la révélation) de la sourate d'an-Nour ?" (Abdullah ben Abi Awfa) dit:"Je ne sais pas." »[58].
- D'aprĂšs Abdullah ibn Omar : « Un juif et une juive ont Ă©tĂ© amenĂ©s devant le messager dâAllah pour avoir commis lâadultĂšre. Le messager dâAllah vint voir les juifs et leur dit : "Que trouve-t-on dans la Torah pour celui qui commet lâadultĂšre ?". Ils dirent : "On noircit leur visages et on les fait monter ensemble sur un Ăąne avec leurs visages tournĂ©s dans des directions opposĂ©es, et ensuite on les promĂšne dans la ville." Il dit : "Amenez la Torah pour vĂ©rifier si vous avez raison.". Ils lâont amenĂ©e et lâont rĂ©citĂ©e jusquâau verset qui concerne la lapidation ; la personne qui lisait a mis sa main sur ce verset et a lu ce qui nâĂ©tait pas masquĂ© par sa main. Abdullah ibn Salam qui Ă©tait avec le messager dâAllah dit : "Ordonne-lui dâenlever sa main.". Il lâenleva et il y avait Ă la place le verset relatif Ă la lapidation. Alors lâenvoyĂ© dâAllah prononça son jugement et ordonna que les deux personnes soient lapidĂ©es Ă mort. Abdullah ibn Omar dit : "JâĂ©tais un de ceux qui les ont lapidĂ©s et jâai vu lâhomme protĂ©ger la femme avec son corps." »[59] - [60] - [61].
- D'aprĂšs Amr ibn Maymun (en) : « Au temps de la JĂąhilĂźya, jâai vu une guenon entourĂ©e par un grand nombre de singes. Ils Ă©taient en train de la lapider, parce quâelle avait commis un acte sexuel illĂ©gal. Moi aussi, je lâai lapidĂ©e. »[62]
Le livre 17 (celui des peines légales) du Sahih Muslim (du nom de l'élÚve d'al-Boukhari) renferme également de nombreux ahadith concernant spécifiquement la lapidation. Par exemple :
- D'aprĂšs Ubada ibn as-Samit (en) : « LâenvoyĂ© dâAllah a dit : - Quand un homme cĂ©libataire commet lâadultĂšre avec une femme cĂ©libataire, ils recevront cent coups de fouet et seront bannis un an. Dans le cas oĂč ils sont mariĂ©s, ils recevront cent coups de fouet et seront lapidĂ©s Ă mort »[63] (des oulĂ©ma, notamment chez les chafĂ©ites, ont dĂ©duit de ce hadith que la peine de la lapidation ne vient pas forcĂ©ment se substituer au hadd coranique, mais doit au contraire s'y additionner).
- D'aprĂšs Imran ibn Hussein (en) : « Une femme de Juhaina vint voir le ProphĂšte car elle Ă©tait devenue enceinte Ă cause dâun adultĂšre. Elle dit : "Jâai fait quelque chose qui mĂ©rite un chĂątiment, donc inflige-le moi." LâapĂŽtre dâAllah appela son maĂźtre et dit : "Traite-la bien et amĂšne-la moi quand elle aura accouchĂ©." Câest ce quâil fit. LâapĂŽtre dâAllah prononça ensuite [aprĂšs lâaccouchement] son jugement ; ses vĂȘtements furent nouĂ©s autour dâelle et il ordonna quâelle soit lapidĂ©e. Il pria ensuite sur son cadavre. »[64]
D'autres ahadith montrent que la lapidation n'est pas un chĂątiment exclusif Ă l'adultĂšre, mais qu'il peut aussi s'appliquer Ă l'homme reconnu coupable de sodomie homosexuelle, de viol ou dans le cadre du Qisas (loi du talion) :
- D'aprĂšs Abu Huraira : « Le ProphĂšte (ï·ș) a dit de ces gens-lĂ qui s'adonnent au crime du peuple de Lot : "lapidez celui qui est au-dessus [l'actif] et celui qui est au-dessous [le passif], lapidez-les ensemble" »[65]
- D'aprÚs ibn Abbas : « Si un homme non-marié est pris pendant un acte de sodomie, il sera lapidé à mort. »[66]
- D'aprĂšs Wa'il ibn Hujr (ar) : « Lorsqu'Ă l'Ă©poque du prophĂšte, une femme sortit pour aller prier [probablement Ă la mosquĂ©e], un homme l'agressa et la violenta [la viola]. Elle cria mais il s'Ă©chappa et lorsqu'un homme passa, elle dĂ©clara : Cet homme m'a fait ceci et cela. Et lorsqu'un groupe de mouhadjiroune passa, elle dĂ©clara : cet homme m'a fait ceci et cela. Ils s'en allĂšrent et saisirent l'homme qu'ils pensaient ĂȘtre celui qui l'avait violĂ©e, et le ramenĂšrent prĂšs d'elle. Elle dĂ©clara : Oui, c'est lui. Ils lâamenĂšrent alors devant le messager d'Allah. Lorsque le prophĂšte sâapprĂȘtait Ă donner sa sentence, lâhomme qui avait attaquĂ© (violĂ©) la femme se leva et dit : "Messager d'Allah, je suis coupable". Le prophĂšte dit Ă la femme : "Pars, car Allah tâa pardonnĂ©e !" (Mais il dit quelques bons mots Ă lâhomme). Quant Ă lâhomme qui a eu des relations sexuelles avec elle, il dit : "lapidez-le Ă mort !" Il dit aussi : il a montrĂ© une telle contrition que si les gens de MĂ©dine avaient fait preuve d'une contrition identique, cela aurait Ă©tĂ© acceptĂ© de leur part. »[67]
- D'aprĂšs Anas ibn Malik : « Un Juif contusionna la tĂȘte d'une esclave entre deux pierres. On demanda alors Ă celle-ci: "Qui t'a fait cela? est-ce Un Tel? Un tel?" Et on se mit Ă lui citer des noms. [En entendant] celui du Juif, elle fit un signe avec la tĂȘte. On emmena le Juif et il reconnut les faits. Le ProphĂšte donna alors l'ordre⊠aprĂšs quoi sa tĂȘte a Ă©tĂ© Ă©crasĂ©e avec des pierres »[68] - [69] - [70]
Un ancien ouvrage islamique, le Musannaf (en) d'Abd al-Razzaq (en) énumÚre, dans son chapitre sur le Rajm, 70 ahadith rapportant des cas de lapidation liés à Muhammad, et 100 liés aux sahaba ou à d'autres autorités[71].
Selon Aboubaker Djaber el Djazaïri, théologien musulman et professeur à l'Université islamique de Médine, un seul hadith, sujet à controverse, cite la lapidation comme chùtiment de l'adultÚre pour un homme marié ou une femme mariée ayant eu un rapport sexuel hors mariage, si et si seulement quatre témoins ont clairement vu l'adultÚre[72].
Fiqh de la lapidation
Le Rajm, parfois orthographiĂ© Rajam, a Ă©tĂ© abondamment discutĂ© dans les textes de lâĂ©poque prĂ©coce, mĂ©diĂ©vale et moderne de la jurisprudence islamique (fiqhs)[30].
Les personnes qui accusent une femme dâadultĂšre mais ne sont pas en mesure dâamener quatre tĂ©moins fiables (i.e. qui sont connus pour s'abstenir de pĂ©chĂ©s en public et en privĂ©) de l'acte â un crime connu sous le nom de Qadhf, ۧÙÙŰ°Ù[73] â sont passibles dâune peine de 80 coups de fouet et sont inacceptables comme tĂ©moins Ă moins quâelles ne se repentent et ne se rĂ©forment.
Un des nombreux commentaires juridiques islamiques, le Muwatta de MĂąlik ibn Anas, affirme que la grossesse contestĂ©e est une preuve suffisante dâadultĂšre et que la femme doit ĂȘtre lapidĂ©e Ă mort[29] - [31].
Hanafisme
Les fuqaha hanafites ont conclu que lâaccusĂ© doit ĂȘtre un muhsan au moment du rapport sexuel religieusement interdit pour ĂȘtre lapidĂ©[74]. Un muhsan est un adulte, libre (qui n'est pas esclave), musulman qui a dĂ©jĂ eu des relations sexuelles licites dans le cadre du mariage, que ce dernier existe toujours ou non[29]. En dâautres termes, la lapidation ne sâapplique pas Ă une personne qui nâa jamais Ă©tĂ© mariĂ©e dans sa vie (la seule punition obligatoire dans de tels cas est la flagellation sur la place publique)[74].
Pour preuve, la jurisprudence hanafite accepte ce qui suit :
- Aveux (iqrarat) répétés quatre fois et non rétractés par la suite
- Témoignage de quatre témoins masculins (les témoins féminins ne sont pas acceptables).
La littérature de droit musulman hanafite spécifie deux types de lapidation[75] :
- Le premier lorsque la punition est fondĂ©e sur des preuves concrĂštes (Bayyinat) sous la forme de quatre tĂ©moins oculaires masculins. Dans ce cas, la personne est ligotĂ©e et partiellement enterrĂ©e dans une fosse creusĂ©e pour qu'elle ne puisse s'Ă©chapper, aprĂšs quoi la lapidation sur place publique peut commencer[75]. Une femme condamnĂ©e Ă la lapidation doit ĂȘtre partiellement enterrĂ©e jusquâĂ sa poitrine[76], conformĂ©ment au hadith suivant : « Le ProphĂšte a fait lapider une femme et une fosse a Ă©tĂ© creusĂ©e pour elle jusquâaux seins. »[77]. Abou Hanifa et plus tard le faqĂźh hanafite Ibrahim al-Halabi (en) ont fait valoir que les tĂ©moins et l'accusateur devraient ĂȘtre les premiers Ă lancer des pierres sur le condamnĂ© puisquâil sâagit dâune bonne occasion pour les tĂ©moins lassĂ©s de se rĂ©tracter avant quâil ne soit trop tard[75]. AprĂšs quoi seulement, la communautĂ© musulmane prĂ©sente peut prendre part au chĂątiment[75].
- Le second lorsque la punition est basĂ©e sur l'aveu (iqrar). Dans ce cas, la lapidation doit ĂȘtre effectuĂ©e sans creuser de fosse ou enterrer partiellement la personne. Le cadi doit jeter la premiĂšre pierre avant que dâautres musulmans puissent se joindre Ă lâexĂ©cution du chĂątiment. De plus, si la personne fuit, elle est autorisĂ©e Ă partir[75].
Les oulĂ©ma hanafites ont spĂ©cifiĂ© que la taille des pierres Ă utiliser pour le Rajm devait ĂȘtre de la taille de la main, pas trop petites pour ĂȘtre efficace, mais pas trop grosses non plus pour que la mort ne survienne pas trop vite[75].
Les hanafites ont toujours soutenu que les tĂ©moins devraient lancer les premiĂšres pierres au cas oĂč la condamnation serait provoquĂ©e par des tĂ©moins, et le cadi devrait lancer les premiĂšres pierres au cas oĂč la condamnation rĂ©sulterait dâun aveu[28].
Chaféisme
La littĂ©rature de l'Ă©cole chafĂ©ite a plus ou moins la mĂȘme analyse de droit musulman que l'Ă©cole hanafite. Cependant, elle recommande que la premiĂšre pierre soit jetĂ©e par lâimam ou un de ses reprĂ©sentants dans tous les cas (tĂ©moignage ou aveu), puis que la communautĂ© musulmane prĂ©sente sur place se joigne Ă lâexĂ©cution de la peine[75]. Une autre diffĂ©rence rĂ©side dans le fait que, chez les chafĂ©ites, la rĂ©tractation des aveux n'est pas suffisante pour annuler la condamnation Ă mort par lapidation[74]. Enfin, lĂ oĂč les hanafites insistent sur l'universalitĂ© de la peine (les non-musulmans rĂ©sidents en terre d'islam en sont justiciables), les chafĂ©ites confient Ă chaque communautĂ© (Millet) non-musulmane (dhimmi) le soin d'administrer ses propres chĂątiments[78].
Hanbalisme
Le faqĂźh hanbalite Ibn Qudama dĂ©clare : « Les juristes musulmans sont unanimes sur le fait que la lapidation Ă mort est une punition spĂ©cifique pour les adultĂšres mariĂ©s, hommes et femmes. La punition est enregistrĂ©e dans un certain nombre de traditions et la pratique de Muhammad se tient comme une source authentique la soutenant. Câest lâavis de tous les Compagnons, Successeurs et autres Ă©rudits musulmans Ă lâexception des Kharidjites. »[79]
La loi islamique hanbalite condamne toutes les formes de relations sexuelles consensuelles mais religieusement illicites comme punissables avec le Rajm. Cependant, les Ă©rudits hanbalites insistent sur le fait que les rapports homosexuels entre les hommes doivent ĂȘtre punis par la dĂ©capitation, au lieu du Rajm comme recommandĂ© par le madhhab malikite de l'Islam[80].
Malikisme
LâĂ©cole de jurisprudence (fiqh) malikite affirme que la lapidation est la peine prescrite pour les rapports sexuels illicites entrepris par une personne mariĂ©e ou veuve, ainsi que pour toute forme de relations homosexuelles entre hommes[35]. MĂąlik ibn Anas, le fondateur du fiqh malikite, considĂ©rait la grossesse dâune femme cĂ©libataire comme une preuve concluante de zina. Il a Ă©galement dĂ©clarĂ© que la grossesse contestĂ©e est Ă©galement une preuve suffisante dâadultĂšre et que toute femme musulmane enceinte dâun homme Ă qui elle nâest pas mariĂ©e, au moment de la grossesse, doit ĂȘtre lapidĂ©e Ă mort[29] - [31].Dans La Rissala (ar) (ouvrage de rĂ©fĂ©rence de l'Ă©cole malikite), Al-QayrawĂąnĂź soutient que la femme enceinte qui prĂ©tend avoir Ă©tĂ© violĂ©e ne doit pas ĂȘtre crue et encourt la lapidation sur place publique jusqu'Ă ce que mort s'en suive, sauf si elle fournit un tĂ©moin capable d'Ă©tayer ses dires, si elle appelle Ă l'aide au moment du viol ou si elle en revient en saignant dans le cas oĂč elle Ă©tait vierge[81]. Plus tard, des Ă©rudits malikites musulmans ont dĂ©veloppĂ© le concept d'"embryon endormi", qui stipulait qu'une femme divorcĂ©e pouvait Ă©chapper Ă la peine de la lapidation, si elle restait cĂ©libataire et devenait enceinte Ă tout moment dans les 5 ans suivant son divorce. On supposait alors qu'elle avait Ă©tĂ© fĂ©condĂ©e par son ancien mari mais que lâembryon Ă©tait restĂ© "endormi" pendant 5 ans[82].
Jafarisme (école chiite duodécimaine)
Le livre des peines légales du Kitab al-Kafi, proclame la lapidation comme la punition prescrite pour les rapports sexuels qui ne sont pas autorisés en vertu de la charia[30].
Contrairement aux Ă©coles sunnites, la loi islamique chiite, dans les affaires concernĂ©es par la peine de la lapidation, accepte les femmes comme tĂ©moin, mais considĂšre que leur tĂ©moigne vaut deux fois moins que celui dâun homme. Ainsi, avant quâun accusĂ© ne soit condamnĂ© Ă la lapidation dans le systĂšme chiite, les tĂ©moins peuvent ĂȘtre :
- 4 hommes
- 3 hommes et 2 femmes
- 2 hommes et 4 femmes
- 1 homme et 6 femmes
Il est cependant impossible de faire tĂ©moigner 8 femmes car les tĂ©moins doivent comprendre au moins un homme[35]. De plus, les fuqaha chiites accordent des pouvoirs discrĂ©tionnaires au juge dans les cas dâhomosexualitĂ© (masculine comme fĂ©minine), pour qu'ils puissent condamner lâaccusĂ© Ă la peine de mort soit par dĂ©capitation (comme dans les Ă©coles hanbalite et chafĂ©ite), soit par lapidation (comme dans l'Ă©cole malikite), soit par prĂ©cipitation Ă partir d'une Ă©lĂ©vation, soit par le bĂ»cher[35]. Cette derniĂšre peine est souvent considĂ©rĂ©e comme interdite dans le sunnisme, en raison du commentaire d'ibn Abbas, selon lequel Muhammad aurait interdit le chĂątiment du feu (exclusif Ă Allah) aux hommes[83], mais ne l'est pas dans le chiisme duodĂ©cimain qui fait Ă©tat de nombreuses traditions dans lesquelles Ali aurait brĂ»lĂ© vifs des ghulÄt et des homosexuels[84].
Points de vue contemporains
Les penseurs islamistes contemporains ne sâentendent pas sur lâapplicabilitĂ© de la lapidation pour lâadultĂšre. Bien que les textes religieux donnent souvent des exemples avec et sans lapidation, le Qor'Än ne prescrit pas la lapidation comme punition pour tout crime, mentionnant seulement le fouet comme punition pour le zina. Toutefois, la plupart des oulĂ©ma[27] soutiennent quâil y a suffisamment de preuves dans les ahadith pour en extraire une rĂšgle. La grande majoritĂ© des musulmans considĂšrent les ahadith, qui dĂ©crivent les paroles, les actes et lâexemple donnĂ©s par Muhammad Ă l'humanitĂ© au cours de sa vie, comme une source de droit et dâautoritĂ© religieuse au-delĂ du Qor'Än. Ils considĂšrent les ahadith sahĂźh comme une source valable de la charia, justifiant leur croyance sur le vingt-et-uniĂšme verset de la sourate Al-Ahzab[note 3], ainsi que d'autres versets[note 4] - [85] - [86].
La fiabilité du hadith est contestée par les coranistes qui rejettent tous les ahadith, et par conséquent la peine de la lapidation aussi.
Le Dr Mohammad Enayatullah Asad Subhani soutient que la lapidation nâest pas la peine prescrite pour la fornication, comme on lâa gĂ©nĂ©ralement compris, et qu'elle ne fait pas non plus partie des Hudud. Son livre Haqeeqat-e-Rajm (la vĂ©ritĂ© sur la lapidation) a Ă©tĂ© largement critiquĂ© par les oulĂ©ma, car il avait tentĂ© de dissiper les doutes sur les peines prescrites par lâislam pour diffĂ©rents crimes[87]. Javed Ahmad Ghamidi (en) postule que les versets coraniques prescrivent la lapidation seulement pour ceux qui commettent habituellement la fornication comme le font les prostituĂ©es, ce qui constitue alors de "la corruption sur la terre" qui est punissable par la mort selon les versets 33 et 34 de la sourate Al-Ma'ida[88]. Cependant, beaucoup d'Ă©rudits traditionnels de lâislam rejettent la plupart des pensĂ©es et des avis de Ghamidi comme dĂ©viants de lâislam classique[89].
Ă l'Ă©poque contemporaine
La mort par lapidation est un supplice encore prĂ©sent dans le systĂšme lĂ©gal de certains pays Ă majoritĂ© musulmane : le Nigeria, l'Arabie saoudite, le Soudan, l'Afghanistan, les Ămirats arabes unis, le YĂ©men et peut-ĂȘtre encore l'Iran[90]. Le 3 avril 2019, la mort par lapidation a Ă©tĂ© instaurĂ©e Ă Brunei par le sultan Hassanal Bolkiah.
Afghanistan
La lapidation est illĂ©gale en Afghanistan, mais elle est parfois pratiquĂ©e extrajudiciairement par des chefs tribaux[2] - [91] - [92] - [93] ou des insurgĂ©s talibans dans certaines zones du pays[92] - [93] - [94] - [95]. Avant le gouvernement taliban, la plupart des rĂ©gions de lâAfghanistan, Ă lâexception de la capitale, Kaboul, Ă©taient contrĂŽlĂ©es par des seigneurs de guerre ou des chefs tribaux. Le systĂšme juridique afghan dĂ©pendait fortement de la culture locale dâune communautĂ© individuelle et de lâidĂ©ologie politique ou religieuse de ses dirigeants. Des cas de lapidation ont Ă©galement Ă©tĂ© recensĂ©s dans des zones de non-droit, oĂč des auto-justiciers ont commis lâacte Ă des fins politiques. DĂšs que les talibans ont pris le pouvoir, câest devenu une forme de punition lĂ©gale pour certains crimes graves ou lâadultĂšre. AprĂšs la chute du gouvernement taliban, lâadministration KarzaĂŻ, mise en place par les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s de l'OTAN, a restaurĂ© le code pĂ©nal de 1976, qui ne prĂ©voyait pas lâutilisation de la lapidation comme sanction judiciaire. En 2013, le ministĂšre de la Justice (en) a proposĂ© de rĂ©tablir la lapidation sur place publique en guise de punition pour lâadultĂšre[96].
Arabie saoudite
En Arabie saoudite, tout acte de sodomie commis par un non-musulman avec une musulmane est passible de la lapidation[97] - [98]. Quatre cas dâexĂ©cution par lapidation ont Ă©tĂ© signalĂ©s entre 1981 et 1992[99].
Brunei
Ă partir du , toute personne musulmane reconnue coupable de sodomie ou dâadultĂšre sera lapidĂ©e Ă mort, en vertu du nouveau code pĂ©nal instaurĂ© Ă Brunei. "Un groupe de musulmans" sera tenu d'assister Ă lâexĂ©cution de la punition[100]. Brunei est devenu le premier pays dâAsie du Sud-Est Ă adopter officiellement la lapidation publique comme une forme de sanction judiciaire.
Le , juste avant le début du ramadan, le sultan de Brunei, Hassanal Bolkiah annonce à la télévision que le moratoire sur la peine capitale observé de facto dans le pays depuis 1957 (date de la derniÚre exécution) s'appliquerait aussi aux nouvelles dispositions pénales entrées en vigueur un mois plus tÎt[101]. Il a également promis que le pays ratifierait la convention des Nations unies contre la torture[101], qu'il avait signée le [102].
Ămirats arabes unis
La lapidation est une forme lĂ©gale de punition judiciaire aux Ămirats Arabes Unis et ce depuis la fin des annĂ©es 1970. En 2006, un expatriĂ© a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă mort par lapidation pour adultĂšre[103], peine commuĂ©e en appel Ă une peine d'un an de prison[104]. Entre 2009 et 2013, plusieurs personnes ont Ă©tĂ© condamnĂ©es Ă mort par lapidation[105] - [106] - [107]. En mai 2014, une femme de mĂ©nage asiatique a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă mort par lapidation Ă Abou Dabi[108] - [109] - [110].
Indonésie
Le , le Conseil lĂ©gislatif sortant dâAceh a adoptĂ© un rĂšglement qui prĂ©voyait la lapidation des adultĂšres mariĂ©s[111]. Cependant, le gouverneur Irwandi Youssouf (en) a refusĂ© de signer le rĂšglement, ce qui en fait une loi sans force lĂ©gale et, de lâavis de certains, donc encore un projet de loi, plutĂŽt quâune loi rĂ©elle[112]. En mars 2013, le gouvernement d'Aceh a retirĂ© la disposition sur la lapidation de son propre projet de nouveau Code criminel[113].
Le droit iranien
La peine de lapidation est inscrite dans le Code de criminalitĂ© iranien dans les articles 99 et suivants qui est une base lĂ©gislative tirĂ©e de textes islamiques (charia) rĂ©digĂ©e au moment de la rĂ©volution islamique d'Iran en 1979 par le Conseil des gardiens de la Constitution. Or, ces textes ne sont pas des lois applicables (dĂ©crets, arrĂȘtĂ©s), contrairement au Code de procĂ©dure pĂ©nale[114]. En effet, le systĂšme judiciaire iranien a prĂ©vu dĂšs l'origine, une triple modification des lois de la charia et de ce code de criminalitĂ© rendant impossible ce type de condamnation.
Selon Amnesty International, trois personnes auraient Ă©tĂ© lapidĂ©es entre 2006 et 2007, et en janvier 2008 neuf femmes et deux hommes condamnĂ©s Ă ĂȘtre lapidĂ©s attendaient l'exĂ©cution de leur peine[115], mais ces accusations sont rĂ©futĂ©es par le rĂ©gime de TĂ©hĂ©ran, s'appuyant sur le systĂšme judiciaire iranien qui ne permet pas de telles condamnations.
RĂ©action du gouvernement iranien
Les autoritĂ©s iraniennes nient utiliser la peine de lapidation ou condamner des mineurs et considĂšrent cela comme de la propagande occidentale. En application du code pĂ©nal iranien, les responsables iraniens arguent que mĂȘme si une condamnation de lapidation Ă©tait prononcĂ©e par une cour de justice, elle serait immĂ©diatement annulĂ©e par une haute cour de justice[116].
Irak
En 2007, Doaa Khalil Assouad, une jeune fille de 17 ans membre d'une tribu de YĂ©zidi, non musulmane, fut lapidĂ©e au Kurdistan irakien par les membres de sa communautĂ©, dont des membres de sa famille, parce qu'elle aimait un musulman et Ă©tait accusĂ©e de s'ĂȘtre convertie Ă l'islam pour l'Ă©pouser. Ce meurtre a Ă©tĂ© filmĂ© Ă l'aide de tĂ©lĂ©phones portables, puis diffusĂ© sur Internet[117] - [118]. AprĂšs avoir reçu plusieurs coups de pied, elle est frappĂ©e Ă mort Ă coups de pierres et de blocs de bĂ©ton[119]. La police irakienne, prĂ©sente sur les lieux, n'est pas intervenue car il s'agissait d'un crime d'honneur[120].
En fĂ©vrier et mars 2012, au moins quatorze jeunes sont lapidĂ©s Ă Bagdad par des milices chiites pour avoir adoptĂ© le style occidental "emo" dans leurs vĂȘtements et leurs coiffures[121].
Un Irakien de 30 ans a Ă©tĂ© lapidĂ© Ă mort, le , dans la ville septentrionale de Mossoul, aprĂšs quâun tribunal instaurĂ© par Daech lâait condamnĂ© Ă mort pour le crime dâadultĂšre[122].
Nigeria
Depuis lâintroduction de la charia dans le nord (Ă prĂ©dominance musulmane) du Nigeria en 2000, plus dâune douzaine de musulmans nigĂ©rians ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă mort par lapidation pour des infractions sexuelles allant de lâadultĂšre Ă la sodomie. Cependant, aucune de ces peines nâa Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e. Elles ont Ă©tĂ© rejetĂ©es en appel et les coupables condamnĂ©s Ă des peines de prison ou laissĂ©s sans exĂ©cution, en partie Ă cause des pressions exercĂ©es par les groupes de dĂ©fense des droits de l'homme[123] - [124] - [125] - [126]. La condamnation Ă mort de Amina Lawal en 2002 au Nigeria (cassĂ©e en appel l'annĂ©e suivante) a Ă©tĂ© trĂšs mĂ©diatisĂ©e.
Soudan
En mai 2012, un tribunal soudanais a condamnĂ© Ă mort Intisar Sharif Abdallah pour adultĂšre ; les accusations ont Ă©tĂ© portĂ©es en appel et abandonnĂ©es deux mois plus tard[127]. En juillet 2012, un tribunal pĂ©nal de Khartoum, au Soudan, a condamnĂ© Ă mort Layla Ibrahim Issa Jumul, ĂągĂ©e de 23 ans, par lapidation pour adultĂšre[128]. Amnesty International a signalĂ© quâelle sâĂ©tait vu refuser un avocat pendant le procĂšs et quâelle avait Ă©tĂ© condamnĂ©e uniquement sur la base de ses aveux. Lâorganisation lâa dĂ©signĂ©e prisonniĂšre de conscience, "dĂ©tenue uniquement pour des relations sexuelles consensuelles", et a fait pression pour sa libĂ©ration[127]. En septembre, lâarticle 126 du Code pĂ©nal du Soudan (1991), qui prĂ©voyait la mort par lapidation pour apostasie, a Ă©tĂ© modifiĂ© pour prĂ©voir la mort par pendaison.
Dans l'Ătat islamique
Il a Ă©tĂ© fait mention de plusieurs lapidations par les djihadistes du groupe Ătat islamique gĂ©nĂ©ralement pour adultĂšre, pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage ou pour homosexualitĂ©[129] - [130] - [131].
En France
En 2004, lors de l'affaire Ghofrane Haddaoui, deux mineurs sont condamnés à 23 ans de prison pour la lapidation de la jeune fille qui avait refusé d'entretenir une relation sexuelle avec l'un des accusés[132] - [133]. Ce fait divers criminel provoque l'indignation sur la condition des jeunes filles d'origine musulmane des quartiers populaires en France[134].
Lutte contre la lapidation
La lapidation est condamnée par de nombreux groupes, religieux ou laïques, pour des raisons diverses. Certains groupes, comme Amnesty International et Human Rights Watch, sont opposés à toute forme de peine de mort.
Cette lutte est réactivée en août 2010 par les réactions à la condamnation à mort de Sakineh Mohammadi Ashtiani, une femme iranienne azérie, condamnée en 2006 pour adultÚre puis pour meurtre[135] - [136] - [137].
Notes et références
Notes
- L'Union des CongrĂ©gations hĂ©braĂŻques amĂ©ricaines est depuis longtemps opposĂ©e Ă la peine capitale. Nous croyons que c'est le devoir de la sociĂ©tĂ© d'Ă©voluer et de favoriser d'autres mĂ©thodes pour lutter contre la criminalitĂ© en essayant de la prĂ©venir par l'Ă©limination de ses causes, et en favorisant les mĂ©thodes modernes de rĂ©habilitation des criminels dans l'esprit de la tradition juive de Techouva qui signifie la repentance. Nous croyons, en outre, que la pratique de la peine capitale ne sert Ă rien. L'expĂ©rience dans plusieurs Ătats amĂ©ricains et dans d'autres pays a dĂ©montrĂ© que la peine capitale n'est pas un moyen de dissuasion efficace contre le crime. En outre, nous croyons que cette pratique avilit tout notre systĂšme pĂ©nal et brutalise l'esprit humain
- Certains juristes musulmans sont cependant en désaccord sur ce point, notamment les ouléma hanbalites Ibn Taymiyya et Ibn Qayyim al-Jawziyya, ainsi que Tabari.
-
« En effet, vous avez dans le Messager d'Allah un excellent modÚle [à suivre], pour quiconque espÚre en Allah et au Jour dernier et invoque Allah fréquemment. »
â Le Coran, « Les ConfĂ©dĂ©rĂ©s », XXXIII, 21, (ar) ۧÙŰŁŰŰČۧۚ
-
« Dis : « Obéissez à Allah et au Messager. Et si vous tournez le dos⊠alors Allah n'aime pas les infidÚles ! »
â Le Coran, « La Famille dâImran », III, 32, (ar) ŰąÙ ŰčÙ Ű±Ű§Ù
« Et obéissez à Allah et au Messager afin qu'il vous soit fait miséricorde ! »
â Le Coran, « La Famille dâImran », III, 132, (ar) ŰąÙ ŰčÙ Ű±Ű§Ù
« à les croyants ! Obéissez à Allah, et obéissez au Messager et à ceux d'entre vous qui détiennent le commandement. Puis, si vous vous disputez en quoi que ce soit, renvoyez-le à Allah et au Messager, si vous croyez en Allah et au Jour dernier. Ce sera bien mieux et de meilleure interprétation (et aboutissement). »
â Le Coran, « Les Femmes », IV, 59, (ar) ۧÙÙ۳ۧۥ
« à vous qui croyez ! Obéissez à Allah et à Son messager et ne vous détournez pas de lui quand vous l'entendez (parler). »
â Le Coran, « Le Butin », VIII, 20, (ar) ۧÙŰŁÙÙۧÙ
« Le jour oĂč leurs visages seront tournĂ©s et retournĂ©s dans le Feu, ils diront : « HĂ©las pour nous ! Si seulement nous avions obĂ©i Ă Allah et obĂ©i au Messager ! » »
â Le Coran, « Les ConfĂ©dĂ©rĂ©s », XXXIII, 66, (ar) ۧÙŰŁŰŰČۧۚ
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- Sakineh : "Ce verdict est en cours d'examen" affirme l'Iran, Le Monde, 28 août 2010
Annexes
Articles connexes
Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- Ce qui se fait en Iran
- Ce qui se fait au Nigeria
- Une pratique cruelle selon Amnesty Internationl