Hanbalisme
Le hanbalisme est, avec le malikisme, le hanafisme et le chaféisme, l'une des quatre écoles de jurisprudence (madahab) de l'islam sunnite.
PrĂŽnant l'origine divine du droit en rĂ©action au mutazilisme inspirĂ© par la philosophie grecque du VIIIe siĂšcle, le hanbalisme doit son nom Ă son thĂ©oricien, l'imam Ahmed ibn Hanbal (780-855). Ce dernier fut l'Ă©lĂšve de l'imam ash-ShĂąfi'Ăź, juriste fondateur de l'Ă©cole chafiâite.
La méthodologie de l'école hanbalite se fonde, tout comme les autres écoles de jurisprudence sunnites, sur la supériorité du Coran puis des ahadith sur les autres sources de loi. Toutefois, le hanbalisme est critique du recours au raisonnement par analogie (qiyas) lorsqu'il entre en conflit avec des ahadhith.
Le hanbalisme connaßt une véritable période d'effervescence intellectuelle du XIe au XIIe siÚcles, notamment en Irak[1]. Inspirés par la vie et le travail de l'imam Ahmed, le hanbalisme compte parmi ses penseurs des noms tels que Ibn Taymiyya, Ibn Aqil, Ibn Muflih Al Hanbali, Al-Khallal ou encore Ibn Rajab Al Hanbali.
Parfois décrite comme l'école de jurisprudence la plus conservatrice en ce qui concerne les rites de l'islam sunnite[2], le hanbalisme est toutefois la plus libérale dans les pratiques commerciales[3]. Cette école est aujourd'hui représentée essentiellement en Arabie saoudite ou au Qatar. De plus, durant le XVIIIe siÚcle naßt le courant réformiste du wahhabisme, se réclamant de l'école du hanbalisme[4].
En 2016, un concile, inaugurĂ© par le grand imam de l'Azhar, Ahmed al-Tayeb, rassemblant 200 personnalitĂ©s sunnites du monde entier, s'est rĂ©uni dans le but de dĂ©finir lâidentitĂ© de ceux qui se font connaĂźtre comme « les gens du sunnisme » par opposition aux diffĂ©rents groupes considĂ©rĂ©s Ă©garĂ©s. A l'issue de leurs travaux, les dignitaires sunnites ont convenu qu'au niveau du droit, les hanbalites sont bien des gens du sunnisme mais que les wahhabites et salafistes en sont exclus[5] - [6].
Formation du madhhab
Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de lâĂ©cole hanbalite, Ă©tait un disciple d'Ash-ShĂąfi'Ăź. Comme ShĂąfi'Ăź et Az-Zahiri, il Ă©tait profondĂ©ment prĂ©occupĂ© par lâextrĂȘme Ă©lasticitĂ© dĂ©ployĂ©e par de nombreux fuqaha de son temps, qui utilisĂšrent leur discrĂ©tion pour rĂ©interprĂ©ter les doctrines du QorÊŸÄn et des ahadith pour rĂ©pondre aux exigences des califes et des riches[7]. Ibn Hanbal prĂŽnait le retour Ă une lecture littĂ©rale du Coran et des Hadiths. InfluencĂ© par les dĂ©bats de son temps, il Ă©tait connu pour rejeter les dĂ©cisions religieuses (Ijtihad) du consensus des fuqaha de son temps, quâil considĂ©rait comme une thĂ©ologie spĂ©culative (KalĂąm). Le hanbalite Harawi (m. 1089) se mĂ©fiait du kalĂąm (thĂ©ologie) qui cherche Ă justifier rationnellement les dogmes[8]. Ibn Hanbal associa les fuqaha aux mu'tazila quâil mĂ©prisait. Ibn Hanbal Ă©tait Ă©galement hostile aux principes discrĂ©tionnaires de la jurisprudence (Usul al-Fiqh), dĂ©fendus principalement par les gens de la raison (en), Ă©tablis par AbĂ» HanĂźfa, bien quâil ait adoptĂ© la mĂ©thode dâAsh-ShĂąfi'Ăź dans lâUsul al-Fiqh. Il a liĂ© ces principes discrĂ©tionnaires au kalam. Son principe directeur Ă©tait que le QorÊŸÄn et la Sunna sont les seules sources appropriĂ©es de la jurisprudence islamique, quâils ont une autoritĂ© Ă©gale et quâils doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©s littĂ©ralement conformĂ©ment au credo athariste. Il croyait aussi quâil ne pouvait y avoir de vĂ©ritable consensus (IjmĂą') entre les juristes (Moujtahidoune) de son temps[7] et prĂ©fĂ©rait le consensus des compagnons de Mahomet (Sahaba) et des hadiths plus faibles. Lâimam Ahmad a lui-mĂȘme compilĂ© le Musnad, un texte avec plus de 30.000 dires, actions et coutumes de Mahomet[9].
Ibn Hanbal nâa jamais composĂ© une thĂ©orie juridique systĂ©matique rĂ©elle de lui mĂȘme, bien que ses disciples ont Ă©tabli une mĂ©thode systĂ©mique aprĂšs sa mort[10]. Une grande partie du travail de prĂ©servation de lâĂ©cole basĂ© sur la mĂ©thode dâIbn Hanbal a Ă©tĂ© Ă©tablie par son Ă©lĂšve Abu Bakr Al-Khallal (en); sa documentation sur les points de vue du fondateur a finalement atteint les vingt volumes[11]. La copie originale de lâĆuvre, qui Ă©tait contenue dans la Maison de la sagesse, a Ă©tĂ© brĂ»lĂ©e avec beaucoup dâautres Ćuvres littĂ©raires lorsque l'armĂ©e d'Houlagou Khan assiĂ©gea Bagdad en 656 AH / 1258. Le livre nâa Ă©tĂ© conservĂ© que sous une forme rĂ©sumĂ©e par le faqih hanbalite al-Khiraqi, qui avait accĂšs Ă des copies Ă©crites du livre dâal-Khallal avant le siĂšge[11].
Les relations avec le califat abbasside Ă©taient difficiles pour les hanbalites. Sous la direction de lâĂ©rudit hanbalite Al-Hasan ibn 'Ali al-Barbahari (en), lâĂ©cole formait souvent des foules de partisans Ă Bagdad au IVe / Xe siĂšcle qui sâengageaient dans la violence contre dâautres sunnites soupçonnĂ©s de commettre des pĂ©chĂ©s ainsi que contre tous les chiites[12]. Pendant quâal-Barbahari dirigeait lâĂ©cole de Bagdad, des boutiques ont Ă©tĂ© pillĂ©es[13], des femmes artistes ont Ă©tĂ© attaquĂ©es dans les rues[13], les dolĂ©ances populaires parmi les classes infĂ©rieures ont Ă©tĂ© instrumentalisĂ©es comme source de mobilisation[14] et le chaos public gĂ©nĂ©ralisĂ© s'est ensuivi[15]. Leurs efforts causeront leur propre perte en 323 AH / 935, quand une sĂ©rie dâinvasions de domicile et d'Ă©meutes de la part des partisans dâal-Barbahari en plus de points de vue perçus comme dĂ©viants conduisirent le calife Ar-Radi Ă condamner publiquement le madhhab dans son ensemble et Ă mettre fin Ă son patronage officiel par les organismes religieux de lâĂtat[15]. Lorsque les Abbassides crĂ©Ăšrent la Haute Cour de justice, ils en exclurent ainsi systĂ©matiquement les juges hanbalites, ne laissant que ceux des trois autres madahib[16].
Sources et méthodologie
Comme pour les autres madhhabs, l'enjeu est de fonder une méthode juridique permettant de juger et de légiférer en conformité avec l'Islam. Pour Ahmad, l'ordre des textes à consulter est le suivant :
- Le Coran : c'est la source premiĂšre qui prime en toutes circonstances.
- La sunna : la sunna est l'autre source fondamentale, à la seule condition que, selon l'imam Ahmad, le hadith soit attribué directement au ProphÚte de l'islam.
- L'Ijma' (consensus des compagnons) : l'opinion unanime des compagnons de Mahomet (sahaba) sur un point donné non mentionné dans une source précédente est la troisiÚme source de droit. Cependant il rejette comme inexacte toute revendication d'ijmù' autre que ceux des sahaba, car trop de savants sont éloignés les uns des autres, et obtenir un consensus est presque impossible.
- L'opinion individuelle d'un compagnon : si des compagnons diffĂšrent sur un point, il accepte tous les avis tout comme l'imam Malik. On retrouve ainsi dans ce madhhab plusieurs avis pour un seul problĂšme.
- Le hadith faible (da'Ăźf) : si, pour un cas Ă traiter, aucun des quatre principes prĂ©cĂ©dents ne fournit de solutions, l'imam Ahmad prĂ©fĂšre utiliser un hadith da'if plutĂŽt que se fier Ă la dĂ©duction personnelle (qiyĂąs). Bien entendu, les narrateurs rapportant un tel hadith da'Ăźf ne doivent pas ĂȘtre fĂąssiq (pervers) ou kadh'dhĂąb (menteurs). Ă noter que le hadith faible pour l'imam Ahmad est le hadith mursal et non pas le hadith faible comme nous le connaissons actuellement, car lui le rejetait tout simplement.
- Le Qiyas (raisonnement par analogie) : en derniers recours, l'imam Ahmad applique ce principe bien qu'Ă contre-cĆur. Ce principe est celui qui permet la jurisprudence sur les cas non inclus dans le Coran; son rejet a pour but de limiter le plus possible l'innovation juridique par rapport Ă la charia[4].
Postérité
Des orientalistes comme Henri Laoust, Georges Makdisi, Ali Merad ou Charles Saint-Prot ont démontré la richesse de la pensée du hanbalisme dont se sont souvent inspiré les grands réformistes du début du XXe siÚcle : Al Afghani, Mohammed Abdou ou encore Rachid Rida. Bien que minoritaire dans la population musulmane mondiale (8,5 %), le hanbalisme domine la Péninsule arabique (il est à l'origine du wahhabisme saoudien) et fait partie intégrante du soft power arabo-saoudien sur l'ensemble des pays musulmans.
ĂlĂšves et juristes cĂ©lĂšbres
- Abd al Qadir al-Jilani, fondateur de la tariqa soufie Qadiriyya
- Al Khiraqi
- Al QĂądĂź AbĂ» Ya'lĂą
- Ibn Qayyim al-Jawziyya
- Ibn Qudama Al-Maqdisi
- Ibn Rajab Al Hanbali (en)
- Ibn Taymiyya (mort en 728/1328).
- Sibt ibn al-Jawzi
- Zayn Ud DĂźn Al ĂmidĂź
Quelques contemporains connus
- AbĂ» Ja'far Al HanbalĂź
- Muhammad Al SayyĂźd al AzharĂź
- Yûsuf Ibn Sùdiq al Hanbalß
- KĂąmila al KawĂąrĂź
- Mûsù Furber
- Ahmad Al Qu'eymi
- Mutlaq Al Jaser
- Amer Al Bahjat
- Abdessalam Al Chuey'ir
Notes et références
- (en) « Hanbali school | Definition & Facts », sur Encyclopedia Britannica (consulté le )
- Yves Thoraval, « កanbalite école », sur EncyclopÊdia Universalis (consulté le )
- « Hanbali School of Law - Oxford Islamic Studies Online », sur www.oxfordislamicstudies.com (consulté le )
- Dominique Sourdel, L'islam, Paris, PUF, Que sais-je?, , p. 48.
- « Schisme en Islam : le Wahhabisme exclu du sunnisme », sur Metamag (consulté le )
- "Islamic conference in Chechnya: Why Sunnis are disassociating themselves from Salafists" Sep, 09 2016 | He stated: âAhluls Sunna wal Jamaâah are the Ashâarites or Muturidis (adherents of Abu Mansur al-Maturidi's systematic theology which is also identical to Imam Abu Hasan al-Ash'ariâs school of logical thought). In matters of belief, they are followers of any of the four schools of thought (Hanafi, Shafâai, Maliki or Hanbali) and are also the followers of pure Sufism in doctrines, manners and [spiritual] purification.
- Chiragh Ali (en), The Proposed Political, Legal and Social Reforms, in Modernist Islam 1840-1940: A Sourcebook, pp. 281-282 Edited by Charles Kurzman (en), Oxford University Press, (2002)
- Louis Gardet, Introduction à la théologie musulmane : 1re partie, ch. I, (lire en ligne), p. 31
- Ramadan, Hisham M., Understanding Islamic law : from classical to contemporary, AltaMira Press, (ISBN 0-7591-0990-7, 9780759109902 et 0759109915, OCLC 62281866, lire en ligne), p. 24-29
- I. M. Al-Jubouri, Islamic Thought: From Mohammed to September 11, 2001, pg. 122. Bloomington: Xlibris, 2010. (ISBN 9781453595855)
- Abu Zayd Bakr bin Abdullah, Madkhal al-mufassal ila fiqh al-Imam Ahmad ibn Hanbal wa-takhrijat al-ashab. Riyad: Dar al 'Aminah, 2007.
- Kraemer, Joel L., Humanism in the renaissance of Islam : the cultural revival during the Buyid age, E.J. Brill, (ISBN 90-04-09736-8 et 9789004097360, OCLC 26552873, lire en ligne), p. 61
- Christopher Melchert, Studies in Islamic Law and Society, vol. 4, pg. 151. Leiden: Brill Publishers, 1997.
- Lapidus, Ira M. (Ira Marvin), Islamic societies to the nineteenth century : a global history, Cambridge University Press, (ISBN 978-1-139-83967-9 et 1139839675, OCLC 818658294, lire en ligne), p. 192
- Joel L. Kraemer, pg. 62.
- Brahami, Mostafa Suhayl,, Evolution historique du fiqh les six grands imams : Abou Hanifa, Malik, Zayd, Ja'far, Shafii, Ahmed et les autres, Tawhid, , 431 p. (ISBN 978-2-84862-235-4 et 2848622350, OCLC 949179433, lire en ligne), p. 356
Voir aussi
Bibliographie
- Raf al Malam an Aimmat al Alam
- At Tahbir Sharh at Tahrir
- Henri Laoust, « Le Hanbalisme sous le califat de Bagdad », Revue des Ă©tudes islamiques, t. XXVII,â , p. 67-128
- Henri Laoust, « Pluralismes dans lâIslam », Revue des Ă©tudes islamiques - hors sĂ©rie 15, Paris, Geuthner,â
- Georges Makdisi, LâIslam hanbalisant, Paris, Geuthner,
- Charles Saint-Prot, Islam. L'avenir de la Tradition entre révolution et occidentalisation, Paris, Le Rocher,
- Mohammad AoĂ» Zahra (trad. de l'arabe par Michel Galloux), L'imam Ibn Hanbal : sa vie et son Ă©poque, Paris, Al Qalam, , 519 p. (ISBN 978-2-909469-65-2)