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Abd al Qadir al-Jilani

Muáž„iy al-dÄ«n ÊżAbd al-Qādir AbĆ« Muáž„ammad ibn ÊżAbu Sāliáž„ ibn ÊżAbd Allah ibn JangÄ«dƍst ibn AbÄ« ÊżAbd Allah ibn ÊżAbd Allah al-Jili ou al-Jilani, dit Abd al Qadir al-Jilani (arabe : Űčۚۯ Ű§Ù„Ù‚Ű§ŰŻŰ± Ű§Ù„ŰŹÙŠÙ„Ű§Ù†Ù‰) est un soufi et prĂ©dicateur hanbalite, nĂ© en 1077-1078, trĂšs probablement dans la province de Gilan[2] (Iran), mort en 1166 et enseveli Ă  Bagdad. Il est le fondateur de la confrĂ©rie Qadiriyya. Il occupe une place importante dans l’histoire du soufisme.

Abd al Qadir al-Jilani
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
Nom dans la langue maternelle
Űčۚۯ Ű§Ù„Ù‚Ű§ŰŻŰ± Ű§Ù„ŰŹÙŠÙ„Ű§Ù†ÙŠ ou ŰčŰšŰŻŰ§Ù„Ù‚Ű§ŰŻŰ± ÚŻÛŒÙ„Ű§Ù†ÛŒ Shaikh Abdul qadir jilani
Activités
Famille
Lalla Setti (fille cadette) [1]
PĂšre
Abu Saleh (d)
Autres informations
Étape de canonisation
MaĂźtres
Abu Saeed Mubarak Makhzoomi (en), Abu-'l-Wafāʟ ÊżAlÄ« Ibn-ÊżAqÄ«l (en)
Vue de la sépulture.
Coupole du tombeau de Abd-al-QĂądir al-JilanĂ­, Ă  Bagdad.

Biographie

Abd al Qadir al-Jilani est né dans la région de Gilan, au sud de la mer Caspienne. Ses hagiographes ont fait remonter son lignage (silsila) à Hasan, le fils d'Ali et petit-fils du prophÚte Mahomet.

À l'Ăąge de dix-huit ans, il est envoyĂ© Ă  Bagdad pour approfondir ses Ă©tudes dans le droit hanbalite. Il fait ensuite le pĂšlerinage Ă  la Mecque puis se marie. Il aura une descendance trĂšs nombreuse (49 fils)[3]. Il Ă©tudie aussi le soufisme et, vers 1100, il reçoit le manteau (khirqa), signe d'autoritĂ© spirituelle dans ce courant, de la part non pas de son maĂźtre spirituel, mais d'un cadi hanbalite[3]. Par cette double ascendance, il parvient Ă  concilier l’orthodoxie et le mysticisme, et Ă  libĂ©rer le soufisme de l'hĂ©rĂ©sie[4]dont on l'accuse.

AprĂšs quoi, il mĂšne pendant environ vingt-cinq ans une vie d'errant dans le dĂ©sert irakien[3]. C'est en 1127 — il a alors cinquante ans — qu'il rĂ©apparaĂźt Ă  Bagdad, oĂč il devient un maĂźtre populaire. Son talent oratoire lui assure une grande rĂ©putation et pousse de nombreux disciples Ă  suivre son enseignement. Dans l'assistance qui vient Ă©couter ses sermons, on trouve bien sĂ»r des musulmans, mais aussi des chrĂ©tiens, et des gens de toutes classes — nobles, fermiers, marchands, artisans. TouchĂ©s par les paroles du maĂźtre, ces gens modifient en consĂ©quence leur vie.

En 1134, on construit pour lui, sa famille et ses disciples une Ă©cole (madrasa) Ă  laquelle se rattache un couvent (khanqa )[3].

Contexte

Avant le XIIe siĂšcle, le soufisme est une affaire d’ascĂštes isolĂ©s, en marge du commun des musulmans. Cette attitude de retrait suscitait Ă  la fois de la fascination, surtout de la part de la population Ă  l’égard de ces sages ermites retirĂ©s du monde, et de la dĂ©sapprobation voire des critiques acerbes envers leurs actes et paroles, notamment de la part des savants de la religion. Ceux-ci dĂ©nonçaient une pensĂ©e et surtout des usages qui n’avaient que de vagues atours coraniques ; ces pratiques Ă©taient des innovations dans l'islam, inconnues du temps du prophĂšte Mohamed et non prescrites par lui.

Les premiers siĂšcles de l’islam sont conjointement tĂ©moins de la croissance d’une religion et d'une civilisation qui se cherchent une forme politique, Ă©conomique et lĂ©gislative mais aussi une forme de spiritualitĂ© spĂ©cifique, dĂ©jĂ  marquĂ©e par les diffĂ©rentes aires culturelles qu'embrasse l’islam classique (VIIe - Xe siĂšcle). C’est dans cette pĂ©riode que parallĂšlement se structure la loi religieuse (charia) et que se dĂ©couvrent les « sentiers de la Gnose ». Naturellement, ce n’est qu’aprĂšs avoir goĂ»tĂ© Ă  la voie spirituelle que les Ă©crits des premiers soufis voient le jour, tĂ©moins imparfaits mais prĂ©cieux pour le cheminant, dĂ©sireux (murid) d’approcher la voie soufie et de peut-ĂȘtre rencontrer un maĂźtre (cheikh).

Les premiers grands ouvrages du soufisme circulent dans tout le monde musulman et des Ă©coles rĂ©putĂ©es Ă©mergent rapidement. Bagdad est alors l’un des berceaux du soufisme de la premiĂšre heure. C’est ici, dans la capitale abbasside, au plus prĂšs exposĂ©es aux rĂ©probations des oulĂ©mas, que les plus importantes rĂ©flexions sur le soufisme ont lieu. Est-ce orthodoxe ou non ? Qu’est-ce que le ravissement extatique ? Est-ce prĂ©vu par la loi ou est-ce une innovation ? Quel est le but du soufisme ? Et la place des guides spirituels ? Sont-ce de nouveaux prophĂštes en puissance ?

Cette Ă©poque d’explicitation du soufisme et de ses mobiles va se poursuivre encore pendant plusieurs siĂšcles Ă  travers Ă  la fois des synthĂšses successives mais aussi des traitĂ©s de mĂ©taphysique trĂšs Ă©laborĂ©s (Ibn ArabĂź, 1165-1240). ParallĂšlement, le XIIe siĂšcle voit progressivement s’intĂ©grer le soufisme dans l’espace civil de la citĂ© musulmane. Ce processus va s’accompagner progressivement d’une mutation structurelle des voies soufies, de mieux en mieux organisĂ©es bien que ne laissant pas encore prĂ©sager des futurs « ordres » dont on pourra constater l'importance dans les sociĂ©tĂ©s musulmanes dĂšs le XVIe siĂšcle, ne serait-ce que par les complexes monumentaux qui leur seront attribuĂ©s dans l’espace urbain (Waqf).

L’Ɠuvre d’Abdel Qadir al-Jilani s’inscrit pleinement dans cette visĂ©e et inaugure prĂ©cisĂ©ment une nouvelle Ăšre, celle des grands maĂźtres fondateurs de confrĂ©ries.

Biographie d'aprĂšs les sources hagiographiques

Enfance et jeunesse

Muhyiddine Abdel Qadir al-Jilani est originaire de Niff, une petite ville de la province du Gilan (ou Djilan), au sud-ouest de la mer Caspienne. Il serait nĂ© en 470 de l'hĂ©gire, soit en 1077 ou 1078 du calendrier grĂ©gorien (bien que d’autres sources mentionnent 1083). Par son pĂšre, Abd al Qadir descendait d’Ali ibn Abi Talib, gendre de Mahomet. Fatima, sa mĂšre, le mit au monde Ă  l'Ăąge de soixante ans. Elle-mĂȘme descendait aussi, par son propre pĂšre, d’Ali via al-Hussein ibn Ali.

On rapporte qu’Abdel Qadir naquit au mois de ramadan, et que l’enfant ne voulut pas prendre le sein avant le coucher du soleil. L'annĂ©e suivante, les habitants de Niff n’ayant pu apercevoir la lune Ă  cause du ciel voilĂ©, Ă©taient dans l'incertitude pour commencer leur jeĂ»ne. Ils eurent l'idĂ©e de s'adresser Ă  la mĂšre d'Abdel Qadir, pour s'enquĂ©rir si son enfant avait acceptĂ© ou non d'ĂȘtre allaitĂ© [5].

Encore tout petit enfant, il apercevait des ĂȘtres spirituels, que ne pouvait voir son entourage. Lorsqu'il eut l’ñge de frĂ©quenter l'Ă©cole, il vit Ă  plusieurs reprises ces ĂȘtres l’accompagner. À dix-sept ans, un Ă©trange Ă©vĂ©nement se produisit, qui devait avoir sur sa destinĂ©e une importance exceptionnelle : on se trouvait Ă  la veille d'une fĂȘte et Abdel Qadir avait voulu profiter de ces heures de libertĂ© pour se promener seul dans les jardins et la campagne avoisinante. Sur sa route, devant lui, un bƓuf paissait dans une prairie. PlongĂ© dans une vague rĂȘverie, notre promeneur le considĂ©rait sans trop d’égards, lorsque soudain l'animal lui fit face et il l'entendit lui dire Ă  haute et intelligible voix : « Ta mission n'est pas d'ĂȘtre laboureur ». Puis, il se sentit envahi par une violente et indescriptible Ă©motion, qui se traduisait par des sanglots et des larmes, qu'il Ă©tait impuissant Ă  maĂźtriser. EffrayĂ© par ce prodige, et pour cacher son trouble, il regagna prĂ©cipitamment sa maison et courut d'un trait se rĂ©fugier sur la terrasse, oĂč il espĂ©rait pouvoir retrouver son calme et rassembler ses esprits. Mais quelle ne fut pas sa surprise ! Lorsque ses regards se portĂšrent sur l'horizon, qui lui Ă©tait pourtant bien familier, il aperçut un tout autre paysage. Ce n'Ă©tait plus Niff et sa campagne, mais le mont Arafat, avec des milliers et des milliers de pĂšlerins marchant en procession compacte ; ils se dĂ©plaçaient en rangs serrĂ©s, se rendant Ă  La Mecque. ProfondĂ©ment troublĂ© par ce prodige, il alla tout confier Ă  sa mĂšre. Par la suite, il dut la supplier de le laisser partir pour Bagdad, afin qu'il aille s'instruire dans une Ă©cole de droit et frĂ©quenter les saints personnages rĂ©putĂ©s de cette Ă©poque. Sa mĂšre, se rĂ©signa Ă  son dĂ©part et lui remit tout ce qu'elle possĂ©dait. Abdel Qadir prit la moitiĂ© de cette somme et laissa l’autre moitiĂ© pour son frĂšre. Fatima enferma alors l’argent de son fils dans un sachet qu’elle cousit soigneusement sous l’aisselle, dans la couture de la manche de son vĂȘtement. Elle lui fit Ă©galement faire le serment de ne jamais s'Ă©carter du sentier de la droiture et de ne jamais mentir.

En ces temps lointains, les voyages n'Ă©taient pas choses faciles. On devait attendre le dĂ©part d'une caravane et s'y joindre. L’escorte avait Ă  peine quittĂ© la ville qu’elle fut rejointe par des brigands montĂ©s sur des chevaux. AprĂšs avoir razziĂ© tout ce que comportait la caravane, l’un des brigands alla demander une derniĂšre fois si l’assemblĂ©e leur avait cachĂ© quelque chose ; mais ce dernier n'avait pas aperçu dans ce bagage quoi que ce fut de quelque valeur et il allait passer outre lorsque Abdel Qadir avoua recĂ©ler sur lui 40 piĂšces d'or. Surpris qu'un jeune homme si modestement Ă©quipĂ© porte sur lui une somme pareille, il crut Ă  une plaisanterie et en fit rapport Ă  son chef qui lui fit la mĂȘme question. FidĂšle Ă  son serment, Abdel Qadir dĂ©clara ĂȘtre porteur de 40 dirhams que sa mĂšre avait enfermĂ©s et cousus sous son aisselle dans la couture de sa veste. Ce qui fut constatĂ© par les bandits stupĂ©faits de l'innocence et de la franchise du jeune homme. Le chef de cette bande de pillards alla alors l’interroger et voulut savoir pourquoi il n’avait pas tentĂ© de conserver son argent si bien cachĂ© en gardant le secret. Abdel Qadir conta alors son histoire, et le serment qu'il avait fait Ă  sa mĂšre, de ne jamais mentir ni s'Ă©carter du droit chemin. Ce rĂ©cit fit une telle impression sur le cƓur de cet homme, que dĂšs cet instant, il renonça Ă  la vie criminelle qu'il menait. De mĂȘme que tous ses acolytes.

Bagdad

Abdel Qadir s'Ă©tait rendu Ă  Bagdad dans l'intention d'y Ă©tudier le droit musulman. Mais Ă  quelle Ă©cole ? Beaucoup de grands savants y enseignaient, chacun suivant le rite de son fondateur. À la Nizzamiyya, principalement, de renommĂ©s savants tels qu'Abu Hamid al-Ghazali (m. en 1111), ainsi que Tabari, brillaient tels de lumineux flambeaux Ă  leur chaire. Mais ces maĂźtres enseignaient le droit chafĂ©ite et notre jeune Ă©tudiant ambitionnait lui d'Ă©tudier les sciences juridiques des Hanbalites qui Ă©taient appliquĂ©es dans la rĂ©gion d'origine d'Abdel Qadir, le Jilane. Toujours est-il que c’est au dĂ©but de l'annĂ©e 1095, alors que le jeune Abdel Qadir s'apprĂȘtait Ă  faire sa rentrĂ©e, qu’un Ă©vĂ©nement impressionna fortement le monde universitaire de Bagdad : Ghazali, l'illustre professeur de la Nizamiyya s'Ă©tait dĂ©mis de ses fonctions et les avait confiĂ©es par intĂ©rim Ă  son frĂšre Ahmed pour fuir la capitale des califes. Cet Ă©vĂ©nement Ă©tait devenu un fait de premier ordre pour les milieux scientifiques de Bagdad et chacun Ă©tait anxieux de pĂ©nĂ©trer les raisons qui avaient dĂ©terminĂ© cette brusque retraite de Ghazali. Peut-ĂȘtre, pensait-on, redoutait-il de perdre l’appui et l’estime des dirigeants ? Peut-ĂȘtre craignait-il quelques mauvais traitements de leur part ? Quelles pouvaient ĂȘtre ses craintes et le motif rĂ©el qui l’avait incitĂ© Ă  quitter la ville ? D’autant que les grands oulĂ©mas n'avaient en rien changĂ© leur opinion et gratitude envers Ghazali qui conservait toujours les mĂȘmes Ă©gards. Dans un ouvrage, Ghazali nous en donne lui-mĂȘme l'intime raison.

Il faisait observer que les connaissances acquises par l’expĂ©rience ne correspondent pas toujours Ă  la rĂ©alitĂ©, qu'il se devait de rectifier ces erreurs des sciences Ă  l’aide de la raison. Mais, ajoutait-il, cette raison est-elle un guide sĂ»r ? C'est en se posant ces questions que Ghazali s'Ă©tait senti entraĂźnĂ© par le dĂ©sir d'atteindre la certitude absolue et qu'il avait abandonnĂ© non seulement l'universitĂ© mais encore sa famille, et cela pour pĂ©nĂ©trer dans un nouveau monde plein de solitude et de recueillement. Avant cette prise de dĂ©cision, la vie professionnelle de Ghazali Ă©tait ponctuĂ©e d'Ă©preuves morales autant que physiques des plus poignantes. Sa santĂ©, tout d'abord, s'Ă©tait Ă  ce point altĂ©rĂ©e qu'elle lui refusait tout repos ainsi que la possibilitĂ© de s'alimenter. Au point culminant de cette crise, il lui devenait mĂȘme impossible de donner ses leçons car il perdait l'usage de la parole. C'est pour cela qu'il consentit Ă  tout abandonner.

Le jeune Abdel Qadir, Ă  l'image du tout Bagdad fut profondĂ©ment impressionnĂ© par cet Ă©vĂ©nement. Dans le mĂȘme temps, l'Ă©tudiant vit qu'il pouvait lĂ©gitimement se demander s'il pourrait un jour trouver sa place parmi les grands professeurs de la mĂ©sopotamienne capitale. Car Ă  cette Ă©poque, de nombreux hommes de gĂ©nie rivalisaient dans diverses disciplines, tant et si bien qu'il semblait impossible de marcher sur leur brisĂ©s, se fondre Ă  leur suite.

En matiĂšre d'exĂ©gĂšse, Ghazali semblait d’abord avoir parachevĂ© une Ɠuvre colossale mais d'autres grands noms s'Ă©taient Ă©galement illustrĂ©s. Dans les Hadiths, les Sahih et les Musned Ă©taient publiĂ©s depuis longtemps. Quant aux sciences de la jurisprudence, de cĂ©lĂšbres docteurs s'Ă©taient dĂ©jĂ  distinguĂ©s. Dans la thĂ©ologie, les Bagdadis avaient dĂ©jĂ  entendu les cours d’Abu Hassan al-Achari (Cf. Acharisme), Cherrestani, ou encore de Ghazali. En philosophie, c'Ă©tait toujours dans l’ombre du savant philosophe Avicenne (m. en 950) que tous les autres Ɠuvraient. En littĂ©rature, Zamakhshari (m. en 1075) avait publiĂ© ses « colliers d'or ». Tous ces ouvrages Ă©taient dĂ©jĂ  entre les mains d'un innombrable public, les Ă©galer paraissait bien difficile, et les surpasser demeurait presque impossible.

Il advint aussi qu’une fois ses maigres ressources Ă©puisĂ©es, la misĂšre vint toucher le jeune Abdel Qadir. En quĂȘte de nourriture, celui-ci sortait alors vers les bords du Tigre ou Ă  la campagne Ă  la recherche des dĂ©chets de lĂ©gumes et de salades laissĂ©s par les cultivateurs. En d'autres temps, c'Ă©tait les fruits du caroubier qui lui servaient d’aliments. À peine vĂȘtu, il circulait pieds nus dans les sables, les pierres, les ronces, les Ă©pines des chemins. N'ayant pas de domicile, il passait ses nuits par la ville, dans les ruines de MadaĂŻne.

Pour comble d’infortune, il Ă©tait frĂ©quemment sujet Ă  des Ă©vanouissements, des dĂ©faillances, voire des extases qui se prolongeaient parfois durant de longues heures. Il avait alors toutes les apparences d’avoir cessĂ© de vivre. Il arriva une fois oĂč ces Ă©tats de lĂ©thargie se prolongĂšrent tant que ceux qui le virent le crurent rĂ©ellement mort et firent procĂ©der aux soins mortuaires puis l’emmenĂšrent au cimetiĂšre avant qu’un ultime remuement de paupiĂšres lui Ă©vitĂąt l'enfouissement. Parfois il Ă©prouvait aussi l’étrange sensation qu’un poids incommensurable retombait sur ses Ă©paules, tel une montagne renversĂ©e sur lui. Pendant ce genre de crise il se jetait Ă  terre et rĂ©citait ces versets coraniques :

« Et en vĂ©ritĂ©, Ă  cĂŽtĂ© de l’adversitĂ© est l’aisance, oui Ă  cĂŽtĂ© de l’adversitĂ© est le bonheur ! » 94: 5-6.

Entravé par tant de misÚre et de souffrance, il se demanda alors comment fréquenter les écoles et poursuivre ses études.

ParallĂšlement, en ce qui concerne la capitale des califes, sa dĂ©sillusion allait grandissante. Était-ce vraiment la sainte mĂ©tropole cĂ©lĂ©brĂ©e comme Ă©tant Le chĂąteau des saints ? Quel contraste frappant entre quelques scĂšnes de vie de Bagdad et la vie si simple Ă  laquelle il Ă©tait accoutumĂ© dans les vallĂ©es vertes et paisibles du Djilane ! Les flots berceurs de la mer Caspienne et les chanteurs ailĂ©s des grands chĂȘnes des montagnes de son pays, lui avaient fait entendre une mĂ©lodie autrement douce et suave auprĂšs de laquelle celle du mouvement de Bagdad n’était que bruit dĂ©testable et odieux !

Dans la Bagdad du XIIe siĂšcle, de nombreux Ă©crivains chantaient et cĂ©lĂ©braient en des strophes Ă©tourdissantes le vin prohibĂ©. N'avait-on pas vu un des fils du calife, un prince hĂ©ritier du trĂŽne, porter des toasts en l'honneur des ghulamates, Ă  savoir ces jolis pages travestis en femmes ! Toutes les scandaleuses aventures contĂ©es et attribuĂ©es Ă  tant de cĂ©lĂ©britĂ©s seraient-elles donc vraies ?, se demandait notre exilé 

D'ailleurs, prĂ©cisĂ©ment l'annĂ©e oĂč Abdel Qadir faisait son entrĂ©e Ă  Bagdad en 1095, Abdel Malik, vizir du calife al Mustansir n'avait-il pas permis l'inauguration d'un emplacement hors la ville oĂč le peuple Ă©tait autorisĂ© Ă  aller « s’ébattre, danser et chanter et se livrer Ă  tous les jeux que lui inspire sa fantaisie » ?

Bagdad a en effet Ă©tĂ© chantĂ©e jusqu'Ă  l'exaltation par diffĂ©rents poĂštes, d'autres l'ont chantĂ© sans indulgence et ne semblent avoir connu d’elle que l'angoisse et l’amertume. Parmi les nombreuses poĂ©sies dĂ©diĂ©es Ă  Bagdad, l'une d'elles commence par ces mots :

"Le messager de la mort s'était déjà levé contre la ville Bagdad ; or, que celui qui la pleure verse des larmes sur elle à cause de la dévastation du temps. (
)"

Et une autre :

"Bagdad est une demeure vaste pour les riches ; mais pour les pauvres c'est l'application de la gĂȘne et de l'angoisse. J’errais Ă©garĂ© dans ses rues, comme si j’eusse Ă©tĂ© un exemplaire du Coran dans la maison d'un athĂ©e."

Cette derniĂšre poĂ©sie semble faite tout exprĂšs pour Abdel Qadir. Lui aussi se sentait Ă©garĂ©, perdu ! Il se disait que dans cette ville devenue si dĂ©pravĂ©e, au sein d'une sociĂ©tĂ© pareille, comment pouvait-il gagner honnĂȘtement un morceau de pain, lĂ©gitimement acquis, et le consommer sans remords ? Alors un beau matin, lui aussi s'enfuit de Bagdad.

À l’heure la plus matinale, Abdel Qadir s’apprĂȘtait Ă  quitter Bagdad. Mais avant qu'il pĂ»t franchir la porte Halbeh, un choc des plus violents, le fit s’écrouler Ă  terre. Pensant avoir eu affaire Ă  un passant trop pressĂ©, il se releva pour reprendre sa route. LĂ  encore il dut s'arrĂȘter et cĂ©der le pas Ă  un inconnu qui semblait se faire un jeu de sa tentative de passer. Un troisiĂšme essai fut plus dĂ©cisif encore car Ă  ce moment un pouvoir Ă©trange qui Ă©manait de cet inconnu, immobile devant lui, paralysait ses membres et sa volontĂ©. De lui Ă©manait encore un ordre, celui de « demeurer Ă  Bagdad pour prĂ©parer une Ɠuvre dont les hommes plus tard lui sauraient grĂ© ». Puis, de mĂȘme qu'Ă  Niff, il se sentit pĂ©nĂ©trĂ© d’une Ă©motion aussi puissante qu’indĂ©finissable tandis que l’inconnu disparaissait. AprĂšs un tel Ă©vĂ©nement, Abdel Qadir renonça Ă  son dĂ©part. Il se sentait destinĂ© Ă  devoir se rĂ©signer, Ă  supporter toutes les difficultĂ©s, quelles qu'elles fussent.

Le pĂŽle de son temps

Reprenant ses Ă©tudes de droit, il s’enquit parallĂšlement de la guidance d’un maĂźtre Ă  qui il confia son Ă©ducation spirituelle. Ce guide s’appelait Hammad al-Dabbas. HĂ©las, les adeptes de ce dernier manifestĂšrent une irrĂ©pressible mĂ©fiance Ă  l'Ă©gard de ce jeune homme vouĂ© Ă  une autre profession. En effet, n’était-il pas Ă©tudiant en droit ? Son penchant pour la voie spirituelle pouvait bien paraĂźtre sujet Ă  caution. Ils s’acharnaient donc en attaques grossiĂšres ou violentes pour dĂ©courager ce nouveau venu indĂ©sirable et l’écarter de leur milieu. Le maĂźtre rĂ©primandait Ă©videmment ces tourmenteurs bien que lui-mĂȘme ne fut pas sans lui avoir causĂ© quelques peines mais dans le but exprĂšs de l'Ă©prouver et de sonder sa sincĂ©ritĂ© et non de saper sa dĂ©marche spirituelle. Parmi ces Ă©preuves initiatiques, il en est une qui relate l'Ă©vĂ©nement selon lequel le maĂźtre fit tomber le jeune Abdel Qadir depuis un pont jusque dans l'eau glacĂ©e du Tigre. MalgrĂ© ce bain glacĂ© et les frissons qui le secouaient, il sortit de l’eau, tordit paisiblement sa robe pour en extraire l'eau et la remit sur son corps avec un visage empreint de la mĂȘme affection, inchangĂ©e, pour son maĂźtre.

Des annĂ©es plus tard, aprĂšs une longue retraite de vingt-cinq ans dans le dĂ©sert irakien, la voix mystĂ©rieuse revint frĂ©quenter l’esprit d’Abdel Qadir, devenant chaque jour plus impĂ©rieuse, lui commandant d’aller prĂȘcher sans plus tarder Ă  Bagdad.

Dans une apparition, le ProphĂšte vint en personne lui prodiguer des formes d'encouragement. Puis un grand saint du nom de Youssouf de Hamadan, considĂ©rĂ© comme le pĂŽle du moment lui avait renouvelĂ© une parole rĂ©confortante ainsi que des conseils. Abdel Qadir vint lui rendre visite et lui confia tout ce qu'il ressentait et les manifestations dont il Ă©tait l’objet. Le cheikh lui rĂ©pondit :

« Puisque tu possĂšdes la lumiĂšre de la jurisprudence et du Coran, tu peux maintenant prĂȘcher au peuple. N’hĂ©site plus sur aucun point ! Monte en chaire. Je vois en toi une souche qui va devenir un superbe palmier. »

Il retrouva donc Bagdad oĂč il commença Ă  prĂȘcher sous les murs de la capitale. Il acquit rapidement la rĂ©putation d’un trĂšs grand savant, spĂ©cialiste du droit hanbalite, doublĂ© d’un Ă©ducateur dans la voie soufie connu pour son ascĂ©tisme.

Les auditeurs augmentĂšrent en nombre tant et si bien qu'il dut se dĂ©placer vers la place publique, puis de lĂ , Ă  l'intĂ©rieur des murs, quand la nuit venue, Ă  la lueur des torches et des lanternes, le peuple avide de sa parole venait encore prĂšs de lui pour l’écouter. Un jour vint oĂč l'assistance se fit si nombreuse qu’il dut se mettre en quĂȘte d'un plus vaste espace. Alors il installa sa chaire sur une grande esplanade qui se trouvait hors de la ville.

À cet orateur de carrefour et de plein air, le monde universitaire de Bagdad avait tout d'abord tĂ©moignĂ© une sceptique et dĂ©daigneuse indiffĂ©rence. Puis, il fut curieux et amusĂ© et enfin profondĂ©ment intriguĂ© en mĂȘme temps qu’anxieux de dĂ©couvrir le secret de son succĂšs que dĂ©montrait l'enthousiasme populaire. Il convenait donc de dĂ©masquer sans tarder ce faux prĂ©dicateur et de prouver ses roublardises et son ignorance.

Une dĂ©lĂ©gation d'une centaine de savants parmi les jurisconsultes et thĂ©ologiens distinguĂ©s de Bagdad vint interroger ou plutĂŽt faire subir un examen Ă  Abdel Qadir. Celui-ci les reçut tous avec la plus grande courtoisie et bienveillance. Mais au moment oĂč ces messieurs durent « engager le fer », personne ne parvint Ă  dire le moindre mot. Le silence se prolongea, impressionnant et Ă©crasant sans qu’aucun de ces hommes essaye de l’interrompre. Leur cerveau tout rempli de cette science sur laquelle ils se reposaient pour confondre leur hĂŽte leur fit l’effet d’un sombre chaos, et leur langue paralysĂ©e les laissa muets.

Puis, une fois l'Ă©motion dissipĂ©e, Abdel Qadir leur adressa la parole avec douceur et donna Ă  chacun l'explication thĂ©ologique et juridique prĂ©cise aux questions qu'ils n'avaient pas pu formuler. Les savants bagdadiens furent Ă©videmment trĂšs surpris et bientĂŽt totalement admiratifs. Faisant amende honorable, ils n’eurent plus qu’à se retirer.

À la suite de cet Ă©vĂ©nement, et de bien d'autres encore, le peuple dĂ©cida d'acheter toutes les habitations privĂ©es voisines d'une Ă©cole juridique. On construisit sur leur emplacement une magnifique Ă©cole en mĂȘme temps qu’un couvent (ZaouĂŻa) pour les adeptes. Sa construction fut terminĂ©e en 1121 et Ă  partir de cette date, Abdel Qadir enseigna Ă  l'Ă©cole et prĂȘcha au Ribat. De nombreuses personnalitĂ©s assistaient Ă  ses sermons, et les califes ne manquaient pas non plus de lui rendre visite et de lui tĂ©moigner leur respect, et ce malgrĂ© le peu de crĂ©dit qu’Abdel Qadir accordait aux hommes du pouvoir. Dans cette Ă©cole, chaque annĂ©e, 3000 Ă©tudiants Ă©taient admis et succĂ©daient aux 3000 Ă©lĂšves prĂ©cĂ©dents ; et c'Ă©tait Abdel Qadir lui-mĂȘme qui les instruisait. Durant quarante annĂ©es que durera ses cours, il enseignera donc Ă  plus de 120 000 personnes.

Hauts-faits et postérité

Juriste scrupuleux en mĂȘme temps que guide spirituel rĂ©putĂ©, Abdel Qadir al-Jilani indique des rĂšgles Ă  tous ses disciples notamment dans son ouvrage : Al-Ghunyia li-talibi Tariq al-Haqq. Son enseignement est dans la lignĂ©e de ses grands prĂ©dĂ©cesseurs : Junayd (mort en 911), qui s'est illustrĂ© par la synthĂšse et l’explicitation de la mystique des premiers siĂšcles, et Ghazali, qui en englobant toutes les sciences religieuses exotĂ©riques et Ă©sotĂ©riques, les avait rĂ©orientĂ©es dĂ©finitivement vers la Tradition musulmane et le comportement idĂ©al du ProphĂšte.

‘Abd’l Qadir s’attacha donc tout d’abord au Coran et Ă  la Sunna avant d’authentifier ou de rĂ©futer les diverses pratiques soufies ou les spĂ©culations thĂ©ologiques de son temps. En ce sens il maintint le dĂ©voilement spirituel comme mode de connaissance suprĂȘme tout en enracinant ses disciples dans le respect de la loi et des rĂ©alitĂ©s socio-Ă©conomiques, ce qui eut pour effet d’harmoniser le soufisme avec la sociĂ©tĂ© et notamment les diffĂ©rents cercles jusqu’ici marginalisĂ©s. La mystique dĂ©passa grĂące Ă  lui le cadre restreint des retraites spirituelles et devint accessible Ă  la majoritĂ© des musulmans.

Dans un de ses sermons, Abdel Qadir traita des diffĂ©rentes Ă©tapes de la vie mystique et des Ă©tats qu'elles permettaient. Il expliqua d’ailleurs Ă  ces adeptes Ă  quel degrĂ© Ă©tait parvenu Mansour al-Hallaj (m. en 922). Pour une suite de paroles et d’agissements incompris sur l'Ă©tat d'union avec Dieu (Fana’), les orthodoxes sunnites ne lui laissĂšrent pas le temps de franchir cette Ă©tape et combattre jusqu'Ă  la mort. Et cela malgrĂ© ses nombreux adeptes et amis. Aucun ne s'Ă©tait portĂ© Ă  son secours, soit pour expliquer son cas, soit pour le sauver. Abdel Qadir avait rajoutĂ© Ă  ses rĂ©flexions plus qu'une dĂ©claration, une vĂ©ritable promesse :

« Si un de mes amis est exposĂ© au danger, je le sauverais, que je sois prĂ©sent en ce monde ou prĂ©sent dans l'autre monde, car mon cheval est sellĂ©, ma lance est Ă  ma portĂ©e, mon glaive est dans son fourreau, mon arc tendu pour la dĂ©fense de mes compagnons et de mes amis ! Tandis que peut-ĂȘtre, ils ne le savent mĂȘme pas !
 ”

Son surnom de Muhyiddine est trĂšs rĂ©pandu. C'est par ce nom que le peuple aimait Ă  dĂ©signer Abdel Qadir. Voici dans quelles circonstances il lui fut attribuĂ© la premiĂšre fois. C'Ă©tait un vendredi de l'annĂ©e 1117. De retour d'un court voyage, Abdel Qadir cheminait pieds nus sur la route de Bagdad, lorsqu'il aperçut, Ă©tendu sur le chemin, un homme, dans un Ă©tat de faiblesse telle qu’il semblait sur le point de rendre l’ñme. Lorsque Abdel Qadir se trouva assez prĂšs de lui, l'homme lui adressa un salut et lui fit signe d'approcher, car il Ă©tait sans force pour lui parler. Notre voyageur se penche pour entendre ce qu'on peut avoir Ă  lui dire. C'est alors qu'une Ă©trange transformation s'opĂ©ra. Le moribond sembla rĂ©cupĂ©rer des forces, Ă  mesure que le saint s'approcha et demeura prĂšs de lui. Il se souleva, son regard reprit de l'Ă©clat, et les couleurs de la vie rĂ©apparurent sur ses joues et sur ses lĂšvres, sa respiration n'Ă©tait plus oppressĂ©e. Il reprit toutes les apparences de la santĂ©, enfin il se leva, dĂ©tendit ses membres, qui n'Ă©taient plus raidis par les approches de la mort, mais pleins de force et de vigueur. Lui adressant alors la parole, cet homme lui dit :

« Ne m’as-tu pas reconnu ?
 » Sur la rĂ©ponse nĂ©gative d’Abdel Qadir, il reprit : « Je suis la religion. Inerte, paralysĂ©e, expirante, je serais demeurĂ©e telle que, si dans sa bontĂ© Dieu ne t'avait crĂ©Ă© pour me porter secours : tu es mon Muhyiddine ! (Le vivificateur de la religion). Tel sera ton nom. »

Et sur ces paroles, il prit congĂ© d’Abdel Qadir. Comme nous l'avons dit, c'Ă©tait un vendredi et Abdel Qadir devait presser le pas pour se trouver Ă  temps Ă  la mosquĂ©e. Une fois arrivĂ©, il fit la priĂšre mais lorsqu'il se releva, ceux qui Ă©taient prĂ©sents l'entourĂšrent, lui embrassant les mains avec une respectueuse affection et le nommĂšrent Muhyiddine, comme l'avait annoncĂ© l’étrange messager, rencontrĂ© peu avant sur la route de Bagdad.

Parmi les autres surnoms attribuĂ©s Ă  Abdel Qadir, il en Ă©tait un qui dit-on le rendit encore plus cĂ©lĂšbre dans les cieux que sur la terre. LĂ , dans le monde cĂ©leste, et d'aprĂšs les anciens, il est connu sous le surnom de « Baz el Ech’Ab », le faucon gris des cieux. Ce surnom, qui vient en tĂȘte des titres d’honneur du saint ne doit pas uniquement son origine Ă  l'Ă©logieuse observation des grands du passĂ© ; il provient Ă©galement d'un fait prodigieux qui survint bien avant la naissance d’Abdel Qadir. Voici son histoire :

La mĂšre d’Abdel Qadir, Fatima, portait au visage la cicatrice d'une ancienne blessure qui l’avait marquĂ©e depuis bien avant son union avec Abou Salih Djenghi Dost, le pĂšre d’Abdel Qadir.

C'est peu avant son dĂ©part de Niff pour Bagdad qu’Abdel Qadir et sa mĂšre eurent une curieuse conversation, au cours de laquelle, il eut l’idĂ©e de l'interroger sur l'origine de son ancienne blessure. À ses questions, sa mĂšre rĂ©pondit :

« Mon fils, cesse de me questionner sur ce sujet. Cette histoire est un secret que je dĂ©sire ne pas te confier. -- Ô mĂšre ! Je n'ignore rien de ce qui arriva en cette circonstance. -- Et comment pourrais-tu savoir ?
 Il n’y avait alors personne de prĂ©sent, et je n'en ai parlĂ© Ă  personne
 Ne rĂ©veille pas en moi des tristes souvenirs. -- Ô mĂšre! Tu Ă©tais alors une toute jeune fille. Seule tu Ă©tais allĂ©e puiser l'eau pure d'une source, que dans ta famille on aimait Ă  boire. SĂ©duit par ta juvĂ©nile beautĂ©, un misĂ©rable voulut profiter de ta faiblesse, tu fus en butte Ă  ses violences, dĂšs qu’il te vit t’éloigner dans ce lieu dĂ©sert. -- en vĂ©ritĂ©, cela s'est passĂ© ainsi, confessa Fatima Ă©tonnĂ©e. -- en ce lieu solitaire, personne ne pouvait ni entendre tes cris, ni rĂ©pondre Ă  tes appels. Trop faible pour te dĂ©fendre, tu allais voir triompher ton agresseur. -- ĂŽ mon fils ! Que je suis confuse de t'entendre Ă©voquer cette scĂšne odieuse, oĂč je pensais mourir de terreur et d’angoisse ! -- Tes larmes coulaient abondantes. En vain, tu suppliais cette brute infĂąme ! Dans cette lutte inĂ©gale, sentant tes forces t'abandonner, d'un geste inspirĂ©, tu supplias le ciel. À ce moment, Ô mĂšre ! N’as-tu pas implorĂ© l’aide de notre glorieux ProphĂšte Mahomet ?
 Mais ce misĂ©rable insensĂ©, n'en fut pas plus touchĂ© que de tes larmes. Il portait dans ses bras ton corps Ă©puisĂ© par cette lutte, car tu perdis connaissance. -- oui, j'ignore tout ce qui s'est passĂ©, aprĂšs que j’eus aperçu un grand oiseau qui semblait nous considĂ©rer. -- laisse-moi, aujourd'hui te le dire. Ton agresseur se croyait dĂ©jĂ  sĂ»r de sa victoire, lorsque du ciel fondit sur lui un faucon gris, qui lui arracha les deux yeux, en punition de sa conduite infĂąme et qui lui fit lĂącher prise. Rougissant de douleur, Ă©pouvantĂ©, il s'enfuit !
 Toi, prĂšs de la source, oĂč ton amphore s'Ă©tait brisĂ©e, tu gisais Ă©vanouie. Pour t'arracher Ă  cet Ă©vanouissement, le faucon gris effleura ta joue de sa griffe, et tu gardes depuis ce jour, la marque de la cĂ©leste protection Ă  laquelle tu dus ton salut. Ô mĂšre ! Efface de ton cƓur ce triste souvenir, puisque Dieu t’a secouru Ă  temps et t'a vengĂ©e. -- mais toi, mon fils, comment peux tu me parler d'un fait aussi Ă©trange, enseveli dans le passĂ©, bien avant ta naissance ? Qui avait pu t'en instruire ? J'Ă©tais alors, je te l'ai dit, une toute jeune fille, presque une enfant et personne n'a jamais rien su de ce qui m'arriva. -- MĂšre ! Par Dieu est toute puissance ! Et par sa grĂące, le faucon gris c’était moi ! »

Ce n'est que vers les toutes derniĂšres annĂ©es de sa vie qu'Abdel Qadir ressentit les atteintes de l'Ăąge, et se vit contraint de restreindre l'ardente activitĂ© Ă  laquelle il Ă©tait accoutumĂ©. Alors dans ces moments de lassitude, le grand saint exprima le souhait d' « une mort Ă  laquelle ne serait pas soumise la vie, et d'une vie Ă  laquelle ne serait plus nĂ©cessaire la mort ». Et insensiblement il entra dans cet Ă©tat auquel son Ăąme aspirait et oĂč l’ĂȘtre est dĂ©lestĂ© de tout ce qui l’opprime et lui pĂšse. Le « sultan des saints » avait atteint l'Ăąge de 90 ans lorsqu'il s'Ă©teignit. Sur son lit de mort, et devant l'anxiĂ©tĂ© de ses fils, il exprima une ultime parole :

"Nul ne peut pĂ©nĂ©trer le mal qui me dĂ©truit, pas plus les hommes que les anges ou les gĂ©nies, car il ne leur a pas Ă©tĂ© donnĂ© de pouvoir le comprendre : il est ce que mon crĂ©ateur a voulu pour moi. Mais sachez que la science divine ne s'amoindrit pas par l'accomplissement de ses dĂ©crets. Les dĂ©crets peuvent diffĂ©rer et leurs effets de mĂȘme mais la science divine demeure inaltĂ©rĂ©e. Dieu dĂ©truit ce qu'il veut, il Ă©tablit ce qu'il juge utile : le Livre MĂšre (Ummul Kitab) est auprĂšs de lui grand ouvert. Il ne peut ĂȘtre interrogĂ© sur ce qu'il fait, mais ces crĂ©atures doivent rĂ©pondre de leurs actes. Ne craignez personne hormis Dieu; n'adressez vos priĂšres qu’à Lui seul. Tout ce que bon vous semblera, demandez le uniquement Ă  Lui seul, ne comptez que sur Allah; croyez en l'unitĂ© de Dieu.

Vers la fin de sa vie, Abdel Qadir reçut le suprĂȘme honneur destinĂ© aux Qutb (Axes du monde), les plus grands saints de l’Histoire. Cette investiture lui offrit d’ĂȘtre revĂȘtu par le ProphĂšte lui-mĂȘme de la robe d'honneur de la souverainetĂ© sur tous les saints. Il va sans dire que cette cĂ©rĂ©monie n'eut pas lieu matĂ©riellement. Cependant lors de son dĂ©roulement, ceux qui se trouvaient prĂ©sents prĂšs de lui dĂ©clarĂšrent avoir compris qu’il se passait un Ă©vĂ©nement extraordinaire.

Son influence Ă©tait telle qu’elle dĂ©passait de loin les frontiĂšres de l’Irak dĂšs avant sa mort. Un large Ă©ventail de personnalitĂ©s l’auront plus tard en haute estime, qu’il s’agisse des penseurs les plus mĂ©fiants Ă  l’égard de la mystique ou des futurs maĂźtres qui auront pris de lui l’initiation.

Pour autant Abd’l Qadir ne fonda pas de voie de son vivant. Il prĂ©vit nĂ©anmoins la succession de l’école religieuse (madrassa) qu’il dirigeait depuis la mort de son professeur. Ses fils en firent rapidement une zawiya Ă  laquelle ils associĂšrent l’école ainsi qu’une mosquĂ©e et le mausolĂ©e du cheikh. La Qadiriyya ne se rĂ©pandra vĂ©ritablement qu’à partir du XVe siĂšcle et parviendra Ă  s’implanter dans des pays comme l’Inde, le Turkestan, l’Arabie, l’Égypte, l’Afrique du Nord et certains pays de l’ex-Union soviĂ©tique. En Afrique de l'Ouest, la Fadiliyya, une branche de la Qadiriyya, a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e au XIXe siĂšcle, par cheikh Mouhamed Fadel Ould Mamine, saint, soufi et chef tribal Ă©tabli dans le Hodh (Mauritanie). Son fils Cheikh Saad Bouh (1848-1917) a diffusĂ© la Qadiriyya en Afrique occidentale.

Parmi les petits-fils d’Abdel Qadir al-Jilani, on retient gĂ©nĂ©ralement ‘Abd’l Waraq (1128-1196) qui rĂ©cita les priĂšres Ă  la mort de son pĂšre, Abderazzak (1133-1206), et le cheikh Moussa (1142-1221).

Un de ses descendants, Abdul Aziz bin Abdul Qadir Al-Jilani fut un des chefs de l'armée de Salah Al-Din Al-Ayyubi. Il bùtit un ribùt sur une montagne des environs de Hassaké, qui prit alors son nom pour devenir le Djebel Abdulaziz[6].

Bibliographie

Traductions

  • Enseignements soufis : l'illumination cĂ©leste et les effluves de la misĂ©ricorde divine (trad. de l'arabe par Mohamed Fateh et Muhammad al-Fatih), Paris, Al Bouraq, , 552 p. (ISBN 978-284-161030-3)

Études

  • [Chabbi s.d.] Jacqueline Chabbi, Abd al Qadir Al Gilani : idĂ©es sociales et politiques dans le contexte du Ve/XIe siĂšcle et du VIe/XIIe siĂšcle (ThĂšse de doctorat de 3e cycle), s.d., 248 p. (lire en ligne)
  • Jacqueline Chabbi, « 'Abd al-ážČādir al-DjÄ«lānÄ« personnage historique: Quelques Ă©lĂ©ments de biographie », Studia Islamica, no 38,‎ , p. 75-106 (DOI 10.2307/1595310)
  • [Abul Naga s.d.] Sayed Attia ABUL NAGA, « DJÄȘLĀNÄȘ ou JÄȘLĀNÄȘ ‘ABD AL-QĀDIR (mort en 1166) », sur universalis.fr, EncyclopĂŠdia Universalis, s.d. (consultĂ© le )
  • (en) Bruce Lawrence, « Abd-Al-Qader Jilani », sur iranicaonline.org, EncyclopĂŠdia Iranica, (consultĂ© le )
  • (en) Achmad Munjid, « A Pilgrimage Through the Mist of Legends : Reconstructing the Life andWorks of ‘Abd Al-Qadir Al-Jilani », Afkaruna: Indonesian Interdiciplinary Journal Of Islamic Studies, vol. 10, no 1,‎ january - june 2014, p. 17-31 (DOI https://doi.org/10.18196/aiijis.2014.0028.17-31)

Notes et références

  1. Rachid Benblal, Tlemcen des saints & des savants, Dar el Gharb, , 360 p. (lire en ligne).
  2. Chabbi et al. s.d., p. 184
  3. Lawrence 2011.
  4. Abul Naga s.d..
  5. Book geographic Baz Ashhab
  6. (ar) ŰŹÙ…Ű§Ù„ Ű§Ù„ŰŻÙŠÙ† ÙŰ§Ù„Ű­ Ű§Ù„ÙƒÙŠÙ„Ű§Ù†ÙŠŰŒ Ű§Ù„ŰŽÙŠŰź Űčۚۯ Ű§Ù„Ù‚Ű§ŰŻŰ± Ű§Ù„ÙƒÙŠÙ„Ű§Ù†ÙŠŰŒ Ù…Ű€ŰłŰłŰ© Ù…Ű”Ű± Ù…Ű±ŰȘŰ¶Ù‰ŰŒ ŰšÙŠŰ±ÙˆŰȘی2011ی Ű” 340.

Liens externes

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