Ne doit pas ĂȘtre confondu avec Guerre d'AlgĂ©rie.
Pour les articles homonymes, voir Années de plomb.
Date |
- (10Â ans, 1Â mois et 13Â jours) |
---|---|
Lieu | Algérie |
Casus belli | Annulation du résultat des élections législatives algériennes de 1991 par les généraux « janviéristes » |
Issue | Victoire du gouvernement algérien |
Algérie
Soutiens :  Union europĂ©enne[10] France[10],[11] Ăgypte[11],[12] Afrique du Sud[13] Tunisie[11],[12] | Front islamique du salut
Libye (jusqu'en 1995)[11] Iran[10] Maroc[11],[14] | Groupe islamique armé (à partir de 1992)
Soutiens : Groupe salafiste pour la prédication et le combat (à partir de 1998) Soutien : Al-Qaïda[2] |
Mohamed Boudiaf Ali Kafi Liamine ZĂ©roual Abdelaziz Bouteflika Khaled Nezzar Larbi Belkheir Abdelmalek Guenaizia Mohamed Lamari Mohammed Touati Benabbes Gheziel (ar) Toufik | Abbassi Madani  (c) Ali Belhadj  (c) Abdelkader Hachani  (c) â Anwar Haddam (en) Madani Mezrag (ar) Mustapha Kartali Abdelkader Chebouti Mansouri Meliani (jusqu'en 1992) Ali Benhadjar | Abdelhak Layada  (c) Mansouri Meliani Djafar el-Afghani â Cherif Gousmi â Djamel Zitouni â Antar Zouabri â Hassan Hattab Abdelmalek Droukdel Nabil Sahraoui Mokhtar Belmokhtar |
> 240Â 000Â hommes | 2Â 000Â hommes (en 1992) 40Â 000Â hommes (en 1994) 10Â 000Â hommes (en 1996)[16] |
â 150Â 000Â morts[17]
Des dizaines de milliers de réfugiés
1 million de déplacés
20 milliards de dollars de dégùts[18]
Batailles
La guerre civile algĂ©rienne ou dĂ©cennie noire (Ă©galement appelĂ©e dĂ©cennie du terrorisme, annĂ©es de plomb ou annĂ©es de braise[19]) est une guerre civile qui opposa le gouvernement algĂ©rien, disposant de lâArmĂ©e nationale populaire (ANP), et divers groupes islamistes Ă partir de 1991. Le conflit s'achĂšve par la victoire des forces gouvernementales avec la reddition de l'ArmĂ©e islamique du salut (AIS) et la dĂ©faite en 2002 du Groupe islamique armĂ© (GIA). En dix ans, les violences ont fait entre 60 000[20] et 150 000 morts[17], ainsi que des milliers de disparus, un million de personnes dĂ©placĂ©es, des dizaines de milliers d'exilĂ©s et plus de vingt milliards de dollars de dĂ©gĂąts[18].
Le conflit commença en , quand le gouvernement annula immédiatement les élections législatives aprÚs les résultats du premier tour, anticipant une victoire du Front islamique du salut (FIS), craignant de perdre le pouvoir et que ce dernier mette en place une république islamique. AprÚs l'interdiction du FIS et l'arrestation de milliers de ses membres, différents groupes de guérilla islamiste émergÚrent rapidement. Ils se sont constitués en plusieurs groupes armés, dont les principaux sont le Mouvement islamique armé (MIA), basé dans les montagnes, et le Groupe islamique armé (GIA), basé dans les villes. Les islamistes ont au commencement visé l'armée et la police, mais certains groupes s'attaquÚrent rapidement aux civils. En 1994, tandis que des négociations avaient lieu entre le gouvernement et les dirigeants du FIS mis en résidence surveillée, le GIA déclara la guerre au FIS et à ses partisans, alors que le MIA et divers plus petits groupes se regroupaient pour former l'Armée islamique du salut (AIS), loyale au FIS.
En 1995, les pourparlers échouÚrent et une nouvelle élection eut lieu, remportée par le candidat de l'armée, le général Liamine Zéroual. Le conflit entre le GIA et l'AIS s'intensifia. Au cours des années suivantes, le GIA commit une série de massacres visant des villages entiers, avec un pic en 1997 autour des élections parlementaires, qui furent remportées par un parti nouvellement créé favorable à l'armée, le Rassemblement national démocratique (RND). L'AIS, soumise à des attaques des deux bords, opta en 1997 pour un cessez-le-feu unilatéral avec le gouvernement, alors que le GIA se déchirait à la suite de sa nouvelle politique de massacre. En 1999, l'élection d'un nouveau président, Abdelaziz Bouteflika, fut suivie d'une loi amnistiant la plupart des combattants, qui motiva un retour à un calme relatif. La violence diminua sensiblement avec la victoire du gouvernement mais pas entiÚrement. Les restes du GIA proprement dit avaient pratiquement disparu en 2002.
Cependant, un groupe dissident du GIA, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), basé principalement à la périphérie de la Kabylie, fut constitué en 1998, se dissociant des massacres. Visant l'armée et la police pour la plupart, il rejeta l'amnistie et poursuivit son combat. En 2013, ses activités comparativement clairsemées sont les seuls combats persistant en Algérie. Cependant, une fin complÚte des violences n'est pas encore en vue surtout depuis que le GSPC a fait allégeance à Al-Qaïda en 2006.
Sommaire
- Libéralisation et prélude à la guerre
- DĂ©but de la guerre, 1992-1993
- Ăchec des nĂ©gociations et luttes intestines, 1994
- Poursuite de l'expression politique, Ă©mergence des milices, 1995-96
- Massacres et réconciliation, 1996-1997
- Le GIA détruit, le GSPC continue, 1998-2000
- Chronologie
- La fin de la "décennie noire"
- Filmographie
- Notes et références
- Voir aussi
Libéralisation et prélude à la guerre
Libéralisation et victoire électorale du FIS, 1990
à la fin de 1988, le Front de libération nationale (FLN), parti unique en Algérie dont le pouvoir était resté inébranlé depuis les années 1960, ne semblait plus adapté à la situation. Plusieurs éléments ont mené à une insatisfaction croissante de la population. Tout d'abord, un systÚme de parti unique basé sur la démocratie populaire mais cachant en réalité un régime militaire, touché par la corruption et le clientélisme[21]. En effet, les années 1980 avaient vu trois organes de pouvoir différents : la présidence, le parti et l'armée[22]. Ensuite, les chutes du prix du pétrole en 1986 qui font passer le prix du baril de 30 $ à 10 $. Le gouvernement bénéficiait du prix élevé du pétrole : celui-ci concernait 95 % des exports algériens et 60 % du budget du gouvernement[23]. L'économie planifiée subit de fortes contraintes, avec les pénuries et la montée du chÎmage. En , des manifestations contre le président Chadli Bendjedid eurent lieu dans toutes les villes algériennes, mettant en avant la montée de l'islamisme parmi nombre de manifestants. L'armée, en tirant sur les manifestants, fit plus de 500 morts et choqua la population par la brutalité de la réponse[23].
La rĂ©ponse du prĂ©sident fut d'entreprendre une rĂ©forme. Le [24], il proposa une nouvelle constitution par voie rĂ©fĂ©rendaire qui supprimait le parti unique, la rĂ©fĂ©rence au socialisme[25], et instaurait les libertĂ©s d'expression, d'association et de rĂ©union[26]. La cour de SuretĂ© de lâĂtat chargĂ© de punir les « dĂ©viances politiques » est supprimĂ©e[22]. LâĂtat algĂ©rien socialiste disparut au profit de la nouvelle RĂ©publique populaire et dĂ©mocratique. Des trois centres de pouvoir Ă©voquĂ©s plus haut, seule la prĂ©sidence conserve son pouvoir, alors que le parti du FLN n'est mĂȘme pas nommĂ© dans la Constitution et que l'armĂ©e n'a plus le droit de participation Ă la vie politique algĂ©rienne[22]. Au dĂ©but de l'annĂ©e 1991, trente trois partis de trĂšs divers courants politiques obtinrent un existence lĂ©gale, parmi eux le front des forces socialistes, le Rassemblement pour la culture et la dĂ©mocratie, le parti social dĂ©mocrate[22] mais aussi et surtout le Front islamique du salut (FIS)[27].
Ă ses dĂ©buts, le FIS incorpore un large spectre de la mouvance de l'opinion islamiste, des plus radicaux au plus modĂ©rĂ©s reprĂ©sentĂ©e par ses deux principaux dirigeants. Son prĂ©sident, Abbassi Madani, professeur et combattant Ă l'Ă©poque de l'indĂ©pendance, reprĂ©sentait un conservatisme religieux relativement modĂ©rĂ© et symboliquement liĂ© Ă la guerre d'indĂ©pendance algĂ©rienne, source de la lĂ©gitimitĂ© du FLN Ă diriger le pays ; il manifestait un attachement tiĂšde Ă la dĂ©mocratie, et plaçait la charia au-dessus de cette derniĂšre[27]. Le vice-prĂ©sident, Ali Belhadj, plus jeune et d'un niveau d'instruction moindre, avait reçu une Ă©ducation en arabe dans des Ă©coles islamiques et Ă©tait prĂ©dicateur Ă Alger. Tenant d'une ligne salafiste[28], il Ă©tait connu pour ses prĂȘches radicaux et agressifs qui rassemblaient la jeunesse ouvriĂšre déçue et les non-islamistes alarmĂ©s par le rejet de la dĂ©mocratie et des opinions islamistes conservatrices envers les femmes[29]. Belhadj et Madani avaient tous deux des visions diffĂ©rentes de ce que devait ĂȘtre un Ătat islamique, ils rĂ©ussirent Ă travailler efficacement ensemble[29]. De fait, le FIS devint rapidement de loin le plus grand parti islamiste, avec un Ă©norme Ă©lectorat particuliĂšrement concentrĂ© dans les zones urbaines. Le , il remporta les Ă©lections locales avec 54 % des voix, il fait ainsi le double du score du FLN[29]. Des analyses ont rĂ©vĂ©lĂ© que l'Ă©lectorat du FIS Ă©tait surtout la jeunesse dĂ©favorisĂ©e des bidonvilles et Ă©duquĂ©e en arabe, produit de la croissance dĂ©mographique exponentielle[29]. Les victoires locales du FIS dans plusieurs des municipalitĂ©s permettent Ă la population d'expĂ©rimenter la gestion politique locale du FIS. Beaucoup d'AlgĂ©riens se disent d'ailleurs surpris de voir une gestion aussi efficace que juste, en comparaison Ă celle corrompue et inefficace du FLN[30]. Pour autant, certains AlgĂ©riens ont Ă©tĂ© alarmĂ©s de voir de nouvelles pratiques apparaĂźtre sous la gestion locale du FIS : entre autres, le port obligatoire du voile pour les employĂ©es municipales, ou encore l'interdiction de magasins vendant de l'alcool[31].
La guerre du Golfe renforça le parti, car il surpassait l'opposition du gouvernement Ă l'opĂ©ration TempĂȘte du dĂ©sert[29].
En , le gouvernement dĂ©cida d'un nouveau dĂ©coupage des circonscriptions Ă©lectorales. Les circonscriptions Ă©taient arrangĂ©es de telle sorte qu'elle favorisaient les rĂ©gions rurales du sud et de l'est oĂč le FLN conservait une majoritĂ© lĂ©gislative[29]. En , le FIS appela Ă une grĂšve pour protester contre ce nouveau dĂ©coupage des circonscriptions Ă©lectorales par le gouvernement, dĂ©nonçant un charcutage Ă©lectoral. La grĂšve elle-mĂȘme Ă©tait un Ă©chec, mais les Ă©normes manifestations organisĂ©es par le FIS Ă Alger furent efficaces parce qu'elles reprĂ©sentaient une menace pour l'autoritĂ© de lâĂtat[29] ; le FIS accepta d'arrĂȘter la grĂšve en juin en Ă©change d'Ă©lections Ă©quitables. Peu aprĂšs le gouvernement, de plus en plus alarmĂ©, arrĂȘta Madani et Belhadj (ils furent condamnĂ©s Ă 12 ans de prison) ainsi qu'un certain nombre d'autres membres appartenant Ă des Ă©chelons infĂ©rieurs du FIS, sans pour autant dissoudre le parti[32]. Le FIS resta lĂ©gal, et Abdelkader Hachani en prit le contrĂŽle.
La progression du parti se poursuivit. Il participe aux élections suivantes, aprÚs l'expulsion de personnes telles que Saïd Mekhloufi, qui avait préconisé l'action directe contre le gouvernement. à la fin novembre, des islamistes armés proches du mouvement extrémiste Takfir wal Hijra attaquÚrent un poste frontalier à Guemmar, annonçant le conflit à venir ; ailleurs, un calme tendu régnait.
Le , les résultats des législatives est un choc pour les représentants politiques algériens. Malgré 39 % d'abstention[33], le FIS gagne facilement le premier tour des élections à l'assemblée nationale algérienne avec 48 % des votes, ils gagnÚrent 118 des 232 siÚges avec un taux de participation de 59 %[32]. Immédiatement, des accusations de sabotage sont lancées notamment par le gouvernement et le FLN. Beaucoup d'individus n'ayant pas voté pour le FIS, ont affirmé qu'ils avaient eu des difficultés à obtenir leur carte électorale[33]. Quoi qu'il en soit la victoire du FIS au second tour et la nomination d'un gouvernement dominé par le FIS semblaient alors inévitables.
Coup d'Ătat et annulation des Ă©lections
- Inconnu.
- Non décidé
- Majorité non-FIS
- FIS 50Â %
- Majorité FIS
La victoire du FIS aux Ă©lections lĂ©gislatives de 1991 crĂ©e une vĂ©ritable division au gouvernement sur la marche Ă suivre. La vĂ©ritable question qui se pose est la suivante : doit-on, ou non, accepter de gouverner avec le FIS quand il obtiendra la majoritĂ© aux Ă©lections lĂ©gislatives ? Le gouvernement est divisĂ©. De son cĂŽtĂ©, le prĂ©sident Bendjedid pense pouvoir utiliser son statut de Chef dâĂtat pour contrĂŽler et tempĂ©rer les Ă©ventuels excĂšs des dĂ©putĂ©s du FIS, en fait, il souhaite Ă tout prix continuer sur la lancĂ©e de dĂ©mocratisation de la sociĂ©tĂ©[34].D'un autre cĂŽtĂ©, le premier ministre Ghozali ainsi que certains gĂ©nĂ©raux (Nezzar et Belkheir) refusent catĂ©goriquement de laisser le pouvoir lĂ©gislatif aux dĂ©putĂ©s du FIS, ils veulent Ă tout prix conserver la tradition nationaliste et laĂŻque du rĂ©gime algĂ©rien[34]. TrĂšs vite, au dĂ©but du mois de janvier, les opposants Ă Chedli Bendjedid, ainsi que quelques chefs militaires dĂ©cident de couper court au dĂ©bat et d'imposer leur dĂ©cision au PrĂ©sident.
Le , sous le coup de force de ces gĂ©nĂ©raux et chefs militaires dits « janviĂ©ristes », l'armĂ©e annula les Ă©lections, forçant le prĂ©sident Chadli Bendjedid Ă dĂ©missionner lors d'un discours tĂ©lĂ©visuel[34]. Le , les gĂ©nĂ©raux "janviĂ©ristes" dĂ©cident de transfĂ©rer le pouvoir prĂ©sidentiel Ă un Haut ComitĂ© de SĂ©curitĂ© qui devait servir de comitĂ© de conseil prĂ©sidentiel. Le lendemain, ce comitĂ© dĂ©cide d'annuler les Ă©lections lĂ©gislatives et de crĂ©er le Haut ComitĂ© dâĂtat (HCE) qui est une prĂ©sidence collĂ©giale opĂ©rant jusqu'Ă la fin du mandat de Bendjedid, en [34]. Le HCE rappelant de son exil le combattant de l'indĂ©pendance Mohammed Boudiaf comme nouveau prĂ©sident de la nouvelle autoritĂ© politique chargĂ©e de diriger lâĂtat : le Haut ComitĂ© dâĂtat. Pour les chefs du coup d'Ătat, Boudiaf Ă©tait le meilleur choix, d'une part par sa lĂ©gitimitĂ© acquise lors de la guerre d'indĂ©pendance, et d'autre part, parce que sa rĂ©putation n'avait pas Ă©tĂ© touchĂ©e par les crises politiques de l'AlgĂ©rie indĂ©pendante[35].
Alors qu'il est au pouvoir, Boudiaf se concentre sur trois objectifs[36]. Le premier objectif de Boudiaf est d'ordre Ă©conomique. Il s'agit de remettre Ă flot l'Ă©conomie algĂ©rienne. En effet, avec un dette de 25 milliards de dollars, une croissance Ă©conomique nĂ©gative et un fort taux de chĂŽmage, l'Ă©conomie algĂ©rienne est en grande difficultĂ©. Or Boudiaf est persuadĂ© que la situation Ă©conomique dĂ©lĂ©tĂšre est le lit de la montĂ©e de l'islamisme et du FIS. Il est donc absolument primordial pour le HCE de relancer au plus vite l'Ă©conomie nationale[36]. En plus de l'Ă©conomie, le rĂ©gime a pour second objectif de rĂ©organiser la classe politique algĂ©rienne. Boudiaf entend exclure tout parti politique islamiste, au premier plan duquel le FIS, en renforçant l'article de la Constitution qui interdit tout parti politique dont la base idĂ©ologique est religieuse[36]. De la mĂȘme maniĂšre, il entend aussi reconquĂ©rir l'Ă©lectorat ayant votĂ© pour le FIS. D'autre part, Il semble nĂ©cessaire Ă Boudiaf de renforcer le rĂ©gime en lĂ©gitimant le HCE et le coup dâĂtat de janvier, tous deux rejetĂ©s par les trois partis les plus importants sur l'Ă©chiquier politique algĂ©rien : Le Front des Forces Socialistes (FFS), le FIS et le FLN[36]. Boudiaf tente donc d'attirer dans son gouvernement des membres de chacun de ces partis. De cette maniĂšre, des membres modĂ©rĂ©s du FIS ont obtenu des ministĂšres, ainsi qu'un membre du parti des forces socialistes. Enfin, comme pour accĂ©lĂ©rer le processus de modernisation, Boudiaf veut crĂ©er une organisation populaire comme cadre pour discuter des difficultĂ©s rencontrĂ©es par le pays, mais aussi comme plateforme de soutien au rĂ©gime et au HCE. Cette organisation sera crĂ©Ă©e dĂšs mai 1992 sous le nom de Rassemblement patriotique national[36]. Enfin, le troisiĂšme objectif fondamental de la prĂ©sidence de Boudiaf est le rĂ©tablissement de l'ordre et la sĂ©curitĂ© pour les AlgĂ©riens. Pour cela, de nombreux membres du FIS furent arrĂȘtĂ©s : 5 000 d'aprĂšs les rapports de l'armĂ©e, 30 000 (incluant Abdelkader Hachani) selon le FIS et 40 000 selon les chiffres avancĂ©s par Gilles Kepel[21]. Les prisons Ă©tant insuffisantes pour emprisonner tout le monde, des camps furent crĂ©Ă©s au Sahara, et les hommes qui portaient une barbe craignirent de sortir dans la rue de peur d'ĂȘtre arrĂȘtĂ©s en tant que sympathisants du FIS. LâĂ©tat d'urgence fut dĂ©clarĂ©, et beaucoup de droits constitutionnels suspendus. Toutes les protestations furent Ă©touffĂ©es. Des organisations de dĂ©fense des droits de l'homme, comme Amnesty International, signalĂšrent l'utilisation frĂ©quente de la torture par le gouvernement et la dĂ©tention de suspects sans charges ni procĂšs. Le gouvernement a officiellement dissous le FIS le 4 mars, alors que l'armĂ©e concentrait le pouvoir rĂ©el malgrĂ© les efforts de Boudiaf[37].
DĂ©but de la guerre, 1992-1993
Les quelques activistes du FIS restĂ©s en libertĂ© prirent ces Ă©vĂ©nements comme une dĂ©claration de guerre. Dans la majeure partie du pays, les activistes restants du FIS, ainsi que certains islamistes plus radicaux que le FIS, prirent le maquis avec des armes de fortune. Leurs premiĂšres attaques contre les forces de sĂ©curitĂ© commencĂšrent Ă peine une semaine aprĂšs le coup d'Ătat, et les soldats et les policiers furent rapidement pris pour cibles. Comme dans les guerres prĂ©cĂ©dentes, les combattants furent presque exclusivement basĂ©s dans les montagnes du Nord de l'AlgĂ©rie, oĂč la forĂȘt et le maquis sont bien adaptĂ©s Ă la guĂ©rilla, mais aussi dans certains secteurs urbains ; le Sahara, riche en pĂ©trole et en gaz, mais trĂšs peu peuplĂ© resta paisible pendant presque tout le conflit. La principale source de devise du gouvernement fut ainsi en grande partie Ă©pargnĂ©e.
La situation tendue fut aggravĂ©e par lâeffondrement de l'Ă©conomie, cette annĂ©e-lĂ , Ă tel point que les aides alimentaires furent suspendues. Les espoirs placĂ©s par la population dans la personne apparemment intacte de Mohammed Boudiaf furent bientĂŽt déçus quand il fut victime en juin d'un attentat d'un de ses propres gardes du corps. Le , l'un de ses gardes du corps, le lieutenant Lambarek Boumaarafi, assassine Mohamed Boudiaf alors qu'il faisait un discours[35]. Les raisons de son assassinat sont encore floues, mais sa lutte contre la corruption au sein du rĂ©gime, ou son refus de « jouer le rĂŽle porte-parole » pour les acteurs du coup d'Ă©tat de janvier, ont probablement jouĂ© dans la dĂ©cision de son assassinat[35].
Le 26 aoĂ»t, il devint Ă©vident que la guĂ©rilla visait autant les civils que les reprĂ©sentants de l'Ătat : l'attentat de l'aĂ©roport d'Alger fit 9 morts et 128 blessĂ©s. Le FIS condamna l'attentat comme le firent les principaux autres partis, mais l'influence du FIS sur les guĂ©rilleros se rĂ©vĂ©la limitĂ©e.
Le MIA Ă©tait une rĂ©surgence d'un mouvement du mĂȘme nom, celui de Mustafa Bouyali, Ă©liminĂ© par l'armĂ©e en 1987. Or le MIA, relancĂ© clandestinement en 1991, aurait Ă©tĂ© infiltrĂ© par des agents des services secrets de l'armĂ©e algĂ©rienne (le DRS, dĂ©partement du Renseignement et de la SĂ©curitĂ©, nouveau nom depuis septembre 1990 de la SĂ©curitĂ© militaire, au cĆur du pouvoir depuis l'indĂ©pendance de 1962). Soucieux de contrĂŽler les noyaux armĂ©s islamistes en gestation, les chefs du DRS avaient en effet dĂ©cidĂ© de les infiltrer. Cette politique conduira, avec le dĂ©veloppement de la guerre civile, Ă des manipulations de grande ampleur de la violence perpĂ©trĂ©e « au nom de l'islam ».
DĂšs 1991, le MIA a Ă©tĂ© Ă©quipĂ© par le DRS de vĂ©hicules de service[38] ; le DRS rĂ©digeait, imprimait et distribuait lui-mĂȘme certains tracts[39] ; il aurait Ă©galement constituĂ© des listes noires (dâintellectuels Ă abattre) au Centre Ghermoul, siĂšge de la Direction du contre-espionnage (DCE).
Les premiers combats semblent avoir Ă©tĂ© menĂ©s par le petit groupe extrĂ©miste Takfir wal Hijra et des anciens combattants dâAfghanistan. Cependant, le premier mouvement armĂ© important Ă Ă©merger fut le mouvement islamique armĂ© (MIA), juste aprĂšs le coup d'Ătat. Il Ă©tait dirigĂ© par l'ex-militaire Abdelkader Chebouti, un islamiste de longue date qui avait gardĂ© ses distances avec le FIS pendant le processus Ă©lectoral. En , un ex-soldat, ex-combattant en Afghanistan et ancien responsable de la sĂ©curitĂ© au FIS, Said Mekhloufi fonda le Mouvement pour un Ătat islamique (MEI) qui, lui, n'Ă©tait pas encore infiltrĂ© par le DRS. Les divers groupes organisĂšrent plusieurs rĂ©unions pour essayer d'unir leurs forces, acceptant le principe d'un rassemblement autour de Chebouti. Le 1er septembre, il dĂ©nonça le manque de discipline et lâattaque de lâaĂ©roport dâAlger, qui pouvait Ă©loigner des soutiens. Alors que Takfir wal Hijra et les Afghans de Noureddine Seddiki rejoignaient le MIA, les forces de sĂ©curitĂ© donnĂšrent lâassaut. Les soupçons nĂ©s de cette attaque empĂȘchĂšrent toute rĂ©union ultĂ©rieure.
Le FIS lui-mĂȘme organise un rĂ©seau clandestin, avec des journaux et mĂȘme une radio liĂ©e au MIA, et vers la fin de 1992, il commence Ă diffuser depuis l'Ă©tranger des rapports officiels. Cependant, l'avis des mouvements de guĂ©rilla sur le FIS Ă cette Ă©poque est mitigĂ©Â ; une grande partie soutient le FIS, une minoritĂ© significative, menĂ©e par les « Afghans », considĂšre l'activitĂ© politique du parti comme non islamique, et rejeta donc les rapports avec le FIS.
En janvier 1993, Abdelhak Layada déclare que son groupe est indépendant de celui de Chebouti. La nouvelle faction devient le Groupe islamique armé (GIA). Elle fut particuliÚrement active à Alger, dans sa banlieue et dans les zones urbaines. Elle prit une position dure, s'opposant au gouvernement et au FIS, déclarant « Nous rejetons la religion de la démocratie. Nous affirmons que le pluralisme politique équivaut à la sédition »[40] et publiant des menaces de mort contre plusieurs chefs du FIS et du MIA. Elle était nettement moins sélective que le MIA, qui insistait sur la formation idéologique ; en conséquence, elle a réguliÚrement été infiltrée par les forces de sécurité, provoquant un renouvellement fréquent au fur et à mesure que les dirigeants étaient abattus.
En 1993, la division entre les mouvements de guĂ©rilla devint plus claire. Le MIA et le MEI, concentrĂ©s dans le « maquis », essayĂšrent de dĂ©velopper une stratĂ©gie militaire contre l'Ătat, visant plus particuliĂšrement les services de sĂ©curitĂ© et sabotant ou bombardant les Ă©tablissements d'Ătat. Depuis sa crĂ©ation, le GIA Ă©tait concentrĂ© dans les secteurs urbains, prĂ©conisait et appliquait le massacre envers ceux qui soutenaient le pouvoir, y compris les employĂ©s de l'Ătat, comme les professeurs et les fonctionnaires. Il assassina des journalistes et des intellectuels (comme Tahar Djaout), disant que « Les journalistes qui combattent l'islamisme par la plume pĂ©riront par la lame »[41]. Il intensifia ses attaques en visant les civils qui refusaient de respecter ses interdictions, puis il commença Ă massacrer des Ă©trangers, fixant un ultimatum d'un mois avant leur dĂ©part « n'importe qui dĂ©passera le dĂ©lai d'un mois sera responsable de sa mort »[42]. AprĂšs quelques massacres, pratiquement tous les Ă©trangers quittĂšrent le pays ; l'Ă©migration algĂ©rienne (souvent illĂ©gale) augmenta aussi sensiblement, car les gens cherchaient une issue au conflit. Durant la mĂȘme pĂ©riode, le nombre de visas accordĂ©s aux AlgĂ©riens par les autres pays chuta.
Montée en puissance de la lutte antiterroriste
Au moment du coup d'Ătat, les autoritĂ©s militaires dĂ©cident dâengager l'armĂ©e seule pour lutter contre les maquis islamistes qui commencent Ă se constituer sur lâensemble du territoire national. 140 000 hommes sont engagĂ©s contre les groupes armĂ©s. Mais les militaires, influencĂ©s par le modĂšle soviĂ©tique d'armĂ©e de masse peu flexible, subissent de lourdes pertes dans les mois suivant le putsch. Cette situation oblige les autoritĂ©s Ă engager progressivement les autres composantes des forces de sĂ©curitĂ© de l'Ătat. La gendarmerie entame les premiĂšres opĂ©rations contre les maquisards en et la police (DGSN) est elle aussi intĂ©grĂ©e dans la lutte antiterroriste Ă partir de 1993. Au total, 300 000 hommes sont engagĂ©s contre les Groupes Islamistes ArmĂ©s.
Jusqu'Ă la fin de l'annĂ©e 1994, les forces de sĂ©curitĂ© sont dĂ©passĂ©es par les nombreuses actions de guĂ©rilla menĂ©es par les groupes armĂ©s. La dĂ©sertion massive de membres des forces de sĂ©curitĂ© et l'imprĂ©paration de l'Ătat Ă une guĂ©rilla bien implantĂ©e au sein de la population cause de nombreuses pertes dans les rangs de lâarmĂ©e, la police et la gendarmerie.
Ă partir de cette date, les autoritĂ©s militaires dĂ©cident de la crĂ©ation de milices populaires pour Ă©pauler les forces de sĂ©curitĂ© et couper les groupes armĂ©s de leur assise populaire. L'ensemble des effectifs engagĂ©e par l'Ătat algĂ©rien dans la lutte anti-terroristes atteint 500 000 hommes en 1996.
Ăchec des nĂ©gociations et luttes intestines, 1994
La violence continua au cours de l'annĂ©e 1994, bien que l'Ă©conomie dans le mĂȘme temps ait commencĂ© Ă se redresser. Les nĂ©gociations avec le FMI avaient permis de rĂ©Ă©chelonner le remboursement de la dette ; le gouvernement obtint aussi un prĂȘt de 40 milliards de francs de la communautĂ© internationale pour libĂ©raliser son Ă©conomie. Comme il devenait Ă©vident que les troubles continueraient pendant un certain temps, le gĂ©nĂ©ral Liamine ZĂ©roual fut nommĂ© nouveau prĂ©sident du Haut Conseil d'Ătat ; il avait la rĂ©putation dâĂȘtre plus un homme de dialogue qu'un membre des Ă©radicateurs de l'armĂ©e. Peu aprĂšs sa prise de fonction, il entreprit des nĂ©gociations avec les dirigeants du FIS emprisonnĂ©s, libĂ©rant certains prisonniers en signe de bonne volontĂ©. Les entretiens ont divisĂ© la scĂšne politique les grands partis politiques, en particulier le FLN et le FFS (kabyle et socialiste), continuĂšrent Ă rĂ©clamer un compromis, Ă l'inverse d'autres, notamment, l'Union gĂ©nĂ©rale des travailleurs algĂ©riens (UGTA), sans oublier des groupes de gauche ou fĂ©ministes tels que le laĂŻque RCD proche des Ă©radicateurs. Quelques mouvements paramilitaires vaguement pro-gouvernementaux, tels que l'Organisation des jeunes AlgĂ©riens libres (OJAL), Ă©mergĂšrent et commencĂšrent Ă s'attaquer aux dĂ©fenseurs civils de l'islamisme. Le , plus de mille prisonniers (principalement des islamistes) s'Ă©vadĂšrent de la prison de Tazoult, reprĂ©sentant pour la guĂ©rilla un succĂšs ; plus tard, les partisans de la thĂ©orie de la conspiration suggĂ©rĂšrent qu'il s'agissait d'une mise en scĂšne pour permettre aux forces de sĂ©curitĂ© d'infiltrer le GIA.
En attendant, sous la direction de Cherif Gousmi (son chef depuis mars), le GIA devint le groupe le plus en vue en 1994. En mai, le FIS souffrit un coup apparent quand plusieurs de ses chefs qui n'avaient pas Ă©tĂ© emprisonnĂ©s, avec Said Makhloufi du MEI, rejoignirent le GIA. Comme le GIA avait publiĂ© des menaces de mort contre eux en , cela surprit beaucoup d'observateurs, qui l'interprĂ©tĂšrent comme le rĂ©sultat des luttes intestines au FIS ou comme une tentative de rĂ©orienter le GIA. Le 26 aoĂ»t, le GIA dĂ©clara mĂȘme un califat, ou gouvernement islamique, pour l'AlgĂ©rie, avec Gousmi comme « Commandeur des croyants ». DĂšs le lendemain, Mekhloufi annonça son retrait du GIA, dĂ©clarant que le GIA avait dĂ©viĂ© de l'islam et que ce califat Ă©tait une tentative de l'ex-chef du FIS Mohammed Said pour contrĂŽler le GIA. Celui-ci continua des attaques sur ses cibles habituelles, assassinant notamment des artistes, comme Cheb Hasni, et menaçant en aoĂ»t les Ă©coles insuffisamment islamistes d'incendie criminel.
Les guĂ©rillas fidĂšles au FIS, menacĂ©es de marginalisation, essayĂšrent d'unir leurs forces. En , le MIA, ainsi que le reste du MEI et divers petits groupes, s'unirent sous le nom dâArmĂ©e islamique du salut (un terme qui avait Ă©tĂ© parfois employĂ© par la guĂ©rilla favorable au FIS), dĂ©clarant leur allĂ©geance au FIS et renforçant de ce fait le FIS dans les nĂ©gociations. Vers la fin de 1994, elles contrĂŽlaient plus de la moitiĂ© de la guĂ©rilla Ă l'est et Ă l'ouest, mais Ă peine 20 % au centre, prĂšs de la capitale, qui Ă©tait l'implantation principale du GIA. Elles publiĂšrent des communiquĂ©s condamnant les attentats aveugles du GIA contre les femmes, les journalistes et d'autres civils « non impliquĂ©s dans la rĂ©pression », et attaquĂšrent la campagne d'incendie criminel des Ă©coles par le GIA.
Fin octobre, le gouvernement annonça l'échec de ses négociations avec le FIS. Zéroual proposa en remplacement un nouveau plan : il programma une élection présidentielle pour 1995, tout en favorisant des « éradicateurs » de l'armée comme Lamari et organisant des « milices d'autodéfense » dans les villages pour combattre la guérilla. La fin 1994 fut marquée par une croissance notable de la violence. Au cours de 1994, l'isolement de l'Algérie se renforça ; la plupart des agences de presse étrangÚre quittÚrent le pays cette année-là , alors que la frontiÚre marocaine se fermait et que les lignes aériennes étrangÚres étaient interrompues. Le manque de couverture des événements par la presse étrangÚre et algérienne est encore aggravé en juin par le gouvernement qui interdit aux médias algériens de mentionner toute nouvelle en rapport avec le terrorisme non traitée par les communiqués de presse officiels[43].
Quelques chefs du FIS, notamment Rabah Kebir, s'exilÚrent à l'étranger. à l'invitation de la Communauté de Sant'Egidio basé à Rome, en , ils entamÚrent des négociations avec tous les autres partis d'opposition, islamiques ou pas (LADDH, FLN, FFS, FIS, MDA, PT, JMC). Ils conclurent un accord mutuel le  : la plate-forme de Sant'Egidio. Elle regroupe un ensemble de principes :
- respect des droits de l'homme, de la démocratie, et du multipartisme,
- rejet du rÎle de l'armée sur la scÚne politique et de la dictature,
- reconnaissance de lâislam, des identitĂ©s ethniques arabe et berbĂšre en tant qu'aspects essentiels de l'identitĂ© nationale de l'AlgĂ©rie,
- demande de remise en libertĂ© des chefs du FIS, et l'arrĂȘt des massacres et des tortures extrajudiciaires dans tous les camps.
Ă la surprise de beaucoup, mĂȘme Ali Belhadj approuva l'accord, ce qui signifiait que le FIS retournait dans la lĂ©galitĂ©, d'un commun accord avec les autres partis d'opposition. Cependant, un signataire crucial Ă©tait absent : le gouvernement lui-mĂȘme. En consĂ©quence, la plateforme eut peu d'effets immĂ©diats. Les mois suivants furent marquĂ©s par le massacre d'environ 100 prisonniers islamistes dans la rĂ©volte de la prison de Serkadji, et d'un succĂšs important pour les forces de sĂ©curitĂ© lors de la Ain Defla, provoquant la mort de centaines dâislamistes.
En fin de compte, cependant, selon Andrea Riccardi qui mena les négociations pour la Communauté Sant'Egidio, « la plateforme incita les militaires algériens à abandonner l'unique confrontation militaire et les força à réagir par un acte politique » : l'élection présidentielle de 1995.
Cherif Gousmi fut remplacĂ© Ă la tĂȘte du GIA par Djamel Zitouni. Zitouni Ă©tendit les attaques du GIA aux civils sur le sol français, Ă commencer par le dĂ©tournement du vol Air France 8969 Ă la fin , puis plusieurs attentats Ă la bombe au cours de l'annĂ©e 1995. En AlgĂ©rie mĂȘme, il continua les plasticages de voiture et les assassinats de musiciens, de sportifs, et des femmes non voilĂ©es, aussi bien que les cibles habituelles. On pouvait alors s'interroger sur la nature apparemment contre-productive de plusieurs de ses attaques et Ă©mettre l'hypothĂšse (encouragĂ©e par des membres du FIS Ă l'Ă©tranger) que le groupe avait Ă©tĂ© infiltrĂ© par les services secrets algĂ©riens. La rĂ©gion au sud d'Alger, en particulier, fut dominĂ©e par le GIA, qui l'appela « la zone libĂ©rĂ©e », avant d'ĂȘtre appelĂ©e le « triangle de la mort ».
Les communiqués de guerre entre l'AIS et le GIA proliférÚrent, et le GIA réitéra ses menaces de mort contre des chefs du FIS et de l'AIS, assassinant un cofondateur du FIS, Abdelbaki Sahraoui, à Paris. Des sources étrangÚres estimÚrent alors qu'il y avait environ 27 000 guérilleros.
Poursuite de l'expression politique, Ă©mergence des milices, 1995-96
Ă la suite de l'arrĂȘt des nĂ©gociations avec le FIS, le gouvernement dĂ©cida d'organiser une Ă©lection prĂ©sidentielle. Le , Liamine ZĂ©roual fut Ă©lu prĂ©sident avec 60 % des voix. L'Ă©lection fut contestĂ©e par beaucoup de candidats, y compris par les islamistes Mahfoud Nahnah (25 %) et Noureddine Boukrouh (moins de 4 %) et le tenant de la laĂŻcitĂ© Said Sadi (10 %)[44], mais Ă l'exception du FIS, tous constatĂšrent un fort taux de participation (officiellement 75 %, taux confirmĂ© par la plupart des observateurs) en dĂ©pit de l'appel Ă l'abstention du FIS, du FFS et du FLN et les menaces de mort du GIA pour tous les votants (avec le slogan « une voix, une balle »). Un niveau Ă©levĂ© de sĂ©curitĂ© fut maintenu pendant la pĂ©riode Ă©lectorale jusqu'au jour de l'Ă©lection, par une mobilisation massive. Les observateurs Ă©trangers de la ligue arabe, de l'ONU et des organisations de l'unitĂ© africaine n'exprimĂšrent aucune rĂ©serve fondamentale. Les Ă©lections furent gĂ©nĂ©ralement perçues par les Ă©trangers comme tout Ă fait libres, et les rĂ©sultats raisonnablement plausibles, Ă©tant donnĂ© le choix limitĂ© de candidats[45].
Les rĂ©sultats reflĂ©tĂšrent les diverses opinions de la population, allant du soutien Ă la laĂŻcitĂ© et l'opposition Ă l'islamisme Ă un dĂ©sir dâarrĂȘt des violences, indĂ©pendamment de la politique. L'espoir naquit que la politique algĂ©rienne s'apaise finalement. ZĂ©roual en profita pour prĂ©senter une nouvelle constitution en 1996, qui renforçait nettement le pouvoir du prĂ©sident et en crĂ©ant une deuxiĂšme assemblĂ©e, en partie Ă©lue et en partie nommĂ©e par le prĂ©sident. En , le texte fut soumis Ă un rĂ©fĂ©rendum national ; tandis que le taux officiel de participation Ă©tait de 80 %, cette Ă©lection ne fut pas contrĂŽlĂ©e, et le fort taux de participation fut considĂ©rĂ© comme peu vraisemblable.
La politique du gouvernement fut combinée avec une augmentation substantielle avec la création de la garde communale et des milices pro-gouvernementales. Ces « milices d'autodéfense », souvent appelées les « patriotes » pour faire court, se composant de citoyens locaux entraßnés par l'armée et armés par le gouvernement, furent organisées dans les villes « sûres » et proches des zones d'activité des groupes de guérilla islamiste. Le programme fut plus ou moins bien accueilli suivant les régions du pays ; il fut sensiblement renforcé au fil des années, en particulier aprÚs les massacres de 1997.
Les élections furent un revers pour les groupes armés, qui enregistrÚrent une augmentation significative des désertions juste aprÚs les élections. Rabah Kebir du FIS répondit aux modifications dans l'opinion populaire en adoptant une tonalité plus conciliante vis-à -vis du gouvernement, mais cette évolution fut condamnée par une partie du Front et par l'AIS. Le GIA fut secoué par des dissensions internes ; peu de temps aprÚs l'élection, sa direction tua les chefs du FIS qui avaient rejoint le GIA, les accusant de tenter une récupération. Cette purge accéléra la désintégration du GIA : les factions de Mustapha Kartali, Ali Benhadjar et Hassan Hattab refusÚrent de reconnaßtre l'autorité de Zitouni vers la fin 1995, bien qu'ils n'aient formellement fait sécession que bien plus tard. En décembre, le GIA tua le chef de l'AIS pour l'Algérie centrale, Azzedine Baa, et en janvier s'engagea à combattre l'AIS comme un ennemi ; en particulier dans l'ouest, la guerre entre les deux mouvements fut totale.
Massacres et réconciliation, 1996-1997
En juillet 1996, le chef du GIA Djamel Zitouni fut assassiné par une ex-faction du GIA et Antar Zouabri lui succéda, se révélant encore plus sanglant.
Les élections législatives se déroulÚrent le . Elles furent dominées par le Rassemblement national démocratique (RND), un nouveau parti créé au début 1997 par les défenseurs de Zéroual, qui obtint 156 siÚges sur 380, suivi par le MSP (aprÚs le changement de nom du Hamas) et le FLN avec plus de 60 siÚges chacun. Les analyses de cette élection furent partagées ; la plupart des principaux partis d'opposition se plaignirent, et le succÚs du tout nouveau RND surprit tout le monde. Le RND, le FLN et le MSP formÚrent un gouvernement de coalition, avec Ahmed Ouyahia du RND comme premier ministre. Il y eut des mesures d'assouplissement envers le FIS : Abdelkader Hachani fut libéré, et Abbassi Madani assigné à résidence.
C'est Ă cette Ă©poque qu'apparut un nouveau problĂšme. Au cours du mois d'avril, l'AlgĂ©rie subit des massacres d'une brutalitĂ© et d'une ampleur sans prĂ©cĂ©dent (voir le massacre de Thalit) ; d'autres massacres avaient Ă©tĂ© commis au cours du conflit, mais toujours Ă une Ă©chelle nettement moindre. Visant particuliĂšrement les villages ou les banlieues sans distinction d'Ăąge et de sexe des victimes, les partisans du GIA tuĂšrent des dizaines, et parfois mĂȘme des centaines, de civils Ă la fois. Ces massacres se poursuivirent jusqu'Ă la fin 1998, modifiant notablement la situation politique. Le sud et l'est d'Alger, qui avait votĂ© pour le FIS en 1991, furent particuliĂšrement frappĂ©s ; les massacres de Rais et de Bentalha choquĂšrent en particulier les observateurs internationaux. Le matin du 29 aout 1997, le massacre de Rais fait entre 98 et 300 morts hommes, femmes et enfants ont Ă©tĂ© massacrĂ©s Ă lâarme blanche (couteaux, haches) ou brulĂ©s. Des femmes enceintes furent Ă©ventrĂ©es et dĂ©coupĂ©es en tranches, des enfants furent taillĂ©s en morceaux ou jetĂ©s contre des murs, les membres des hommes furent coupĂ©s, dans leur retraite les attaquants enlevĂšrent des jeunes femmes pour en faire des esclaves sexuelles.Ce massacre a Ă©tĂ© suivi par dâautres massacres Ă Beni Messous et Ă Bentalha Ă quelques kilomĂštres au nord de Sidi Moussa le avec la mort de 250 civils. Dâautres massacres autour de Tiaret et Relizane entre et ont fait entre 400 et 500 morts civils[46].
Ă la fin de lâannĂ©e 1997, uniquement durant les deux premiĂšres semaines du Ramadan, plus de 1 000 personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es en AlgĂ©rie.
Bien que cette citation attribuĂ©e Ă Nesroullah Yous, un survivant de Bentalha, soit peut-ĂȘtre une exagĂ©ration, elle exprime l'humeur apparente des attaquants :
La responsabilitĂ© du GIA dans ces massacres est incontestable. Il revendiqua les massacres de Rais et Bentalha, les qualifiant « d'offrandes Ă Dieu » et les victimes de dĂ©fenseurs « impies » des tyrans dans un communiquĂ© de presse. Cette politique de massacres de civils fut l'une des principales raisons de la scission du Groupe salafiste pour la prĂ©dication et le combat (GSPC). Ă ce stade, il avait apparemment adoptĂ© l'idĂ©ologie takfiriste, selon laquelle tous les AlgĂ©riens ne combattant pas activement le gouvernement Ă©taient corrompus au point d'ĂȘtre des kafirs, et pouvaient ĂȘtre tuĂ©s « lĂ©galement » en toute impunitĂ©Â ; un communiquĂ© non confirmĂ© de Zouabri dĂ©clarait qu'« exceptĂ© ceux qui sont avec nous, tous les autres sont des apostats et mĂ©ritent la mort »[48]. Certains pensent que le motif de la destruction d'un village venait de l'adhĂ©sion de celui-ci au programme gouvernemental, qu'il vit comme une preuve de dĂ©loyautĂ©Â ; pour d'autres, la rivalitĂ© avec d'autres groupes (par exemple, la faction dĂ©tachĂ©e de Mustapha Kartali) joua un rĂŽle.
Cependant, pour Rais et Bentalha, Amnesty International [1] et les survivants relĂšvent que l'armĂ©e avait des baraquements Ă quelques centaines de mĂštres, mais nâĂ©tait pas intervenue ; ceci et d'autres dĂ©tails conduisirent certains Ă voir des connexions entre l'armĂ©e et le GIA, et en particulier remettre en lumiĂšre la thĂ©orie selon laquelle le GIA Ă©tait infiltrĂ© par la police secrĂšte, non seulement parmi des thĂ©oriciens de la conspiration, mais aussi parmi quelques chercheurs occidentaux. Dans un certain cas (le massacre de Guelb -el-Kebir et le massacre Sidi Hamed) les journaux algĂ©riens soupçonnĂšrent l'AIS, en dĂ©pit d'un dĂ©menti formel de sa participation ; la crĂ©dibilitĂ© de ces rapports est peu claire.
C'est Ă cette Ă©poque que l'AIS engagea une guerre totale, tant avec le GIA quâavec le gouvernement, se trouvant dans une position intenable. Le GIA apparut comme un ennemi plus immĂ©diat, et les membres de l'AIS craignirent que les massacres, qu'ils avaient rĂ©guliĂšrement condamnĂ©s, leur soient imputĂ©s. Le , le dirigeant de l'AIS, Madani Mezrag, ordonna le cessez-le-feu unilatĂ©ral et sans condition dĂ©butant le 1er octobre, « dĂ©voilant l'ennemi qui se cache derriĂšre ces massacres abominables. » L'AIS s'est mis en grande partie hors de la scĂšne politique, ramenant le combat Ă une lutte entre le gouvernement, le GIA, et les divers groupes qui quittaient petit Ă petit de l'orbite du GIA. La ligue islamique pour Da'wa et Jihad d'Ali Benhadjar (LIDD), formĂ©e en fĂ©vrier 1997, s'allia Ă l'AIS et observa le mĂȘme cessez-le-feu. Au cours des trois annĂ©es suivantes, l'AIS nĂ©gocia une amnistie graduelle pour ses membres.