Diflufenicanil
Le diflufenicanil (ou diflufenican ou DFF ou encore (N-(2,4-difluorophényl)-2-[3-(trifluorométhyl)phénoxy]-3-pyridine-carboxamide)) est le nom d'une molécule herbicide organofluorée, substance active principalement utilisée en agriculture, sous forme de différentes formulations, pour différents types de cultures.
Diflufenicanil | |
Identification | |
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Synonymes |
diflufenican |
No CAS | |
No ECHA | 100.122.360 |
PubChem | |
SMILES | |
InChI | |
Apparence | solide |
Propriétés chimiques | |
Formule | C19H11F5N2O2 [IsomĂšres] |
Masse molaire[1] | 394,294 9 ± 0,017 g/mol C 57,88 %, H 2,81 %, F 24,09 %, N 7,1 %, O 8,12 %, |
Propriétés physiques | |
T° fusion | 160 °C |
SolubilitĂ© | 0,05 mg Lâ1 dans l'eau Ă 25 °C |
Pression de vapeur saturante | 3,18 ĂâŻ10â8 mmHg Ă 25 °C |
Précautions | |
SGH[2] | |
H412 |
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Ăcotoxicologie | |
DL50 | 2 000 mg kgâ1 rat oral 2 000 mg kgâ1 rat peau |
Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire. | |
Cette molécule est aussi antigerminative mais originellement elle a été conçue comme désherbant du blé d'hiver[3].
Elle se dégrade dans le sol, en moyenne, nettement plus lentement que d'autres désherbants tels que le glyphosate ou l'isoproturon ou que l'azoxystrobine (fongicide)[4] et son principal métabolite est alors le l'acide 2-[3-(trifluorométhyl) phénoxy] nicotinique (désigné par l'expression AE B107137 par l'EFSA et parfois abrégé en AE-B).
Usages
Le diflufénican est utilisé dans en zones agricoles et urbaines, contre les herbes jugées indésirables, dans les allées de cimetiÚre, aéroports... ainsi que sur les bords de voies de circulation. Ses usages autorisés ont varié dans le temps et selon les pays.
Dans l'Union européenne (UE)
Dans l'UE, en Agriculture, le diflufenicanil est interdit dans les parcelles de culture biologique, et n'est autorisé ailleurs que pour désherber chimiquement les champs de blé, orge, seigle et avoine, les vignobles, les cultures d'arbres et buissons de pépiniÚres[5].
Il fait aussi partie des désherbants au moins provisoirement autorisés dans les jardins, cimetiÚres et pour traiter les axes de circulation.
Tonnages utilisés en France
Selon l'Agence française pour la biodiversité (AFB), l'Anses et la Banque nationale des ventes de produits phytopharmaceutiques (renseignée par les distributeurs agréés) en 2018, si la consommation de diflufenicanil a diminué de 2009 à 2017 pour les usages en jardin, elle a plus que doublé sur les grandes cultures, y passant de 168,4 tonnes/an pulvérisées en 2009 à 407,3 t/an en 2017[6].
Pour tous ses usages confondus, en il était en 2009 en France le 60e pesticide le plus utilisé en France (sur 389 molécules autorisées), devenant le 31e (sur 436) en 2017[6].
En 2011, le diflufenicanil a Ă©tĂ© principalement utilisĂ© sur le blĂ© tendre (1 435 482 hectares traitĂ©s au moins une fois dans l'annĂ©e par ce produit, soit 31,4% de tous les champs de blĂ© tendre) selon une estimation faire par le Service de la statistique et de la prospective du MinistĂšre de l'agriculture et de l'alimentation, sur la base d'enquĂȘtes de terrain extrapolĂ©es), loin devant l'orge (410 570 ha, soit 31,3% de tous les champs d'orge de France), le triticale (25 762), le blĂ© dur (16 950 ha), le maĂŻs fourrage (2 399 ha), le maĂŻs grain (3 424 ha) et le colza (143 ha)[6].
Cette annĂ©e lĂ (2011) les tonnages de ce pesticide reçus par les cultures de betterave sucriĂšre et par les viticultures n'ont pu ĂȘtre Ă©valuĂ©s (faute de donnĂ©es renseignĂ©es)[7].
Mais une autre évaluation (méthode similaire), a estimé qu'en 2014 environ 384 178 ha ont été traités au moins une fois au diflufenicanil (soit 0,4% de tous les champs de betterave sucriÚre de France)[7].
Concernant l'arboriculture, les données étaient également lacunaires jusqu'en 2011, mais il a ensuite été évalué par l'ANSES que seuls 99 ha de pommeraies auraient reçu ce produit en 2012 (sur environ 38 846 ha estimés)[7].
Nombre d'utilisateurs en France (Cf. Cohorte « Agrican »)
Selon les données venant de la cohorte Agrican, 13 985 membres de cette cohorte ont au moins une fois utilisé du diflufénican (soit 7,7 % de la cohorte et 26,5 % des utilisateurs de pesticides de la cohorte)[7]. Mais ces proportions varient énormément selon le sexe : « les utilisateurs de cette substance active représentent 13,9 % des hommes de la cohorte et 29,7 % des utilisateurs de pesticides, tandis que les utilisatrices représentent 0,4 % des femmes de la cohorte et 4,3 % des utilisatrices de pesticides. »[7].
Au moment de l'inclusion du diflufĂ©nican dans l'Ă©tude, entre 2005 et 2007, 6 081 membres de la cohorte en activitĂ© l'utilisaient (soit 11,1 % des hommes de la cohorte alors en activitĂ© et 0,2 % des femmes en activitĂ©). Au mĂȘme moment, dans cette mĂȘme cohorte Agrican, 55,1 % des utilisateurs de pesticides et 16,8 % des utilisatrices de pesticides utilisaient du diflufĂ©nican[7].
Devenir des résidus la molécule dans les plantes cultivées
AprĂšs des traitements sur du blĂ© trifoliĂ©, des agronomes chinois ont recherchĂ© les rĂ©sidus de diflufĂ©nican dans le sol, ainsi que dans les plants de blĂ© puis dans leurs grains[8]. Ils ont trouvĂ© que (sachant que la quantitĂ© minimale dĂ©tectable de diflufĂ©nican Ă©tait de 1,0 Ă 10â10gkgâ1), la molĂ©cule disparaisait peu Ă peu avec le temps (plus ou moins vite selon la profondeur de la couche du sol Ă©tudiĂ©e) et les rĂ©sidus Ă©taient d'autant plus Ă©levĂ©s que la dose pulvĂ©risĂ©e a Ă©tĂ© importante, avec une augmentation non linĂ©aire, par exemple en doublant la quantitĂ© pulvĂ©risĂ©e, la quantitĂ© rĂ©siduelle de diflufĂ©nican faisait plus que doubler en fin d'expĂ©rience). Mais pour une seule pulvĂ©risation, les rĂ©sidus Ă©taient bien en deçà de la valeur du rĂ©sidu maximal limite (LMR) fixĂ©e en Chine et jugĂ©e par les auteurs sans danger pour le blĂ©, les humains ou le bĂ©tail[8]. Ils n'ont pas Ă©valuĂ© leur impact ni leur concentration dans la faune du sol (vers de terre par exemple)[8].
Le diflufénilcanil et l'eau
La molécule active est presque insoluble dans l'eau[9], mais se montre toxique à faible doses pour le milieu aquatique (voir ci-dessous). Elle est par contre trÚs soluble dans certains mélanges de cosolvants dont par exemple (éthanol + eau), (éthylÚne glycol, EG + eau), (propylÚne glycol, PG + eau) et (N, N-diméthyl formamide, DMF + eau)[10].
Elle est facilement adsorbé sur les particules organiques du sol, et une étude de 2 ans sur un petit bassin-versant allemand a constaté des pics importants de lessivage de Diflufenicanil (vers la nappe ou les eaux superficielles) en période humide et en fin d'hiver aprÚs que les processus de gel/dégel aient favorisé une augmentation de l'érosion du sol sous les pluies. (mais ce pesticide est néanmoins moins lessivable que le flufénacet qui était aussi suivi par cette étude)[11].
Sans surprise (puisque l'utilisation de cette molĂ©cule a beaucoup augmentĂ©), la pollution des eaux de surface par ce produit est en augmentation, dont en France mĂ©tropolitaine oĂč selon le ministĂšre de l'environnement : en 2007, parmi 639 analyses d'eau quantifiĂ©es, 5,7% des analyses montraient la prĂ©sence de diflufĂ©nican ; alors ce taux est passĂ© Ă 38,6% en 2016 (pour 6 260 analyses d'eau), le nombre de dĂ©passement de la MAC ("Maximum Acceptable Concentration" = Concentration maximale admissible rĂ©glementaire, correspondant Ă un risque aigu pour la Directive cadre sur l'eau) semble ĂȘtre restĂ© stable (entre 1 et 2% des analyses) mais il faut tenir compte du fait que le nombre d'analyse faites par an a augmentĂ© [12] . Par contre hors-mĂ©tropole, dans les DROM, de 2007 Ă 2014, les analyses d'eaux de surface n'ont rĂ©vĂ©lĂ© aucune trace de cette molĂ©cules, mais le nombre d'analyses faites dans les DROM chaque annĂ©e est bien moindre qu'en mĂ©tropole et le nombre nombre dâanalyses dont le rĂ©sultat est supĂ©rieur Ă la limite de quantification y est Ă©galement bien plus bas. L'ANSES aiment en 2018 que « les techniques analytiques disponibles ou couramment mises en Ćuvre pour dĂ©tecter le diflufĂ©nican au niveau et en-dessous de la valeur Ă partir de laquelle un risque ne peut ĂȘtre Ă©cartĂ©, ne sont pas assez performantes »[12].
Concernant le eaux de nappe phrĂ©atique (surveillĂ©es en France par le BRGM), elles se montrent a priori moins contaminĂ©es, avec une prĂ©sence gĂ©nĂ©ralement infĂ©rieure Ă la limite de quantification (0,04 ÎŒg.l-1 pour la pĂ©riode 2008-2017 Ă©tudiĂ©e par le dernier rapport de l'ANSES, publiĂ© en 2018) [13].
Si la molĂ©cule est prĂ©sent dans l'eau du robinet c'est sous le seuil de quantification, sous la valeur toxicologique de rĂ©fĂ©rence fixĂ©e Ă 0,1 ÎŒg/L pour un pesticide seul sans les eaux destinĂ©es Ă la consommation humaine, et sous la Vmax= fixĂ©e Ă 600 ÎŒg/l en France [14]. Aucune non-conformitĂ© n'a Ă©tĂ© signalĂ©e en France pour cette molĂ©cule entre 2007 et 2016[15].
Dans les aliments d'origine végétale ou animale
La limite maximale de rĂ©sidus (LMR) par dĂ©faut (la plus basse) pour cette molĂ©cules est Ă©gale Ă 0,01 mg/kg. Aucun dĂ©passements de LMR n'a Ă©tĂ© signalĂ© en France de 2008 Ă 2017, mais peu de donnĂ©es Ă©taient disponibles (aucune analyse avant 2012 selon l'ANSES et quand on a recherchĂ© cette molĂ©cule dans ces aliments, son taux Ă©tait gĂ©nĂ©ralement infĂ©rieur Ă la limite de quantification [0,04 ÎŒg.l-1] pour la pĂ©riode 2008-2017 Ă©tudiĂ©e par le dernier rapport de l'ANSES, publiĂ© en 2018). On n'a donc pas de donnĂ©es sur la dose cumulĂ©e ingĂ©rĂ©e ou bue par an en France[16]..
Entre 2008 et 2017, deux Ă©tudes ont portĂ© sur lâalimentation totale de français, la premiĂšre dite EAT2 ne disposait d'aucune analyse de cette molĂ©cule dans les aliments[17] mais la seconde (Ă©tude de lâalimentation totale infantile (EAT1) a pu s'appuyer sur 161 analyses de laits de croissance et prĂ©parations infantiles, aliments courants, eaux embouteillĂ©es [18]. Toutes ces analyses avaient pour cette molĂ©cule un rĂ©sultat infĂ©rieur Ă la limite de quantification.
Une Ă©valuation de l'exposition alimentaire des Français et des risques alimentaires liĂ©s au « diflufĂ©nican seul » en tant que rĂ©sidu[19] a Ă©tĂ© tentĂ©e par l'ANSES (2018). Elle s'est basĂ©e sur les donnĂ©es de programmes de surveillance des denrĂ©es alimentaires et des eaux destinĂ©es Ă la consommation humaine, ainsi que sur une Ă©tude de lâalimentation totale (dite EAT2) ainsi que sur les niveaux de consommation alimentaire modĂ©lisĂ©s par lâĂ©tude « INCA 2 »[20], mais elle n'a pu tenir compte que « des donnĂ©es de contamination des eaux destinĂ©es Ă la consommation humaine, seules donnĂ©es disponibles au moment de lâĂ©valuation. Lâexposition chronique au diflufĂ©nican nâa pas pu ĂȘtre Ă©valuĂ©e sur la base de lâEAT2[17], cette substance active nâayant pas Ă©tĂ© recherchĂ©e » et « lâexposition aiguĂ« nâa pas Ă©tĂ© Ă©valuĂ©e en raison de lâabsence de fixation dâARfD et de quantifications pour la pĂ©riode considĂ©rĂ©e » a prĂ©cisĂ© l'ANSES en 2018[21] .
La valeur toxicologique de référence (VTR) pour le risque chronique correspond à la « dose journaliÚre admissible », fixée dans l'Union européenne à 0,2 mgLkg de poids corporel et par jour [22], mais pour le risque aigu, il n'y avait pas en 2018 d'ARfD (Acute Reference Dose) applicable [23].
Au vu de ces valeurs de référence, la DJA n'est pas dépassée en France, ni chez l'adulte, ni chez l'enfant. Les valeurs toxicologiques de référence (VTR) ne concernent que la molécule seule en tant que résidus des formulations pesticides utilisées ; autrement dit, ces valeurs n'intÚgrent pas les métabolites de la molécules ingérées ni celles formées dans l'organisme.
De plus, il ne semble exister que trÚs peu de données sur les synergies entre ce pesticide (ou ses résidus) et d'autres pesticides (ou leurs résidus), et encore moins sur d'éventuelles synergies entre ce pesticides et d'autres polluants présents dans l'air, l'eau ou de l'alimentation.
Une étude (2009) a conclu que dans le sol, le mélange glyphosate + diflufénican « a augmenté les effets toxiques des deux herbicides sur l'activité biologique du sol et la persistance individuelle dans le sol de chaque herbicide » (surtout dans un sol sableux)[24], mais elle ne portait que sur ces deux molécules (souvent associées dans les formulations mises sur le marché.
Imprégnation humaine et effets sur l'organisme humain ?
Selon l'ANSES (2018), le diflufĂ©nican n'a pas Ă©tĂ© intĂ©grĂ© dans les Ă©tudes de biosurveillance de l'imprĂ©gnation humaine par les pesticides, et pour la pĂ©riode 1997-2017/18, le rĂ©seau Phytâattitude (CCMSA) n'a pas signalĂ© dâĂ©vĂ©nements indĂ©sirables dĂ©montrĂ© liĂ© Ă une exposition Ă un produit contenant du diflufĂ©nican. De mĂȘme pour le rĂ©seau des Centres antipoison et de toxicovigilance pour la pĂ©riode du 01/01/2010 au 20/11/2018[25].
En 2018, on ne disposait pas d'Ă©tudes sur les effets chroniques du diflufĂ©nican sur la santĂ© humaine issues des principales expertises collectives. Le CIRC n'avait pas encore publiĂ© de monographie sur ce produit, qui n'Ă©tait en outre pas citĂ© dans lâexpertise collective de lâInserm ni dans celle de lâEFSA comme Ă©tant associĂ© Ă une pathologie [26].
Dans l'alimentation animale ?
En 2018, selon l'ANSES, « le diflufenican n'a pas été recherché en France dans le cadre des programmes de surveillance » de l'alimentation animale.
Cinétique du diflufénican dans l'Environnement (rural, urbain...)
Le diflufénican se dissipe dans le sol plus lentement que d'autres désherbants tels que le glyphosate, l'azoxystrobine ou l'isoproturon. Par exemple, pour dissiper 25 % de la dose épandue, il faut de 13 à 61 semaines (selon le contexte édaphique et de vie biologique du sol) pour le diflufénican, contre 5,6 à 17,2 semaines pour l'azoxystrobine et 0,3 à 12,5 semaines pour l'isoproturon[4].
En 2020 une équipe de chercheurs danois a confirmé que le devenir (dégradation, biodégradation, minéralisation, sorption et vieillissement) de cette molécules dans le sol varie considérablement selon le milieu, et également en milieu urbain et en milieu agricoles[27]. En particulier, ses deux principaux métabolites (les seuls recherchés par cette étude) persistent beaucoup plus longtemps dans les sols urbains que dans les sols agricoles, et la minéralisation de la molécule se fait trÚs mal dans les substrats de type "gravier" ou "sablonneux"[27] (ou dans le sable qu'on trouve sous les pavés et pavés auto-bloquants). Or, soulignent les auteurs, les pesticides sont réglementés en Europe « uniquement en se basant sur les données des sols agricoles »[27], données non-représentatives de la cinétique des pesticides dans les sols urbains (imperméabilisés, pavés ou non)[28] ;
- l'acide 2-[3-(trifluoromĂ©thyl) phĂ©noxy] nicotinique (ou AE-B) qui est le premier et principal mĂ©tabolite du diflufĂ©nican ne semble pas s'accumuler dans un sol de type agricole (oĂč aprĂšs 150 jours 10% de la quantitĂ© de molĂ©cule-mĂšre [le diflufĂ©nican] apportĂ©e au sol s'Ă©tait minĂ©ralisĂ©e). Par contre dans le mĂȘme dĂ©lai, dans une couche de gravier, telle qu'on en trouve frĂ©quemment en ville, ce mĂȘme mĂ©tabolite n'avait pas encore commencĂ© Ă se minĂ©raliser[27].
- Une Ă©tude lysimĂ©trique a confirmĂ© montrĂ© en 2020 que la sorption (comme dans le cas du glyphosate) contrĂŽle le lessivage des molĂ©cules de dĂ©gradation issues du diflufĂ©nican, mĂȘme dans les graviers[28]. De plus, ces produits de dĂ©gradation sont lixiviĂ©s de maniĂšre diffĂ©rente selon le type de gravier (car « diffĂ©rents graviers peuvent dĂ©clencher diffĂ©rentes voies de dĂ©gradation »[28]. Or la sorption de la molĂ©cule-mĂšre (diflufĂ©nican) se montre bien plus forte dans le sol agricole que dans le gravier[27] ;
- la sorption des deux principaux mĂ©tabolites du diflufĂ©nican dans le sol, comme dans le gravier, est plus faible que celle le diflufĂ©nican lui-mĂȘme[27] ; Une Ă©tude danoise, en extĂ©rieur, a utilisĂ© 21 lysimĂštres emplis de gravier, comparĂ©s Ă une couche arable sableuse comme tĂ©moin[28]. AprĂšs aspersion d'un mĂ©lange commercial diflufĂ©nican + glyphosate, les taux d'herbicides et de leurs produits de dĂ©gradation pertinents ont Ă©tĂ© dosĂ©s dans les lixiviats durant 19 mois : « le diflufĂ©nican, le glyphosate et l'AMPA n'ont Ă©tĂ© lixiviĂ©s par aucun des lysimĂštres[28]. Mais un produit de dĂ©gradation du diflufĂ©nican (l'AE-0) s'est lessivĂ© Ă partir de deux des types de gravier pendant plus d'un an, et un second produit de dĂ©gradation (l'AE-B) Ă©tait retrouvĂ© dans les lixiviation de tous les graviers durant un an au maximum »[28]. Les taux de ces produits dans le lixiviat ont atteint Ă 0,5 Ă 3 g/L, et « les concentrations les plus Ă©levĂ©es sur les pĂ©riodes les plus longues Ă©tant observĂ©es avec des Ă©clats de roche sur le gravier »[28].
- Durant 150 jours, le vieillissement du diflufénican dans le sol et le gravier ne semble pas avoir eu d'influence sur la quantité de composé encore présente dans le sol[27].
Les auteurs concluent donc à des « lacunes dans les procédures d'évaluation des risques demandées pour l'homologation des pesticides pour les zones urbaines »[27].
Ăcotoxicologie
- Le rÚglement no 1272/2008 l'a classé H412 : « nocif pour les organismes aquatiques, entraßnant des effets néfastes à long terme ». 0,016
- Alors que l'impact des pesticides sur les fonctions agroĂ©cologiques des sols prĂ©occupe les chercheurs[29] et que l'on a dĂ©montrĂ© (en 2006) que ce produit (comme l'isoproturon ou l azoxystrobin) montre des taux de dĂ©gradation dans le sol trĂšs variable, mĂȘme au sein d'un mĂȘme champs, selon l'Ă©tat local du sol et ses caractĂ©ristiques physicochimiques[4] ; une Ă©tude rĂ©cente (2021) a conclu que l'application de cet herbicides « diminue fortement la population microbienne », avec en outre « une modification significative de la structure microbienne dans le sol non amendĂ© »[30]. En revanche, les diffĂ©rences de biomasse et de structure microbienne disparaissaient dans les sols traitĂ©s s'ils avaient aussi Ă©tĂ© amendĂ©s (par un substrat Ă©puisĂ© de culture de champignon ou par du compost, dans le cas de cette Ă©tude)[30]. Selon les auteurs, ces amendements « ont eu un certain effet tampon sur le DHA du sol et la biomasse et la structure microbiennes aprĂšs l'application d'herbicides en raison de la capacitĂ© d'adsorption plus Ă©levĂ©e des herbicides par le sol amendĂ© »[30].
Effets du Diflufénicanil sur les biofilms algaux et le périphyton
Dans les bassins versants agricoles comme ailleurs, dÚs que de l'eau est présente en surface, des périphytons (c'est dire un biofilm vivant sur le sol humide ou des objets immergés) s'y forment. Bien que discrets, ces périphytons ont des fonctions écosystémique importantes pour d'autres espÚces et pour la biosphÚre : outre qu'ils sont des sources de nourriture, ils produisent de l'oxygÚne, ils créent du sol ou du sédiment (via leur nécromasse) et ils forment un substrat de vie pour d'autres espÚces. En colonisant certains écotones, ils contribuent aussi à « fixer » la pellicule superficielle des sols ou des sédiments respectivement face à l'érosion éolienne ou hydrique, et face au courant sous l'eau). De plus, couvrant au total d'immenses surfaces, ce sont aussi de discrets puits de carbone (et puits de phosphore selon une étude de 2006 sur la déseutrophisation des Everglades)[31].
Le périphyton forme en effet des biofilms plus ou moins épais et solides, constitués par des symbioses entre des algues et cyanophycées autotrophes et d'autres organismes, hétérotrophes (bactéries, microchampignons principalement). Cette symbiose leur permet de résister à des facteurs de stress tels que, notamment, le stress hydrique, les chocs thermiques et les UV solaires. Certains périphytons sont en outre des sources de roches biogéniques telles que les stromatolithes.
Comme ils sont en grande partie constitués d'organismes photosynthétiques, il était utile de connaitre les effets des désherbants (ou des biocides en général) sur les communautés « périphytes ». De nombreuses études avaient déjà porté sur l'effet de désherbants sur ces biofilms, mais il s'agissait de désherbants inhibiteurs de la photosynthÚse. Or, le Diflufénicanil a un tout autre mode d'action sur la plante (inhibition de la biosynthÚse des caroténoïde, selon ses concepteurs).
Un bioessai récent (2018) a donc exposé (12 jours durant) des communautés algales matures et périphytiques à des doses diverses de Diflufénicanil (jusqu'à 10 g/L). Ensuite, ces organismes ont pu récupérer durant de 9 jours dans une eau dépourvue d'herbicide. Tous les trois jours, durant les deux phases de ce bio essai, deux variables étaient quantifiées : la premiÚre traduisait l'état fonctionnel du périphyton (via a) la mesure de son efficacité photosynthétique et b) la mesure de l'extinction non-photochimique), et la seconde indiquait l'état de sa structure (via la mesure du taux de pigments, de la biomasse algale et de la structuration de sa communauté).
RĂ©sultat : dĂšs 0,2 ÎŒg de diflufĂ©nican par litre d'eau du milieu, le taux de carotĂ©noĂŻdes chute (d -20% Ă -25 %) dans le pĂ©riphyton, et plus encore pour le taux de chlorophylle (-25% Ă -30 %). Le diflufĂ©nican est donc bien Ă©cotoxique pour ces Ă©cosystĂšmes, mĂȘme Ă faible dose.
Selon les auteurs, le pĂ©riphyton montre un certain potentiel de rĂ©cupĂ©ration (aprĂšs exposition), observĂ© sous forme d'augmentation des taux de chlorophylle a et d'une extinction non-photochimique accrue, mais le pĂ©riphyton peut ne pas ĂȘtre en mesure de rĂ©cupĂ©rer rapidement en raison de l'augmentation persistante de l'efficacitĂ© photosynthĂ©tique, ce qui induit un dĂ©placement des communautĂ©s microbiennes vers une hĂ©tĂ©rotrophie. Ces communautĂ©s peuvent alors devenir Ă©mettrices de CO2 et/ou de mĂ©thane, alors que quand elles Ă©taient Ă dominante autotrophes (elle jouaient un rĂŽle de pompe Ă carbone et d'oxygĂ©nation du milieu).
Remarque : l'effet dépresseurs sur la fonction chlorophyllienne avait avant cela facilement pu échapper aux observateurs, car il est ici masqué : la quantité de chlorophylle est habituellement évaluée (avec précision, et facilité) par la mesure de sa fluorescence, or il se trouve que l'intoxication des algues par le diflufénican (molécule contenant 5 atomes périphériques de fluor), et l'effet de ce désherbant sur le complexe membranaire pigment-protéine du photosystÚme II sont « deux processus provoquant une fluorescence plus élevée de la chlorophylle », trompant l'observateur[32].
Effets sur les animaux sauvages
- Les effets sur les animaux sauvages terrestres n'ont pas fait l'objet d'évaluations disponibles (en 2018, selon l'ANSES citant le réseau SAGIR qui n'avait pas de données sur ce produit entre le 01/01/1986 et le 31/12/2013).
Les oiseaux semblent notamment faire partie de espĂšces exposĂ©es Ă cette molĂ©cule dans les plaines agricoles : selon une Ă©tude dĂ©nommĂ©e « PeGASE/M6P », le diflufĂ©nican a Ă©tĂ© utilisĂ© sur 66,7 % des sites dâĂ©tudes et sur 11,7% de la surface totale des sites Ă©tudiĂ©s. Il ne semble pas avoir Ă©tĂ© dosĂ© dans les cadavres dâoiseaux, mais a une analyse l'a quantifiĂ© dans un Ćuf non Ă©clos (0,016 mg/kg) ;
- Concernant le bétail ou les mammifÚres domestiques (chat, chien), les appels aux centres antipoison citent divers symptÎmes (nausées et vomissements, tremblements, irritations buccales, la perte d'appétit, l'hypersalivation) dans le cadre d'intoxications suspectées par ce produit, via la consommation de végétaux traités, le léchage des pattes ou l'ingestion de granulés par un animal en ayant déchiqueté le sachet. Il est difficile d'attribuer ces effets au diflufénican en particulier, car ce dernier est toujours utilisé en association avec d'autres molécules (ex : Aminotriazole, Glyphosate, Fluoroxypyr, Oxadiazon, MCPA, Diuron, 2,4 D, Isoproturon, Triclopyr, Chlortoluron)... et avec des adjuvants (ex : solvants, surfactants...)[33].
- Il ne semble pas y avoir eu d'Ă©tudes sur les synergies toxiques concernant les effets sur les animaux.
Exposition via l'air
Comme le Diuron et d'autres pesticides Ă dĂ©gradation lente, aprĂšs pulvĂ©risation, il peut prĂ©senter une certaine rĂ©manence dans le sol (plus ou moins selon le type de sol), puis Ă©ventuellement ĂȘtre libĂ©rĂ© dans l'atmosphĂšre et dans la vapeur d'eau Ă©mise par le sol exposĂ© au soleil (par un labour notamment). En France, dans les annĂ©es 2010, quelques centaines de dosages de pesticides ont Ă©tĂ© faits annuellement dans l'air (en mesure journaliĂšres ou hebodmadaires) par les Associations agrĂ©Ă©es de surveillance de la qualitĂ© de l'air (AASQA) sous l'Ă©gide d'ATMO France. Selon, ces donnĂ©es, le diflufenican est souvent prĂ©sent dans l'air en deçà des seuils de quantification, ou sa teneur est comprise entre 0,17 et 0,39 nanogrammes par m d'air filtrĂ© (moyennes sur une semaine). Il ne semble pas y avoir de suivi de ses molĂ©cules de dĂ©gradation.
En se basant sur la concentration maximale hebdomadaire ((0,39 ng.m-3) observĂ©e par les AASQA entre 2013 et 2016 (mais on sait que l'usage de ce produit a augmentĂ© depuis) et en estimant que le taux respiratoire de lâenfant est de 1,07 m3 jâ1 kgâ1 pc, son exposition correspondrait Ă moins de 0,1 % de lâAOEL de cette substance active.
Usages, réglementation
Selon le dossier de Phytopharmacovigilance synthétisant les données de surveillance de l'ANSES (daté de décembre 2018), le diflufenicanil a été approuvé par un rÚglement européen de 2009[5], pour certains usages uniquement, et du 01/08/2009 au 31/12/2020.
Mode d'action
à la différence de nombreux désherbants systémiques conçus pour inhiber la photosynthÚse et ainsi tuer la plante qui les absorbe, le Diflufenicanil a été conçu pour dégrader les membranes cellulaires via une inhibition de la biosynthÚse des caroténoïdes.
Mais Ashton et ses collÚgues, en 1992, ont découvert que cette molécule attaque aussi le complexe enzymatique. Elle le fait en inhibant la biosynthÚse des lipides acylés (acides gras vitaux)[35]. Des expériences faites in vitro suggÚrent que c'est l'acide gras synthétase plutÎt que l'acétyl-CoA carboxylase qui est le site d'action de la molécule[35].
Ce mĂ©canisme a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© en dĂ©tail dans les annĂ©es 1990, en mesurant les activitĂ©s des rĂ©ductases au sein du complexe acide gras synthase de la biosynthĂšse des acides gras de type II d' Escherichia coliââ et du mĂ©socarpe d'avocat (Persea americana)[36]. Totalement inactif sur la bĂȘta-cĂ©toacyl-ACP synthase, le diflufĂ©nican inhibe par contre, de maniĂšre compĂ©titive les Ă©noyl-[acyl-carrier-protein] rĂ©ductase qu'elles soient dĂ©pendantes du coenzyme NADH (Nicotinamide adĂ©nine dinuclĂ©otide) ou du coenzyme NADPH (Nicotinamide adĂ©nine dinuclĂ©otide phosphate)[36]. Ces Ă©tudes laissent penser que d'autres molĂ©cules proches du diflufĂ©nican feraient aussi des herbicides efficaces, Ă©galement en inhibant la synthĂšse des acides gras[36].
Ce dĂ©sherbant est « mixte » : le produit est Ă la fois « foliaire systĂ©mique » (c'est-Ă -dire se rĂ©pandant dans toutes les parties de la plante) et antigerminatif[37]. Il a Ă©tĂ© conçu par l'industrie phytopharmaceutique pour donc ĂȘtre appliquĂ© en prĂ©- ou post-levĂ©e[3].
Contaminations accidentelles
Il a Ă©tĂ© impliquĂ© en 2021, dans la contamination de deux lots d'une formulation herbicide produit par la sociĂ©tĂ© Adama et vendue sous le nom de Marquis pour la culture betteraviĂšre, et de 6 lots d'un autre herbicide (le « Goltix Duo », produit par la mĂȘme sociĂ©tĂ©)[38]. Ces 8 lots de pesticides ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s non-conformes en raison de la prĂ©sence anormale de diflufenican dans leur formulation[38].
Les lots de Marquis et Goltix Duo non conformes ont Ă©tĂ© consignĂ©s par une ordonnance du 30 juin 2021[38]. Selon le ministĂšre de l'Agriculture et la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale des planteurs de betteraves, 273 betteraviers (basĂ©s dans les Hauts-de-France et le Grand Est, dans la Marne, les Ardennes, l'Aube et l'Aisne) l'auraient utilisĂ© sur environ 5 000 hectares de champs destinĂ©s Ă produire environ 500 000 tonnes de betteraves sucriĂšre (soit environ 1,5 % de la production du pays). Toute cette production doit ĂȘtre dĂ©truites[39].
RĂ©manence dans les sols
Une Ă©tude a montrĂ© qu'Ă la diffĂ©rence d'autres dĂ©sherbants ayant les mĂȘmes usages, ce produit ne prĂ©sente pas de biodĂ©gradation amĂ©liorĂ©e dans le sol aprĂšs 3 ans d'applications annuelles rĂ©pĂ©tĂ©es. Les autres produits testĂ©s avaient encouragĂ© dans le sols le dĂ©veloppement de souches de microbes capables de les dĂ©grader.
Dépollution/bioremédiation de sols contaminés par le diflufénican
Un champignon dont la culture est bien maitrisée, le shiitaké (Lentinula edodes), a été testé au Portugal (publication 2011) pour biodégrader le Diflufenicanil[40].
Apparition de plantes résistantes
La plupart des désherbants ont généré, par la pression sélective qu'ils exercent, l'apparition de souches résistantes[41]. On a récemment (2019)montré que c'est le cas pour le diflufénican, avec par exemple l'apparition chez la Moutarde (Sisymbrium orientale L.) de deux mutations (dites Leu498 et Glu425, dans le gÚne PDS) source principale d'une résistance au diflufénican et au picolinafÚne retrouvée dans populations de moutarde. Ces mutations ne semblant pas affecter la finess de la plante, il n'y a pas de raisons de penser que la fréquence des allÚles de résistance au désherbant diminuera si l'on cesse provisoirement d'utiliser ce pesticide[41].
Références
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- voir pages 4 et 5 (chapitre " Surveillance des eaux de surface, exposition et risques pour les organismes aquatiques) dans le rapport "Anses - Phytopharmacovigilance (2018) - SynthĂšse des donnĂ©es de surveillance â DiflufĂ©nican |DĂ©cembre
- voir Tableau 4 : Valeur(s) Ă©cotoxicologique(s) de rĂ©fĂ©rence pour les eaux de surface, et le commentaire sous le Tableau 7. dans le SynthĂšse des donnĂ©es de surveillance â DiflufĂ©nican â DĂ©cembre 2018
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- voir Tableau 12 : Taux de quantification et de non-conformitĂ© pour le diflufĂ©nican dans les eaux destinĂ©es Ă la consommation humaine (source : ministĂšre chargĂ© de la santĂ© - ARS - Anses) in le SynthĂšse des donnĂ©es de surveillance â DiflufĂ©nican â DĂ©cembre 2018
- voir page 6 : Surveillance des aliments dâorigine vĂ©gĂ©tale et animale et des eaux destinĂ©es Ă la consommation humaine, exposition et risques pour la population DonnĂ©es de surveillance des aliments dâorigine vĂ©gĂ©tale et animale > DonnĂ©es issues des programmes et plans de surveillance et de contrĂŽle nationaux in le SynthĂšse des donnĂ©es de surveillance â DiflufĂ©nican â DĂ©cembre 2018
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- Anses - Phytopharmacovigilance (2018) - SynthĂšse des donnĂ©es de surveillance â DiflufĂ©nican |DĂ©cembre ; voir p. 8/10, chapitre "DonnĂ©es sur les effets chroniques sur la santĂ© humaine issues des principales expertises collectives"
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Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
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