Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles
La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles est un traité adopté en octobre 2005 à Paris durant la 33e session de la Conférence générale de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) en réaffirmant et se référant à Déclaration universelle des droits de l'homme et à la Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle[1]. La convention entre en vigueur en mars 2007.
Le dĂ©bat politique opposant le commerce et la culture constitue la genĂšse de sa crĂ©ation. LâidĂ©e de protĂ©ger la diversitĂ© culturelle constitue une rĂ©ponse aux craintes dâune homogĂ©nĂ©isation de la culture gĂ©nĂ©rĂ©e par les processus de mondialisation. Dans les annĂ©es 2000, les membres de lâUNESCO Ă©laborent deux instruments visant Ă protĂ©ger cette diversitĂ© : la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatĂ©riel de 2003 et la Convention sur la protection et la promotion de la diversitĂ© des expressions culturelles de 2005.
Le contexte et les négociations menant à l'adoption de la Convention de 2005
L'impact de la libĂ©ralisation des Ă©changes sur les politiques culturelles des Ătats
Le concept de diversitĂ© des expressions culturelles est lâaboutissement dâun changement de paradigme dans la maniĂšre dâenvisager le statut particulier de la culture dans les relations internationales, en en particulier dans le cadre dâaccord visant Ă libĂ©raliser les Ă©changes commerciaux. Il succĂšde aux concepts dâexception culturelle ou dâexemption culturelle apparus durant les annĂ©es 80. La prise de conscience de la part de certains Ătats des impacts de la libĂ©ralisation des Ă©changes Ă©conomiques sur leurs politiques culturelles est lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur de lâĂ©mergence du concept de diversitĂ© culturelle[2] et du besoin de protĂ©ger la diversitĂ© des expressions culturelles, notamment en raison de la force du marchĂ© des films hollywoodiens[3].
La Convention de 2005 nait de la volontĂ© de « concilier les objectifs apparemment inconciliables des politiques culturelles ou de la protection de la diversitĂ© culturelle dâune part, et les politiques commerciales ou la libĂ©ralisation du commerce international de lâautre »[3]. Il importe de brosser un portrait des circonstances ayant menĂ© au dĂ©veloppement du concept de la diversitĂ© culturelle pour comprendre lâengouement pour lâadoption dâune DĂ©claration universelle sur la diversitĂ© culturelle en 2001, puis dâune Convention visant Ă protĂ©ger et promouvoir la diversitĂ© des expressions culturelles en 2005.
La libĂ©ralisation des Ă©changes Ă©conomiques, aussi appelĂ©e « mondialisation », « globalisation » ou libre-Ă©change, consiste essentiellement Ă abaisser progressivement les barriĂšres tarifaires et non tarifaires au commerce en vue de faciliter la circulation des biens, des services et des capitaux entre les Ătats. Dans plusieurs accords, les Ătats disposent par ailleurs dâune marge de manĆuvre, souvent variable, pour exclure certains secteurs Ă©conomiques de leurs engagements ou encore pour mettre en place des exceptions visant Ă protĂ©ger des politiques nationales qui seraient autrement incompatibles avec leurs engagements commerciaux (par exemple des politiques environnementales, sociales, culturelles, etc.).
Au niveau multilatĂ©ral, la libĂ©ralisation des Ă©changes est dâabord stimulĂ©e par lâadoption, en 1947 de lâAccord gĂ©nĂ©ral sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT de 1947). Une rĂ©forme du systĂšme commercial multilatĂ©ral menĂ©e dans le cadre des nĂ©gociations du Cycle dâUruguay (1986-1994) permet dâintĂ©grer le GATT de 1947 dans un ensemble beaucoup plus vaste dâaccords commerciaux multilatĂ©raux. Ces accords, annexĂ©s Ă la DĂ©claration de Marrakech de 1994, entrent en vigueur le 1er janvier 1995[4]. Ils mĂšnent simultanĂ©ment Ă la crĂ©ation et lâentrĂ©e en fonction de lâOrganisation mondiale du commerce (OMC).
Le GATT de 1947 reconnait dĂ©jĂ la spĂ©cificitĂ© culturelle du secteur du cinĂ©ma en permettant aux Ătats de maintenir certains types de contingents Ă lâĂ©cran pour assurer la diffusion de films nationaux[5]. Au moment de rĂ©former le systĂšme commercial dans les annĂ©es 80 et 90, le Canada et la France demandent quâun traitement particulier soit rĂ©servĂ© aux services audiovisuels dans le cadre du nouvel Accord gĂ©nĂ©ral sur le commerce des services (AGCS)[6] alors en nĂ©gociation. Les Ătats-Unis sây opposent fermement, ce qui conduira Ă lâ« Ă©chec de lâexception culturelle », une expression qui traduit lâimpossibilitĂ© dâexclure le secteur de la culture du systĂšme commercial multilatĂ©ral rĂ©formĂ©[6]. Ă cela sâajoute lâĂ©chec des nĂ©gociations dâun Accord multilatĂ©ral sur les investissements[7] dont le projet de texte consolidĂ© suggĂ©rait lâinclusion dâune clause dâexception culturelle gĂ©nĂ©rale, de mĂȘme que lâĂ©chec du lancement dâun nouveau cycle de nĂ©gociations commerciales qui devait se faire Ă lâoccasion de la troisiĂšme ConfĂ©rence ministĂ©rielle de lâOMC organisĂ©e Ă Seattle en dĂ©cembre 1999.
La vulnĂ©rabilitĂ© des politiques culturelles des Ătats apparait aussi Ă lâoccasion de certains litiges commerciaux, et en particulier dans lâaffaire Canada â Certaines mesures concernant les pĂ©riodiques[8]. Dans cette affaire, le Groupe spĂ©cial rejette lâun des arguments du Canada consistant Ă dire que, parce que le contenu des pĂ©riodiques canadiens et des pĂ©riodiques amĂ©ricains diffĂšrent, les produits ne sont pas similaires et, par consĂ©quent, ils peuvent ĂȘtre traitĂ©s diffĂ©remment par le Canada[9]. Au terme de cette affaire, certaines mesures visant Ă protĂ©ger lâindustrie canadienne des pĂ©riodiques sont considĂ©rĂ©es comme Ă©tant incompatibles avec les articles III et XI du GATT de 1994[10].
Ă la suite de ces Ă©vĂ©nements, une question demeure irrĂ©solue : les produits ayant une valeur culturelle doivent-ils ĂȘtre traitĂ©s comme nâimporte quelle autre marchandise[11] ? Certains Ătats rĂ©pondent par lâaffirmative. Ils estiment quâil est nĂ©cessaire de se doter dâun instrument juridique autonome par rapport au systĂšme commercial multilatĂ©ral de lâOMC[12] en vue de faire reconnaitre la double nature, Ă©conomique et culturelle, des biens et des services culturels.
Par ailleurs, la reconnaissance de cette double nature apparait dans certains accords commerciaux bilatĂ©raux ou rĂ©gionaux au sein desquels des clauses dâexception ou dâexemption culturelle sont incorporĂ©es. Le premier accord Ă contenir une clause dâexemption culturelle est lâAccord de libre-Ă©change Canada-Ătats-Unis de 1988. En concluant cet accord, le Canada fait figure de pionnier concernant la dĂ©fense de ses politiques culturelles dans un contexte dâintĂ©gration des Ă©conomies. Cette clause est reconduite dans lâAccord de libre-Ă©change Nord-amĂ©ricain (ALENA)[13], entrĂ© en vigueur le 1er janvier 1994, et lâAccord Canada Ătats-Unis Mexique (AECUM)[14] signĂ© le 30 novembre 2018 dont lâentrĂ©e en vigueur est prĂ©vue le 1er juillet 2020. Dans ces trois accords, lâexemption culturelle est assortie dâune clause de reprĂ©sailles permettant Ă une autre Partie de prendre des mesures de rĂ©torsion Ă lâencontre du Canada en cas de recours Ă une politique culturelle autrement incompatible avec les engagements dĂ©coulant de lâaccord visĂ©.
Lâapplication des rĂšgles commerciales aux produits culturels soulĂšve un problĂšme particulier. En prenant des engagements au sein dâaccords Ă©conomiques, les Ătats acceptent dâĂ©liminer toute forme de discrimination entre les produits culturels nationaux et les produits culturels importĂ©s. Ce faisant, ils dĂ©laissent progressivement leur souverainetĂ© culturelle, câest-Ă -dire leur capacitĂ© Ă Ă©laborer des politiques culturelles et dâoctroyer des mesures de soutien Ă leurs propres industries culturelles, lesquelles reflĂštent leur identitĂ©. En ce sens, les fondements mĂȘme du libre commerce permettent difficilement de reconnaitre la nature spĂ©cifique des produits culturels, lesquels sont porteurs dâidentitĂ©, de valeur et de sens[15], dâoĂč la nĂ©cessitĂ© dâincorporer des clauses dâexception culturelle et dâexemption culturelle (les clauses culturelles) dans les accords Ă©conomiques.
Bien que ces clauses se multiplient[16], lâinquiĂ©tude demeure dans les milieux culturels face Ă la libĂ©ralisation progressive du secteur culturel et Ă la qualification rĂ©pĂ©tĂ©e des produits culturels comme de simple « marchandise »[17]. En effet, les clauses culturelles reçoivent un accueil mitigĂ© lors des nĂ©gociations commerciales. Certains Ătats estiment quâelles sont « protectionnistes » et, par consĂ©quent, Ă lâantipode de lâidĂ©ologie du libre-Ă©change qui favorise lâouverture des marchĂ©s. Les Ătats-Unis refusent gĂ©nĂ©ralement lâincorporation de telles clauses dans les accords de libre-Ă©change quâils nĂ©gocient.
Le concept de diversitĂ© culturelle permet dâapporter une perspective plus positive et dâapprĂ©hender favorablement le libre-Ă©change. Il permet de tendre vers un Ă©quilibre entre les avantages Ă©conomiques dâune ouverture des Ă©conomies et la prise en compte de la spĂ©cificitĂ© des produits culturels[18].
Le choix de lâUNESCO comme enceinte appropriĂ©e pour nĂ©gocier un nouvel accord sur la diversitĂ© des expressions culturelles
Face au constat que les engagements pris au sein de lâOMC ne permettent pas de reconnaitre la double nature des biens et services culturels[19], des Ătats dĂ©cident Ă la fin des annĂ©es 90 de dĂ©placer le dĂ©bat vers lâUNESCO. Dâune part, lâActe constitutif de lâUNESCO, et particuliĂšrement ses articles 1 et 2, en font lâenceinte internationale appropriĂ©e pour mener ce dĂ©bat[20]. Dâautre part, les Ătats-Unis ne sont pas membre de cette Organisation Ă cette Ă©poque (ils rĂ©intĂšgrent lâUNESCO en 2003 au moment oĂč la nĂ©gociation de la Convention est lancĂ©e), ce qui crĂ©e un contexte favorable Ă lâĂ©laboration dâun instrument multilatĂ©ral visant la protection de la diversitĂ© culturelle[21].
En 1998, le Plan dâaction sur les politiques culturelles pour le dĂ©veloppement Ă©laborĂ© lors de la ConfĂ©rence de Stockholm[22] Ă©nonce une recommandation en faveur de la spĂ©cificitĂ© des biens et services culturels[23]. Ce plan dâaction prĂ©pare le terrain pour les dĂ©veloppements qui surviennent Ă compter du dĂ©but des annĂ©es 2000 en matiĂšre de diversitĂ© culturelle.
Adoption de la DĂ©claration universelle de lâUNESCO sur la diversitĂ© culturelle de 2001
La DĂ©claration universelle de lâUNESCO sur la diversitĂ© culturelle[24] est adoptĂ©e Ă lâunanimitĂ© (188 Ătats membres) le 2 novembre 2001, soit aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001[25]. Dans ce contexte, les Ătats affirment « que le respect de la diversitĂ© des cultures, la tolĂ©rance, le dialogue et la coopĂ©ration, dans un climat de confiance et de comprĂ©hension mutuelles, sont un des meilleurs gages de la paix et de la sĂ©curitĂ© internationales». Elle reprĂ©sente une occasion de « rejeter catĂ©goriquement la thĂšse de conflits inĂ©luctables de cultures et de civilisations »[26].
Ă lâarticle 8 de la DĂ©claration, les membres de lâUNESCO y affirment que les « biens et services culturels [âŠ], parce quâils sont porteurs dâidentitĂ©, de valeurs et de sens, ne doivent pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres ». Ă lâarticle 9, le rĂŽle des politiques culturelles est dĂ©fini comme un outil permettant de « crĂ©er des conditions propices Ă la production et Ă la diffusion de biens et services culturels diversifiĂ©s ». Lâimportance de la coopĂ©ration internationale est affirmĂ©e Ă lâarticle 10.
Lâadoption de cette DĂ©claration, instrument juridique non contraignant, est une premiĂšre Ă©tape vers lâĂ©laboration de la Convention de 2005. LâopportunitĂ© de nĂ©gocier un instrument juridique international contraignant est Ă©noncĂ©e Ă lâAnnexe II de la DĂ©claration, au premier paragraphe du Plan dâaction pour la mise en Ćuvre de la DĂ©claration de lâUNESCO sur la diversitĂ© culturelle. Plusieurs articles de la DĂ©claration sont repris dans la Convention sur la protection et la promotion de la diversitĂ© des expressions culturelles nĂ©gociĂ©e de 2003 Ă 2005.
Le rĂŽle de lâOrganisation mondiale de la Francophonie (OIF) dans lâadoption de la Convention de 2005
En adoptant la DĂ©claration de Cotonou[27] et son plan dâaction, lâOIF sâengageait Ă soutenir les projets dâinstruments internationaux sur la diversitĂ© culturelle, en rappelant lâimportance de ce concept pour la paix et la pĂ©rennitĂ© des expressions culturelles dans un contexte de mondialisation.
Le rĂŽle de la sociĂ©tĂ© civile dans lâadoption de la Convention de 2005
La sociĂ©tĂ© civile participe aux dĂ©bats menant Ă lâĂ©laboration de la Convention de 2005[28].
Le RĂ©seau international sur la politique culturelle (RIPC)
De lâinitiative canadienne, en 1998, nait le RIPC Ă la suite dâune confĂ©rence internationale consacrĂ©e aux politiques culturelles. Vingt-un pays et des reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile sâentendent sur lâintĂ©rĂȘt dâun instrument international sur la diversitĂ© culturelle. Le professeur Ivan Bernier dĂ©pose, en novembre 2001, une esquisse dâinstrument alors quâil agit Ă titre de consultant[29].
La Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC)
FondĂ©e au QuĂ©bec en 1998, la Coalition pour la diversitĂ© des expressions culturelles (anciennement Coalition pour la diversitĂ© culturelle) a eu une grande importance dans la naissance du mouvement ayant menĂ© Ă lâadoption de la Convention de 2005[30]. Elle a Ă©tĂ© lâinstigatrice de quatre Rencontres internationales des organisations professionnelles de la culture, de 2001 Ă 2005. Par ailleurs, « [i]l existe aujourd'hui une trentaine de coalitions pour la diversitĂ© culturelle (Allemagne, Argentine, Australie, Belgique, BĂ©nin, BrĂ©sil, Burkina Faso, Cameroun, Canada, Chili, Colombie, Congo, CorĂ©e du Sud, Ăquateur, Espagne, France, GuinĂ©e, Hongrie, Irlande, Italie, Mali, Maroc, Mexique, Nouvelle-ZĂ©lande, PĂ©rou, SĂ©nĂ©gal, Slovaquie, Suisse, Togo, Uruguay) qui ont tentĂ© de convaincre leurs gouvernements de ne prendre aucun engagement de libĂ©ralisation dans le secteur de la culture et ont appuyĂ© dĂšs ses dĂ©buts le projet d' une convention internationale sur la diversitĂ© culturelle. »[31]
Le Réseau international pour la diversité culturelle (RIDC)
Le RĂ©seau international pour la diversitĂ© culturelle a rĂ©digĂ© une Ă©bauche de Convention mettant lâemphase sur les biens et services culturels[32].
LâAvant-projet de Convention
Ă lâautomne 2003, la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale, invitĂ©e par le Conseil exĂ©cutif[33], octroie au Directeur gĂ©nĂ©ral le mandat de lancer les travaux pour lâĂ©laboration de la Convention[34]. LâAvant-projet de Convention[35] est le fruit de trois rĂ©unions auxquelles quinze experts indĂ©pendants participent. Ces rĂ©unions se dĂ©roulent du 17 au 20 dĂ©cembre 2003, du 30 mars au 3 avril 2004 et Ă la fin mai 2004[36]. LâAvant-projet est distribuĂ© aux Ătats membres en juillet 2004. Il constitue la base des nĂ©gociations intergouvernementales qui se dĂ©roulent Ă compter de lâautomne 2004 en vue de lâĂ©laboration du projet de Convention qui doit ĂȘtre prĂ©sentĂ© Ă la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de 2005[37].
La premiĂšre rĂ©union intergouvernementale qui se tient du 20 au 24 septembre 2004 permet de mettre en place la structure de nĂ©gociation et dâexprimer les conceptions respectives quant au type de convention Ă venir. Des divergences de vues persistent au sujet de lâobjet de la Convention, sa relation avec dâautres accords internationaux et le niveau de contrainte des engagements[38].
Lors de la seconde rĂ©union intergouvernementale, lâAssemblĂ©e plĂ©niĂšre se penche sur la quasi-totalitĂ© des dispositions de lâAvant-projet. Les termes « expressions culturelles », « protection » et « protĂ©ger », ainsi que « biens et services culturels », sont dĂ©battus, de mĂȘme que le mĂ©canisme de rĂšglement des diffĂ©rends[39].
Lors de la troisiĂšme rĂ©union intergouvernementale, un groupe de travail est chargĂ© de trouver un compromis entre les positions exprimĂ©es jusquâalors sur la relation de la Convention avec les autres traitĂ©s. Un vote houleux sur le texte de lâarticle 20 mĂšne les Ătats-Unis Ă demander lâenregistrement de leur opposition formelle quant au texte adoptĂ©. Entre la fin des nĂ©gociations et la 33e ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de lâUNESCO, les Ătats-Unis mĂšnent une campagne visant Ă rouvrir les nĂ©gociations[40]. Le Canada rĂ©pond en proposant que lâavant-projet soit considĂ©rĂ© comme un projet de convention et fasse lâobjet dâun vote dâadoption lors de la 33e session de la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale, ce qui fut le cas[41].
Le texte de la Convention de 2005
Le préambule
ConformĂ©ment Ă lâarticle 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s[42], le prĂ©ambule fait partie du texte dâune convention et peut servir Ă son interprĂ©tation. Son rĂŽle est de faire sommairement Ă©tat de la raison dâĂȘtre dâun accord et de situer le contexte juridique dans lequel il sâinscrit[43].
Le PrĂ©ambule de la Convention sur la diversitĂ© des expressions culturelles 2005 sâouvre sur une affirmation Ă lâeffet « que la diversitĂ© culturelle est une caractĂ©ristique inhĂ©rente Ă lâhumanitĂ© » et quâelle « constitue un patrimoine commun de lâhumanitĂ© » (paragraphes 1 et 2). La diversitĂ© culturelle est aussi perçue comme « un ressort fondamental du dĂ©veloppement durable des communautĂ©s, des peuples et des nations » (paragraphe 3). Le respect de toutes les cultures est promu, y compris celles des personnes appartenant aux minoritĂ©s et celles des peuples autochtones (paragraphe 15).
Un des messages clĂ©s vĂ©hiculĂ©s par le prĂ©ambule de la Convention est que la diversitĂ© des expressions culturelles est soumise Ă une pression provenant de son traitement dans les nĂ©gociations commerciales[44], annonçant ainsi la lĂ©gitimitĂ© des mesures Ă prendre visant sa prĂ©servation, sa sauvegarde et sa mise en valeur. Ainsi, la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de lâUNESCO « constat[e] que les processus de mondialisation, facilitĂ©s par lâĂ©volution rapide des technologies de lâinformation et de la communication, sâils crĂ©ent les conditions inĂ©dites dâune interaction renforcĂ©e entre les cultures, reprĂ©sentent aussi un dĂ©fi pour la diversitĂ© culturelle, notamment au retard des risques de dĂ©sĂ©quilibres entre pays riches et pays pauvres » (paragraphe 19). Ă cet Ă©gard, le PrĂ©ambule suggĂšre notamment que la culture soit incluse « en tant quâĂ©lĂ©ment stratĂ©gique dans les politiques nationales et internationales de dĂ©veloppement, ainsi que dans la coopĂ©ration internationale pour le dĂ©veloppement » (paragraphe 6).
Une rĂ©fĂ©rence Ă la double nature des biens et services cultuels figure Ă©galement dans le PrĂ©ambule (paragraphe 18). La ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale se dit en effet « [c]onvaincue que les activitĂ©s, biens et services culturels ont une double nature, Ă©conomique et culturelle, parce quâils sont porteurs dâidentitĂ©s, de valeurs et de sens et quâils ne doivent donc pas ĂȘtre traitĂ©s comme ayant exclusivement une valeur commerciale ».
Le prĂ©ambule contient enfin de multiples rĂ©fĂ©rences Ă des aspects qui sont Ă la pĂ©riphĂ©rie du champ dâapplication de la Convention, tout en Ă©tant intimement liĂ©s Ă la diversitĂ© des expressions culturelles, notamment les droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle, Ă la protection des droits et libertĂ©s fondamentaux, la diversitĂ© linguistique et les savoirs et expressions traditionnels[45].
Les objectifs, article 1
Lâarticle premier de la Convention Ă©nonce neuf objectifs. Outre lâobjectif gĂ©nĂ©ral visant à « protĂ©ger et promouvoir la diversitĂ© des expressions culturelles » (paragraphe (a)), les Parties poursuivent entre autres les objectifs suivants [âŠ] (g) de reconnaĂźtre la nature spĂ©cifique des activitĂ©s, biens et services culturels en tant que porteurs dâidentitĂ©, de valeurs et de sens; (h) de rĂ©affirmer le droit souverain des Ătats de conserver, dâadopter et de mettre en Ćuvre les politiques et mesures quâils jugent appropriĂ©es pour la protection et la promotion de la diversitĂ© des expressions culturelles sur leur territoire [âŠ]» et ; « de renforcer la coopĂ©ration et la solidaritĂ© internationales dans un esprit de partenariat afin, notamment, dâaccroĂźtre les capacitĂ©s des pays en dĂ©veloppement de protĂ©ger et promouvoir la diversitĂ© des expressions culturelles[46].
Les principes directeurs, article 2
La Convention dĂ©nombre huit principes directeurs. Ils servent de guident dâinterprĂ©tation des engagements contractĂ©s par les Parties. Ces principes sont :
- Principe du respect des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales (paragraphe 1)
- Principe de souveraineté (paragraphe 2)
- Principe de lâĂ©gale dignitĂ© et du respect de toutes les cultures (paragraphe 3)
- Principe de solidarité et de coopération internationales (paragraphe 4)
- Principe de la complémentarité des aspects économiques et culturels du développement (paragraphe 5)
- Principe de développement durable (paragraphe 6)
- Principe dâaccĂšs Ă©quitable (paragraphe 7)
- Principe dâouverture et dâĂ©quilibre (paragraphe 8)
Champ d'application, article 3
Lâarticle 3 de la Convention, prĂ©voit le champ dâapplication : « La prĂ©sente Convention sâapplique aux politiques et aux mesures adoptĂ©es par les Parties relatives Ă la protection et la promotion de la diversitĂ© des expressions culturelles. »
Le champ dâapplication sâest progressivement prĂ©cisĂ©. Le professeur Ivan Bernier explique :
« Plus tard, au fil des nĂ©gociations, les mots contenus culturels et expressions artistiques ont Ă©tĂ© remplacĂ©s par expressions culturelles pour des raisons de simplicitĂ© et de clartĂ©, les contenus culturels devant ĂȘtre exprimĂ©s sous une forme ou une autre, et les expressions artistiques Ă©tant Ă©galement culturelles. »[47]
DĂ©finitions, article 4
Les dĂ©finitions permettent de prĂ©ciser le sens dâun terme dans le contexte prĂ©cis de lâinstrument juridique[48]. La Convention de 2005 contient une dĂ©finition des termes suivants : « DiversitĂ© culturelle », « Contenu culturel », « Expressions culturelles », « ActivitĂ©s, biens et services culturels », « Industries culturelles », « Politiques et mesures culturelles », « Protection » et « InterculturalitĂ© ».
Les dĂ©finitions dâ« expressions culturelles », de « contenu culturel », et dâ« activitĂ©s, biens et services culturels » doivent ĂȘtre lues conjointement afin de bien comprendre le champ dâapplication de la Convention[49]. Dâabord, les expressions culturelles « sont les expressions qui rĂ©sultent de la crĂ©ativitĂ© des individus, des groupes et des sociĂ©tĂ©s, et qui ont un contenu culturel. » Ce contenu culturel « renvoie au sens symbolique, Ă la dimension artistique et aux valeurs culturelles qui ont pour origine ou expriment des identitĂ©s culturelles ». Ainsi, les activitĂ©s, biens et services culturels visĂ©s par la Convention sont ceux qui « renvoie aux activitĂ©s, biens et services qui, dĂšs lors quâils sont considĂ©rĂ©s du point de vue de leur qualitĂ©, de leur usage ou de leur finalitĂ© spĂ©cifiques, incarnent ou transmettent des expressions culturelles, indĂ©pendamment de la valeur commerciale quâils peuvent avoir. Les activitĂ©s culturelles peuvent ĂȘtre une fin en elles-mĂȘmes, ou bien contribuer Ă la production de biens et services culturels. » Lâavant-projet de la Convention contenait mĂȘme une liste non exhaustive de ce que pourrait constituer un bien ou un service culturel, mais les Parties ont finalement retirĂ© cette liste.
Autrement dit, une activitĂ©, un bien, un service ou un produit culturel doit rĂ©sulter de la crĂ©ativitĂ© (art. 4.3), possĂ©der un sens symbolique, une dimension artistique et des valeurs culturelles qui ont pour origine ou expriment les identitĂ©s culturelles (art. 4.2), et ce sans Ă©gard Ă leur valeur commerciale (art. 4.4). Par ailleurs, telles que formulĂ©es, les dĂ©finitions permettent aux Ătats dâĂ©laborer des politiques culturelles visant des produits culturels numĂ©riques[50].
La Convention crée plusieurs nouvelles notions et emploie des expressions similaires à certaines déjà connues, obligeant ainsi les parties prenantes à un « effort sémantique »[51].
Dâabord, la notion de « diversitĂ© culturelle » est facilement confondue avec les termes analogues « interculturalitĂ© », « interculturalisme », « multiculturalisme » ou « pluralisme culturel »[52]. Au sens de la Convention de 2005, la « DiversitĂ© culturelle renvoie Ă la multiplicitĂ© des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociĂ©tĂ©s trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein des groupes et des sociĂ©tĂ©s et entre eux. La diversitĂ© culturelle se manifeste non seulement dans les formes variĂ©es Ă travers lesquelles le patrimoine culturel de lâhumanitĂ© est exprimĂ©, enrichi et transmis grĂące Ă la variĂ©tĂ© des expressions culturelles, mais aussi Ă travers divers modes de crĂ©ation artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies utilisĂ©s. »[53]
Cette dĂ©finition crĂ©e le lien avec la DĂ©claration universelle sur la diversitĂ© culturelle, mais Ă©galement avec la notion « dâexpression culturelle »[54]. Elle renvoi Ă©galement au « patrimoine culturel de lâhumanitĂ© », qui inspire Ă la fois le « patrimoine commun de lâhumanitĂ© » et la Convention sur le patrimoine culturel immatĂ©riel. Cet entrelacement de notions juridiques encourage une comprĂ©hension globale de chacune dâelles afin de cerner ce quâest la « diversitĂ© culturelle ».
Droit de mettre en Ćuvre les politiques culturelles, article 5
La Convention rĂ©affirme le droit souverain des Ătats de lĂ©gifĂ©rer dans le secteur culturel et favorise la crĂ©ation de conditions permettant aux expressions culturelles de sâĂ©panouir et dâinteragir librement dâune maniĂšre mutuellement bĂ©nĂ©fique[55].
Les droits et obligations au niveau national, articles 6 Ă 11
Lâarticle 6 prĂ©sente une liste illustrative de mesures auxquelles les Ătats peuvent recourir pour exercer leur droit souverain dâadopter les politiques culturelles de leur choix. Cette liste autorise notamment le recours aux quotas[56] ou aux subventions.
Lâobligation de promouvoir les expressions culturelles, est Ă©noncĂ© Ă lâarticle 7. Les parties Ă la Convention ont lâobligation de prendre des mesures visant Ă promouvoir les expressions culturelles se trouvant sur leur territoire. Afin de dĂ©tailler cette obligation, la ConfĂ©rence des parties a adoptĂ© lors de sa 2e session les Directives opĂ©rationnelles â Mesures destinĂ©es Ă promouvoir les expressions culturelles[57]. Les Directives mentionnent que les mesures peuvent porter sur toutes les Ă©tapes de la chaine de production (crĂ©ation, production, distribution/diffusion, accĂšs) et Ă©numĂšre une sĂ©rie dâoutils par lesquels elles peuvent se matĂ©rialiser.
Les paragraphes 1 et 2 de lâarticle 8 Ă©noncent les pouvoirs dâun Ătat de diagnostiquer une situation oĂč une expression culturelle nĂ©cessite une « sauvegarde urgente »[58] et de prendre « toutes les mesures appropriĂ©es ». Lâarticle 8 nâa pas pour effet de restreindre le droit dâintervention gĂ©nĂ©ral des Ătats prĂ©vu aux articles 5 et 6[59].
Toutefois, le troisiĂšme paragraphe de lâarticle 8, Ă caractĂšre obligationnel plutĂŽt que permissif, impose aux parties qui font appel Ă de telle mesure dâen aviser le ComitĂ© intergouvernemental. Celui-ci peut alors faire les recommandations appropriĂ©es[60]. Le rĂŽle du ComitĂ© dans ce contexte est encadrĂ© par des Directives opĂ©rationnelles[61], qui lui confĂšrent un pouvoir dâexamen et de recommandation. Un pouvoir de dĂ©nonciation lui est Ă©galement confĂ©rĂ©, sous le couvert de mesures de coopĂ©ration, en ce quâil peut diffuser cette information aux autres parties[62]. Lâarticle 8 peut ĂȘtre lu en conjonction avec les articles 12 et 17 de la Convention.
La coopération culturelle et la solidarité internationale, articles 12, 14 à 19
Lâarticle 12 Ă©nonce les cinq objectifs des Ătats en matiĂšre de coopĂ©ration internationale.
Lâarticle 14 fournit aux parties une liste non exhaustive de mesures de coopĂ©ration culturelle internationale Nord-Sud, Nord-Nord, Sud-Sud. Les mesures de coopĂ©ration portent sur le renforcement des industries culturelles, le renforcement des capacitĂ©s, le transfert de technologie et de savoir-faire, ainsi que le soutien financier[63]. Elles sont dĂ©taillĂ©es par les Directives opĂ©rationnelles[64].
Lâarticle 15 constitue la disposition la plus explicite en matiĂšre de partenariats entre les autoritĂ©s publiques et la sociĂ©tĂ© civile[65]. Lâobjectif des partenariats est notamment de rĂ©pondre aux besoins concrets des pays en dĂ©veloppement.
Lâarticle 16 contient lâun des engagements les plus contraignants de la Convention de 2005. Il stipule que « [l]es pays dĂ©veloppĂ©s facilitent les Ă©changes culturels avec les pays en dĂ©veloppement en accordant, au moyen de cadres institutionnels et juridiques appropriĂ©s, un traitement prĂ©fĂ©rentiel Ă leurs artistes et autres professionnels et praticiens de la culture, ainsi quâĂ leurs biens et services culturels ».
Lâobligation de « faciliter les Ă©changes culturels » repose sur les pays dĂ©veloppĂ©s et elle doit profiter aux pays en dĂ©veloppement. Les Directives viennent prĂ©ciser les contours applicables aux mesures relatives au traitement prĂ©fĂ©rentiel[66]. Notons quâil sâagit de la premiĂšre fois quâun accord contraignant dans le domaine culturel parle de « traitement prĂ©fĂ©rentiel » de façon explicite.
Le moyen dây parvenir est la mise en place de « cadres institutionnels et juridiques » afin de faciliter le mouvement des personnes (« artistes et autres professionnels et praticiens de la culture ») et des produits culturels (« biens et services culturels »)[67]. Les mesures de traitement prĂ©fĂ©rentiel peuvent ĂȘtre de nature culturelle (par exemple, lâaccueil dâartistes de pays en dĂ©veloppement dans des rĂ©sidences dâartistes de pays dĂ©veloppĂ©s), de nature commerciale (par exemple, lâallĂ©gement des demandes de visa pour les artistes de pays en dĂ©veloppement), ou encore mixte, câest-Ă -dire Ă la fois culturelle et commerciale (par exemple, la conclusion dâun accord de coproduction cinĂ©matographique prĂ©voyant des mesures qui facilitent lâaccĂšs au marchĂ© du pays dĂ©veloppĂ© pour lâĆuvre coproduite).
Trois accords assortis de protocole de coopĂ©ration culturelle conclus par lâUnion europĂ©enne constituent lâillustration de meilleures pratiques en matiĂšre de mise en Ćuvre de lâarticle 16 de la Convention de 2005. Ils contiennent des cadres Ă©laborĂ©s de coopĂ©ration culturelle avec certains pays en dĂ©veloppements, tout en Ă©tant annexĂ©s Ă un accord commercial[16]. Dâautres parties ont optĂ© pour lâadoption de clauses de traitement prĂ©fĂ©rentiels intĂ©grĂ©es directement au cadre de lâaccord commercial[68].
Les parties ont Ă©galement lâobligation de coopĂ©rer dans les situations de menace grave contre les expressions culturelles, en vertu de lâarticle 17.
Le Fonds international pour la diversitĂ© culturelle[69] (FIDC) est nĂ© grĂące aux revendications des pays en dĂ©veloppement[70] et est crĂ©Ă© en vertu de lâarticle 18 de la Convention de 2005[71]. Il est constituĂ© notamment de contributions volontaires des Ătats membres. En effet, aucune contribution nâest obligatoire pour les parties Ă la Convention. Cela engendre une certaine incertitude quant Ă la pĂ©rennitĂ© du financement et fait en sorte que la mise en place du Fonds rĂ©pond au principe de la « solidaritĂ© hiĂ©rarchique » plutĂŽt que de la « rĂ©ciprocitĂ© »[72].
Lâattribution des ressources financiĂšres aux pays en dĂ©veloppement qui sont parties Ă la Convention se fait en fonction de leur intĂ©rĂȘt Ă dĂ©velopper leurs politiques culturelles et leurs industries culturelles. Depuis 2010, environ 114 projets dans 58 pays en dĂ©veloppement ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s grĂące au financement octroyĂ© par le FIDC[73].
LâintĂ©gration de la culture dans le dĂ©veloppement durable
Lâarticle 13 Ă©nonce lâobligation des parties dâintĂ©grer la culture dans leur politique de dĂ©veloppement durable Ă tous les niveaux. Cet article fait Ă©cho Ă lâarticle 11 de la DĂ©claration universelle de lâUNESCO sur la diversitĂ© culturelle qui qualifie la diversitĂ© culturelle de « gage dâun dĂ©veloppement humain durable ».
Soutien mutuel, complémentarité et non-subordination, article 20
La dĂ©termination de la relation entre la Convention et les autres traitĂ©s constituent une des difficultĂ©s importantes rencontrĂ©es dans le cadre des nĂ©gociations de la Convention de 2005. La question Ă©pineuse consiste Ă dĂ©terminer si cette Convention aura prĂ©valence, ou Ă lâinverse si elle sera subordonnĂ©e, aux autres accords internationaux, existants ou Ă venir, nĂ©gociĂ©s par les Ătats parties, advenant une concurrence entre les engagements quâils auront contractĂ©s[74].
La maniĂšre de prĂ©voir ces situations est lâadoption dâune clause de « relations avec les autres instruments ». Ainsi, le lien de subordination est prĂ©vu explicitement en fonction de la volontĂ© des Ătats parties exprimĂ©e dans un traitĂ©. Si une telle clause est prĂ©vue, ce nâest alors quâen dernier recours que lâon fera appel aux rĂšgles gĂ©nĂ©rales dâinterprĂ©tation du droit international (prĂ©vues dans la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s de 1969).
Dans le cas de la Convention de 2005, dĂšs lâinscription de la question dâune « Ă©tude prĂ©liminaire sur les aspects techniques et juridiques sur lâopportunitĂ© dâun instrument normatif sur la diversitĂ© culturelle », les positions des Ătats sont polarisĂ©es sur cet enjeu de lâarticulation entre les traitĂ©s[75].
Certains Ătats, dont les Ătats-Unis, le Japon, la Nouvelle-ZĂ©lande, la Tunisie et lâInde, mettent en doute le bien-fondĂ© ou la nĂ©cessitĂ© dâune telle clause et proposent simplement de la supprimer[76]. Pour leur part, la France, le Canada et la Chine souhaitent que la Convention soit placĂ©e sur un pied dâĂ©galitĂ© avec les autres instruments[77]. La grande majoritĂ© des Ătats sâexpriment aussi en ce sens. Ils considĂšrent que la double nature des biens et services culturels mĂ©ritent quâils soient traitĂ©s Ă la fois par les textes de lâOMC et de lâUNESCO[78].
La nĂ©cessitĂ© dâincorporer une telle clause est finalement convenue. Au fil des RĂ©unions intergouvernementales des experts, plusieurs options de textes sont formulĂ©es afin dâen Ă©tablir la portĂ©e. Ămerge alors une volontĂ© de rechercher la complĂ©mentaritĂ© et la non-hiĂ©rarchie entre la Convention et les autres instruments juridiques internationaux[79].
Le professeur Ivan Bernier explique lâopposition qui persiste entre les Ătats au sujet des relations entre la Convention et les autres instruments internationaux, de la maniĂšre suivante :
« Force est de constater dâabord quâun fossĂ© important sĂ©pare les Membres sur cette question. Ce qui fait problĂšme essentiellement, câest leur vision opposĂ©e de la façon de gĂ©rer lâinterface culture/commerce entendue ici comme le point de rencontre des prĂ©occupations culturelles et des prĂ©occupations commerciales. Pour un certain nombre de Membres, il doit ĂȘtre clair quâen aucun cas, les prĂ©occupations culturelles doivent dâune quelconque façon interfĂ©rer avec les prĂ©occupations commerciales. En dâautres termes, les prĂ©occupations commerciales, dans de telles situations, doivent lâemporter sur les prĂ©occupations culturelles. Mais pour une nette majoritĂ© des Membres, ceci est inacceptable. »[80]
Une rĂ©daction mĂ©diane proposĂ©e par lâUnion europĂ©enne et sur laquelle sera fondĂ©e la version finale de la clause de relation entre les traitĂ©s adoucit le caractĂšre contraignant de la promotion de la Convention dans les autres enceintes internationales et promeut lâabsence de hiĂ©rarchie entre la Convention et les autres instruments internationaux[81]. La version finale du libellĂ© de lâarticle 20 est ainsi lâillustration dâun compromis.
Article 20 : Relations avec les autres instruments : soutien mutuel, complémentarité et non-subordination
Les Parties reconnaissent quâelles doivent remplir de bonne foi leurs obligations en vertu de la prĂ©sente Convention et de tous les autres traitĂ©s auxquels elles sont parties. Ainsi, sans subordonner cette Convention aux autres traitĂ©s :
a) elles encouragent le soutien mutuel entre cette Convention et les autres traités auxquels elles sont parties ; et
b) lorsquâelles interprĂštent et appliquent les autres traitĂ©s auxquels elles sont parties ou lorsquâelles souscrivent Ă dâautres obligations internationales, les Parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la prĂ©sente Convention.
Rien dans la prĂ©sente Convention ne peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme modifiant les droits et obligations des Parties au titre dâautres traitĂ©s auxquels elles sont parties.
Promotion de la Convention dans dâautres enceintes internationales, article 21
Lâarticle 20 sur les Relations entre les autres instruments doit ĂȘtre lu conjointement avec lâarticle 21 sur la Concertation et coordination internationales. Au titre de ce dernier, les parties « sâengagent Ă promouvoir les objectifs et principes de la prĂ©sente Convention dans dâautres enceintes internationales. Ă cette fin, les Parties se consultent, sâil y a lieu, en gardant Ă lâesprit ces objectifs et ces principes ».
Le terme « autres enceintes internationales » renvoie notamment Ă lâOrganisation mondiale du commerce (OMC), Ă lâOrganisation mondiale de la propriĂ©tĂ© intellectuelle (OMPI), Ă lâOrganisation du commerce et du dĂ©veloppement Ă©conomique (OCDE), mais aussi Ă des forums ou groupes de nĂ©gociation bilatĂ©raux ou rĂ©gionaux plus informels.
Organes de la Convention
La Conférence des parties et le Comité intergouvernemental forment ensemble « les organes directeurs » de la Convention[82]. Ils agissent comme « forum politique sur le futur de la politique culturelle et de la coopération internationale »[82].
Conférence des parties
La ConfĂ©rence des parties est Ă©tablie par lâarticle 22 de la Convention. Elle est composĂ©e de lâensemble des pays ayant ratifiĂ© la Convention. Elle se rĂ©unit aux deux ans, ou de façon extraordinaire Ă la demande du tiers des parties, dĂ©posĂ©e au ComitĂ© intergouvernemental[83].
Elle a pour fonction « (a) dâĂ©lire les membres du ComitĂ© intergouvernemental ; (b) de recevoir et dâexaminer les rapports des Parties Ă la prĂ©sente Convention transmis par le ComitĂ© intergouvernemental ; (c) dâapprouver les directives opĂ©rationnelles prĂ©parĂ©es, Ă sa demande, par le ComitĂ© intergouvernemental ; (d) de prendre toute autre mesure quâelle juge nĂ©cessaire pour promouvoir les objectifs de la prĂ©sente Convention. »[84] Les dĂ©cisions administratives, opĂ©rationnelles et stratĂ©giques clĂ©s sont prises dans son enceinte[85].
JusquâĂ prĂ©sent, sept (7) sessions ordinaires ont eu lieu[86], la premiĂšre ayant Ă©tĂ© tenue Ă Paris, du 18 au 20 juin 2007[87].
Comité intergouvernemental
Le ComitĂ© intergouvernemental est Ă©tabli par lâarticle 23 de la Convention. Il est composĂ© de 24 Parties Ă©lues par la ConfĂ©rence des parties, issues de toutes les rĂ©gions du monde. Les membres reçoivent un mandat de quatre ans et se rĂ©unissent annuellement[85].
En vertu de son rĂšglement intĂ©rieur, le ComitĂ© intergouvernemental peut inviter Ă tout moment des organisations et des individus Ă participer Ă ses rĂ©unions[88]. Il est assistĂ© par le SecrĂ©tariat de lâUNESCO[89].
Il a pour principale fonction de « (a)promouvoir les objectifs de la prĂ©sente Convention, encourager et assurer le suivi de sa mise en Ćuvre ; (b)prĂ©parer et soumettre Ă lâapprobation de la ConfĂ©rence des Parties, Ă sa demande, des directives opĂ©rationnelles relatives Ă la mise en Ćuvre et Ă lâapplication des dispositions de la Convention ; (c)transmettre Ă la ConfĂ©rence des Parties les rapports des Parties Ă la Convention, accompagnĂ©s de ses observations et dâun rĂ©sumĂ© de leur contenu ; (d)faire des recommandations appropriĂ©es dans les situations portĂ©es Ă son attention par les Parties Ă la Convention conformĂ©ment aux dispositions pertinentes de la Convention, en particulier lâarticle 8 ; (e)Ă©tablir des procĂ©dures et autres mĂ©canismes de consultation afin de promouvoir les objectifs et principes de la prĂ©sente Convention dans dâautres enceintes internationales ; (f)accomplir toute autre tĂąche dont il peut ĂȘtre chargĂ© par la ConfĂ©rence des Parties. »[90]
Secrétariat
Le SecrĂ©tariat est basĂ© au siĂšge de lâUNESCO, Ă Paris. Il aide dans la prĂ©paration de documents utilisĂ©s par la ConfĂ©rence des parties et le ComitĂ© intergouvernemental lors de leur rĂ©union statutaire respective[91].
Il participe Ă©galement au financement des projets innovants[92], par le biais du Fonds international pour la diversitĂ© culturelle, propose des formations dans les domaines de la conception et de la mise en Ćuvre des politiques culturelles, du suivi et de lâĂ©valuation des politiques et du dĂ©veloppement de projets et promeut la collecte, lâanalyse et lâĂ©change dâinformation[93].
La place de la société civile
ConformĂ©ment Ă lâarticle 11 de la Convention de 2005, les organisations de la sociĂ©tĂ© civile sont impliquĂ©es Ă plusieurs niveaux dans la mise en Ćuvre et la promotion de la Convention[94]. Bien quâelles ne puissent assister aux ConfĂ©rences des parties[95], les organisations peuvent assister, sur invitation, aux rĂ©unions du ComitĂ© intergouvernemental, elles peuvent participer aux financements, contribuer grĂące Ă leur expertise ou bĂ©nĂ©ficier de subvention pour la rĂ©alisation de Projets innovants du FIDC. En 2016, 68% des projets innovants impliquaient la sociĂ©tĂ© civile[96].
Les Chaires de recherche
La sociĂ©tĂ© civile englobe aussi depuis quelques annĂ©es des Chaires UNESCO dont les objectifs de recherche sont liĂ©s Ă ceux de la Convention de 2005. Ă ce titre, ces chaires peuvent jouer un rĂŽle dans la mise en Ćuvre de la Convention, en gĂ©nĂ©rant une rĂ©flexion indĂ©pendante sur laquelle des acteurs (gouvernements, organisations de la sociĂ©tĂ© civile, secrĂ©tariat de la Convention de 2005) peuvent sâappuyer Ă©laborer certaines politiques de protection et de promotion de la diversitĂ© des expressions culturelles et pour prendre des dĂ©cisions[97]. Par exemple, la Chaire UNESCO sur la diversitĂ© des expressions culturelles[98], lancĂ©e en novembre 2016, participe Ă la mise en Ćuvre de la Convention et au dĂ©veloppement de savoirs par le biais de projets de recherche, de publication, dâorganisation dâĂ©vĂ©nements scientifique ou grand public, ou encore par la crĂ©ation dâoutils pĂ©dagogique (par exemple la base de donnĂ©es rĂ©pertoriant les clauses culturelles dans les accords commerciaux)[99]. Une grande partie des travaux de la Chaire UNESCO sur la diversitĂ© des expressions culturelles porte actuellement sur la mise en Ćuvre de ce traitĂ© dans lâenvironnement numĂ©rique.
RÚglement des différends, article 25
Lâarticle 25 prĂ©voit le mode de rĂšglement des diffĂ©rends qui peuvent naitre entre les parties au sujet de lâapplication ou de lâinterprĂ©tation de la Convention. ConformĂ©ment Ă cet article, les Parties doivent dâabord tenter de rĂ©gler par la nĂ©gociation et si elles ne parviennent pas Ă un accord, recourir aux bons offices ou Ă la mĂ©diation. Ce nâest quâen lâabsence de ces moyens ou Ă la suite de leur Ă©chec que les parties peuvent recourir Ă la conciliation[100]. Le mĂ©canisme de conciliation est dĂ©crit en Annexe Ă la Convention et est sujet Ă la reconnaissance par les parties au moment de leur acceptation ou adhĂ©sion.
Entrée en vigueur
ConformĂ©ment Ă son article 29, la Convention est entrĂ©e en vigueur trois mois suivants le dĂ©pĂŽt du trentiĂšme instrument de ratification, dâacceptation ou dâadhĂ©sion. Pour les parties Ă©tant devenue membre aprĂšs cette, elle entre en vigueur Ă leur Ă©gard trois mois aprĂšs le dĂ©pĂŽt de leur instrument[101].
Nombre dâĂtats signataires
Ă ce jour, la Convention a Ă©tĂ© ratifiĂ©e par 148 Ătats signataires, ainsi que par lâUnion europĂ©enne. Le Canada a Ă©tĂ© le premier Ătat Ă ratifier ce traitĂ© le 28 novembre 2005[102]. Les ratifications les plus rĂ©centes proviennent de lâOuzbĂ©kistan et de NiouĂ© (15 novembre 2019) et Botswana (7 janvier 2020).
MalgrĂ© une vague soutenue de ratifications entre 2005 et 2007, celles-ci ralentissent par la suite. Afin de rĂ©pondre Ă cette situation, le ComitĂ© intergouvernemental adopte une stratĂ©gie et un plan dâaction pour la pĂ©riode 2010-2013 afin de stimuler les ratifications dans les rĂ©gions sous-reprĂ©sentĂ©es de la rĂ©gion dâAsie, du Pacifique et les pays arabes[103].
Les organisations de la sociĂ©tĂ© civile, dont la FĂ©dĂ©ration internationale des Coalitions pour la diversitĂ© des expressions culturelles (FICDC), jouent un rĂŽle important dans la mise en Ćuvre de cette stratĂ©gie[104].
Les Ătats-Unis, les grands opposants
Bien quâils participent activement aux nĂ©gociations et influencent la rĂ©daction du texte de la Convention de 2005, les Ătats-Unis refusent de ratifier la Convention[105]. Lâargument principal de leur opposition est que les produits culturels sont des marchandises au mĂȘme titre que tout autre bien et service. Pour eux, les bĂ©nĂ©fices du libre-Ă©change sâĂ©tendent aux biens et services culturels[106]. En octobre 2017, les Ătats-Unis annoncent leur volontĂ© de quitter lâUNESCO. Cette dĂ©cision prend effet le 31 dĂ©cembre 2018.
Par ailleurs, « on constate une absence de volontĂ© de la part de certains Ătats arabes, des Ătats de la rĂ©gion Asie-Pacifique, de la Russie et du Japon envers la ratification ou encore la mise en Ćuvre de cet instrument juridique »[107].
Cadre de suivi de la mise en Ćuvre
Le cadre de suivi est structuré par quatre objectifs primordiaux issus de la Convention, ainsi que par les résultats recherchés, les indicateurs de base et les moyens de vérification[108].
Les quatre objectifs sont : (1) Soutenir des systĂšmes de gouvernance durables de la culture, (2) Parvenir Ă un Ă©change Ă©quilibrĂ© de biens et services culturels et accroĂźtre la mobilitĂ© des artistes et des professionnels de la culture, (3) Inclure la culture dans les cadres de dĂ©veloppement durable et (4) Promouvoir les droits de lâHomme et les libertĂ©s fondamentales[109].
Le cadre de suivi se fonde sur lâarticle 9 de la Convention. Il est prĂ©cisĂ© par les Directives opĂ©rationnelles[110] visant le partage dâinformation et la transparence. Pour respecter cet engagement, les parties dĂ©signe un point de contact[111] et doivent produire des rapports pĂ©riodiques quadriennaux, le dĂ©compte dĂ©butant Ă la date du dĂ©pĂŽt de son instrument de ratification, acceptation, approbation ou dâadhĂ©sion[112]. Ces rapports sont examinĂ©s par la ConfĂ©rence des parties[113] et permettent notamment de prĂ©voir des mesures de coopĂ©ration internationale en ciblant les besoins des pays pouvant en bĂ©nĂ©ficier et dâidentifier des mesures innovantes. Une quarantaine dâĂtats, dont HaĂŻti, lâIslande, le Mali, le Nicaragua et le Panama, nâont Ă ce jour remis aucun rapport pĂ©riodique depuis leur ratification de la Convention[114]. Pour lâannĂ©e 2020, 104 rapports pĂ©riodiques sont attendus.
Mise en Ćuvre de la Convention de 2005 dans lâenvironnement numĂ©rique
La Convention est rĂ©digĂ©e selon un principe interprĂ©tatif de neutralitĂ© technologique. Cela signifie quâelle est conçue de maniĂšre Ă traverser le temps, sans quâelle ne devienne dĂ©suĂšte en raison de lâavancement technologique qui nâaurait pas Ă©tĂ© spĂ©cifiquement prĂ©vu au moment de sa rĂ©daction.
Toutefois, il sâest avĂ©rĂ© nĂ©cessaire dâadopter en 2017 les Directives opĂ©rationnelles sur la mise en Ćuvre de la Convention dans lâenvironnement numĂ©rique[115] afin dâaider les parties Ă interprĂ©ter le texte en lien avec lâenvironnement numĂ©rique. Les Directives prĂ©voient des modulations en lien avec lâenvironnement numĂ©rique pour lâensemble des droits et obligations prĂ©vus Ă la Convention et sont donc nĂ©cessaires Ă leur interprĂ©tation.
Une incertitude profonde quant Ă la qualification des produits numĂ©riques et Ă lâapplication dâun cadre juridique appropriĂ© a marquĂ© les premiĂšres annĂ©es dâexistence de la Convention. Lâadoption des Directives sur le numĂ©rique[116] rĂ©sout lâapplicabilitĂ© de la Convention aux produits numĂ©riques, rappelant « la neutralitĂ© technologique de la Convention »[117].
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