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Canal du Centre (France)

Le canal du Centre, aussi connu comme canal du Charolais, relie les vallées de la Loire et de la Saône. Il a été créé entre 1783 et 1793 par la volonté des États de Bourgogne sur le projet de son ingénieur en chef Émiland Gauthey. Il a établi la jonction entre la Saône à Chalon-sur-Saône et la Loire à Digoin.

Canal du Centre
Le canal du Centre Ă  Saint-LĂ©ger-sur-Dheune
Le canal du Centre Ă  Saint-LĂ©ger-sur-Dheune
GĂ©ographie
Pays France
CoordonnĂ©es 46° 47′ 53″ N, 4° 52′ 48″ E
DĂ©but SaĂ´ne Ă  Chalon-sur-SaĂ´ne
Fin Canal latéral à la Loire à Digoin
Traverse SaĂ´ne-et-Loire
Caractéristiques
Longueur d'origine 114 km
Longueur actuelle 112,125 km
Altitudes DĂ©but : 179 m
Fin : 235 m
Maximale : 301 m
Minimale : 179 m
DĂ©nivelĂ© 122 m
Gabarit Freycinet
Infrastructures
Ponts-canaux 1
Écluses 61
Hauteur des chutes d'Ă©cluses Moyenne : 2,60 m
Maximale : 10 m
Histoire
Année début travaux 1784
Année d'ouverture 1791
Commanditaire États de Bourgogne
Constructeur Émiland Gauthey

Il a Ă©tĂ© modernisĂ© Ă  la fin du XIXe siècle dans le cadre du plan Freycinet. Il comportait, sur ses 114 km, 64 Ă©cluses de part et d’autre du bief de partage de Longpendu ; les pĂ©niches pouvaient ĂŞtre chargĂ©es Ă  300 tonnes. Le problème de l’alimentation en eau a Ă©tĂ© rĂ©solu par la crĂ©ation progressive de rĂ©servoirs d’alimentation et, dans les annĂ©es 1950, par des chaĂ®nes de pompage.

Il a favorisé l’industrialisation de la dépression Dheune-Bourbince en attirant sur ses rives de nombreuses entreprises de matériaux de construction dont la tuile a connu la plus large diffusion et la céramique a été la plus emblématique. Elles étaient surtout concentrées aux deux extrémités du canal autour des pôles de Digoin-Paray-le-Monial et de Chagny. Plus encore, le canal a permis l’exploitation massive et durable du bassin houiller dit de Blanzy dans sa partie centrale où est née la ville de Montceau-les-Mines ainsi que le développement du pôle sidérurgique du Creusot. Le déclin de la navigation a commencé après la Seconde Guerre mondiale et a été accéléré par la concurrence du rail et de la route. L’épuisement du gisement de charbon des Houillères du Bassin de Blanzy a signé l’arrêt définitif du trafic de marchandises à partir de 1993.

De nos jours, le canal reste une remarquable valeur patrimoniale et a trouvé une nouvelle vocation dans le tourisme nautique, du mois d’avril au mois de septembre, localement sous la forme de croisières autour de Digoin mais les plaisanciers au long cours peuvent transiter sur l’ensemble du territoire national.

La création du canal

Tracé du Canal du Centre (France) entre la Loire et la Saône.

C’est avant tout par l’existence du canal du Centre que la mémoire d'Émiland Gauthey s’impose à nos contemporains. Mais c’est aussi en menant cette entreprise à son terme en un temps record qu’il a su faire la preuve de sa ténacité et de sa maîtrise professionnelle. Car il a dû d’abord convaincre les autorités qui n’étaient pas forcément acquises à l’idée de sa nécessaire réalisation. Sans doute, grâce à l’anglomanie ambiante à la fin du XVIIIe siècle[1] – on a pu même parler d’une véritable fascination par ce modèle d’Outre-manche[2]- l’opinion était, elle, favorable au projet. Mais le nouvel ingénieur en chef devait lever bien des obstacles techniques et financiers pour convaincre les États de Bourgogne de se lancer dans une telle entreprise.

Junctio triplex

On Ă©tait conscient, Ă  Dijon, de la situation gĂ©ographique privilĂ©giĂ©e de la province. Mais la première difficultĂ© rĂ©sultait de l’embarras mĂŞme qui en dĂ©coulait et de la prioritĂ© Ă  Ă©tablir entre les diffĂ©rentes liaisons possibles. En 1784 sera frappĂ©e la mĂ©daille annonçant ambitieusement : « Utriusque maris, junctio triplex » - triple jonction entre l’une et l’autre mers : les Ă©cluses du canal du Charolais expliciteront cette expression par leur dĂ©nomination, OcĂ©an sur le versant ligĂ©rien ; MĂ©diterranĂ©e sur le versant rhodanien. Dans l’esprit des autoritĂ©s, la liaison avec le Rhin par la Porte de Bourgogne entre Vosges et Jura n’était sĂ»rement pas prioritaire d’autant qu’elle supposait la collaboration de la Franche-ComtĂ©. De surcroĂ®t, c’est le marchĂ© parisien qu’il s’agissait de mieux desservir. De fait, seul devait ĂŞtre amorcĂ© en 1784 le court tronçon entre Saint-Jean-de-Losne sur la SaĂ´ne et Dole sur le Doubs. Son prolongement jusqu’au Rhin ne sera terminĂ© qu’en 1832. Mais en direction de Paris, l’option restait ouverte soit d’une jonction directe avec le bassin de la Seine par le seuil de Bourgogne soit d’une jonction indirecte par la dĂ©pression Dheune-Bourbince, la Loire et le canal de Briare[3].

Le triomphe du technicien

Le choix de la deuxième solution devrait paraĂ®tre Ă©vident au seul Ă©noncĂ© de ces donnĂ©es comparatives : une longueur de 114 km pour le canal du Charolais (notre canal du Centre) contre 183 pour le canal de Bourgogne ; des dĂ©nivellations respectives maximales de 130 et de 200 mètres entre le point le plus bas et le bief de partage des eaux ; 80 Ă©cluses contre 183[4]. Restait Ă  convaincre le tout puissant Perronet, fondateur de l’École nationale des ponts et chaussĂ©es, qui mettait en doute la possibilitĂ© d’une alimentation suffisante du canal du Charolais au bief de partage des eaux. « Les 300 pouces d’eau que peut donner l’étang de Longpendu sont insuffisants face aux 1 500 pouces que l’on peut rassembler au seuil de Pouilly-en-Auxois[3]. » Il pouvait compter, bien entendu, sur l’appui des autoritĂ©s de la ville de Dijon, placĂ©e sur le tracĂ© du canal. Finalement, Gauthey fit prĂ©valoir son point de vue en levant cette objection alors qu’on lui opposait encore les mĂ©diocres conditions de navigation entre les bancs de sable mouvants dans le lit naturel de la Loire entre Digoin et l’entrĂ©e du canal de Briare, le halage impossible sur les rives du fleuve. De leur cĂ´tĂ©, les Chalonnais ne pouvaient qu’applaudir Ă  ce choix d’autant que leur ville avait Ă©tĂ© retenue comme point d’aboutissement alors que la solution la plus naturelle aurait Ă©tĂ© de suivre le cours de la Dheune jusqu’à son confluent avec la SaĂ´ne Ă  Chagny. Il n’était plus question dĂ©sormais du canal de Bourgogne dont seule devait ĂŞtre amorcĂ©e en 1781 la courte section entre Saint-Jean-de-Losne et Dijon.

La solution du financement

L’entreprise paraissait gigantesque pour l’époque : 114 km de tranchĂ©es, 80 Ă©cluses, 71 ponts, 76 aqueducs, 3 rigoles d’alimentation, 68 maisons d’éclusiers, 125 aqueducs sous le canal[5]. Il fallait prouver la rentabilitĂ© d’un tel investissement. Le colonel Charles-Antoine Brancion et son frère, le capitaine Pierre-Anne, avaient Ă©tĂ© les premiers Ă  Ă©tablir un bilan estimatif des dĂ©penses et des recettes dès qu’ils eurent Ă©tĂ© autorisĂ©s en 1775 Ă  lancer ce projet avant d’obtenir en 1781 la caution des États de Bourgogne. Lorsqu’il s’est livrĂ© Ă  la mĂŞme Ă©tude, Gauthey n’est pas apparu comme leur concurrent et ils en sont venus mĂŞme Ă  collaborer. Son mĂ©moire de 1778 est, ce qu’on pourrait appeler avant l’heure, une vĂ©ritable Ă©tude des marchĂ©s lyonnais et parisien. Étaient estimĂ©es avec prĂ©cision les quantitĂ©s de vins, bois, charbon de terre (dont l’exploitation avait commencĂ© dans le secteur de Montcenis-Le Creusot) accessoirement le fer des forges, le seigle… qui nourriraient le trafic et donc les revenus tirĂ©s des droits de pĂ©age[6]. Il restait Ă  emporter la conviction des États de Bourgogne puis l’aval du pouvoir royal. Dès 1779 l’AssemblĂ©e des Ponts et chaussĂ©es avait Ă©mis les plus grandes rĂ©serves sur la validitĂ© du projet des frères Brancion. On en est mĂŞme venu Ă  s’interroger sur leur capacitĂ© Ă  verser dès le dĂ©marrage des travaux les indemnitĂ©s d’expropriation. Au terme de longues tergiversations, après que les dĂ©putĂ©s du Commerce eurent exprimĂ© le vĹ“u que la province aille chercher une compagnie plus riche et plus sĂ»re, ou mieux, que la province elle-mĂŞme emprunte pour son propre compte, le contrĂ´leur gĂ©nĂ©ral des finances Jean-François Joly de Fleury trancha en faveur des États de Bourgogne. Un Ă©dit royal de vint confirmer cette dĂ©cision. Vaines furent les protestations des frères Brancion auprès des États en [7]. Mais Gauthey Ă©tait automatiquement dĂ©signĂ© pour la conduite des travaux. Le succès de l’emprunt bĂ©nĂ©ficia du concours inattendu du gouverneur de la province, le prince Louis-Joseph de CondĂ© qui ne s’est pas cantonnĂ©, en l’occurrence, dans son rĂ´le de militaire. On en jugera par le fait que les souscripteurs ont affluĂ© en très grand nombre de… Chantilly, sa rĂ©sidence habituelle. Mais le plus cĂ©lèbre d'entre eux est sans doute le naturaliste Buffon, natif de Montbard[8].

La main-d’œuvre

Le maréchal de Ségur, ministre de la guerre, autorisa l’emploi de la troupe et les premiers travaux furent exécutés pendant trois ans sur deux chantiers : du côté de Chalon par le régiment de Monsieur, frère du roi, venu de Metz et, du côté de Paray-le-Monial, par le régiment du Beaujolais. L'effectif était renouvelé en principe tous les quinze jours.

Ces 750 soldats sans qualification rĂ©alisèrent uniquement des terrassements. La main-d'Ĺ“uvre civile (on disait les pionniers) recrutĂ©e sur place Ă©tait constituĂ©e en Ă©quipes sous la conduite de maĂ®tres-pionniers. Les ouvrages d'art comme les Ă©cluses furent confiĂ©s Ă  des entrepreneurs aux compĂ©tences reconnus venus pour beaucoup du Velay et d’Auvergne. Au total, jusqu’à 1 200 ouvriers s’activèrent simultanĂ©ment sur le chantier. Depuis son quartier gĂ©nĂ©ral de Bissey-sous-Cruchaud Gauthey veilla avec le plus grand soin Ă  l’avancement rĂ©gulier des travaux, au règlement des salaires, Ă  la prise en charge des malades et des accidentĂ©s par les hĂ´pitaux aux frais des États de Bourgogne[9] - [10].

Bilan

Les souscripteurs y ont-ils trouvĂ© leur compte ? La question reste posĂ©e. En revanche, Ă  terme, le pari de Gauthey s’est rĂ©vĂ©lĂ© remarquablement justifiĂ©. Grâce au canal du Centre, l’axe Dheune-Bourbince devait connaĂ®tre au XIXe siècle et jusqu’aux annĂ©es 1950 un dĂ©veloppement considĂ©rable. L’exploitation du bassin houiller du Creusot-Blanzy-Montceau-les-Mines s’en est trouvĂ©e grandement facilitĂ©e. Et il est normal d’attribuer au canal le dĂ©veloppement de nombre d’activitĂ©s induites, en particulier la mĂ©tallurgie du Creusot et les industries telluriques (faĂŻenceries, fabriques de briques et tuiles) qui ont prospĂ©rĂ© de Chagny Ă  Digoin sur les berges du canal[11].

Caractéristiques physiques

Le tracé du canal du Centre a été dicté par les conditions naturelles du relief et de l’hydrographie. Il emprunte la dépression hercynienne nord-est/sud-ouest drainée par la Dheune en direction de la Saône et par la Bourbince en direction de la Loire. Seule exception notoire : à Chagny il cesse d’emprunter la vallée de la Dheune jusqu’à sa confluence avec la Saône à Chagny et prend la direction du sud-est pour rejoindre la rivière à Chalon-sur-Saône en suivant le cours de la Thalie. Gauthey pouvait justifier son choix par des considérations financières : l’itinéraire est réduit de plusieurs kilomètres pour la navigation en direction de l’axe séquano-rhodanien. Les importants droits de péage perçus à l’époque entre Verdun-sur-le-Doubs et Chalon seraient évités. On s’accorde cependant pour reconnaître que Gauthey, très attaché à sa ville natale, s’est conformé aux sollicitations pressantes du lobby chalonnais[5].

Le profil en long est très dissymĂ©trique de part et d’autre du seuil de partage des eaux Ă  l’étang de Longpendu dont le bief de km est Ă  l’altitude de 301 mètres[12]. Sur le versant MĂ©diterranĂ©e (c’est le nom officiel), la SaĂ´ne coule Ă  l’altitude de 179 mètres et la dĂ©nivellation Ă  rattraper est de 112 mètres sur une distance de 48 km. La pente est donc beaucoup plus accentuĂ©e que sur le versant OcĂ©an (autre dĂ©nomination officielle) long de 62 km en direction de la Loire, dont le lit naturel est Ă  223 mètres. Mais la dĂ©nivellation de 78 mètres a Ă©tĂ© ramenĂ©e Ă  66 mètres en 1835 : cette date est celle de la crĂ©ation du pont-canal dans le cadre des travaux du canal latĂ©ral Ă  la Loire et la descente directe dans le lit du fleuve a alors Ă©tĂ© abandonnĂ©e[13].

  • Profil en long, versant ocĂ©an
    Profil en long, versant océan[12].
  • Profil en long, versant mĂ©diterranĂ©e
    Profil en long, versant méditerranée[14].

En exĂ©cution du plan Freycinet le canal du Centre comportait 63 Ă©cluses, au lieu des 83 d’origine, distantes en moyenne de 1 700 mètres. Mais on retrouve l’opposition entre les deux versants. Du cĂ´tĂ© MĂ©diterranĂ©e les Ă©cluses sont plus nombreuses (37) et les Ă©carts plus grands et plus grandes les diffĂ©rences : on y trouve Ă  la fois le bief le plus long (11 km) entre Saint-Gilles et l’aval de Chagny et le plus court . Dans sa partie la plus accidentĂ©e au droit de la commune d'Ecuisses, 7 Ă©cluses se succèdent sur km (8 avant Freycinet). On ne compte plus que 26 des 30 Ă©cluses d'origine sur le versant OcĂ©an, depuis la suppression des quatre par lesquelles le canal se raccordait alors avec le lit de la Loire[13].

Les conditions de la navigation dĂ©coulaient des normes retenues par le plan Freycinet : longueur des Ă©cluses de 38,5 mètres, largeur de 5,20 mètres. La profondeur des biefs (le mouillage) est de 2,20 mètres mais le tirant d’eau Ă©tait limitĂ© Ă  1,8 mètre avec une marge de 40 cm sous la quille (le pied de pilote). Sous les ponts la hauteur libre Ă©tait de 3,70 mètres. La pĂ©niche classiquement adaptĂ©e Ă  ces normes pouvait charger Ă  300 tonnes. La vitesse de circulation, depuis la gĂ©nĂ©ralisation des pĂ©niches automotrices qui avaient succĂ©dĂ© au halage depuis la berge, Ă©tait limitĂ©e Ă  6 km/h. PrĂ©caution fort utile afin d’éviter l’érosion des berges par batillage. Cette vitesse Ă©tait naturellement plus rĂ©duite aux approches d’une Ă©cluse, voire sur la longueur d’un bief entier trop court pour une montĂ©e en rĂ©gime de croisière. Il fallait compter au total un minimum de 3 jours pour les pĂ©niches en transit[13].

On trouvera une consolation Ă  ces performances qui paraissent peu flatteuses par comparaison avec les axes fluviaux majeurs en rappelant que le canal de Bourgogne, mis en service en 1832, dont on avait pensĂ© faire le concurrent du canal du Centre, a des caractĂ©ristiques plus handicapantes : une longueur de 242 km, une dĂ©nivellation de 295 mètres du cĂ´tĂ© du rĂ©seau de la Seine Ă  rattraper par 189 Ă©cluses ; de 196 mètres du cĂ´tĂ© de la SaĂ´ne avec 83 Ă©cluses. Le seuil de partage des eaux de Pouilly-en-Auxois est, en effet, Ă  378 mètres. Encore est-il franchi par un tunnel de 3,3 km dans lequel les pĂ©niches, qui ont interdiction d’utiliser leur moteur, Ă©taient tractĂ©es par un toueur[3].

  • Ancienne Ă©cluse et ancienne pĂ©niche Ă  Écuisses.
    Ancienne écluse et ancienne péniche à Écuisses.
  • Le pont-canal de Digoin.
  • Le canal Ă  Digoin avant le pont-canal.
    Le canal Ă  Digoin avant le pont-canal[12].
  • L'Ă©cluse de Crissey.
    L'Ă©cluse de Crissey.

Depuis sa crĂ©ation, le tracĂ© du canal a bĂ©nĂ©ficiĂ© de deux modifications Ă  chacune de ses extrĂ©mitĂ©s. Ă€ Digoin, il se raccordait directement Ă  la Loire, considĂ©rĂ©e Ă  l’époque comme navigable, au nord de la ville. Mais depuis la construction en 1835 du pont-canal dans la continuitĂ© du canal latĂ©ral Ă  la Loire (la jonction avec le canal de Roanne Ă  Digoin est rĂ©alisĂ©e un peu plus loin dans le dĂ©partement de l'Allier, Ă  Chavane), l’ancien tracĂ© de km et ses 4 Ă©cluses ont Ă©tĂ© abandonnĂ©s[11]. Du cĂ´tĂ© de la SaĂ´ne ont Ă©tĂ© entrepris en 1951 les travaux de dĂ©viation au nord de l’agglomĂ©ration de Chalon-sur-SaĂ´ne. Ils ont Ă©tĂ© achevĂ©s en . La traversĂ©e de Chalon prĂ©sentait de multiples inconvĂ©nients. Pour peu que le niveau de la SaĂ´ne montât, les bateaux Ă©taient prisonniers du canal Ă  cause de l'insuffisante haute libre au-dessous du pont de la route nationale 6 au dĂ©bouchĂ© dans la rivière. CorsetĂ© par la ville le port n’était susceptible d’aucun agrandissement et, de leur cĂ´tĂ© les urbanistes se voyaient limitĂ©s par ce no man’s land au cĹ“ur de la ville. A cette dĂ©viation la navigation a trouvĂ© son compte par un raccourci de 1,9 km et grâce au remplacement de trois Ă©cluses par l'unique Ă©cluse de Crissey, haute de 10,76 mètres et Ă  commandes Ă©lectriques. Les industriels n’ont pas Ă©tĂ© oubliĂ©s : la Chambre de commerce a amĂ©nagĂ© une zone de 140 ha Ă  l’amont immĂ©diat de l’écluse, en communication facile avec le port fluvial, ses engins de manutention, ses aires de stockage et son slip way[13]. Cependant, les vieux Chalonnais restent inconsolables en se remĂ©morant le canal d'antan remplacĂ© par un boulevard saturĂ© de voitures ; l'oubli dans lequel est relĂ©guĂ© son illustre crĂ©ateur. Ils imaginent, depuis le dĂ©veloppement du tourisme fluvial, la commoditĂ© pour les plaisanciers d'un port en centre-ville que ne saurait Ă©galer celui crĂ©Ă© en pleine rivière dans le bras Saint-Laurent soumis aux caprices des crues ou des Ă©tiages.

  • La jonction du canal Ă  la SaĂ´ne
    La jonction du canal Ă  la SaĂ´ne
  • Les bassins de Chalon.
    Les bassins de Chalon.
  • Plaque Gauthey
    Plaque Gauthey
  • Ancien et nouveau tracĂ©s Ă  Chalon.
    Ancien et nouveau tracés à Chalon.

L'alimentation

Stèle du bicentenaire de Gauthey à Longpendu
Stèle du bicentenaire de Gauthey à Longpendu.

L’alimentation en eau du canal a posĂ© dès l’origine un problème fondamental puisque la continuitĂ© du trafic en dĂ©pendait et c’est sur ce critère que Gauthey, nommĂ© IngĂ©nieur en chef des États de Bourgogne en 1782, a emportĂ© la conviction des États en faveur du canal du Charolais, contre l’avis de Jean-Rodolphe Perronet (1708-1794), premier ingĂ©nieur du roi depuis 1763, qui penchait pour le tracĂ© du canal de Bourgogne par Pouilly-en-Auxois[15]. C’est au niveau du bief de partage que la dĂ©monstration devait ĂŞtre faite d’un approvisionnement suffisant alors qu’on est Ă  la naissance des bassins-versants de la Dheune et de la Bourbince ! D’autant qu’à l’époque, le transit, nĂ©cessitant une double Ă©clusĂ©e, semblait devoir constituer l’essentiel des mouvements. Qu’une stèle Ă  la mĂ©moire du crĂ©ateur ait Ă©tĂ© Ă©rigĂ©e au seuil de Longpendu est une marque de reconnaissance symbolique du mĂ©rite du crĂ©ateur. Lors de l’inauguration en 1793 ont Ă©tĂ© mis Ă  contribution les Ă©tangs naturels, nombreux Ă  ce niveau : Ă©tang de Longpendu lui-mĂŞme dans lequel a Ă©tĂ© amĂ©nagĂ© le bief de partage et isolĂ© par une digue[16] ; Ă©tangs Neuf et Saint-Pierre rachetĂ©s par l’État en 1804, Ă©tangs de Montchanin et de Corne-aux-Vilains. Ont Ă©galement Ă©tĂ© crĂ©Ă©s les deux Ă©tangs artificiels Berthaud et de la Muette. La capacitĂ© de stockage de l’ensemble de 150 000 m3 restait très modeste[13].

Des ressources supplĂ©mentaires ont Ă©tĂ© apportĂ©es tout au long du XIXe siècle. Au bief de partage, l’étang de Torcy-Vieux a constituĂ© un apport de 2,5 millions de m3 ; celui de Torcy-Neuf date du plan Freycinet (1883-1887) mais sa capacitĂ© a Ă©tĂ© portĂ©e par la suite Ă  9,3 millions de m3. Sur le versant OcĂ©an a Ă©tĂ© mis en service en 1870 l’étang du Plessis, aujourd’hui intĂ©grĂ© dans le cadre urbain de Montceau-les-Mines, d’autant plus prĂ©cieux que l’étendue de son bassin-versant permet cinq remplissages par an. On n’en peut dire autant, sur le versant MĂ©diterranĂ©e, de l’étang de Montaubry crĂ©Ă© entre 1859 et 1861 : il fait illusion par sa superficie mais sa vaste rĂ©serve de 5 millions de m3 ne peut se renouveler que tous les 17 mois. Ajoutons Ă  ces apports les prises d’eau en rivière : celles sur la Dheune et la Bourbince ont Ă©tĂ© complĂ©tĂ©es en 1875 par celle sur l’Arroux grâce Ă  une rigole de 14 km Ă  partir de Gueugnon. Au total, en 1914, Ă  la veille de la Grande Guerre, la capacitĂ© totale de stockage Ă©tait de 22 millions de m3 dont 16 au bief de partage[13]

Plaque sur la stèle à Longpendu
Plaque sur la stèle à Longpendu.
Etang de Longpendu
Étang de Longpendu.

Le service des Ponts-et-ChaussĂ©es semblait se satisfaire de la situation lorsque son reprĂ©sentant affirmait en 1934 : « Grâce aux rĂ©servoirs et accessoirement aux prises d’eau en rivière, le canal du Centre est actuellement assez bien alimentĂ© eu Ă©gard Ă  son trafic. » Les interruptions de la navigation, dont la plus grave lors de la grande sĂ©cheresse de 1921, lui paraissaient supportables. Pourquoi, dans ces conditions, une remise en cause après 1945 ? D’une part, ces interruptions de trafic en cas de sĂ©cheresse prolongĂ©e Ă©taient de moins en moins supportĂ©es. D’autre part et surtout devaient ĂŞtre prises en compte les nouvelles conditions de la navigation et, plus prĂ©cisĂ©ment, la gĂ©nĂ©ralisation des automoteurs : le mouvement de leurs hĂ©lices accentuait le phĂ©nomène de batillage et donc l’érosion des berges Ă  leur base. Pour s’en prĂ©munir, la solution a Ă©tĂ© de hausser le niveau de l’eau dans les biefs Ă  la hauteur de 2,20 m. Les pĂ©niches n’étant pas pour autant autorisĂ©es Ă  augmenter leur chargement et donc leur tirant d’eau, la marge de 20 cm sous la sole (le pied de pilote) Ă©tait portĂ©e de 20 Ă  35 ou 40 cm[13]. Ces nouveaux besoins appelaient de nouvelles solutions. Peu Ă  peu s'est imposĂ©e celle des chaĂ®nes de pompage qui repose sur une sorte de recyclage de l'eau. La première a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e entre 1951 et 1953. L'eau puisĂ©e dans la SaĂ´ne, au rythme de 1 000 litres/seconde a Ă©tĂ© refoulĂ©e jusqu'au grand bief de Chagny dans une conduite de 13 km. Les rĂ©sultats obtenus s'avĂ©rant très satisfaisants, on est passĂ© Ă  la rĂ©alisation d'une deuxième chaĂ®ne. 300 litres Ă©taient repris chaque seconde dans l'Ă©tang de Montaubry et refoulĂ©s sur une hauteur de 30 mètres jusque dans l'Ă©tang de Longpendu, au bief de partage, par une conduite de 4,8 km. Les travaux ont durĂ© de 1957 Ă  . On envisageait d'amĂ©nager une troisième chaĂ®ne : 700 litres seraient refoulĂ©s du grand bief du Chagny jusqu'Ă  l'Ă©tang de Montaubry par une conduite de 15 km mais le recul du trafic l'a rendue inutile[13].

Les ports

Au dĂ©but du XXe siècle, dans une vingtaine de ports, le trafic sur le canal du Centre dĂ©passait les 10 000 tonnes. On en comptait encore 17 entre les deux guerres mondiales mais d’importance fort inĂ©gale. On peut les regrouper gĂ©ographiquement en trois ensembles autour des villes de Digoin, Montceau-les-Mines et Chalon-sur-SaĂ´ne.

Le pĂ´le digoinais

Ce pĂ´le bĂ©nĂ©ficiait d’une bonne irrigation en voies navigables depuis le raccordement du canal du Centre avec le canal de Roanne Ă  Digoin et avec le canal latĂ©ral Ă  la Loire nouvellement crĂ©Ă©s en 1835 grâce au pont-canal. Parmi les grandes entreprises, les Forges de Gueugnon ont Ă©tĂ© les premières Ă  manifester de l’intĂ©rĂŞt pour une desserte fluviale. Elles avaient Ă©tĂ© fondĂ©es dès 1725 par le marquis de Latour-Maubourg pour bĂ©nĂ©ficier Ă  la fois des forĂŞts locales dont elles tiraient leur combustible, de gisements locaux de minerai de fer et de la force motrice de l’Arroux. Mais l’affaire vĂ©gĂ©tait depuis plus d’un siècle et n’employait que 60 personnes. Trouveraient-elles un second souffle en se raccordant au canal du Centre ? La famille Championnet qui venait d’en faire l’acquisition a entrepris Ă  cette fin en 1869 le creusement des 14 km de la rigole de l'Arroux qui entra en service en 1875. Pari gagnĂ© : l’effectif a bondi Ă  600 en 1888[13].

La prĂ©sence du canal a Ă©tĂ© la motivation principale des FaĂŻenceries de Sarreguemines et Vitry-le-François lors de leur installation Ă  Digoin en 1876 avec la volontĂ© de se rapprocher de la clientèle du sud de la France. Quand, en 1917, la Compagnie GĂ©nĂ©rale de Construction de Fours a obĂ©i Ă  la mĂŞme prĂ©occupation s’y ajoutait l’impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de compenser la perte de ses centres normaux d’approvisionnement situĂ©s dans la zone du front[13]. 21 ans plus tard c’est toujours la mĂŞme motivation (se rapprocher des marchĂ©s mĂ©ridionaux) qui a dictĂ© le choix de Vitry-en-Charollais, Ă  km Ă  l’ouest de Paray-le-Monial par la sociĂ©tĂ© Eternit dont la maison-mère Ă©tait Ă  Prouvy près de Valenciennes. Les travaux commencĂ©s en 1938 seront achevĂ©s en pleine guerre mondiale (1942). A ces trois cas de croissance interne, il faut ajouter deux initiatives locales Ă  Paray-le-Monial mĂŞme : Cerabati, producteur de cĂ©ramiques dès la fin du XIXe siècle et Fauchon-Baudot, spĂ©cialisĂ© dans les produits rĂ©fractaires[13]

Statistiques du trafic des ports du canal du Centre
Statistiques du trafic des ports du canal du Centre[13].

Le poids de ces industries dans l’économie locale se mesurait encore au milieu des années 1950 par le nombre d’emplois : 2 800 à Gueugnon ; à Digoin 1145 et 625 respectivement aux Faïenceries et à la Compagnie Générale de Construction de Fours ; 700 à Eternit : 5270 au total[13].

Ces entreprises recouraient au canal beaucoup plus pour leur approvisionnement en matières premières pondĂ©reuses que pour les livraisons Ă  la clientèle. En 1957, la Compagnie gĂ©nĂ©rale de Fours recevait encore par pĂ©niches 8 000 tonnes des Houillères de Blanzy, 4 000 tonnes d’argile et autres produits siliceux de provenances diverses. Ce qui justifiait l’existence d’un double quai de dĂ©chargement de 80 mètres de long. Ce type de fonctionnement avait mĂŞme Ă©tĂ© programmĂ© dès le dĂ©part par Eternit, la dernière venue des grands clients du canal. Elle recevait exclusivement par voie d’eau le charbon de Montceau-les-Mines pour le sĂ©chage des plaques, l’amiante de RhodĂ©sie, d’URSS ou du Canada depuis le port d’Anvers, le ciment de Beffes, dans le Cher, en un va-et-vient incessant de pĂ©niches louĂ©es Ă  la CGNHPLM (Compagnie GĂ©nĂ©rale de Navigation du Havre Ă  Paris Ă  Lyon et Ă  Marseille). Mais les expĂ©ditions Ă  la clientèle par lots fractionnĂ©s Ă©chappaient totalement au canal ! Le cas des Forges de Gueugnon qui ont renoncĂ© au canal au dĂ©but des annĂ©es 1950 est spĂ©cifique. En , on a assistĂ© au dĂ©chirage des derniers berrichons, ces petites pĂ©niches adaptĂ©es au gabarit de la rigole d'Arroux qui ne rĂ©pondait Ă©videmment plus aux exigences du trafic moderne. Les Forges devaient elles-mĂŞmes mettre leurs bateaux sur cale pour les rĂ©parations faute de chantier adaptĂ©. De surcroĂ®t, on n’évitait pas tout transbordement, le terminal Ă©tant Ă  près de km des Forges (certains rĂ©ussissaient parfois l'exploit de joindre directement l'usine en empruntant le lit mĂŞme de la rivière !). Ajoutons aux inconvĂ©nients la lenteur du trafic (6 jours aller-retour entre Gueugnon et Montceau-les-Mines). En recourant au canal, elles avaient saisi une opportunitĂ© mais leurs aciers hautement valorisĂ©s pouvaient supporter des coĂ»ts de transport Ă©levĂ©s[13].

Le pĂ´le montcellien

Une fois quittée Paray-le-Monial, sur une quarantaine de kilomètres, les péniches ne marquaient plus d’arrêts dès les années 1950 : toutes activités industrielles avaient cessé à La Gravoine, Palinges et Génelard. Le contraste n’en était que plus vif avec le spectacle offert dès l’arrivée dans l’agglomération de Montceau-les-Mines.

carte géologique du bassin houiller de Blanzy
Carte géologique du bassin houiller de Blanzy[12].

La référence à la structure géologique du bassin houiller et à l’histoire de son exploitation est indispensable. Le gisement de charbon affleure selon la direction nord-est-sud-ouest parallèle au canal que lui a imprimé le plissement hercynien. Il affecte ici la forme d’une gouttière synclinale dont seules affleurent les bordures latérales[13]. L’exploitation du charbon a débuté sur sa bordure nord avant même la Révolution française mais elle n’a pris de l’importance qu’après sa valorisation sous forme de coke, selon la méthode anglaise, combustible de choix pour les industries métallurgiques et la verrerie qui sont à l’origine de la ville du Creusot[6]. Gauthey avait eu sur le développement possible de ce foyer industriel des propos prémonitoires : « Le Charolais abonde en bois, produits du sol, charbon de terre… qui auront grand débit si on peut les transporter par eau. Le Charolais possède aussi de nombreuses forges et plusieurs hauts fourneaux, sans compter ceux projetés qui n’attendent qu’un moyen de transport à leur taille pour naître et se développer[17]. »

Les États de Bourgogne Ă©taient conscients de la nĂ©cessitĂ© de dĂ©senclaver cet ensemble industriel en lui assurant une liaison commode avec la voie d’eau Ă©loignĂ©e d’une dizaine de kilomètres. Gauthey avait dès 1787 reçu mission d’opĂ©rer ce raccordement par la crĂ©ation d’une rigole branchĂ©e sur le canal Ă  Montchanin. Elle a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e difficilement. Une Ă©cluse en commandait l'accès (elle est hors service mais toujours visible) ; il a fallu percer une galerie souterraine de 1 267 mètres ; elle ne conduisait que jusqu’à l’étang de Torcy. Son prolongement jusqu’au Creusot ne donnant pas satisfaction, le problème n’a Ă©tĂ© finalement rĂ©solu que par liaison ferroviaire d’abord hippomobile en 1839 puis par locomotive Ă  vapeur en 1859. Les Ă©tablissements Schneider, qui avaient financĂ© ces travaux, sont devenus dĂ©sormais des clients fidèles de la voie d’eau depuis Montchanin oĂą avait Ă©tĂ© crĂ©Ă© le port de Bois Bretoux. A la veille de la Grande Guerre on y manutentionnait de 250 Ă  300 000 tonnes de marchandises, essentiellement des produits sidĂ©rurgiques[6].

Passons Ă  la pĂ©riode de l’entre-deux guerres. Bien que paraissant modeste par rapport au tonnage traitĂ© dans le port de Montceau-les-Mines, le secteur de Montchanin s’inscrivait pour 120 000 tonnes au Bois-Bretoux dans les annĂ©es 1929-1937, cette moyenne occultant un profond dĂ©clin par rapport au maximum de 228 000 tonnes en 1931. La maison Schneider n’était plus la seule, et depuis longtemps, Ă  animer les berges du canal dans ce mĂŞme secteur. Leur exemple avait Ă©tĂ© suivi sous le second Empire par la sociĂ©tĂ© Perrusson Ă  Écuisses, spĂ©cialisĂ©e dans la cĂ©ramique de grande qualitĂ© puis par les Grandes Tuileries de Bourgogne Ă  Montchanin. Écuisses, classĂ© Ă  part dans les statistiques portuaires, apportait 34 000 tonnes supplĂ©mentaires au trafic du canal sur un rythme soutenu[13].

Maison Perrusson Ă  Ecuisses
Villa Perrusson Ă  Ecuisses.

Sur la bordure sud de la gouttière synclinale le charbon affleure massivement, de Montchanin Ă  Sanvignes en passant par Blanzy et Montceau-les-Mines au contact au contact immĂ©diat du canal du Centre. Cependant, le besoin d’extraction s’est fait sentir plus tardivement que dans le secteur du Creusot oĂą il Ă©tait indispensable au fonctionnement des Forges. Faute de clientèle sur place, la houille y fut d’emblĂ©e destinĂ©e aux marchĂ©s extĂ©rieurs approvisionnĂ©s par voie fluviale. On peut dater l’exploitation massive de la crĂ©ation de la Compagnie de Blanzy en 1832 alors que les abords du canal Ă©taient encore dĂ©serts : la commune de Montceau-les-Mines ne sera crĂ©Ă©e qu’en 1856 ! Cette compagnie se mua en entreprise de transports avec sa propre flotte, qui compta jusqu’à 420 bateaux en 1857, et son bassin de radoub. Elle ne limitait pas son activitĂ© Ă  la livraison de son charbon mais assurait un service de remorquage sur la SaĂ´ne ou la Loire[13]. Les imposants bâtiments de la direction ont Ă©tĂ© construits face au centre-ville de Montceau sur la rive nord du canal ainsi que la maison du directeur. Certains puits de mine y dressaient leur chevalement dont celui des Alouettes, point de dĂ©part des grandes manifestations ouvrières. Un peu Ă  l’écart le lavoir des Chavannes, le plus grand du monde Ă  sa crĂ©ation en 1930, Ă©tait le cĹ“ur de l’activitĂ© fluviale. Il s’y chargeait chaque jour l’équivalent de 7 pĂ©niches de 250 tonnes en moyenne Ă  destination d’Anvers, Rouen, Épinal ou Lyon. La centrale thermique de Lucy avait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e Ă  proximitĂ©. Si le trafic du million de tonnes atteint en 1936 n’a plus Ă©tĂ© dĂ©passĂ© ni la moyenne annuelle de l’avant-guerre (823 000 tonnes), le record annuel de l’après-guerre (1950-57) s’établissait encore Ă  823 000 tonnes et sa moyenne annuelle Ă  715 000 tonnes soit 75 % de l’activitĂ© du canal du Centre[13].

Le pĂ´le chalonnais

À partir d’Écuisses dont l’altitude est proche de celle du seuil de partage des eaux, tout au long de la rapide descente de la vallée de la Dheune, à Perreuil, Saint-Léger-sur-Dheune et Remigny ont prospéré un temps de petites entreprises de matériaux de construction. Au grand bief de Chagny commence véritablement la plaine où les conditions deviennent plus favorables au développement industriel. Le pôle chalonnais se réduit en fait à la ville elle-même et à Chagny où ont prospéré des verreries de 1861 à 1881. A cette date, leur relais a été pris par les Grandes Tuileries de Bourgogne. Elles étaient tributaires du canal pour leur approvisionnement en charbon de Montceau-les-Mines et livraient une partie de leur production par la voie d’eau jusqu’en région parisienne. Mais on a assisté au rapide déclin de ce trafic qui avait quasiment disparu en 1957[13].

  • L'obĂ©lisque de 1787.
    L'obélisque de 1787.
  • Plaque commĂ©morative en l'honneur de Gauthey.
    Plaque commémorative en l'honneur de Gauthey.
  • Les industries de Chalon-sur-SaĂ´ne.
    Les industries de Chalon-sur-SaĂ´ne.

Gauthey avait un vĂ©ritable attachement pour sa ville natale dont il avait fait le dĂ©bouchĂ© du canal sur la SaĂ´ne. Sans attendre l’achèvement des travaux, il a tenu Ă  marquer l’évĂ©nement en Ă©rigeant en 1787 un obĂ©lisque, selon la mode orientaliste de l’époque, au cĹ“ur de la citĂ©. Sous l’Empire (1805) y ont Ă©tĂ© creusĂ©s le Grand bassin Ă  l’ouest, et deux petits bassins Ă  l’est. On peut affirmer que la vocation industrielle de Chalon, jusqu’alors rĂ©putĂ©e comme place de commerce, est nĂ©e du canal du Centre[13]. C’est d’abord en bordure du canal et de ses bassins que se sont installĂ©es les premières entreprises, toujours prĂ©sentes vers 1950. Peu après avoir pris en main les destinĂ©es mĂ©tallurgiques du Creusot, en 1839, Schneider a compris tout l’avantage d’une prĂ©sence sur le grand axe SaĂ´ne-RhĂ´ne et l’usine du Petit Creusot, fondĂ©e en 1839, ne devait pas tarder Ă  devenir la plus grosse affaire de l’agglomĂ©ration chalonnaise. Et quand Saint-Gobain, en 1912, installe Ă  son tour sa verrerie qui devait devenir le deuxième plus gros employeur de la ville, c’est encore en bord de canal pour profiter des avantages offerts par la voie d’eau. On peut ainsi affirmer que grâce au canal, ce secteur de la Bourgogne est entrĂ© de plain-pied dans la première rĂ©volution industrielle, celle du charbon. Les industries chalonnaises n’ont pas Ă©tĂ© les seules Ă  s’approvisionner Ă  bas prix dans un bassin houiller proche. Il faut ajouter d’importantes affaires commerciales. La Charbonnière de SaĂ´ne-et-Loire recevait par sa propre flotte de 12 Ă  18 000 tonnes de houille depuis Montceau. Les chineurs allaient la revendre Ă  la criĂ©e Ă  travers les rues. Les Houillères de Blanzy y tenaient un dĂ©pĂ´t oĂą allaient s’approvisionner les nĂ©gociants en gros. L’usine Ă  gaz et la centrale thermique depuis 1929 faisaient venir leur combustible de Montceau et parfois de Decize, sur la Loire. Ajoutons comme autre exemples des diverses matières pondĂ©reuses vĂ©hiculĂ©es par les pĂ©niches le Petit-Creusot qui n’aurait pu fonctionner sans les livraisons de produits mĂ©tallurgiques en provenance de sa maison-mère. La Compagnie Saint-Gobain, propriĂ©taire de sa propre flotte, recevait en moyenne chaque annĂ©e les sables spĂ©ciaux en provenance de Nemours en Seine-et-Marne (encore 3 400 tonnes en 1958) ; le carbonate de soude (près de 6 000 tonnes la mĂŞme annĂ©e) achetĂ© en Lorraine, Ă  VarangĂ©ville ou dans la proche usine Solvay de Tavaux, le calcin (dĂ©bris de verre) de diverses provenances. Au total son port privĂ© manutentionnait plus de 40 000 tonnes de marchandises[18].

Cependant, au milieu des annĂ©es 1950, le recul du trafic fluvial Ă©tait dĂ©jĂ  bien amorcĂ©. En prĂ©vision de la suppression du canal dans la ville mĂŞme la SociĂ©tĂ© de Dragages livrant 220 000 tonnes de sable et gravier s’était rĂ©installĂ©e dans le port fluvial sur la SaĂ´ne. Elle avait Ă©tĂ© imitĂ©e par l’entreprise Delaroche qui recevait en 1956 ses derniers sacs de ciment d’Origny-Sainte-Benoite dans l’Aisne. Quant aux nombreuses affaires, comme Kodak, installĂ©es de part et d’autre du nouveau tracĂ© du canal au nord de la ville, elles n’étaient guère clientes de la voie d’eau mais seulement Ă  la recherche de vastes terrains bon marchĂ©[19].

Trafic

La frĂ©quentation du canal restait assez considĂ©rable dans les annĂ©es 1950. Les Ă©clusiers Ă©taient Ă  la manĹ“uvre quotidiennement - seul le Ă©tant chĂ´mĂ© - pour 14 pĂ©niches en moyenne contre 27 avant la guerre mais on ne peut s’en tenir Ă  ce chiffre pour mesurer l’intensitĂ© du trafic car les chargements Ă©taient nettement plus lourds de 30 Ă  40 tonnes. Les tonnages globaux sont donc plus significatifs. La mĂŞme comparaison fait apparaĂ®tre un recul global du trafic après la guerre mais avec une constante augmentation pour les deux pĂ©riodes et des maxima respectifs de 1,7 et 1,2 million de tonnes en 1936 et 1955 ; si l’on prend en compte le nombre moyen de kilomètres parcourus on peut estimer que le trafic n'Ă©tait plus que de 70 Ă  75 %[13].

canal de l'Ourcq
Répartition du trafic par catégories de marchandises[13].

Contrairement aux prévisions du créateur du canal, le transit entre Saône et Loire n’a jamais représenté qu’une part minime du trafic, de l’ordre de 10 % après comme avant la guerre. Les mariniers répugnant à assumer un rôle de caboteurs, en quelque sorte, entre deux ports du canal, le trafic intérieur était encore moins significatif et en régression sur le demi-siècle : de 16 % à 10 % environ entre l’avant et l’après-guerre. Les trajets à longue distance avaient la préférence des mariniers qui ne rechignaient pas à assurer la desserte avec des ports lointains car ils étaient presque assurés d’avoir un fret de retour. Les déchargements, selon la terminologie officielle traduits en arrivages sur la figure représentaient en moyenne un cinquième du trafic dans les années 1950, en recul par rapport aux années 1930 (25 %). Le pourcentage des chargements (ou expéditions) était, lui, en nette progression (59 % en moyenne annuelle contre 50 %[13].

trafics comparés des canaux de Bourgogne
Trafics comparés des canaux de Bourgogne[12].

L’Office National de la Navigation classait les marchandises en dix groupes. Ses statistiques font apparaître une écrasante prépondérance pour les combustibles minéraux, en fait le charbon des HBB (Houillères du Bassin de Blanzy), prépondérance de plus en plus marquée puisque leur part est passée de 56,6 % à 64,9 % en moyenne annuelle d’une période à l’autre. Une fois ajoutés les matériaux de construction (sable, briques, tuiles, ciment, etc.) qui, bien qu’en recul, représentaient encore 23,2 % après la guerre contre 27 %, on constatera une faible variété dans le trafic et peu de place pour tous les autres types de marchandises[13].

La préférence de Gauthey pour le canal du Charolais était fondée sur la certitude que les conditions de navigation y seraient meilleures que celles offertes par le canal de Bourgogne. Les perspectives lui semblaient aussi plus favorables économiquement du fait des ressources naturelles susceptibles de nourrir le trafic. Son intuition a été confirmée. La supériorité du canal du Centre apparaît à l’évidence sur une carte où les trafics des voies navigables sont représentés sous forme rubanée. Mis à part le cul-de-sac du canal de Roanne à Digoin, le canal de Bourgogne apparaît comme le maillon le plus faible dans l’ensemble du réseau qui met en communication le bassin rhodanien et la France septentrionale. Entre les deux rivaux bourguignons, l’écart s’est même fortement creusé par rapport à l’avant- guerre[13].

Le déclin

La vallée de la céramique

Ă€ travers l’étude du trafic du canal du Centre, la pĂ©riode entre 1929 et 1957 semble faire charnière. Pendant tout le XIXe siècle et jusqu’à la Première Guerre mondiale, si la province de Bourgogne est entrĂ©e de plain-pied dans la première rĂ©volution industrielle, c’est grâce au canal du Centre et la dĂ©pression Dheune-Bourbince en a Ă©tĂ© l’axe. Cette rĂ©volution commune Ă  l’Europe occidentale reposait gĂ©nĂ©ralement sur trois piliers : le charbon, la sidĂ©rurgie et l’industrie textile l’ensemble Ă©tant innervĂ© par le chemin de fer. La rĂ©gion stĂ©phanoise en a Ă©tĂ© en France un des exemples le plus typique.  Si l’on retrouve bien dans cette partie de la Bourgogne les deux premiers Ă©lĂ©ments de cette trilogie, le bassin houiller dit de Blanzy expliquant le dĂ©veloppement de la sidĂ©rurgie du Creusot, il n’y existait pas de tradition textile ! il faut chercher le troisième Ă©lĂ©ment du cĂ´tĂ© des industries qu’on qualifie parfois de telluriques basĂ©es sur l’exploitation en carrières du sable, du gypse, du calcaire, de l’argile. La cĂ©ramique en Ă©tait la production la plus emblĂ©matique. En 1901, Victor Ardouin-Dumazet pouvait dĂ©crire, dans son guide sur la Haute Bourgogne  Â« cette longue chaĂ®ne d’usines qui pourrait faire donner au dĂ©filĂ© formĂ© par la Dheune et la Bourbince via le seuil de Longpendu le nom de vallĂ©e de la cĂ©ramique »[10]. Le canal avait, avant mĂŞme l’exploitation intensive des ressources du bassin houiller,  suscitĂ© une vocation inattendue pour ce type d’industrie au fur et Ă  mesure de la maĂ®trise des techniques adaptĂ©es Ă  cette branche d’activitĂ©. La chaĂ®ne en commençait Ă  Chagny. La France entière connaissait la tuile mĂ©canique losangĂ©e Ă  emboĂ®tement imaginĂ©e Ă  Altkirch, dans le Sundgau, mais tĂ´t  adoptĂ©e par les Grandes Tuileries de Bourgogne Ă  Chagny et Ă  Montchanin dès le milieu du XIXe siècle, tuile si Ă©conome de main-d’œuvre Ă  la pose, 13 suffisant Ă  couvrir un mètre carrĂ© de toit contre 60 avec les tuiles plates traditionnelles. Écuisses Ă©tait un autre point fort de cette chaĂ®ne depuis que le voiturier de bateaux Perrusson s’y Ă©tait installĂ© vers 1860. Sa fabrication de briques rĂ©fractaires, dont la clientèle Ă©tait tout trouvĂ©e Ă  proximitĂ© avec Schneider pour l’équipement de ses hauts-fourneaux du Creusot, prospĂ©ra au point qu’il fallut lui consacrer une nouvelle usine Ă  Saint-LĂ©ger-sur-Dheune dès 1863. L’usine mère put ajouter Ă  la production de tuiles Ă  partir de 1875 celles de briques et carreaux polychromes en grès cĂ©ramique d’une qualitĂ© exceptionnelle reconnue aux expositions universelles de 1889 et de 1900. L’immeuble de la compagnie richement dĂ©corĂ© Ă  proximitĂ© de l’écluse n°9 en tĂ©moigne encore aujourd’hui. Par le  mĂŞme port recevait ses matières premières la manufacture de tuyaux de grès vitrifiĂ© Ă  forte rĂ©sistance aux acides fondĂ©e en 1870 par la famille Colesson ; de reprise en reprise par d’autres sociĂ©tĂ©s elle devait subsister jusqu’à 1967 pour faire place aux emprises du TGV[10].

Et cette chaĂ®ne se poursuivait sur le versant OcĂ©an. Ă€ Ciry-le-Noble, dès 1820 s’était installĂ© au Pont des Vernes, près des carrières d’argile, le potier Longeron. Il devait rester fidèle au canal jusqu’en 1930. Une autre grande usine, la briqueterie Baudot aux Touillards, se dĂ©veloppe Ă  partir de la fin du XIXe siècle. Les carrières de calcaire ne manquant pas dans le voisinage, GĂ©nelard avait eu sa cimenterie. Non loin, Ă  Palinges, la fabrique de cruchons de grès (jusqu’à 40 000 par mois) fondĂ©e en 1811 par Antoine Longerrois et dans lesquels Ă©taient conditionnĂ©s les liquides gazeux dont les eaux de Vichy avaient Ă©tĂ© victimes de l’adoption de la bouteille de verre dès 1850. Sur la mĂŞme commune les carrières de pierre du Montet ont alimentĂ©, entre autres, le chantier de construction du pont-canal de Digoin dans les annĂ©es 1830[10]. Du temps d’Ardouin-Dumazet, Cerabati et Fauchon-Baudot Ă©taient dĂ©jĂ  implantĂ©s Ă  Paray-le-Monial de mĂŞme que les FaĂŻenceries Ă  Digoin  pour une prĂ©sence moins Ă©phĂ©mère que la manufacture de grès et poteries implantĂ©e deux ans plus tĂ´t par le sieur Petitpierre au hameau de la Verne[10] - [20]. En revanche, il n’a pu connaĂ®tre trois autres importants usagers qui ont choisi de s’installer plus tardivement sur les bords du canal du canal : Saint-Gobain avec sa verrerie de Chalon-sur-SaĂ´ne en 1904, la Compagnie de Fabrication de Fours de Digoin en 1917 et France-Eternit Ă  Vitry-en-Charolais en 1943. Pendant toute cette longue pĂ©riode, la voie d’eau et le rail n’apparaissaient pas comme concurrents mais comme complĂ©mentaires, l’idĂ©al Ă©tant de s’installer entre les deux. Depuis les annĂ©es 1870-1880, Paray-le-Monial Ă©tait devenue la plaque tournante d’un important rĂ©seau ferroviaire et une vraie citĂ© cheminote. La ligne de Chalon-sur-SaĂ´ne Ă  Moulins longeait le canal sur toute sa longueur. La liaison avec Lyon Ă  travers les monts du Beaujolais avait exigĂ© quelques prouesses techniques. De manière plus Ă©phĂ©mère avait existĂ© une relation avec Roanne[12].

Il faut imaginer l’animation des rives du canal lorsque les pĂ©niches Ă©taient tractĂ©es depuis le chemin de halage par des attelages de chevaux qui y Ă©taient logĂ©s la nuit en cabine, les odeurs de foin, de paille et de crottin. Les mariniers se prĂ©sentaient fort nombreux aux Ă©cluses : ils Ă©taient encore 8 000 en moyenne annuelle avant 1939 avec un maximum de 10 000 en 1936. Il faut aussi imaginer la nombreuse main-d’œuvre occupĂ©e avec pelles et brouettes au chargement ou au dĂ©chargement des cargaisons dans les 17 ports Ă©chelonnĂ©s sur les 114 kilomètres du canal. Il faut imaginer l’affluence aux bourses de fret de Montceau-les-Mines et de Chalon de tout ce monde en casquette en quĂŞte d’un chargement qui, avec un peu de chance, le rapprocherait de Conflans-Sainte-Honorine, au confluent de l’Oise, oĂą retrouver les enfants en internat ou cĂ©lĂ©brer un mariage[10]…

La concurrence du rail et de la route

La concurrence des autres modes de transport s'accentuait d'année en année. Celle du rail était apparue la première. La voie ferrée de Chagny à Moulins avait été ouverte dans les années 1880 et son tracé était parallèle au canal. Quand la SNCF a pris le relais de la société PLM après la Libération, les performances du rail ont été améliorées par remplacement de la locomotive à vapeur. La concurrence de la route a été plus tardive bien que celle-ci ait suivi également le même tracé que le canal au point d'être confondue par endroits avec le chemin de halage. Mais le transport de matières pondéreuses ne s'est généralisé qu'entre les deux Guerres mondiales avec la généralisation du camion. A la fin des années 1950 c'était au tour du gaz de Lacq, concurrent du charbon des Houillères du Bassin de Blanzy, d'étendre son réseau. L'enquête conduite en 1958 auprès des Grandes Tuileries de Bourgogne permet l'analyse la plus précise et la plus fine sur les causes du déclin de la voie d'eau.

Grandes Tuileries de Bourgogne Expéditions
Grandes Tuileries de Bourgogne, expéditions[12].

Les Grandes Tuileries de Bourgogne avaient Ă©tĂ© fondĂ©es en 1881. Établies Ă  Chagny, elles disposaient d'un deuxième Ă©tablissement depuis leur fusion avec les Tuileries de Montchanin en 1938. Elles s'approvisionnaient en argile par la voie d'eau et y avaient recours pour leurs livraisons. C'est sur ces expĂ©ditions qu'a Ă©tĂ© menĂ©e l'enquĂŞte . Les tonnages en cause Ă©taient assez considĂ©rables : Ă  Chagny, de 38 000 Ă  47 900 tonnes entre 1949 et 1957 ; pour Montchanin, de 8 400 Ă  35 100 tonnes. Au total, le trafic portait donc sur 46 400 tonnes en 1949 et 83 000 tonnes en 1957, soit une croissance de 80 % en huit ans. Ă€ Chagny, on a assistĂ© pendant ces huit annĂ©es Ă  une montĂ©e en flèche du trafic routier tant en valeur absolue qu'en pourcentage (de 48 Ă  74 %). Le rail, qui faisait jeu Ă©gal avec la route en 1949 reculait Ă  un niveau beaucoup plus modeste, passant de 41 Ă  17 %. Le grand perdant Ă©tait la voie d'eau qui ne conservait que 8,6 % du trafic en 1957. MĂŞme triomphe de la route Ă  Montchanin : elle semble au dĂ©part faire jeu Ă©gal avec ses concurrents mais accapare 73 % du trafic en 1957, le rail et le canal se partageant la portion congrue[13].

Les causes de cet effacement de la voie d'eau étaient celles traditionnellement évoquées. On incriminait la lenteur des transports fluviaux, les interruptions de trafic en cas de sécheresse prolongée, la rupture de charge obligée pour la livraison aux clients à l'écart du réseau navigable. Mais plus inattendue a été la mise en cause, pour expliquer cette perte de compétitivité, de la loi du , au temps du Front populaire. La réglementation reposait sur le principe du "tour de rôle". Les objectifs étaient sans doute louables. Il fallait libérer le petit monde d'artisans de la dépendance d'affréteurs véreux et répondre à l'exigence d'égalité des chances entre transporteurs. Une fois sa péniche déchargée, le marinier en informait le bureau de l'Office National de la Navigation le plus proche. Il se déclarait libre pour toute offre de transport et prenait rang sur une liste en fonction du jour et de l'heure de cette déclaration. À la prochaine bourse organisée par l'ONN, son tour de rôle venu, il choisissait son prochain chargement sur la liste des demandes de transport établie selon le même ordre chronologique. Mais le fonctionnement de ce système présentait pour l'industriel de fâcheux inconvénients. Il pouvait arriver qu'aucun marinier ne soit intéressé à sa demande ou selon des délais trop longs et rien n'obligeait la batellerie à la satisfaire. Il arrivait aussi que, une fois rendue chez le client, la péniche se révélât inapte au type de chargement attendu. Les Tuileries s'accommodaient vaille que vaille de cette situation mais ne seraient plus tentées de s'exposer à de tels aléas[12].

La fin du charbon

Répartition des expéditions de charbon des HBB entre route, rail et canal
Répartition des expéditions de charbon des HBB entre route, rail et canal[12].
RĂ©partition du trafic de charbon entre route, rail et canal (en %)
RĂ©partition du trafic de charbon entre route, rail et canal (en %)[12].

Le cas des Houillères de Blanzy Ă©tait d'une importance capitale dès lors que les chargements confiĂ©s Ă  la voie d'eau reprĂ©sentaient près des trois quarts du trafic du canal. Dans la longue sĂ©rie statistique depuis 1929, on s'attardera seulement pour saisir le sens de l'Ă©volution, sur les chiffres de la pĂ©riode 1949-1957. La part de la route restait très effacĂ©e mĂŞme si elle Ă©tait en nette progression, se haussant Ă  10 % en 1956 et 1957. Le commerce du charbon concernait de gros, voire très gros industriels comme les sidĂ©rurgistes ou des grossistes des centres urbains. L'arrivĂ©e d'une pĂ©niche chargĂ©e Ă  300 tonnes ou d'un train complet Ă©tait seule Ă  la mesure de leurs appĂ©tits. Dans les annĂ©es 1950, le partage de l'Ă©norme masse de 2 millions de tonnes semblait devoir se stabiliser Ă  raison de 60 % pour le chemin de fer et de 30 % pour la voie d'eau.

Les perspectives semblaient maintenir une position solide pour la voie d'eau. N'oublions pas que les Houillères disposaient grâce au lavoir des Chavannes d'installations parfaitement adaptĂ©es pour un chargement ultrarapide. A la longue toutefois la SNCF semblait devoir renforcer sa position. En 1957, elle venait de ravir au canal deux entreprises jusqu'alors exclusivement utilisatrices du canal : les usines Solvay de Tavaux et la Charbonnière de SaĂ´ne-et-Loire Ă  l'occasion de sa relocalisation sur le port fluvial (elle Ă©tait installĂ©e jusqu'alors sur le tracĂ© en centre-ville en cours de comblement)[13]. Pendant longtemps, la lenteur des pĂ©niches n'avait pas Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme un inconvĂ©nient. Leurs chargements constituaient en quelque sort un dock flottant leur assurant un volant de sĂ©curitĂ©. Mais dans l'activitĂ© fiĂ©vreuse des Trente Glorieuses, les industriels prĂ©fĂ©raient faire l'Ă©conomie de stocks. On dĂ©couvrait qu'une vitesse horaire de 3,5 km du fait de l'encombrement aux Ă©cluses Ă©tait trop faible ; 45 jours pour une livraison Ă  Anvers Ă©tait exagĂ©rĂ©[13].

A la fin des annĂ©es 1950, les prĂ©visions Ă©taient fondĂ©es sur quelques donnĂ©es fondamentales. Certes, les Houillères du Bassin de Blanzy Ă©taient une entreprise rentable. Le rendement par mineur de fond Ă©tait un des premiers de France. Mais au rythme annuel d'extraction de 2,6 millions de tonnes, les rĂ©serves seraient Ă©puisĂ©es vers 1990. MĂŞme en cas de ralentissement de ce rythme, la survie de la mine n'irait pas au-delĂ  du dĂ©but du XXIe siècle[12]. Lors de la publication de son dernier annuaire statistique en 1968 l'Office national de la Navigation le charbon ne s'inscrivait plus que pour 363 000 tonnes dans le trafic du canal soit pour 29,9 % du trafic total de 910 000 tonnes, Ă©norme recul par rapport aux 672 000 tonnes et aux 64,9 % des annĂ©es 1950[21]. Ce rythme ayant Ă©tĂ© maintenu, la fermeture est intervenue Ă  la fin du siècle. Le dĂ©sintĂ©rĂŞt progressif pour la voie d'eau peut ĂŞtre illustrĂ© par le cas de la centrale thermique de Lucy. Son activitĂ© a Ă©tĂ© prolongĂ©e jusqu'en janvier 2014 mais grâce Ă  un approvisionnement en charbon importĂ© d'Afrique du Sud par voie fluviale jusqu'Ă  Chalon-sur-SaĂ´ne et reprise dans ce port… par camion[10] !

Le tourisme comme nouvelle vocation

La traversée du pont-canal à Digoin
La traversée du pont-canal à Digoin

Les canaux désertés par le trafic de marchandises sont considérés comme un élément patrimonial précieux, et il leur a été trouvé une nouvelle vocation avec le tourisme fluvial. C'est probablement à Digoin où le canal du Centre est rejoint par le canal latéral à la Loire qu'on peut le mieux constater l'essor de cette activité touristique. L'attrait pour la voie d'eau est ici renforcé par la présence du fameux pont-canal. L'entreprise Les Canalous propose de le franchir au cours d'une croisière le franchissement étant suivi d'un éclusage jusqu'à la jonction avec le canal de Roanne à Digoin. La ville a bâti une maison du canal où le curieux peut s'informer sur son histoire et sur la vie des anciens mariniers. Les statistiques de Voies navigables de France qui ont pris le relais de l'Office national de la Navigation pour en assurer la gestion permettent quelques constatations en prenant l'année 2015 comme référence au poste d'observation de Digoin.

La maison du canal Ă  Digoin en forme de bateau
La maison du canal Ă  Digoin en forme de bateau

La frĂ©quentation, forcĂ©ment saisonnière, est concentrĂ©e sur les quatre mois de mai Ă  septembre avec une montĂ©e progressive Ă  partir d'avril et une chute brutale au dĂ©but de l'automne. Ă€ l'activitĂ© de croisière s'ajoute celle de la plaisance individuelle. Sur un total annuel de 2 000 passages, un millier est enregistrĂ© en juillet et en aoĂ»t, lorsque la moyenne quotidienne s'Ă©tablit Ă  environ 17. Le pavillon Ă©tranger compte pour près de 40 %. La diffĂ©rence entre les mouvements vers l'amont et l'aval n'est pas significative. Les plaisanciers recensĂ©s, selon qu'ils sont propriĂ©taires ou locataires de leur bateau, le sont en parts sensiblement Ă©gale (48 et 52 %). Si l'on se place Ă  un autre poste de comptage, Ă  l'Ă©cluse OcĂ©an no 9, soit près du bief de partage, la frĂ©quentation est nettement infĂ©rieure. Elle peut ĂŞtre interprĂ©tĂ©e comme l'activitĂ© de transit vers des horizons lointains et la frĂ©quentation Ă©trangère est ici supĂ©rieure Ă  la nationale dans le rapport de 56 Ă  44 %[22].

Galerie

Références

  1. Grury Jacques, Une excentricité à l'anglaise : l'anglomanie, Lille, Université Lille III, , p. 191-209
  2. LĂ©on Pierre, Histoire Ă©conomique et sociale du monde, Paris, Armand Colin, , 630 p., tome 3, p 460
  3. Pélissonier, Les voies navigables françaises Le canal de Bourgogne, , 250 p., numéro spécial 254 bis de la Revue Science et indusrie
  4. Wahl et Dondin, « Le canal du Centre dans les voies navigables françaises », Science et industrie, no spécial 254 bis,‎ 1934-1935, p. 206-211
  5. Bonneviot Maurice, Gauthey, le Chalonnais, Presses des Ponts et Chaussées, , 279 p., p. 50-56
  6. Chazelle H et Janot J-B, Une grande ville industrielle Le Creusot, Dole, Ed. du Parlement, , 248 p., p. 85
  7. Pinon Pierre, « Les frères Brancion et le canal du Charolais », Presses des Ponts-et-Chaussées,‎ , p. 97
  8. Archives départementales de la Côte d'Or, anciennes liasses C 4692 et C 4694
  9. Perrusson Bernard, « Le séjour à Paray du régiment de Beaujolais », Echos du passé, revue des Amis du Dardon,‎ , p. 12-18
  10. MĂ©nager Philippe, Les canaux bourguignons, histoire d'un patrimoine, Ă©ditions de l'Escargot savant, , 415 p., p. 31
  11. Ménager Philippe, « A la recherche des écluses disparues de Digoin », Echos du passé n° 85,‎ , p. 26-34
  12. Chabert Louis, Le canal du Centre, Université de Lyon département de géographie, , 80 p., Figure 1
  13. Chabert Louis, Le canal du Centre, Université de Lyon département de géographie, , 80 p.
  14. Chabert Louis, Le canal du Centre, Université de Lyon département de géographie, , 80 p., Figure 1 Bis
  15. La longue genèse du canal de Bourgogne (le difficile choix du seuil de partage) : « En 1764, Perronet, pour sa part, écarte Longpendu pour cause d'insuffisance en eau »
  16. Alain Dessertenne, « Longpendu, site remarquable », revue Images de Saône-et-Loire, n° 211, septembre 2022, pages 5 à 9.
  17. Chazelle H et Janot J-B 1958, p. 206
  18. Chabert Louis, Le canal du Centre, Université de Lyon département de géographie, , 80 p., p. 15-16
  19. LĂ©vĂŞque Pierre, Histoire de Chalon-sur-SaĂ´ne, Editions universitaires de Dijon, , 304 p., passim
  20. Ménager Philippe, « Les canaux et la céramique digoinaise », Echos du passé, revue des Amis du Dardon,‎ , p. 27-34
  21. Office National de la Navigation, Annuaire statistique 1967
  22. Statistiques fournies par Voies Navigables de France, avenue Pierre Nugue, Chalon-sur-SaĂ´ne

Annexes

Bibliographie

  • Louis VallĂ©e, MĂ©moire sur les rĂ©servoirs d'alimentation des canaux, et notamment ceux du canal du Centre, dans Annales des ponts et chaussĂ©es. MĂ©moires et documents relatifs Ă  l'art des constructions et au service de l'ingĂ©nieur, 1833, 1er semestre, p. 261-324 et planches XLI, XLII (lire en ligne)
  • François DenoĂ«l, Guillaume Comoy, Notice sur la manĹ“uvre des Ă©cluses du canal du Centre, dans Annales des ponts et chaussĂ©es. MĂ©moires et documents relatifs Ă  l'art des constructions et au service de l'ingĂ©nieur, 1837, 2e semestre, p. 129-142 et planche CXXXV (lire en ligne)
  • Lucien Gandrey, Jean-Claude Mallard. Chalon sur SaĂ´ne - Le Canal du Centre et l'essor des industries mĂ©caniques de la fin du XVIIIe siècle Ă  1984. UniversitĂ© pour Tous de Bourgogne, Centre de Chalon sur SaĂ´ne, 2012, (ISBN 978-2-9522-2398-0)
  • MĂ©nager Philippe, Les canaux bourguignons, Ă©ditions de l'Escargot Savant, 2009, 415 pages
  • Fernand Nicolas, Quand le jeune canal du Centre Ă©tait sous-alimentĂ©, revue « Images de SaĂ´ne-et-Loire » no 33 (), p. 11-14.
  • Alain Dessertenne et Françoise Geoffray, Flâneries au fil du canal du Centre, revue Images de SaĂ´ne-et-Loire no 193 (), p. 12-15.

Articles connexes

Liens externes

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