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Bakar (roi de Karthli)

Bakar Bagration (en gĂ©orgien : ბაჄარ ბაგრაჱიონი), nĂ© le ou Ă  Kharagaouli et mort le Ă  Moscou, est un monarque du royaume gĂ©orgien de Karthli, gĂ©nĂ©ral de la Perse sĂ©fĂ©vide et diplomate russe du XVIIIe siĂšcle. Membre de la dynastie des Bagration de Moukhran, il dirige la Karthli comme rĂ©gent pour son pĂšre (1716-1719) sous le titre persan de Chah Navaz Khan III (en persan : ŰŽŰ§Ù‡ Ù†ÙˆŰ§ŰČ ŰźŰ§Ù†), puis comme roi en plein titre pendant prĂšs d’un an (1723 – 1724) sous le titre turc d’Ibrahim Pacha (en turc : Ä°brahim PaƟa).

Bakar
Chah Navaz Khan III
Ibrahim Pacha
Illustration.
Titre
Prétendant au trÎne de Karthli
–
(12 ans, 10 mois et 6 jours)
Prédécesseur Vakhtang VI
Successeur Alexandre (III) Grouzinski
Roi de Karthli
–
(1 an, 1 mois et 2 jours)
Avec Vakhtang VI
Prédécesseur Constantin III
Successeur Jessé
Qollar-aghassi
–
Monarque Chah Hossein
Prédécesseur Ahmad Agha
Successeur Mohammed Ali Khan {en 1724)
Djanichine de Karthli
–
Monarque Vakhtang VI de Karthli
Prédécesseur Jessé Bagration de Moukhran
Biographie
Date de naissance ou
Date de décÚs
Lieu de décÚs Moscou
(Empire russe)
Nature du décÚs Maladie
SĂ©pulture MonastĂšre DonskoĂŻ
PĂšre Vakhtang VI de Karthli
MĂšre Roussoudan de Circassie
Fratrie Tamar
Vakhoucht
Conjoint Anne Sidamoni
Enfants Alexandre
Levan
Mariam
Elizabeth
Famille Bagratides de Moukhran
Religion Église orthodoxe de GĂ©orgie

Signature de BakarChah Navaz Khan IIIIbrahim Pacha

Bakar (roi de Karthli)
Rois de Karthli

NĂ© en exil dans une dynastie qui gouverne la Karthli depuis 1658, il est le fils du futur roi Vakhtang VI et est associĂ© aux affaires politiques du royaume dĂšs son jeune Ăąge. Il doit toutefois passer une partie de sa jeunesse de nouveau en exil quand son oncle JessĂ© rĂšgne sous la terreur, de 1714 Ă  1716. À 16 ans, il est appelĂ© par la Perse sĂ©fĂ©vide Ă  gouverner la Karthli pendant l’activitĂ© politique de son pĂšre en Perse jusqu’en 1719, une pĂ©riode durant laquelle il bouleverse la puissante noblesse locale et impose de nombreuses rĂ©formes intĂ©rieures, avant de devoir laisser le trĂŽne Ă  son pĂšre Ă  la suite d'une invasion des Lezghiens.

En tant que partisan d’une politique pro-persane pour la GĂ©orgie, le Chah Hossein le nomme commandant de sa garde impĂ©riale en 1722, mais son pĂšre lui interdit de venir en aide aux SĂ©fĂ©vides quand ceux-ci font face Ă  une invasion afghane. Le virement vers la Russie de l’orientation diplomatique de Vakhtang VI mĂšne Ă  une guerre brutale entre les forces persanes du Caucase et la famille royale, qui culmine avec le renversement de Vakhtang VI en 1723 malgrĂ© les efforts militaires de Bakar. En juin 1723, il revient au pouvoir Ă  la suite de l’invasion d’une coalition ottomane qui l’installe comme roi Ă  Tiflis. Son rĂšgne est toutefois Ă©phĂ©mĂšre et le contrĂŽle de facto de la politique karthlienne par l’Empire ottoman le pousse Ă  entrer en rĂ©bellion contre son propre gouvernement et Ă  mener une guĂ©rilla avec son pĂšre.

Sans aide internationale et face Ă  un ennemi puissant, Bakar et le reste de la famille royale s’exilent en Russie en juillet 1724 et fondent une importante colonie gĂ©orgienne Ă  Moscou. Bakar entre au service militaire et diplomatique de l’Empire russe et mĂšne une grande partie de la politique impĂ©riale en Ciscaucasie. De nombreuses tentatives de le faire remonter sur le trĂŽne gĂ©orgien Ă©chouent en raison du refus de la Russie de lui venir en aide et il devient prĂ©tendant au trĂŽne Ă  la mort de Vakhtang VI en 1737. À Moscou, il mĂšne une communautĂ© gĂ©orgienne qui s’enrichit sous la protection du gouvernement russe et forme avec son frĂšre Vakhoucht un centre culturel qui comprend une grande imprimerie.

Biographie

Jeunesse royale

Bakar Bagration est nĂ© le (ou le selon certaines sources) dans l'ancienne dynastie des Bagrations, qui dirige les États gĂ©orgiens depuis le IXe siĂšcle[1]. Il est le premier enfant de Vakhtang Bagration, un petit-fils du roi Vakhtang V de Karthli (r. 1659 – 1676), et de Roussoudan de Circassie, une princesse de Ciscaucasie, mais a un demi-frĂšre aĂźnĂ©, Vakhoucht, fils illĂ©gitime de Vakhtang[1]. Bakar est nĂ© dans la citadelle de Kharagaouli au royaume d'ImĂ©rĂ©thie, oĂč son pĂšre est en exil depuis l'expulsion de son oncle Georges XI du trĂŽne de Karthli par HĂ©raclius Ier[2].

En 1703, la famille royale retourne à Tiflis, la capitale de Karthli, quand Vakhtang est nommé régent du royaume par la Perse à la place du restauré Georges XI, alors en campagne en Afghanistan[1]. Bakar et Vakhoucht reçoivent une éducation royale par les diacres orthodoxes Jessé et Georges Garsevanichvili, tandis que Vakhtang interdit tout contact entre ses fils et les nombreux missionnaires catholiques qui opÚrent alors en Géorgie sous sa protection[3].

En 1712, Vakhtang est convoqué à Ispahan auprÚs de la cour du Chah Hossein afin de recevoir le titre de vali et établit la princesse Roussoudan et leurs enfants à Gori, prévoyant un long départ et craignant pour le sort de sa famille dans la capitale[4] : en effet, Vakhtang, qui refuse de se convertir à l'islam, est contraint de rester en Perse jusqu'en 1719.

DĂ©buts politiques

MalgrĂ© son jeune Ăąge, Bakar s'implique rapidement dans les affaires diplomatiques de la Karthli. Ainsi, Ă  l'Ăąge de 13 ans, il mĂšne avec le catholicos Domentios IV la politique de Tiflis envers l'ImĂ©rĂ©thie voisine, alors en pleine guerre civile, et apporte son soutien aux princes Zourab AbachidzĂ© et Mamia III de Gourie dans leur combat contre le roi Georges VII d'ImĂ©rĂ©thie[5]. En automne, Bakar accueille AbachidzĂ© en Karthli et lui offre une escorte militaire pour l'aider Ă  regagner ses domaines de Ratcha[6]. À l'hiver 1712-1713, il rencontre Mamia de Gourie Ă  Tskhinvali et le conduit vers Gori avec de grands honneurs afin de lui offrir un passage sĂ»r vers sa principautĂ© de la Mer Noire[6].

Le soutien offert par Bakar est bientÎt rejeté par Simon Bagration, son oncle et administrateur du royaume depuis le départ de Vakhtang, qui se retourne contre Mamia de Gourie, offre l'exil à Georges VII d'Iméréthie quand celui-ci est renversé par Mamia en 1713 et l'aide à reprendre le pouvoir quelques mois plus tard[7].

En mars 1714, Ispahan nomme roi de Karthli un frĂšre musulman de Vakhtang et gĂ©nĂ©ral en Perse, JessĂ© Bagration. À son arrivĂ©e en GĂ©orgie en octobre, Roussoudan, Bakar et les autres membres de la famille royale quittent rapidement Gori pour Ă©chapper Ă  ce qui se rĂ©vĂšle ĂȘtre un rĂšgne de terreur anti-chrĂ©tien imposĂ© par JessĂ©, qui nĂ©anmoins autorise le catholicos Domentios IV Ă  rester en Karthli et cohabiter avec le nouveau rĂ©gime[8]. La famille se rĂ©fugie en Ratcha auprĂšs de Zourab AbachidzĂ©[9], tandis que JessĂ© envoie un Ă©missaire persan Ă  sa recherche. Cet Ă©missaire, obĂ©issant aux ordres de la Perse, feint de ne pas trouver la famille de Vakhtang : malgrĂ© le statut pro-persan de JessĂ©, Ispahan prĂ©fĂšre prĂ©server une situation chaotique en GĂ©orgie plutĂŽt que d'accroĂźtre le pouvoir du nouveau roi[8].

Vers la fin de 1714, Bakar, ses frĂšres et leur mĂšre se retrouvent Ă  la cour de Georges VII d'ImĂ©rĂ©thie[10]. À cette nouvelle, JessĂ© tente de nĂ©gocier leur capture et offre au roi imĂšre le retour de son Ă©pouse Rodam (alors en exil Ă  Tiflis) en Ă©change des fugitifs[10]. Georges VII, dans une manƓuvre diplomatique, assure le retour de Rodam mais continue Ă  protĂ©ger la famille exilĂ©e[10].

En Karthli, JessĂ© devient largement impopulaire[11] et de nombreux nobles s'unissent pour commencer une guerre civile, accusant le roi d'usurpation[12]. Le Chah Hossein l'abandonne de mĂȘme et, au lieu de lui offrir une aide militaire, il ne cesse de lui envoyer des trĂ©sors pour prĂ©server son allĂ©geance[13]. Finalement, aprĂšs de nombreuses demandes de la noblesse karthlienne[11], Ispahan s'accorde Ă  renverser JessĂ©.

Politique intérieure

Parchemin avec en-tĂȘte d'une aigle bicĂ©phale et texte manuscrit encadrĂ©
Décret royal signé par Vakhtang VI et Bakar.

Le , Vakhtang, toujours à Ispahan, accepte de se convertir à l'islam et est reconnu comme roi de Karthli sous le nom de Vakhtang VI. Toutefois, en tant que généralissime des forces armées de la Perse[14] et gouverneur de Tabriz[15], il est obligé de rester auprÚs du Chah Hossein, qui renverse néanmoins Jessé de Karthli et décide de faire du jeune Bakar un djanichine (« lieutenant ») du royaume[14]. Tiflis alors ravagé par une épidémie de peste bubonique[16], Bakar débarque à Mtskheta[17] le 17 septembre[1]. Le , il est officiellement intronisé par la Perse lors d'une cérémonie à Kodjori[18], en banlieue de Tiflis, durant laquelle il se convertit à l'islam, prend le titre de Chah Navaz Khan III, reçoit de l'ambassadeur perse une couronne, un insigne d'or et une robe d'honneur. Il lui est également offert la distinction de commandant-en-chef et gouverneur général d'Azerbaïdjan[1].

La premiĂšre tĂąche de Bakar est de capturer JessĂ©, qui se rĂ©fugie d'abord dans les forĂȘts de GĂ©orgie orientale, avant de bĂ©nĂ©ficier de la protection de David II de KakhĂ©tie quand il est poursuivi par une mission militaire persane[16]. Bakar utilise ses relations avec Ispahan pour le capturer : il informe Vakhtang VI de la situation et celui-ci demande l'intervention de Chah Hossein, qui envoie une ambassade auprĂšs de David II, l'obligeant Ă  s'accorder avec Tiflis[16]. Bakar fait alors arrĂȘter son oncle et lui assigne pour prison un palais dans la capitale[16]. Peu de temps plus tard, il fait Ă©galement arrĂȘter le gĂ©nĂ©ral Louarsab, bras droit de JessĂ© pendant son rĂšgne de terreur, et l'offre comme prisonnier Ă  sa mĂšre, la reine Roussoudan[16].

Bakar se montre un alliĂ© fidĂšle de la Perse, incitant l'Empire sĂ©fĂ©vide Ă  ne pas hĂąter le retour de Vakhtang[19]. Toutefois, pĂšre et fils sont en communication constante et Bakar reçoit ses ordres de son pĂšre Ă  de nombreuses reprises. Ainsi, il fait campagne contre certains grands nobles considĂ©rĂ©s comme dĂ©loyaux. HĂ©raclius de Moukhran est arrĂȘtĂ© et aveuglĂ©, tandis que sa principautĂ© est lĂ©guĂ©e Ă  son neveu LĂ©on[16]. Papouna DiasamidzĂ© est Ă©tranglĂ© dans son sommeil[16]. De nombreux nobles sont exĂ©cutĂ©s ou envoyĂ©s en exil[16]. En 1717, Bakar limoge le duc Datouna de Ksani, qui sert alors comme ministre du Palais, et le remplace par EdichĂšre Tsitsichvili[20]. Datouna se rĂ©volte alors dans ses domaines et le djanichine envoie son frĂšre Vakhoucht envahir le Ksani[21]. Datouna meurt durant le conflit[21] et son fils ChanchĂ© se rĂ©fugie en Perse, oĂč Vakhtang VI convainc Chah Hossein de le capturer et de le renvoyer Ă  Bakar, qui l'emprisonne Ă  Tiflis[20].

Bakar poursuit la politique culturelle de son pÚre, interrompue par Jessé, et devient mécÚne de la maison d'imprimerie de Mikheïl Stephanechvili[22]. Sous sa protection, la courte renaissance géorgienne voit la publication de nombreux textes religieux, dont les Psaumes de David, un Livre de priÚres, et une seconde édition du Livre d'heures en géorgien[22]. Une certaine indépendance et une stabilité économique autorisent Bakar à faire frapper la premiÚre monnaie géorgienne depuis le XIIIe siÚcle[23].

ProblÚmes extérieurs

Malgré la main-forte de Bakar et de ses alliés persans, le prince voit de nombreux problÚmes se former aux portes de la Karthli, partiellement encouragés par les partisans de Jessé[19]. Notamment en Kakhétie, le roi David II accuse son vizir Qiassa d'espionnage pour Tiflis et le fait emprisonner à Pankissi, avant qu'une mission karthlienne le libÚre[24]. L'établissement de Qiassa à Tiflis et l'offrande par Bakar d'un palais au ministre déchu ne font qu'envenimer les relations entre les deux royaumes géorgiens, une tension qui rend inquiets les ambassadeurs persans[24]. Seul le retour de Vakhtang VI sur son trÎne parvient à restaurer le calme entre Tiflis et Telavi[24].

Àl'Ă©tĂ© 1717, une armĂ©e de 7 000 Lezghiens de Djaro-Belokani traverse la KakhĂ©tie et ravage la ville de Bolnissi et les villages de la vallĂ©e de Ktsia[20]. Bakar envoie son oncle Simon avec 300 cavaliers Ă  sa poursuite, mais ceux-ci, malgrĂ© leur plus grande valeur militaire, sont vaincus lors de la bataille de Nazara et sont poursuivis jusqu'Ă  Marneouli[20]. Les incursions lezghiennes deviennent routine et ne s'attĂ©nuent que pendant la chaleur de l'Ă©tĂ©[20]. Quand les Lezghiens commencent Ă  sortir de la Karthli et Ă  s'en prendre aux territoires iraniens, Ispahan dĂ©cide de renvoyer Vakhtang VI en GĂ©orgie pour les vaincre[19].

En août 1719[20], Vakhtang VI retourne en Karthli. Bakar l'accueille avec une procession militaire, noble et religieuse, accompagné du catholicos Domentios IV, à la ville frontaliÚre de Loré. L'historien Sekhnia Tchkheïdzé, témoin des événements, raconte l'embrassade chaleureuse entre pÚre et fils et leur retour à Tiflis, ainsi que le couronnement de Vakhtang VI à Mtskheta[25].

Sous Vakhtang VI

Manuscrit avec trois images en en-tĂȘte dont celle du milieu reprĂ©sente un souverain coiffĂ© d'une mitre et un jeune homme Ă©galement couronnĂ©
Vakhtang VI et un jeune Bakar.

Sous le rĂšgne de Vakhtang VI, Bakar devient un proche adjoint de son pĂšre. En 1720 (ou 1719 selon Nikoloz Berdzenichvili[21]), le roi envoie Bakar et Vakhoucht pour faire face au duc ChanchĂ© de Ksani, qui venait de s'Ă©chapper de sa prison de Tiflis[21]. Lors de la campagne, Bakar prend en charge le front oriental[21] et inflige une dĂ©faite Ă  ChanchĂ©, qui se fortifie Ă  Tchourta avant d'ĂȘtre finalement vaincu quand le roi fait appel Ă  des troupes de Ratcha[26]. Le duc se rend devant Bakar, qui l'emprisonne en ImĂ©rĂ©thie[Notes 1] - [26].

BientÎt, Vakhtang entreprend un vaste changement de sa politique extérieure quand Ispahan refuse de lui venir en aide contre les Lezghiens[27]. La Russie impériale est alors aux portes du Caucase, se préparant pour une expansion vers le sud, tandis que l'Afghanistan envahit la Perse, affaiblissant sérieusement la puissance séfévide et tuant Rostom Khan, frÚre de Vakhtang et chef des forces armées persanes, lors de la bataille de Gulnabad du [28]. En quelques jours, les Afghans assiÚgent Ispahan et Chah Hossein, désespéré, réclame le secours de la Karthli et nomme Bakar qollar-aghassi, ou commandant de la garde impériale[Notes 2], pour remplacer Rostom Khan[28].

Dans sa nouvelle position, Bakar, qui sera plus tard dĂ©crit par Vakhoucht comme un « homme de grand esprit et ami des Persans », rassemble une armĂ©e de 3 000 Ă  4 000 GĂ©orgiens et marche vers Ispahan[29]. Cette nouvelle instaure la crainte chez les Afghans, les GĂ©orgiens ayant alors la rĂ©putation de soldats agiles et fĂ©roces, et l'Ă©mir Mahmoud Hotaki doit faire face Ă  une mutinerie au sein de ses rangs[30]. Ange de Gardane, ambassadeur français en Perse, raconte alors[31] :

« Certains affirment que le prince de GĂ©orgie [Vakhtang VI] envoie son fils [Bakar] ici Ă  la tĂȘte de 12 000 GĂ©orgiens. C'est, mon seigneur, la vraie façon de rĂ©tablir les affaires de ce royaume et d'obliger Mahmoud Ă  se retirer, sinon il court de grands risques contre les troupes gĂ©orgiennes. »

Gravure en noir et blanc représentant un groupe d'habitations et d'églises au pied d'une colline que surplombe des fortifications
Tiflis en 1717.

Au mois de mai[30], Bakar atteint le Syunik[29], mais la politique de son pĂšre change ses plans. À Tiflis, les Ă©missaires persans tĂ©moignent de l'arrivĂ©e de reprĂ©sentants russes[32], tandis que l'empereur Pierre le Grand se prĂ©pare Ă  entrer en guerre contre l'Iran. Vakhtang VI envoie rapidement la reine Roussoudan et Anne Sidamoni, l'Ă©pouse de Bakar, retrouver le prince pour rĂ©clamer son retour en GĂ©orgie[29]. Ispahan reste assiĂ©gĂ©[Notes 3] et la Russie dĂ©clare la guerre contre la Perse affaiblie en juillet.

Bakar et le conseiller royal Soulkan-Saba Orbeliani s'opposent radicalement à l'alliance russo-géorgienne, craignant les ambitions impérialistes de Pierre le Grand[27], mais celui-ci prend Derbent en août et convoque Vakhtang VI à Gandja pour sécuriser la région en préparation de la marche vers le sud des armées russes. Vakhtang et Bakar partent ensemble[33] vers Gandja le 20 août[34], y débarquent en septembre[35] et commencent à expulser les Lezghiens de la région, tout en unissant les communautés chrétiennes du Chirvan et du Karabakh. PÚre et fils y restent pendant trois mois, avant d'apprendre le départ soudain des troupes russes[36]. Pendant leur séjour à Gandja, Ispahan tombe aux mains des Afghans le 23 octobre et les Géorgiens envoient l'ambassadeur Sekhnia Tchkheïdzé auprÚs de Tahmasp al-Safawi, fils du Chah Hossein, en fuite à Qazvin[37]. En novembre, Tahmasp envoie des présents à Vakhtang et réclame l'aide militaire de Bakar mais, en raison du refus du roi, tous deux retournent en Géorgie[37]. Le , ils sont de retour à Tiflis[38] - [Notes 4].

Guerre pour Tiflis

Gravure représentant sept piÚces de monnaie sur lesquelles figurent un paon et des caractÚres d'écriture
Monnaie de Bakar.

En décembre, Tahmasp al-Safawi, qui gouverne les domaines séfévides pendant que Chah Hossein est emprisonné par les Afghans, impose un ultimatum à la famille royale géorgienne : il exige de Vakhtang VI qu'il réunisse les chefs tribaux d'Azerbaïdjan pour reprendre le Chirvan des mains des Russes, et de Bakar, qui porte toujours le titre de qollar-aghassi, de marcher vers Ispahan « avec autant de troupes géorgiennes que possible »[39]. Vakhtang refuse de mettre en question sa nouvelle alliance fragile avec Saint-Pétersbourg et Tahmasp ordonne à son vassal Constantin II de Kakhétie d'attaquer la Karthli. Avant la fin de 1722, Constantin atteint Lilo[36], un village proche de Tiflis, et en représailles, Bakar et son oncle Jessé[Notes 5] réunissent des troupes à Mtskheta[40] et ravagent la province kakhétienne de Sagouramo[41].

En KakhĂ©tie, les armĂ©es de Bakar et JessĂ© sont renforcĂ©es par celles du prince TeĂŻmouraz Bagration, un demi-frĂšre anti-persan de Constantin, et les trois retournent ensemble Ă  Tiflis, oĂč TeĂŻmouraz fait allĂ©geance Ă  Vakhtang VI[36]. En janvier 1723, Tahmasp al-Safawi dĂ©clare qu'il dĂ©pose Vakhtang VI et reconnaĂźt Constantin II comme seul gouverneur de GĂ©orgie, tout en ordonnant Ă  la garnison persane stationnĂ©e Ă  Tiflis[Notes 6] de tirer sur le palais royal[42]. Constantin arrive concomittament aux portes de la capitale, commençant une bataille de cinq mois au sein de la ville.

En tĂȘte des forces royales, Bakar dirige une armĂ©e renforcĂ©e par une coalition de GĂ©orgie occidentale (Alexandre V d'ImĂ©rĂ©thie, Chochita de Ratcha et Simon AbachidzĂ©[Notes 7]), tandis que Constantin II a derriĂšre lui des troupes musulmanes de Gandja et Erevan et des milices lezghiennes[42]. Dans les premiers jours de la bataille, les combats ont lieu dans le Quartier de la Falaise[Notes 8], qui change de mains Ă  de nombreuses reprises jusqu'Ă  sa capture dĂ©cisive par Bakar[42]. Constantin II s'Ă©tablit fortement sur Avlabari, une colline Ă  quelques kilomĂštres du centre de Tiflis[42].

vue du mont Tabori sur une colline bĂątie d'un Ă©difice dont on voit trois tours de couleur grise
Le mont Tabori de Tbilissi, centre de conflits entre Kakhétiens et Karthliens en 1723.

MalgrĂ© les victoires de Bakar Ă  Tiflis, les envahisseurs ravagent le reste du royaume. Le gouverneur de Gandja envoie ses troupes en ArmĂ©nie gĂ©orgienne, obligeant Vakhoucht Ă  quitter son frĂšre pour dĂ©fendre la province agricole[43]. Une fois la rĂ©gion sĂ©curisĂ©e, Vakhoucht capture Mtskheta, qui sert de base Ă  Constantin II, capture des chefs militaires et autorise Bakar Ă  reprendre le mont Tabori, un lieu stratĂ©gique, durant la nuit[43]. Les dĂ©faites successives de Constantin II l'obligent Ă  rassembler les mercenaires montagnards et lezghiens de son armĂ©e en vue d'une derniĂšre tentative de prendre la capitale, mais Bakar lui inflige une dĂ©faite sanglante au bord du Mtkvari Ă  l'aide de renforts imĂšres[43]. Constantin prend la fuite et Bakar est empĂȘchĂ© de partir aprĂšs lui par ses conseillers en raison du dĂ©labrement de ses troupes[43].

Guérilla royale

peinture représentant un souverain à la barbe grise et portant une cape orange doublée d'hermine et tenant des regalia
Vakhtang VI.

Constantin Ă©chappe pendant plusieurs jours Ă  de nombreuses tentatives de capture lancĂ©es par Bakar. Le , il est de retour aux portes de Tiflis, cette fois-ci avec prĂšs de 7 000 mercenaires lezghiens, tandis que les forces de Vakhtang VI sont affaiblies[44]. Le 8 mai, la famille royale quitte la capitale et Constantin II ravage la ville, brĂ»lant de nombreuses Ă©glises et pillant les quartiers rĂ©sidentiels[45]. Vakhtang et Bakar partent d'abord pour Mtskheta, avant de se sĂ©parer : le roi va Ă  Gori, tandis que Bakar se rend chez son beau-pĂšre, le duc Georges d'Aragvi, Ă  Doucheti pour demander, en vain, son aide militaire[45].

AprÚs avoir rejoint leur pÚre à Gori[45], Bakar et Vakhoucht font campagne en Satsitsiano (au centre de la Karthli), mais doivent battre en retraite quand ils sont vaincus à nouveau par Constantin II[46]. Vakhtang demande l'intervention des forces russes, alors en pleine guerre au bord de la Mer Caspienne, mais ne recevant pas de réponse, il se tourne vers la troisiÚme puissance géopolitique régionale : l'Empire ottoman. Dans la premiÚre semaine du mois de juin 1723, Bakar et Jessé rencontrent le sérasker turc Ibrahim au village de Poka pour négocier la reprise de Tiflis[47]. Les pourparlers échouent une premiÚre fois quand il se révÚle que les Turcs sont aussi en relation avec Constantin, mais Bakar est contraint de revenir à la table des négociations lorsqu'une derniÚre supplique à la Russie reste sans réponse[47].

Le 12 juin[Notes 9], une force ottomane considĂ©rable, soutenue par des troupes gĂ©orgiennes sous le commandement d'un frĂšre de Bakar[Notes 10] - [47], prend facilement Tiflis[48]. Le mĂȘme jour, Vakhtang, Bakar et Simon AbachidzĂ© dĂ©barquent dans la capitale[49].

Bakar au pouvoir

À la prise de Tiflis, les Turcs trahissent la famille royale et emprisonnent non seulement Constantin de KakhĂ©tie, mais aussi Bakar et JessĂ© et rĂ©clament un paiement en Ă©change du trĂŽne[46]. Constantin propose au sĂ©rkasier Ibrahim « 300 bourses » et les villes de Gandja et d'Erevan pour l'Empire ottoman[47], mais Vakhtang achĂšte la libertĂ© de son fils avec douze mules portant de l'or, de l'argent et de la bijouterie[50]. Le 13 juin, Bakar est placĂ© sur le trĂŽne de Karthli sous le nouveau nom d'Ibrahim Pacha[Notes 11] - [49]. Un conseil des pachas KöprĂŒlĂŒ Abdullah d'Erzurum et Ishaq Djaqeli d'AkhaltsikhĂ© et le gouverneur de Kars donne Ă  Bakar « l'administration de toute la GĂ©orgie »[Notes 12] - [51], tandis que Vakhtang reste reconnu comme roi par la grande noblesse et conserve une forte influence sur les dĂ©cisions de son fils, tout en rĂ©sidant Ă  Tskhinvali jusqu'Ă  son exil Ă©ventuel[52].

sur un fond rouge figurent un chien et un bƓuf ainsi qu'un glaive et un sceptre croisĂ©s
Sceau de la Karthli sous Bakar.

Bakar, qui est obligĂ© de porter des vĂȘtements turcs dans son palais[51], consolide rapidement son pouvoir : Constantin est emprisonnĂ© le jour de son ascension et il fait exĂ©cuter la garnison persane de Tiflis par les janissaires ottomans[50]. Toutefois, il est contraint d'accepter de payer un tribut annuel de 4 000 piastres Ă  Constantinople[47] et le sĂ©rkasier Ibrahim impose un rĂšgne de terreur sur la population chrĂ©tienne de la capitale[53] avec ses 40 000 soldats[51]. Voyant la division entre nobles au sein de la Karthli, les Ottomans obligent Bakar Ă  utiliser des moyens sanglants pour assurer son contrĂŽle ; de nombreux nobles sont ainsi exĂ©cutĂ©s, dont son beau-pĂšre Georges d'Aragvi, qui est dĂ©capitĂ©[50] lors d'une chasse avec Bakar[54]. Ishaq Djaqeli, le pacha d'AkhaltsikhĂ©, oblige Bakar Ă  lui fournir des troupes pour sa conquĂȘte de Gandja, en Ă©change de quoi il rĂšgle un conflit entre la couronne et la famille nobiliaire TchkheĂŻdzĂ©[55]. Vakhtang, de son cĂŽtĂ©, est forcĂ© de mettre un terme Ă  la rĂ©bellion anti-turque de ChanchĂ© de Ksani en utilisant des mercenaires lezghiens[Notes 13], qui se rebellent Ă  leur tour et dĂ©vastent la Karthli[56].

En septembre 1723, Bakar regrette son alliance avec Constantinople et entre en nĂ©gociation avec son ennemi Constantin II[53]. Il le libĂšre pour le prix de 200 bourses[57] et le laisse reprendre son trĂŽne Ă  Telavi lors d'un processus secret qui est officiellement prĂ©sentĂ© comme l'Ă©vasion de Constantin de sa prison de Tiflis. Quand Constantin massacre une garnison turque ravageant la KakhĂ©tie vers la fin de 1723, Constantinople envahit son royaume, le forçant Ă  se rĂ©fugier en forĂȘt, et nomme JessĂ© gouverneur de la rĂ©gion, tout en annexant les provinces de Bortchalo et Qazakh aux domaines de Bakar[51]. En janvier 1724, Constantin envoie son frĂšre TeĂŻmouraz nĂ©gocier secrĂštement avec Bakar Ă  Tiflis et quelques jours plus tard, les deux rois se rencontrent Ă  Mtskheta, formant dĂšs lors une alliance anti-ottomane[54].

Roi déchu

Carte gĂ©ographique de la GĂ©orgie et de l'ArmĂ©nie oĂč apparaissent les reliefs et les zones boisĂ©es (en vert)
Carte des États gĂ©orgiens de Vakhoucht Bagration.

Bakar et Constantin espĂšrent pouvoir entraĂźner les puissances voisines dans leur entreprise de libĂ©ration de la GĂ©orgie des Ottomans. Leur alliance prĂ©voit le soutien de Tahmasp al-Safawi[58] et de Pierre le Grand[59], mais sans succĂšs : les SĂ©fĂ©vides doivent eux-mĂȘmes continuer Ă  combattre les Afghans, tandis que la Russie n'a aucun projet d'entrer en guerre avec la Turquie ottomane[48]. Le TraitĂ© de Constantinople du entre les Ottomans et la Russie confirme l'abandon de la GĂ©orgie aux mains des Turcs[48]. Mais le dĂ©part du sĂ©rakiser Ibrahim en septembre 1723 donne aussi de l'espoir Ă  Bakar quand l'imposante lĂ©gion de 40 000 soldats turcs est rĂ©duite Ă  une garnison de 4 000 Ă  5 000 hommes, tandis que Bakar engage ses fidĂšles du Karabakh et de Gandja Ă  le protĂ©ger[60].

Au printemps 1724, Bakar quitte Tiflis et lance une guĂ©rilla anti-turque[48] avec Constantin et TeĂŻmouraz[49]. Vakhtang VI, quant Ă  lui, tente de nĂ©gocier avec les autoritĂ©s ottomanes et offre de capturer son propre fils en Ă©change du trĂŽne[48], mais le massacre de 500 Ottomans par Bakar[48] Ă  Poka[61] pousse les occupants Ă  dĂ©poser le prince. Bakar est bientĂŽt renforcĂ© par ChanchĂ© de Ksani[48] et tous deux reprennent Moukhrani en expulsant les Lezghiens qui ravagent alors la province[61]. Bakar rejoint son pĂšre Ă  Ali, avant de marcher sur Mtskheta, oĂč les forces de JessĂ© et de Constantin II se retrouvent pour former une armĂ©e gĂ©orgienne et reprendre Tiflis[61]. Toutefois, leur plan Ă©choue quand JessĂ© abandonne le siĂšge de la capitale aprĂšs avoir Ă©tĂ© corrompu par les Turcs[61], qui le nomment roi de Karthli[48] et obligent Vakhtang, Bakar et Constantin Ă  se replier vers Gori[61].

JessĂ©, maintenant Ă  la tĂȘte des forces turques, attaque Bakar au village de Goristavi et le prince, vaincu, prend refuge Ă  Ateni, tandis que les Ottomans font la conquĂȘte de la province de Sabaratiano[61]. Quand JessĂ© part Ă  sa poursuite, Bakar se rĂ©fugie dans les montagnes du Caucase et les Turcs ravagent les provinces de Moukhran et de Samilakhoro, brĂ»lent Tskhinvali puis rentrent Ă  Tiflis[61].

portrait du tsar revĂȘtu d'un habit militaire noir de gala, barrĂ© par une Ă©charpe en soie bleu pĂąle et tenant dans la main droite, posĂ©e sur une bouche de canon, un sabre
Pierre le Grand (représenté en 1838 par Paul Delaroche) qui invita Bakar et sa famille à s'exiler en Russie.

Dans des circonstances peu claires, Bakar parvient Ă  se rĂ©tablir Ă©phĂ©mĂšrement dans sa capitale, d'oĂč il entre en communication avec des ambassadeurs russes qui offrent Ă  la famille royale l'exil en Russie. Dans une lettre aux ambassadeurs, Bakar accepte cette offre[62] :

« Nous avons compris ce que nous a dit votre envoyĂ© ; il est venu chez vous un exprĂšs du grand Empereur ; puisque vous ĂȘtes dĂ©vouĂ©s Ă  ce monarque, ainsi qu'Ă  moi, vous devez savoir quels bons traitements et services conviennent Ă  son Ă©gard. »

En juin 1724, Bakar quitte Tiflis une derniĂšre fois[63]. Il rejoint Vakhtang VI et sa famille Ă  Tskhinvali[52], d'oĂč ils partent ensemble en Ratcha[64], avec une suite de 1 200[48] - [65] Ă  1 400 GĂ©orgiens[64]. Refusant de se soumettre Ă  Constantin, les ducs d'Aragvi et de Ksani demandent une derniĂšre fois Ă  Vakhtang de laisser Bakar en arriĂšre pour diriger la rĂ©sistance gĂ©orgienne[66] - [Notes 14]. Le 15 juillet[1], la famille royale et la suite franchissent la frontiĂšre russe et entre en exil. Bakar ne reviendra plus jamais en GĂ©orgie.

Vers Moscou

Bakar et son Ă©pouse Anne[67] ont une suite personnelle de 254 serviteurs et petits nobles qui les accompagnent durant le voyage[68]. Les exilĂ©s s'arrĂȘtent en premier lieu Ă  Digor, le chef-lieu des tribus ossĂštes, oĂč ils sont accueillis par les beaux-frĂšres de Vakhtang VI, qui gouvernent alors les provinces circassiennes[69]. En Circassie, ils sont escortĂ©s par l'armĂ©e russe jusqu'Ă  la citadelle de Solakh, construite par Pierre le Grand, oĂč les GĂ©orgiens demeurent pendant plusieurs semaines Ă  partir du [69]. Ils quittent la citadelle en octobre et atteignent Astrakhan le 8 novembre pour y passer l'hiver rigoureux de la rĂ©gion[69]. Au dĂ©but de 1725, Pierre le Grand convoque la famille royale Ă  Saint-PĂ©tersbourg, mais Vakhtang et Bakar apprennent la mort de l'empereur quand ils arrivent Ă  Tsaritsine le 13 fĂ©vrier[70]. Deux jours plus tard[71], la troupe gĂ©orgienne se met en route vers sa destination finale, Moscou[70].

Arrivée à Moscou le 10 mars, la famille royale est accueillie par la princesse Daredjan Bagration, une cousine du roi déchu en exil en Russie depuis 1684[70]. Son entrée dans la ville impériale est largement décrite par les historiens russes contemporains : du MonastÚre Danilov aux frontiÚres de la ville, deux carrosses transportent la famille royale, Bakar et son oncle Simon se trouvant dans la seconde voiture ; les Géorgiens empruntent le Pont de Pierre et la Porte Voskresenski, avant d'arriver finalement dans leurs domaines sur la rue Nikolskaïa, une avenue en plein centre de Moscou qui devient un centre de culture géorgienne pendant des décennies[71].

Vue actuelle de la rue bordée d'un bùtiment néo-classique en pierre gris pùle devant lequel passent des promeneurs
La Rue NikolskaĂŻa de Moscou.

Pierre le Grand avait prévu à l'origine d'utiliser la nouvelle et nombreuse communauté géorgienne en vue d'une politique agressive dans le Caucase[72]. Mais l'ascension soudaine de Catherine Ire change la politique extérieure de l'empire russe et les nouveaux gouvernements de Catherine (1725-1727), Pierre II (1727-1730) et Anne (1730-1740) décident d'enrichir la famille royale géorgienne et de l'établir solidement au sein de la société russe[72]. L'impératrice Anne fait de Bakar un lieutenant-général de l'artillerie russe, une position qu'il préserve sous le rÚgne d'Elizabeth[72]. Il est également fait chevalier de l'ordre de Saint-Alexandre Nevski le et de l'ordre de Saint-André le [1].

Les yeux vers le sud

Au début de leur exil, Vakhtang et Bakar tentent de convaincre l'empereur Pierre II de les aider à retourner en Géorgie avec une armée russe pour reprendre possession du pays. Mais le gouvernement russe reste indisposé à lancer des troupes dans une aventure militaire en marge des buts stratégiques russes et Pierre II écrit à Vakhtang d'attendre « un signe divin »[73]. En réalité, la maßtrise russe du littoral de la Mer Caspienne acquise lors du conflit de 1722-1723 reste fragile et Pierre ne veut pas qu'une invasion remette en cause son alliance avec la Perse. Cette politique se traduit également par le refus russe d'intervenir en faveur d'Alexandre V d'Iméréthie contre les Ottomans. En 1734, Bakar et le comte Andreï Osterman, ministre des Affaires étrangÚres de Russie, soutiennent un plan de venir en aide au roi Teïmouraz II de Kakhétie contre la Perse[74] ; une lettre de Bakar à l'impératrice Anne demande d'envoyer de l'aide en Géorgie « avec de la poudre, du plomb et de l'argent », mais Saint-Pétersbourg refuse[75].

Le [76], Anne signe un décret autorisant Vakhtang et Bakar à se diriger vers la Géorgie, mais ceux-ci arrivent à Astrakhan le 26 septembre sans soutien russe[77]. Le 10 octobre, ils sont à Derbent[78] et participent aux négociations d'un accord frontalier entre la Russie et la Perse, aprÚs avoir mené une attaque rapide mais vaine sur Chamakhi[76]. Saint-Pétersbourg attend alors de voir les résultats de la campagne des Géorgiens en Daghestan avant de décider du sort de la Karthli[76], mais aprÚs une défaite à Chamakhi face à Nadir Chah, les Russes entrent en négociation avec celui-ci. Le , le Traité de Gandja est signé entre la Russie et la Perse, reconnaissant la suzeraineté persane sur la Transcaucasie[77].

Le TraitĂ© de Gandja reconnaĂźt de mĂȘme Vakhtang VI comme roi lĂ©gitime de Karthli, mais Nadir Chah ne dĂ©cide de le replacer sur le trĂŽne qu'aprĂšs une entrevue[79]. Vakhtang reste Ă  Astrakhan, refusant de voyager en Perse, tandis que Bakar, en tant que lieutenant-gĂ©nĂ©ral russe, n'a pas le droit de participer Ă  une visite diplomatique sans l'accord de l'impĂ©ratrice. PĂšre et fils s'opposent largement sur le sujet, mais Vakhtang ne change pas sa position, ne souhaitant pas redevenir un vassal persan[80]. En 1736, Bakar retourne Ă  Moscou et laisse son pĂšre Ă  Astrakhan[80].

Gravure en noir et blanc reprĂ©sentant une tĂȘte d'homme arborant une chevelure dense et une barbe
Vakhoucht Bagration.

La noblesse géorgienne continue à demander à Vakhtang de laisser Bakar prendre le trÎne géorgien sous la protection de la Russie et de la Perse pour mener une coalition anti-turque, mais Vakhtang refuse[81]. En 1736, Chanché de Ksani envoie une lettre à l'ancien roi, lui demandant d'autoriser le retour de Bakar et de « ne pas abandonner le pays entiÚrement »[73]. En 1737, Chanché s'exile en Russie à son tour et demande au gouvernement russe le droit de retourner avec Bakar et une armée russe en Géorgie mais ses demandes sont rejetées[82]. Vakhtang VI meurt le à Astrakhan[80].

DerniÚres années

À la mort de son pĂšre, Bakar devient prĂ©tendant au trĂŽne de Karthli[83]. Le cartographe français Jean-François Delisle le dĂ©crit en 1738 comme mepe (« roi » en gĂ©orgien) et il est nommĂ© de mĂȘme dans les sources russes contemporaines, mais rien n’indique que le gouvernement russe reconnaĂźt le prince comme monarque lĂ©gitime de GĂ©orgie. Bakar se retrouve nĂ©anmoins prĂšs de son but de reprendre la couronne gĂ©orgienne en 1741, quand Nadir Chah envahit le Daghestan[84].

Saint-PĂ©tersbourg reste officiellement neutre, mais craint le dĂ©barquement de plus de 100 000 hommes de troupes persanes aux frontiĂšres de l’empire et amasse des troupes Ă  Kizliar[85]. Bakar est envoyĂ© par le gouvernement russe pour nĂ©gocier avec les Lezghiens, qui demandent alors l’aide de la Russie contre la Perse, et arrive Ă  Astrakhan[85]. Bakar forme une alliance russo-lezghienne : la protection militaire russe est accordĂ©e en Ă©change de la participation de 60 000 Lezghiens au soutien des intĂ©rĂȘts de la Russie dans le Caucase[85]. Cet accord, suivi par une sĂ©rie de dĂ©faites persanes, oblige Ă  Nadir Chah Ă  se replier vers la GĂ©orgie[85].

En 1742[86], Bakar, qui est restĂ© Ă  Astrakhan, rencontre une dĂ©lĂ©gation gĂ©orgienne menĂ©e par Badzim Amilakhvari, cousin de Guivi Amilakhvari, le gouverneur persan de GĂ©orgie[87]. Guivi a alors l’intention de se rĂ©volter contre Nadir Chah, Ă  condition du retour de Bakar[88]. La mĂȘme annĂ©e, Amilakhvari se rĂ©volte contre la Perse, mais est rapidement vaincu quand la Russie refuse de lui venir en aide. En 1744, Nadir Chah proclame Tamar II, sƓur de Bakar, reine de Karthli afin de lĂ©gitimer son contrĂŽle sur la GĂ©orgie, et la Russie ordonne Ă  Bakar de rentrer[89] Ă  Saint-PĂ©tersbourg[87], oĂč il prĂ©sente un rapport avant de retourner Ă  Moscou[90].

Bakar et sa famille sont largement opposĂ©s au pouvoir de TeĂŻmouraz II, Ă©poux de Tamar II et installĂ© par la Perse pour gouverner la GĂ©orgie orientale[91]. En 1744, Guivi Amilakhvari lance un dernier appel pour le retour du prince, avant de se tourner vers les Ottomans quand le prince le laisse sans rĂ©ponse[92]. En 1747, Abdoullah Beg, un cousin de Bakar, est choisi comme candidat au trĂŽne de l’opposition anti-persane gĂ©orgienne, ce qui met un terme aux prĂ©tentions politiques de Bakar[91].

Portrait en buste en noir et blanc d'un homme mince aux cheveux mi-longs et à fine moustache portant une cravate de soie et une veste richement ornée
Alexandre Bakarovitch Grouzinski, fils et héritier de Bakar.

Sous la direction de Bakar, la colonie gĂ©orgienne de Moscou devient un centre influent de la culture gĂ©orgienne[93]. L’impĂ©ratrice Elizabeth lui offre le village de Voskresenskoi, proche de Moscou, oĂč il Ă©tablit avec son frĂšre Vakhoucht une imprimerie d'oĂč rayonnent les progrĂšs culturels gĂ©orgiens durant le XVIIIe siĂšcle[94]. Avec l'aide financiĂšre de Bakar, l’imprimerie publie une dizaine d’ouvrages[95], dont la premiĂšre Bible gĂ©orgienne en 1742-1743[96], connue comme la « Bible de Bakar ». AprĂšs la mort de Bakar, l’imprimerie sera transfĂ©rĂ©e Ă  Moscou[97]. En 1737, il collabore avec le cartographe français Joseph-Nicolas Delisle pour faire traduire les cartes de la GĂ©orgie dessinĂ©es par Vakhoucht[98]. MĂ©cĂšne de l’Église orthodoxe, Bakar fait donation d’un cristal Ă  l’Église Saint-Nicolas-des-Tisserands de Moscou[99].

Dans les années 1740, deux de ses fils, Dimitri et Etienne, meurent lors de leur service comme diplomates aux Provinces-Unies respectivement en 1744 et 1745[1]. Bakar Bagration meurt de maladie le , à Moscou[100]. Il est enterré au MonastÚre Donskoï[1].

Famille

Bakar Bagration de Moukhran épouse la noble Anne Sidamoni (1706-1779), fille du duc Georges d'Aragvi et d'une princesse de la Maison Qaplanichvili-Orbeliani. Celle-ci n'a que 18 ans quand la famille royale s'exile en Russie en 1724 et elle devient une figure de premier plan de la société noble de Moscou, jusqu'à sa mort le . Les descendants de Bakar prennent le nom russe de Grouzinski (« de Géorgie ») Le couple donne naissance à quatre fils et une fille[1] :

  • Alexandre Bakarovitch Grouzinski (mort en 1779), prĂ©tendant au trĂŽne gĂ©orgien contre HĂ©raclius II ;
  • Dimitri Bakarovitch Grouzinski (1727-1745), diplomate russe ;
  • StĂ©phane Bakarovitch Grouzinski (1729-1744), diplomate russe ;
  • Leon Bakarovitch Grouzinski (1739-1763), militaire russe ;
  • Elisaveta Bakarovna GrouzinskaĂŻa, Ă©pouse du Prince NikolaĂŻ Ivanovitch OdoĂŻevski.

Les descendants de Bakar comptent de nombreuses figures importantes dans la classe politique de la Russie impériale, dont Gueorgui Grouzinski (1762-1852), qui organise une milice pour s'opposer à l'invasion de la Russie par Napoléon Ier, Nikolaï Galitzine (1794-1866), un mécÚne de Ludwig van Beethoven, Tatiana Potemkina (1797-1869), qui finance la reconstruction de la Laure de Sviatohirsk, Serge Troubetzkoï (1790-1860), organisateur de l'insurrection décabriste et le peintre Piotr Grouzinski (1837-1892).

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Notes et références

Notes

  1. Chanché s'échappe de prison et se révolte à nouveau quelque temps plus tard. Malgré cela, il devient un proche allié de Vakhtang dans les années qui suivent quand Tiflis se retrouve à la merci des Ottomans et des Persans.
  2. Cette position est traditionnellement occupée par un Géorgien depuis le XVIe siÚcle.
  3. Mahmoud Hotaki capture la capitale persane en octobre 1722, menant à la chute de l'Empire séfévide.
  4. W.E.D. Allen suppose que Bakar est déjà de retour en septembre, une théorie peu probable considérant l'ambassade persane auprÚs de Bakar à Gandja en octobre.
  5. Jessé est libéré de prison quelque temps plus tÎt.
  6. Une garnison persane opÚre dans la capitale depuis les années 1630 et est souvent à l'origine d'instabilité dans les affaires intérieures géorgiennes.
  7. La Géorgie occidentale est alors fermement alliée à l'Empire ottoman, un ennemi historique de la Perse séfévide.
  8. კლდის უბანი, Kldis Oubani en gĂ©orgien, actuellement en plein centre de Tbilissi et un quartier influent proche des domaines royaux au XVIIIe siĂšcle.
  9. Joseph von Hammer-Purgstall date la prise de Tiflis au 10 juillet, par erreur.
  10. Un certain Gouchtasp dans les sources turques. Bakar a alors deux frÚres : Vakhoucht et Georges. Marie-Félicité Brosset suppose que Gouchtasp est le nom turc de l'un ou l'autre.
  11. Les documents royaux signés par Bakar jusqu'en 1724 portent le nom de Chah Navaz Khan III, son nom royal attribué par la Perse en 1719.
  12. Bakar contrĂŽle en rĂ©alitĂ©, sous la protection des Turcs, la Karthli et la KakhĂ©tie, unifiant ces deux États de GĂ©orgie orientale. La GĂ©orgie occidentale reste divisĂ©e en cinq États indĂ©pendants ou autonomes
  13. L'utilisation des Lezghiens est une pratique rarement utilisée par les rois géorgiens pour régler les conflits internes, en raison de la violence de ces mercenaires et de leur loyauté douteuse.
  14. Constantin continue à mener une petite résistance anti-turque mais accepte la suzeraineté ottomane en 1725.

Références

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