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Propellane

Les propellanes sont une classe d'hydrocarbures saturĂ©s ou alcanes tricycliques c'est-Ă -dire avec deux atomes de carbone tĂȘte de pont et quatre branches qui les relient dont une branche ne comportant aucun atome. Ils sont dĂ©finis et nommĂ©s [m.n.p]propellane en rĂ©fĂ©rence Ă  leur nom systĂ©matique, tricyclo[m.n.p. 01,m+2]alcane[1], avec le terme propellane qui dĂ©rive de l'anglais « propeller Â», du fait de leur ressemblance avec une « hĂ©lice » et avec le suffixe ane des alcanes.
Ils sont caractĂ©risĂ©s, pour les plus petits d'entre eux, par la prĂ©sence d'une gĂ©omĂ©trie dite en tĂ©traĂšdre inversĂ© (pyramidale) sur les carbone en tĂȘte de pont et donc par de fortes contraintes angulaires et stĂ©riques qui les rendent trĂšs rĂ©actifs. C'est pour ces raisons qu'ils sont beaucoup Ă©tudiĂ©s par la chimie organique. Les plus simples propellanes sont le [1.1.1]propellane (C5H6) et [2.2.2]propellane (C8H12).

De gauche à droite : [1.1.1]propellane, [2.2.2]propellane, 1,3-déshydroadamantane

Les propellanes sont une classe particuliÚre de paddlanes pour lesquels une branche est égale à zéro : [m.n.o]propellane = [m.n.o.0]paddlane.

Les 1,3-déshydroadamantanes sont de fait des [3.3.1]propellanes de la famille de l'adamantane.

Liaison

La liaison carbone-carbone centrale du [1.1.1]propellane qui connecte deux carbones de symĂ©trie pyramidale a une longueur de 160 pm (154 pm pour une liaison C-C non contrainte). L'Ă©nergie de cette liaison est encore disputĂ©e et varie de 270-250 kJ/mol (59–65 kcal/mol) Ă  0, c'est-Ă -dire totalement non liante. Cependant, l'Ă©nergie du biradical est calculĂ© ĂȘtre 335 kJ/mol (80 kcal/mol) plus haut. RĂ©cemment, le type de cette liaison dans cette molĂ©cule est expliquĂ© en termes de charge-shift bonding[2].

D'autre part, Ă©tonnamment, le [1.1.1]propellane le plus contraint est beaucoup plus stable que les autres petits propellanes comme les [2.1.1], [2.2.1], [2.2.2], [3.2.1], [3.1.1] et [4.1.1][3].

[1.1.1]Propellane

Le [1.1.1]propellane de numĂ©ro CAS 35634-10-7, a Ă©tĂ© synthĂ©tisĂ© pour la premiĂšre fois en 1982[4] en convertissant le 1,3 diacide carboxylique du bicyclo[1.1.1]pentane 1.1 via une rĂ©action de Hunsdiecker en le dibromure correspondant 1.2 suivie d'une rĂ©action de couplage avec le n-butyllithium comme reprĂ©sentĂ© sur le schĂ©ma 1. Le produit est isolĂ© par chromatographie sur colonne Ă  −30 °C.

Schéma 1. SynthÚse du [1.1.1]propellane

une autre voie de synthĂšse commence avec l'addition du dibromocarbĂšne sur la double liaison du 3-chloro-2-(chloromĂ©thyl)propĂšne 1.6 suivie par une dĂ©protonation avec le mĂ©thyl lithium et une substitution nuclĂ©ophile dans 1.7[5] qui n'est pas isolĂ© mais gardĂ© en solution Ă  −196 °C.

L'instabilité de ce propellane est mise en évidence par son isomérisation thermique en 3-méthylÚne-cyclobutÚne 1.5 (à 114 °C avec un temps de demi-vie de 5 minutes) et par sa réaction spontanée avec l'acide acétique vers un cyclobutane 1.4.

L'énergie de contrainte est estimée à 427 kJ/mol (102 kcal/mol).

Polymérisation

Le [1.1.1]propellane est un monomĂšre pour la rĂ©action de polymĂ©risation vers les [n]staffanes[6]. Une polymĂ©risation radicalaire initiĂ©e par le formiate de mĂ©thyle et l'anhydre benzoĂŻque peroxyle forme une distribution d'oligomĂšres (schĂ©ma 2) mais une polymĂ©risation par « addition anionique Â» avec le n-butyllithium forme un vrai polymĂšre. La diffraction X de ce polymĂšre montre que la liaison C-C qui connecte les monomĂšres n'est longue que de 148 pm.

Schéma 2. SynthÚse des staffanes

[2.2.2]Propellane

La synthÚse de l'homologue suivant, le [2.2.2]propellane de numéro CAS 36120-88-4, par le groupe de Philip Eaton, célÚbre pour sa synthÚse du cubane, précÚde celle du [1.1.1]propellane (1973)[7]. La synthÚse[8] (schéma 3) consiste en deux réactions de réarrangement de Wolff.

Schéma 3. SynthÚse du squelette du [2.2.2]propellane

Ce propellane est aussi instable. À tempĂ©rature ambiante, son temps de demi-vie par rapport Ă  son isomĂ©risation en l'amide alicyclique 3.11 est de 28 minutes. Son Ă©nergie de contrainte est estimĂ©e Ă  390 kJ/mol (93 kcal/mol).

Autres propellanes

  • le [2.1.1]propellane, C6H8, numĂ©ro CAS 36120-91-9, a Ă©tĂ© dĂ©tectĂ© par spectroscopie infrarouge Ă  30 K mais n'a pas isolĂ© comme une molĂ©cule stable Ă  tempĂ©rature ambiante. Il semble qu'elle polymĂ©rise Ă  50 K. Les atomes de carbone en tĂȘte de pont ont une gĂ©omĂ©trie tĂ©traĂ©drique inversĂ©e et l'Ă©nergie de contrainte est estimĂ©e Ă  plus de 106 kcal/mol[9].
  • le [2.2.1]propellane, C7H10, numĂ©ro CAS 36120-90-8, obtenu par une dĂ©shalogĂ©nation en phase gazeuse avec des atomes de mĂ©tal alcalin, n'est stable qu'en matrice gazeuse Ă  moins de 50 K. Il s'oligomĂ©rise et polymĂ©rise Ă  plus haute tempĂ©rature. L'Ă©nergie de contrainte libĂ©rĂ©e par clivage de la liaison centrale est estimĂ©e Ă  75 kcal/mol[10].
  • le [3.1.1]propellane, C7H10, numĂ©ro CAS 65513-21-5, est isolable[3] - [11] - [12].
  • le [3.2.1]propellane ou tricyclo[3.2.1.01,5]octane, C8H12, numĂ©ro CAS 19074-25-0, est aussi isolable. Il a aussi les atomes de carbone en tĂȘte de pont avec un gĂ©omĂ©trie tĂ©traĂ©drique inversĂ©e et une Ă©nergie de contrainte estimĂ©e Ă  60 kcal/mol. Il est remarquablement rĂ©sistant Ă  la thermolyse mais polymĂ©rise dans l'Ă©ther diphĂ©nylique avec une demi-vie d'environ 20 heures Ă  195 °C. Il rĂ©agit spontanĂ©ment avec l'oxygĂšne de l'air Ă  tempĂ©rature ambiante en donnant un copolymĂšre avec des ponts –O–O–, peroxyde[13] - [14] - [15] - [16] - [17].
  • le [4.1.1]propellane, C8H12, numĂ©ro CAS 51273-56-4, est isolable[3] - [18] - [19] - [20].
  • le [3.3.3]propellane, C11H18, numĂ©ro CAS 51027-89-5, est un solide stable qui fond Ă  130 °C. Il a Ă©tĂ© synthĂ©tisĂ© par Robert W. Weber et James M. Cook qui ont mis au point une voie de synthĂšse gĂ©nĂ©rale pour tous les propellanes de la forme [n,3,3] avec n ≄ 3[21] :

La cyclo-n-ane-1,2-dione réagit avec le 3-cétoglutarate de diméthyle dans une solution aqueuse tampon citrate-phosphate acide pour donner la propellanedione tétraester méthyle correspondante avec un rendement de 70 à 95 %. Cette derniÚre subit une hydrolyse acide de ses fonctions ester puis une décarboxylation (rendement de plus de 80 %) et finalement via une réduction de Wolff-Kishner qui a un rendement de 50 %, fournit le [n,3,3]propellane correspondant avec un rendement total depuis le composé de départ de l'ordre de 60 %.

  • le [4.3.3]propellane, C12H20, numĂ©ro CAS 7161-28-6, est un solide stable qui fond Ă  100-101 °C[21].
  • le [6.3.3]propellane, C14H24, numĂ©ro CAS 67140-86-7, est un liquide huileux qui bout sous pression ambiante Ă  275-277 °C[21].
  • le [10.3.3]propellane, C18H32, numĂ©ro CAS 58602-52-1, est un solide stable qui se sublime Ă  33-34 °C[22].

1,3-DĂ©shydroadamantanes

Le 1,3-dĂ©shydroadamantane ou tĂ©tracyclo[3.3.1.13,7.01,3]dĂ©cane est abusivement[23] appelĂ© un [3.3.1]propellane de la famille de l'adamantane. Il peut ĂȘtre prĂ©parĂ© par oxydation des 1,3-dihalo-adamantanes[24] et est aussi instable que les autres propellanes Ă  petits cycles. En solution, le composĂ© rĂ©agit avec l'oxygĂšne (temps de demi-vie 6 heures) pour former un peroxyde qui se convertit en di-hydroxyde par rĂ©action avec le tĂ©trahydruroaluminate de lithium (LiAlH4).

Schéma 4. SynthÚse du 1,3-déshydroadamantane

Polymérisation

Étant un propellane, le dĂ©shydroadamantane peut polymĂ©riser. Dans le schĂ©ma 4, il rĂ©agit avec l'acrylonitrile (cyanure de vinyle) pour une rĂ©action de polymĂ©risation radicalaire initiĂ© par le lithium mĂ©tal dans le tĂ©trahydrofuranne (THF). Le copolymĂšre rĂ©sultant est un polymĂšre alternĂ© avec une tempĂ©rature de transition vitreuse de 217 °C[25].

Schéma 5. Polymérisation du 1,3-déshydroadamantane

Notes et références

  1. Nomenclature IUPAC
  2. The Inverted Bond in [1.1.1]Propellane is a Charge-Shift Bond, Wei Wu, Pr, Junjing Gu, Jinshuai Song, Sason Shaik, Philippe C. Hiberty, Angew. Chem. Int. Ed., 2009, 48, p. 1407 –1410. DOI 10.1002/anie.200804965
  3. Josef Michl, George J. Radziszewski, John W. Downing, Kenneth B. Wiberg, Frederick H. Walker, Robert D. Miller, Peter Kovacic, Mikolaj Jawdosiuk, Vlasta Bonačić-KouteckĂœ, Highly strained single and double bonds, Pure & Appl. Chem., 1983, vol. 55(2), pp. 315–321. DOI 10.1351/pac198855020315.
  4. Kenneth B. Wiberg et Frederick H. Walker, [1.1.1]Propellane, J. Am. Chem. Soc., 1982, 104(19), p. 5239-5240. DOI 10.1021/ja00383a046
  5. Organic Syntheses, Coll. vol. 10, p. 658 (2004), vol. 75, p. 98 (1998). Online article
  6. Piotr Kaszynski et Josef Michl, [n]Staffanes: a molecular-size « Tinkertoy Â» construction set for nanotechnology. Preparation of end-functionalized telomers and a polymer of [1.1.1]propellane, J. Am. Chem. Soc., 1988, 110(15), p. 5225-5226. DOI 10.1021/ja00223a070
  7. Philip E. Eaton et George H. Temme, [2.2.2]Propellane system, J. Am. Chem. Soc., 1973, 95(22), p. 7508-7510. DOI 10.1021/ja00803a052
  8. Séquence de réactions : cycloaddition [2+2] photochimique d'éthylÚne sur le systÚme cyclohexÚne 1 vers 2 suivie par une réaction d'élimination de l'acide acétique avec le t-butanolate de potassium vers le nouveau systÚme cyclohexÚne 3 suivie par une autre cycloaddition de l'éthylÚne vers 4. Ce composé est converti en la cétone diazo 5 par déprotonation (acide acétique, méthanolate de sodium) et réaction avec l'azoture de tosyl et qui alors subit un réarrangement de Wolff vers la cétÚne 6. Une ozonolyse forme la cétone 7 et une autre séquence de diazotation et de réarrangement forme le [2.2.2]propellane avec un substituant diméthyl-amide 10 aprÚs la réaction du cétÚne final 9 avec la diméthylamine.
  9. Oliver Jarosch, GĂŒnterSzeimies, Thermal Behavior of [2.1.1]Propellane: A DFT/Ab Initio Study, J. Org. Chem., 2003, vol. 68(10), pp. 3797–3801. DOI 10.1021/jo020741d.
  10. Frederick H. Walker, Kenneth B. Wiberg, Josef Michl, [2.2.1]Propellane, J. Am. Chem. Soc., 1982, vol. 104, p. 2056. DOI 10.1021/ja00371a059.
  11. Paul G. Gassman, Gary S. Proehl, [3.1.1]Propellane, J. Am. Chem. Soc., 1980, vol. 102(22), pp. 6862–6863. DOI 10.1021/ja00542a040.
  12. Katica Mlinaric-Majerski, Zdenko Majerski, 2,4-Methano-2,4-dehydroadamantane. A [3.1.1]propellane, J. Am. Chem. Soc., 1980, vol. 102(4), pp. 1418–1419.DOI 10.1021/ja00524a033.
  13. Kenneth B. Wiberg, George J. Burgmaier, Tricyclo[3.2.1.01,5]octane, Tetrahedron Letters, 1969, vol. 10(5), pp. 317–319. DOI 10.1016/s0040-4039(01)87681-4.
  14. Paul G. Gassman, Alwin Topp, John W. Keller, Tricyclo[3.2.1.01,5]octane – a highly strained "propellerane", Tetrahedron Letters, 1969, vol. 10(14), pp. 1093–1095. DOI 10.1016/s0040-4039(01)97748-2.
  15. Kenneth B. Wiberg, George J. Burgmaier, Tricyclo[3.2.1.01,5]octane. A 3,2,1-Propellane, J. Am. Chem. Soc., 1972, vol. 94(21), pp. 7396–7401. DOI 10.1021/ja00776a022.
  16. Donald H. Aue, R. Norman Reynolds, Reactions of a highly strained propellane. Tetracyclo[4.2.1.12,5.01,6]decane, J. Org. Chem., 1974, vol. 39(15), pp. 2315–2316. DOI 10.1021/jo00929a051.
  17. Kenneth B. Wiberg, William E. Pratt, William F. Bailey, Reaction of 1,4-diiodonorbornane, 1,4-diiodobicyclo[2.2.2]octane, and 1,5-diiodobicyclo[3.2.1]octane with butyllithium. Convenient preparative routes to the [2.2.2]- and [3.2.1]propellanes, J. Am. Chem. Soc., 1977, vol. 99, pp. 2297–2302. DOI 10.1021/ja00449a045.
  18. David P. G. Hamon, V. Craige Trenerry, Carbenoid insertion reactions: formation of [4.1.1]propellane, J. Am. Chem. Soc., 1981, vol. 103, pp. 4962–4965. DOI 10.1021/ja00406a059.
  19. Ursula Szeimies-Seebach, Joachim Harnish, GĂŒnter Szeimies, Maurice Van Meerssche, Gabriel Germain, Jean-Paul Declerq, Existence of a New C6H6 Isomer: Tricyclo[3.1.0.02,6]hex-1(6)-ene, Angew. Chem. Int. Ed. Engl., 1978, vol. 17(11), pp. 848–850. DOI 10.1002/anie.197808481.
  20. Ursula Szeimies-Seebach, GĂŒnter Szeimies, A facile route to the [4.1.1]propellane system, J. Am. Chem. Soc., 1978, vol. 100, pp. 3966–3967. DOI 10.1021/ja00480a072.
  21. Robert W. Weber, James M. Cook, General method for the synthesis of [n.3.3]propellanes, n ≄ 3, Can. J. Chem., 1978, vol. 56, pp. 189–192. DOI 10.1139/v78-030.
  22. S. Yang, James M. Cook, Reactions of dicarbonyl compounds with dimethyl ÎČ-ketoglutarate: II. Simple synthesis of compounds of the [10.3.3]- and [6.3.3]-propellane series, J. Org. Chem., 1976, vol. 41(11), pp. 1903–1907. DOI 10.1021/jo00873a004.
  23. puisqu'il est tétracyclo contrairement aux propellanes qui sont tricyclo par définition.
  24. Richard E. Pincock et Edward J. Torupka, Tetracyclo[3.3.1.13,7.01,3]decane. Highly reactive 1,3-dehydro derivative of adamantane, J. Am. Chem. Soc., 1969, 91(16), p. 4593-4593. DOI 10.1021/ja01044a072
  25. Shin-ichi Matsuoka, Naoto Ogiwara et Takashi Ishizone, Formation of Alternating Copolymers via Spontaneous Copolymerization of 1,3-Dehydroadamantane with Electron-Deficient Vinyl Monomers, J. Am. Chem. Soc., 2006, 128(27), p. 8708-8709. DOI 10.1021/ja062157i
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