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Maruja Mallo

Maruja Mallo[1] (Ă  l’état civil Ana MarĂ­a GĂłmez GonzĂĄlez, Viveiro, province de Lugo, 1902 - Madrid, 1995) est une peintre, dessinatrice, illustratrice et enseignante espagnole.

Maruja Mallo
Maruja Mallo
Naissance
DĂ©cĂšs
Nom de naissance
Ana MarĂ­a GĂłmez GonzĂĄlez
Nationalité
Activités
Formation
Académie royale des beaux-arts de San Fernando (à partir de )
Académie libre des arts (d) (à partir de )
Escuela de Artes y Oficios de Avilés (d)
Mouvements
Fratrie
Cristino Mallo (d)
ƒuvres principales

Les jeunes annĂ©es de Maruja Mallo furent marquĂ©es par son appartenance Ă  une famille nombreuse et par les continuels changements de rĂ©sidence de la famille, circonstances contribuant Ă  forger son caractĂšre indĂ©pendant, sociable et universel. Elle suivit une formation artistique, d’abord Ă  AvilĂ©s, dans les Asturies, puis Ă  Madrid, oĂč elle entra en contact avec les artistes, Ă©crivains et cinĂ©astes d’avant-garde de la GĂ©nĂ©ration dite de 27 (DalĂ­, Buñuel, GarcĂ­a Lorca, entre autres). Ayant bientĂŽt rejoint les rangs de ce mouvement (et aussi de sa section fĂ©minine, Las Sinsombrero), elle joua un important rĂŽle catalyseur au sein de l’avant-garde espagnole[2]. Dans la dĂ©cennie 1920, elle collabora comme illustratrice Ă  de nombreuses publications littĂ©raires, dont notamment Revista de Occidente, que dirigeait Ortega y Gasset ; celui-ci organisa pour elle en 1928, dans les salons de la revue, sa premiĂšre vĂ©ritable exposition, intitulĂ©e Verbenas y Estampas, sĂ©rie de tableaux relevant du rĂ©alisme magique thĂ©orisĂ© par Franz Roh. Lors d’un sĂ©jour Ă  Paris en 1932, elle frĂ©quenta le groupe surrĂ©aliste et exposa une collection de tableaux intitulĂ©e Cloacas y Campanarios, qui impressionna Breton. De retour en Espagne, elle assuma, parallĂšlement Ă  son travail artistique, des fonctions d’enseignante, et s’engagea aux cĂŽtĂ©s de la jeune RĂ©publique espagnole, en particulier dans les Missions pĂ©dagogiques, ce qui la ramena dans sa Galice natale. À l’éclatement de la Guerre civile, elle s’enfuit au Portugal, oĂč elle fut recueillie par son amie Gabriela Mistral, puis s’embarqua vers Buenos Aires pour un exil de 25 ans. En Argentine, elle s’intĂ©gra dans le milieu intellectuel local, par des expositions, des confĂ©rences et des contributions comme illustratrice. Tandis qu’elle voyageait beaucoup et que des expositions de ses Ɠuvres se succĂ©daient Ă  Paris, au BrĂ©sil et Ă  New York, son art Ă©volua du constructivisme (qui dĂ©jĂ  en Espagne avait fait suite Ă  sa pĂ©riode surrĂ©aliste), avec ses ordonnances gĂ©omĂ©triques, vers une peinture plus colorĂ©e et plus lumineuse, sous l’emprise d’un plus grand engagement social et du besoin de mettre l’ĂȘtre humain au centre de l’inspiration. Toujours en Argentine, elle aida Ă  rĂ©aliser la scĂ©nographie de quelques piĂšces d’Alfonso Reyes et exĂ©cuta une commande de peinture murale dans un cinĂ©ma (dĂ©moli depuis lors) de Buenos Aires. Elle quitta dĂ©finitivement l’AmĂ©rique en 1965 et, ayant Ă©lu domicile Ă  Madrid, tenta d’y reconstruire une notoriĂ©tĂ©.

La carriĂšre artistique de Maruja Mallo s’est dĂ©ployĂ©e en plusieurs Ă©tapes, incarnĂ©e chacune par une sĂ©rie d’Ɠuvres ou par une exposition, et sous-tendue par une doctrine. On distingue ainsi principalement : la pĂ©riode du rĂ©alisme magique (exposition Verbenas y Estampas de 1928, tableaux foisonnants et rutilants, composition sur le mode du collage, avec des pointes de satire sociale) ; sa pĂ©riode surrĂ©aliste (sĂ©rie Cloacas y Campanarios de 1932, objet d’une exposition Ă  Paris, caractĂ©risĂ©e par son monochromatisme, une esthĂ©tique du sordide et de la marginalitĂ©, dĂ©cors de banlieue) ; sa pĂ©riode constructiviste (sĂ©rie Architectures minĂ©rales et vĂ©gĂ©tales, dĂ©but des annĂ©es 1930, abstractions Ă  partir d’élĂ©ments naturels visant Ă  apprĂ©hender l’ordre gĂ©omĂ©trique interne de la nature, palette restreinte, pĂ©riode se prolongeant par la sĂ©rie Constructions rurales, 1933, clichĂ©s architectoniques de fruits et fossiles, au caractĂšre constructiviste marquĂ©) ; et un retour au figuratif (fin de la dĂ©cennie 1930, sĂ©ries La religiĂłn del trabajo et Cabezas de mujer, se focalisant Ă  nouveau sur la figure humaine, en l’espĂšce les travailleurs de la mer et de la terre ou Ă©pures de visages de femme, se signalant par leur intensitĂ© poĂ©tique et un registre Ă©pique, marquant un certain retour au rĂ©alisme magique, mais maintien de la composition rigoureuse selon des principes constructivistes et classiques, ordonnances harmoniques et configuration symĂ©trique, crĂ©ant une impression hĂ©raldique). À signaler enfin une pĂ©riode dite cosmique aprĂšs son retour en Espagne dans les annĂ©es 1960.

Biographie

Jeunes années

Maruja Mallo Ă©tait la quatriĂšme enfant de la fratrie de quatorze enfants qu’eurent les Ă©poux GĂłmez-GonzĂĄlez. Le pĂšre, Justo GĂłmez Mallo, fonctionnaire des douanes, Ă©tait d’origine madrilĂšne, et la mĂšre, MarĂ­a del Pilar GonzĂĄlez Lorenzo, Ă©tait d’ascendance galicienne. Maruja, de mĂȘme que son frĂšre cadet, le sculpteur Cristino Mallo (nĂ© Ă  Tuy en 1905), utilisera comme nom d'artiste le deuxiĂšme patronyme paternel.

Aussi l’enfance de Maruja Mallo fut-elle marquĂ©e par son appartenance Ă  une famille nombreuse et par les continuels changements de rĂ©sidence au grĂ© des mutations du pĂšre. Il est probable que ces circonstances aient contribuĂ© Ă  dĂ©terminer son caractĂšre indĂ©pendant, sociable et universel[3]. Cependant, aprĂšs la naissance du frĂšre Cristino, la famille s’établit durablement Ă  AvilĂ©s, dans les Asturies, de 1913 Ă  1922. C’est lĂ  qu’elle commença Ă  manifester ses dons artistiques en copiant des illustrations et des gravures dans les principales revues de l’époque, ce qui finit par attirer l’attention de son pĂšre. Celui-ci, voulant lui donner une formation artistique, la fit inscrire Ă  l’École des arts et mĂ©tiers d’AvilĂ©s, en mĂȘme temps qu’il lui payait des cours particuliers. C’est aussi dans cette ville qu’eut lieu sa premiĂšre apparition en public, Ă  la IIe Exposition d’art avilĂ©sien, avec quatorze Ɠuvres de sa main[4] - [5]. Elle se lia d’amitiĂ© avec le peintre avilĂ©sien Luis BayĂłn, lequel s’inscrira plusieurs annĂ©es plus tard Ă  l’AcadĂ©mie royale des beaux-arts Saint-Ferdinand Ă  Madrid, avant de quitter l’Espagne Ă  destination de Paris.

En 1922, Ă  l’ñge de vingt ans, et Ă  l’occasion d’un nouveau dĂ©mĂ©nagement de la famille, cette fois vers Madrid, Maruja Mallo s’inscrivit elle aussi Ă  l’acadĂ©mie San Fernando (comme le fera Ă  son tour son frĂšre Cristino Ă  partir de 1923), oĂč elle poursuivit ses Ă©tudes jusqu’en 1926, tout en frĂ©quentant Ă©galement, de 1924 Ă  1926, en compagnie de Salvador DalĂ­ et de JosĂ© Moreno Villa, les cours de dessin Ă  l’AcadĂ©mie libre de Julio MoisĂ©s[3] - [5] — Ă  noter du reste qu’elle fut la seule femme Ă  rĂ©ussir en 1922 le sĂ©vĂšre examen d’entrĂ©e Ă  l’acadĂ©mie San Fernando, institution trĂšs majoritairement masculine[4]. Dans la capitale espagnole, son frĂšre Justo, chimiste de profession, l’introduisit dans les cercles de jeunes Ă©tudiants et intellectuels qui se rĂ©unissaient au Gran CafĂ© de Oriente, oĂč il lui sera donnĂ© d’ĂȘtre la commensale de Rafael Barradas et de Salvador DalĂ­. Par leur intermĂ©diaire[3], elle entra en contact avec les artistes, Ă©crivains et cinĂ©astes de la GĂ©nĂ©ration de 27, notamment JosĂ© BergamĂ­n, Alberto SĂĄnchez, BenjamĂ­n Palencia, Francisco Bores, Luis Felipe Vivanco, Concha MĂ©ndez, Ernesto GimĂ©nez Caballero, Gregorio Prieto, Federico GarcĂ­a Lorca, Margarita Manso, Luis Buñuel, MarĂ­a Zambrano et l’écrivain Rafael Alberti, avec qui elle eut une liaison, qui dura jusqu’à ce qu’il fasse la rencontre de MarĂ­a Teresa LeĂłn. Maruja Mallo rejoignit ce mouvement, plus spĂ©cialement le groupe fĂ©minin de la GĂ©nĂ©ration de 27 connu sous le nom de Las Sinsombrero (littĂ©r. les Sans-chapeau[6]), oĂč elle lia amitiĂ© en particulier avec Concha MĂ©ndez et Josefina Carabias. DalĂ­ la qualifiera de « mi ange, mi crustacĂ© »[7] - [4].

En juin 1926, la dĂ©putation provinciale de Lugo lui accorda une bourse d’études de peinture, qui sera rehaussĂ©e dans les annĂ©es suivantes. En 1927, elle passa une saison Ă  Tenerife, oĂč elle peignit quelques-uns de ses premiers tableaux conservĂ©s, comme La Femme Ă  la chĂšvre (La mujer de la cabra)[3], Ɠuvre reprĂ©sentative de cette pĂ©riode, et oĂč sont Ă©voquĂ©s le ciel et la lumiĂšre des Ăźles Canaries[4].

DĂ©buts dans la carriĂšre artistique et premiĂšres expositions

À l’étĂ© 1927, son frĂšre Cristino et elle eurent une exposition Ă  la Feria de Muestras de GijĂłn, la premiĂšre en date de Maruja Mallo, oĂč elle exposa une sĂ©rie de peintures Ă  l’huile ainsi qu’un ensemble d’estampes aux thĂšmes variĂ©s (Verbenas, El mago, Elementos de deporte, La isleña, soit : FĂȘtes nocturnes, le Mage, ÉlĂ©ments de sport et la Canarienne), que l’on peut considĂ©rer comme une rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale de l’exposition de l’annĂ©e suivante Ă  Madrid[4].

En 1927, annĂ©e oĂč dĂ©cĂ©da sa mĂšre, Maruja Mallo s’investit activement dans la premiĂšre Ă©cole de Vallecas, mouvement plastico-poĂ©tique animĂ© par le sculpteur Alberto SĂĄnchez PĂ©rez et le peintre BenjamĂ­n Palencia[8], Ă©cole qui fut avant tout un style et une attitude, dont l’objectif Ă©tait de concilier avant-garde et identitĂ© espagnole[4].

Dans la décennie 1920, elle collabora à de nombreuses publications littéraires, dont notamment Revista de Occidente, La Gaceta Literaria, Almanaque Literario, Meseta, Silbo, Alfar, la revue cubaine Avance etc., et réalisa le frontispice de plusieurs livres[9].

JosĂ© Ortega y Gasset, qui connaissait ses tableaux, organisa pour elle en 1928, dans les salons de la revue Revista de Occidente, sa premiĂšre vĂ©ritable exposition, intitulĂ©e Verbenas y Estampas, qui connut un grand succĂšs et devint un Ă©vĂ©nement culturel Ă  Madrid. Y Ă©taient exposĂ©es dix peintures Ă  l’huile reprĂ©sentant des villages inondĂ©s de soleil, des toreros et des manolas (femmes du peuple en tenue traditionnelle), ainsi que des estampes en couleur figurant des machines, des Ă©vĂ©nements sportifs et des cinĂ©mas du dĂ©but du siĂšcle. À cette Ă©poque, la peinture de Maruja Mallo suivait la ligne de la Nouvelle ObjectivitĂ© ou du rĂ©alisme magique, tel que thĂ©orisĂ©s par Franz Roh dans un livre de mĂȘme titre paru en 1925[5].

En 1929, elle rĂ©alisa ses cĂ©lĂšbres Figuras de Guiñol (Figures de Guignol) et ColorĂ­n Colorete, au total 22 dessins et vignettes renvoyant Ă  des thĂšmes populaires et figurant des personnages imaginaires crĂ©Ă©s par le peuple, archĂ©types incarnant chacun telle qualitĂ© physique, intellectuelle ou morale. En septembre 1929 se tint au casino de San SebastiĂĄn l’Exposition d’architectures et peintures modernes, avec des Ɠuvres de Francisco Cossio, de Juan Gris, de Manuel Ángeles Ortiz, de Joan MirĂł, de Francisco Bores, d’Alfonso Ponce de LeĂłn et de Maruja Mallo, mais aussi avec des confĂ©rences de Moreno Villa et un rĂ©cital de Rafael Alberti. En automne de la mĂȘme annĂ©e, elle participa avec DalĂ­, GarcĂ­a Lorca, VĂĄzquez DĂ­az, Marino Antequera et NicolĂĄs RodrĂ­guez Blanco Ă  l’Exposition rĂ©gionale d’art moderne organisĂ©e par le Syndicat d’initiative national dans la Casa de los Tiros de Grenade[9]. Elle prit part, aux cĂŽtĂ©s de Pepe Caballero, Ă  la farce Retablillo de don CristĂłbal, projet thĂ©Ăątral gracieux mais irrĂ©vĂ©rencieux de GarcĂ­a Lorca[10].

Collaboration avec Alberti et séjour à Paris

Maruja Mallo collabora intensĂ©ment avec Alberti jusqu’en 1931 ; de ce travail en commun attestent les dĂ©cors du drame Santa Casilda (1930) et La pĂĄjara Pinta (publiĂ© en 1932) et portent tĂ©moignage des livres d’Alberti comme Yo era un tonto y lo que he visto me ha hecho dos tontos (de 1929) et Sermones y moradas (de 1930), illustrĂ©s par Maruja Mallo. Dans ces mĂȘmes annĂ©es, elle peignit la sĂ©rie Cloacas y Campanarios (littĂ©r. Cloaques et Clochers), selon les prĂ©ceptes de l’école de Vallecas dont les chefs de file Ă©taient Alberto SĂĄnchez, BenjamĂ­n Palencia, Gregorio Prieto, Arturo Souto, RodrĂ­guez Luna et Eduardo Vicente, et Ă  laquelle elle appartenait[5].

En 1932, elle obtint une bourse de la Junta de AmpliaciĂłn de Estudios (Commission d’extension des Ă©tudes, en abrĂ©gĂ© JAE) pour un sĂ©jour Ă  Paris, oĂč elle fit connaissance avec RenĂ© Magritte, Max Ernst, Joan MirĂł et Giorgio De Chirico et participa aux rĂ©unions autour d’AndrĂ© Breton et de Paul Éluard. Sa premiĂšre exposition Ă  Paris se tint Ă  la galerie Pierre Loeb en 1932, laquelle exposition marqua le dĂ©but de sa pĂ©riode surrĂ©aliste ; son art s’était en effet radicalement transformĂ© entre-temps, et avait atteint une grande maĂźtrise, Ă  telle enseigne qu’AndrĂ© Breton lui-mĂȘme fit acquisition en 1932 du tableau intitulĂ© EspantapĂĄjaros (littĂ©r. Épouvantail), Ɠuvre crĂ©Ă©e en 1929, peuplĂ©e de spectres, et considĂ©rĂ©e aujourd’hui comme l’une des Ɠuvres majeures du surrĂ©alisme. Une amitiĂ© se noua bientĂŽt entre Maruja Mallo et AndrĂ© Breton, et de lĂ  entre elle et Jean Cassou ; en outre Breton la mit en contact avec Picasso, Joan MirĂł, Louis Aragon, Jean Arp, RenĂ© Magritte et avec le collectif Abstraction-CrĂ©ation, dont faisait partie JoaquĂ­n Torres GarcĂ­a[5].

Retour Ă  Madrid

Maruja Mallo s’en revint Ă  Madrid en 1933, sans desserrer ses liens avec l’avant-garde et en continuant Ă  participer Ă  des expositions internationales : Ă  Copenhague, dans la galerie Charlottenborg, en septembre 1932, pour la Sociedad de Artistas IbĂ©ricos (SAI), association oĂč elle s’était mise Ă  jouer un rĂŽle actif ; ensuite dans la galerie Flechtheim Ă  Berlin, en dĂ©cembre 1933, puis encore en fĂ©vrier 1936 ; et Ă  nouveau Paris[11]. À ce moment, elle avait acquis une notoriĂ©tĂ© telle que le gouvernement français fut portĂ© Ă  lui acheter un de ses tableaux en vue de l’exposer au MusĂ©e national d'Art moderne.

Commença alors une pĂ©riode de son parcours artistique oĂč son intĂ©rĂȘt allait dĂ©sormais se porter sur l’ordre gĂ©omĂ©trique interne de la nature. Elle rejoignit le Grupo de Arte Constructivo dirigĂ© par l’Uruguayen JoaquĂ­n Torres GarcĂ­a, tandis qu’un tournant trĂšs marquĂ© s’opĂ©rait dans son Ɠuvre : dĂ©laissant les traditions festives d’antan, elle se tournait Ă  prĂ©sent vers le monstrueux et le scatologique, et montrait une attitude agressive et destructrice, mais Ă  laquelle succĂ©dera bientĂŽt un dĂ©sir d’édification d’un monde neuf, l’artiste portant maintenant son attention vers la nature et la « religion du travail », aux travaux de la mer et de la terre. C’est ainsi que naquit sa sĂ©rie Naturalezas Vivas (Natures vivantes), sous l’influence notamment de l’artiste et essayiste roumain Matila Ghyka. De ces influences surgiront de nouveaux postulats, qui se rĂ©percuteront sur sa trajectoire artistique ultĂ©rieure et auxquels donneront forme les Ă©bauches de ses cĂ©ramiques, ses portraits bidimensionnels (c’est-Ă -dire de face et de profil, en juxtaposition) et les natures mortes qu’elle produira pendant son exil[11].

Engagement républicain

En 1932, engagĂ©e aux cĂŽtĂ©s de la RĂ©publique espagnole, Maruja Mallo assuma une triple fonction d’enseignante : comme professeure de dessin Ă  l’Institut d’ArĂ©valo (oĂč elle devint titulaire de la chaire de dessin), Ă  l’Instituto-Escuela de Madrid, et Ă  l’École de cĂ©ramique de Madrid, Ă  l’intention de laquelle elle crĂ©a une sĂ©rie de plats (aujourd’hui disparus)[5] — Ă  noter qu’elle avait auparavant Ă©tudiĂ© les mathĂ©matiques et la gĂ©omĂ©trie, en vue d’employer ces connaissances dans l’art de la cĂ©ramique.

Elle fit la rencontre de l’écrivain Miguel HernĂĄndez, avec qui elle commença une liaison. Ensemble, ils conçurent le drame Los hijos de la piedra (littĂ©r. Les Fils de la pierre), inspirĂ© des Ă©vĂ©nements de Casas Viejas et des Asturies de 1934 ; et c’est Ă  l’influence de Maruja Mallo que l’on doit les quatre compositions que le poĂšte tira de El rayo que no cesa (littĂ©r. l’Éclair qui ne cesse pas), sous le titre de Imagen de tu huella[5].

En 1934, elle se remit Ă  frayer avec Pablo Neruda, qu’elle avait connu Ă  Paris. Au cours de l’annĂ©e 1935, elle prĂ©para la scĂ©nographie et les figurines de l’opĂ©ra de Rodolfo Halffter, Clavileño, qui cependant, en raison du dĂ©clenchement de la Guerre civile, ne sera jamais reprĂ©sentĂ©e[3]. À partir de 1936 commença sa pĂ©riode constructive, tandis qu’elle continuait d’exposer avec les peintres surrĂ©alistes Ă  Londres et Ă  Barcelone. Elle participa comme enseignante aux Missions pĂ©dagogiques, projet parrainĂ© par le gouvernement rĂ©publicain, ce qui la ramena dans sa terre natale, la Galice, oĂč la Guerre civile la surprendra peu de mois plus tard. En mai 1936, sa troisiĂšme exposition individuelle, organisĂ©e par ADLAN, groupe d’artistes catalan, se tint au Centro de Estudios e InformaciĂłn de la ConstrucciĂłn, Carrera de San JerĂłnimo, Ă  Madrid, avec la sĂ©rie des seize tableaux de Cloacas y Campanarios, la sĂ©rie de douze Ɠuvres des Arquitecturas minerales y vegetales, et treize dessins de Construcciones rurales, que la LibrerĂ­a Clan publiera en 1949 sous forme d’ouvrage, avec une prĂ©face de Jean Cassou. Elle mit sur pied vers la mĂȘme Ă©poque, avec Àngel Planells, une exposition surrĂ©aliste internationale dans les New Burlington Galleries de Londres[5].

En Galice, sa rĂ©gion natale, elle se mit Ă  crĂ©er ses tableaux de la sĂ©rie Agua (Eau), qui mettaient en images les messages de la mer (titre d’une future sĂ©rie), sous forme de filets de pĂȘche et de poissons, avec emploi de minĂ©raux, en teintes argentĂ©es et bleu[12].

À l’éclatement de la guerre civile espagnole en 1936, Maruja Mallo s’enfuit au Portugal, oĂč elle fut recueillie par Gabriela Mistral, qui Ă©tait alors ambassadrice du Chili au Portugal. La totalitĂ© de son Ɠuvre cĂ©ramique de cette pĂ©riode sera dĂ©truite durant la guerre civile. Peu aprĂšs, son amie Gabriela Mistral l’aida Ă  se transporter Ă  Buenos Aires, oĂč elle avait Ă©tĂ© invitĂ©e par une association locale, l’AsociaciĂłn de Amigos del Arte, Ă  venir prononcer Ă  Montevideo, puis Ă  Buenos Aires, une sĂ©rie de confĂ©rences portant sur la thĂ©matique populaire dans les arts plastiques espagnols, sĂ©rie intitulĂ©e « Proceso histĂłrico de la forma en las artes plĂĄsticas » — amorce de son long exil en Argentine qui, Ă  compter de 1937, allait se prolonger sur 25 ans[5] - [12].

Exil en Argentine

L’Argentine, et l’AmĂ©rique en gĂ©nĂ©ral, fut pour Maruja Mallo une grande rĂ©vĂ©lation. Elle se mit Ă  remplir ses Ɠuvres de couleurs en accentuant leur cĂŽtĂ© onirique, cosmique et Ă©sotĂ©rique. Tout en continuant de peindre, et donnant parallĂšlement des cours, elle cultiva ses amitiĂ©s, entre autres avec Pablo Neruda, et s’intĂ©gra dans le milieu intellectuel argentin, entretint des contacts avec RamĂłn GĂłmez de la Serna, Oliverio Girondo, Angel Garma, MarĂ­a Rosa Oliver etc., et mena une vie sociale fort active, prononçant des confĂ©rences et montant des expositions. BĂ©nĂ©ficiant d’une prompte reconnaissance, elle collabora Ă  la cĂ©lĂšbre revue d’avant-garde Sur, Ă  laquelle contribuait Ă©galement Jorge Luis Borges, conçut des objets de dĂ©coration pour la maison Compte, et travailla comme illustratrice pour la revue AtlĂĄntida, appartenant au groupe d’éditeurs de Constancio Vigil, avec qui elle restera en relation d’amitiĂ© jusqu’à la mort de celui-ci en 1954[13].

Voyageant beaucoup, partageant sa vie entre l’Uruguay et Buenos Aires, elle ne cessa nĂ©anmoins de dessiner et de peindre. En mĂȘme temps, des expositions de ses Ɠuvres se succĂ©daient Ă  Paris, au BrĂ©sil et Ă  New York. Ses premiĂšres Ɠuvres produites en Argentine, continuations de la voie inaugurĂ©e avec Sorpresa del trigo (littĂ©r. Surprise du froment), furent Arquitectura humana, Canto de espigas (littĂ©r. Chant des Ă©pis) et Mensaje del mar (littĂ©r. Message de la mer)[5]. Son style pictural Ă©volua du constructivisme vers une peinture plus originale, plus claire et plus lumineuse, sous l’emprise d’un plus grand engagement social et du besoin de mettre l’ĂȘtre humain au centre de l’inspiration. C’est ainsi qu’elle mit en chantier sa prĂ©cieuse sĂ©rie Marine, harmonies lunaires en teintes argentĂ©es et grises, suivie de la sĂ©rie Terrestre, oĂč un autre thĂšme de cette Ă©poque, le soleil, trouvera Ă  s’exprimer, par des harmonies cette fois solaires, en coloris ocres et dorĂ©s, et enfin de la sĂ©rie des MĂĄscaras (littĂ©r. Masques), pour laquelle Maruja Mallo s’était directement inspirĂ©e des cultes syncrĂ©tiques des AmĂ©riques[5] - [13].

En aoĂ»t 1937, Maruja Mallo envoya au journal La Vanguardia de Barcelone un texte intitulĂ© « Relato veraz de la realidad de Galicia » (littĂ©r. RĂ©cit vĂ©ridique de la rĂ©alitĂ© de Galice), oĂč elle livra un long rĂ©cit des faits auxquels elle avait assistĂ© durant la Guerre civile en Galice et une chronique de la tragĂ©die qui avait dĂ©solĂ© sa patrie, et oĂč elle exposa les raisons de son exil volontaire[13].

En 1938, Alfonso Reyes, ami de Maruja Mallo et alors ambassadeur du Mexique en Argentine, sollicita sa collaboration pour la mise en scĂšne de son Ɠuvre thĂ©Ăątrale Cantata en la tumba de Federico GarcĂ­a Lorca, avec une musique du compositeur Jaume Pahissa et la collaboration spĂ©ciale de l’actrice Margarita Xirgu, amie de GarcĂ­a Lorca. La piĂšce eut sa premiĂšre le au thĂ©Ăątre Smart de Buenos Aires et fut un motif de grande satisfaction pour Maruja Mallo[13]. Elle restera aux cĂŽtĂ©s de Reyes jusqu’en 1938, date oĂč il s’en retourna au Mexique.

Façade du cinéma disparu Los Ángeles à Buenos Aires (1946).

En 1939, elle se rendit Ă  Santiago du Chili pour y prononcer un cycle de confĂ©rences, ce qu’elle mit Ă  profit pour visiter ValparaĂ­so. Le Museo del Dibujo y la IlustraciĂłn de Buenos Aires acquit d’elle pour ses collections deux temperas sur papier, figurant des animaux mi rĂ©els, mi fantastiques. À l’ñge de 37 ans, elle fit paraĂźtre le livre Lo popular en la plĂĄstica española a travĂ©s de mi obra (littĂ©r. l’ÉlĂ©ment populaire dans la plastique espagnole Ă  l’exemple de mon Ɠuvre, 1939), et commença Ă  peindre plus particuliĂšrement des portraits de femmes, dont le style apparaĂźt prĂ©curseur du pop art amĂ©ricain. En 1940, elle entreprit un nouveau voyage Ă  Montevideo et visita les plages atlantiques de Punta del Este et de Punta Ballena.

En 1942 parut un ouvrage regroupant des textes de l’artiste, intitulĂ© Maruja Mallo et dotĂ© d’une note d’introduction de RamĂłn GĂłmez de la Serna[5]. En 1945, elle voyagea vers le Chili, et se rendit Ă  Viña del Mar et Ă  l’üle de PĂąques, en compagnie de son ami Pablo Neruda, en quĂȘte d’inspiration pour rĂ©pondre Ă  une commande portant sur une peinture murale Ă  rĂ©aliser dans le cinĂ©ma Los Ángeles de Buenos Aires, qui allait ĂȘtre inaugurĂ© en octobre de cette mĂȘme annĂ©e (mais qui a Ă©tĂ© dĂ©moli depuis lors). Le , elle monta une exposition Ă  la galerie Carroll Carstairs de New York, puis en 1949 quitta l’Argentine pour se fixer Ă  New York. En , elle exposa Ă  la Galerie Silvagni Ă  Paris et en 1959 Ă  la galerie Bonino de Buenos Aires.

À cette Ă©poque, sa peinture avait continuĂ© Ă  Ă©voluer, tant sur le plan formel que conceptuel ; Ă  la vitalitĂ© qui caractĂ©risait autrefois ses verbenas, Ă  la nature festive et ornementale de ses premiĂšres Ɠuvres, avait succĂ©dĂ© Ă  prĂ©sent une plus grande sĂ©vĂ©ritĂ© dans la composition, les ordonnances gĂ©omĂ©triques s’imposant dĂ©sormais comme une constante dans son Ɠuvre plastique[14].

Maruja Mallo avait eu jusque-lĂ  en Argentine une vie sociale et culturelle agitĂ©e, mais entre 1945 et 1957, elle mena une existence plus retirĂ©e et discrĂšte, ses apparitions publiques et ses expositions se faisant plus rares, avec de notoires escapades aux États-Unis. Avec l’arrivĂ©e au pouvoir de PerĂłn, elle s’était Ă  nouveau sentie prisonniĂšre, et dĂ©cida alors de vendre nombre de ses Ɠuvres au joaillier Samuel MalĂĄ, qui les exposera dans ses bijouteries de Buenos Aires, du Chili, de Paris et de New York. ParallĂšlement, son Ɠuvre aussi traversa une pĂ©riode de silence, que seulement en 1951 sa participation Ă  la Ire Biennale hispano-amĂ©ricaine d’art Ă  Madrid viendra interrompre[15]. Finalement, en 1962, elle rentra Ă  Madrid, au dĂ©part de New York, retrouvant son Espagne natale au bout de 25 ans d’exil.

De retour en Espagne

Maruja Mallo revint une premiĂšre fois Ă  Madrid en 1961, Ă  l’occasion d’une rĂ©trospective de son Ɠuvre organisĂ©e Ă  la galerie MediterrĂĄneo, mais ce ne sera qu’en 1965 qu’elle quittera dĂ©finitivement l’AmĂ©rique. Celle qui avait Ă©tĂ© l’une des grandes figures du surrĂ©alisme de l’avant-guerre Ă©tait devenue une quasi inconnue dans son pays natal et n’y avait plus guĂšre de vie publique ; cependant elle rĂ©ussit Ă  se reconstruire une renommĂ©e, et notamment se remit bientĂŽt Ă  dessiner le frontispice de la revue Revista de Occidente. Commença alors une nouvelle pĂ©riode de sa trajectoire artistique, que les historiens de l’art ont nommĂ©e sa pĂ©riode « cosmique », et oĂč elle s’employa Ă  recrĂ©er la nature sud-amĂ©ricaine, dans des Ɠuvres dont les plus importantes sont : Agol (1969), Geonauta (1975) et Selvatro (1982)[16].

Plus tard encore, en 1979, à présent ùgée de 77 ans, mais ayant conservé ses anciennes fraßcheur et vitalité, elle entama son ultime période picturale, incarnée par la série Los moradores del vacío (littér. les Résidents du vide).

ƒuvre

La trajectoire artistique de Maruja Mallo se laisse subdiviser en plusieurs pĂ©riodes distinctes, dont chacune est sous-tendue par telle doctrine artistique particuliĂšre et s’incarne dans telle sĂ©rie d’Ɠuvres (et souvent dans une exposition affĂ©rente). La succession des pĂ©riodes correspond dans quelques cas Ă  un mouvement de va-et-vient entre profusion baroque et sobriĂ©tĂ© hĂ©raldique, entre figuratif humain et constructivisme abstrait, entre statisme et dynamisme, entre monochromatisme et palette gĂ©nĂ©reuse.

PremiĂšre exposition : Verbenas et Estampas

ImpressionnĂ© par l’Ɠuvre de Maruja Mallo, Ortega y Gasset, fondateur de la prestigieuse revue Revista de Occidente, mit sur pied en 1928 la premiĂšre vĂ©ritable exposition personnelle de l’artiste dans les salons mĂȘmes de la revue. Les tableaux exposĂ©s apparaissent comme des espaces baignĂ©s de lumiĂšre et de couleurs, peuplĂ©s de figures de manolas (type populaire fĂ©minin), de toreros, de prĂȘtres, de rois, de militaires, de bourgeois etc., souvent caricaturĂ©es[17]. L’exposition comprenait 30 Ɠuvres, regroupĂ©es originellement en deux sĂ©ries :

  • les Verbenas : quatre peintures Ă  l’huile constituent cette sĂ©rie consacrĂ©e aux fĂȘtes madrilĂšnes, dont fait partie le tableau La Verbena. Au point de vue formel, les Verbenas (la verbena est une fĂȘte populaire nocturne, Ă  l’allure de fĂȘte foraine, typique de Madrid) sont conçues comme un assemblage scĂ©nographique de fragments d’images, Ă  la façon de collages, oĂč apparaissent pĂȘle-mĂȘle les traditions populaires, l’ancienne sociĂ©tĂ© caduque et la sociĂ©tĂ© nouvelle, les idĂ©aux de l’avenir, et la magie[3]. Dans ces compositions bariolĂ©es, expressions de la vision du monde personnelle de l’artiste, celle-ci peint des scĂšnes baroques, apparemment dĂ©nuĂ©es de toute logique, oĂč les motifs se multiplient, produisant un tourbillon de lignes et de sensations. S’y cĂŽtoient, autour des protagonistes principaux, tous les Ă©lĂ©ments typiques des fĂȘtes populaires Ă  Madrid (baraques foraines, tĂȘte de Turc etc.), Ă  cĂŽtĂ© d’autres personnages plus Ă©tranges, comme le gĂ©ant cyclopĂ©en, le moine jouissant d’une des attractions, ou la figure aux pieds difformes et Ă  la guitare dans le dos qui demande l’aumĂŽne. Dans les Verbenas, l’espace est tout entier saturĂ© de gens et de choses diverses, et imprĂ©gnĂ© d’une atmosphĂšre pleine de surprises magiques et de messages, Ă  quoi s’ajoute une fine satire, dans laquelle s’exprime le sens critique pointu propre Ă  l’artiste. Ces tableaux au chromatisme rutilant prĂ©sentent, en tant qu’ils donnent forme au sentiment de l’absurde, une allure indĂ©niablement surrĂ©aliste[17].
  • les Estampes : ces tableaux peu colorĂ©s prennent pour motifs les innovations urbaines du dĂ©but du siĂšcle : gratte-ciel, machines, vitesse, cinĂ©ma etc. La sĂ©rie des Estampas se dĂ©compose comme suit : Estampes populaires (s’inscrivant dans la ligne des foires et des fĂȘtes, elles montrent des balcons donnant sur la mer, des tavernes, des Ă©piceries, des passages Ă  niveau) ; Estampes sportives (par lesquelles Maruja Mallo rend hommage au sport, phĂ©nomĂšne dĂ©couvert peu avant, dans la dĂ©cennie 1920, symbole moderne de l’idĂ©al physique, du dynamisme et de l’indĂ©pendance fĂ©minine, et qui prolongent les tableaux analogues peints auparavant par Mallo, comme Ciclista de 1927 ou Elementos de deporte de 1927 ; Estampes de machines et de mannequins (Ă©vocations de l’époque romantique, satires de figures anachroniques : messieurs et dames en crise, dĂ©teintes, sous atmosphĂšre de naphtaline et d’ordonnances mĂ©dicales, apparaissant aux balcons de l’opĂ©ra et dans les salons, ou gisant oubliĂ©es dans des villĂ©giatures d’hiver) ; Estampes d’intĂ©rieurs lugubres (peuplĂ©es de messieurs et de dames au corps tronquĂ©, soutenu par des armatures orthopĂ©diques, mais toujours en tenue de cĂ©rĂ©monie, portant postiches, dentiers etc., ou de ces mannequins coutumiers de toutes les villes, Ă©berluĂ©s par le phĂ©nomĂšne de la vitesse, subissant les soubresauts des machines) ; et Estampes cinĂ©matiques (sensations visuelles nĂ©es de l’effet de simultanĂ©itĂ© que produit le dynamisme de la rue, images figurant des places frappĂ©es de terreur, des ensembles mĂ©caniques reliĂ©s entre eux mais discordants, mettant en scĂšne machines, gratte-ciel, ĂȘtres, enseignes lumineuses, le tout s’entremĂȘlant avec quelques funestes Ă©vĂ©nements tirĂ©s de la vie quotidienne des villes)[18] - [19].

Verbenas et Estampas peuvent ĂȘtre vues comme une dĂ©claration d’intention de son projet esthĂ©tique, centrĂ© sur le dĂ©sir de faire la jonction entre la modernitĂ© de son Ă©poque et la tradition populaire espagnole. En effet, Maruja Mallo, si elle avait certes bien assimilĂ© toute la vague de modernitĂ© plastico-sociale de l’avant-garde europĂ©enne, s’attachait en mĂȘme temps Ă  la fusionner avec « lo popular », ce terme devant s’entendre comme le substrat culturel authentiquement espagnol, dont le phĂ©nomĂšne madrilĂšne de la verbena peut faire figure de parangon. Il s’agit d’un art nouveau, en rupture avec le rĂ©gionalisme alors dominant, dans la forme autant que dans l’intention, et se prĂ©valant d’une esthĂ©tique nouvelle, proche de l’Art dĂ©co ; tandis qu’elle fusionnait les diffĂ©rentes avant-gardes, Maruja Mallo les popularisait, dans un alliage et une perspective utopiques, en accord avec son Ă©poque, qui s’imaginait que le nouvel art et les artistes eussent le pouvoir de changer le monde — façon de procĂ©der thĂ©orisĂ©e dans le concept de rĂ©alisme magique par le critique allemand Franz Roh dans Nach-Expressionismus. Magischer Realismus. Probleme der neuesten europĂ€ischen Malerei, ouvrage diffusĂ© en Espagne en 1927, en traduction espagnole, par la Revista de Occidente[3].

Alors que les Verbenas Ă©voquent un univers populaire dĂ©bordant de vie, les Estampas pourraient ĂȘtre classĂ©es dans le genre de la nature morte, attendu qu’ils montrent des groupements d’objets hĂ©tĂ©rogĂšnes qui, thĂ©matiquement, se restreignent aux motifs pouvant se prĂȘter Ă  une reprĂ©sentation allĂ©gorique des temps nouveaux et Ă  la mise Ă  nu de la dĂ©cadence d’une Ă©poque passĂ©e. La contemporanĂ©itĂ© est figurĂ©e ici par la mode, le sport, les vĂ©hicules Ă  moteur, les paquebots transatlantiques, les aĂ©roplanes, etc., tandis que le passĂ© est Ă©voquĂ© par le biais de mannequins sans visage, affublĂ©s de toupets et de moustaches. En dĂ©pit du statisme inhĂ©rent au genre de la nature morte, les Estampas sont douĂ©s d’un mouvement vibrant rĂ©sultant de la fragmentation des images, de leur apparent chaos, et de l’effet dynamique de compositions oĂč la diagonale est un recours actif sans cesse prĂ©sent[3].

L’exposition de la Revista de Occidente marqua un jalon dans le parcours artistique de Maruja Mallo. Pour elle, qui connaissait nombre de personnalitĂ©s, culturelles ou autres, de l’époque, comme Miguel de Unamuno, RamĂłn GĂłmez de la Serna, Antonio Machado, Gregorio Marañón, Fernando de los RĂ­os etc., la Revista de Occidente Ă©tait un « centre oĂč l’on portait haut la banniĂšre de la conscience civique et des nouvelles tendances humanistes — [qui m’a apportĂ© des] amitiĂ©s qui ont perdurĂ© tout au long de ma vie »[3].

Federico GarcĂ­a Lorca dit Ă  propos de Verbenas : « ce sont les tableaux que j’ai vus peints avec le plus d’imagination, d’émotion, de sensualitĂ© et de tendresse », et il fut le seul Ă  percevoir le message dissimulĂ© dans l’absence de couleur des Estampas, puisqu’il les appela des « annonces nĂ©crologiques ». L’artiste elle-mĂȘme, amenĂ©e un jour Ă  commenter sa propre Ɠuvre, dĂ©clara que « les fĂȘtes populaires sont une rĂ©vĂ©lation paĂŻenne et expriment le dĂ©saccord avec l’ordre existant »[9]. À propos des conceptions artistiques sous-jacentes Ă  ses Verbenas et Estampas, elle Ă©crivit encore :

« Ma plastique est un processus qui Ă©volue constamment. Elle est un dĂ©veloppement dynamique dans la forme et dans le contenu. Elle a son origine dans l’art populaire espagnol, qui est la vĂ©ritable tradition de ma patrie. L’art populaire est la reprĂ©sentation lyrique de la force crĂ©atrice de l’homme, du pouvoir d’édification du peuple, qui produit des choses de proportions, de formes et de couleurs inventĂ©es : crĂ©ations magiques aux mesures exactes [...] À une humanitĂ© nouvelle correspond un art nouveau. Parce qu’une rĂ©volution artistique ne se contente pas seulement de trouvailles techniques. Le vrai sens qui produit un art nouveau et intĂ©gral est, Ă  cĂŽtĂ© d’une connaissance scientifique solide et d’un mĂ©tier manuel sĂ»r, l’apport d’une iconographie, pour une religion vivante, pour un nouvel ordre. L’artiste doit prĂ©parer l’avĂšnement des nouvelles tendances, en donnant forme dĂ©finitive Ă  celles de son temps. L’art est, consciemment ou inconsciemment, de la propagande. L’art rĂ©volutionnaire est une arme qu’emploie une sociĂ©tĂ© consciente contre une sociĂ©tĂ© dĂ©composĂ©e[20]. »

Cloacas y campanarios

En 1932, pendant son sĂ©jour Ă  Paris, qui se prolongea sur plusieurs mois, Maruja Mallo exposa Ă  la galerie Pierre Loeb, lieu d’exposition attitrĂ© des surrĂ©alistes, 16 peintures Ă  l’huile de la sĂ©rie Cloacas y campanarios (Cloaques et Clochers). Cette exposition reçut les Ă©loges des plasticiens surrĂ©alistes[3], et AndrĂ© Breton, restĂ© admiratif, acquit un de ces tableaux, EspantapĂĄjaros (Épouvantail), toile parsemĂ©e de spectres, considĂ©rĂ©e aujourd’hui comme l’une des Ɠuvres vedette du mouvement surrĂ©aliste[10].

Sa peinture, qui jusque-lĂ  avait Ă©tĂ© d’un coloris intense et d’un puissant dynamisme, tendit Ă  prĂ©sent, alors que le degrĂ© de confluence de sa crĂ©ation avec le surrĂ©alisme Ă©tait au plus haut, vers une composition plus sobre. Par suite de ses contacts avec le mouvement, et marquant le dĂ©but de sa pĂ©riode surrĂ©aliste, un changement radical s’était opĂ©rĂ© dans son art, lequel Ă©tait passĂ© d’un caractĂšre jovial et ludique Ă  une peinture monochromatique, peuplĂ©e de figures fantasmatiques mais aussi de dĂ©chets censĂ©s figurer la marginalitĂ© et le dĂ©racinement social[10]. Dans cette nouvelle esthĂ©tique du sordide s’exprimait le ressentir d’une gĂ©nĂ©ration qui Ă©prouvait une fascination particuliĂšre pour la putrescence, ce dont tĂ©moignent de nombreux spĂ©cimens picturaux, rĂ©alisĂ©s sur des supports divers, parmi lesquels les premiĂšres toiles de DalĂ­ vouĂ©es Ă  cette thĂ©matique, telles que par exemple La miel es mĂĄs dulce que la sangre (littĂ©r. le Miel est plus doux que le sang), de 1927, aujourd’hui en un lieu inconnu, le film Un chien andalou, rĂ©alisĂ© par le mĂȘme en collaboration avec Buñuel, ou la littĂ©rature produite dans ces annĂ©es-lĂ  par Miguel HernĂĄndez, Rafael Alberti, Gil Bel ou GarcĂ­a Lorca lui-mĂȘme[3]. Les promenades qu’avaient faites Maruja Mallo avec ses compagnons de l’école de Vallecas les avaient conduits dans des paysages misĂ©rables de la banlieue madrilĂšne, oĂč la ville finissait et oĂč commençait la dĂ©perdition et le dĂ©nuement, en syntonisation avec les entrelacs ferroviaires et avec une nature chargĂ©e lĂ -bas d’un intense tellurisme gĂ©ologique. Les membres de ladite Ă©cole s’exprimaient sur la toile au moyen d’une peinture sombre, obtenue en mĂȘlant Ă  l’huile un ensemble de matiĂšres recueillies sur place, telles que cendre, terre, chaux, soufre, etc. Il en rĂ©sulte des paysages lugubres, oĂč pullulent squelettes d’animaux, lambeaux de tissus, bouts de papier, et prĂ©caires Ă©pouvantails se cabrant au vent et confĂ©rant une apparence de vie Ă  un espace de mort : le cimetiĂšre de la grande ville[3].

Maruja Mallo déclara au sujet de cette série :

« À ce moment-lĂ , j’étais intĂ©ressĂ©e par la nature Ă©liminant les immondices, par la terre incendiĂ©e et embourbĂ©e. Les cloaques frappĂ©s par le vent. Les clochers rebattus par les intempĂ©ries. Le monde des choses qu’elle [la nature] forme, contre lesquelles je butais frĂ©quemment dans les gares de banlieue, est la base fondamentale du contenu de mon travail de ce moment-lĂ . Sur le sol se lĂšve une aurĂ©ole de dĂ©combres. Dans ces panoramas dĂ©solĂ©s, la prĂ©sence de l’homme apparaĂźt dans les traces, dans les vĂȘtements, dans les squelettes et dans les morts. Cette prĂ©sence humaine, Ă  la rĂ©alitĂ© fantasmique, qui surgit au milieu du tourbillon des dĂ©tritus, s’ajoute aux pierres secouĂ©es, aux espaces couverts de cendre, aux surfaces inondĂ©es par la vase, habitĂ©es par les vĂ©gĂ©taux les plus revĂȘches et explorĂ©es par les animaux les plus agressifs. À cette nature terrestre, Ă  ces campagnes dĂ©faites s’associent les temples chamboulĂ©s, les images dĂ©truites, les habits ecclĂ©siastiques agonisants, les machines et les armes en ruines[21]. »

Architectures minérales et végétales

À son retour Ă  Madrid en 1933, Maruja Mallo rĂ©visa une nouvelle fois ses conceptions plastiques, comme l'attestent les vignettes rĂ©alisĂ©es par elle Ă  partir d’avril de cette mĂȘme annĂ©e pour figurer sur les couvertures de la Revista de Occidente. Ces Ɠuvres dĂ©notent une quĂȘte de synthĂšse, obtenue en portant au jour l’essence gĂ©omĂ©trique et structurelle d’un groupe de fruits de nature diverse — poires, pommes, courges, oranges, cĂ©rĂ©ales, etc.[3]

Maruja Mallo avait fait la connaissance de Miguel HernĂĄndez, qui, arrivĂ© Ă  Madrid en 1931, accompagna l’artiste peintre dans ses promenades et randonnĂ©es Ă  travers la campagne de Vieille-Castille. Le fruit de ces pĂ©riples sont les sĂ©ries Arquitecturas minerales et Arquitecturas vegetales, oĂč se manifeste l’intĂ©rĂȘt de Maruja Mallo pour la nature, sous les espĂšces ici d’un ensemble d’abstractions Ă  partir d’élĂ©ments naturels, tels que pierres et fossiles (les architectures minĂ©rales) et fruits (les architectures vĂ©gĂ©tales)[11], et oĂč elle s’attachait Ă  sonder l’ordre gĂ©omĂ©trique interne de la nature. Les Arquitecturas sont des peintures Ă  l’huile exĂ©cutĂ©es Ă  la spatule, comportant une palette de couleurs restreinte et oĂč l’artiste s’applique Ă  mettre en Ă©vidence la texture des choses. Le processus de synthĂ©tisation auquel les formes Ă©taient soumises confĂšre aux toiles une allure hĂ©raldique. Du point de vue de la composition, Du point de vue de la composition, Maruja Mallo organisa la surface des tableaux en trois zones se distinguant l’une de l’autre par des teintes monochromes, et que leur texture concourait Ă  diffĂ©rencier : le motif principal — vĂ©gĂ©tal ou minĂ©ral — est rendu Ă  l’aide de contours noirs appuyĂ©s, et dotĂ© d’un relief simple par un exhaussement oĂč la couleur joue un rĂŽle important ; dans un deuxiĂšme plan, qui fait dĂ©faut dans quelques tableaux, des formes organiques abstraites agissent comme support spatial au motif principal ; ces deux plans enfin se dĂ©tachent sur un fond monochrome qui contraste avec eux, mais toujours au sein de la mĂȘme gamme chromatique[3].

Maruja Mallo nous explique comme suit la genÚse de cette série :

« La nature est ce qui commence Ă  m’attirer : dĂ©couvrir un nouvel ordre. L’ordre est l’architecture intime de la nature et de l’homme, la mathĂ©matique vivante du squelette. Dans la nature, limpide et mystĂ©rieuse, spontanĂ©e et construite, dĂ©pourvue de fantasmes anachroniques, j’analyse la structure des minĂ©raux et des vĂ©gĂ©taux, la diversitĂ© des formes cristallines et biologiques, synthĂ©tisĂ©es en un [ordre] numĂ©rique et gĂ©omĂ©trique, dans un ordre vivant et universel
 CrĂ©er comme la nature[22]. »

Ailleurs, elle précise :

« La construction d’un tableau ou d’une architecture possĂšde ses lois fixes comme la structure de l’homme et des planĂštes [...] J’observe les constructions rurales, la structure intime des fruits et des Ă©pis, l’architecture des minĂ©raux de nos campagnes d’Espagne. Je dĂ©couvre qu’un ordre numĂ©rique et gĂ©omĂ©trique rĂ©git toutes ces structures, domine l’univers. Je cherche l’expression de cet ordre, de cette harmonie, de l’équilibre rĂ©gi par le nombre. Je pense alors que le tableau est aussi une crĂ©ation organique [...] Dans la nature, il y a deux canons. Le canon minĂ©ral et celui biologique. Dans les deux, il y a une leçon de gĂ©omĂ©trie, de mathĂ©matiques. De mathĂ©matiques au sens strict dans tel cas, de mathĂ©matique vivante dans tel autre. L’art grec s’appuie sur cette mathĂ©matique vivante. Les cathĂ©drales en revanche s’appuient sur ces mathĂ©matiques statiques. Ces manifestations, je les appelle art classique
 Il n’y a pas une ligne dans un de mes tableaux qui n’obĂ©isse au tracĂ© directeur, au squelette gĂ©omĂ©trique qui sert d’échafaudage Ă  la reprĂ©sentation du tableau [...] Mes derniĂšres choses sont le rĂ©sultat d’un processus, ce que moi j’appellerais le processus biologique d’un tableau [...] Ces lois qui rĂ©gissent ma peinture lui donnent un caractĂšre universel. J’aspire Ă  ce que les thĂšmes soient eux aussi universels[23]. »

Construcciones rurales

Les Constructions rurales, dessins d’aspect nettement architectonique, ont probablement trouvĂ© leur origine dans le contact de Maruja Mallo avec une esthĂ©tique populaire associĂ©e au monde de la cĂ©ramique et dans le sĂ©jour de l’artiste en milieu rural en Castille Ă  partir de 1933. Il s’agit de constructions renvoyant Ă  des formes anthropomorphes, zoomorphes et vĂ©gĂ©tales, adoptant un aspect d’armature Ă  forte propension constructiviste. D’autre part, ces dessins prĂ©sentent Ă©galement un net caractĂšre de mise en scĂšne, d’ailleurs effectivement matĂ©rialisĂ©, pour quelques-unes de leurs composantes, dans sa Plastique scĂ©nographique, qu’elle montra dans une exposition individuelle tenue en 1936 pour le compte d’ADLAN (Amigos de las Artes Nuevas) Ă  Madrid. Par ces scĂ©nographies et figurines, en consonance avec les sĂ©ries Arquitecturas minerales, Arquitecturas vegetales et Construcciones rurales, Maruja Mallo cherchait Ă  façonner celles-ci selon trois dimensions au moyen de constructions en matiĂšres vĂ©gĂ©tales et en cĂ©ramique se dĂ©coupant sur des arriĂšre-plans en rapport avec les tableaux concernĂ©s[3].

La religiĂłn del trabajo et Cabezas de mujer

Lors de son voyage vers l’exil argentin, le , Ă  bord du vapeur postal AlcĂĄntara, naviguant sous pavillon britannique, Maruja Mallo emportait des Ă©bauches de la Religion du travail, sĂ©rie innovante, oĂč elle devait mettre en Ɠuvre toutes ses obsessions d’artiste — la nature, l’ordre et la vie —, clefs de son style dĂ©finitif. Les tableaux les plus emblĂ©matiques de cette sĂ©rie, dont le thĂšme principal est le travail, sont Sorpresa del trigo, de 1936, amorce de la sĂ©rie, Ɠuvre d’une grande intensitĂ© poĂ©tique, et Arquitectura humana, de 1937[12] - [3].

Sorpresa del trigo met en scĂšne les yeux Ă©tonnĂ©s d’une femme en contemplation devant le mystĂšre de trois Ă©pis de froment qui jaillissent de ses doigts, et tenant dans sa main gauche trois semences, lesquelles semblent, en germant, faire naĂźtre un autre tableau de la sĂ©rie, Canto de las Espigas (littĂ©r. Chant des Ă©pis, de 1939). Aux yeux de Maruja Mallo elle-mĂȘme, Sorpresa del trigo Ă©tait son tableau le plus important, son Guernica Ă  elle[24].

La sĂ©rie, qui s’inscrit dans l’esthĂ©tique nouvelle adoptĂ©e par elle en Espagne, et inaugurĂ©e avec le tableau Sorpresa del trigo, se compose de sept peintures Ă  l’huile figurant dans un registre Ă©pique et sur un mode hĂ©raldique les travailleurs de la mer et de la terre. Maruja Mallo, ici plus que jamais ailleurs dans son Ɠuvre, s’appliqua Ă  une composition rigoureuse rĂ©gie selon des principes constructivistes et classiques. La forme se plie Ă  des ordonnances harmoniques dĂ©terminĂ©es par le nombre d'or, adoptant une configuration symĂ©trique que seuls viennent altĂ©rer quelques motifs accessoires. À l’opposĂ© d’une conception proche de l’abstraction, qui avait Ă©tĂ© celle d’Arquitecturas minerales et d’Arquitecturas vegetales, la sĂ©rie La religiĂłn del trabajo tend Ă  en revenir Ă  un art plus figuratif, aux caractĂ©ristiques similaires Ă  ses Verbenas, c’est-Ă -dire plus apparentĂ© Ă  une esthĂ©tique Art dĂ©co imprĂ©gnĂ©e par le rĂ©alisme magique prĂ©valant dans les annĂ©es 1920. Quant aux arriĂšre-plans, Maruja Mallo sut prĂ©server la sobriĂ©tĂ© neutre propre Ă  ses Arquitecturas minerales y vegetales, pour en faire des champs uniques monochromes. La sĂ©rie La religiĂłn del trabajo aura son prolongement — quoiqu’avec un contenu sensuel plus prononcĂ© — dans une sĂ©rie intitulĂ©e Cabezas de mujer (littĂ©r. TĂȘtes de femme)[3]. Ces portraits « bidimensionnels » (face et profil juxtaposĂ©s), tĂȘtes fĂ©minines rĂ©alisĂ©es entre 1941 et 1951 pendant son sĂ©jour en Argentine, correspondent Ă  des images trĂšs structurĂ©es, qui s’appuient sur un dessin prĂ©cis et sur un sens aigu de la forme gĂ©omĂ©trisĂ©e et architecturale, tardive retombĂ©e de son appartenance au Grupo Constructivo de Torres-GarcĂ­a en 1933. Dans ces visages, d’un caractĂšre plastique stylisĂ©, oĂč prĂ©dominent les rondeurs, les regards hypnotiques sont ce qui frappe d’abord[25].

Naturalezas vivas

Les sĂ©jours rĂ©pĂ©tĂ©s effectuĂ©s par Maruja Mallo sur les plages uruguayennes de Punta del Este et de Punta Ballena, de mĂȘme que sur celle argentine de Mar del Plata entre 1940 et 1944, lui inspireront sa nouvelle sĂ©rie Naturalezas vivas (littĂ©r. Natures vivantes), titre qui, suggĂ©rant un rapport antinomique avec le genre de la nature morte, laisse entrevoir un optimisme et une vitalitĂ© dĂ©libĂ©rĂ©s. Algues, coquillages et fleurs apparaissent sur la toile disposĂ©s selon des arrangements harmoniques et sur un mode hĂ©raldique, en se dĂ©coupant sur des arriĂšre-fonds ondoyants marins ou cĂ©lestes[3].

Cinéma Los Ángeles de Buenos Aires

Vue intérieure du cinéma Los Ángeles, avec peintures murales de Maruja Mallo.

Maruja Mallo reçut une commande portant sur trois peintures murales pour le cinĂ©ma Los Ángeles (aujourd’hui disparu) situĂ© autrefois Avenida Corrientes Ă  Buenos Aires[13]. Les Ă©bauches qu’elle rĂ©alisa dĂ©notent une rupture avec le statisme qui avait caractĂ©risĂ© les derniĂšres en date de ses sĂ©ries, Ă  savoir La religiĂłn del trabajo et Cabezas de mujer. Il s’agit d’une chorĂ©graphie dynamique faisant intervenir des ĂȘtres — sirĂšnes, atlantes et ballerines — qui, davantage qu’à des anges, feraient songer Ă  des ĂȘtres issues de civilisations englouties, certains de ces ĂȘtres prĂ©sentant des traits incaĂŻques ou crĂ©tois. Ces figures volantes, exĂ©cutant une danse harmonique sous-marine, sont disposĂ©es selon des compositions en spirale ou en svastika, engendrant une forte impression de mouvement, accentuĂ©e encore par l’apesanteur et l’absence de tout arriĂšre-plan apte Ă  leur servir de support ; seuls des motifs vĂ©gĂ©taux et animaux, placĂ©s en lisiĂšre de l’Ɠuvre, dĂ©limitent le cadre de leurs mouvements dĂ©sarticulĂ©s[3].

Los moradores del vacĂ­o

La sĂ©rie Los moradores del vacĂ­o (littĂ©r. Les RĂ©sidents du vide) fut l’ultime pĂ©riode de Maruja Mallo et met en images une thĂ©matique devenue pour elle obsession. Le monde sidĂ©ral, d’étranges vaisseaux et des ĂȘtres extraterrestres sont les motifs de ce singulier univers crĂ©atif[3].

Inventaire des principales Ɠuvres

  • La Verbena (1927)[26]
  • La kermesse (1928)[27]
  • Canto de las espigas (1929)[26]
  • La huella (1929)
  • Tierra y excrementos (1932)[26]
  • Sorpresa en el trigo (1936)[26]
  • Figuras (1937)[26]
  • Cabeza de mujer (1941)
  • MĂĄscaras (1942)
  • SĂ©rie Las naturalezas vivas (1942)
  • El racimo de uvas (1944)
  • Oro (1951)
  • Agol (1969)
  • Geonauta (1975)
  • Selvatro (1979)[26]
  • Concorde (1979)[26]
  • MĂĄscara tres-veinte (1979)[26]
  • Airagu (1979)[26]
  • AcrĂłbatas macro y microcosmos (1981)[26]
  • AcrĂłbatas (1981)[26]
  • Protozaorios (1981)[26]
  • Panteo (1982)[26]
  • AcrĂłbata (1982)[26]
  • Protoesquema (1982)[26]
  • Razas (1982)[26]
  • Viajeros del Ă©ter (1982)[26]

Prix et hommages

Prix

Au cours de la décennie 1980, elle se vit proposer plusieurs expositions et décerner divers prix, à savoir :

En 1992, Ă  l’occasion de son 90e anniversaire, une exposition fut organisĂ©e Ă  la galerie Guillermo de Osma Ă  Madrid, montrant pour la premiĂšre fois des sĂ©ries de tableaux peints par elle pendant son exil aux AmĂ©riques. En 1993 se tint une grande rĂ©trospective Ă  Saint-Jacques-de-Compostelle, Ă  l’occasion de l’inauguration du nouveau Centre galicien d’Art contemporain, exposition transfĂ©rĂ©e ensuite vers le musĂ©e des Beaux-Arts de Buenos Aires[5].

Maruja Mallo s’éteignit le Ă  Madrid, Ă  l’ñge de 93 ans. Sa dĂ©pouille fut incinĂ©rĂ©e au cimetiĂšre de La Almudena et ses cendres furent dispersĂ©es dans la baie de La Mariña lucense, dans le nord de la Galice[29].

Hommages

Plaque commémorative sur la maison natale de Maruja Mallo à Viveiro.

À Viveiro, sa ville natale, il a Ă©tĂ© envisagĂ© de construire un musĂ©e permanent et un centre d’étude de son Ɠuvre[30]. Une avenue a Ă©tĂ© baptisĂ©e Ă  son nom dans le district madrilĂšne d’Hortaleza. En outre, on trouve des rues appelĂ©es de son nom dans plusieurs villes d’Espagne, entre autres AlmerĂ­a[31], Estepona et MĂ©rida[32].

L’édition 2017 de la JournĂ©e des arts galiciens fut dĂ©diĂ©e Ă  Maruja Mallo sur dĂ©cision de la Real Academia Galega de Belas Artes (Ragba)[33].

Citations Ă  propos de Maruja Mallo

« Maruja Mallo, entre Verbena et Épouvante, toute la beautĂ© du monde peut se loger au-dedans de l’Ɠil, ses tableaux sont ceux que j’ai vus peints avec le plus d’imagination, d’émotion, de sensualitĂ© et de tendresse. »

— Federico García Lorca

« Les créations étranges de Maruja Mallo, parmi les plus considérables de la peinture actuelle, [constituent] une révélation poétique et plastique originale ; « Cloacas » et « Campanarios » sont des précurseurs de la vision plastique informaliste. »

— Paul Éluard

« L’Ɠuvre de Maruja Mallo a donc bien mĂ©ritĂ© le coup de pouce de la Revista de Occidente. Et elle l’a mĂ©ritĂ© avant tout par la haute qualitĂ© intrinsĂšque de son talent, selon le critĂšre psychologique, indĂ©pendamment des manifestations picturales par quoi ses facultĂ©s s’extĂ©riorisent, car, bien que ces manifestations soient certes de grande valeur et admirables, ce qui vĂ©ritablement importe chez elle, comme chez n’importe quel artiste moderne, est la pure gĂ©nialitĂ© — l’indice de pure gĂ©nialitĂ©, ce qu’elle a Ă  nous dire de neuf, plus que la maniĂšre de le dire.
Et Maruja Mallo a du talent d’abord, et ensuite peint. »

— Antonio Espina, La Gaceta Literaria, .

Bibliographie

Écrits de Maruja Mallo

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Ouvrages et articles sur Maruja Mallo

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Liens externes

Notes et références

  1. Dans l’hypocoristique Maruja (qui n’est pas un prĂ©nom Ă  part entiĂšre), le j se prononce comme la jota espagnole (semblable au ch allemand de Bach), et le u comme un ou. Le l double de Mallo est un l palatal, mais sera prononcĂ© par beaucoup d’hispanophones comme la semi-voyelle y ; prononcer Mallo comme le mot français maillot apparaĂźt donc acceptable, Ă  condition toutefois d’avoir soin de placer l’accent tonique sur la 1re syllabe. API : [ma'ruxa 'maʎo].
  2. (en) Shirley Mangini, « From the Atlantic to the Pacific: Maruja Mallo in Exile », Studies in 20th and 21st Century Literature, vol. 30,‎ , p. 86 (DOI 10.4148/2334-4415.1616)
  3. (es) Antonio Garrido Moreno, « Ana María Gómez y Gonzålez (dans Diccionario Biogråfico Español) », Madrid, Real Academia de la Historia, (consulté le )
  4. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 2.
  5. « Maruja Mallo », (version du 29 janvier 2007 sur Internet Archive)
  6. Maruja Mallo raconta dans un entretien : « Tout le monde portait un chapeau, c’était quelque chose comme un marqueur de diffĂ©rence sociale. Mais, un beau jour, il nous prit, Ă  Federico, Ă  DalĂ­, Ă  Margarita Manso, Ă©tudiante elle aussi, et Ă  moi, d’enlever notre chapeau, et quand nous avons traversĂ© la Puerta du Sol, ils nous jetaient des pierres, en nous traitant de tous les noms, comme si nous avions fait une dĂ©couverte, comme Copernic ou GalilĂ©e. C’est pour cela qu’ils nous insultaient, parce qu’ils pensaient que se dĂ©pouiller de son chapeau Ă©tait comme une manifestation qui ne convenait pas Ă  notre sexe. » (citĂ© par Ana MarĂ­a PĂ©rez MartĂ­n, dans Maruja Mallo, pintora de la vanguardia española, communication lors du Xe CongrĂšs virtuel sur l’histoire des femmes).
  7. (es) Estrella de Diego, « La vida vanguardista de Maruja Mallo », El Pais,‎ (ISSN 1134-6582, lire en ligne, consultĂ© le )
  8. (es) Collectif, Catålogo de la exposición Forma, palabra y materia en la poética de Vallecas, Alicante, Diputación de Alicante, (ISBN 978-84-96979-82-6)
  9. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 8.
  10. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 9.
  11. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 12.
  12. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 15.
  13. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 19.
  14. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 20.
  15. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 19-20.
  16. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 23.
  17. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 4.
  18. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 6.
  19. Cette classification quadripartite de ces estampes sera en fait Ă©tablie par Maruja Mallo lors d’une confĂ©rence qu’elle donnera Ă  Montevideo plusieurs annĂ©es plus tard, sous le titre « Lo popular en la plĂĄstica española a travĂ©s de mi obra. 1928-1936 », cf. Antonio Garrido Moreno (2018).
  20. (es) Catålogo Maruja Mallo, Galería Guillermo de Osma, Madrid, , p. 114. Cité dans (es) Pilar Muñoz López, Escritoras y figuras femeninas (literatura en castellano) (ouvrage collectif sous la direction de Mercedes Arriaga Flórez, Ángeles Cruzado Rodríguez, Estela Gonzålez de Sande et Mercedes Gonzålez de Sande, Séville, ArCibel, , « Escritos sobre arte. El manifiesto de la mujer futurista y El manifiesto de la lujuria de Valentine de Saint-Point. Algunos textos teóricos de la pintora Maruja Mallo », p. 386.
  21. (es) Maruja Mallo, El surrealismo en España (ouvrage collectif), Madrid, Cåtedra, , « El surrealismo a través de mi obra », p. 263.
  22. Cité par Pilar Muñoz López (2009), p. 389.
  23. CitĂ© dans (es) Cayetano CĂłrdova Iturburu, « Una inteligencia a la caza de la armonĂ­a: Maruja Mallo », El Sol, Buenos Aires,‎ .
  24. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 17.
  25. Amelia Melendez TĂĄboas, Maruja Mallo 1902-1995, ThĂšse de doctorat, 2014, p. 734.
  26. (es) Paloma Esteban Leal, « Canto de las espigas », Madrid, Museo Reina Sofía, (consulté le ).
  27. « Copie archivée » (consulté le )
  28. (es) « Real Decreto 397/1982, de 26 de febrero, por el que se concede la Medalla al MĂ©rito en las Bellas Artes, en su categorĂ­a de oro, a don Luis GarcĂ­a Berlanga », Boletin Oficial del Estado, Madrid, no 55,‎ , p. 5884 (lire en ligne).
  29. A. M. PĂ©rez MartĂ­n (2018), p. 24.
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  31. https://www.streetdir.es/ES/Andalucia/Provincia-De-Almeria/Almeria/Strassen/Calle-Maruja-Mallo/
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Voir aussi

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